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Éditorial n°15

 

L’équipe de la revue Circé est ravie de vous présenter ce quinzième volume, qui assied le rythme de publication biannuelle malgré les multiples difficultés de la crise sanitaire. Nous nous félicitions de l’interdisciplinarité des derniers numéros parus, et continuons de le faire ici tant les objets étudiés et les méthodes mobilisées sont divers dans ce varia de six articles de jeunes chercheur·e·s que nous vous proposons. S’il fallait placer l’ensemble de ces contributions sous un même thème, ce serait celui de la diversité des acteurs de l’histoire. Chaque auteur et autrice a en effet choisi de s’écarter de l’histoire établie et des acteurs les plus directement visibles et influents pour en chercher d’autres, ce qui suppose aussi un renouvellement des sources et/ou de leur lecture ; thème particulièrement cher à l’équipe de Circé qui œuvre, d’une autre manière, à donner la parole aux divers acteurs qui font actuellement les sciences sociales, des jeunes chercheur·e·s à ceux plus expérimentés et institutionnellement installés.

Ce numéro s’ouvre ainsi sur un entretien vidéo avec l’historien Nicolas Offenstadt, maître de conférences en histoire médiévale à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, que nous remercions pour sa disponibilité et pour l’intérêt qu’il a porté à la revue. De la paix au Moyen Âge aux mémoires de la R.D.A., il nous parle de son parcours qui l’a amené à s’intéresser à une grande variété de périodes, d’objets d’histoire, d’acteurs, de sources et de méthodes, mais aussi aux médiations entre historiens et grand public. Un « décloisonnement » qui introduit donc bien ce numéro.

Si l’on se lance dans une lecture chronologique, on commencera par l’article de Mickael Bouali qui nous emmène plus de deux millénaires en arrière, autour de la question de la colonisation grecque en Méditerranée. L’auteur s’interroge sur les acteurs des fondations de nouvelles cités entre pouvoirs civiques et initiatives privées, mêlés dans une réalité politique, sociale et spatiale complexe mise en lumière par le croisement des sources textuelles traditionnelles et des fouilles archéologiques récentes. Comment ne pas songer à ces réflexions sur les acteurs de la cité en train de se faire lorsque l’on lit, ensuite, l’étude proposée par Yohann Lossouarn ? Il nous fait pourtant voyager à des milliers d’années et de kilomètres de la Méditerranée grecque, jusque dans le São Paulo du début du XXe siècle. L’auteur nous donne à voir la marge d’action de la population noire issue de l’esclavage dans un processus de métropolisation dont les élites européennes voudraient être les seuls acteurs. Pour ce faire, de nouvelles méthodes et de nouvelles sources sont, là aussi, mobilisées, telles que les paysages urbains, les pratiques sportives, la samba, l’alimentation ou la musique. Au même moment, de l’autre côté de l’Atlantique, Claire Milon s’intéresse à d’autres acteurs, ou plutôt actrices : les féministes allemandes. Par une relecture de quatre revues, l’autrice met en lumière l’effervescence intellectuelle et politique du féminisme de gauche au début des années 1920, à contre-courant de l’historiographie traditionnelle qui le considère en perte d’importance après l’obtention du droit de vote des femmes en 1918.

Trois autres articles proposent une approche des acteurs de l’histoire à travers diverses trajectoires individuelles. En pleine Renaissance, Tassanee Alleau décortique un herbier du médecin et botaniste bavarois Leonhart Fuchs, et montre comment les connaissances qui y sont formalisées se fondent sur les autorités savantes et religieuses du temps, mais mêlent aussi des savoirs et pratiques populaires qui sont ainsi promus. L’œuvre, écrite en vernaculaire et richement illustrée, contribue par ailleurs à rendre accessible cette littérature savante à un plus large public. Margaux Prugnier s’intéresse quant à elle à la littérature de cour en Lorraine au XVIIIe siècle, à travers la figure de François Antoine Devaux dit « Panpan ». L’autrice montre comment il a su construire un dense tissu de relations et une image ambivalente de lui-même qui lui permettait d’être à la fois un courtisan proche du pouvoir lorrain et un homme de lettres reconnu, posant ainsi « les jalons d’une réussite sociale par les lettres ». Manon Bertaux nous propose enfin une réflexion autour de la musique du XIXe siècle, à travers l’influence de la guerre franco-prussienne de 1870-1871 chez le compositeur français Camille Saint-Saëns. Si le conflit laisse une empreinte profonde dans son œuvre, cette dernière contribue en retour à cristalliser le souvenir amer de la défaite dans la France de la fin du XIXe siècle.

Nous remercions chaleureusement l’ensemble des auteurs et autrices pour ces articles aussi passionnants qu’inspirants. Au-delà de leur intérêt historiographique, la lumière faite sur ces divers acteurs de l’histoire invite encore une fois à ne pas céder à la simplification et à la passivité (ou à son illusion), en pensant toute société comme le résultat des individus et des groupes sociaux qui la composent et qui y agissent à différents degrés.

Le comité de rédaction de Circé. Histoire, Savoirs, Sociétés

 

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Portrait de Nicolas Offenstadt, historien spécialiste de la guerre de Cent Ans et de la Grande Guerre

Nicolas Offenstadt est historien, maître de conférences habilité à l’université Paris 1. Il est spécialiste des pratiques de guerre et de paix pendant la Guerre de Cent ans ainsi que pendant la Première Guerre Mondiale. Il est également spécialiste de la RDA, de l’espace public au Moyen Âge, et d’une pratique historienne de l’urbex.

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Camille Saint-Saëns et la guerre de 1870 : des Mélodies persanes à l’hommage à Henri Regnault (1843-1871)

Manon Bertaux

 


Résumé : En 1916, Saint-Saëns affirme dans un entretien qu’il a composé son cycle des six Mélodies persanes, tirées du recueil Nuits persanes d’Armand Renaud (1836-1895), au début du siège de Paris, pendant la guerre franco-prussienne. Il était alors engagé dans le 4e bataillon de la garde nationale. Elles ont été créées pendant le conflit par le peintre orientaliste Henri Regnault (1843-1871), grand ami du compositeur, mort tragiquement le 19 janvier 1871, pendant la bataille de Buzenval. Cette disparition touche beaucoup les proches de Regnault qui attachent les mélodies « Au cimetière » et « Sabre en main » à sa mémoire. Saint-Saëns dédie d’ailleurs cette dernière, mélodie au caractère le plus belliqueux du cycle, au jeune artiste. Cet article se propose d’analyser ces deux morceaux et de revenir sur leur contexte de création pour comprendre l’influence du conflit de 1870 ainsi que la mort d’Henri Regnault sur ces œuvres.

Mots-clés : guerre franco-allemande (1870-1871), mélodies persanes, Camille Saint-Saëns (1835-1921), Henri Regnault (1843-1871), musique du XIXe siècle.


Titulaire d’un master Arts, parcours édition musicale et musicologie, de l’université de Lorraine, Manon Bertaux mène des recherches sur Camille Saint-Saëns et la guerre franco-prussienne dans le cadre d’une thèse de doctorat qu’elle prépare à l’université Lyon 2, sous la direction de Jean-Christophe Branger et Nicolas Moron. Après avoir effectué plusieurs stages à la Médiathèque musicale Mahler / Fondation Royaumont, elle travaille désormais au département de la Musique de la Bibliothèque nationale de France.

bertaux.manon@gmail.com


Introduction

Au début du mois de novembre 1870, Camille Saint-Saëns (1835-1921) répond à l’invasion de la France par les Allemands en composant une cantate pour deux solistes, chœur et orchestre. Profondément anti-prussienne, Chant de guerre invite ses concitoyens à s’armer pour défendre la patrie en danger[1]. Il l’envoie au Comité des artistes de l’Opéra dans l’espoir de la voir créée pour les concerts organisés dans la ville de Paris pendant le siège. Mais elle est refusée par ce comité, sans réelle explication. Furieux, le compositeur leur adresse alors une lettre, le 21 novembre 1870, dans laquelle il déclare : « Dans les circonstances de tourmente que nous traversons, j’avais pensé qu’il y avait un devoir impérieux à remplir, partout où le souvenir réunit des artistes en un public ; j’avais pensé […] qu’il fallait à la guerre de 1870 la musique de 1870[2]. » Le compositeur montre ainsi qu’il a conscience de son rôle de transmettre, par son art, des messages à ses contemporains et aux générations futures. Engagé en tant que garde national pendant le siège de Paris, il continue son activité de musicien et de compositeur parallèlement à ses missions à la garde des remparts. En 1916, il confie les souvenirs de cette période à Georges Cain et déclare notamment : « Ce que j’ai fait pendant le siège ? [Les] Mélodies persanes, écrites au début de la guerre – j’habitais alors Faubourg-Saint-Honoré, 168[3]. »

Cette œuvre trouve son origine dans le recueil Nuits persanes d’Armand Renaud[4], poète et proche du compositeur. L’ouvrage est imprégné de l’esthétique parnassienne, nouvelle conception poétique de la fin du XIXe siècle qui se place en contradiction avec l’expansion sentimentale et personnelle des romantiques[5]. Dans la coutume parnassienne, Armand Renaud puise son inspiration dans la culture orientale pour trouver des formes originales comme le ghazal, « forme préférée de la poésie lyrique en Orient[6] », ainsi qu’un imaginaire coloré qu’il assemble dans les Nuits persanes, terminées en janvier 1867 et publiées en avril 1870[7]. Dans ce recueil, le poète narre l’histoire d’un homme qui se livre aux plaisirs par le rêve, l’imagination puis avec une femme. Mais la mort de cette dernière rompt le bonheur qui s’est construit et laisse le protagoniste dévasté par son chagrin. Il part alors faire la guerre avant de sombrer dans l’alcool. C’est en prenant de l’opium qu’il parvient à trouver la sérénité et à atteindre, dans ses hallucinations, la divinité avant de mourir à son tour : « Solitude. Nuit. Rien. Dieu[8] ».

Saint-Saëns met en musique six de ces poèmes pour créer un cycle de mélodies homogène. Certaines d’entre elles dont « La Brise », sont des expérimentations qui modernisent le langage musical par l’utilisation assumée de la modalité. Or, si les Mélodies persanes sont évoquées dans certaines études pour leur intérêt dans l’histoire de la musique[9], leur contexte de composition est rarement abordé. Elles sont pourtant interprétées pendant le siège de Paris par Henri Regnault, peintre orientaliste, lauréat du prix de Rome, connu pour sa représentation du personnage biblique de Salomé[10]. Considérer les paramètres de contextualisation d’une œuvre a son importance pour déceler l’éventuelle influence du conflit franco-prussien sur la composition et sa réception par les contemporains. Ainsi, les Mélodies persanes de Saint-Saëns peuvent-elles être perçues comme des musiques de guerre[11] ? L’objet de cette étude est de mettre en exergue ce qui relie ces Mélodies, et plus particulièrement deux morceaux (« Sabre en main » et « Au cimetière »), à la guerre franco-allemande. Nous étudierons le contexte de leur création complexe ainsi que leur lien avec Henri Regnault, ami du compositeur, mort le 19 janvier 1871 pendant la bataille qui clôt le siège de Paris : Buzenval.

Une création ancrée dans le siège de Paris

La genèse du cycle des Mélodies persanes se révèle complexe du fait de l’existence de sources contradictoires qui rythment la recherche génétique. Les premières sources manuscrites autographes des trois premières mélodies, à savoir « La Brise », « La Splendeur vide » et « La Solitaire » sont datées de juin 1870[12]. Elles ont été composées juste avant le début des hostilités entre la France et l’Allemagne, période où le compositeur cède ses Mélodies persanes à l’éditeur Georges Hartmann pour la somme de 1 200 francs, attestant ainsi la fin de la composition du cycle[13]. Pourtant, l’édition originale de l’œuvre ne voit le jour qu’en 1872[14], soit un an après le traité de Francfort qui marque la fin de la guerre, signé le 10 mai 1871. Il est donc probable que l’édition se soit éternisée et que, incertain de l’avenir de son œuvre, Saint-Saëns l’ait reprise et y ait effectué quelques modifications avant l’édition originale.

Au début du conflit, le compositeur retrouve Henri Regnault, peintre talentueux qui revient du Maroc pour participer à l’effort de guerre. Amis de longue date, les deux hommes partagent une passion commune pour la culture orientale et le compositeur profite de l’« exquise voix de ténor[15] » de l’artiste pour le mettre à contribution pour ses compositions exotiques. Ainsi, en 1868, Regnault avait été le premier à incarner le rôle de Samson dans le deuxième acte du célèbre opéra Samson et Dalila, créé lors d’une soirée privée[16]. Saint-Saëns renouvelle leur collaboration en confiant à l’artiste deux des Mélodies persanes composées pour voix de ténor. Dans une lettre écrite pendant le siège à sa fiancée[17], Geneviève Bréton, le jeune homme parle de « deux morceaux de Camille Saint-Saëns » que le compositeur souhaite lui-même faire copier car « il n’en a pas d’autre manuscrit[18] ». À cela il ajoute : « Il me les rendra quand il n’en aura plus besoin », confirmant qu’il les a en sa possession pour les travailler dans l’optique de les interpréter[19]. Geneviève Bréton note en bas de page d’une copie de cette lettre que ces deux morceaux sont les « manuscrits des Nuits persanes[20] ». Ces deux partitions sont probablement « Sabre en main » et « Au cimetière » car ce sont les seules œuvres de Saint-Saëns connues pour avoir été travaillées par Henri Regnault pendant le conflit. Bien qu’écrite ultérieurement aux événements, cette annotation démontrerait que les deux partitions devaient encore être au stade du manuscrit au moment de l’envoi de cette lettre. Cela tendrait ainsi à démontrer que le compositeur a vendu à Hartmann un cycle incomplet, ayant composé ses dernières mélodies au début du siège de Paris.

Mais une contradiction demeure dans des notes autographes de Geneviève Bréton, probablement contemporaines de cette période[21], puisque la jeune femme révèle avoir participé à quelques soirées durant lesquelles Regnault a chanté ces deux mélodies. Elle écrit alors qu’il « ouvrit les Poésies persanes de St Saëns » mais précise ensuite que l’œuvre n’est qu’une « première épreuve[22] » qui n’est « pas encore édité [sic] ». Cette information suppose que Regnault n’avait pas les manuscrits des Mélodies persanes en sa possession, ce qui contredit l’annotation de Geneviève Bréton sur la copie de la lettre. Mais il est possible que cette note ait été écrite ultérieurement à la lettre autographe de l’artiste. Nous pouvons alors formuler l’hypothèse que Saint-Saëns devait faire copier ses manuscrits de « Sabre en main » et d’« Au cimetière » dans le but de les transmettre à son éditeur qui, en cours d’édition, a donné la « première épreuve » à l’interprète. En tous les cas, les partitions étaient, pendant le siège, à un stade éditorial où elles étaient encore susceptibles d’être modifiées car il existe quelques différences entre les manuscrits autographes et leur édition originale de 1872. Ces remaniements sont toutefois mineurs et concernent principalement des modifications rythmiques et des dynamiques[23]. De plus, le compositeur insiste sur le fait qu’il a composé ses Mélodies au début du conflit de 1870, chaque fois qu’il les mentionne dans ses articles[24]. Même si ce n’est pas le cas du cycle entier, nous venons de voir que la quatrième et la cinquième mélodies sont particulièrement ancrées dans ce contexte par leur création, si ce n’est par leur composition ou leur modification. Pour autant, des musiques datant de cette période belliqueuse n’en font pas nécessairement des œuvres de circonstance. Leur lien avec ce conflit est surtout dû au fait qu’elles sont reliées à leur premier interprète, Henri Regnault, devenu une figure emblématique de la guerre franco-prussienne.

« Sabre en main » ou l’hommage à Henri Regnault

Le 21 janvier 1871, une inquiétude règne dans les journaux à la suite de la bataille de Buzenval : où est passé le peintre Henri Regnault ? Lui, pourtant inséparable de son meilleur ami Georges Clairin, a disparu. Les craintes et les suppositions se multiplient dans la presse. On craint qu’il ne soit mort ou on espère qu’il est emprisonné par les Prussiens. Ce que l’on sait, c’est qu’après la retraite, il s’est permis un demi-tour « désireux, disait-il, de ne point remporter son fusil chargé[25] ». Lorsqu’on lève officiellement le doute sur le destin funeste d’Henri Regnault, le 24 janvier 1871, la presse est abasourdie. Les journalistes s’émeuvent de la mort du peintre, comme le démontre un article du Figaro du 24 janvier 1871 : « C’est un malheur pour ses amis, pour sa famille ; mais croyez-moi, c’est aussi un malheur pour la France, car à partir de cet instant elle compte un grand artiste de moins[26]. » Les érudits prennent la parole dans les tribunes des journaux pour rendre hommage au jeune homme disparu[27]. Ils insistent sur ses aptitudes et rappellent au bon souvenir des lecteurs son grand parcours artistique, couronné de multiples succès au Salon, comme sa Salomé de 1870, représentation de l’érotisme orientale. Sa mort soudaine, à presque vingt-huit ans, et l’arrêt d’une carrière pourtant si prometteuse rendent cette disparition d’autant plus tragique. Les auteurs rappellent également la volonté dont il a fait preuve en prenant les armes tandis qu’il devait être exempté de tout combat grâce à son statut de lauréat du prix de Rome. Le pays le considère comme un martyr, son sacrifice devenant par la même occasion un geste héroïque, et l’érige en icône du patriotisme : celle du soldat courageux et dévoué à sa patrie.

Ainsi, il nourrit un mythe qui permet de diffuser l’idéologie républicaine dans l’esprit collectif[28]. Cela s’effectue notamment par l’éducation des jeunes générations, sa vie et son talent devenant un modèle de morale républicaine[29]. En 1885 paraît Henri Regnault enfant de Victoire Tinayre, une petite histoire tirée du « réel[30] ». Destiné à un jeune public, le récit incite les enfants à suivre l’exemple du jeune peintre en rythmant leur vie par la stimulation intellectuelle grâce à la culture et l’entretien du corps. L’autrice n’oublie pas de terminer cette histoire par l’évocation de la mort héroïque du peintre[31]. Son sacrifice, qui incarne un exemple de dévouement à la nation, est mis en exergue par l’érection de deux monuments à son effigie : l’un à l’École des Beaux-Arts de Paris et l’autre à Buzenval, à l’endroit supposé de sa mort[32]. Il devient alors un symbole pour l’ensemble des artistes tués sur le front et immortalise leur courage. D’un point de vue éditorial, une profusion de biographies et de témoignages sont publiés dans les années 1870-1880 ainsi qu’une partie de sa correspondance, éditée par Arthur Duparc l’année suivant sa mort[33]. La communauté artistique salue à son tour le talent de son confrère en le représentant sur les tableaux historiques représentant le siège de Paris ou lors de la bataille où il a trouvé la mort[34]. Ernest Meissonnier participe à cet hommage avec son célèbre tableau Le Siège de Paris, débuté en 1871 puis terminé en 1884. Les poètes s’inspirent du jeune homme pour leurs écrits qu’ils font paraître dans les journaux, comme Eugène Manuel, qui publie dans le Journal des débats ou Armand Renaud, qui dédie « Justice d’outre-tombe. “À la mémoire d’Henri Regnault” » dans Le Rappel[35].

Camille Saint-Saëns, lui, souhaite se joindre en musique aux multiples hommages adressés à son ami. Ainsi, il poursuit cette mise en lumière de l’héroïsme de Regnault en lui dédicaçant deux de ses œuvres qui ont une grande signification : une « Marche héroïque », tout d’abord, tirée de sa cantate de circonstance Chant de guerre, composée en novembre 1870 et refusée par le Comité des artistes de l’Opéra et « Sabre en main », la mélodie belliqueuse du cycle des Mélodies persanes. Le poème narre la guerre dans laquelle se lance le héros, nourri par le désespoir après la mort de sa compagne. Il la crée « à la façon orientale, fatalement, sans souci de lui ni des autres[36] », comme le précise Armand Renaud. Ce dernier y dépeint une représentation cruelle du guerrier qui abat sa colère sur les champs de bataille. Il en sort victorieux mais, après avoir « broyé le monde en vain[37] », découvre que ces massacres ne l’ont pas aidé davantage à apaiser sa douleur et se noie alors dans l’alcool. L’auteur précise aussi que « si une partie du livre pouvait prétendre à un but autre que l’art même, ce serait cette peinture de l’esprit de destruction[38] ». Il explique ainsi qu’il s’éloigne de la conception purement stylistique des Parnassiens pour laisser place à l’expression de la violence. « Sabre en main » n’en est que le début, le héros y fantasme ses victoires futures, souhaitant être craint par ses ennemis.

Saint-Saëns présente l’héroïsme guerrier qu’incarne Regnault sous son habit musical le plus flamboyant. La « valeur militaire », d’après Camille Bellaigue[39], est mise en exergue dans de multiples références musicales au cours de cette courte pièce. Le critique écrit en 1892 : « De ces lois, il semble que la plus nécessaire à l’expression du sentiment belliqueux, celle qui nous le fait le plus sûrement éprouver ou reconnaître, ce soit le rythme. L’héroïsme en musique est une question de rythme plus que de mélodie[40] ». Et cette loi, Saint-Saëns l’utilise à bon escient en commençant sa mélodie par une diminution de rythmes pointés (exemple 1, mes. 1-2) très significatifs des marches militaires. Ces rythmes sont associés à une nuance forte qui apporte une forte tension dès les premières mesures.

Figure 1 : Camille Saint-Saëns, « Sabre en main », Mélodies persanes, partition chant et piano, Paris, G.Hartmann, 1872, p. 18, mes. 1-2

Le thème martial (ex. 2, mes. 16-19) illustre bien les propos de Camille Bellaigue. On y retrouve le rythme pointé dans une ligne vocale dénuée de toute note étrangère à l’harmonie marquée par un accompagnement au piano qui pose une marche militaire. Le piano alterne les accords de fonction tonique et de dominante dynamisés par un triolet sur le temps faible de la mesure à la main droite représentant les roulements de tambour.

Figure 2 : Camille Saint-Saëns, ibid., p. 19, mes. 16-19

Mais les effets sont aussi nombreux pour représenter l’élan vers l’ennemi, le héros évoquant ses accès de violence avec enthousiasme (ex. 3, mes. 27-38). La voix commence sur une levée accentuée et appuyée par le forte de l’accompagnement. S’enchaîne alors une descente impétueuse en Majeur vers les trémolos de demi-ton à l’extrême grave qui conservent un effet menaçant. Le thème martial de l’exemple 2, quant à lui, se retrouve à la main droite de l’accompagnement. Il est transposé un demi-ton en dessous tandis que le chanteur expose les actes brutaux du personnage : « Où la nuit l’on brûle les villes, tandis que l’habitant dort ». Le thème se retrouve ensuite déformé sur « Où, pour les multitudes viles, on est grand quand on est fort ». L’intervalle de quarte juste qui amorce initialement ce thème devient diminué et les tierces majeures sont minorisées amenant une tension d’autant plus palpable.

Figure 3 : Camille Saint-Saëns, ibid., p. 19-20, mes. 27-38

Nous pouvons retrouver les rythmes pointés de cette mélodie dans des œuvres du même caractère, qu’elles soient composées ou non pendant la guerre, comme La Marseillaise ou le Chant du départ, chantés par la foule dans les rues de Paris le 19 juillet 1870, au début des hostilités. D’autres œuvres, composées pendant le siège reprennent ces mêmes procédés, mais de manière plus sombre, dans Vengeance ! d’Augusta Holmès, également interprétée par Henri Regnault en janvier 1871 ou la Marche héroïque de Saint-Saëns. « Sabre en main » représente donc bien la guerre, que ce soit dans son effroyable cruauté ou dans l’ardeur du combattant. Geneviève Bréton, en l’entendant de la voix de son fiancé pour la première fois, s’exclame : « Et cela il le chantera avec une verve et une furie ces traits binaires où l’on retrouve toute sa fougue de jeunesse et sa verve de coloriste ce chant si étrange de carnage et de guerre. Et le canon toujours nous accompagne en sourdine[41]. » Il était donc tout naturel pour Saint-Saëns de rendre hommage à son ami avec « Sabre en main », mélodie si significative des assauts guerriers mais qui est aussi empreinte d’orientalisme musical. L’exotisme est principalement représenté par les envolées lyriques de la voix en ad. libitum sur un mode de ré sur sol laissant entrevoir les mélismes des chants orientaux[42]. Il représente ainsi dans cette œuvre ce que va incarner Regnault auprès de la communauté républicaine : un peintre orientaliste talentueux, mais surtout un guerrier dévoué au combat, souhaitant livrer bataille au-delà même de la sonnerie de la retraite.

« Au cimetière », œuvre souvenir

Pourtant, c’est la mélodie « Au cimetière » qui garde une place privilégiée dans l’esprit des proches de Regnault. Contrairement à « Sabre en main », elle ne représente pas la valeur héroïque qu’incarne le peintre, mais davantage l’idée de la perte de la jeunesse. Le poème exprime l’amour intemporel, l’oubli de la mort inéluctable et le temps qui passe et reprend la thématique épicurienne du carpe diem. Pour ce faire, Armand Renaud oppose dans son poème les thèmes de la mort et de la passion amoureuse.

« Assis sur cette blanche tombe
Ouvrons notre cœur
Du marbre, sous la nuit qui tombe,
Le charme est vainqueur

Au murmure de nos paroles
Le mort vibrera
Nous effeuillerons des corolles
Sur son Sahara

S’il eut avant sa dernière heure
L’amour de quelqu’un
Il croira du passé qu’il pleure
Sentir le parfum

S’il vécut, sans avoir envie
D’un cœur pour le sien,
Il dira : j’ai perdu ma vie
N’ayant aimé rien

Toi, tu feras sonner, ma belle,
Tes ornements d’or,
Pour que mon désir ouvre l’aile
Quand l’oiseau s’endort.

Et sans nous tourmenter des choses
Pour mourir après,
Nous dirons, aujourd’hui les roses !
Demain les cyprès[43]. »

Les deux thématiques précédemment citées se confrontent l’une et l’autre. La première idée est représentée par un champ lexical du macabre avec « le marbre », la « tombe » ou la « dernière heure » tandis que la seconde est présentée par le « désir », l’« amour », les « corolles », le « charme » ou encore le « cœur ». Cette dernière idée l’emporte sur la mort avec l’avant-dernière strophe qui rompt cette dichotomie, laissant le héros exprimer pleinement son admiration pour sa compagne. Dans la strophe suivante, nous retrouvons cette opposition entre l’amour et la mort, mais les « roses », symbole de « l’amour » et de la « perfection achevée » l’emportent sur « les cyprès », l’arbre des morts. Le poème, ode à la vie, se termine ainsi sur des vers qui appellent à apprécier l’instant. Saint-Saëns ne le perçoit pourtant pas comme tel et crée une ambiance musicale sombre autour de ce poème. Pour lui, la mort domine. « Au cimetière » devient donc une marche funèbre en la majeur qui s’ouvre sur un accompagnement au piano monotone marquant les temps imperturbablement sur des accords de tonique en pianissimo. L’atmosphère sinistre de ces premières mesures est accentuée par les quintes à vide des deux premières mesures, procédé que Franz Schubert a utilisé comme pédale de l’accompagnement piano du lied « Der Leiermann » qui clôt le cycle Der Winterreise[44]. Saint-Saëns fait aussi l’usage de figuralismes pour aller dans le sens du texte. L’harmonie à la troisième mesure, par exemple, assombrit l’accord de sus-dominante en minorisant la sixte de l’accord sur « tombe ». Ce motif est repris sur les rimes en lien avec cette idée que sont « pleure » et « heure » (ex. 4, mes. 1-3).

Figure 4 : Camille Saint-Saëns, « Au cimetière », Mélodies persanes, p. 24, mes. 1-3

Aussi, la pédale de la à la basse de l’accompagnement appuie le côté macabre. Cette note constante sonne comme un glas qui s’arrête à deux reprises lorsque la passion s’impose dans les vers. Ainsi, elle s’arrête sur la strophe passionnée de « toi tu feras sonner ma belle tes ornements d’or » et se tait lorsque l’accompagnement décompose l’accord de sus-dominante créant une envolée vers les aiguës sur les « roses ». L’accompagnement s’interrompt sur un silence pesant laissant la dernière intervention vocale exprimer dans un murmure désespéré sur une nuance pp le dernier vers du poème comme pour exprimer la passion vaincue par la mort (ex 5, mes. 48-54).

Figure 5 : Camille Saint-Saëns, Ibid., p. 27, mes. 48-54

Cette mélodie a un retentissement durable et résonne dans l’intimité profonde des proches de Regnault qui l’évoquent plus fréquemment que « Sabre en main » dans leurs souvenirs. Elle est, pour eux, la représentation même de sa mort. Saint-Saëns, par exemple, l’évoque dans un article repris et publié de nombreuses fois dans des journaux[45]. Après avoir vanté les prédispositions musicales de l’interprète, il affirme qu’« Au cimetière » est son « triomphe[46] » et que « personne ne [le] chantera […] mieux que lui[47] ». Par cette affirmation, la représentation de Regnault devient unique aux yeux de Saint-Saëns, pour l’affection qu’il lui portait, d’une part, mais aussi pour l’imminence du drame qui a suivi cette soirée.

D’autres auteurs se joignent au constat de Saint-Saëns sur la singularité de la création de la mélodie par Regnault qui a marqué les esprits des quelques privilégiés qui ont pu l’entendre. Villiers de l’Isle-Adam témoigne à ce sujet et fait part dans ses mémoires, en 1890, de l’émotion qu’il a ressentie lors d’une soirée de janvier 1871, organisée chez le père d’Augusta Holmès rue Galilée, à Versailles, et au cours de laquelle le peintre a chanté le cinquième morceau du cycle de mélodies[48]. L’auteur, habitué des lieux, tout comme Armand Renaud, Georges Clairin ou Camille Saint-Saëns, évoque ainsi ce souvenir du siège de Paris dans un chapitre sur la chanteuse irlandaise :

« Un soir, pendant le siège de 1871, je me trouvai chez Augusta Holmès avec Henri Regnault et M. Catulle Mendès : -c’était la veille du combat de Buzenval.- Regnault, qui avait une jolie et chaude voix de ténor, enleva, brillamment, à première vue, un hymne guerrier, sorte d’arioso d’un magnifique sentiment que Mlle Homès, dans un moment de farouche « vellédisme » venait d’écrire au bruit des obus environnants[49]. Tous les trois nous portions une casaque de soldat : Regnault portait la sienne, dans Paris, pour la dernière fois.
Chose qui, depuis, nous est bien souvent revenue vivante dans l’esprit ! Il nous chanta, vers minuit, une impressionnante mélodie de Saint-Saëns, dont voici les premières paroles.
« Auprès de cette blanche tombe
Nous mêlons nos pleurs »
(la poésie est, je crois, de M. Armand Renaud).
Et Regnault la chanta d’une manière qui nous émut profondément, nous ne savions pas pourquoi. Ce fut une sensation étrange, dont les survivants se souviendront, certes jusqu’à leur tour d’appel.
Lorsque nous rentrâmes, après le dernier serrement de main, nous y pensions encore, M. Mendès et moi. Bien souvent, depuis lors, nous nous sommes rappelés ce pressentiment. Regnault trouva chez lui l’ordre de partir le lendemain matin avec son bataillon.
On sait ce qui l’attendait le lendemain soir.
Ainsi fut passée, chez Mlle Holmès, la dernière soirée de ce grand artiste, de ce jeune héros[50]. »

Ainsi, d’après l’auteur, la soirée aurait eu lieu la veille de la bataille de Buzenval, soit le 18 janvier 1871[51]. Mais cette information ne correspond pas à ce que rapportent certaines biographies de Regnault qui affirment qu’il a reçu l’appel au combat le 17 janvier et non le lendemain[52]. Cette indication est confirmée par une lettre de Jules Clairin, écrite peu après la mort du peintre tout comme l’attestent également les Souvenirs de son fils, Georges Clairin, et un témoignage anonyme publié en janvier 1880 dans Le Gaulois[53]. Dans sa lettre, Jules Clairin indique que Regnault et son fils sont partis ensemble le matin du 17 janvier et qu’ils étaient au pied du Mont-Valérien le lendemain. La nuit du 18 janvier, ils étaient déjà au Pont de Sèvres, se préparant à livrer bataille[54]. En assurant que la mélodie a été chantée la veille de la bataille de Buzenval, l’auteur la dramatise davantage. Il rend ainsi le message carpe diem du poème concret, le peintre ayant chanté cette mélodie au crépuscule de sa vie et profitant de l’instant présent au cours d’une dernière soirée entre amis.

Un témoignage similaire survient sept ans plus tard dans un article du Gil Blas signé par Santillane[55]. Il y raconte sa participation à une soirée de représentation des Mélodies persanes chez Augusta Holmès pendant le mois de janvier 1871[56]. L’auteur précise qu’« Au cimetière » fut chantée et cite la dernière strophe de la mélodie contenant ces deux derniers vers : « Aujourd’hui les roses, / Demain les cyprès[57]. » Saint-Saëns les cite également dans ses souvenirs sur Regnault et les entend comme une « prophétie »[58] de son triste sort. Le « cimetière » devient ainsi l’un des derniers chants interprétés par « le plus musicien de tous les peintres[59] » et représente, avec son rattachement au souvenir de Regnault, la mort de la jeunesse passionnée et talentueuse ainsi que la perte brutale de l’espoir du renouvellement du génie national. C’est cet espoir que pleurait la patrie lors de l’ultime hommage, le 27 janvier 1871 en l’église Saint-Augustin. Après avoir joué à l’orgue la Marche héroïque ou un extrait du Lohengrin de Wagner[60], Saint-Saëns joue un « air dolent et triste » que le « pauvre Henri Regnault chantait peu de jours avant sa mort », d’après L’Électeur libre du 29 janvier 1871. Il s’agit là d’« Au cimetière » que le compositeur, en le jouant au moment de l’élévation, rattache définitivement à Regnault, étant « un souvenir sympathique et douloureux pour ceux à qui il était donné d’en comprendre le sens profond[61] ».

Conclusion

Bien que les Mélodies persanes n’aient probablement pas été composées au début du siège de Paris comme pouvait l’affirmer Saint-Saëns à de nombreuses reprises, il les a malgré tout véritablement liées à la guerre franco-prussienne dans ses écrits. La création de « Sabre en main » et d’« Au cimetière », deux œuvres pleinement associées à la mort, en parallèle d’autres œuvres patriotiques, les inscrit dans la mouvance des musiques de la guerre de 1870. Mais elles sont surtout devenues un symbole du conflit par leur attachement au souvenir d’Henri Regnault. « Sabre en main » est un véritable hommage à l’héroïsme et au sacrifice du peintre sur le champ de bataille tandis qu’« Au cimetière » marque les esprits comme étant son dernier chant. Elles sont ainsi toutes deux représentatives de la mort brutale de cette personnalité fougueuse, qui a marqué de son nom le courant orientaliste et l’histoire de l’art du XIXe siècle, de même que les légendes républicaines, oubliées aujourd’hui.

 

Bibliographie sélective

Fonds Geneviève Vaudoyer-Bréton, BnF, NAF 28428.

Fonds Georges Clairin, INHA, fonds 171.

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Lecaillon, Jean-François, Les Français et la guerre de 1870, Paris, L’Artilleur, 2020.

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[1] Camille Saint- Saëns, Chant de guerre, partition d’orchestre, chœur, ténor et contralto, ms aut., novembre 1870, musée Carnavalet, MSS10, E. 8474 D16.

[2] Camille Saint-Saëns, l.a.s au comité des artistes de l’Opéra de Paris, Paris, 21 novembre 1870, BnF, Bibliothèque-musée de l’Opéra, L.A.S-Saint-Saëns Camille-1.

[3] Camille Saint-Saëns, « Croquis de guerre : un souvenir du siège de Paris » in Marie-Gabrielle Soret (éd.), Écrits sur la musique et les musiciens, 1870-1921, Paris, Vrin, « Musicologies », 2012, p. 945.

[4] Né en 1836 et mort en 1895, Armand Renaud est un poète du courant parnassien qui fréquentait le même cercle d’amis que Saint-Saëns. À la suite des Mélodies persanes, il effectue une nouvelle collaboration avec le compositeur pour orchestrer le cycle de ces Mélodies dans Nuit persane qui voit le jour en 1894. Voir André Beaunier et Georges Clairin, Les Souvenirs d’un peintre, Paris, Bibliothèque Charpentier, 1906, p. 20.

[5] Les Parnassiens, publiés chez l’éditeur Alphonse Lemerre, ont la même admiration pour l’exotisme oriental et se veulent être des héritiers du courant de l’« art pour l’art » de Théophile Gautier, dans l’optique de respecter une forme stricte et élaborée tout en cherchant la richesse des rimes. Voir Arlette Michel, Colette Becker, Patrick Berthier, Mariane Bury et Dominique Millet, « 3. La poésie », Littérature française du xixe siècle, Paris, PUF, 1993, p. 351-358.

[6] Le poète donne une définition très complète du ghazal. La forme se « compose d’une suite de distiques (5 au moins) dont le premier a ses deux vers rimant ensemble et dont les autres ont leur premier vers sans rime et leur second rimant avec le premier distique. » Voir Armand Renaud, Les Nuits persanes, Paris, Alphonse Lemerre, p. 36.

[7] Ibid. ; Armand Renaud, l.a.s à Stéphane Mallarmé, Versailles, 21 janvier 1867, Paris, Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Fonds Mallarmé-Valvins, MVL 2863.

[8] Armand Renaud, Les Nuits persanes, ibid., p. 249.

[9] Jean-Pierre Bartoli mentionne les Mélodies persanes pour situer historiquement les prémices de l’orientalisme de Saint-Saëns tout en évoquant succinctement « La Brise » pour ses procédés à connotation exotique. Voir Jean-Pierre Bartoli, L’Harmonie classique et romantique, (1750-1900): éléments et évolution, Paris, Minerve, « Musique ouverte », 2001, p. 85 et p. 179. Henri Gonnard, quant à lui, étudie de manière plus approfondie la modalité « affirmée » de Saint-Saëns en prenant pour exemple les mélodies « La Brise » et « Sabre en main ». Voir Henri Gonnard, La Musique modale en France de Berlioz à Debussy, n˚ 33, Paris, H. Champion, « Musique musicologie », 2000, p. 153.

[10] Voir Henri Regnault, Salomé, 1870, huile sur toile, 160×102,9 cm, conservée au Metropolitan Museum of Art de New York.

[11] Esteban Buch se pose cette question mais sur la musique pendant la Première Guerre mondiale dans « Composer pendant la guerre, composer avec la guerre » in La Grande guerre des musiciens, Lyon, Symétrie, « Collection Perpetuum mobile », 2009, p. 135-159.

[12] Seules les trois premières mélodies sont datées. Les trois dernières ne contiennent aucune date, que ce soient les manuscrits autographes de « Sabre en main » et « Au cimetière » ou leur copie manuscrite, ou la copie de « Tournoiement ». Manuscrits conservés à la BnF, département de la Musique, fonds Saint-Saëns : « La Brise », « juin 1870 », sous les cotes ms 684, ms 797 ; « La Splendeur vide », « juin 1870 », ms 810 ; « La Solitaire », « juin 1870 », ms 802 ; « Sabre en main », s.d., sous les cotes ms 804 (1) et ms 804 (2) ; « Au cimetière », s.d., sous les cotes ms 925 et ms 799 ; « Tournoiement », s.d., ms 804 (3).

[13] Cette information est mentionnée dans les notes manuscrites d’Yves Gérard. Merci infiniment à Fabien Guilloux pour cette précieuse information.

[14] Camille Saint-Saëns, Mélodies persanes, voix et piano, Paris, G. Hartmann, 1872, G.H.645 (4).

[15] Camille Saint-Saëns, « Les peintres musiciens » in Marie-Gabrielle Soret (éd.), Écrits sur la musique et les musiciens, op. cit., p. 713.

[16] Henri Regnault a interprété cet acte en compagnie d’Augusta Holmès et de Romain Bussine. Voir Camille Saint-Saëns, « À travers le répertoire lyrique : Samson et Dalila », ibid., p. 1062.

[17] Malheureusement, il ne reste aucune trace de la correspondance entre Saint-Saëns et Regnault qui aurait pu mettre en lumière leur coopération. C’est pourquoi il faut se tourner vers les fonds des proches des deux artistes pour avoir quelques indices sur cette création. Sur la période de la guerre de 1870, peu de sources externes aux partitions manuscrites existent. Mais le fonds de Geneviève Vaudoyer-Bréton (NAF 28428), conservé au département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, contient quelques indices. Fiancée à Regnault au début du conflit, Bréton a entretenu une importante correspondance avec le peintre, du moment de leurs fiançailles jusqu’à la mort de celui-ci. Complétés par le journal intime que la jeune femme tenait très régulièrement pendant toute cette période, ces documents épistolaires retracent la vie du premier interprète des Mélodies persanes pendant la guerre et fournissent ainsi quelques précieuses informations pour constituer la genèse du cycle.

[18] Henri Regnault, lettre à Geneviève Bréton, [Paris], s.d., BnF, ms., NAF 28428 (129), f. 45-46.

[19] Id.

[20] Geneviève Bréton, devenue Vaudoyer, assemble au début des années 1900 des notes, des copies de son journal intime ainsi que des copies de sa correspondance concernant Henri Regnault. Elle les donne ensuite à son fils, Jean-Louis Vaudoyer, dans l’espoir qu’il puisse écrire et publier ses souvenirs. Voir copie manuscrite de la lettre d’Henri Regnault à Geneviève Bréton, BnF, ms., NAF 28428 (132), f. 62.

[21] Ces notes ne sont pas écrites sur un papier similaire à son journal intime et sont fortement raturées et remaniées. Pourtant, elle écrit au présent dans un style analogue à celui de son journal. Il est donc probable que ce soit une note manuscrite sur une feuille volante écrite pendant le siège. Voir Geneviève Bréton, [document personnel], s. d., BnF, ms, NAF 28428 (132), f. 40.

[22] Stade de gravure d’une édition qui demande une correction par le compositeur avant la publication de l’édition originale.

[23] Voir les manuscrits de Camille Saint-Saëns, « Sabre en main », voix et piano, ms aut., [1870], Paris, BnF, département de la Musique, ms 804 (1) et « Au Cimetière », voix et piano, ms aut., [1870], Paris, BnF, département de la Musique, ms 799 ainsi que Camille Saint-Saëns, Mélodies persanes, op. cit., p. 18-23.

[24] Voir Camille Saint-Saëns, « Croquis de guerre : un souvenir du siège de Paris » in Marie-Gabrielle Soret (éd.), Écrits sur la musique et les musiciens, op. cit., p. 945 et, dans le même ouvrage : « À propos du violon d’Ingres », p. 581 et « Les peintres musiciens », p. 713.

[25] Adolphe Viollet-le-Duc, « Nouvelles de la guerre », Journal des débats politiques et littéraires, 24 janvier 1871, p. 2.

[26] Théodore de Grave, « Trois morts, Le peintre Henri Regnault », Le Figaro, no 24, 24 janvier 1871, p. 2.

[27] Voir la longue nécrologie de Théophile Gautier, « Henri Regnault », Journal officiel de la République française, 33, 2 février 1871, p. 1-2.

[28] Sudhir Hazareesingh définit le mythe comme suit : « Représentation imaginaire du passé, ou d’un passé imaginaire, le mythe est un souvenir historique idéalisé qui exerce une fascination durable sur la conscience collective ». Voir son article « Les mythes de la citoyenneté », Humanisme, 1, no 284, 2009, p. 51-57.

[29] Voir Marc J. Gotlieb, The Deaths of Henri Regnault, Chicago, University of Chicago Press, 2016, p. 198-199.

[30] Victoire Tinayre, Victor Hugo enfant, Paris, Kéva, 1885, p. 7.

[31] Ibid., p. 136-139.

[32] Le buste de l’École des Beaux-Arts a été réalisé par Charles Degeorge, lauréat du prix de Rome comme le peintre, et celui du monument sur le site de Buzenval par Louis-Ernest Barrias qui a réalisé cette figure une nouvelle fois pour l’installer dans le lycée Henri iv, lieu où le peintre a étudié dans sa jeunesse, mais aussi le mémorial de la Défense de Paris, avec un soldat qui a quelques traits d’Henri Regnault. Voir Marc Gotlieb, The Deaths of Henri Regnault, op. cit., p. 176-178. et p. 187.

[33] Henri Regnault, Correspondance de Henri Regnault annotée et recueillie par Arthur Duparc, suivie du catalogue complet de l’œuvre de H. Regnault, Paris, Charpentier, 1875.

[34] Sur l’huile sur toile d’Ernest Meissonier, Le Siège de Paris (1870-1871) conservée au musée d’Orsay, nous pouvons voir Henri Regnault aux pieds de l’allégorie de la capitale française et s’appuyant contre elle. Voir Marc J. Gotlieb, The Deaths of Henri Regnault, op. cit., p. 190.

[35] Voir Armand Renaud, « Justice d’outre-tombe », Le Rappel, n° 614, 16 février 1871, p. 2 et le poème d’Eugène Manuel dans l’article de Louis Ratisbonne, Journal des débats politiques et littéraires, 5 février 1871, p. 3.

[36] Armand Renaud, Les Nuits persanes, op. cit., p. 10.

[37] Ibid., p. 139.

[38] Ibid., p. 10-11.

[39] Camille Bellaigue est un musicographe très apprécié par Saint-Saëns, qui le considère comme un véritable « critique » en s’exclamant « Puissiez-vous faire école ! » dans l’une des lettres qu’il lui a adressées. Voir Marie-Gabrielle Soret (éd.), Écrits sur la musique, op. cit., p. 35.

[40] Camille Bellaigue, « L’Héroïsme dans la musique », Revue des Deux Mondes, no 114, 1892, p. 426-444.

[41] Geneviève Bréton, [document personnel], BnF, ms, NAF 28428 (132), f. 40.

[42] Voir Myriam Ladjili, « La musique arabe chez les compositeurs français du xixe siècle saisis d’exotisme (1844-1914) », International Review of the Aesthetics and Sociology of Music, 26-1, 1995, p. 3-33 et Annegret Fauser, « What’s in a song ? Saint-Saëns’s Mélodies » in Jann Pasler (dir.), Saint-Saëns and his World, Princeton, Princeton University press, 2012, p. 223-224.

[43] Armand Renaud, Les Nuits persanes, op. cit., p. 102-103.

[44] Voir Franz Schubert, Neue Ausgabe Sämtliche Werke, Serie IV, Lieder, vol. 4 a, Kassel, Bärenreiter, 1979, p. 189-191.

[45] Cet article a été publié à plusieurs reprises mais partiellement modifié dans des journaux et dans École buissonnière, publié en 1913. Voir note de Marie-Gabrielle Soret (éd.), Écrits sur la musique et les musiciens, op. cit., p. 711.

[46] Camille Saint-Saëns, « Les peintres musiciens » dans Marie-Gabrielle Soret (éd.), ibid., p. 713.

[47] Camille Saint-Saëns, « À propos du violon d’Ingres », ibid., p. 581.

[48] Gérard Gefen, Augusta Holmès, l’outrancière, Paris, P. Belfond, 1988, p. 129.

[49] Il s’agit de la mélodie Vengeance ! d’Augusta Holmès, composée en décembre 1870. Voir Augusta Holmès, Vengeance! n° 1, baryton et piano, Paris, A. Leduc, A.L. 4376, 1872.

[50] Auguste de Villiers de L’Isle-Adam, Chez les passants, Paris, Comptoir d’édition, 1890, p. 71-73.

[51] Cette information erronée est reprise par bon nombre de biographes comme Jean Gallois dans Charles-Camille Saint-Sae͏̈ns, Sprimont, Mardaga, « Musique-Musicologie », 2004, p. 132 ; Marc J. Gotlieb, The Deaths of Henri Regnault, p. 144 et Gérard Gefen, Augusta Holmès, op. cit., p. 129.

[52] Auguste Angellier, Étude sur Henri Regnault, Paris, L. Boulanger, 1879, p. 91.

[53] Voir la lettre de Jules Clairin à « Edmond », Paris, 12 février 1871, INHA, fonds 171, boîte 1, dossier 5 comme l’ouvrage d’André Beaunier et Georges Clairin, Les Souvenirs d’un peintre, op. cit., p. 178-180 et Tout-Paris, « La Journée parisienne », Le Gaulois, no 128, 20 janvier 1880, p. 1 qui retracent la dernière journée d’Henri Regnault.

[54] A. Beaunier et G. Clairin, ibid., p. 180-181.

[55] Santillane est un pseudonyme collectif d’« auteurs de talents » qui publient dans « La Vie parisienne » de Gil Blas, rubrique qui commente l’actualité de la capitale. Voir « Gil Blas, le plus parisien des Journaux littéraires », Gil Blas, no 5936, 18 février 1896, p. 4.

[56] La soirée décrite par l’auteur anonyme diffère du témoignage de Villiers de L’Isle-Adam sur les personnes présentes et aussi les œuvres musicales représentées. Ainsi, d’après Santillane, étaient présents lui-même, le compositeur, Augusta Holmès « en tenue d’ambulancière » et Henri Regnault, toujours sans Georges Clairin. Voir Santillane, « Les “Nuits persanes” », Gil Blas, no 6264, 10 janvier 1897, p. 1-2.

[57] Ibid., p. 1.

[58] Camille Saint-Saëns, « Les peintres musiciens », Écrits sur la musique et les musiciens, op. cit., p. 713.

[59] Idem.

[60] Voir André Beaunier, Souvenirs d’un peintre, op. cit., p. 197 et Camille Saint-Saëns, « Wagner vient !… », ibid., p. 375.

[61] Anonyme, « Obsèques de Henri Regnault », L’Électeur libre, journal politique quotidien, no 151, 29 janvier 1871, p. 1.

 

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François Antoine Devaux, littérateur à la cour de Stanislas: exemple d’une réussite sociale transfrontalière par les lettres

Margaux Prugnier

 


Résumé : Principal correspondant de Françoise de Graffigny, François Antoine Devaux (1712-1796) dit « Panpan » est surtout connu aujourd’hui pour avoir été un courtisan et un poétaillon, un faire-valoir et un dilettante lettré. Pourtant, sous le règne de Stanislas, duc de Lorraine et de Bar, il devient successivement académicien et lecteur du roi de Pologne, fonctions consacrant la trajectoire d’un homme de lettres au XVIIIe siècle. Cet article entend montrer que les productions de Panpan (lettres, poésies, pièces de théâtre) dédiées à diverses figures de l’élite lettrée sont autant de moyens pour lui d’être reconnu comme littérateur et de se positionner comme un élément incontournable de la société de cour lorraine. Ces pratiques littéraires témoignent plus largement du rôle d’un certain nombre de femmes et d’hommes de lettres dans la construction d’une identité culturelle lorraine durant la période de rattachement du duché à la France et dans l’Europe des Lumières.

Mots-clés : histoire du littéraire, Lorraine, Lumières, épistolaire, société de cour.


Après un master d’histoire qui portait sur la trajectoire de Louise de Kéralio-Robert (1756-1821), femme de lettres, sous la direction de Monique Cottret et l’obtention de l’agrégation d’histoire, Margaux Prugnier est actuellement doctorante en histoire moderne à l’Université Paris Nanterre, sous la direction de Nicolas Schapira. Dans ses recherches, elle aborde le foyer culturel lorrain du XVIIIe siècle par l’examen des pratiques lettrées des femmes et des hommes qui l’ont fait vivre comme tel dans leurs écrits et dans leurs trajectoires. Elle est aujourd’hui membre du laboratoire MéMo (Centre d’histoire des sociétés Médiévales et Modernes, Paris 8 – Paris Nanterre) et membre du GRIHL (Groupe de Recherches Interdisciplinaires sur l’Histoire du Littéraire, EHESS – Paris 3).

mprugnier@gmail.com


Introduction

S’intéresser aux littérateurs à la cour de Stanislas, dernier duc de Lorraine, permet, d’une part, de s’enquérir de la place des sources littéraires dans les études sur les cours[1]. On considère ici ces témoignages comme autant de productions d’acteurs sociaux qui participent à la vie de cour où l’écrit, comme l’oral, est crucial[2]. Autrement dit, user de sa plume est un moyen d’assurer son existence sociale par lequel le protagoniste participe au rayonnement de la cour. D’autre part, dans la veine des travaux d’histoire sociale sur les milieux littéraires de province, il est question d’observer des trajectoires d’individus constituant ces cercles de sociabilité et de se demander dans quelle mesure les pratiques de littérature sont un moyen de reconnaissance sociale pour ces femmes et hommes. Pour Daniel Roche, les académiciens de province regroupent des hommes de lettres pris entre idéal des Belles-Lettres et exercice d’une fonction dans la société[3]. Ici, il s’agit de se demander à quel point pratiquer la littérature permet un affermissement de la place d’un individu dans la société d’Ancien Régime. A fortiori, dans la proximité d’une cour comme celle de Stanislas et de son Académie, fondée en 1752, se poser en littérateur permet d’espérer des gages, des pensions voire des fonctions. L’exemple de François Antoine Devaux fait, à ce titre, émerger deux questions complémentaires. Que constitue la cour de Stanislas pour un littérateur ? Et que représente le champ littéraire dans ces duchés en voie d’intégration à la France ?

Issu d’une famille de la bourgeoisie lorraine, François Antoine Devaux se fait connaître par les milieux curiaux et intellectuels lunévillois comme littérateur – au sens où il « verse dans la littérature[4] ». Sa trajectoire et l’inscription de son nom d’auteur – Devaux – dans des textes imprimés à Paris lui permettent de confirmer sa position de littérateur et d’accroître le crédit initial de son nom propre[5]. Il fait jouer sa pièce de théâtre, Les Engagemens indiscrets à la Comédie-Française et est élu à la Société royale des sciences et des belles lettres de Nancy en 1752. Son ascension d’homme de lettres est dans le même temps permise par le renforcement de son autre position de courtisan, tant auprès de nobles français que lorrains. Grâce à un double processus, Devaux parvient à s’imposer comme un homme de lettres du XVIIIe siècle : d’un côté en jouant de ses deux identités de littérateur et de courtisan, et, de l’autre, en renforçant son inscription sociale tant à Lunéville qu’à Paris notamment par l’entretien de correspondances, dont la plus importante est celle avec Françoise de Graffigny (1695-1758)[6].

Pour appréhender l’ascension sociale de Devaux, il est possible de saisir l’ensemble de ses ouvrages comme autant d’opérations par lesquels il a pu investir différents champs relationnels. Chaque source dévoile les diverses mises en scène produites par Devaux pour parvenir au succès conjointement dans le monde des lettres et à la cour. Elles rendent également compte de ses multiples inscriptions géographiques. Se pose ainsi la question de ce que ses pratiques de littérature[7] – de courtisan ou de littérateur, de Lorrain ou de Français – procurent à sa trajectoire sociale.

Dans sa correspondance, non seulement avec Françoise de Graffigny mais également avec d’autres figures curiales et lettrées[8], Devaux joue de sa position d’homme proche du pouvoir lorrain et au fait des dernières actualités. L’intimité qui se noue dans ces diverses relations épistolaires se manifeste par l’usage de son surnom, « Panpan », que ce soit de son fait ou de celui de ses correspondants. Il y construit un côté de son personnage, qui est l’image que retient la postérité, à savoir celle d’un homme dévoué aux lettres mais « paresseux » et donc amateur. Ses œuvres imprimées participent quant à elles à l’invention de son nom d’auteur, autant par le simple patronyme apposé sur la page de titre des livres que par des péritextes plus divers mais non moins essentiels comme l’approbation, le privilège, l’avertissement ou encore la dédicace. « Devaux » incarne ainsi un nom respectable d’auteur qui lui permet l’accès à la reconnaissance sociale par les Belles-Lettres. Plus généralement, ses œuvres restées manuscrites comme sa poésie[9] avaient vocation à être connues et ont circulé de son temps[10], constituant autant de moyens d’accroître ses réseaux d’amitié, et donc d’entraide, dans divers cercles de sociabilité. Ses poésies nous renseignent sur ces derniers mais aussi sur sa recherche constante de succès et de reconnaissance. Enfin, les traces de ses activités et de ses fonctions dans les Archives départementales de Meurthe-et-Moselle ou aux Archives nationales témoignent de son évolution sociale. Il devient en effet receveur des finances de Lunéville en 1741, avant d’être nommé en 1752 lecteur du dernier duc de Lorraine et de Bar, Stanislas Leszczynski.

À la croisée de l’histoire des cours et de la culture écrite à l’époque moderne, Devaux est ici questionné comme courtisan, qui a fait son chemin grâce aux Belles-Lettres, aussi bien que comme littérateur qui a été reconnu en faisant vivre les institutions curiales lorraines. En cela, ce travail tend à participer à la compréhension de la littérature au XVIIIe siècle comme instrument d’action dans des trajectoires sociales au contact du pouvoir.

Un littérateur professionnel ? Les étapes d’une réussite sociale par les Belles-Lettres

Si Devaux ne vit pas financièrement de la vente de ses écrits, il a su obtenir une certaine reconnaissance sociale tant auprès du pouvoir lorrain que français par leur multiplication : poésies, lettres, gazettes ou encore pièces de théâtre. Sa correspondance avec Graffigny révèle que cette quête de reconnaissance par les Belles-Lettres a été l’effort d’une vie et que sa recherche du succès passe notamment par la circulation et l’impression de ses œuvres, l’obtention du privilège royal et de sa rémunération.

Être publié : l’effort d’une vie

François Antoine Devaux grandit à Lunéville, alors que le pouvoir du duc Léopold Ier tend à se réaffirmer et que le souverain, époux d’Élisabeth-Charlotte d’Orléans, fait de nouveau coïncider souveraineté et territoire[11] (voir tableau 1). Devaux est l’unique héritier de ses parents, des bourgeois lorrains. Son père, Nicolas Devaux, travaille pour la dynastie de Lorraine depuis Charles V. Sa mère, Claude Joly, est issue d’une riche famille qui a occupé dès le XVIIe siècle des situations notables : son grand-père, Jean Joly a par exemple été successivement receveur du domaine de Lunéville et du domaine de Rambervilliers[12]. Leur maison familiale à Lunéville est souvent louée par la cour pour y recevoir des personnages en visite[13]. Devaux est alors destiné par son père au droit mais, s’il est inscrit sur le tableau des avocats à la cour souveraine de Nancy en 1732, il réside à Paris de novembre 1733 à avril 1734. Il se lance alors dans une autre voie, celle de la littérature[14], qu’il poursuit en Lorraine de 1734 à sa mort, en 1796.

Tableau 1 : les ducs de Lorraine et de Bar de 1675 à 1766

Grâce aux lettres envoyées par Devaux lors de son séjour à Paris à destination de Graffigny, restée en Lorraine en 1733-1734, il est possible de mieux cerner le milieu dans lequel il a évolué à Lunéville. Avocat roturier, il a acquis l’amitié de jeunes nobles férus de lettres qui l’aident dans ce monde et dans celui de la cour par des conseils, des relectures et en lui faisant bénéficier de leurs relations sociales, comme le poète Saint-Lambert, l’officier Nicolas François Xavier Liébault (1716-1780)[15] ou encore Françoise de Graffigny elle-même. D’après une lettre du 14 novembre 1733, c’est Clairon qui a procuré à Devaux l’« avantage » d’avoir rencontré Graffigny[16].

Devaux est à Paris en 1733-1734 avec la ferme intention de faire publier certains de ses écrits et d’autres de Françoise de Graffigny. Âgé de vingt-et-un ans, il ne semble pas avoir encore fait part de ce projet à ses parents[17]. Pourtant, c’est à partir de ce moment qu’il pose les jalons de ce que pourrait être une ascension sociale par le monde des lettres et de l’imprimé. Sa correspondance assidue avec Graffigny en 1733-1734 lui sert d’appui à l’élaboration de ce dessein commun mais encore incertain. Devaux y commente la difficulté de se faire imprimer à Paris par la voie légale, c’est-à-dire en passant par la censure royale. Dans une lettre datant de la mi-avril 1734, il rend compte à Graffigny de l’avancée de ses démarches auprès d’un censeur pour obtenir l’approbation de leur œuvre commune, Les Amusemens du cœur et de l’esprit :

« Notre approbateur [Louis Maunoir] a eté en campagne. Nous n’avons point encor de decision. Le manuscrit etoit deja entre ses mains quand j’ay recu votre lettre, où vous voulés reintegrer le titre de « Fantaisie ». Si cela se peut encor, je le ferai, mais je n’en reponds pas. Je crois qu’il faudroit le faire encor repasser sous les yeux de l’approbateur. On n’oseroit imprimer un mot pour l’autre. Vous ne scauriés croire de quel ridicule on est maintenant à Paris quant à l’imprimerie. Si cela continuë, je crois que la librairie va etre ruinée. Chacun prend le parti de faire imprimer en Hollande. Mr de Montesquieu, autheur des Lettres persanes, et Mr Melon, autheur de Mahmoud, ont fait chacun un livre nouveau qu’ils ont fait imprimer dans ce pays[18]. »

Devaux émet, sur la censure, un jugement assez commun au monde des libraires et des auteurs en dénonçant la concurrence hollandaise et en insistant sur la complexité du système d’édition légale en France[19]. Dans la société d’Ancien Régime, se présenter en auteur par les voies légales constitue un moyen de promotion sociale. Alors que depuis le début de son séjour, Devaux négocie des engagements avec des libraires parisiens pour l’impression d’œuvres[20], il s’identifie, à la fin de son séjour, – par l’utilisation du pronom « on » – à ce petit milieu du monde de l’imprimé où chacun se connaît et se parle. Ces lieux d’édition comptent parmi les « lieux privilégiés de la sociabilité intellectuelle[21] ».

Devaux affecte également de ne vouloir contraindre sa plume aux nécessités marchandes. Même si dans la correspondance on voit la construction de ses œuvres comme le produit de négociations entre auteurs, imprimeurs-libraires et censeurs, le fait d’exprimer qu’il ne vend pas sa plume à tout prix peut être perçu comme une manière de revendiquer un topos commun à l’aristocratie à laquelle il veut s’associer.

Cette intégration affichée au monde des lettrés parisiens par la publication est le premier accomplissement qui se joue dans la relation entre Devaux et Graffigny. L’impression de leur œuvre Les Amusemens du cœur et de l’esprit est en partie réalisée en 1734 grâce aux relations que Graffigny recommande à Devaux, et c’est avec l’argent de ses parents que ce dernier parvient à faire vivre ses ambitions[22].

Tout au long de sa vie, Devaux a produit des œuvres et est parvenu à plusieurs reprises à se faire imprimer (voir tableau 2). Les modalités qu’il recherche pour ses impressions sont toujours les mêmes – à Paris, et avec approbation royale – quitte à réécrire inlassablement ses manuscrits. L’exemple des Engagemens indiscrets, imprimé en 1753, est à ce titre significatif. Graffigny évoque pour la première fois dans ses lettres cette pièce de Devaux, nommée alors Les Portraits[23], en juillet 1739 : « On ne la jouera pas sans etre corrigée », indique-t-elle[24]. Depuis un mois à Paris, elle tente régulièrement de faire jouer la pièce. Celle-ci est acceptée une première fois en octobre 1743 par les comédiens français, mais d’autres pièces et auteurs ont la préséance sur le jeune Lorrain et les promesses des acteurs n’y peuvent rien. En juin 1745, la pièce est de nouveau validée par ces derniers, mais elle n’est jouée pour la première fois que le 26 octobre 1752. Graffigny est alors une autrice connue à Paris, avec des liens importants dans le monde de la librairie : censeurs, imprimeurs-libraires, gens de lettres[25]. Elle parvient ainsi à faire paraître Les Engagemens indiscrets de Devaux chez Nicolas-Bonaventure Duchesne (mort en 1765). Il s’agit du même éditeur qui publie pour la première fois avec privilège du roi Les Lettres d’une Péruvienne, son best-seller, en 1752[26]. Entre la première version des Engagemens indiscrets de Devaux et la dernière, de nombreux remaniements ont été effectués, notamment par Graffigny ou Mlle Quinault[27]. « Il sera toujours vray que j’aurai fait une pièce que je n’aurai pas écrite[28] », écrit Devaux en juillet 1745. Or, il ne s’agit pas là d’une pratique exceptionnelle : dès leurs premiers échanges en 1733, Devaux raconte les modifications qui sont apportées par d’autres figures du monde lettré parisien à ses écrits et à ceux de Graffigny[29].

Tableau 2 : les œuvres imprimées de Devaux de son vivant

À l’image des Engagemens indiscrets, Devaux produit des pièces de théâtre qui suivent les canons littéraires de son temps. Dans cette comédie en un acte, Devaux « marivaude[30] » selon le terme alors employé par Graffigny : les intrigues et les personnages sont semblables aux canevas marivaudiens. Devaux croise Marivaux lors de son séjour parisien en 1733-1734[31]. Celui-ci est proche de Graffigny lorsqu’elle est à Paris. En 1742, il est nommé à l’Académie française, ce qui donne un crédit institutionnel à son œuvre, et profite à Devaux.

L’exemple de cette pièce est paradigmatique de la manière d’écrire de Devaux. Il s’imprègne, comme en témoigne la correspondance, des thèmes et des genres littéraires qui rencontrent des succès de librairie. Ainsi sa seconde pièce imprimée en 1773 par la Veuve Duchesne[32], Le Bon Fils, se rapproche des drames bourgeois en vogue dans les théâtres de société[33]. Cette dénomination de théâtre de société regroupe les représentations théâtrales données par des nobles et des amateurs des lettres dans des lieux plus ou moins privés, constituant une pratique essentielle de la sociabilité du moment[34]. Ainsi, Devaux en écrivant des pièces parvient d’une part à se faire reconnaître par les milieux nobles friands de représentations théâtrales, et, d’autre part, comme auteur imprimé à Paris.

Notons que l’avertissement non signé qui précède la pièce Le Bon Fils répond aux accusations de « plagiat », échafaudant pour ce faire une histoire de l’origine de l’œuvre. Que ce soit là un récit en péritexte de la main de Devaux ou non, il participe à l’élaboration de son nom d’auteur :

« […] Il y a dans cette Pièce une Scène presque semblable à une Scène de SILVAIN [de Jean-François Marmontel]. Le Public n’a pas vu avec plaisir une situation qu’il connoissoit déjà. On ne prétend point justifier l’Auteur à cet égard. C’est à l’accusation de plagiat qu’on veut répondre. La réponse est simple. Cette Pièce faite, dans son origine pour un Théâtre de Société, avoit été lue à ceux qui devoient la jouer & à quelques Gens de Lettres plus d’un an avant la représentation de SILVAIN. C’est donc le hasard qui a fait naître la même idée à deux Poëtes qui ne se connoissoient pas[35]. »

Les deux pièces, Silvain et Le Bon Fils, ont été jouées à la Comédie-Italienne à trois ans d’intervalle. Marmontel, qui est l’auteur du livret de Silvain, n’est pas un inconnu pour Devaux. Il a fréquenté les mêmes cercles que Graffigny et son nom revient régulièrement dans leur correspondance. Que l’on croie ou non au « hasard » de la ressemblance, il n’en demeure pas moins que les pratiques d’emprunt sont courantes parmi les auteurs. Ce qui est néanmoins particulièrement notable ici, c’est que même s’il souligne les imperfections de l’œuvre de Devaux, l’avertissement laisse penser que le grand Marmontel aurait peut-être plagié le Lorrain méconnu. Cette pièce imprimée apporte une double consécration : la reconnaissance royale – ici par l’approbation des censeurs – et l’insertion dans la société mondaine que suggère l’allusion au « théâtre de société » – ici par le récit de publication en péritexte. Cette posture d’auteur de théâtre de société est tant une réussite littéraire qu’une performance sociale qui l’inscrit dans les milieux de l’élite lorraine[36]. Privilège du roi et participation à des théâtres de société sont autant de marques de reconnaissance qui participent à la « métamorphose[37] » de Devaux. Le monde des lettres et de l’imprimé a été pour lui une manière de s’élever socialement, donc de s’intégrer à une certaine élite intellectuelle, depuis la Lorraine, par ses relations, notamment parisiennes. Plus qu’une simple autorisation d’impression, le privilège, particulièrement recherché par Devaux et Graffigny, est synonyme de protection royale et joue le rôle tant de consécration que d’homologation de leurs productions littéraires.

Rémunération et privilège : les moyens de la consécration ?

Cette recherche du succès littéraire est décrite tout au long de la correspondance entre Devaux et Graffigny. Cette dernière constitue un relais essentiel pour la publication des œuvres de Devaux qui, âgé de trente ans en mars 1743, regrette que sa pièce Les Portraits ne soit pas encore représentée à la Comédie-Française, ni même publiée. Il s’étonne également que « tout ce qu’on peut tirer d’une piece ce sont cinq ou six louïs[38] ». Pour lui, une pièce qui a du succès doit au moins être vendue à mille exemplaires et donc rapporter de l’argent à son auteur[39]. Ce raisonnement montre d’une part un certain intérêt de Devaux pour l’aspect financier et d’autre part, qu’en dépit du succès de sa pièce, une autrice ou un auteur ne serait pas en mesure de vivre de sa plume.

Dans la carrière de Devaux littérateur, « se faire un nom » dans les lettres constitue un moyen de négocier sa position sociale et lui permet de prétendre à certaines fonctions, par exemple celle de lecteur du duc Stanislas, ou à certains cercles de sociabilité, comme la « troupe de qualité » de la marquise de Boufflers à Lunéville. Autrement dit, la consolidation de sa fonction d’auteur joué et imprimé à Paris assoit encore davantage sa position de courtisan à Lunéville. Devaux recherche instamment le fait d’être publié à Paris avec approbation, et cela lui est permis par l’extension progressive de ses amitiés. Or, dans cette quête de succès, la question de la rémunération est importante puisque l’argent, même s’il n’en manque pas, est une marque de reconnaissance. L’entretien de ses relations avec les gens de lettres suppose du temps et des moyens pour les recevoir. Il se plaint ainsi du « taudis[40] » dans lequel il reçoit Voltaire en octobre 1748. L’extension de ses relations implique d’avoir des lieux et des moyens de réception dont la qualité doit égaler voire surpasser celle des invités. La reconnaissance sociale doit être visible et l’accroissement de celle-ci nécessite une augmentation des dépenses.

C’est sous le même angle – celui de la reconnaissance – que l’on peut également poser la question des stratégies de publication. Toutes les œuvres de Devaux imprimées en France le sont avec approbation d’un censeur royal, nécessaire pour être publié par les maîtres libraires et imprimeurs qui ont le monopole de l’édition et du commerce de l’imprimé. Dans ce système, « le privilège signifie la proximité protectrice au pouvoir, plus ou moins soulignée, voire activée par le texte de la lettre patente[41] ». Devaux, en 1734, se présente comme un critique du dispositif d’impression légal toujours plus complexe, pourtant ce système n’est pas uniquement un outil de répression. Les discussions avec les approbateurs apparaissent comme des moments d’échange au cours desquels se construit le propos des œuvres. Elles peuvent constituer un moyen de se rapprocher du patronage royal[42], point de mire du littérateur. À ce titre, alors qu’un des ouvrages de Graffigny, Le Sylphe[43], ne passe pas la censure en mars 1734, au motif « d’une jolie avanture », cela n’encourage pas l’autrice à accepter la proposition qui lui est faite d’aller l’imprimer en Hollande. Comme Devaux, elle préfère réviser ses ouvrages jusqu’à obtenir l’approbation d’un censeur royal, synonyme d’homologation de l’œuvre, voire d’un privilège.

Quant à Devaux, il doit attendre la fin de l’année 1752 pour voir sa pièce Les Engagemens indiscrets enfin jouée ; c’est précisément le moment où il est élu à l’Académie de Stanislas. Crébillon[44], censeur, approuve également la publication de la pièce le 8 novembre 1752, soit dix-neuf jours après que Devaux a prononcé son discours de réception à l’Académie. Ce privilège semble autant reconnaître sa position sociale d’homme de lettres dans la proximité du pouvoir que renforcer cette dernière. Or, sa réputation de littérateur découle directement de sa double assise sociale à Lunéville et à Paris par l’entremise de ses correspondants, et en particulier de Graffigny.

Graffigny-Devaux : des « alliés d’ascension » entre la Lorraine et Paris

La correspondance comme canal de communication

Graffigny et Devaux se sont rencontrés à la cour de Lunéville et leur amitié s’est poursuivie jusqu’à la mort de Graffigny en 1758. De leur éloignement est née une correspondance très régulière dont on peut distinguer deux périodes d’inégales durées où ils intervertissent leurs positions géographiques :

Tableau 3 : Essai de périodisation de la correspondance entre Françoise de Graffigny et François Antoine Devaux

La première période se cantonne de l’automne 1733 au printemps 1734 : Devaux est à Paris tandis que Graffigny est à la cour de Lorraine. La seconde s’étend de 1738 à 1758, et recoupe les lettres éditées en quinze tomes par la Voltaire Foundation. Graffigny est successivement à Commercy chez la duchesse douairière Élisabeth Charlotte (1738-1739), à Cirey chez Émilie du Châtelet et Voltaire (1739), puis majoritairement à Paris où elle s’installe et conquiert sa place comme femme de lettres et du livre (1739-1758), tandis que Devaux fait sa place à la cour de Stanislas. L’analyse fine de cette deuxième période permet de mieux appréhender l’évolution de leurs existences sociales sous le règne de Stanislas :

Figure 1 : fréquence hebdomadaire d’écriture de F. de Graffigny à F.-A. Devaux de 1738 à 1758

Si en moyenne sur vingt ans, Graffigny prend la plume trois jours et demi par semaine pour écrire à Devaux, les deux moments les plus intenses de cette période coïncident avec le départ de Graffigny de Lunéville en 1738-1739, puis, entre 1747 et 1752, au moment allant de son succès parisien – la publication de son œuvre phare Les Lettres d’une Péruvienne en 1747 – à la réussite de Devaux, consacré en 1752 comme lecteur de Stanislas, académicien et auteur publié à Paris. Leurs succès, à différentes échelles, sont en grande partie le fruit de ce canal de communication établi entre la Lorraine et Paris qui a permis de nourrir leurs réputations réciproques. Devaux sait, en particulier, user de la réputation grandissante de Graffigny pour nourrir la sienne. Ils s’écrivent plus fréquemment quand ils font face à des enjeux décisifs pour leurs carrières, ce qui laisse supposer que leur correspondance est un moyen de traiter ces derniers.

Ici, il s’agit de revenir sur la lettre comme moyen d’action pour la carrière d’un homme ou d’une femme de lettres. Leur correspondance scelle en effet une véritable alliance pour leurs ambitions dans le monde des lettres et de l’imprimé[45]. Dans la société d’Ancien Régime, la correspondance est un moyen d’accroitre son capital social, en se faisant connaître et en entretenant des réseaux de relations, supports d’échange de services[46]. Ce qui rend cette correspondance Graffigny-Devaux remarquable, c’est sa longévité et la position sociale et géographique des deux amis qui sont alors à même de se soutenir dans leurs projets.

S’écrire est également un moyen de mettre en scène leurs positions respectives. Ainsi quand Devaux est à Paris en 1733-1734, il se présente dans la correspondance comme un producteur d’écrits qui côtoie l’élite parisienne lettrée. Se dépeindre comme littérateur parisien en 1733-1734 est une manière pour Devaux de renforcer sa légitimité d’homme lettré à la cour lorraine sous la régence d’Élisabeth Charlotte. Car si les lettres exposent une certaine intimité, les informations qui y sont écrites sont souvent faites pour être partagées.

Pour Devaux, la mise en avant de son amitié avec Graffigny est un atout considérable. Dès le début de leur relation, la position de Graffigny à la cour de Lunéville est bien plus avantageuse que la sienne. Graffigny peut prétendre à une certaine proximité avec la duchesse Élisabeth-Charlotte ainsi qu’à une pension à la cour de Lorraine[47]. Se prévaloir de l’amitié de Graffigny est une manière, pour Devaux, de pouvoir côtoyer le milieu savant de la cour lorraine. A fortiori, sous le règne du duc Stanislas et alors que Graffigny est devenue une autrice à succès à Paris, leur amitié est un avantage significatif pour l’élection de Devaux à la Société royale des sciences et des belles-lettres de Nancy, en 1752. Dans son discours de réception, en octobre, Devaux loue son amitié avec l’autrice des Lettres d’une Péruvienne :

« Je ne crains pas, MESSIEURS, que la justice que je rendrai ici à la Sapho de notre Patrie [F. de Graffigny], puisse être regardée seulement comme le prix de l’amitié dont Elle m’honore. Vos assemblées ont déjà rétentis plus d’une fois de l’éloge de ses talens. Ce seroit à moi d’y joindre celui d’un cœur, que la confiance la plus intime m’a fait si long-tems admirer, & peut-être pardonneroit-on cet écart à la vivacité du sentiment qui m’anime ; mais le portrait en est déjà dans les mains de tout le monde ; ce cœur s’est peint par-tout où il a peint la vertu[48]. »

Devaux attache ici Graffigny à la Lorraine, sa « Patrie », et rappelle leur lien étroit, leur « amitié ». Il participe, par ce geste, autant à la légitimité de l’Académie nancéienne qui peut se revendiquer de l’origine des « talens » de l’autrice parisienne, qu’il renforce sa propre reconnaissance de littérateur entre la Lorraine et Paris.

Cette correspondance Graffigny-Devaux sur vingt-cinq ans a constitué un véritable canal de communication entre la Lorraine et Paris. Les deux protagonistes se sont échangé des conseils de divers ordres et ont écrit sur tous types d’actualités. Ainsi, dans une lettre du 14 novembre 1733, Devaux fait, dit-il, une « gazette[49] » à son amie avec des rubriques nommées « spectacles », « littérature », « nouvelles », « historiettes ou bons mots » dans le but d’informer son amie. L’actualité politique est présente sur fond de recherche de pensions et de relations de patronage. À ce titre, l’année 1745 est significative. Dans le contexte de la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748), les deux correspondants évoquent le succès du poème de Voltaire, La Bataille de Fontenoy. En septembre de la même année, tous deux abordent la question de l’élection de François III de Lorraine au titre d’empereur du Saint-Empire, engagé militairement contre la France. Graffigny et Devaux ont des relations qui combattent dans chacun des camps, tel Saint-Lambert du côté français. Graffigny, quant à elle, est engagée dans une recherche de pension tant à Versailles qu’à Vienne. C’est celui qu’ils nomment « Disenteuil », l’abbé de La Galaizière[50], frère de l’intendant de Lorraine, qui défend sa cause à la cour de Louis XV. Les actualités de Versailles comme de Vienne sont donc présentes dans la correspondance. Ils y évoquent par exemple l’arrivée de la marquise de la Pompadour à Versailles, « la belle marquise », en septembre, à la cour. La maîtresse de Louis XV est l’un des appuis de Choiseul, principal ministre du roi à partir de 1758 et ancien locataire des parents de Devaux. Les informations du côté viennois parviennent à Graffigny notamment par des lettres du secrétaire de l’empereur, François-Joseph marquis de Toussaint.

Afin d’augmenter sa pension viennoise, Graffigny demande à Devaux ce qu’il pense d’un recueil de fables qui serait dédié à l’héritier de la couronne habsbourgeoise :

« Je voudrois faire un petit livre de fables dans le gout de celles de Mr de Fenelon au Dauphin, et les dedier au petit archiduc, apres en avoir obtenu la permission. L’epitre dedicatoire sera remplie de ma reconnoissance. La reine de Hongrie, ou plustot l’imperatrice, est genereuse ; peut-etre l’augmentera-t-elle, cette reconnoissance. Que dis-tu de cette idée ? Pour moi, je la trouve fort bonne et peu difficile à exécuter[51]. »

Pour Devaux le « projet est fort bon », mais il se demande si le temps est propice : « En faisant si bien votre cour d’un costé ne feriés-vous pas des affaires de l’autre. Il est vray que ce peut etre un secret entre vous et les gens a qui vous addresserés vos fables[52] ». Pour Graffigny, « tous les jours on dedie a qui bon semble[53] ». Elle ne pense donc pas qu’il soit défendu par Versailles de marquer sa reconnaissance pour la pension qu’elle reçoit de l’empereur, chose dont elle s’assure auprès de « Disenteuil ». En effet, les auteurs dédient à des têtes couronnées dans l’espoir de pensions et de reconnaissances, peu importe le territoire de celles-ci, et même en temps de guerre. Dans la même lettre du 24 septembre 1745, Graffigny informe Devaux de l’envoi par Voltaire de sa Bataille de Fontenoy au pape : « Voltaire ! L’Academie qui n’en veut point parce qu’il n’est pas devot ! Le St-Père qui le recompense de ce qui l’a fait proscrire ici ! », conclut-elle. La recherche de pensions, de gages et de reconnaissance est une activité qui transcende ici tous types de frontières.

Les actualités échangées dans les lettres, aussi diverses soient-elles, constituent autant d’informations utiles pour les carrières des littérateurs. Ils se conseillent sur ce qu’ils doivent ou non faire à l’aune des informations qu’ils récoltent chacun de leur côté. Or, ils se situent dans deux territoires distincts, deux entités politiques dissemblables, et c’est ce qui fait la force première de leur alliance. L’un est dans un territoire frontalier et l’autre dans une capitale.

La correspondance comme canal de publication : Les Amusemens du cœur et de l’esprit (1734)

La première œuvre imprimée et commune de Devaux et Graffigny, Les Amusemens du cœur et de l’esprit, est le produit de cette relation entre Paris et la Lorraine. Devaux évoque ce projet pour la première fois dans une lettre à Graffigny datée du 17 mars 1734, et, le 11 mai suivant, une demande d’approbation est lancée[54] :

« Depuis que tout cela est ecrit j’ay fait une reflexion sur l’impression de vos lettres. On est fort dans le goust des feuilles perriodiques et rien n’est si commode pour les autheurs indigens. Je tascherois d’avancer les frais de la premiere et ce qui en reviendroit fourniroit pour l’autre, sauf à prendre un autre parti, si la premiere ne reussissoit pas. J’aurois soin d’en faire tirer un grand nombre d’exemplaires, afin que, si elles ne se debiteront point sous cette forme, les feuilles servissent à l’impression du volume. Je crois que pour les faire mieux passer, il faudroit les entremesler de quelque chose de curieux ou d’amusant. Duval e[s]t de votre secret, qu’il fournisse aux recherches scavantes. Vous aimés la morale, faites des reflexions et poussés-les un peu loin comme dans Le Cabinet du philosophe. Vous avés toutes les poesies de Hayré, mettons-en un petit morceau à chaque feuilles. Voilà bien des materiaux[55]. »

À partir du modèle des feuilles qui ont alors un certain succès comme Le Cabinet du philosophe de Marivaux[56], on voit Devaux à Paris imaginer un ouvrage utilisant divers matériaux préexistants, en particulier leur correspondance et les poésies de Hayré, ainsi que les talents amis, en l’occurrence celui de Valentin Jamerey-Duval, bibliothécaire des ducs de Lorraine, ami et correspondant de Graffigny lorsqu’il est au service de François Ier à Vienne[57].

Cette volonté de publier leurs lettres – d’une manière ou d’une autre – n’est pas nouvelle. Un des aspects marquants de leur correspondance est qu’ils se présentent comme littérateurs, en parlant de littérature et en en adoptant des recettes littéraires qui connaissent un certain succès. À ce titre, les références aux lettres de la marquise de Sévigné sont notables[58]. Ils « sévignisent[59] » leurs lettres : il s’agit d’une part d’être dans le style de la marquise – « Tes lettres sont très uniformes pour le stile. Tu sais aussi bien orner une misere que la dame[60] », écrit Graffigny à Devaux – et d’autre part d’emprunter ses propres mots – « Or sus, verbalisons[61] » scande Devaux en novembre 1733. La littérarisation de leur correspondance doit donc être comprise comme un moyen pour eux de trouver le succès. Elle apparaît ainsi comme une mise en scène qui nous empêche ce faisant de considérer que ce qu’ils se disent d’eux-mêmes ou bien ce qu’ils rapportent est le simple reflet de la vérité.

Leur correspondance, de la même manière que leur production imprimée, est symptomatique de la recherche du succès. Ainsi, le contraste est frappant entre le « stile » des lettres de Devaux à Paris en 1733-1734 et celui développé dans Les Amusemens du cœur et de l’esprit. Les trois premières feuilles de cet ouvrage, ou « Nombre », qui font l’objet de l’approbation du 9 juin 1734, contiennent des « réflexions », de la morale, des poésies et des lettres – d’une part celle « d’un Hollandois à Paris » et de l’autre celle « d’une Dame à un de ses amis en Province ». L’introduction de la feuille périodique a été rédigée à quatre mains. Graffigny a semble-t-il donné les éléments principaux et Devaux explique à sa correspondante dans une lettre qu’il a « corrigé le stile » et y a ajouté un « petit avant-propos[62] ». Dans Les Amusemens, ils évoquent les deux périodiques qui « courrent alors à Paris[63] », Le Cabinet du philosophe de Marivaux et Le Pour et le Contre de l’abbé Prévost. Alors que Devaux mentionne, dans ses lettres à Graffigny, qu’il prend le parti de Marivaux qu’il « aime de tout son cœur » contre le journal de l’abbé Prévost[64], dans Les Amusemens du cœur et de l’esprit, les deux gazettes sont mises sur un pied d’égalité, gommant ainsi les reproches de Devaux à l’abbé Prévost. Par cette mise à égalité des deux gazettes littéraires dans la leur, Graffigny-Devaux s’assurent de ne pas fâcher l’abbé Prévost qui est alors une figure en vue du monde lettré parisien.

La lecture des Amusemens du cœur et de l’esprit offre plus globalement un contrepoint à celle de la correspondance. En considérant cette dernière comme un objet à vocation littéraire, voire comme un lieu où Devaux se met en scène afin que Graffigny conte à ses amis lunévillois les exploits de son ami à Paris, l’analyse de la feuille périodique nous permet de saisir une autre vision du séjour de Devaux et de ses ambitions. Ainsi, dans les « lettre[s] d’un Hollandois à Paris », Devaux décrit les mêmes découvertes et des rencontres semblables à celles présentes dans la relation épistolaire. Par exemple, nous pouvons lire dans la lettre à Graffigny du 7 novembre 1733 : « J’ay eté fort surpris de voir que les gens d’icy etoient faits comme ceux de Lorraine. Je leur croyois quelque chose d’extraordinaire que nous n’avions pas[65]. » Le « Hollandais », raconte pour sa part dans sa première lettre : « Vous imaginez peut-être que Paris est un séjour bien extraordinaire, & que l’on y vit autrement que dans nos Provinces. Non, ce sont ici des hommes qui sont partout ailleurs ; des passions, des vices, des foiblesses : la Nature y est partout la même, & tous les hommes se ressemblent[66]. » Seulement, là où la correspondance est un moyen pour lui d’affirmer une certaine proximité avec le milieu littéraire et académique parisien, la feuille périodique affiche elle une certaine distance avec ces milieux de sociabilité et notamment ceux qu’ils nomment les « Petits-Maîtres[67] ». Ainsi, dans la feuille périodique, Devaux colle davantage à ce qui se publie alors à Paris.

« Un Petit-Maître est un homme qui veut vous persuader de son mérite, à force de faire signifier à toutes ses façons que lui-même en est très-convaincu. […] Cette espece d’hommes est si rare dans notre pays, que ma Lettre seroit trop longue, si j’entrepenois de vous les faire connoître à fond[68]. »

« Les Hommes et les femmes vivent ici avec une liberté indécente qui va jusqu’au libertinage[69] », professe-t-il encore dans la troisième lettre d’un Hollandais. Devaux, l’auteur de périodique, se pose, à travers ces lettres, comme un provincial sincère face à la fausseté des Parisiens, rejoignant à la fois le topos du sage à l’écart de la société et la morale marivaudienne d’alors. Ici, par sa production imprimée, Devaux élabore en 1734 les fondements de son nom d’auteur grâce à sa collaboration avec Graffigny.

Les fonctions en Lorraine : la reconnaissance d’un littérateur transfrontalier ?

Receveur des finances : un « obligé » à la cour ?

C’est par cette existence sociale à Paris et cette position de littérateur, permise notamment par la correspondance avec Graffigny de 1739 à 1758, que Devaux renforce sa place dans les duchés lorrains. Sa reconnaissance dans la cité et celle dans le champ littéraire s’alimentent mutuellement. En novembre 1741, il est nommé receveur des finances de Lunéville[70], à la suite de la réorganisation du personnel financier lorrain qui divise la province en quinze nouvelles recettes particulières, auxquelles sont attachés trente offices de receveurs[71]. Il s’agit là d’un office de finance qui lui permet d’obtenir des gages. En 1748, par exemple, il reçoit 2 755 livres 11 sous 1/3 denier comme receveur ancien au bureau de Lunéville et 3 100 livres comme receveur ancien des finances au bureau de Saint-Mihiel[72].

Devaux remercie dans une lettre Graffigny pour l’obtention de cette charge[73]. C’est un succès remporté grâce à leurs réseaux qui comptent des nobles lorrains et français comme François Antoine Pierre Alliot[74], qui semble avoir convaincu le duc, et l’abbé de La Galaizière. L’abbé est alors l’un des appuis les plus constants de Graffigny à Paris. Rencontré en 1739, il lui sert d’intermédiaire aussi bien à la cour de Lunéville qu’à celle de Louis XV. Fort de ces appuis, Devaux affirme dans une lettre à Graffigny que l’intendant de Lorraine, le frère de l’abbé de La Galaizière, n’a eu d’autre choix que de le nommer, et que cela a été pour l’intendant une manière de l’obliger : « [L’intendant] étoit charmé d’avoir trouvé cette occasion de m’obliger et qu’il y a longtemps [dit-il] qu’il l’a cherchoit. […] Quel sacrifice je fais à mes parens ! Ah ma chere philosophie, mon adorable indolence, ma douce tranquilité, qu’allez-vous devenir ? Il me faudra donc aller valeter avec le reste de l’univers[75]. » Dans cette lettre, où il met en scène sa nomination, Devaux suggère qu’il n’aurait pas eu à la demander, que cela a été une faveur que l’intendant lui aurait concédée après que le duc lui-même ait choisi Devaux pour cette fonction. Pourtant, il lui a fallu solliciter de nombreuses relations pour l’obtenir. Autrement dit, si Devaux prétend s’en plaindre ou s’en défend, il a bien dû « valeter » – faire sa cour à des plus ou moins puissants – pour obtenir le poste de receveur des finances de Lunéville. Dans sa correspondance littérarisée, il dit accepter comme un « sacrifice » cette sujétion, manière de mettre en avant son ethos d’homme de lettres qui suppose une certaine tranquillité, loin des affaires. C’est la contradiction qui fait sa dynamique : il doit affecter l’indifférence pour pouvoir mieux y prendre part puisque cette fonction lui sert d’appui pour d’autres ambitions.

La lecture de sa correspondance montre qu’il a pu puiser dans la cassette en 1745, notamment pour aider Graffigny, profitant du peu de « méthode rigoureuse » dans les comptes de fin d’année, qui ne sont réorganisés qu’en septembre 1749[76]. Le moment de la clôture des comptes est donc délicat, car il lui faut combler les manques. En 1745, le marquis de Grandville[77], ancien chambellan du duc Léopold, nommé lieutenant général des armées du roi en 1743, lui prête la somme manquante, ce qui renforce les liens entre Devaux et les Grandville, qui ont été les amis de Graffigny au moment où elle était à la cour de Lunéville[78]. De ces relations découle une certaine dépendance à l’aristocratie lorraine, mais une dépendance recherchée par Devaux. Dans la première partie de la décennie 1740, Devaux gravite dans la société de cour lorraine. Cette situation à Lunéville lui permet de mettre en place un « courtage de livres[79] » avec Graffigny auprès de destinataires, notamment lorrains, mais également de renforcer sa crédibilité dans le monde savant. Sa position de courtisan renforce celle de littérateur et réciproquement. Ainsi, en 1742, Joseph Uriot publie un livre adressé à « Mr. De Vaux conseiller de sa maj. le roy de Pologne duc de Lorraine[80] » titre qu’il revendique depuis sa nomination comme receveur.

Son inscription dans le milieu curial se renforce progressivement au cours de la décennie 1740 et coïncide avec le crédit grandissant de Graffigny dans les milieux lettrés parisiens. L’année 1748 constitue à ce titre un tournant, d’une part parce que la consécration de Graffigny est enfin arrivée avec l’impression des Lettres d’une Péruvienne, et d’autre part car la cour lorraine s’anime de nouvelles figures en capacité de renforcer l’intégration de Devaux dans le monde curial. C’est l’un des moments les plus intenses de leur correspondance. La fin de la guerre de Succession d’Autriche conduit au retour de potentiels protecteurs pour Devaux : « La guerre etant finie, il y a bien des gens qui y ont fait fortune, qui sont en argent comptant […][81]. » L’arrêt du conflit est également synonyme du retour d’un ami de longue date : le poète Saint-Lambert, ancien amant de la marquise de Boufflers. Cette dernière est un soutien de premier ordre pour la trajectoire de Devaux à la cour. Marie Françoise Catherine de Beauvau-Craon, la marquise de Boufflers, fait partie des grandes familles lorraines et est, depuis 1745, la maitresse du duc Stanislas, après avoir été celle de l’intendant de La Galaizière. Elle devient la protectrice de Devaux, le rapprochant du centre de la cour. Son ascension est aussi permise par la présence de Voltaire à la cour de Lunéville, avec qui il peut revendiquer une certaine intimité.

Dans ce « furieux metier que celui de courtisans[82] », selon la formule de Graffigny qui l’exerçait en 1738 à Commercy, Devaux est invité à multiplier les visites aux gens de la cour à l’automne 1748, comme il en témoigne à sa correspondante :

« Bonsoir, chere amie, comment vous va. Vous amusés-vous bien ou vous etes. Quoyque je vous aime mieux à Paris, j’aime vos plaisirs par-dessus tout. Les miens se soutiennent assés bien, je me suis encor beaucoup amusés aujourd’hui. J’ay eu les complimens de tout le monde. J’ay diné chez madame de Thianges chés qui j’etois prié depuis trois jour, il y avoit très bonne compagnie ; les Grandvilles, pour [ ?][83] femmes, les chevaliers de Beauveau, et de Lestenois et Voltaire. […] Il m’a accablé d’amitiés ; on m’a fait dire des vers aussi, il les a trouvés bons, ou en a fait semblant[84]. »

Devaux parle ici avec affectation – il vouvoie même Graffigny[85] – et se pose plus que jamais en courtisan, ami du grand Voltaire et des figures les plus importantes de la cour, comme la marquise de Boufflers ou Saint-Lambert, amant d’Émilie du Châtelet. Mais ce sont les activités de littérateur de Devaux avec Graffigny, entre la Lorraine et Paris, qui font de lui un sujet particulièrement utile au duché. Alors qu’il a dû revendre sa charge de receveur, Graffigny lui conseille en mars 1752 de renforcer sa posture de littérateur pour avoir ses entrées auprès de l’intendant de Lorraine : « Puisque ce Medecin [l’intendant de la Galaizière] lui-meme est si orgueilleux et si difficile, tu ne peux parvenir a ce que tu desires qu’en qualité d’homme de letre, et pour la constater, cette qualité, il me semble que tu dois comenser par etre de l’Academie[86]. »

Académicien[87] de Stanislas : le produit de son ancrage entre la Lorraine et Paris

Comme le souligne Daniel Roche, l’installation de Stanislas assure « le triomphe du ton français en Lorraine », avec l’aide des milieux dirigeants lorrains et le secours de personnalités parisiennes liées au duc par des rapports d’amitiés et de services[88]. Stanislas crée entre autres son Académie en 1750-1751[89]. Cette victoire du « ton français » se fait par l’attachement de lettrés, de savants et de nobles à la figure du duc, beau-père de Louis XV. En apparence, l’inflexion de l’académie de Stanislas est particulièrement « régionaliste[90] » – le droit de concourir aux prix académiques est limité aux Lorrains –, mais ses prétentions sont universalistes, comme il en va de toute académie. Or, c’est notamment dans les écrits des académiciens, comme les discours, que l’on peut retrouver cette ambiguïté apparente entre glorification du duc de Lorraine et reconnaissance d’une Lorraine française, à l’instar des productions de l’académicien Devaux.

English Showalter a montré l’ambivalence de Devaux à l’égard de cette académie naissante : celui-ci en défend l’idée, mais redoute qu’elle soit créée, par peur de ne pas y être élu[91]. Néanmoins, sa position de courtisan et d’intermédiaire avec Paris le rend utile pour le pouvoir lorrain qui peut, par son entremise, espérer attirer à lui des figures de renom. Ses relations, à Paris comme à Lunéville, expliquent sans doute sa nomination à l’Académie. Devaux est alors proche de l’un de ses fondateurs, Louis Elisabeth de la Vergne, comte de Tressan (1705-1783), grand maréchal des logis de Stanislas et second président de la Société royale en 1752. Vingt-et-une lettres de Tressan adressées à Panpan sont conservées à la Bibliothèque municipale de Nancy, datées entre 1750 et 1767. Devaux sert parfois au comte de relais à Lunéville quand celui-ci est à Toul en tant que gouverneur. En 1750, il demande ainsi à Devaux d’intercéder en sa faveur auprès de la marquise de Boufflers[92]. Après la nomination de Devaux à l’Académie, Tressan discute avec celui qu’il nomme son « confrère » et « son cher panpan » de la politique des prix de l’académie mise en place par Stanislas, ou bien de ce qu’il se dit à Paris[93].

Dans le même temps, Devaux devient « lecteur du roy » – du duc Stanislas – alors qu’il a dû vendre sa charge de receveur à son cousin en janvier 1752. Cette fonction ne semble pas gagée[94], mais elle est particulièrement honorifique. En décembre de la même année, Graffigny change l’adresse de destination de ses envois : non plus « Monsieur Devaux receveur des finances Lorraine à Lunéville » mais « Monsieur Devaux, lecteur de S. M. le Roi de Pologne à Lunéville ». Une certaine consécration de Devaux s’acte en cette fin d’année 1752, et sa pièce de théâtre – Les Engagemens indiscrets – est enfin jouée au Théâtre-Français le 26 octobre. Elle est ensuite représentée à Versailles, à Nancy et enfin à Vienne. En quelques semaines voici Devaux auteur avec privilège, académicien et lecteur du roy de Pologne.

Dans la dédicace en vers à Stanislas qui orne la pièce imprimée à Paris en 1753, Devaux met en scène la Lorraine – « l’heureuse Austrasie » – et son souverain – le « bienfaisant ». Il participe ainsi à l’édification de l’image de Stanislas, « philosophe bienfaisant[95] », et renforce dans le même temps sa propre légitimité puisque ses fonctions honorifiques agrémentent la première page de la pièce. Dans une lettre du 26 novembre 1752, Graffigny approuvait l’idée de dédicacer la pièce à Stanislas : « Je suis de l’avis, et tres fort, de la dedicasse au roi. Tu lui dois, et tu es bien aise de te confondre en recconnoissance et en louange[96]. » Cette dédicace est, en effet, un geste envers son protecteur qui produit également de la légitimité pour lui en retour.

Plus généralement, l’élaboration de cet ouvrage, discutée dans la correspondance Graffigny-Devaux, nous apprend que Devaux a réalisé un certain nombre de dédicaces personnalisées. En vers, elles sont soit copiées à la main dans l’objet-livre, soit imprimées avec l’épître à Stanislas :

« Je ferai metre les vers à l’exemplaire du Prince [de Beauvau-Craon[97]]. Ils sont tres jolis. C’est une tres agreable plaisanterie. Tu devrois bien en faire autant pour celui de Nicole [Jeanne Quinault], car elle est un peu fâchée contre toi […] Regaye-la par une petite plaisanterie. Je ferai aussi mettre ceux de Md. de Luxembourg[98]. »

Qu’il s’agisse du Prince de Beauvau-Craon ou de Md. de Luxembourg, Devaux s’adresse par ses vers à des grands d’origine lorraine mais dont l’influence s’exerce en France. Ils sont également des protecteurs des lettres, et donc, autant de relais pour la reconnaissance de Devaux comme auteur. Le poète lorrain ne manque pas de soutiens et multiplie les correspondances et les vers adressés à ces derniers.

Parmi ses proches, on note la présence de l’abbé Porquet, aumônier de Stanislas et poète. Il s’agit d’un autre protégé de la marquise de Boufflers. Il jouit aujourd’hui d’une réputation similaire à celle de Devaux, celle d’un poète peu brillant mais proche de l’aristocratie lorraine. Dans une lettre de 1763, l’abbé se peint également comme un homme léger : « Vous scavez que je suis presque aussi attaché à ma paresse qu’à mes amis ». Pourtant, il écrit à Devaux pour que celui-ci fasse paraître dans le « Mercure » sa « dissertation de grammaire » s’appuyant sur son curriculum-vitae – ses études et ses relations. Il prend pour prétexte de cette demande de féliciter Devaux de :

« La petite révolution qui opere un assés grand changement dans votre fortune. J’en suis ravi, enchanté ; et il n’y a paresse qui tienne, je veux que vous le sçachiez. Vous allez dons jouïr de cette heureuse indépendance dont vous êtes si digne, et après laquelle vous aspiriez depuis si longtemps ! je vous proteste que cet événement ne me touche guère moins que s’il m’étoit uniquement personnel. Le beau rôle d’ailleurs à jouer dans le monde, que j’y pense, que celui d’auteur de la gazette ![100] »

Il s’agit peut-être[101] de la Gazette littéraire de l’Europe dont le prospectus parait en juin 1763 et qui peut compter parmi ses contributeurs Voltaire et Saint-Lambert[102]. Si l’on ne sait pas encore si Devaux a pu effectivement y participer, la proposition lui en a néanmoins été faite et celle-ci est connue puisque l’abbé Porquet dit tenir cette information de Saint-Lambert. Ce journal littéraire est lancé au lendemain de la guerre de Sept Ans dans l’entourage du duc de Choiseul pour soutenir la monarchie[103]. On voit ici que cette proposition constitue un succès social qui se sait. C’est là le fruit de ses efforts antérieurs dans le maintien de relations passées par la Lorraine qui se sont rapprochés du pouvoir français : par les lettres pour Graffigny ou par l’armée et l’administration pour le duc de Choiseul. Devaux a copié et préservé les poèmes qu’il a envoyés au duc de Choiseul. Il y met en scène, le souvenir de la jeunesse lorraine du duc de Choiseul, « son ange protecteur[104] », d’abord « petit maître » avant de devenir le tout-puissant ministre de Louis XV :

« Ces traits nobles et fins, cet air, ce nez au vent
Tous ces dehors brillants d’un petit maitre,
Qui faisoient oublier souvent
et ce qu’étoient choiseul, et ce qui alloit etre.
Ce duc charmant fait pour l’amour,
fait pour plaire, et pour qu’on lui plaise,
ce papillon chés pompadour
etoit un aigle chés therese.
Bientôt dans ses heureux effors,
il plana sur toute l’europe […][105]. »

Ici Choiseul, parti de Lorraine, passé par Paris et Versailles, incarne l’un de ces « aigles » transfrontaliers dont les carrières transcendent les discontinuités politiques et sociales. Par l’éloge de cet homme qui a conquis le plus évident des patronages royaux – le poste de principal ministre de Louis XV, Devaux s’associe à son héritage alors que lui-même, fils de bourgeois lorrain, a acquis sa notoriété en faisant fi des frontières sociales et géographiques.

Conclusion. « Mon histoire » : l’autobiographie comme renouvellement des ambitions du littérateur-courtisan

Par ses divers écrits, Devaux a tout au long de sa carrière élaboré conjointement une figure d’auteur sérieux et de courtisan paresseux et léger. C’est en jouant du topos du littérateur hors de la société et détaché de la recherche du succès qu’il décrit lui-même son parcours en vers en 1777 en Lorraine française. Il s’agit, pour conclure, de revenir sur ce poème qui a été pris au pied de la lettre par les biographes de Devaux. Ils y ont vu la justification même d’une trajectoire de poétaillon, ou, au mieux, de dilettante lettré.

« Mon histoire 1777

Toujours contraire au sort qui me fut destiné,
Interprête allemand je n’en sus pas la langue :
Avocat : je n’ai fait playdoyer, ni harangue :
Devenu financier, je m’y suis ruiné.
Je fus de notre roy lecteur a bouche close :
Loin de prendre les mœurs de ma métamorphose,
Franc bourgeois à la cour, j’y fus homme de bien :
Au nombre des savants je fus admis sans cause :
et quoyqu’Académicien,
n’ayant pas fait la moindre chose,
plus que Piron, je ne fus rien.
Un dernier trait enfin, qui comblera la doze
de tant de singuliers travers ;
je ne faisois que de la prose
quand je voulais faire des vers[106]. »

Toutes les professions et fonctions évoquées par Devaux dans ce poème ont bien une réalité biographique. En revanche, si on doit synthétiser l’image qu’il renvoie de lui-même, Devaux, âgé de soixante-six ans, se présente comme un homme qui n’aurait accompli aucun des desseins que le sort lui aurait réservés ; il aurait obtenu son siège d’académicien « sans causes » laissant l’ambiguïté entre le fait de l’avoir conquis sans mérite ou sans effort particulier. Par ce poème, il renforce son image de lettré désintéressé du succès, d’auteur qui se déprécie mais qui est dévoué aux lettres, construisant ainsi son ethos d’homme de lettres. Ces vers, longue prétérition, permettent à Devaux d’exposer tout ce qu’il a fait pour devenir le littérateur qu’il est en 1777, tout en disant qu’il n’a rien fait pour le devenir. Ce poème autobiographique est ainsi une nouvelle action d’écriture qui a pour fonction d’asseoir sa légitimité d’auteur capable de prétendre peut-être même à l’Académie française.

Ces vers font partie d’un manuscrit, conservé à la Bibliothèque municipale de Nancy, que Devaux a rendu public puisque tous les poèmes qui y sont inscrits ont circulé en son temps, de main en main, de bouche en bouche. Dans ce recueil postérieur au rattachement de la Lorraine ducale à la France, Devaux se pose également en dignitaire de la Lorraine indépendante disparue en 1766 avec la mort de Stanislas. Par ces pratiques de littérature, il participe donc à l’élaboration d’une mémoire commune des anciens duchés. C’est là un des ressorts de sa carrière : il joue de son identité d’homme proche du pouvoir lorrain, c’est-à-dire de courtisan, mais pour également imposer son nom d’auteur sur des imprimés à Paris et s’instituer comme un intermédiaire dans l’élite lettrée au-delà des frontières des duchés de Lorraine et de Bar. Par sa proximité avec le pouvoir lorrain, il a pu s’imposer comme un relais pour les ambitions de jeunes auteurs en quête de reconnaissance et de fonctions. Ainsi, la mise en avant même de son surnom de « Panpan » est associée à cette figure de courtisan et se révèle être un marqueur de tous les réseaux d’amitié et d’entraide qu’il entretient tout au long de sa vie. C’est donc bien en jouant simultanément de son nom propre, de son nom d’auteur et de son surnom de courtisan que Devaux parvient dans la proximité du pouvoir lorrain à poser les jalons d’une réussite sociale par les lettres.


[1] Je remercie chaleureusement David Smith et Dominique Quéro qui m’ont fait parvenir les retranscriptions des lettres de Devaux de 1745 à 1749, conservées à la bibliothèque Beinecke dans les Graffigny Papers.

[2] Pauline Lemaigre-Gaffier et Nicolas Schapira, « Introduction », Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles [en ligne], 2019, mis en ligne le 30 avril 2019, consulté le 16 septembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/crcv/17822.

[3] Daniel Roche, Le siècle des lumières en province. Académies et académiciens provinciaux, 1680-1789, Paris, éd. de l’EHESS, 1989 (1978), p. 186.

[4] Définition tirée de la 4e édition du dictionnaire de l’Académie française (1762).

[5] Nicolas Schapira, « Nom propre, nom d’auteur et identité sociale. Mises en scène de l’apparition du nom dans les livres du XVIIe siècle », Littératures classiques, vol. 80, n° 1, 2013, p. 69-86.

[6] Cette correspondance a été le sujet de nombreuses publications et de travaux, attirés par la singularité de l’objet et par la célébrité qu’a été celle de Graffigny, autrice à succès au milieu du XVIIIe siècle. De nombreuses références sont mentionnées dans cet article.

[7] Alain Viala, « La côte d’Adam, la cuisse de Marcel et les deux bouffons de Molière », Sociopoétiques [en ligne], n° 4, mis à jour le : 11/04/2020, URL : https://revues-msh.uca.fr:443/sociopoetiques/index.php?id=896.

[8] Nous retrouvons des lettres de Devaux ou adressées à celui-ci aussi bien dans les « Papiers » concernant Mme de Graffigny à la Bibliothèque nationale de France ou bien à la Bibliothèque municipale de Nancy.

[9] Bibliothèque municipale de Nancy, Ms. 366(609), f. 91. Ce manuscrit à fait l’objet d’une publication : François Antoine Devaux, Poésies diverses, testo inedito introduzione e appendice a cura di Angela Consiglio, Bari, Adriatica, 1977.

[10] Guillaume Peureux, De main en main. Poètes, poèmes et lecteurs au XVIIe siècle, Paris, Hermann, 2021.

[11] Anne Motta, Noblesse et pouvoir princier dans la Lorraine ducale, 1624-1737, Paris, Classiques Garnier, 2015, p. 30.

[12] Pierre Boyé, « Le Dernier Fidèle de la cour de Lunéville : la vieillesse de Panpan Devaux », dans Quatre Études inédites, Nancy, Imprimerie des Arts graphiques modernes, 1933, p. 35-97.

[13] Par exemple, pour l’année 1731, la maison est louée six mois au « prédicateur de l’avent et du carême », Archives départementales de Meurthe-et-Moselle (désormais ADMM), B172.

[14] Il s’agit là du littérateur tel qu’abordé par Alain Viala dans le chapitre 6 de son ouvrage, Naissance d’un écrivain, sociologie de la littérature à l’âge classique, Paris, Éditions de Minuit, 1985, p. 186-216.

[15] Liébault sera notamment professeur d’histoire des cadets du roi Stanislas.

[16] Claire-Claude-Louise Lebrun dite Clairon est comédienne des ducs et enfant de la balle. David Smith, « Les Lettres parisiennes de François Antoine Devaux (1733-1734) », avec la collaboration de Dorothy P. Arthur, Marie-Thérèse Inguenaud et English Showalter, dans Marie-Thérèse Inguenaud, David Smith, Octavie Belot, Présidente Durey de Meinières. Étude sur la vie et l’œuvre d’une femme des Lumières, Paris, Honoré Champion, 2019, p. 233.

[17] À propos de la pièce de F. de Graffigny, La Réunion du Bon Sens et de l’Esprit, Devaux affirme : « Vous scavés que je n’oserois me donner pour autheur de peur de chagriner mes parens », dans David Smith, id.

[18] Ibidem, p. 295.

[19] Henri-Jean Martin, « La direction des lettres », dans Roger Chartier et Henri-Jean Martin (dir.), Histoire de l’édition française, Le livre triomphant 1660-1830, Paris, Fayard, 1990, p. 72-87 ; Barbara de Negroni, Lectures interdites. Le travail des censeurs au XVIIIe siècle, Paris, Albin Michel, 1995.

[20] David Smith, « Les Lettres parisiennes … », p. 226-227.

[21] Wallace Kirsop, « Le mécanismes éditoriaux », dans Roger Chartier et Henri-Jean Martin (dir.), Histoire de l’édition…, p. 19-20.

[22] Devaux mentionne dans ses lettres l’origine de ses ressources financières : il perçoit de l’argent de ses parents par François Grobert (1694-après 1759), financier lorrain et secrétaire du marquis de Stainville, père du futur duc de Choiseul. La correspondance montre que Grobert fait des allers-retours réguliers entre Lunéville et Paris, ce qui n’empêche pas Devaux de se plaindre de n’être financé que « louïs par louïs ». David Smith, « Les Lettres parisiennes… », p. 259.

[23] La pièce aurait été écrite dès le début des années 1730. English Showalter, Françoise de Graffigny, sa vie, son œuvre, Paris, Hermann Éditeurs, 2015, p. 442-450.

[24] Correspondance de Madame de Graffigny, tome II, Oxford, Voltaire Foundation, 1989, p. 74.

[25] François Bessire, « Françoise de Graffigny. Femme de lettres et femme du livre » dans Revue de la BnF, 2011, n° 39, p. 28-37.

[26] Le manuscrit est acheté par Mme Pissot qui le publie une première fois sous une fausse adresse, « À Peine » en 1747. Mireille François, « Madame de Graffigny dans les collections de la bibliothèque Stanislas de Nancy » dans Charlotte Simonin (dir.), Françoise de Graffigny (1695-1758), femme de lettres des Lumières, Paris, Classiques Garnier, 2020, p. 145-172 ; David Smith, Bibliographie des œuvres de Mme de Graffigny (1745-1855), Ferney-Voltaire, Centre d’Étude du XVIIIe siècle, 2016.

[27] Cette ancienne actrice de la Comédie-Française a été l’un des appuis les plus importants de F. de Graffigny à Paris, notamment en l’introduisant à sa société « du bout du banc ».

[28] Correspondance de Madame de Graffigny, tome VI, Oxford, Voltaire Foundation, 2000, p. 458.

[29] David Smith, « Les Lettres parisiennes… », p. 274.

[30] Charlotte Simonin, « De l’autre côté du miroir, Marivaux à travers la Correspondance de Madame de Graffigny », dans Charlotte Simonin (dir.), Françoise de Graffigny (1695-1758)…, p. 193.

[31] David Smith, « Les Lettres parisiennes… », p. 294.

[32] Marie-Antoinette Cailleau, fille du libraire parisien André Cailleau, succède à son mari, Nicolas-Bonaventure Duchesne, en 1765.

[33] Sur les théâtres de société à Lunéville, voir Dominique Quéro, « Chronique de le vie théâtrale à Lunéville au XVIIIe siècle. Devaux acteur de société (1748-1749) », dans Charlotte Simonin (dir.), Françoise de Graffigny (1695-1758)…, p. 79-92.

[34] Antoine Lilti, « Public ou sociabilité ? Les théâtres de société au XVIIIe siècle », dans Christian Jouhaud et Alain Viala (dir.), De la publication, entre Renaissance et Lumières, Paris, Fayard, 2002, p. 281-300.

[35] François Antoine Devaux, Le bon fils, Paris, La Veuve Duchesne, 1773, p. II.

[36] Antoine Lilti, « Public ou sociabilité ?… », p. 290.

[37] Terme utilisé par Devaux dans son poème « Mon histoire 1777 », BM Nancy, Ms. 366(609), p. 91.

[38] Correspondance de Madame de Graffigny, tome IV, Oxford, Voltaire Foundation, 1996, p. 210.

[39] Id.

[40] Correspondance de Madame de Graffigny, tome IX, Oxford, Voltaire Foundation, 2004, p. 292.

[41] Nicolas Schapira, « Postface. Les privilèges et l’espace de la publication imprimée sous l’Ancien Régime » dans Edwige Keller-Rahbé (dir.), Privilèges de librairie en France et en Europe. XVIe-XVIIe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2017, p. 481.

[42] Nicolas Schapira, « Histoire de la censure et histoire du livre. Les usages de la censure dans la France d’Ancien Régime », Histoire et civilisation du livre, Revue internationale, XVI, 2020, p. 225-242.

[43] Note 59 dans David Smith, « Les Lettres parisiennes… », p. 226.

[44] Prosper Jolyot de Crébillon (1674-1762).

[45] On considère ici que ce sont des « alliés d’ascension », selon l’expression empruntée à Paul Pasquali, Passer les frontières sociales. Comment les « filières d’élite » entrouvrent leurs portes, Paris, Fayard, 2014 et Rose-Marie Lagrave, Se ressaisir, Enquête autobiographique d’une transfuge de classe féministe, Paris, La Découverte, 2021.

[46] Nicolas Schapira, « Nom propre, … », p. 84.

[47] Par exemple, pour janvier, février et mars 1731, Graffigny reçoit une pension de 125 livres. ADMM, B 1718, p. 32.

[48] « Discours sur l’esprit philosophique », dans François Antoine Devaux, Poésies diverses, testo inedito…, p. 295-296.

[49] David Smith, « Les Lettres parisiennes… », p. 232-239.

[50] Henri-Ignace Chaumont, abbé de La Galaizière, frère de l’intendant de Lorraine et attaché au bureau de Philibert Orry contrôleur général des finances.

[51] Correspondance de Mme de Graffigny, tome VII, Oxford, Voltaire Foundation, 2002, p. 12.

[52] 20 septembre 1745, Yale, G.P., XXXII, p. 197.

[53] Correspondance de Mme de Graffigny, tome VII, Oxford, Voltaire Foundation, 2002, p. 24.

[54] David Smith, « Les Lettres parisiennes… », p. 295.

[55] Ibidem, p. 286.

[56] Le cabinet du philosophe est imprimé en 1734. L’approbation est datée du 17 septembre 1733. Devaux mentionne pour la première fois ce périodique le 8 février 1734. David Smith, « Les Lettres parisiennes… », p. 268.

[57] La correspondance de Valentin Jamerey-Duval a fait l’objet d’une récente édition critique en trois tomes par André Courbet : Correspondance de Valentin Jamerey-Duval, Bibliothécaire des ducs de Lorraines, Paris, Honoré Champion, 2011-2019. À voir également : André Courbet, « Les relations et la correspondance entre Valentin Jamerey-Duval et Françoise de Graffigny », dans Charlotte Simonin (dir.), Françoise de Graffigny (1695-1758)…, p. 25-46.

[58] La première édition, partielle, des lettres de la marquise de Sévigné date de 1725. De 1734 à 1737 paraissent six volumes de ses lettres.

[59] Néologisme employé par Devaux le 6 octobre 1745, Yale, G.P., XXXII, p. 239.

[60] Correspondance de Mme de Graffigny, tome VII, Oxford, Voltaire Foundation, 2002, p. 46.

[61] David Smith, « Les Lettres parisiennes… », p. 234.

[62] Ibidem, p. 294.

[63] Amusemens du cœur et de l’esprit, ouvrage périodique, Paris, Chez Didot, 1734, p. 4.

[64] Le Cabinet du philosophe de Marivaux serait alors « déchiré », méprisé, par l’abbé Prévost dans son propre journal. David Smith, « Les Lettres parisiennes… », p. 294.

[65] David Smith, « Les Lettres parisiennes… », p. 219.

[66] Amusemens du cœur et de l’esprit, …, p. 12.

[67] En 1734 est également publiée la pièce de Marivaux, Le Petit-Maître corrigé. On retrouve dans la troisième lettre d’un Hollandais, un des thèmes principaux de la pièce de Marivaux, où Rosimond, arrivé de Paris, n’ose avouer qu’il aime sa promise, une provinciale. Dans Les Amusemens du cœur et de l’esprit, on peut lire : « Un honnête homme n’oseroit presqu’avoüer qu’il est amoureux de sa femme : à force de ne plus rougir du crime, on en vient à rougir de la vertu », ibidem, p. 55.

[68] Ibidem, p. 14.

[69] Ibidem, p. 53.

[70] Arrêt d’entérinement de sa réception comme receveur de Lunéville où il est appelé « François Antoine Joseph Devaux avocat à la cour », ADMM, B 245, p. 85.

[71] Pierre Boyé, Le budget de la province de Lorraine et Barrois sous le règne nominal de Stanislas (1737-1766), Nancy, Imprimerie Crépin-Leblond, 1896, p. 68.

[72] ADMM, B 1748.

[73] « Me voila enfin, grace à vous, chere amie, conseiller du roy et receveur des finances ; cela n’est-il pas beau ? » Yale, G.P., 25 décembre 1741, XVI, p. 331-332.

[74] Conseiller-secrétaire du conseil aulique et lieutenant général de la police à Lunéville.

[75] Correspondance de Madame de Graffigny, tome III, Oxford, Voltaire Foundation, 1996, p. 292.

[76] Pierre Boyé, Le budget de la province… p. 69.

[77] Grandville, Étienne-Julien Locquet, marquis de (1685-1752), nommé le « Général » dans la correspondance.

[78] Yale, G.P., (18)17 octobre 1745, XXXII, p. 264.

[79] François Bessire, « Françoise de Graffigny… », p. 33.

[80] Joseph Uriot, Lettre d’un franc-maçon à Mr. De Vaux conseiller de sa maj. le roy le Pologne duc de Lorraine et de son altesse électorale le Prince Palatin, Francfort sur le Meyn, 1742.

[81] 1er octobre 1748, Yale, G.P., XLII, p. 125.

[82] Correspondance de Madame de Graffigny, tome I, Oxford, Voltaire Foundation, 1985, p. 47.

[83] Présent dans la retranscription.

[84] 29 septembre 1748, Yale, G.P., XLII, p. 119.

[85] La question du tutoiement / vouvoiement au sein de la correspondance est aussi bien un reflet de l’état de leur alliance à un moment donné, qu’elle peut également être considérée comme un moyen de jouer parfois de diverses mises en scène.

[86] Correspondance de Madame de Graffigny, tome XII, Oxford, Voltaire Foundation, 2008, p. 305.

[87] Comme Daniel Roche, nous reprenons ici le terme d’« académicien » pour qualifier le statut auquel accède Devaux. Dans le Dictionnaire de l’Académie françoise dédié au Roy en 1694 (1ère édition) : « Qui est de quelque Académie de gens de lettres ».

[88] Daniel Roche, Le siècle des lumières en province…, p. 42-43.

[89] Pierre Marot, « Les origines de la Société Royale des Sciences et des Belles-Lettres de Nancy : La Curne (?) de Sainte-Palaye et le roi Stanislas », dans Jean Schneider (dir.), La Lorraine dans l’Europe des Lumières, Nancy, Berger-Levrault, 1968 ; Jean-Claude Bonnefont (dir.), Stanislas et son Académie, Colloque du 250e anniversaire, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2003.

[90] Karl Hildebrandt, « Le prix de l’Académie de Stanislas, un contre-modèle régionaliste d’une institution européen », p. 305-316.

[91] English Showalter, « L’élection de Panpan Devaux à l’Académie de Stanislas », p. 185-194.

[92] BM Nancy, Ms. 1267 (793), p. 9-12.

[93] Ibidem, p. 78-81.

[94] Nous ne retrouvons pas de trace de F. A. Devaux dans les comptes de la cour de Lunéville dans la décennie 1750 après la vente de sa charge de receveur. En revanche, il est présent dans les charges et dépenses de la Maison du Roi, de France, dans la décennie 1770, avec comme somme indiqué de 300 livres pour ses services de « lecteur du roy », Stanislas (Archives nationales, O, 1, 723, p. 266 pour l’année 1774). En 1791, il est noté dans l’« État des pensions des officiers et des domestiques de ce prince » que Devaux a le droit à des gages pour ses 14 années de service en tant que « lecteur du roy » (AN, DX3, Dossier 25, p. 4).

[95] Titre des œuvres de Stanislas publiées à Paris en quatre volumes en 1763.

[96] Correspondance de Madame de Graffigny, tome XIII, Oxford, Voltaire Foundation, 2010, p. 113.

[97] Charles-Juste, prince de Beauvau-Craon (1720-1793).

[98] Madeleine Angélique de Neufville Villeroy, duchesse de Boufflers puis de Luxembourg (1702-1787) ; Correspondance de Madame de Graffigny, tome XIII…, p. 132.

[100] BnF, Ms., NAF 15581, p. 20.

[101] Cet article s’inscrit dans mes recherches de thèse, et il s’agit là d’un pan qui est encore à étayer.

[102] Rémy Landy, « Gazette littéraire de l’Europe I » dans Jean Sgard (dir.), Dictionnaire des journaux, 1600-1789, A-I, Oxford, Universitas Paris, Voltaire foundation, 1991, p. 516-517.

[103] Jonathan Conlun, « The Gazette Littéraire de l’Europe and Anglo-French Cultural Diplomacy », Études Épistémè, 26, 2014.

[104] BM Nancy, Ms. 366(609), p. 107.

[105] Ibidem, p. 105.

[106] Ibidem, p. 91.

 

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Vertus du corps et vertus des plantes: les savoirs botaniques confrontés aux pratiques médicales dans l’herbier de Leonhart Fuchs au début du XVIe siècle

Tassanee Alleau

 


Résumé : Le De historia stirpium de Leonhart Fuchs est surtout connu pour son apport innovant en histoire de la botanique à la Renaissance. Notre travail met en avant la pratique médicale de Fuchs dont l’approche s’oriente vers le rétablissement d’un corps sain et vertueux grâce aux propriétés et bienfaits des plantes. Mais que pouvaient bien apporter les plantes au corps du patient malade ? Le médecin-naturaliste choisit le règne végétal pour soigner plutôt que toute autre méthode thérapeutique. Nous nous interrogerons alors sur le rééquilibrage des humeurs du corps par les plantes comme moyen de maintenir le corps et l’âme vertueux en nous questionnant sur les intrications entre morale et religion dans le contexte de la Réforme dans le Saint Empire romain germanique.

Mots-clés : botanique, médecine, herbier, corps, Leonhart Fuchs.


Tassanee Alleau, née le 15/03/1991, est doctorante contractuelle en histoire au Centre d’études supérieures de la Renaissance et chargée de cours en histoire moderne à l’Université de Tours. Sa thèse, sous la direction de Pascal Brioist et Concetta Pennuto, porte sur la compréhension du végétal, sa matérialité et ses symbolismes à l’époque moderne, et plus particulièrement la partie souterraine des plantes, racines, tubercules et autres rhizomes, à travers des approches culturelles, matérielles et scientifiques. Elle est aussi diplômée de l’École d’Art et de Design de Tours (Ex-Beau-Arts TALM-Tours) et a co-écrit Sciences et société, France et Angleterre, 1680-1789 aux éditions Atlande (2020).

tassanee.alleau@univ-tours.fr


Introduction

À travers sa description des plantes issue d’une relecture critique des sources anciennes et contemporaines, Leonhart Fuchs (1501-1566) est reconnu par l’historiographie[1] comme un naturaliste majeur de la Renaissance. Il est connu pour sa contribution en histoire de la botanique et pour son traitement des textes et des illustrations peintes « sur le vif » dans sa compilation des plantes. Ses choix éditoriaux et sa méthode de travail prennent en compte les opportunités offertes par l’imprimerie grâce à l’innovation des caractères mobiles, autorisant l’illustration par des gravures très chères payées[2]. Dans cette étude, nous avons parcouru les sources en latin et en langues vernaculaires, en allemand et en français, publiées du temps de Leonhart Fuchs ou rééditées de nombreuses fois après sa mort et agrémentées d’ajouts et de commentaires par les éditeurs français. En apparence innovante, la pensée naturaliste de Fuchs s’inscrit en réalité dans la continuité du Moyen-Âge. La vision du monde qui découle de la lecture des herbaria du XVIe siècle est celle d’un univers médical constitué presque exclusivement d’éléments végétaux[3]. Les savoirs botaniques et leur application dans la vie quotidienne sont sans cesse bouleversés par de nouveaux apports et transferts de connaissances, même s’il reste ancré dans son rapport aux autorités anciennes[4]. Notre approche s’inscrit dans le champ de l’histoire culturelle et s’inspire plus particulièrement de l’histoire des sensibilités et des mentalités[5]. Elle emprunte également à l’histoire des sciences et se situe au croisement de l’histoire naturelle[6], de l’histoire de la médecine et des discours médicaux[7]. Dans cette perspective, la pratique médicale, thérapeutique et préventive de Leonhart Fuchs est imprégnée par les changements et renouvellements de son époque : la persistance d’un très grand nombre de savoirs anciens et médiévaux, de quelques croyances, tout comme l’émergence d’une pensée humaniste renaissante.

Si Leonhart Fuchs a choisi le règne végétal pour maintenir le corps dans ses vertus, ces conceptions savantes ne sont pas des cas isolés. Otto Brunfels, Hieronymus Bock et Valerius Cordus firent de même, reproduisant les traditions théophrastiennes et dioscoridiennes. Toutefois, soigner par les plantes n’allait pas de soi et d’autres disciplines médicales virent le jour au même moment. L’anatomie émergea avec André Vésale qui publia son De humani corporis fabrica en 1543. Puis, la chirurgie intéressa plus vivement les médecins et Ambroise Paré fit paraître ses Dix livres de la chirurgie en 1564. Il ne faut pas oublier non plus la parution de trésors de médecine domestique de Charles Estienne ou de Christofle Landré et d’ouvrages sur la médecine astrologique comme ceux de Richard Napier et de Nicholas Culpeper, parus plus tard au début du XVIIe siècle et qui remirent en question les savoirs médicaux transmis dans les facultés de médecine.

Dans cet article, nous cherchons à montrer que malgré les innovations botaniques apportées par Leonhart Fuchs dans la description des plantes, ce dernier resta campé à une approche médicale héritée de l’Antiquité, celle de Galien et du corpus hippocratique, reliant vertus du corps et vertus des plantes. Dans ces conditions, sa pensée rejoignait celle d’un fervent défenseur de la Réforme (s’opposant tout de même sur différents sujets à Luther et à Melanchthon dès 1543), suivant la théorie des humeurs qui s’accompagnait de valeurs morales chrétiennes en ce qui concerne le corps et la santé. Le présent travail a été guidé par l’hypothèse suivante : lire un herbarium et en extraire une liste de vertus et de vices pourrait possiblement permettre de brosser le portrait idéal de l’homme, de la femme et de l’enfant du début de la Renaissance. Mais cette démarche est périlleuse car il ne faut pas perdre de vue les inspirations premières de Leonhart Fuchs dès les débuts de sa carrière de médecin-naturaliste qui restèrent la médecine ancienne et les théories galéniques et hippocratiques. En effet, c’était l’équilibre des principes composant la complexion du corps, que l’on nommait alors les humeurs[8], qui permettait à un individu de se maintenir en bonne santé. Le médecin observait alors les manques et les surplus des éléments et de leurs qualités pour construire son pronostic et son diagnostic, puisque l’état de déséquilibre des humeurs était considéré comme un état de maladie. Leonhart Fuchs s’imposa comme un « vulgarisateur » car il traduisit ses travaux du latin à sa langue vernaculaire, l’allemand, et illustra graphiquement des ouvrages qui restaient jusqu’ici très peu accessibles. En rapportant les usages des plantes spécifiques et localisés, Fuchs donnait une image singulière de la société allemande du XVIe siècle. Nous allons donc revenir dans un premier temps sur l’étude des valeurs morales liées aux soins du corps. Puis nous verrons ce qu’est être médecin à Tübingen au XVIe siècle et le contexte dans lequel ces valeurs morales s’inscrivent. Enfin, par cet article, nous voulons proposer une catégorisation des plantes thérapeutiques par vertus selon la théorie scolastique chrétienne : les plantes pour la vertu intellectuelle, la vertu de tempérance, les vertus du corps féminin, la vertu de prudence et les plantes pour le salut de l’âme.

Valeurs morales chrétiennes, plantes et soins du corps

L’étude des valeurs morales liées aux soins du corps par les plantes et au regimen strict pour le bénéfice du corps est vaste et se rapporte à la fois aux traditions antiques comme à la culture chrétienne. Ce croisement n’est pas anodin. De fait, la pratique de la médecine par les plantes s’était propagée au Moyen Âge dans les jardins monastiques dont le modèle était appelé hortus conclusus, le jardin clos, ou petit jardin (hortulus) sous le haut patronage de Saint Fiacre, et issu « d’une vision du monde propre à l’univers médiéval où Dieu est le véritable centre[9] ». La symbolique biblique des plantes a fait l’objet d’un nombre limité d’analyses critiques de la part des historiens et historiennes en dépit de l’existence d’ouvrages colossaux[10] et de travaux sur le folklore religieux par des théologiens[11]. L’identification des plantes retrouvées dans la Bible associée à une rigueur scientifique, par l’étude de leur origine, de leur étymologie et de leur localisation géographique, n’est pas très récente et reste restreinte à des études voisinant avec celles de la théologie naturelle du XIXe siècle[12]. D’autres études historiques se focalisaient sur les évocations bibliques dans les réécritures de la Renaissance sous le paradigme de la philosophie naturelle occidentale[13]. D’autres encore ont cherché dans la Bible le possible rapport humain aux plantes dans des perspectives utilitaires (alimentation, usages socio-économiques)[14]. Et bien que l’étude biblique ne soit pas notre approche ici, elle y puise une résonance certaine car Leonhart Fuchs ne fait pas mystère de son inspiration religieuse[15] et nous cherchons dans cet article à montrer les intrications morales et religieuses qui parcourent l’œuvre de Fuchs. Ainsi dit-il :

« Je suis asseuré & scay certainement que plusieurs choses t’inciteront a la recepvoir franchement & de bon cueur, mais signamment ce qui sensuit, cest ascavoir que la presence, grâce, & bonté divine n’est plus évidemment donnée a cognoistre aux hommes en quelque chose que ce soit, que par la diversité des formes & natures des plantées quand nous considérons qu’elles ont esté produictes et creées de Dieu pour l’usage de l’homme. S’il y a doncques quelque chose qui recueille en nos cueurs, ou qui conferme nos espritz ceste opinion que Dieu ha quelque soing des hommes, certainement pour donner ayde aux hommes et les maintenir en santé, qu’il luy a pleust aorner la terre de tant de nobles et vertueuses plantes, par lesquelles les hommes peussent chasser toutes sortes de maladies[16]. »

Il montrait aussi que l’intérêt pour les plantes remontait à l’Antiquité chez les princes et les rois :

« […] Qui plus est Mythridates jadis roy de Bythinie, Attalus roy d’Asie, Salomon de Judée, Eaux d’Arabie, & Juba de Mauritanie, non seulement ont esté curieux de cognoistre les plantes, mais aussy plusieurs d’entre eulx en ont escript très diligemment, les aultres ont monstré la manière de mesler medicamens simples ensemble et d’en faire certaines compositions au grand avantage & profict des humains[17]. »

De la version originale en langue allemande à ses traductions diverses en français, les vertus divines des plantes étaient copieusement rapportées, renvoyant à une vision idéale du corps et de la santé :

« Car estans presques tous les arts inventez, si tost que l’homme fut creé de Dieu, a par aprés augmentez par l’industrie de plusieurs : les seules herbes, soubdain apres la creation des elemens, & lorsqu’il n’y avoit encores homme vivant, sortirent (suyvant le commandement de Dieu, qui fut en ceste sorte) des cavernes de la terre, garnies de leurs propres & divines vertus[18]. »

Leonhart Fuchs évoquait l’origine biblique de l’utilisation des plantes, remèdes et nourritures offerts par Dieu à Adam dans le Jardin d’Éden, puisque « seul [le] Souverain Seigneur Dieu ha creé, & produit de la terre les herbes & Plantes : desquelles tous les descendans & posterité d’Adam se pourroient ayder & soulager pour guarir les maladies[19] ». Il s’inscrivait dans l’élan des relectures scrupuleuses et minutieuses des Saintes Écritures et qui touche également les champs disciplinaires comme la médecine. Toujours dans son propos liminaire, Leonhart Fuchs décrivait les prolégomènes de sa pratique médicale alliée à une connaissance très fine des plantes, à la faveur d’un corps sain qui sonne ici comme un impératif sanitaire social. Il a écrit d’ailleurs tout un traité[20] sur la méthode médicale[21]. Sa vision était à la fois utilitaire et impliquait aussi une part non négligeable de remarques esthétiques et sensorielles. Il ajoutait même que les connaissances en botanique apportent « nécessité » :

« […] la nature des Plantes, ha esté tousjours plus louee, admiree, & reveree, partie par ce qu’ayant esgard à l’antiquité (que tousjours on ha autorisé et honoré grandement) elle estoit la plus ancienne partie aussi pour autant que la congnoissance d’elle apportoit un plaisir, utilité et necessité[22]. »

À la Renaissance, la botanique n’était pas encore une science à part entière, elle était simplement une discipline auxiliaire au service de la médecine. Considérant qu’il existait bien peu d’ouvrages sur le sujet permettant d’identifier correctement les plantes en Allemagne, à part ceux d’Otto Brunfels, de Jérôme Bock (Tragus) ou de Valerius Cordus, Leonhart Fuchs rédigea son herbarium, sélectionna des graveurs et dessinateurs très habiles et emprunta les descriptions des plantes aux sources anciennes et classiques. Dans son discours préliminaire, il témoignait de l’intérêt de son herbier, de sa vision vraisemblablement très corporatiste de la profession de médecin, car il souhaitait un monopole universitaire de l’exercice de cette discipline, et de ses principaux objectifs. Il précisait qu’il désirait qu’on ne commette plus d’erreur au sujet des plantes[23]. Il exhortait les médecins et apothicaires en ces termes : « doncques j’enhorte tant de foys les medecins et apothicaires de delaisser tel erreur, sinon qu’ilz ne prennent plus de plaisir à tuer, qu’à guérir[24]. » Il dénonce les manipulations et tromperies[25] : « À mon desir aussi que les Medecins de nostre siecle, usassent de plus de diligence à traicter ceste partie de Medecine, et ne l’abandonnassent entre les mains des Apothicaires et femmes de village[26]. » Le retour à la nature qu’a opéré Leonhart Fuchs n’était pas isolé. Martin Luther lui-même attachait une grande importance à la contemplation de la nature. Dans ses Sermons sur le premier livre de Moïse, il déclarait que le monde naturel a été construit pour le bénéfice et l’usage de l’homme[27]. Cette idée partagée par Fuchs est merveilleusement dépeinte lorsqu’il évoque les vers à soie et des tissus de soie qu’on peut en tirer :

« Car à la vérité nature en nulle autre chose n’est trouvée plus sage qu’en ce fait. Et ne semblera l’art avoir prins quelque chose d’eux, en quoy elle se monstre plus ingénieuse : si on veut considerer tant de mutations de nature, devant que ladicte toison soit achevee, & puisse estre artificielement reduicte à l’usage des humains[28]. »

Il revendiquait aussi un retour à la simplicité de la composition des remèdes et favorisait une pharmacopée locale, composée de plantes de jardin ou facilement récoltées à proximité de l’espace domestique. Fuchs s’opposait à toute « ostentation » du savoir et se positionne contre les médicaments composés dont la liste des ingrédients peut être trop longue, trop coûteuse, voire illisible car restée secrète[29]. Il préférait prescrire un même simple (une même plante) pour différentes « affections » ou pathologies :

« Les fraudes des hommes, & les circonventions & déceptions des entendements, ont inventé telles boutiques : esquelles la vie dun chacun est exposée à vendre : incontinent sont mises en crie force compositions, & mistions intrinquées, & inextricables. […] Pour un petit ulcere, fault aller chercher une medecine jusques à la mer rouge : combien que le plus povre du monde, ait à sa table les vrays remedes, ainsi dict Pline[30]. »

Leonhart Fuchs a bénéficié d’un contexte d’émulation intellectuelle en Allemagne, par la création de foyers humanistes et de carrefours d’échanges culturels et scientifiques dans des villes comme Wittenberg ou Tübingen, malgré les censures et les exils auxquels les protestants ont dû faire face. Si tout cela a assuré une grande postérité européenne à l’œuvre de Fuchs, tant dans la diffusion de la publication que dans les citations du texte et dans les plagiats des gravures, cela n’a pas été aussi facile pour tous les autres naturalistes. Otto Brunfels s’est par exemple retrouvé inscrit sur la liste de l’Index Librorum Prohibitorum de l’Italie catholique après 1554, ainsi que l’ont été Conrad Gessner ou encore Ulisse Aldrovandi, accusés d’hérésie en Italie[31]. Fuchs lui-même voit ses écrits censurés et son nom barré sur les frontispices imprimés[32].

L’art de confectionner des remèdes, d’en découvrir de nouveaux et de pouvoir supprimer les erreurs du passé pour éviter tout danger devint un enjeu nécessaire de santé publique dont se targuaient les médecins-naturalistes[33]. Cette ambition, Leonhart Fuchs l’érigeait en principe vertueux[34], forme d’éthique qui constituait les fondations de sa recherche. La plus importante vertu prise en compte pour cette étude était celle de la « force de l’âme », qui est l’une des vertus cardinales, morales et intellectuelles d’Aristote[35]. Cette vertu a été théorisée plus tard comme action de l’âme dirigée vers le bien dans la philosophie morale chrétienne de Saint Augustin ou de Saint Ambroise (vertus de la prudence, de la justice, de la force d’âme et de la tempérance). Elle passait aussi par la notion d’exactitude, que Leonhart Fuchs cherchait à la fois dans les livres et en observant lui-même les « créatures de Dieu » : les plantes. Cette force de l’âme est celle qui s’opposait à la corruption du corps par les passions de l’âme décrite par Giambattista della Porta dans La Physionomie humaine[36] : « Si donc il arrive changement de forme au Corps causé par quelqu’une des passions, de nécessité pareil changement arrive à l’Âme[37]. » Cette période était aussi l’occasion pour les « moralistes » d’écrire de nombreux ouvrages sur les comportements humains, bons ou mauvais, tels que Les Essais de Michel de Montaigne, Le Fléau des Démons et sorciers de Jean Bodin ou bien des traités de morale domestique[38]. Leonhart Fuchs déclarait lui-même dans son De historia stirpium que l’homme devait être « excellent tant en noblesse, comme en resplendeur de vertu ».

Ces transformations conceptuelles envahissaient aussi la sphère du quotidien, de la vie intime et infusent les comportements humains dans leur rapport à la nature et leurs représentations symboliques du végétal, majoritairement influencées par les conceptions théologiques et bibliques comme le rappelle John Lytton Musselman, citant les travaux, déjà très complets à ce sujet, des naturalistes Leonhard Rauwolf[39] (mort en 1596), Levinus Lemnius (1505-1568), Johann Amos Comenius (1592-1670) et John Gerard (1545-1611/12)[40]. Johann Amos Comenius, John Gerard, Levinus Lemnius, tout comme Leonhart Fuchs, ont tous tenté de conformer l’histoire naturelle à la théologie plutôt qu’à la description rationnelle et scientifique des plantes[41]. Toutefois, Leonhart Fuchs laisse une grande place aux sens et particulièrement à la vue, invitant le lecteur à se faire lui-même une idée du végétal délié des symboles bibliques.

Être médecin à Tübingen au XVIe siècle

Leonhart Fuchs naquit en Bavière en 1501 et enseigna une trentaine d’années à Tübingen depuis l’année 1535. Il obtint son diplôme après un doctorat de médecine en 1524 après avoir été l’élève et le disciple de Johannes Reuchlin, et suiveur des idées luthériennes. Fuchs participa au développement de l’humanisme allemand à travers les institutions universitaires et la publication d’ouvrages d’histoire naturelle ou de médecine. Il était moins philologue que théologien et naturaliste, théologie « au service de laquelle Luther [considérait] qu’il faut mettre les langues anciennes[42] ». C’est pourquoi il semble intéressant de considérer l’œuvre de Leonhart Fuchs par cette entrée des « vertus » morales afin de compléter le rôle qu’on lui a toujours attribué de relecteur critique des sources antiques et modernes. Pour envisager ce que c’était qu’être médecin à Tübingen, à la Renaissance[43], comme le fut Leonhart Fuchs, il faut prendre en compte les évènements difficiles qui jalonnèrent cette période.

Roselyne Rey écrivait que les pestes et épidémies successives du XVIe siècle avaient apporté un « cadre quotidien de vie des hommes en proie au malheur, confrontés à la peur et à l’expérience de la douleur[44] ». La maladie ne paraissait cependant plus inéluctable, en témoignaient les pharmacopées très précises de la Renaissance. Il ne faut tout de même pas minimiser la prééminence de la mort dans ce monde « renaissant ». Même si les remèdes issus du De historia stirpium commentarii insignes de Leonhart Fuchs permettaient de se prémunir contre les maux de ce siècle, le corps abîmé et malade semblait être le stéréotype de ces temps difficiles. Les temps de guerre amenaient avec eux le développement de nouvelles disciplines telles que la médecine de guerre. L’importation de la poudre à canon, les massacres à répétition, les supplices et les tortures que subissent les « Hérétiques », entraînaient un changement dans la nature des blessures et les aggravaient. La chirurgie des blessures dut faire face à la montée en puissance des armées et la production d’armes et d’armures augmentèrent massivement à la Renaissance[45]. La connaissance précise des organes du corps et de l’anatomie très fine que les autopsies rendaient désormais possibles se déployaient à travers des traités, d’Ambroise Paré à Félix Platter en passant par André Vésale. Fuchs fit le constat de cette nouveauté, liée en grande partie aux pratiques médicales militaires :

« Nous y avons pareillement adjouté les herbes à playes, celles principallement dont journellement usent la plus part des chirurgiens, mesmes qu’il est incertain par quel nom peculier les hont nommé les Grecz et Latins, si toutesfoys oncques elles eurent aucun nom[46]. »

C’est tout un ensemble d’images et de représentations anciennes et médiévales du corps qui s’effondraient pour renaître au prisme d’un regard plus critique, matérialiste et rationnel, plus empirique également. De même, les épidémies modifient les constructions culturelles et sociales. Parmi celles-ci, la vérole, morbus gallicus, ou la peste étaient très contagieuses. Les villes se vidaient à l’approche de ces épidémies[47] qui composaient le quotidien des médecins, quotidien jalonné de cadavres. Dans les villes, pestilence et décomposition des cadavres étaient les odeurs dominantes. Toute puanteur, toute crasse et toute pourriture devaient être ôtées du corps dans un geste purificateur et salvateur et cela passait aussi par l’utilisation de plantes dont les parfums venaient contrecarrer les pestilences :

« Les feuilles bouillies dans le vin sont bien essorées et lavées, et bonnes à toutes sortes de blessures et de dommages. Bouillies et délibérées, elles chassent les taches sur le visage, et guérissent allègrement le feu. […] Le jus des feuilles pénètre dans le nez, chasse la mauvaise odeur de celui-ci et retire le noir qui s’y trouve ».

Le bouillon dans lequel les graines sont bouillies doit être utilisé […] pour se laver avec. […] La farine de graines bouillies avec des graines de lin et couvertes, apaise les jours [règles ?] de la semaine et adoucit la mère. Mélangé à du miel, il chasse la [mosey ?] sur le visage et les rugosités. Les graines bouillies dans l’eau et [ ?] lavés avec elles en chassent la puanteur[48].

À l’inverse d’une société qui cherchait à comprendre l’irrationalité des fléaux que sont la maladie et la mort, Leonhart Fuchs cherchait à expliquer la mort d’une manière plus rationnelle, en tout cas plus concrète. Nous pouvons le constater en lisant ses traités médicaux et spécifiquement le Methodus seu ratio compendiaria cognoscendi veram solidamque medicinam (1542). Dans le chapitre XXII, « De rerum praeter naturam numero », sur la nature des choses, il établissait que sa méthode permettait de trouver ce qui modifiait l’état du corps (« rerum que corpus nostrum alterare possunt »), de nommer la cause (« causa ») qui amène la mort (« morbus »), et de déterminer les symptômes de la maladie, selon les préceptes hippocrato-galéniques. Il y développa un schéma structuré comme suit : « 1. Causa, qui morbum praecedit. / 2. Morbus, a quo primum vitiatur actio. / 3. Symptoma, qui morbum sequitur[49] ». Dans sa manière de lutter contre les maladies, Leonhart Fuchs structura un art médical (ars medica), plus technique et plus rationnel, entre ingenium sanitatis et ingenium curationis[50]. Toutefois les gestes et la pratique naissaient d’une considération globale du fonctionnement du corps et de l’esprit, et de leur lien avec la nature. Cette philosophie naturelle, nouvelle perception des objets naturels chez Leonhart Fuchs[51], prenait la forme de réflexions portant sur le corps humain comme partie intégrante de la nature et est rattachée aux théories antiques du corpus hippocratique ou galénique qu’il décrivait dans son préambule :

« Quant aux vertus des plantes que nous mettons par ordre, de Dioscoride, Galien, Aéce, Paul, Simeon, Pline, si par un consentement elles sont confirmees de tous, il les faut recevoir. Mais là ou il y aura discord entre eux, tu ensuivras Galien sur tous les autres, comme celuy qui ayant inventé les facultés des plantes, les ha par mesmes esprouvees, par une longue experience[52]. »

L’écriture du médecin-botaniste est habituée à la pratique académique et universitaire. Il n’a pas rompu avec sa culture scolastique du Moyen Âge, entre trivium et quadrivium. Son statut de professeur à la chaire de médecine à l’université de Tübingen, sous la protection d’Ulrich vi de Wurtemberg, le fit activement participer à la réforme protestante des enseignements de son université. Fuchs superposait à la lecture scrupuleuse de la Bible et des Évangiles et au respect de la materia medica antique, une lectura simplicium : un enseignement botanique, strictement tourné vers les plantes, mais dans un but utilitaire (médicinal)[53], centré sur les notions d’« utilité et nécessité[54] ». Leonhart Fuchs était un philologue « antiquarianist[55] », commentateur accoutumé à la glose dans son De medendi methodo libri quatuor; Hippocratis coi de medicamentis purgantibus libellus iam recens in lucem editus, publié à Paris par Conradum Neobarium en 1539 et son Methodus seu ratio compendiaria cognoscendi veram solidamque medicinam de 1542. La médecine de Leonhart Fuchs était néanmoins destinée à une élite privilégiée : les étudiants qui suivaient ses cours à la chaire de médecine, ses correspondants avec qui il échangeait parmi les autres savants et naturalistes[56] et ses patients qui étaient bien souvent issus d’une classe sociale élevée tel que le Margrave George de Brandebourg à Anspach ou Ulrich vi de Wurtemberg. Malgré cela, sa volonté de rendre accessible à un plus grand nombre et de faire traduire ses ouvrages en langue vernaculaire, ou « vulgaire » comme il le dit lui-même, démontre chez lui un désir de renouveler les savoirs.

Leonhart Fuchs pratiquait une médecine qu’on peut qualifier d’empirique, autour d’une étiologie complexe et d’une utilisation poussée des sens (goûter, toucher, observer, sentir la plante) mais qui reposait presque uniquement sur les autorités antiques. Il cultivait lui-même des plantes dans un jardin à Tübingen. Ces étapes formaient un temps de « compréhension », avant celui de la « maîtrise » qui a lieu quelques décennies plus tard par les processus de colonisation[57], le rapide développement des jardins botaniques et des cabinets de curiosités. À tout cela, il appliquait la thérapeutique humorale et accordait une importance fondamentale à la connaissance de la nature[58]. L’on pourrait dire alors que Leonhart Fuchs appartenait à la phase de « compréhension » du monde, car il pose les bases de la « botanique », soit l’étude des plantes, tout en s’appuyant sur une relecture des sources de l’Antiquité. Sa volonté était de proposer une liste exhaustive de plantes, projet qu’il ne réussit pas à terminer entièrement à sa mort. Il justifia sa méthode dans la préface de L’Histoire des plantes :

« […] combien c’est chose delactable et encores utile et necessaire, ou pour perpetuer la santé presente, ou pour r’appeller celle qui n’y est (chose que l’homme doit avoir la plus chere et la plus souhaitable entre toutes) de congnoistre en perfection soit par methode, soit par experience, les Plantes, et leurs vertus […][59]. »

Le salut de l’âme ?

Le De historia stirpium a l’allure d’un catalogue de conseils et de vertus qui s’égrènent tels des préceptes : « il faut », « il doit », martelait Leonhart Fuchs. Le naturaliste n’était cependant pas avare de qualificatifs pour juger qu’une chose était belle, bonne, de bon goût, de bonne odeur. Ses descriptions offraient un panorama visuel et aromatique de la plante qui rendaient la lecture de l’herbier étonnante à bien des égards :

« La Pensee est une herbe qui du commencement ha la fueille ronde, crenelee par les environs, & plus longues par succession de temps : la tigette triangulaire, cavee par le dedans, & un peu ridee, & noueuse par intervalles : d’où sortent longues queues de la cavité des aesles, esquelles par les sommets les fleurs resplandissent, selon la figure & espece des violettes purpurines, & hont lesdictes fleurs leur partie d’en haut purpurine, le milieu blanc, & le bas jaune, & sont divisees par certains rayons noirs. Tombans ces fleurs, la graine commence à s’enfler. Le lieu. La Pensee vient quelquefoys d’elle mesmes parmy les champs. On la plante toutesfoys és jardins, & y vient plus belle[60]. »

Nous avons analysé ici la plupart des plantes inscrites dans l’herbier que son auteur avait jugées nécessaires à l’homme et à la femme de la Renaissance (sauf mention contraire par Fuchs lui-même). Ce critère utilitaire n’est pas le seul qui puisse apporter une aide au malade : la beauté semblait, de fait, le critère le plus proche de ce qui est bon. Nous découvrons parfois dans l’herbier des promenades sensorielles, des paysages et des moments de poésie qui laissaient entrevoir le goût de Leonhart Fuchs pour la littérature, la philologie et la simple beauté des choses, toujours inspiré par les sources anciennes qu’il citait abondamment :

« Du Grateron. Chap. XIIII. Philantropos nom d’humanité, de doulceur, & courtoisie luy est imposé parce que, c’est une herbe doulce & gracieuse : & qui retient les robbes des passans, ainsi que les amys, & hostes hont de coustume de retenir par la robbe leurs amys se voulant departir l’un de l’autre : ou s’ilz ne peuvent les retenir, ilz les convoyent un peu loing. Laquelle appellation tres bien expriment les Allemans, quand ilz la nomment Bleb Kraut[61]. »

Le botaniste se laissait aller à recopier de longs passages sensibles des Anciens, comme celui de Galien racontant sa jeunesse perdue et sa vieillesse ennemie dans le chapitre sur la laitue[62]. Le vocabulaire pour décrire le végétal est anthropomorphique, centré sur le corps humain et délivre de surprenantes métaphores. Les parallèles sont flagrants et subtilement distillés au gré des notices descriptives. Dans le chapitre CXXIIII sur l’ache, on lit que celle-ci a la « chevelure comme celle de Rosmarin, pleine de fleurs, & ramassee en petis corymbes, ou en forme de raisins de Liarre[63] », sa « semence » est noire, « ferme, aspre et odoriferante ». La « guesde » ou pastel au chapitre CXXVI a des petites feuilles « en forme de langues, pendantes en bas, dedans lesquelles est contenue la greine ou semence[64] », et la mandragore est directement assimilée à un être anthropomorphe au chapitre CCII, puisque Pythagoras l’appelle « Anthropomorphon, pour raison de la forme humaine, que sa racine semble representer[65] ».

Les vertus ne se trouvaient dès lors plus uniquement dans tel ou tel objet végétal, mais au détour d’un chemin, en haut d’une montagne, sur le mur d’un jardin, à travers les champs, dans les marais et en bordure d’une forêt. Le corps vertueux et, au-delà de celui-ci, l’âme, trouvaient leur salut dans la contemplation du monde que Dieu avait créé.

« D’avantage le merveilleux plaisir qui secrètement prendre place en vostre esprit, par la contemplation de si grand nombre d’especes de Plantes, vous invitera à prendre la tuition & defense de la matiere des herbes & de la Medecine. Et y ha il chose plus esjouyssable & plus delectable, que ficher ses yeux sur les Plantes, que Dieu d’extreme bonté & grandeur, ha peinctes de tant de diversité de couleurs, ha attournees de fleurs de grace si singuliere, la couleur desquelles oncques ne peut estre representee par les peinctres, les ha ornees de tant de graines, & tant de fruict, dont on se sert grandement & en la cuisine, & en la Medecine ?[66] »

Ne pas écouter les superstitieux : la vertu intellectuelle

Pour Leonhart Fuchs, la « vraye médecine » devrait éliminer les superstitions et particulièrement celles qui relèvent d’autorités dont il appréciait peu le travail. La coloquinte était ici utilisée par beaucoup dans un but que le naturaliste trouvait incorrect. Il critiquait vivement les médecins qui se disaient « prédicateurs évangéliques[67] », s’opposant à Luther et à Melanchthon et quittant Wittenberg pour Ingolstadt. Il pensait alors que ces prédicateurs évangéliques abusaient le « peuple », par de fausses paroles et par un mauvais commerce des plantes :

« La Coloquinte, cependant, est remède très nocif [schadlich] pour l’estomac. Pour cette raison, les autorités devraient interdire les vagabonds (colporteurs ?), juifs et autres médecins, qui purgent le peuple avec cette médecine populaire et féroce qui fait perdre l’esprit. Mais personne ne doit [ ?] laisser les gens mourir. Et aussi de nombreux prédicateurs qui se disent évangéliques, oublient complètement et même leur vocation [première], à laquelle ils devraient répondre honnêtement et avec diligence obéir […] au Christ, mais qui jugent leur [devoir ?] de donner des conseils médicaux, […]. Si Dieu veut que vous donniez les ordres tout de suite, vous auriez vraiment tellement à faire que vous oublieriez la médecine spirituelle, laisseriez le corporel, et ne plairez pas à ceux à qui il s’agit de prescrire. Mais parce qu’ils ne se soucient pas beaucoup des saintes écritures, oui, ils ont une mauvaise compréhension et étudient leur sermon […] ; regardent ailleurs, et en attendant ils oublient quelle est leur profession et leur fonction […][68]. »

Dans cette citation, sa coloquinte est une courge (en hébreu qîqâyôn) dont la symbolique remonte à l’Antiquité et est présente dans le récit biblique lorsque Jonas s’assoit sous un arbre à coloquinte mais reproche à Dieu que celui-ci ne lui donne pas assez d’ombre[69]. Les traductions plus modernes ont ensuite nommé cet arbre « ricin », « lierre », mais les Protestants y voyaient plutôt une coloquinte ou une « courge[70] ». À travers ce passage, Fuchs critiquait l’usage de la coloquinte comme purgatif par des médecins sans scrupules, accusant même les prédicateurs soi-disant évangélistes d’être les colporteurs d’un tel usage et exhortant les théologiens à laisser aux vrais médecins le soin de prodiguer des conseils médicaux aux foules. Fuchs souhaitait ainsi distinguer religion et politique de l’exercice de la médecine et ce fut d’ailleurs cela qui marqua sa division avec Luther et Melanchthon.

D’autre part, les difficultés d’identification sont dues aux critères utilisés pour élaborer un rapprochement, une comparaison entre plusieurs plantes. Ces critères étaient très aléatoires. Chez Fuchs il était question de la forme de la plante pour définir des caractères morphologiques. Il s’agissait là des balbutiements de la science dite botanique. Leonhart Fuchs s’étonna de la différence de couleur, de la présence d’épines, ou de la différence de goût et d’odeur. Ce « squelette de description morphologique[71] » ne lui permettait pas vraiment d’apporter une réponse claire. Ce système autorisait tout de même au naturaliste de contredire les auctoritates ou de dénoncer les mensonges des médecins, en invoquant une argumentation plus ou moins fondée sur un modèle persuasif, c’est-à-dire en prenant des exemples qui interpelaient.

Ainsi donc, le premier conseil du médecin-naturaliste était, comme nous venons de le voir, d’adopter une attitude que l’on pourrait qualifier de vertu intellectuelle rationnelle. Il est possible de comprendre la raison pour laquelle Leonhart Fuchs luttait si ardemment contre les croyances païennes et profanes. D’une part, ses rôles de professeur et de médecin lui conférèrent un esprit critique raisonnant avec rigueur : ainsi toutes les choses qu’il écrivait procédaient d’une vérification par l’expérience et par la vérification des sources. D’autre part, sa position d’humaniste dans l’avènement de la Réforme et ses réflexions consciencieuses le firent agir comme un théologien faisant l’exégèse des écritures saintes en reniant toutes les fioritures et les inventions des catholiques ou des protestants trop zélés comme nous l’avons vu plus haut[72]. Nous pouvons voir dans l’exemple de la description de l’armoise, sa critique d’une certaine interprétation des Évangiles :

« De l’Armoise, ou herbe S. Ian. Chap. XIII. Les Noms […] Les Allemans la nomment en leur langue la ceinture sainct Jean : nom imposé de quelques vieilles, & moynes supersticieux : car ilz en font non seulement des chapeaux mais aussi des ceintures : qu’ils jettent dans les feux, que lon fait en tous quarrefours des villes, le jour de la saint Ian. Je ne say à quel propos, ny à quel effect. Il pourroit estre qu’ilz ayent songé que sainct Jean estoit ceint au desert de ceste dicte herbe[73]. »

L’absinthe (ou armoise) était assez souvent citée dans la Bible[74] comme symbole de l’amertume, du poison ou de la malédiction. Elle était parfois confondue ou traduite différemment d’une région à une autre par aloé ou aluine. Les erreurs d’identifications remontaient à Dioscoride et à des croyances superstitieuses des Allemands relatées par Fuchs, qui s’attachait à reconnaître la plante par sa couleur et par l’aspect matériel de celle-ci (par la forme et les variations de la tige notamment).

D’autres cas dans l’herbier amenèrent Fuchs à identifier des plantes comme vertueuses contre des maladies perçues comme d’origine surnaturelle : le mal des ardents, mal de terre ou le feu Saint-Antoine, les épilepsies, le mal caduc, les convulsions inexpliquées, les paralysies inexpliquées, les songes agités. L’ergotisme, dit feu sacré, sacer ignis ou feu Saint-Antoine, – qu’on sait aujourd’hui être causé par un empoisonnement dû à l’ergot de seigle ou céréales équivalentes –, est une maladie qui effraie au XVIe siècle. Elle est souvent traitée par des remèdes à base de végétaux impliquant une sorte de rituel magique. Pareillement, on trouve à « l’espargoutte » des vertus magiques selon Pline :

« Les magiciens, pour en user contre fièvres tierces, commandent l’arracher avec la main gauche et ce faisant dire pour qui on la cueille et n’y regarder point. Puis mettre la fueille souz la langue du malade, à fin qu’il avalle soudain avec dix dragmes d’eau[75]. »

Le rapport à la pensée magique[76] est ambigu même si dans la plupart des cas, le médecin-botaniste allemand la rejetait. Dans certains cas, il ne commentait pas. Ainsi Fuchs expliquait que la racine de l’angélique était particulièrement bonne contre tout : « soustiennent qu’elle [l’angélique] ha puissance contre ensorcelemens, ou enchantemens, si on la porte avec soy[77] ». Dans d’autres cas, comme pour le polytrichon d’Apulée, Fuchs critiquait les modernes qui « par une folle superstition, luy attribuent et ottroyent beaucoup de choses ridicules et incroyables[78] ». Des plantes étaient nommées à partir de croyances ou en référence à des épisodes mythologiques : le millepertuis surnommé « chasse dyables » par les superstitieux, l’herbe « saincte Barbe », la « morsure du diable », les herbes auxquelles on a donné des noms de saints comme Saint Jacques ou Saint Jean.

Fuchs considérait que les remèdes végétaux trouvés chez Hippocrate, Arétée de Cappadoce ou Galien étaient les plus profitables pour guérir l’épilepsie, maladie faite de crises convulsives spectaculaires qui paraissent issues de causes surnaturelles. C’est au XVIe siècle qu’une « étape importante dans la construction d’un savoir scientifique sur l’épilepsie et dans les progrès de la sémiologie médicale[79] » a été franchie. Cette pathologie était habituellement perçue comme une maladie de l’esprit causée par des démons. La « filipende », la seconde sorte de bétoine, la bétoine, la violette de Mars, le Grand muguet, les herbes de Saint-Jean et la couleuvrée noire sont des exemples de plantes que Fuchs et les Anciens utilisaient pour guérir de l’épilepsie, ou en tout cas, pour chasser le mal. Les plantes calmantes comme l’opium ou la jusquiame pouvaient calmer les crises. L’épilepsie prenait une connotation magique, c’est-à-dire indéterminée, irrationnelle. On l’appelait en effet « mal sacré », « mal comitial », « mal caduc » ou « haut mal ».

Nous avons pu voir ici que Leonhart Fuchs luttait constamment contre les superstitions et les erreurs des Anciens ou des « Modernes ». Sa vision exégétique de la botanique fit table rase des conceptions qu’il jugeait archaïques pour ne garder que ce qu’il pouvait vérifier par lui-même ou alors ce qui ne lui semblait pas relever d’un jugement incorrect, trop hâtif et irrationnel.

Purifier, nettoyer et remédier à l’appétit sexuel : la vertu de tempérance

Les usages des plantes dans l’herbier de Fuchs ne constituaient pas des cas médicaux ordinaires. Ils ne suivaient pas le genre épistémique des « case histories[80] ». Pourtant, quelquefois il s’agissait bien d’« observationes » botaniques appliquées à une littérature médicale. La plupart du temps, nous ne pouvons pas savoir exactement ce qui provenait de ses propres observations ou ce qui venait de choses qu’il tenait pour vraies sans les avoir vérifiées. Parfois, Leonhart Fuchs s’interrogeait, corrigeait, émettait des doutes, donnait quelques précisions personnelles, certainement parce qu’il en faisait l’expérience dans sa pratique. Par exemple lorsqu’il dit « « Si lon lave la teste, de lexive en laquelle ait cuict ladicte herbe elle fortifie le cerveau, & renforce la memoire. Son suc meslé avec une drogue nommee Pompholix, est profitable pour les yeux esblouis ou qui berluent[81] », la question se posait : avait-il véritablement éprouvé la lessive d’Asarum pour nettoyer la tête et le visage ? Cette observation, si elle paraît banale, possède l’avantage de présenter un cas concret de l’utilisation d’une plante, usage qu’il a pu constater lui-même ou recueillir d’un témoignage. Cette utilisation est rapportée dans la rubrique « Appendix » où Leonhart Fuchs faisait état de propriétés ou de vertus des plantes et de leur application sur le corps, par voie interne ou externe, sans citer de sources, même si celles-ci sont sous-entendues. Les nombreuses rubriques-appendices et les remarques personnelles de Fuchs montraient que sa pensée médicale s’est construite sur une accumulation d’expériences, d’exempla servant de modèles ou de précédents médicaux. Tous s’inscrivaient dans un contexte que nous avons commencé à dépeindre précédemment, et dans un cadre culturel et social qui engendra les mœurs d’une partie de la société du XVIe siècle, ici dans le Saint-Empire romain germanique.

Revenons à nos vertus corporelles, à notre corps sain et vif dont tous les médecins du XVIe siècle se font les grands dispensateurs. La peste (le fléau, pestis), existe sous deux formes (bubonique ou pulmonaire). C’est seulement au XVIe siècle que Jérôme Fracastor contesta le fait que la maladie se transmettait par voies aériennes et proposa une contagion par contact d’homme à homme ou d’animal à homme, même si cette pensée persistait dans certains milieux. Les initiatives pour endiguer la peste étaient l’isolement des villes et villages atteints. Cet isolement modifia les habitudes de toute une société qui vivait dans la promiscuité, dans les espaces restreints et insalubres des villes ou entourés d’une cour et de serviteurs pour les élites les plus fortunées. L’apparition soudaine des traces de maladie visibles sur le visage et le corps faisait très peur, qu’il s’agisse des pustules des pestiférés, des croûtes des lépreux, des gangréneux, ou des brûlures des malades de l’ergotisme. La notion de « pureté » commença à influencer la manière de vivre des individus de la Renaissance. Les usages alimentaires changèrent également. Leonhart Fuchs rapporta au sujet du « saffran sauvage » ou « saffran bastard », appelé « chardon beneict » (chardon béni) qu’« Ilz disent celuy n’estre attainct de la peste qui en prend ou au manger, ou au boire. Mesmement le vulgaire s’est persuadé qu’elle aide grandement à ceux, qui en sont attaincts[82] ». On apprend donc qu’on utilisait une partie de cette plante, l’épine, que l’on trouvait dans les montagnes et dans les champs pour lutter contre la peste. Leonhart Fuchs concevait qu’il faille écouter les autorités anciennes à ce sujet, tel Galien, car elles avaient vécu de nombreuses épidémies de peste. Par conséquent, il conseillait le « pied de veau » ou « vit de prestre », dit arum en latin, que l’on trouvait dans les bois et les lieux ombrageux, froids et humides. La plante était profitable en temps de peste selon Pline qui citait Hippocrate : « Hipocrates y mettoit aussi la racine. Lon dit qu’elle est fort bonne à en user en viandes, du temps de peste[83]. »

Par ailleurs, lors des épisodes de peste, c’est l’olfaction qui est primordiale parmi les sens du médecin. Sens et vertus morales étaient intrinsèquement liés. C’est en effet souvent le mauvais air qui était vu comme la cause des pestes. L’odorat était un des sens dont la valeur venait renforcer l’idée que la vue ou l’ouïe, pour leur part, procédaient d’une conception médiévale sur le péché car ils étaient les deux sens qui engendraient tromperie et manipulation. Ce sens tenait une place particulière dans l’herbier de Fuchs. Il avait de très grandes vertus comme le montrent les propriétés d’une fleur telle qu’une des sortes d’angélique/benjoin dans la traduction française :

« On n’ha pas encore peu savoir si ceste herbe ha hesté congnue des Anciens, & si elle ha esté congnue, de quel nom elle ha esté appelée. […] Mais les modernes l’appellent tous d’un accord, Angelique, & Racine du sainct Esprit : à raison de l’odeur tressouefue, & gracieuse que rend sa racine : ou bien de la vertu insigne qu’elle ha contre les venins[84]. »

L’angélique pousse dans les jardins et fleurit en juillet et en août. Leonhart Fuchs se basait sur la description qu’il avait trouvée dans les « herbiers modernes ». Selon les « modernes », la plante « ouvre, subtilie, elle resoult, & digere[85] », elle était efficace contre les venins et contre les infections et « & air contagieux de la peste[86] ». Une fois encore cela confirmait que c’était bien l’« air » qui était mis en cause dans la propagation et la contagion de la maladie à cette époque. Fuchs poursuivait en décrivant la qualité de l’angélique qui écartait « toute maladie pestifere » du corps « si seulement (comme ilz afferment) on la tient en la bouche[87] ». Par cette tournure de phrase « ilz afferment », nous voyons que Fuchs se déchargeait de toute responsabilité vis-à-vis de cette explication quelque peu irrationnelle sans pour autant l’exclure complètement en la censurant. S’ensuivaient des conseils d’utilisation selon les saisons (l’hiver avec du vin, l’été avec de l’eau de rose, un parfum encore une fois très subtil et délicat) et des indications contre toute contagion, en chassant le venin par les urines et les sueurs. L’édition française de Guillaume Rouille en 1558 ajoutait dans les « annotations » que l’angélique sauvage est « désiré(e) » donc très demandée par ses habitants. Se garder des mauvaises odeurs et du mauvais air était une des conditions qui permet le fonctionnement vertueux du corps humain par la médecine prophylactique.

D’autres plantes viennent appuyer cet argument. La bétoine, ou « seconde sorte de Betoine » décrite au chapitre 134 de l’herbier de Leonhart Fuchs est une plante déjà décrite auparavant par Paul d’Égine, Pline et Dioscoride. Dans une partie intitulée « selon quelque autheur incertain », Fuchs dit que le suc ou le jus de la bétoine étaient bons pour empêcher la corruption de l’air et l’infection de la peste. On trouve aussi, le persil d’âne et la pimprenelle (sanguisorbe) et enfin la croisée, dont les vertus étaient décrites par les modernes comme grandement utiles contre la peste et contre le mauvais air (« mauvais aër »)[88].

Au sein du groupe des maladies qui instaurent un climat de suspicion, des préconisations médicales strictes et la dénonciation de vices, nous nous sommes penchés sur la syphilis, ou morbus gallicus, très présente dans l’herbier. C’était une maladie vénérienne appelée « vérole », propagée par l’acte sexuel et une maladie « mythifiée[89] », dont le nom syphilis est tiré d’une fable mythologique, puisqu’elle est souvent l’objet ou le sujet d’écrits qui recourent à des « mythes fondateurs, issus de la Bible ou de la mythologie antique[90] ». Le poème de Fracastor sur la syphilis[91] décrit la maladie mais aussi les moyens de contagion et les moyens d’y remédier. Certaines parties du poème décrivent les moyens thérapeutiques mis en œuvre pour soulager les douleurs, combattre les semences infectieuses, éviter leur dispersion et ont valeur de consilium. Fracastor énonce les règles d’hygiène, les « régimes », les cures et remèdes végétaux, animaux et minéraux alors en usage[92].

Chez Leonhart Fuchs, les précautions ou cautelae employées pour empêcher la maladie et les moyens prophylactiques mis en œuvre étaient en fait toute une gamme de remèdes uniquement à base de plantes, pour une pharmacopée constituée de médicaments simples ou composés. Au cœur de ce dispositif descriptif, notons des recommandations d’hygiène quotidienne pour le patient sous la forme de prescription de durée, dosage ou moyens d’application, de consommation ou encore sous forme d’interdit des pratiques honteuses. Comme chez Fracastor, pour évacuer une maladie faites de « mauvaises humeurs » ou de virus, Fuchs avait recours à des végétaux : « émétiques, sudorifiques, purgatifs et diurétiques[93] ». Les publications des différentes éditions du Syphilis sive morbus gallicus de Fracastor précédaient la parution du De historia stirpium, pour autant il est difficile de dire si Fuchs en avait lu quelques passages dans des éditions telles que celle de Bâle en 1536 chez l’éditeur Johann Bebel[94]. Dans le Livre II de son poème, Fracastor établissait quelques remèdes. Comme la syphilis était induite par l’acte vénérien, toutes les plantes qui poussaient à « paillardise » ou aux « jeux de l’amour » comme le dit Fuchs, étaient à retirer de l’alimentation. C’était là une précaution permettant de prévenir la maladie. Ainsi on ne devait consommer ni artichaut, ni concombre, ni bulbes aphrodisiaques[95]. Et chez Fuchs, on trouvait le lis d’étang, les pastenades ou les carottes, dont les formes étaient suggestives et fortement symboliques. Fuchs donnait l’alerte au sujet des dangers du vin qui faisait tourner la tête, notamment l’absinthe. Il faisait mention de la syphilis dans son New Kreüterbuch et ses diverses traductions à travers la « buglosse sauvage » dite « echium vulgare », ou « echion » en latin, et « herbe aux vipères » par Dioscoride. Celle-ci était décrite en des termes accusateurs pour un mal qu’on surnomme à cette époque « le mal français » :

« Des langues de chien. Chap. CLV. La racine est desséchée et réduite en poudre, bue dans du vin rouge, […]. On peut aussi utiliser cette racine pour toutes sortes de dégâts et blessures, mais particulièrement pour les mauvais chancres de la bouche, et la maladie française[96]. »

Les herbiers des éditions publiées en France (1549 puis 1558) ne mentionnent pas littéralement la syphilis, ou se gardent bien de traduire ce passage. En tout cas, une des autres vertus dont devaient faire preuve les hommes et les femmes du XVIe siècle concernait bien l’absence d’excès de luxure : c’était la vertu de tempérance.

De plus, la version française de 1558 de l’herbier de Fuchs recensait dans un index des pathologies au cours desquelles apparaissaient des chancres. Les chancres sont des ulcérations isolées de la peau ou des muqueuses constituant le stade initial de plusieurs maladies contagieuses, le plus souvent vénériennes[97], ou bien provoquées par des parasites ou bactéries comme la gale. Dans ce terme de « chancre » Fuchs ne voyait pas forcément un signe de maladies vénériennes, cependant il donnait de nombreux traitements contre ces chancres, ce qui nous laisse à penser que les maladies vénériennes et les maladies causées par des parasites étaient très courantes. La « joubarbe », par exemple, traite les symptômes de type « feuz qui sont chancreux : semblablement aux inflammations qui proviennent de quelque defluxion[98] ». L’anis était une plante qui selon Pline, mise dans les narines et frottée avec de l’eau, guérissait les chancres et les ordures qui viennent dans le nez[99]. Le rapport entre les chancres et le nez est connu par la médecine d’aujourd’hui. En effet, les syphilides papuleuses, papules lenticulaires de 3 à 10 mm de diamètres, fleurissent parfois au niveau des sillons naso-géniens du visage, et les manifestations cutanéo-muqueuses telles que les gommes peuvent s’ulcérer au niveau du nez et provoquer la destruction des os propres du nez. Le suc du pied de veau ou arum guérissait, toujours selon Pline, toutes sortes d’ulcères, phagédénisme[100], carcinomes, ou polypes. L’ortie de Dioscoride en était un bon remède :

« Les fueilles de l’une, & l’autre appliquees avec du sel en forme de cataplasme guerissent morsures de chiens, la chair morte, les ulceres malings, & coulans, membres desmis, les durillons gros, & enflez, chancres, apostemes derriere les aureilles, abcès de glandules[101]. »

Toujours dans le chapitre XXXVII de l’ortie, mais cette fois selon Pline, celle-ci appliquée avec du sel guérissait les ulcères chancreux et boueux. Le savinier, ou sabina en latin, aurait eu la même qualité que l’ortie sur les « ulceres corrosifs et ambulatifs[102] ». Le porion ou oignon sauvage était profitable une fois appliqué sur les « parties chancreuses & mortifiees des podagres appliquez avec miel, voire de soy seulz […][103] ». Toutes ces plantes composaient une pharmacopée complète contre toute une catégorie de plaies, ulcérations, lésions, tumeurs, abcès, qui étaient inflammés, infectés et qui suppuraient. Le corps devait en être totalement dépourvu pour paraître en bonne santé. Prévenir les maladies passait par l’hygiène notamment par les bains, ainsi la lavande était utilisée pour se laver : « par ce qu’elle est desiree pour les bains et lavoirs des hommes : et que meslee avec l’eau elle rend toutes choses nettes par la bonté de son odeur. C’est nostre lavende[104] ». L’origan et l’herbe à foulon étaient également utilisées dans ce même domaine. Pour prévenir d’une maladie ou d’un mal, on portait parfois la plante en collier, en bracelet, accrochée aux vêtements, comme le « chardon Nostre Dame », le « satyrium royal » ou l’armoise. Enfin, on purifiait l’air des maisons pour prévenir de toute contagion, avec du romarin brûlé, de la quintefeuille ou de la verveine.

Du côté des hommes, le soin de leur corps devait passer par une attention particulière envers ce que Leonhart Fuchs appelait leur membre viril. Bien souvent, ces derniers étaient qualifiés de « parties honteuses » qu’il fallait cacher car elles révélaient un comportement sexuel réprouvé. Les maladies qui atteignaient le membre viril étaient très certainement liées aux maladies sexuellement transmissibles. Dans les descriptions qui suivaient, les atteintes étaient même ulcéreuses comme avec le troène au chapitre CLXXXIII : « Les modernes disent que le jus de Troesne guérit ulceres de bouche & du membre viril[105] ». D’autres exemples encore venaient illustrer cette obsession du membre viril :

« De la courge, ou courle Chap. CXXXIX. Nous avons apprins des gens fort experimentez, que ladicte cendre peut purger tous ulceres de la verge ou membre viril, encores qu’ilz fussent desjà convertis en pourritures, & les mener à cicatrice. On donne telle vertu à la semence sechee de la courge, qu’estant mise en poudre, & semee, ou respandue sur les ulceres cavez & creux, elle les remplit & meine à cicatrice[106].

Du pied de Veau ou vit de Prestre Chap. XXII. Le vulgaire, par ce qu’il produict comme un pestul presque semblable à un membre viril sortant hors, l’appelle vit de Prestre. Ce qu’aussi les Allemans font, qui en leur langue l’appellent vit de Prestre[107]. »

La médecine de Fuchs était composée implicitement de préconisations d’hygiène corporelle, de styles de vie ou de régimes[108] adaptés à chacun, et dont la tradition antique permettait d’instaurer un code diététique pour l’alimentation, avec exercices physiques quotidiens. Également, ses préconisations tenaient compte de savoirs « vulgaires » dont on n’a peu de traces dans les imprimés de l’époque moderne et que l’on pourrait qualifier de « savoirs précaires » tels que Martin Mulsow les définissait, c’est-à-dire, des savoirs qu’on ne définit plus comme une opinion vraie justifiée, et des savoirs précaires car incertains, épineux, délicats, problématiques ou révocables[109]. Pour Leonhart Fuchs, le « vulgaire » signifiait ici « usage populaire des Allemands » et constituait donc un savoir non pas vérifié par la médecine ou la science, mais par la population.

L’herbier faisait l’inventaire des problèmes de santé et d’hygiène auxquels devaient faire face les Allemands du XVIe siècle[110]. Fuchs mentionnait les problèmes d’haleine, ou de puanteur de bouche que l’iris résolvait par exemple, les problèmes respiratoires, les toux, contre lesquels on utilisait l’avoine, le pas d’âne, la guimauve ; les problèmes d’appétit, les problèmes de vermines, notamment les « artres et tignes », les « dartres » les poux, les puces, les vers, les rats, etc. Il passait en revue les solutions pour l’hygiène des oreilles et de l’« ouye », pour l’hygiène de la bouche. Il traitait de la fatigue, de l’hygiène du visage, de la « face » dans la traduction française, des rides, des taches, des imperfections, des croûtes, des poireaux, des cheveux et des poils de visage, ou encore de l’hygiène du nez, du membre viril, et celle des maux de dents et des gencives qu’il apaisait avec le « soulfy ». Le flux de sang était régulé par les herbes à plaies, ou chez les femmes, par la sanguisorbe. Il décrivait aussi des maladies des humeurs déréglées, déséquilibre de la cholère, du flegme et de la pituite. Il abordait les problèmes de luxure avec l’angélique qui éteignait les appétits charnels, tout comme des problèmes au sujet de l’esprit contre les trous de mémoire ou le manque de sommeil, soignés par l’euphraise, le saffran bastard, le cabaret, le romarin. Les plantes qui provoquaient des rêveries, cauchemars ou sommeil étaient nombreuses : la mandragore, le pavot cultivé (opium), l’aneth, le coquelicot, le poireau, la fève, etc. Fuchs envisageait les vertus morales lorsqu’il décrivait les propriétés de quelques plantes qui empêchaient des attitudes désordonnées, des crises d’hystérie, des excitations et autres emportements. L’aneth calmait les sanglots, le romarin par son odeur apaisait et les drogues comme l’opium amenait le patient vers un état de léthargie. La « bourrache » menait, elle, à la liesse et à la gaieté. D’autres comme la menthe et la roquette provoquaient les appétits charnels, la « cheruy » (siser) provoquait l’appétit tout court.

Cet utilitarisme, ou pragmatisme face à l’utilisation des plantes pour corriger la sexualité de chacun et de chacune que l’on retrouve chez Leonhart Fuchs, découle d’un « refoulement des pulsions », théorisé par Norbert Elias dans La Civilisation des mœurs (1939). Il n’y avait pas, pour l’homme et la femme du XVIe siècle, de possibilité de penser l’acte sexuel en dehors de la sphère intime ni même en dehors de l’objectif procréatif, en tout cas pas sans l’accord tacite des parents ou des tuteurs en vue d’un mariage. Cependant, Norbert Elias semble exagérer cette transition des mœurs car cet argument n’est pas neuf puisque cette injonction à la sexualité saine et « procréatrice » existait déjà dans le corpus hippocratique, et même dans la Bible. On consommait diversement persil, ortie, oignon, panais, graines de moutarde, artichauts, pour éveiller le corps aux plaisirs charnels. Nous étions là entre rituels païens et religion chrétienne scrupuleuse de la Bible qui conseille les plaisirs charnels incarnés par la forme mythique du couple d’Adam et Eve dans le Jardin d’Eden (cf. la Genèse), puisque « Lorsque Dieu a créé l’homme, la femme et les animaux, Il a mis en eux cette impulsion uniquement pour qu’ils croissent et multiplient[111] ». Pour les naturalistes du XVIe siècle, rappeler cette forme mythique du couple biblique était essentiel car : « le couple, légitime et procréateur, fait la loi[112] ». Cette image participait d’un pouvoir moral et religieux qui contrôlait le corps physique[113].

Les vertus du corps féminin matriciel

Leonhart Fuchs encourageait l’acte sexuel comme acte générateur. En cela, le médecin allemand était prodigue en recommandations lorsqu’il s’agissait des femmes dont il parlait plus volontiers de la « matrice » que du reste du corps. Certes, il ne faisait que perpétuer la vision traditionnelle antique et médiévale mais il ne cherchait aucunement à dévier de cette conception archaïque de la femme[114]. Parmi ces très nombreux exemples, on peut citer des plantes qui servaient à guérir la matrice de ses « vices » par des vapeurs parfumées ou encore des plantes qui amélioraient la fertilité des femmes : « D’Ameos, ou Poivrette Chap. XXI. L’on dit que les femmes qui la flairent en l’acte venerien, en conçoivent plus facilement[115] » :

« Du Seu Suzeau, ou Suyer Chap. XX. La racine cuicte en vin & mangee avec les viandes, donne secours aux hydropiques. En mesme sorte prinse en breuvage est bonne contre les morsures des viperes, elle ramolist & ouvre le conduit de la matrice & parfumee en siège, guerit les vices & maux qui sont à l’entour de ladicte matrice[116]. »

Fuchs parle d’ailleurs de l’hystérie, de la fertilité comme de l’infertilité. La stérilité est un problème que certaines plantes corrigent. Il arrive que parfois, les constats des uns viennent contredire les autres. C’est le cas du persil des jardins. Selon Pline :

« Et que soyent hommes ou femmes qui en mangent, ilz deviennent steriles. Et que les enfans qui testent le laict d’une femme accouchee qui aura mangé du Persil, tomberont en Epilepsie. Et que toutefois l’enfant masle sera moins subject à prendre le mal[117]. »

Nous voyons là un exemple donné à la valeur du masculin et à un enfant mâle. Sur la même page, Fuchs remarque que selon Syméon Sethi, « le Persil rend les femmes plus promptes au jeu d’amours[118] ». La femme est fréquemment vue au prisme de sa sexualité et de son utilité au sein d’un foyer, notamment pour l’enfantement. Chaque vertu des plantes se focalise sur la fonction génératrice de la femme : être belle (nettoyer son visage, prendre soin de son teint, de ses cheveux, etc.), être bien portante pour être fertile, être sexuellement active, s’opposant ainsi à l’idéal de virginité[119]. C’est « l’inquiétude du salut, la revalorisation du mariage […] » qui explique « la multiplication, à partir du XVIe siècle, des traités qui abordent le thème de la sexualité dans le cadre du mariage[120] », traités qui viennent consolider des normes toujours influencées par la morale chrétienne, où la chrétienne n’a le choix qu’entre deux solutions : virginité ou mariage.

Il existe néanmoins d’autres usages que des plantes pour favoriser la fertilité. Les vertus des plantes chez les femmes[121] avaient souvent un lien avec le « flux des femmes », flux menstruel ou « blödigkeyt » en allemand et une plante sur deux avait vertu de faire apparaître les règles quand d’autres avaient pour effet de diminuer les « fleurs des femmes ». Certaines plantes avaient même une connotation féminine comme la « violette des Matrones » que cueillaient les femmes pour leurs maladies de femmes. Dans les plantes ayant vertu pour les femmes on trouve pêle-mêle : le laurier alexandrin, la carotte, le « petit genest », la pivoine, l’herbe aux aulx, l’armoise, le plantain, le trèfle des prés, le bouillon blanc qui nettoie les visages de leurs imperfections, la sanguisorbe pour les règles, la « saulge sauvage » et le persil de roc, la limoine, le « soulfy », etc. D’autres plantes étaient recommandées aux femmes dans des cas extrêmes, pour leur vertu purgative, ou bien les femmes étaient mises en garde à cause des vertus abortives[122] de quelques plantes, comme la gentiane, le cresson, la menthe aquatique, la berle, le passe-velours, la camomille qui tire l’enfant mort de la femme, la rue, le sénevé sauvage, le pain de pourceau et l’ellébore noir bâtard. On trouve de nombreux autres usages salutaires des plantes destinés aux femmes : pour que le lait soit abondant, pour les « maladies secrètes et intérieures des femmes » comme le disaient Fuchs ou Dioscoride, pour les fleurs des femmes (flux menstruel), pour la santé des « mamelles » et de la poitrine, pour le flux blanc des femmes, pour les problèmes de matrices ou amarry, on utilise rue et fenouil. Les conseils de médication féminine prenaient quelques fois la forme d’une amulette ou d’un talisman que la plante représentait symboliquement. Le botaniste allemand retranscrivait ce que Pline donnait pour vertu à l’aurone :

« L’on dit qu’un rameau de ladicte herbe mis soubz le chevet, engendre enuye de habiter avec les femmes, et que c’est un souverain remede contre tous les enchantemens et fascinations qui empeschent d’avoir affaire aux femmes[123]. »

Même Leonhart Fuchs n’échappait pas au cliché superstitieux de la théorie des signatures[124] lorsqu’il s’agissait de médecine des femmes, il racontait avec assurance :

« Les vertus. Il est assés apert par les choses que nous avons dit, que les deux Sanguisorbes, hont une efficace singuliere pour restreindre & supprimer les flux de sang, tellement qu’aucuns asseurent pour tout certain, que si on les porte seulement à la main, elles arrestent le sang de quelque part qu’il sorte. Asseurement c’est une chose congnue par expérience, qu’on ne sauroit trouver meilleur remede pour guérir le flux des femmes, que ces herbes[125]. »

La pratique de Leonhart Fuchs pâtit d’un manque de connaissances sur le corps des femmes dont il a probablement appris le fonctionnement à travers Maladies des femmes du corpus hippocratique. De ce fait, « la démarche analogique s’impose comme une nécessité[126] », à la fois dans les comparaisons aux organes mâles mais aussi dans la conception du végétal et de son usage concernant les femmes, « représentations mentales, nourries de traditions savantes et de préjugés populaires […][127] ».

Protéger l’enfant, contre poisons, poils et agitation : la vertu de prudence

Bien que peu valorisé dans les écrits des médecins du XVIe siècle, l’enfant a connu un regain d’intérêt dans les études historiques contemporaines[128]. L’historienne Danielle Jacquart fait remarquer qu’à la Renaissance, il y a eu un désintérêt pour l’enfance, au profit du monde des adultes[129]. Nous n’avons pas inventorié le nombre de fois où le mot « enfans » apparaît chez Fuchs mais nous pouvons dire que ces derniers ne sont pas marginalisés dans l’ensemble du De historia stirpium. Pour les enfants nous trouvons la pivoine, la rose (contre le « haut mal », l’épilepsie), la tortelle, le laurier alexandrin, l’armoise, le plantain, la pensée, etc. L’herbier n’évoquait que rarement la puberté mais on note que l’arrivée des poils chez les enfants était quelque peu honteuse et qu’il fallait la retarder. L’« herbe à laict » faisait, pour cela, tomber les poils, tout comme le suc du figuier. La racine de jacinthe leur « engarde de sortir le poil au menton, & parties honteuses[130] ». Cette habitude n’était-elle pas tributaire des sources de l’Antiquité ? Une autre indication nous est donnée, sur leur loisir et occupation, dont le bleuet avec lequel ils faisaient de l’encre pour peindre dans les livres les lettres de l’alphabet. Il était souvent question des enfants morts dans le ventre de leur mère, du fait de la forte mortalité infantile. L’hygiène de l’enfant paraissait aussi essentielle que celle de l’adulte :

« Du Cerisier & des Cerises. Chap. CLXII. Addition. Il y en ha qui enseignent que la gomme qui distille du Cerisier, est medicinale contre la toux inveteree, & que la prenant avec du vin, elle adoucist les aspretés du gosier, & qu’elle chasse toutes fascheries, & fait revenir l’appetit. Outre plus qu’elle rend la peau & le cuir de plus belle & vive couleur, & qu’elle esclaircist la veüe, & qu’elle guérit les rongnes & dartres des petits enfans[131]. »

L’enfant n’était pas exempt des dangers liés à une méconnaissance des plantes qui l’entouraient. Il est en effet plus à même de mourir par empoisonnement et son petit corps n’était pas capable de tolérer une dose de poison aussi minime fusse-t-elle. Sur la morelle au chapitre CCLXV de la traduction française, Leonhart Fuchs s’inquiétait de la quantité de morelle qui s’avérait dangereuse pour l’homme et il se remémorait un cas dont il avait entendu parler :

« Mais quant à nous, nous n’avons grand soucy, en quelle manière elle secourt aux pourceaux, ains plus tost nous considerons quelle puissance est ce qu’elle ha sur l’homme : veu qu’il est manifeste, qu’il y ha aucunes choses qui servent de viande aux bestes, qui sont poison à l’homme. Et ha l’on congnu par experience, qu’il y ha eu deux enfans qui sont morts soudain, aprés avoir mangé des grains de ceste Morelle[132]. »

La vertu dont il est question ici est la vertu de la prudence. La protection de l’enfant est mise en avant contre tous les poisons et les venins, on lui donnait à avaler le suc des grains de phaséoles épineux par exemple. Les fréquentes occurrences des termes « enfans morts » laissent penser que le décès précoce de l’enfant est toujours la hantise de la société de la Renaissance mais semble aussi être une expression banalisée par ses nombreuses apparitions, ce qui rappelle la phrase de Montaigne dans les Essais, II, « J’ai perdu deux ou trois enfans en nourrice, non sans regrets ni sans fascherie[133] ». Les nombreuses études démographiques sur cette période ont montré que les cimetières accueillaient bien plus d’enfants et de jeunes que d’adultes en proportion[134]. Le garder en vie malgré la mortalité avant, pendant et après l’accouchement demeurait un impératif pour garantir une descendance. Leonhart Fuchs eut lui-même de très nombreux enfants. Si l’enfant était souvent cité comme destinataire de certains remèdes, il ne paraissait pas avoir une importance signifiante aux yeux de Leonhart Fuchs, en tout cas, il ne remplissait pas de fonction particulière au sein de la société. Ce dernier détaillait le physique des enfants en retranscrivant les préconisations de Pline, Galien ou Dioscoride pour leur blondir les cheveux, les faire sentir bon avec l’iris ou la flambe, leur noircir les yeux avec des noisettes pilées ou leur assurer un beau teint, leur jeter les vers hors du ventre avec l’armoise, les empêcher d’avoir mal avec le plantain, leur panser leurs blessures avec le « pied de lyon » (chapitre CCXXXIIII) et le laurier alexandrin, au chapitre LXXXVII porté en collier leur évite un trop plein d’humidité dans le corps. Comme nous l’avons vu précédemment, l’enfant mâle paraissait valorisé par rapport à l’enfant femelle. Cette pensée ancienne résistait dans les descriptions que Fuchs recopiait. Par exemple, pour la mercuriale, dans sa retranscription des sources anciennes, il laissait un choix cornélien aux parents au chapitre CLXXXI : l’espèce mâle faisait naître des enfants mâles quand l’espèce femelle faisait naître des filles.

Conclusion

Ces constatations, Leonhart Fuchs les faisait au sein d’un monde savant dont les connaissances qui, comme le dit très bien l’historienne Ann Blair, se fondaient sur la pratique traditionnelle de la philosophie naturelle, la compilation et l’explication des faits provenant largement des savoirs livresques et de principes religieux, mais en y incorporant l’expérience sensorielle ou intellectuelle[135]. En les vulgarisant par l’image et par l’usage des langues vernaculaires, de l’allemand au français, les savoirs se sont peu à peu immiscés dans la culture non savante ou non spécialiste, se mélangeant aux savoirs profanes. Inversement, comme nous l’avons vu, Leonhart Fuchs cite souvent des savoirs « vulgaires » ou les usages populaires des Allemands, qui constituent peu à peu un savoir académique et scientifique que l’on retrouve dans les traités de botanique ou de médecine. Cette réflexion sur l’entrée des savoirs vernaculaires dans la constitution des savoirs dits « scientifiques » mérite une plus ample étude puisqu’en cherchant à comprendre la nature par les plantes, Fuchs entend reconnaître la nature divine mais aussi la nature utilitaire par lesquelles un individu peut gouverner, diriger et soigner son corps. Ainsi les vertus des plantes trouvent leur écho naturel dans le corps humain, tant au niveau symbolique que dans l’application d’une praxis médicale fermement ancrée dans les croyances religieuses et les valeurs morales de la Renaissance.

 

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* Je souhaite remercier chaleureusement mes deux directeurs de mémoire de Master 1 et de Master 2, Pascal Brioist et Concetta Pennuto, qui m’ont donné beaucoup de conseils avisés pour la poursuite de mes recherches en doctorat. Merci aussi à Madame Marie-Élisabeth Boutroue pour ses recommandations de lectures. Cet article est issu, en partie, du mémoire de : Tassanee Alleau, Master 1, De historia stirpium de Leonhart Fuchs : la médecine et l’usage des plantes dans la société allemande du XVIe siècle, Mémoire de Master 1, sous la direction de Concetta Pennuto et Pascal Brioist, Centre d’études supérieures de la Renaissance, 2016.

[1] Lire les herbiers comme ceux de Philippe Glardon ou de Dina Bacalexi.

[2] Sachiko Kusukawa, Picturing the Book of Nature: Image, Text, and Argument in Sixteenth-Century Human Anatomy and Medical Botany, Chicago – London, University of Chicago Press, 2011, p. 2: « The fact that Fuchs envisaged their knowledge to be presented in printed books affected the way they set up their arguments and even their methods of study. ».

[3] À ce sujet, lire la thèse d’Ariane Rabatel, Du végétatif au végétal, l’essor de l’intérêt pour la plante à la fin du Moyen Âge, Thèse de doctorat, École pratique des hautes études, EPHE PARIS, 2016.

[4] Qu’ils s’agissent de Dioscoride, de Théophraste, de Galien ou encore de Pline l’Ancien.

[5] Comme celle de Georges Vigarello, de Daniel Roche et de Michel de Certeau. Lire aussi Florence Hulak, « En avons-nous fini avec l’histoire des mentalités ? », Philonsorbonne, 2 ; 2008, p. 89-109.

[6] Philippe Glardon, « L’histoire naturelle du XVIe siècle : historiographie, méthodologie et perspectives », Gesnerus 63, (2006), 280–298.

[7] Comme par exemple l’ouvrage de Ralf D., Hofheinz, Melanchthon und die Medizin im Spiegel seiner akademischen Reden, Springer-Verlag, 2016.

[8] Il existe quatre humeurs principales : le sang, la bile noire, la bile jaune et le phlegme ainsi que quatre éléments vitaux : l’air, le feu, l’eau et la terre, et par conséquent quatre qualités : sec, chaud, froid, humide, coexistant à divers degrés dans le corps.

[9] Bernard Beck, « Jardin monastique, jardin mystique. Ordonnance et signification des jardins monastiques médiévaux », in Revue d’histoire de la pharmacie, 88ᵉ année, n°327, 2000. pp. 377-394. DOI : https://doi.org/10.3406/pharm.2000.5121.

[10] Johannes Henricus Ursinus, Arborevum Biblicum Inquo Arbores et Frutices Possim in Sacris Litteris Occurrentes, Notis Philologicis, Philosophicis, Theologicis Exponuntur et Illustrantur, Christophorus Gerhardus, 1663.

[11] Eleanor Anthon King, Bible Plants for American Gardens, Courier Corporation, 1975.

[12] John Smith, Bible Plants: Their History, with a Review of the Opinions of Various Writers Regarding Their Identification, Hardwicke abd Bogue, 1878.

[13] Andrew D. Berns, The Bible and Natural Philosophy in Renaissance Italy: Jewish and Christian Physicians in Search of Truth, Cambridge University Press, 2015.

[14] Harold N. Moldenke, ‘The Economic Plants of the Bible’, Economic Botany, 8.2 (1954), p. 152–63, https://doi.org/10.1007/BF02984732.

[15] Leonhart Fuchs, New Kreüterbuch, 1543, Michel Insengrin, Bâle, exemplaire de la bibliothèque de l’Etat de Bavière, numérisé sur Google Books, préface de Leonhart Fuchs, p. 2.

[16] Fuchs, Leonhart, Commentaires tres excellens de l’hystoire des plantes, Chez Jacques Gazeau, 1549, p. 2 (épître dédicatoire).

[17] Fuchs, 1549, ibid.

[18] Fuchs, 1558a.

[19] Leonhart Fuchs, Methodus seu ratio compendiaria perveniendi ad veram solidamque medicinam …, Guillard, 1541, p. 1. « Deum optimum max. herbas ac plantas, ut iis subinde ad propulsandos morbos uteretur ab Adam propagata sobolos, è terra condidisse diserte tradit ? ».

[20] Leonhart Fuchs, Methodus seu ratio compendiaria perveniendi ad veram solidamque medicinam …, Guillard, 1541.

[21] Leonhart Fuchs, Methodus seu ratio compendiaria cognoscendi veram solidámque medicinam, ad Hippocratis & Galeni scripta rectè intelligenda mirè utilis, tot nunc in locis aucta, & emendata, ut quasi de novo, postremùm tamen edita esse videatur, Leonharto Fuchsio… autore. Accesserunt huic de usitata hujus temporis componendorum miscendorúmque medicamentorum ratione libri tres multo quam antea unquam auctiores & castigatiores, eodem Leonharto Fuchsio autore, Paris, chez Jacques Ier Du Puis, 1550.

[22] Fuchs, 1558a.

[23] En effet, les médecins se trouvaient parfois en concurrence avec des catégories de professions médicales que Leonhart Fuchs voyait comme des « charlatans » et qu’il définissait très vaguement avec des termes tels que « femmes des villages » par exemple. Il visait probablement des corps de métiers non-détenteurs d’un diplôme sanctionnant une formation universitaire.

[24] Fuchs, 1558a, chap. CCXCVII.

[25] Pérez, 2015, p. 101–108.

[26] Fuchs, 1558a.

[27] David Hawkes, Richard G. Newhauser, The Book of Nature and Humanity in the Middle Ages and the Renaissance, ASMAR 29, Brepols, 2013, p. 22–23.

[28] « Du Meurier, Chap. CXCIX », Fuchs, 1558a, p. 363.

[29] Cf. « Le gouvernement idéal de l’âme et du corps par les plantes dans les herbiers des médecins-naturalistes de la Réforme au XVIe siècle (Leonhart Fuchs et William Turner) », lors de la table ronde collective « Le gouvernement idéal à la Renaissance, de soi au collectif », Lab du Jeune Chercheur, Rendez-vous de l’Histoire, Gouverner, Blois, 11 Octobre 2020.

[30] Methode, ou brieue introduction, pour paruenir à la congnoissance de la vraye & solide medecine, de Leonhart Fuchs, traduit par Iean de Tournes, 1552, Bibliothèque municipale de Lyon, p. 29.

[31] Peter O. Grell, Medecine and the Reformation, New York, Routledge, Taylor & Francis Group, 1993, p. 118–133.

[32] On peut trouver des exemples dans l’article de Hannah Marcus, “Censoring Leonhart Fuchs: Examples from the New York Academy of Medicine”, History of medicine and Public Health, Févier 2015, https://nyamcenterforhistory.org/2015/02/20/censoring-leonhart-fuchs-examples-from-the-new-york-academy-of-medicine/ consulté le 10/11/2021.

[33] Pascal Brioist, Hervé Drévillon, Pierre Serna, Croiser le fer : violence et culture de l’épée dans la France moderne (XVIe-XVIIIe siècle), Éditions Champ Vallon, 2002/5, p. 52–80.

[34] Cf. Préface dans Fuchs, 1543.

[35] Voir Matthew Klemm, « Les complexions vertueuses : la physiologie des vertus dans l’anthropologie médicale de Pietro d’Abano », Médiévales, 63, automne 2012.

[36] Lire le premier chapitre « La prose du monde » de Michel Foucault dans Les mots et les choses, Gallimard, 1966.

[37] Giambattista Della Porta, Rault (Sieur.), La Physionomie humaine, J. & D. Berthelin, 1655.

[38] Luce Guillerm, Le Miroir des femmes: Moralistes et polémistes au XVIe siècle, Presses universitaires de Lille, 1983.

[39] La pensée de Leonhard Rauwolf, imprégnée par la tradition aristotélicienne et par les enseignements de l’université de Montpellier, mettait toujours en parallèle le monde naturel et la Bible dans une approche qu’on pourrait appeler de « philosophie pieuse et chrétienne ».

[40] John Lytton Musselman, A Dictionary of Bible Plants, Cambridge University Press, 2011, p. 3-5.

[41] Ibid.

[42] Diana Bacalexi, « Trois traducteurs de Galien », in Véronique Boudon-Millot et Guy Copolet, Lire les médecins grecs à la Renaissance, Paris, Bibliothèque interuniversitaire de Médecine, De Boccard édition, 2004, p.251-253.

[43] Voir Russell, 1981, p. 123–130 ; Pérouse, p. 9–22 et Argod-Dutard, p. 65–82, in Viallon-Schoneveld, 2002.

[44] Roseline REY, Histoire de la douleur, Paris, Éditions La Découverte, 1993, p. 61–62.

[45] Brioist, Drévillon, Serna, 2002.

[46] Fuchs, 1558a.

[47] René REMOND, Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, Tome 2, De Gutenberg aux Lumières, Nouvelle Librairie de France, Paris, 1981, p. 221.

[48] Fuchs, 1543, chapitre CCCCLVIII. Voir aussi « Du Senegré. Chap. CCVIII. La décoction de la graine du Senegré emonde la puanteur des aisselles, la farine oste soubdainement la crasse, les lentilles, & autres ordures de la teste, appliquee avec vin & Nitrum. » in Fuchs 1558, 546–547. « Die bletter in wein gesotten, seind gut übergelegt unnd darmit gewäschen, zu allerley wunden unnd schäden. Dergleichen gesotten unnd übergelegt, vertreiben sie die mäler under dem angesicht, unnd heylen den brand krefftiglich. […] Der safft von den blettern inn die nasen gethon, vertreibt den bösen gestanck derselbigen, unnd reyniget die geschwär darinn.

Die brüe darinn der samen gesotten ist, soll man brauchen zu dem zwang, unnd den hindern damit wäschen. […] Das meel von dem samen mit Leinsamen gesotten unnd übergelegt, stillt den weetagen und schmertzen der mutter. Mit schwebel und hönig vermengt und angestrichen, vertreibt es die masen under dem angesicht, und die rauden. Der samen in wasser gesotten, unnd die üechsen darmit gewäschen, vertreibt den gestanck darunder. »

[49] Fuchs ,1542.

[50] Danielle Jacquart, La science médicale occidentale entre deux renaissances (xvie s.-xve s.), Aldershot, 1997, xiv, p. 120.

[51] Alexandre KOYRE, Études d’histoire de la pensée scientifique, Saint-Amand, Éditions Gallimard, 1973, p. 40.

[52] Fuchs, 1558a.

[53] Emile Callot, La Renaissance des sciences de la vie au XVIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1951, p. 45.

[54] Fuchs, 1558a.

[55] Cf. Siraisi, Nancy G., « History and antiquarianism in Renaissance culture », in History, Medecine, and the Traditions of Renaissance Learning, The University of Michigan Press, United States of America, 2007, p. 8–11.

[56] Fichtner, 1968.

[57] À ce sujet, lire les travaux de Samir Boumediene, La colonisation du savoir : Une histoire des plantes médicinales du ‘Nouveau monde’ (1492-1750), Vaulx-en-Velin, Éditions des Mondes à faire, 2016.

[58] Pauline Koetschet, « Médecine de l’âme, médecine du corps », Bulletin d’Etudes Orientales, Institut Français du Proche-Orient, 2008, 57, p. 155–167.

[59] Fuchs, 1558a.

[60] Fuchs, 1558a, p. 549, « De la pensée ou herbe de la Trinité », Chap. CCCX.

[61] Fuchs, 1558a, p. 36.

[62] Fuchs, 1558a, chap. CXIIII, p. 210.

[63] Fuchs, 1558a, p. 228.

[64] Fuchs, 1558a, p. 230.

[65] Fuchs, 1558a, p. 369–372.

[66] Fuchs, 1558b.

[67] Luther se désignait lui-même comme un « prédicateur et évangéliste », « soit le ministère de la Parole divine, soigneusement distingué de toute charge politique […] [Luther, 1525a, WA 18 327] », selon Alain Caillé, in Histoire raisonnée de la philosophie morale et politique, La Découverte, 2012. Mais Leonhart Fuchs décide de quitter en 1543 Wittenberg, foyer de la Réforme de Melanchthon et de Luther, avec qui il a d’irréconciliables différents théologiques, comme expliqué dans Annette Winkelmann, J. Helm, Jürgen Helm (éditeurs), Religious Confessions and the Sciences in the Sixteenth Century, Brill, 2001, p. 53.

[68] Fuchs, 1543, Von Coloquint, Chapitre CXXXIX. « Coloquint ist aber dem magen über die massen schedlich. Derhalben billich von der Obrigkeit sollten gestrafft werden die landstreicher, Juden, unn andere küe arzt, welche die leut mit diser hefftigen artznei der massen purgieren, das ihr viel den geist auffgeben. Aber niemandts ist der ihm sölchs verderben unnd sterben vieler menschen zuhertzen laß gon. Ja auch viel Prediger, die sich Evangelisch nennen, vergessen gantz unnd gar ihres beruffs, dem sie trewlich unnd vleissig sollten außwarten unnd nachkommen, laut ihrer eigen, ja Christi, leer, unn richten ihren jarmarckt auff, geben mehr artznei auß, dann etwan zween rechtgeschaffne ärtzt und Doctores. Wolt Gott das sie jhr befohlen ampt recht außrichtetend, so würden sie warlich sovil zu schaffen haben, das sie vor der geystlichen unnd seel arznei, wol würden der leiblichen vergessen, unn dieselben denen bevelhen, welchen sie außzurichten zusteet. Aber dieweil sie nit viel lust zu der Heiligen schrifft, ja derselbigen einen geringen verstand haben, unnd ihre predig an der wand herab studieren; gaffen sie anderß wohin, unnd vergessen dieweil was ihr beruff unnd ampt ist, welches rechtgeschaffnen Theologis und Predigern nit zusteet […] ».

[69] Dans la Bible, se référer à Jonas 4.6 ; Jonas 4.7 ; Jonas 4.9 ; Jonas 4.10)

[70] Lire Élias Joseph Bickerman. « Les deux erreurs du Prophète Jonas ». In: Revue d’histoire et de philosophie religieuses, 45e année, n°2,1965, p. 232-264; DOI : https://doi.org/10.3406/rhpr.1965.3806

[71] Boutroue, 2002, p. 47–64.

[72] « C’est naturellement pour Luther que l’enjeu était le plus important à ce moment de son itinéraire. La Sola scriptura, même si l’expression n’est pas de lui, devait marquer chez lui et chez les principaux adeptes de sa Réforme la mise à distance de la double référence des humanistes aux Ecritures et aux Pères de l’Eglise. L’oubli désormais des Pères, parce que non exempts aux yeux de Luther d’errances doctrinales, conférait à l’Ecriture un statut de privilège qui lui apportait une autorité exclusive et définitive, ce qui devait inclure la garantie de son intégrité et donc de son exactitude matérielle, tant du point de vue du texte que du point de vue de la traduction. » in Pierre Gibert, L’invention critique de la Bible, XVe-XVIIIe siècle, Gallimard, 2010 , p. 60.

[73] Fuchs, 1543, Von Beyfuβ, Chapitre XIII. Voir aussi Fuchs, 1558a, p. 33 : « Nach anzeygung Dioscoridis, so seind diß krauts Artemisia genent dreierley geschlecht. Das erst würdt in sonderheyt geheyssen Beyfuß, Bucke, S. Johans gürtel, welchen namen es auß einem aberglauben der Teütschen überkomen hat. Dann sich ettlich damit an S. Johans des Teüffers tag gegürtet haben, unnd darnach in das S. Johans fewr geworffen, mit zuthun ettlicher sprüch und reymen. Es würdt auch genent Sonnenwend gürtel, auß gleicher ursach, das man zu gedachter zeit, da die Sonne sich vor zeiten gewendt, sich damit gegürtet hat. Es heyssen auch diß geschlecht ettliche grossen Reinfarn. Und seind dises krauts auch zweyerley ardt, eins mit einem gantz braunroten stengel, und blumen, derhalben es genent würt Rotbucken, oder Rotbeyfuß ».

[74] Lire les Lamentations 3.16, Deutéronome 29.18, Amos 5.7, Amos 6.12, Lamentations 3.19, Apocalypse 8 .11, Jérémie 9.15 et 23.15, Esdras 5.9, selon https://www.levangile.com/Dictionnaire-Biblique/Definition-Westphal-645-Absinthe.htm, consulté le 21/09/2021.

[75] Fuchs, 1558a, chapitre CCXXII.

[76] Dans la pensée magique, deux entités (telles que des plantes) peuvent avoir des propriétés semblables par analogies visuelles, par transfert de propriété, par un phénomène d’inversion. L’entité dans la pensée magique a un pouvoir opérant conférant à la propriété de l’entité l’exécution de la pensée.

[77] « So man diß kraut im mund halt, leschetes auß die überige begir zur unreynigkeit. Diß kraut bey sich getragen, sol gut für allerley zauberey sein ». Fuchs, 1543, Von Angelick, Chapitre XLIII. Et voir aussi Fuchs 1558a, chapitre XLIII.

[78] Fuchs, 1558a, chapitre CCXLI. Voir aussi « Man treibt sonst viel abentheur mit disem Widerthon, das lassen wir als narrenwerck und Teufels gespenßt faren » dans Fuchs 1543, Von goldtfarbem Widerthon, chapitre CCXLI.

[79] Jacqueline Vons, « Une approche pluridisciplinaire de l’épilepsie au XVIe siècle », dans « Épilepsies et Renaissance », Épilepsies, Revue de la Ligue française et de Ligues francophones contre l’épilepsie, 2008, Vol. 20.

[80] Gianna Pomata « Sharing Cases : The Observationes in Early Modern Medicine », Early Science and Medicine, A Journal for the Study of Science, Technology and Medicine in the Pre-modern Period, Leiden, Brill, 2010. Volume XV, n°3.

[81] Fuchs, 1549, cap. III, traduit en français dans Fuchs, 1558a. « Lixivium in quo Asarum decoctum est, si eo caput lavetur, cerebrum roborat, & memoriam. Succus etiam eius cum Pompholyge, caligantibus oculis confert. »

[82] Fuchs, 1558a, chapitre XLII.

[83] Fuchs, 1558a, chapitre XLII. Voir aussi « Beide bletter unn wurtzel auff die pestilentz blater gelegt, benemen das gifft der selbigen, und heilen sie. Die wurtzel gepulvert unn mit rosen öl vermegt, macht das angesicht sauber », dans Fuchs 1543, Von Aron, Chapitre XXII.

[84] Fuchs, 1558a, chapitre XLIII.

[85] Fuchs, 1558a, chapitre XLIII.

[86] Fuchs ,1558a, chapitre XLIII.

[87] Fuchs, 1558a, chapitre XLIII.

[88] Fuchs, 1558a, chapitre CLX.

[89] Bayle, 2019, p.5.

[90] Bayle, 2019, p.93.

[91] Fracastor, Jacqueline Vons, Concetta Pennuto, Danielle Gourevitch, Jérôme Fracastor, La syphilis ou Le mal français, Syphilis sive Morbus Gallicus, Paris, Les Belles Lettres, 2011, p. 40.

[92] Vons, 2011, LXVII-LXVIII.

[93] Vons, 2011, LXX.

[94] Pennuto in Vons, 2011, XCIV.

[95] Vons, 2011, Livre II, 40.

[96] « Von Hundßzungen. Cap. clv. Die wurtzel gedörrt unnd zu pulver gestossen in rotem wein getruncken heylet die roten rhur. Man mag auch dise wurtzel zu allerley schäden unnd wunden brauchen, in sonderheyt aber zu den bösen geschwären des munds, unnd Frantzosen. », Fuchs, 1543, chapitre CLV : ici, le mot « Frantzosen » qualifie le terme de syphilis.

[97] Selon la définition médicale du dictionnaire en ligne Larousse disponible sur le site de Larousse, consulté le 29/04/2016.

[98] Fuchs, 1558a, chapitre X.

[99] Fuchs, 1558a, chapitre XIX.

[100] Le terme de « phagedenes » est utilisé dans Fuchs 1558a, chapitre XXII, rubrique « selon Pline ».

[101] Fuchs, 1558a, chapitre XXXVII, rubrique « les vertus selon Dioscoride ».

[102] Fuchs, 1558a, chapitre LIV, rubrique « selon Pline ».

[103] Fuchs, 1558a, chapitre LX, rubrique « la vertu selon Dioscoride ».

[104] Fuchs, 1558a, chap. CCCXLII.

[105] Fuchs, 1558a, p. 336.

[106] Fuchs, 1558a, p. 259.

[107] Fuchs, 1558a, p. 51.

[108] « Régime est à prendre au sens étymologique de règle de vie. La médecine ancienne se subdivisait en trois branches : régime (diaita), « pharmaceutique », chirurgie. La médecine par le régime s’adressait à l’homme en bonne santé et qui souhaitait le rester (homo sanus), comme aux personnes fragiles (imbecilli) et aux malades (aegri). », in Fracastor, Jacqueline Vons, Concetta Pennuto, Danielle Gourevitch, Jérôme Fracastor, La syphilis ou Le mal français, Syphilis sive Morbus Gallicus, Paris, Les Belles Lettres, 2011.

[109] Martin Mulsow, Savoirs précaires, pour une autre histoire des idées à l’époque moderne, Editions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, 2018, p. 4-6.

[110] Voir à ce propos la table des maladies et des remèdes dans Fuchs, 1558a.

[111] Citation de la Genèse, I, 22 dans Agasse, Jean-Michel, « Désir, plaisir et pratiques sexuelles sous le regard d’un médecin de la Renaissance », Seizième Siècle, N°7, 2011. p. 85-97.

[112] Michel Foucault, Histoire de la sexualité, I La volonté de savoir, Gallimard, Paris, 1976, p.10.

[113] Ce paragraphe est issu de la communication donnée lors des Rendez-vous de l’histoire de Blois 2020 : « Le gouvernement idéal de l’âme et du corps par les plantes dans les herbiers des médecins-naturalistes de la Réforme au XVIe siècle (Leonhart Fuchs et William Turner) », lors de la table ronde collective « Le gouvernement idéal à la Renaissance, de soi au collectif », Lab du Jeune Chercheur, Rendez-vous de l’Histoire, Gouverner, Blois, 11 Octobre 2020.

[114] Dina Bacalexi, « Responsabilités féminines : sages-femmes, nourrices et mères chez quelques médecins de l’Antiquité et de la Renaissance », Gesnerus, 62, (2005), p. 5–32.

[115] Fuchs 1558a, chapitre XXXVII, rubrique « les vertus selon Dioscoride », p. 50.

[116] Fuchs 1558a, chapitre XXXVII, rubrique « les vertus selon Dioscoride », p. 48.

[117] Fuchs 1558a, « Du Persil de jardin », Chap. CCLXXXIIII, p. 506.

[118] Fuchs 1558a, « Du Persil de jardin », Chap. CCLXXXIIII, p. 506.

[119] Lire Estela BONNAFFOUX, « « Réveiller la Vénus endormie » : le plaisir sexuel et ses limites dans le discours médical de la première moitié du XVe siècle », Questes, 37, 2018, p. 51–68.

[120] Maurice Daumas, « La sexualité dans les traités sur le mariage en France, XVIe-XVIIe siècles », Revue d’Histoire moderne & contemporaine, 2004/1, n°51-1, p. 7-35.

[121] Voir sur le comportement sexuel des femmes allemandes, Nivre 2004.

[122] Sur la contraception et l’avortement lire Jacques Gélis, L’arbre et le fruit, la naissance dans l’Occident moderne, XVIe-XIXe siècle, Fayard, 1984, p. 383-387.

[123] Fuchs, 1558a, p. 8, chapitre II.

[124] De la même façon que la pensée magique, la théorie des signatures ou des signes attribue à une plante une propriété/une efficacité selon des critères analogues (Similia similibus curantur, ce qui se ressemble soigne ce qui lui est semblable) ou contraires basés sur l’apparence, l’aspect et la forme de la plante.

[125] Fuchs, 1558a, « Sanguisorbe », chap. CCCV, p. 540. Malgré tout, la sanguisorbe aurait des propriétés hémostatiques par la production de puissants tanins dans ses rhizomes et racines comme le montre cette étude https://www.mdpi.com/1420-3049/17/7/7629/htm.

[126] Evelyne Berriot-Salvadore, Un corps, un destin, la femme dans la médecine de la Renaissance, Paris, Honoré Champion éditeur, 1993, p. 14.

[127] Ces citations s’appliquant aux chirurgiens et aux anatomistes sont parfaitement applicables aux médecins-naturalistes. Lire Evelyne Berriot-Salvadore, op. cit., p. 15.

[128] Paul Ariès, L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Plon, 1960.

[129] Danielle Jacquart, « L’alimentation du jeune enfant au XVIe siècle », dans Pratiques et discours alimentaires à la Renaissance, Actes de colloque de Tours de mars 1979, Paris, Maisonneuve et Larose, 1982, p. 57–68.

[130] Fuchs, 1558a, p. 571.

[131] Fuchs, 1558b, p. 299.

[132] Fuchs, 1558a, p. 471.

[133] Cf. Les Essais, II, p. 8, comme cité dans Philippe Ariès, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Seuil, 1975.

[134] Philippe Ariès, L’homme devant la mort, Paris, Seuil, 1977.

[135] Ann Blair, The Theater of Nature: Jean Bodin and Renaissance Science, Princeton University Press, 2017, p. 3.

 

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