L’équipe de la revue Circé est ravie de vous présenter ce quinzième volume, qui assied le rythme de publication biannuelle malgré les multiples difficultés de la crise sanitaire. Nous nous félicitions de l’interdisciplinarité des derniers numéros parus, et continuons de le faire ici tant les objets étudiés et les méthodes mobilisées sont divers dans ce varia de six articles de jeunes chercheur·e·s que nous vous proposons. S’il fallait placer l’ensemble de ces contributions sous un même thème, ce serait celui de la diversité des acteurs de l’histoire. Chaque auteur et autrice a en effet choisi de s’écarter de l’histoire établie et des acteurs les plus directement visibles et influents pour en chercher d’autres, ce qui suppose aussi un renouvellement des sources et/ou de leur lecture ; thème particulièrement cher à l’équipe de Circé qui œuvre, d’une autre manière, à donner la parole aux divers acteurs qui font actuellement les sciences sociales, des jeunes chercheur·e·s à ceux plus expérimentés et institutionnellement installés.
Ce numéro s’ouvre ainsi sur un entretien vidéo avec l’historien Nicolas Offenstadt, maître de conférences en histoire médiévale à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, que nous remercions pour sa disponibilité et pour l’intérêt qu’il a porté à la revue. De la paix au Moyen Âge aux mémoires de la R.D.A., il nous parle de son parcours qui l’a amené à s’intéresser à une grande variété de périodes, d’objets d’histoire, d’acteurs, de sources et de méthodes, mais aussi aux médiations entre historiens et grand public. Un « décloisonnement » qui introduit donc bien ce numéro.
Si l’on se lance dans une lecture chronologique, on commencera par l’article de Mickael Bouali qui nous emmène plus de deux millénaires en arrière, autour de la question de la colonisation grecque en Méditerranée. L’auteur s’interroge sur les acteurs des fondations de nouvelles cités entre pouvoirs civiques et initiatives privées, mêlés dans une réalité politique, sociale et spatiale complexe mise en lumière par le croisement des sources textuelles traditionnelles et des fouilles archéologiques récentes. Comment ne pas songer à ces réflexions sur les acteurs de la cité en train de se faire lorsque l’on lit, ensuite, l’étude proposée par Yohann Lossouarn ? Il nous fait pourtant voyager à des milliers d’années et de kilomètres de la Méditerranée grecque, jusque dans le São Paulo du début du XXe siècle. L’auteur nous donne à voir la marge d’action de la population noire issue de l’esclavage dans un processus de métropolisation dont les élites européennes voudraient être les seuls acteurs. Pour ce faire, de nouvelles méthodes et de nouvelles sources sont, là aussi, mobilisées, telles que les paysages urbains, les pratiques sportives, la samba, l’alimentation ou la musique. Au même moment, de l’autre côté de l’Atlantique, Claire Milon s’intéresse à d’autres acteurs, ou plutôt actrices : les féministes allemandes. Par une relecture de quatre revues, l’autrice met en lumière l’effervescence intellectuelle et politique du féminisme de gauche au début des années 1920, à contre-courant de l’historiographie traditionnelle qui le considère en perte d’importance après l’obtention du droit de vote des femmes en 1918.
Trois autres articles proposent une approche des acteurs de l’histoire à travers diverses trajectoires individuelles. En pleine Renaissance, Tassanee Alleau décortique un herbier du médecin et botaniste bavarois Leonhart Fuchs, et montre comment les connaissances qui y sont formalisées se fondent sur les autorités savantes et religieuses du temps, mais mêlent aussi des savoirs et pratiques populaires qui sont ainsi promus. L’œuvre, écrite en vernaculaire et richement illustrée, contribue par ailleurs à rendre accessible cette littérature savante à un plus large public. Margaux Prugnier s’intéresse quant à elle à la littérature de cour en Lorraine au XVIIIe siècle, à travers la figure de François Antoine Devaux dit « Panpan ». L’autrice montre comment il a su construire un dense tissu de relations et une image ambivalente de lui-même qui lui permettait d’être à la fois un courtisan proche du pouvoir lorrain et un homme de lettres reconnu, posant ainsi « les jalons d’une réussite sociale par les lettres ». Manon Bertaux nous propose enfin une réflexion autour de la musique du XIXe siècle, à travers l’influence de la guerre franco-prussienne de 1870-1871 chez le compositeur français Camille Saint-Saëns. Si le conflit laisse une empreinte profonde dans son œuvre, cette dernière contribue en retour à cristalliser le souvenir amer de la défaite dans la France de la fin du XIXe siècle.
Nous remercions chaleureusement l’ensemble des auteurs et autrices pour ces articles aussi passionnants qu’inspirants. Au-delà de leur intérêt historiographique, la lumière faite sur ces divers acteurs de l’histoire invite encore une fois à ne pas céder à la simplification et à la passivité (ou à son illusion), en pensant toute société comme le résultat des individus et des groupes sociaux qui la composent et qui y agissent à différents degrés.
Le comité de rédaction de Circé. Histoire, Savoirs, Sociétés