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Les vesiis de Morlaàs (Béarn). Un éclairage inédit sur le voisinage dans la Gascogne médiévale

Coralie Nazabal

 


Résumé : Vecindad, vincinia, besiau… Le phénomène de voisinage est un fait social bien connu, en particulier des historiens dont les travaux portent sur l’Italie communale ou la Navarre médiévale et moderne. Bien que connu au nord des Pyrénées, dans un Sud-Ouest français dont on peine encore à tracer les contours, il y reste moins étudié. Or la besiau (communauté de voisins), variante de la communauté rurale si familière aux médiévistes, y est une composante socio-économique centrale dès le Moyen Âge. Cet article traite de la manière dont le phénomène de voisinage se manifeste en Béarn dans la seconde moitié du XIVe siècle, au travers du cas de la petite ville de Morlaàs sous le règne de Gaston III de Foix-Béarn dit Fébus (1343-1391).

Mot-clés : communautés d’habitants, voisinage, Béarn, Gascogne, Gaston Fébus.


Diplômée d’un master recherche en histoire à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, Coralie Nazabal est l’auteure d’un mémoire mené sous la direction de Véronique Lamazou-Duplan et de Dominique Bidot-Germa, portant sur les structures et le fonctionnement de la société de Morlaàs (Béarn) dans la seconde moitié du XIVe siècle. Elle a pris part, durant trois années consécutives, à l’organisation des Journées Internationales d’Histoire de Flaran. Elle se consacre aujourd’hui à la préparation des concours de l’enseignement.

Publication antérieure : « Ville et campagne en Béarn : Morlaàs, une ville sous tension (1367) », Campo y ciudad. Mundos en tensión (siglos XII-XV), Actas de la XLIV Semana Internacional de Estudios Medievales de Estella-Lizarra, 18/21 de julio de 2017, Gobierno de Navarra.

coralienazabal@orange.fr


Introduction

À l’occasion d’un travail universitaire portant sur un document notarié béarnais inédit du XIVe siècle, nous avons mis au jour un groupe de personnages qualifiés de vesiis (voisins) qui a fortement attiré notre attention sur le phénomène du voisinage[1]. Le voisinage est l’une des formes que revêtent les communautés d’habitants ; ses membres sont appelés « voisins ». Le phénomène de voisinage se manifeste dans différents espaces européens parmi lesquels le sud-ouest pyrénéen. Il existe aujourd’hui une importante historiographie régionale et il est par conséquent tentant de penser que l’on sait déjà tout ou à peu près au sujet du voisinage en Béarn. Aussi serait-il légitime de s’interroger sur l’éclairage nouveau que peut apporter notre recherche. Celle-ci procède d’un travail ne portant pas sur les seuls voisins mais sur la totalité d’une petite ville au prisme d’un notaire. Notre hypothèse de recherche porte donc sur le fait que cette approche globalisante méthodique permettra d’enrichir la connaissance de ce groupe par une dimension sociale non focalisée sur leur statut juridique et de faciliter l’ancrage d’éventuelles études comparatives.

Le document sur lequel porte cette étude est un minutier qui fut rédigé entre le 19 novembre 1364 et le 27 avril 1368 par le notaire public de Morlaàs Odet de Labadie. Les autres minutiers morlanais ayant disparu, il apporte un éclairage inédit sur le fonctionnement de la ville au Moyen Âge. Morlaàs est une ville de première importance dans le Béarn médiéval dont elle est l’ancienne capitale. On ne sait que peu de choses au sujet d’Odet de Labadie mais on peut d’ores et déjà souligner le fait qu’il n’est pas un notaire ordinaire : le seul fait d’instrumenter à Morlaàs lui confère un statut particulier compte tenu de l’importance de la ville dans l’administration de la vicomté de Béarn. Il instrumente sous le règne de Gaston III de Foix-Béarn dit Fébus (1343-1391), dans un contexte troublé. Fébus refuse en effet de prendre part aux conflits opposant la couronne de France à celle d’Angleterre et profite de la défaite de Philippe VI de Valois à Crécy en 1347 pour proclamer que le Béarn est une terre qu’il ne tient que de Dieu et pour laquelle il ne doit d’hommage à quiconque, le roi de France ayant des affaires plus urgentes à régler que la sécession d’une vicomté à plusieurs centaines de kilomètres de là. Il maintient cette position en 1356, à la signature du traité de Brétigny-Calais par Jean II le Bon et Édouard III d’Angleterre qui cède à l’Angleterre une Aquitaine fort élargie en l’échange du renoncement d’Édouard au trône de France. Or, dans les clauses de ce traité, seuls les territoires nouvellement cédés à l’Angleterre sont expressément mentionnés : les terres de l’Aquitaine d’avant 1328 ne sont pas citées. C’est dans cette faille que va s’engouffrer Gaston III, ce qui a pour conséquence d’aboutir à une situation de tension entre lui et Édouard de Woodstock, plus connu sous le nom de Prince Noir, nommé Prince d’Aquitaine en 1362. Ce contexte, nous le verrons, a une incidence directe sur les communautés béarnaises, à commencer par celle de Morlaàs.

Avant de replacer plus précisément le document dans son contexte puis d’exposer les résultats de notre recherche, nous pensons utile de rappeler brièvement l’état des connaissances sur ce fait social bien connu mais au sujet duquel on ne trouve à ce jour que des études fragmentaires, circonscrites à un territoire, sans que nous ne puissions en dégager une vision d’ensemble[2]. Jean-Pierre Barraqué propose de la vesiau (dans le contexte gascon qui nous intéresse ici) la définition suivante : elle « regroupe les hommes libres […] disposant d’une certaine autonomie et étant propriétaires d’une maison, l’ostau, qui est aussi un foyer fiscal (c’est à partie de l’ostau que se prélève l’impôt) » [3]. Aussi, afin de saisir le phénomène de voisinage dans sa globalité, il faut avoir pleinement conscience du fait que sa dimension spatiale est absolument indissociable de sa dimension socio-économique[4]. Le voisinage et les voisins (et leurs équivalents dialectaux) constituent une forme d’organisation bien connue des sociétés médiévales, dont on retrouve de multiples mentions et dont certaines sont recensées dans le Glossarium mediae et infimae latinitatis[5]. Si le phénomène du voisinage est connu, il n’a cependant jamais été étudié dans toute sa complexité. On ne peut que constater l’existence d’un horizon documentaire et historiographique très vaste sur les plans historique et géographique, et sémantiquement complexe. Dès lors, il ne s’agira pas ici de prendre en compte une historiographie générale, cette ambition étant hors de proportions dans le cadre d’un article, mais de présenter le conditionnement historiographique général qui a servi de toile de fond à notre recherche. Si la période qui va retenir notre attention dans les quelques pages à venir correspond à la seconde moitié du XIVe siècle, le voisinage est un processus d’organisation sociale durable dans la mesure où l’on en retrouve des mentions dans la Loi Salique[6] et qu’il ne s’éteint pas avec le Moyen Âge, ni même avec l’époque moderne, ainsi qu’en témoigne une étude de Sandra Ott portant sur une communauté pastorale souletine[7]. En outre, c’est au sein de l’espace germanique que l’on retrouve les traces parmi les plus anciennes du voisinage, celles-ci remontant au moins au VIIIe siècle. Karol Modzelewski a expliqué que « la création des communautés territoriales qui en même temps avait un caractère de voisinage ne pouvait être l’œuvre d’aucune autorité hiérarchique, ni franque, ni alémanique. La seule chose qui restait à faire aux Francs était de mettre au-dessus de ces communautés des comtes comme représentants territoriaux du pouvoir ducal et royal[8] ». Le voisinage est donc une forme d’organisation sociale forte avec lequel les nouvelles autorités en place ont dû composer. D’autres espaces de l’Occident médiéval sont concernés par le voisinage, à commencer par l’Italie communale. François Menant parle de la vicinia comme de la « communauté de base[9] » et explique qu’elle « est suffisamment importante pour avoir une identité propre et une influence au sein de la ville mais [qu’]elle est aussi suffisamment restreinte pour que ses membres se connaissent bien et vivent en démocratie directe. La participation côte à côte aux campagnes militaires, la répartition de l’impôt, l’exercice de la basse justice, le souci de l’approvisionnement en eau, de l’évacuation des ordures, de l’entretien des rues, font des vicini, les ‘’voisins’’, une communauté très vivante et solide, qui coïncide souvent avec la paroisse ou, au fil du XIIIe siècle, avec la confrérie[10] ». Il précise que la vicinia étant avant tout une unité territoriale, elle peut « présenter une certaine mixité sociale, des palais aristocratiques se mêlant à un habitat plus modeste[11] ». Outre-Pyrénées, c’est le terme de vecindad qui a cours. Le phénomène y a notamment été étudié par José María Imízcoz Buenza[12], Ana Zabalza Seguín[13] ou encore Tamar Herzog[14]. Enfin, le voisinage est un phénomène au large spectre sémantique. On observe en effet un glissement faisant passer le terme de voisin comme simple habitant d’un vicus au citoyen actif d’une communauté : ce glissement est tangible dans le Lexicon Mediae Latinitatis de Niermeyer[15]. Dans ce vaste contexte historiographique, notre recherche porte sur un espace (la Gascogne) où le phénomène de voisinage est très prégnant (avec une identification de la communauté à la vesiau) et a bien été étudié, pour aboutir à des propositions relativement assurées et homogènes… mais à partir d’informations parfois hétérogènes. Dans le Dictionnaire béarnais ancien et moderne de Vastin Lespy et Paul Raymond, on lit tout d’abord que le besii (vesii) est un « membre de la commune ». On y précise qu’« être besii, voisin, c’était posséder le jus civitatis[16] ». De plus, d’après les Fors de Béarn publiés par Adolphe Mazure et Jean-Auguste Hatoulet[17], « si un homme étranger achète maison à Morlaàs […], il n’est pas voisin, encore qu’il paye et qu’il ait payé amendes, tailles et droits de voisinage ». Les notions de liberté et de propriété sont donc essentielles, mais est-ce à dire que tout libre propriétaire d’ostau est automatiquement reçu en tant que vesii ? Les choses ne sont pas si évidentes. L’article 151 des Jugés de Morlaàs[18], intitulé « comment devient-on voisin », précise la chose suivante : « après délibération plénière avec Monseigneur Gaston et entre nous, nous avons déclaré que si quelque étranger achetait une maison à Morlaàs, ne se comportait pas publiquement en voisin et prêtait pas le serment de voisinage, il n’est pas tenu pour voisin, même s’il avait payé les redevances, tailles et charges de voisinage[19] ». Lespy ajoute, s’appuyant sur les Fors édictés par Henri II de Navarre (1517-1555) en 1552, que l’on « naissait voisin, ou l’on était reçu en cette qualité […]. Aussi, tout fils de voisin est voisin, et l’étranger qui se marie avec une héritière, fille de voisin. Cet étranger n’était tenu qu’à prêter serment de ‘’voisinage’’. L’étranger se mariant avec fille de ‘’voisin’’ qui n’était pas héritière, était astreint à d’autres formalités, segon la costuma e loc d’on volera esta vesin, selon la coutume et le lieu d’où il voudra être voisin[20] ». Enfin, un acte du XVIe siècle transcrit par l’Abbé Daugé (1858-1945) permet d’apporter quelques précisions : « le voisin, besin, existait alors dans chaque localité. C’était l’homme franc, ayant droit de franchise pour l’entrée de ses denrées, citoyen actif admis dans le conseil des affaires de la commune. La délibération tenue par le conseil s’appelait besiau ou besiade, assemblée de voisins. La réception en qualité de voisin était constatée par un acte notarié public. Le récipiendaire fournissait le jour de sa réception une arbalète qui, déposée dans la maison commune, lui servait d’arme et de signe d’autorité de police le jour où il était appelé à faire le guet pour la défense et le bon ordre de la communauté, aujourd’hui commune[21] ». L’acte précise que la réception comme voisin doit faire l’objet d’un acte notarié public. C’était aussi le cas à Morlaàs, bien qu’aucun de ces actes ne fut enregistré dans le minutier d’Odet de Labadie[22].

À la lumière de ces éléments historiographiques et de définition autour du phénomène communautaire de voisinage au Moyen Âge, cet article entend ainsi apporter un éclairage inédit sur les vesiis de Morlaàs, en Gascogne, dans la seconde moitié du XIVe siècle. Après une rapide présentation des contextes géographique et historique ainsi que du document-source sur lequel s’appuie cette étude, il sera question de mettre en lumière les spécificités internes à la communauté des voisins morlanais qui se trouve être plus complexe qu’il n’y paraît.

Les voisins dans un minutier béarnais du temps de Gaston Fébus (1364-1368)

Morlaàs est une petite localité du Béarn, dans l’actuel département des Pyrénées-Atlantiques, au nord-est de la ville de Pau dont elle est limitrophe. Située entre les vignobles du Vic-Bilh et la plaine du gave, elle s’est développée sur les hauteurs du plateau de Ger, à un peu plus de 300 mètres d’altitude.

Figure 1 – Situation géographique de Morlaàs ©IGN 2016 – www.geoportail.gouv.fr

Au Moyen Âge, la ville se trouve à la croisée de deux axes importants : celui reliant Toulouse à l’Espagne (menant également à Auch) ainsi que la voie est-ouest, dite camin morlaner. Sur le plan religieux, la ville abrite la chapelle hospitalière de Berlanne qui est un point d’étape important sur la route de Saint-Jacques. Tout ceci contribue au fait que Morlaàs soit alors l’une des villes les plus importantes de la vicomté dont elle est la capitale jusqu’en 1242. Parce que la ville marque l’entrée en Béarn, elle a une importance capitale dans l’administration de la vicomté. De son ancien statut, Morlaàs a d’ailleurs gardé « toute son importance, la fonction de résidence seigneuriale exceptée[23] ». Il nous est aujourd’hui possible de nuancer cette dernière affirmation concernant la fonction de résidence seigneuriale : si le château Moncade d’Orthez est préféré par les vicomtes à Morlaàs depuis le règne de Gaston VII Moncade (vers 1225-1290), Fébus mène, en 1371, une vaste campagne d’achats pour son « ostau[24] ».

La ville médiévale est structurée en quatre bourgs : le bourg Saint-Nicolas, aussi connu sous le nom de Morlaàs-Viele à partir de la fin du Moyen Âge et jusqu’à l’époque moderne, le Bourg-Vieux ou Bourg-Mayou auquel est rattaché le Marcadet et, enfin, le Bourg-Neuf. Il semble que le premier bourg primitif soit d’époque pré-médiévale, aucune preuve archéologique n’ayant à ce jour permis d’étayer l’hypothèse d’une ville gallo-romaine[25].

Figure 2 – Organisation des bourgs de Morlaàs et emplacement du château vicomtal de Fébus, d’après LASSERRE (Jean-Claude) (dir.), Vic-Bilh, Pyrénées-Atlantiques, Morlaàs, Montanérès, cantons de Garlin, Lembeye, Thèze, Morlaàs, Montaner, Imprimerie Nationale, coll. Inventaire topographique, 1989.

Odet de Labadie, notaire public, compose le Minutier de Morlaàs entre 1364 et 1368, dans un Béarn qui n’échappe pas à l’agitation qui règne en Europe occidentale. La guerre de Cent Ans fait rage depuis 1337 et si les affrontements directs n’ont pas lieu sur son territoire, la vicomté n’en est pas moins concernée en raison, notamment, des prises de position de Fébus. Celui-ci profite en effet du désordre pour faire un pari audacieux : proclamer que le Béarn est une terre qu’il ne tient que de Dieu et pour laquelle il ne doit d’hommage à quiconque, ce qui aura pour conséquence d’exacerber les tensions entre le vicomte et le Edouard de Woodstock, plus connu sous le nom de Prince Noir, alors Prince d’Aquitaine et auquel il refuse l’hommage[26]. Ces tensions trouvent un écho dans un certain nombre d’actes du minutier d’Odet de Labadie et ont des implications directes sur Morlaàs et ses habitants[27].

Le minutier d’Odet de Labadie compte 1304 actes identifiables, répartis sur 172 folios. D’autres ont sans doute été dressés mais les conditions de conservation du codex n’en permettent pas l’identification. La répartition des actes retenus par le notaire est la suivante[28] :

Figure 3 – La répartition des actes du 3 E 806, Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques.

Les actes relatifs à une obligation juridique représentent à eux-seuls près de 73% des actes du minutier. Francis Brumont définit l’obligation comme étant « un engagement à payer une somme d’argent, à livrer un produit, à effectuer un travail dans un délai fixé par l’acte qui n’excède généralement pas une année[29] ». Viennent ensuite les actes de procédure en cas de litige qui concernent 11,7% des actes du minutier, témoignant du « rôle du notaire dans le domaine qualifié aujourd’hui de pénal », pour reprendre les termes de Jean Favier[30]. Ceux relatifs aux affaires de famille (actes relatifs à la dot, contrat de mariage, donations, règlements en succession, etc.), qui représentent un peu plus de 5% des actes, constituent un moyen privilégié d’approche des relations entre les individus et, plus largement, entre les groupes familiaux, ce qui n’est pas inintéressant pour notre sujet. Quelques actes relatifs aux matières féodales et ecclésiastiques ont été rédigés par Odet de Labadie et livrent de précieuses informations quant à la gestion et l’encadrement d’une société par ses élites ecclésiastiques mais ne nous renseignement finalement qu’assez peu sur la question des vesiis. Bien qu’un certain nombre de voisin morlanais aient des parents dans les ordres (notamment chez les Mendiants qui occupent une place importante à Morlaàs), les quelques informations que l’on parvient à glaner se retrouvent plus volontiers dans des actes relevant de l’obligation juridique. Ces écrits répondent à une logique de production qui n’a pas pour objectif de renseigner sur des individus autrement que par les engagements et les affaires de nature juridique auxquels ils sont associés. Néanmoins, l’analyse fine de ces minutes a permis la réalisation d’une étude socio-économique relativement précise de la Morlaàs des années 1364-1368 dans une perspective multiscalaire, à la fois individuelle et collective. En outre, il nous a été possible d’identifier clairement 126 vesiis[31], dont une partie appartient aux grandes familles morlanaises[32]. Selon Pierre Tucoo-Chala, la vesiau ou communauté de vesiis est la cellule administrative de base en Béarn[33]. Qu’en est-il à Morlaàs dans la seconde moitié du XIVe siècle ?

Les apports du document : il y a voisins et voisins !

Sans surprise, la plupart des voisins de Morlaàs appartiennent aux grandes familles de la ville. C’est notamment le cas de Per Iohan Arner, de Bernat de Duras ou encore de Caubet de la Tor[34]. En tant que parties, les voisins apparaissent dans un peu plus de 41% des actes du Minutier de Morlaàs, ce qui tend à démontrer leur forte implication dans les affaires de la ville, en tant qu’individus et en tant que groupe social.  L’essentiel des actes dans lesquels les voisins apparaissent relèvent d’affaires strictement personnelles. Néanmoins, leur qualité de vesii est systématiquement mentionnée, ce qui en fait un marqueur social essentiel au sein de la communauté urbaine. Qui sont-ils donc, ces voisins ? Ce qui est certain, c’est qu’ils comptent parmi les Morlanais que l’on connaît le mieux pour la période 1364-1368 (couverte par les actes du minutier). Parmi les individus dont le nom revient le plus fréquemment sous plume du notaire, six sont des vesiis. Afin de mieux saisir la dimension sociale de ce groupe, nous proposons de réaliser une « galerie de portraits » portant sur ces six voisins.

Figure 4 – Individus dont le nom revient le plus fréquemment dans les actes du 3 E 806, AD64.

On compte 27 occurrences pour le nom de Per Johan Armer. On ne sait qu’assez peu de choses le concernant, si ce n’est qu’il est l’époux d’une certaine Clarmontine[35]. L’intérêt principal des actes dans lesquels il est mentionné, portant essentiellement sur des affaires de la vie courante, est qu’ils permettent de reconstituer ses réseaux de sociabilité. Il est notamment en relation étroite avec Arnautolat de Marsaa à qui il vend un terrain pour 8 florins. Per Johan Armer fait également partie des témoins de la promesse qu’a faite Arnautolat de Marsaa de marier sa fille à un certain Berthomiu de Latapie qui est lui-aussi vesii, de même que Pee Saliee, borgues de Morlaàs, trésorier de Gaston III et jurat de Morlaàs, Arnauto Bruu de Cucuroo, notaire de Montaner, et Bernat deu Blanc, borgues de Morlaàs[36]. On peut émettre l’hypothèse que ces témoins ont moins été choisis par Arnautolat de Marsaa pour les relations personnelles qu’ils entretiennent avec lui qu’en raison de leurs statuts respectifs. De plus, la stratégie matrimoniale mise en place ici relève clairement d’un processus d’endogamie sociale. Le nom de Per Iohan Armer revient à plusieurs reprises dans des baux à complant : il s’agit d’achats de vin destinés à sa consommation personnelle[37]. De même, il est cité dans un certain nombre de procurations[38]. En avril 1366, il est le commanditaire de travaux de pierres pour son ostau neuf, ce qui laisse à penser qu’il est le propriétaire de plusieurs biens immobiliers à Morlaàs[39]. Per Iohan Armer est également un propriétaire terrien qui loue des terres et qui pratique l’élevage ovin[40]. Au mois de mars 1367, il est cité à comparaître devant le comte de Foix dans une affaire l’opposant à la fille de Johan Babii, les Babii appartenant à l’une des grandes familles de Morlaàs[41]. Aucun détail n’est donné par le notaire sur cette affaire ; Per Iohan Armer n’a manifestement pas l’intention de s’y rendre et donne procuration à un certain nombre d’individus pour le représenter. Notons que nous sommes alors à la fin de l’hiver 1367, que le Béarn se trouve alors dans une situation très instable et que Gaston III a sans doute alors d’autres préoccupations[42]. Quoi qu’il en soit, Per Iohan Armer semble être l’une des figures incontournables du Morlaàs de la seconde moitié du XIVe siècle, fortement impliqué dans les affaires de la ville et, à titre personnel, un riche personnage à la tête d’un important patrimoine foncier et immobilier.

On dispose de très peu d’informations à propos de Manaut de Castelhoo. Tout comme Per Iohan Armer, il achète du vin et il est à ce titre mentionné comme débiteur dans six baux à complant[43]. Son nom apparaît dans plusieurs reconnaissances de dettes dont on ne sait rien de plus que le montant dû, le délai de paiement et le nom des créanciers et débiteurs étant donné la brièveté des actes. Il se trouve en position de créancier dans une dizaine de cas[44]. Il est mentionné en tant que procureur d’une certaine Guirautine de Sedze pour laquelle il vend un ostau qu’elle possède dans le Bourg Neuf[45]. Peu d’informations sur ce Manaut de Castelhoo, donc, mais les quelques indices dont on dispose laissent entendre qu’il est un personnage impliqué dans les affaires économiques de la ville.

Arnautolat de Marsaa est, lui, à la tête d’un certain patrimoine immobilier à Morlaàs En novembre 1364, il loue une moitié d’ostau à Jacmes Dauree, un autre vesii de Morlaàs[46]. Propriétaire de bétail, il en met une partie au moins en gage chez un certain Ramon d’Abadie de Sendetz[47]. Il est débiteur dans 14 baux à complant pour l’achat de vin[48]. Arnautolat de Marsaa contracte, avec Arnautoo de Sendetz, un autre voisin de Morlaàs, un prêt important de 30 florins d’or, auprès de Guirautane, épouse de Bonetolo de Cadelhoo, membre de la vesiau également.

Le nom de Guilhem Sans de la Borde d’Espoey revient à deux reprises dans des actes se rapportant à la maltôte, cet impôt extraordinaire dont Philippe le Bel est l’instigateur, qui s’applique sur les biens de consommation courants tels que le vin, et dont la levée a pour but de faire face à des situations exceptionnelles[49]. On le retrouve également dans un certain nombre d’affaires d’ordre privé qui ne nous renseignent que peu à son sujet[50]. Son implication dans l’économie de la ville est tout à fait semblable à celles de ces autres voisins que l’on vient d’évoquer.

Arnaut de Blaxoo est également mentionné dans les actes évoquant la maltôte. Il se trouve que c’est lui qui obtient, avec Johan de Ponsoo et Johanet de Bere, deux autres vesiis de Morlaàs, la charge de perception de cet impôt pour l’année 1366[51]. Arnaut de Blaxoo paraît être à la tête d’un important capital financier, ainsi que semble l’indiquer la succession de mises en dépôt dans lesquelles il est mentionné en tant que créancier[52]. Il est également le propriétaire d’un cheptel nombreux qu’il met engage[53]. On le retrouve dans un certain nombre d’actes comme procurateur, aux côtés de Per Iohan Armer, Johan de Bordeu ou Johan deu Badagle, par exemple, tous membres de la vesiau. Enfin, il est cité dans un mandement daté de la fin avril 1367, ordonnant l’érection de remparts autour de Morlaàs ; cet acte est à mettre en relation directe avec le contexte politique troublé dans lequel se trouve alors la vicomté[54].

Si tous ces actes dans lesquels le notaire mentionne les vesiis ne sont pas en relation directe avec ce statut, ils nous renseignent néanmoins sur leurs pratiques sociales et commerciales. Les voisins constituent un groupe relativement homogène, une familia : bien que leurs réseaux de sociabilité puissent dépasser la seule vesiau, le vesiis traitent largement entre eux, ce qui nous amène à confirmer les propos de Dominique Bidot-Germa lorsqu’il évoque l’« oligarchie des voisins morlanais[55] ». Dans cette galerie de portraits, il nous reste cependant à évoquer un personnage figurant dans le tableau dressé plus haut : Monde de Bere.

Étudier le voisinage dans le Béarn médiéval implique nécessairement de traiter des voisines (vesies). Or il se trouve que Monde de Bere, figure féminine la plus représentée dans le minutier d’Odet de Labadie, est une voisine de Morlaàs. On sait tout d’abord qu’elle est propriétaire d’un important cheptel qu’elle met en gage chez des individus qui ont tous la particularité de ne pas être des Morlanais : ils sont respectivement d’Osse[56], de Luc[57], d’Andoins[58], et d’Espéchède[59]. Elle est également mentionnée dans un acte attestant du paiement de deux maîtres charpentiers pour des travaux qui avaient été engagés par Guilhemoo de Bere, vesii de Morlaàs et qui est vraisemblablement son père[60]. De même, on la retrouve dans plusieurs reconnaissances de dettes dans lesquelles elle est systématiquement dans la position du créancier[61]. Elle est à la tête d’un important patrimoine financier qui lui permet d’occuper une place conséquente dans les affaires de Morlaàs et des alentours. Bien que l’on sache la famille de Bere liée à Per Iohan Armer, Bernat de Duras, Pee Salier ou Caubet de la Tor, entre autres[62], le réseau de Monde est différent de celui des voisins précédemment cités. On peut se demander de quelle manière celle-ci est vesie. Si l’on s’en tient aux éléments issus des différents textes normatifs que nous avons présentés plus haut, on peut supposer que Monde de Bere est dite vesie en tant que fille de vesii héritière et donc en pleine possession de son patrimoine, selon les modalités de succession spécifiques ayant cours dans les Pyrénées. Elle semble en effet moins impliquée dans les affaires de la ville, y compris pour ses affaires privées. Il n’est cependant pas exclu que les vesies aient un rôle quelconque dans l’administration de la ville ou même prennent part à l’assemblée des voisins. Notons que, dans les actes de réception comme voisins du Livre noir de Salies, aucune femme n’est mentionnée. Deux hypothèses peuvent dès lors être formulées : la première consiste à envisager une évolution qui irait dans le sens d’une fermeture plus ou moins progressive de la vesiau aux femmes ; la seconde suppose qu’il en serait ainsi dès l’époque médiévale. La question reste ouverte.

Que sait-on justement des assemblées de voisins, de leur rôle, de leur place dans le paysage socio-économique de la ville ? Concernant Morlaàs, on ne dispose que d’assez peu d’informations à ce sujet, hormis le fait que les assemblées de la vesiau se a lieu en l’église Sainte-Foy et, lorsque les circonstances l’exigent, notamment en cas d’affluence particulièrement importante, à l’extérieur de celle-ci[63].

Les voisins morlanais tiennent une place essentielle dans les activités économiques de la ville et des alentours. De plus, Dominique Bidot-Germa, qui a beaucoup travaillé sur le minutier de Morlaàs dans le cadre de sa thèse de doctorat, a constaté un « véritable accaparement par cette oligarchie de « voisins » morlanais ou de leurs proches de charges communales en même temps que notariales[64] » : Arnaut Brun de Cuqueron, un des vesiis les plus influents de la ville, occupe la charge de jurat sans interruption entre 1364 et 1368 ; Brun de Duras, un autre vesii, occupe la charge de 1365 à 1366 tout en étant, en parallèle, titulaire d’offices importants auprès de Gaston III, ce qui est aussi le cas d’un certain Galhardolo d’Oroix (dont le père était garde de Morlaàs)[65]. La vesiau de Morlaàs comporte donc en son sein des individus dont l’influence va bien au-delà de la ville. Reste à savoir comment s’organise concrètement cette vesiau.

S’il a jusque-là été question de vesiis de Morlaas et donc de voisins membres de la communauté de Morlaàs, quelques actes du minutier semblent venir complexifier encore un peu plus la lecture que l’on peut à ce jour faire du phénomène de voisinage. On repère en effet trois actes dans lesquels il est question de vesiaus spécifiques à des espaces distincts de la ville de Morlaàs.

Johan deu Forn, Pee de Sacase, Johan de Sent Pau, Domenges de Pardalhaa, Arnautoo de Sendetz, Bernat d’Osques, Gassiot deu Cloos de Momii, Bonshom de Casanhe, vesiis de Marcadet, cascuns peu tot, per nom de la vesiau de Marcadet segon que dixon, devin dar a Arnaut d’Arricau, besii de Morlaas, VIII floriis d’aur boos e pagar per cap de tres setmanes a prop Pasques prosmaa. Obligan etc. speciaumentz que sen obligan au destret   deu dus serians deu senhor. Feyt a Morlaas, XXVI de martz. Testimonis : Pelegrii d’Ossuu de Montaner, Bernat d’Anoye diit Missero de Morlaas[66].

Il s’agit d’une reconnaissance, au nom de leur vesiau, d’une dette de 8 florins d’or par huit vesis de Marcadet, à Arnaut d’Arricau, vesii de Morlaas ; ils s’obligent à la rembourser sous la contrainte des sergents de ville dans un délai de trois semaines suivant Pâques, l’acte étant daté du 26 mars 1366 (n.st). Le deuxième acte est le suivant :

Notum sit etc., que cum d’autes betz, Guilhem Arnaut de Beoo, capitayne per lo senhor en loc de Morlaas, agos mandat aus vesiis de Morlaas Viele que, ab carte e [sotz] serte pene que fessen un embarat a Morlaas Viele en lo camp de Berthomiu de Bordeu. Es assaber que lo diit capitayne dix que de la terre que preneren deu diit camp ob de far lo diit embarat que lo senhor los ne portare bone e ferme garenthie, e asso dix ad Arnaut Guilhem d’Ossuu, a Pascau de Coaraze, a Johan de Theze e a Pee de Theze, besiis de Morlaas Viele. De las quoas causes los diitz besiis requeren carte. Actum III dies en decembre. Testimonis : fray Ramon[…] de Leme, fray deu cobent deus menors de Morlaas, Johan de Bordeu, vesii de Morlaas[67].

Il s’agit-là d’un mandement du capitaine Guilhem Arnaut de Beoo adressé aux voisins de Morlaas Viele pour construire une clôture dans le champ de Berthomieu de Bordeu  avec la caution formelle du seigneur. Il est rédigé le 3 décembre 1366 Enfin, un troisième acte est à mentionner :

Johan de Navalhes, Johanet de Bere e Guiraut de Sent Castii, vesiis de Borg Nau, per nom de lor e de tot la vesiau de Borg Nau segon que dixon, acomanan lo forn de Borg Nau ad Arnautoo de Bayze de l’ospitau d’Aubertii aqui present per de la feste de Nadau prosmar bien en IIII ans complitz e li liuratz […] franc e quitis lo quoau forn lo diit Arnautoo prenco en comane per los diitz IIII ans e prometo lo diit Arnautoo de thier lo diit forn bee e leyaumentz en l’estat que are es e de far lo cozer segon que autes betz acostumat de coser e prometo lo diit Arnautoo de far las obres necessaris au diit forn […] la some de V sos e dequi en sus fray Guilhem de Senta-Crotz per nom e cum procurador de l’ospitau d’Aubertii segon que dix que las hi prometo far en caas que mestier ni agos obligatz cascus etc. los diitz besiis de Bornau e lo diit Arnautoo de Bayze requerin se[u]cles cartes d’une tenor etc. Actum testimonis uts[68].

Ici, Johan de Navailles, Johanet de Bere et Guiraut de Saint-Castin, tous trois vesiis du Bourg-Neuf, mettent en dépôt,au nom de leur vesiau, le four du Bourg-Neuf à un certain Arnautoo de Bayze de l’hôpital d’Aubertin pour une durée de quatre ans. Notons que Johan de Navailles[69] et Guiraut de Saint-Castin[70] sont également cités comme vesiis de Morlaàs, à la différence de Johanet de Bere dont on a une seule autre mention dans un acte portant sur une tutelle mais dans lequel l’intéressé n’est pas mentionné en tant que voisin.

Dans les trois cas, les communautés de voisins du Marcadet, de Morlaàs-Viele et du Bourg-Neuf sont explicitement mentionnées. Aussi peut-on s’interroger sur l’hypothèse d’une coexistence, au sein d’une même ville, de plusieurs communautés de voisins. Ce phénomène de vesiaus multiples a été observé par Jeanne-Marie Larsen-Leducq dans sa monographie consacrée à la bastide de Vielleségure[71], commune située à environ 45 kilomètres de Morlaàs, à proximité de Navarrenx. Quatre vesiaus sont identifiées au sein de la bastide : la Carrère, la Besiau de dessus, appelée aujourd’hui Besiau de Haut, la Besiau debaig et Maubourguet[72] (notons au passage la persistance du terme de vesiau dans la toponymie comme marqueur d’une organisation socio-économique structurante). Cependant, il s’agit à Vielleségure d’une transposition de communautés préexistantes tandis que Morlaàs est une ville-neuve[73], ce qui n’empêche pas que le peuplement et l’affirmation des différents noyaux de la ville se soient étalés dans le temps. Quoi qu’il en soit, les processus de peuplement et d’organisation sont différents. À Morlaàs, il semble être davantage question d’une complexification liée à l’affirmation de l’Etat princier et à ses exigences fiscales[74]. On note également une différence d’échelle : Vielleségure n’est pas Morlaàs. Intéressons-nous de plus près aux membres des vesiaus de Marcadet et de Morlaàs-Viele nommés dans les actes ci-dessus. Concernant la vesiau de Marcadet, sur les huit noms mentionnés, trois sont cités de manière certaine dans d’autres actes en tant que vesiis de Morlaas : il s’agit de Johan deu Forn[75], d’Arnautoo de Sendetz[76] et de Boshom de Cassanhe[77]. Pour la vesiau de Morlaàs-Viele, tous les voisins nommés se retrouvent cités dans d’autres actes en tant que vesiis de Morlaas[78].

S’il existe plusieurs vesiaus à Morlaàs, reste à savoir comment elles s’organisent, d’autant plus que l’on ne dispose d’aucune information claire concernant le Bourg-Vieux. Aussi peut-on émettre deux hypothèses. La première d’entre elles consiste à considérer qu’il existe trois noyaux : les vesiaus du Bourg-Neuf, de Morlaàs-Viele et du Marcadet. En l’absence d’indice quant à l’existence du vesiau en son sein, on pourrait alors envisager que le Bourg-Vieux soit intégré à un autre noyau (vraisemblablement le Bourg-Neuf) et que la vesiau qui lui correspond soit alors nommée, de manière englobante, vesiau du Bourg-Neuf.

Figure 5 – Organisation des vesiaus de Morlaàs – hypothèse n°1.

On aurait alors des vesiaus organisées de manière hiérarchique, les trois vesiaus de Morlaàs-Viele, du Bourg-Neuf et du Marcadet subordonnées à une vesiau plus importante qui serait celle dite « de Morlaàs » et au sein de laquelle seraient désignés (par un processus électoral ? Selon des critères de propriété immobilière et/ou foncière ?), dans le but de siéger aux assemblées des voisins de Morlaàs.

La seconde hypothèse impliquerait la coexistence, sur un même plan, de quatre vesiaus, chacune dépendant d’un des quatre bourgs identifiés par Benoît Cursente[79]. Dans ce cas, on pourrait relier la vesiau de Morlaas au Bourg-Vieux. Une hiérarchie s’établirait également mais la question se poserait davantage en termes de poids économique. La vesiau de Morlaàs est, et de très loin, la plus mentionnée dans les actes du minutier d’Odet de Labadie. Les trois autres ne le sont que très ponctuellement.

Figure 6 – Organisation des vesiaus de Morlaàs – hypothèse n°2.

Le Dénombrement Général des maisons de la vicomté de Béarn réalisé en 1385 ne nous permet pas de dissiper le brouillard qui entoure cette question dans la mesure où les officiers qui l’ont réalisé ne distinguent que deux entités : Morlaas et le Borc-Nau[80]. De fait, il n’est pas possible d’établir de parallèle entre le bourg dans lequel un voisin possède un ostau et la vesiau à laquelle il appartient.

On dispose également de deux actes qui font mention de gardes spécifiquement rattachés au Bourg-Neuf :

Per Guirautoo de la Tor e Johane sa molher, e Peyrolo de Nostii Ga[vineter] de Morlaas, cum gardes que dixon que ere de Borg Nau de Morlaas, devin dar a Per d’Escarer, vesii de Morlaas, VIII liures de Morlaas e aqueres per arason de l’arrendament de la maletote de l’an present, segon que dixon pagar la mieytat a Sent Johan-Baptiste prosmar vient e l’aute mieytat a la Sent-Andreu Apostol a prop segent obligatz lors bees e causes e ors deudiit borg nau entant que poden cum gardes. Feyt a Morlaas IX dies en martz. Testimonis :Johan de Ponsso, Galhard de Peletroys de Morlaas[81].

Pee Guirautoo de la Tor e Peyroo de Nostii Ga[vineter], gardes de la vesiau de Bornau, per nom de lor e de tot la vesiau de Bornau segon que dixon, benon e arrendan la maletoate deu vii e de la pomade de la vesiau de Bornau per de la feste de Sent Andreu prosmar passade entro la feste de Sent Andreu prosmaa bient, es assaber a Johan de Ponsoo, a Johanet de Boc e ad Arnaut de Blaxoo, vesiis de Bornau, e asso per la some e prets de VIII liures de Morlaas que las diites gardes ne reconegon aver prees e reebut. Laqouau vente e arrendament las diites gardes los prometon far boo en tot lo diit termi segon que autes vetz es acostumat obligan lors bees e los de la diite vesiau cum gardes, etc. Actum VIII dies en gier. Testimonis : Bernat Baradat de Gerzerest, Per d’Escarer de Morlaas[82].

Rappelons que les gardes étaient « en principe chargés d’assurer l’exécution des mesures décidées par le baile ou par les jurats ; leur compétence s’étendait à tous les domaines sauf au judiciaire. Comme les jurats, ils étaient nommés pour un an et rééligibles », selon la définition qu’en donne Pierre Tucoo-Chala. Il précise qu’ils sont « au nombre de deux dans les villages, de quatre dans les gros bourgs [et que] leurs fonctions étaient ainsi définies : ‘’pouvoir d’exécuter toute besogne que la cité aura à faire envers les officiers du comte ou toute autre personne’’.[83] On connaît six gardes pour Morlaàs entre 1364 et 1366 dont quatre sont expressément qualifiés de gardes de Borg Nau de Morlaas[84] ou de gardes de la vesiau de Bornau[85]. Par conséquent, cela implique que le Bourg-Neuf bénéficie d’une organisation qui lui est propre, directement subordonnée au bayle de Morlaàs Pelegrii d’Ossun ainsi qu’à la vesiau de ce même bourg, si l’on s’en tient à la manière dont sont qualifiés certains des gardes. Tous ces éléments tendent à démontrer que la vesiau du Bourg-Neuf semble jouir d’une influence importante au sein de la ville de Morlaàs.

Enfin, on retrouve les vesiaus de Morlaàs-Viele et de Marcadet dans une série de quatre actes dressés au mois de mai 1367.

Pelegrii d’Ossuu, bayle de Morlaas en quet temps, per nom de eg e deus juratz de Morlaas, segon que dix comissaris per lo senhor a far lo barralh de Morlaas, mana de las partz deu senhor en pene de .C. marx d’argent, a Pelegrii Lambert e ad Arnaut de Blaxoo, vesiis de Morlaas, que de [si] a dimartz prosmaa bien, egs agossen manat e trey[at] la talhe de Bornau tot per aixi cum eg l[…]s y da[…]e en rotle. Requeren carte. Actum lo segon die de may. Testimonis fray Per de Forx, monge, Arnaut de Manhet de Montcaub[86]

Lo diit bayle fe lo medix man a Berdoo d’Osques e a Domenioo de Perdelhaa, vesiis de Marcadet, de la talhe de Marcadet. Requeren carte. Actum ut supra. Testimonis Domenioo de la Darer, Guilhoo de Viele Franque de Morlaas[87].

Lo diit bayle fe lo medix man a Pee deu Blanc e a Per Bruu de la talhe de la Une carere deu borg. Requeren carte. Actum ut supra. Testimonis Caubet de la Tor, Frances de Bordeu, sartre de Morlaas[88].

Lo diit bayle fe lo medix man a Bernat de Nostii diit Filhou e a Pascau de Coarase de la talhe de Morlaas Viele. Requeren carte. Actum ut supra. Testimonis Bernat deu Blanc, Per Bruu de Morlaas[89].

Depuis le mois d’avril 1367, Gaston III de Foix-Béarn organise la mise en défense de la vicomté alors qu’il craint le retour Prince Noir qui a passé les Pyrénées pour se joindre à Pierre Ier de Castille (dit le Cruel) dans la guerre qui l’oppose à Henri de Trastamare, et à qui il refuse toujours l’hommage pour la vicomté de Béarn. À la tension politico-militaire que connaît alors la vicomté s’ajoute assez logiquement une tension fiscale : il s’agit en effet de financer la construction de fortifications autour de Morlaàs (« far lo barralh de Morlaas[90]»). C’est précisément ce dont il est question dans ces quatre actes dans lesquels le bayle Pelegrii d’Ossun ordonne le paiement de la taille du Bourg-Neuf aux voisins de Morlaàs (acte n°1), la taille du Marcadet aux voisins du Marcadet (acte n°2) et celle de Morlaàs-Viele aux voisins de Morlaàs-Viele (acte n°4). Les choses sont moins claires concernant l’acte n°3 dans lequel il est question de « la une carrere deu borg ». Cette expression renverrait-elle au Bourg-Vieux ? Mais dans ce cas, pourquoi ne pas parler clairement de Borg Vielh ? De plus, on sait de Pee Brun qu’il est vesii de Morlaàs[91] et de Pee deu Blanc qu’il est borges de Morlaàs mais jamais mentionné comme vesii. Quoi qu’il en soit, on constate le rôle majeur des vesiaus en matière de fiscalité.

Il semble donc que l’on ait affaire à des vesiaus multiples à Morlaàs. Si l’on ne dispose d’aucune donnée qui puisse permettre l’élaboration d’une chronologie et donc d’établir l’antériorité d’une vesiau par rapport aux autres, il est assez probable, si l’on considère les vesiaus comme des entités dont la nature est avant tout économique et fiscale, que les trois vesiaus de Morlaàs-Viele, du Bourg-Neuf et du Marcadet apparaissent dans un second temps. On comprend assez bien l’enjeu pour le Marcadet qui est, ainsi que son nom l’indique, le lieu de tenue du marché hebdomadaire et des foires, et qui pourrait donc faire l’objet d’une gestion spécifique. La chose est moins claire concernant Morlaàs-Viele et le Bourg-Neuf. L’existence d’une résidence vicomtale a-t-elle une influence sur cette organisation communautaire plurielle ? Nombre de questions demeurent. La seule chose que l’on peut affirmer à ce jour, c’est que la communauté de voisins de Morlaàs est multiple et structurée en plusieurs vesiaus qui s’inscrivent spatialement dans un bourg mais dont on éprouve encore des difficultés à comprendre l’organisation hiérarchique.

Conclusion : une recherche à prolonger

Le voisinage est donc un phénomène complexe qu’il est nécessaire d’envisager sur un temps long, en s’efforçant de comprendre ce qui relève de la permanence, de l’adaptation, de l’innovation. De même, il est intéressant de chercher à comprendre comment il s’organise dans d’autres espaces européens pour lesquels le sujet a été plus étudié (ce qui est notamment le cas pour l’Italie communale), sans pour autant chercher à établir un quelconque modèle qu’il serait aussi tentant que risqué de chercher à transposer. Cette présentation de la situation morlanaise réalisée à partir du seul écrit notarié médiéval conservé pour la ville permet néanmoins de donner un éclairage sur ce qu’est le voisinage dans la Gascogne médiévale, à commencer par l’existence, à Morlaàs, d’une sorte de « sous-voisinage » surprenant en dehors du contexte italien. Il semble dès lors que l’hypothèse précédemment formulée selon laquelle notre étude peut enrichir la connaissance du phénomène des voisins a reçu une première confirmation.

Trois axes de recherche semblent se dessiner. Tout d’abord se pose la question du rapport entre « voisin des villes » et « voisin des champs » : à travers des exemples de Morlaàs et de Vielleségure, on peut d’ores et déjà s’interroger sur la plasticité du phénomène. Ces communautés s’inscrivent-elles dans un héritage archaïque haut-médiéval, relèvent-elles d’adaptations aux « modernités » médiévales, d’une réalité hybride ? On peut également s’interroger sur le cas de Morlaàs dans l’Europe des voisins. Nous l’avons vu, le voisinage est un phénomène européen qu’il s’agit de considérer dans toute sa complexité et ses spécificités. Qu’en est-il donc du vesii gascon au regard du voisinage italien, navarrais, etc. ? Enfin, il serait intéressant de réfléchir à la place du voisinage dans le phénomène des communautés[92] : la présence d’une communauté de voisins sur un territoire est-elle exclusive d’autres formes d’organisations communautaires ? Quelles sont les spécificités du voisinage ? Est-il possible de saisir une forme de sentiment d’appartenance à la communauté vicinale, etc. ? Autant d’interrogations qui élargissent le spectre des recherches à mener afin d’affiner notre connaissance du phénomène de voisinage.


[1] Coralie Nazabal, Morlaàs de 1364 à 1368 d’après le minutier d’Odet de Labadie (AD64, III E 806), Master Recherche du Master Histoire, Civilisations, Patrimoines de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, 2017 (sous la direction de V. Lamazou-Duplan et de D. Bidot-Germa), vol. 1 Synthèse (288 p.), vol. 2 Annexes (293 p.).

[2] J’adresse mes très sincères remerciements à Benoît Cursente pour ses conseils avisés, pour la confiance qu’il me témoigne, et pour la gentillesse et la bienveillance dont il a toujours fait preuve à mon égard : mercés hòrt, car mèste ! Je remercie également Dominique Bidot-Germa d’avoir pris le temps de me relire et de me conseiller de façon éclairante. De même, je remercie Véronique Lamazou-Duplan pour son aide précieuse et sa présence à toute épreuve durant la réalisation de mon mémoire de Master et bien au-delà. Enfin, je remercie l’ensemble de l’équipe de Circé et plus particulièrement Lionel Germain, l’une des belles rencontres de mon expérience parisienne, pour m’avoir donné l’opportunité de proposer cet article et pour m’avoir accompagnée dans sa rédaction..

[3] Jean-Pierre Barraqué, « Oloron, le difficile développement d’une ville du piémont béarnais », in Mundos medievales I : Espacios, sociedades y poder : homenaje al profesor José Ángel García de Cortázar y Ruiz de Aguirre, Vol. 1, 2012, p. 79-92.

[4] Dans son introduction à l’ouvrage collectif Communautés d’habitants au Moyen Âge (XIe-XVe siècles), Joseph Morsel émet l’hypothèse selon laquelle « Outre les liens tissés entre les membres, ce qui caractériserait la communauté (rurale, urbaine, artisanale, confraternelle, etc.) serait donc aussi le rapport à l’espace ». Cf. Joseph Morsel (dir.), Communautés d’habitants au Moyen Âge (XIe-XVe siècles), Éditions de la Sorbonne, Série du LAMOP, Bialec, Heillecourt, 2018.

[5] Du Cange et alii, Glossarium mediae et infimae latinitatis, L. Favre, Niort, 1883-1887.

[6] Lex Salica, tit. 47, §4. La première composition de la Loi Salique remonte approximativement au règne de Clovis ((481-511).

[7] Sandra Ott, The circle of Mountains : A Basque Shepherding Community, University of Nevada Press, 1993.

[8] Karol Modzelewski, L’Europe des Barbaresop. cit., p. 255.

[9] Menant François, L’Italie des Communes (1100-1350), Belin, Paris, 2005, p. 202-203.

[10]Ibidem.

[11]Ibidem.

[12]José María Imízcoz Buenza, Elites, poder y red social, las élites del País Vasco y Navarra en la Edad Moderna, Servicio editorial de la Universidad del País Vasco, 1996.

[13]Ana Zabalza Seguín, Aldeas y campesinos en la Navarra Prepirenaica (1550-1817), Gobierno de Navarra, Departamiento de Educació y Cultura, Huarte Gráfica S.A.L, Pamplona, 1994.

[14] Herzog, Tamar, Defining Nations : Immigrants and Citizens in Early Modern Spain and Spanish America, Yale University Press, 2003.

[15] Niermeyer, Jan Frederik, Lexicon Mediae Latinitatis, Brill Leiden, Allemagne, 1954.

[16] Vastin Lespy, Paul Raymond, Dictionnaire béarnais ancien et moderne […], p. 72.

[17] Adolphe Mazure, Jean-Auguste Hatoulet, Fors de Béarn, Pau, Vignancourt, 1840, p.161.

[18] Les Judyats ou sentences constituent un recueil de jugements rendus au XIIIe et au XIVe siècle par la cour de Morlaàs notamment, et ayant valeur de jurisprudence.

[19] « Item que cum Mossen Gaston agos ague plenere deliberation enter nos, dixom que si augun homi estrani crompave mayson a Morlaas e no-s mustrave vesin publiquementz et no jurave besiau, ab que leys, talhes e besiaus agos pagades, que no es besin. », Article 151 des Jugés de Morlaàs, in Les Fors anciens de Béarn, publiés par Paul Ourliac et Monique Gilles, Éditions du CNRS, Toulouse, 1990, p. 413. Pierre Toulgouat, dans son ouvrage Voisinage et solidarité dans l’Europe du Moyen Âge, lou besi de Gascogne, G.-P. Maisonneuve et Larose, Paris, 1981, fait le constat que la coutume de Navarre est relativement similaire à ce sujet : « celui qui acquerra bois, terre ou autre vesiadge (voisinage, vencidad), même s’il paye les charges, ne sera reçu voisin et ne jouira des droits que s’il est reçu voisin à la besiau » (p. 86).

[20] Vastin Lespy, Paul Raymond, Dictionnaire béarnais…, op.cit., p. 72.

[21] Pierre Toulgouat, Voisinage et solidarité dans l’Europe du Moyen Âge…, op. cit., p. 90. L’acte qui nous est ici rapporté est tiré de l’ouvrage Habas et son Histoire de Césaire Daugé, publié à  Dax en 1906. Nous ne sommes malheureusement pas en mesure de donner la page dont a été tirée cette citation, Pierre Toulgouat n’utilisant pas le système de notes rigoureux qui incombe à une étude historique universitaire et n’ayant pas pu consulter nous-même cet ouvrage.

[22] On en relève 91 dans le Livre noir de Salies de Béarn, livre dans lequel le conseil de la ville a décidé, le 15 juin 1517, de consigner les affaires de la cité. Ces réceptions comme voisins sont tantôt individuelles, tantôt collectives et concernent une période allant du 16 juin 1517 au 8 novembre 1684. Ces réceptions font toujours suite à une demande de par les individus concernés. Un acte de refus de réception comme voisin y figure également ; son motif n’est pas précisé. Cf Jacques Staes, Benoît Cursente, et alii., Le Livre noir de Salies (1517-1684), Publication intégrale, annotée et commentée, Société des Sciences, Lettres et Arts de Pau et du Béarn, Orthez, 2017.

[23] Pierre Tucoo-Chala, « Les fonctions urbaines des capitales du Béarn médiéval, étude comparative », separata de Homenaje a Don José María Lacarra de Miguel en su jubilación del profesorado, Estudios medievales, IV, Anubar Ediciones, Zaragoza, 1977, p. 7-35.

[24] Coralie Nazabal, Morlaàs de1364 à 1368 d’après le minutier d’Odet de Labadie, op.cit., p. 159-165.

[25] Benoît Cursente, « Le développement urbain de Morlaàs à la fin du XIe et au début du XIIe siècle », in Bulletin philologique et historique jusqu’à 1610 du Comité des travaux historiques et scientifiques, France, 1972.

[26] Pierre Toulgouat, Gaston Fébus, Prince des Pyrénées, (1331-1391), Atlantica, Biarritz, 2008, p. 118-119. Le document original est publié par Pierre TUCOO-CHALA dans La vicomté de Béarn et le problème de sa souveraineté, des origines à 1620, Bière Imprimeur, Bordeaux, 1961 : n°27 (1365), p. 164.

[27] Coralie Nazabal, « Ville et campagne en Béarn : Morlaàs, une ville sous tension (1367) », XLIV Semana Internacional de Estudios medievales, Erdi Aroko Ikerlanen Nazioarteko Astea, p. 297-290.

[28] Graphique réalisé à partir de la grille de répartition mise au point autour de Gabriel Audisio in L’Historien et l’activité notariale. Provence, Vénitie, Égypte, XVe-XVIIIe siècles, Presses universitaires du Mirail, Toulouse, 2005. Adaptée au notariat gascon par Dominique Bidot-Germa, elle a été appliquée au Lavedan de manière probante par Jérémie Kuzminski dans le cadre de son mémoire de Master intitulé Essai d’anthropologie historique : vivre dans la société lavedanaise du XVe siècle. Conditions matérielles, relations sociales et systèmes de pensées à travers l’étude des sources notariales, Mémoire de Master 2, Université de Pau et des Pays de l’Adour, 2013 (dir. Jean-Pierre Barraqué), p. 181-182.

[29] Francis Brumont, « Le crédit rural en Espagne du Nord-Ouest à l’époque moderne » actes des XVIIe journées internationales d’histoire de l’abbaye de Flaran, septembre 1995, texte paru dans Endettement paysan et crédit rural dans l’Europe médiévale et moderne, Maurice Berthe (dir.), Presses universitaires du Mirail, France, 1998, p. 239-281.

[30] Jean Favier, Article « Droits », Dictionnaire de la France médiévale, Paris, 1993, p. 361-362.

[31] Il s’agit d’une source dont nous avons une bonne connaissance, l’ayant étudiée dans son intégralité dans le cadre de notre mémoire de Master soutenu en juin 2017.

[32] Voir Annexe n°1.

[33] Pierre Tucoo-Chala, Gaston Fébus et la Vicomté de Béarn (1343-1391), Imprimerie Bière, Bordeaux, 1959, p. 116.

[34] Dominique Bidot-Germa, Un notariat médiéval, Droit, pouvoir et société en Béarn, Presses Universitaires du Mirail, 2008, p. 214-219.

[35] 3 E 806, fol. 35.

[36] 3 E 806, fol. 55v.

[37] 3 E 806, fol. 51.

[38] 3 E 806, fol. 11, 53, 60, 76, 83, 90, 100, 100-100v, 126, 131-131v, 142.

[39] 3 E 806, fol. 85v.

[40] 3 E 806, fol. 35v.

[41] 3 E 806, fol. 131-131v.

[42] Les tensions entre Gaston III et le Prince Noir sont vives : après sa victoire lors de la bataille de Launac qui lui permet de figurer parmi les grands féodaux des Pyrénées, Fébus renforce sa volonté de se positionner comme le seigneur d’une terre indépendante et de faire du Béarn une souveraineté en refusant l’hommage qu’il doit pour elle au Prince Noir. Cf. Véronique Lamazou-Duplan et Dominique Bidot-Germa, « Assises et discours politiques en Béarn au temps de Fébus », Signé Fébus, Comte de Foix, Prince de Béarn, Somogy Editions d’Art, 2013, p. 38-49.

[43] 3 E 806, fol. 31v, 39, 75, 150, 150v, 155v.

[44] 3 E 806, fol. 21v, 22v, 67, 81v, 91, 93v, 94, 146, 148, 150v, 159.

[45] 3 E 806, fol. 145v.

[46] 3 E 806, fol. 6.

[47] 3 E 806, fol. 8v, 21.

[48] 3 E 806, fol. 50v, 62, 88v, 94v, 118v, 130v, 136, 144, 150v, 165, 166.

[49] 3 E 806, fol. 10v, 18.

[50] 3 E 806, fol. 22v, 63, 108v, 122.

[51] 3 E 806, fol. 107v.

[52] 3 E 806, fol. 20, 20v, 23v, 62, 99v, 103v.

[53] 3 E 806, fol. 97, 145, 149.

[54] 3 E 806, fol. 139v.

[55] Dominique Bidot-Germa, Un notariat médiéval… op. cit, p. 115.

[56] 3 E 806, fol. 133v.

[57] 3 E 806, fol. 77bis, 132v.

[58] 3 E 806, fol. 125v.

[59] 3 E 806, fol. 153.

[60]3 E 806, fol. 123v.

[61] 3 E 806, fol. 9v, 24v, 31v, 59v, 75v, 98v, 107, 114, 115, 115v, 127v, 143v.

[62] 3 E 806, fol. 60.

[63] 3 E 806, fol. 37v.

[64] Dominique Bidot-Germa, Un notariat médiéval… op. cit.

[65] Dominique Bidot-Germa, Un notariat médiéval… op. cit., p. 115.

[66] 3 E 806, AD64, fol. 82v. « Johan deu Forn, Pee de Sacase, Johan de Sent Pau, Domenges de Pardalhaa, Arnautoo de Sendetz, Bernat d’Osques, Gassiot deu Cloos de Momii et Bonshom de Casanhe, voisins du Marcadet, en leur nom et pour toute leur communauté, doivent à Arnaut d’Arricau, voisin de Morlaàs, huit florins d’or bons et s’engagent à les payer dans un délai de trois semaines suivant Pâques. Ils s’obligent sous la contrainte des sergents de la ville. Fait à Morlaàs le 26e jour de mars [1366]. Témoins : Pelegrii d’Ossuu de Montaner, Bernat d’Anoye dit Missero de Morlàas ».

[67] 3 E 806, AD64, fol. 99. « Notum sit, etc. que comme d’autres fois, Guilhem-Arnaut de Beoo, capitaine du seigneur en la ville de Morlaàs, fait savoir aux voisins de Morlaàs-Viele par l’envoi d’une lettre et sous une certaine peine qu’ils doivent construire une clôture à Morlaàs-Viele, dans le champ de Berthomiu de Bordeu. Le capitaine dit que pour la terre qu’ils prendront audit champ afin de faire ce fossé, le seigneur apporte bonne et ferme garantie, à Arnaut-Guilhem d’Ossun, Pascau de Coarraze, Johan de Thèze et Pee de Thèze, voisins de Morlaàs-Viele. Desquelles choses lesdits voisins requièrent une carte. Fait le 3e jour de décembre [1367]. Témoins : frère Ramon[…] de Leme, frère du couvent des Mineurs de Morlaàs, Johan de Bordeu, voisin de Morlaàs ».

[68] 3 E 806, AD64, fol. 101-101v. « Johan de Navailles, Johanet de Bere et Guiraut de Saint-Castin, voisins du Bourg-Neuf, en leur nom et en celui de toute leur communauté, baillent à ferme le four du Bourg-Neuf à Arnautoo de Bayze de l’hôpital d’Aubertin ici présent, de la fête de Noël prochaine pour 4 ans accomplis, et lui [luiratz][…] franc et quittes. Lequel four ledit Arnautoo reçoit pour lesdits 4 ans. Ledit Arnautoo s’engage à tenir ledit four bien et légalement en l’état dans lequel il est maintenant et de faire cuire selon que les autrefois il était coutume de cuire et il s’engage, ledit Arnautoo, à faire les travaux necessaries audit four […] la somme de cinq sous et de là, en plus, frère Guilhem de Sainte-Croix, en son nom et en tant que procureur de l’hôpital d’Aubertin selon ses dires, leur promet de les faire en cas de nécessité […]. Lesdits voisins du Bourg-Neuf et ledit Arnautoo de Bayze requièrent la rédaction d’une charte d’une teneur, etc. Actum testimonis uts ».

[69] 3 E 806, AD64, fol. 23v, 95v, 147, 152.

[70] 3 E 806, AD64, fol. 23v, 109.

[71] Jeanne-Marie Larsen-Leducq, Histoire d’un village : Vielleségure, Presses d’ICN, Orthez, 2014.

[72] Jeanne-Marie Larsen-Leducq, Histoire d’un village… op. cit., p. 38.

[73] Jean-Loup Abbé, Dominique Baudreu, Maurice Berthe,« Les villes neuves médiévales du sud-ouest de la France (XIe-XIIIe siècles), in Las vilas nuevas del Suroeste europeo. De la fundación medieval al siglo XXI. Análisis histórico y lectura contemporánea de Hondarribia (16-18 novembre 2006), Pascual Martinez Sopena, Mertxe Urteaga (eds.), Boletín Arkeolan, 14, 2006 (paru en 2009), p. 3-33.

[74] Coralie Nazabal, « Ville et campagne en Béarn… » op. cit.

[75]3 E 806, AD64, fol. 49, 138v, 128v, 75, 124v.

[76]3 E 806, AD64, fol. 90v, 93, 139v, 151.

[77] 3 E 806, AD64, fol. 67v.

[78] 3 E 806, AD64 : Arnaut Guilhem d’Ossun, fol. 17, 18, 165v ; Pascau de Coarraze, fol. 75v, 107, 107v, 115, 128, 136, 140, 147v ;  Johan de Thèze, fol. 125v ; Pee de Thèze, fol. 30, 77bis, 106, 107, 119.

[79] Benoît Cursente, « Le développement urbain de Morlaàs à la fin du XIe et au début du XIIe siècle », in Bulletin philologique et historique jusqu’à 1610 du Comité des travaux historiques et scientifiques, France, 1972.

[80] Paul Raymond, Dénombrement Général des Maisons de la vicomté de Béarn en 1385, Ribaut, Pau, 1873.

[81] 3 E 806, AD64, fol.77v « Per Guirautoo de la Tor et son épouse Jeanne, et Peyrolo de Nousty Ga[vineter] de Morlaàs, en tant que gardes du Bourg-Neuf, doivent huit livres à Per d’Escarer, voisin de Morlaàs, pour la ferme de la maltôte de l’année. Ils s’engagent à payer la moitié de la somme à la Saint-Jean-Baptiste prochaine et l’autre moitié à la Saint-André, apôtre. Ils sont obligés sur leurs biens. Fait à Morlaàs le 9e jour de mars. Témoins : Johan de Ponsso, Galhard et Peletroys de Morlaàs ».

[82] 3 E 806, AD64, fol. 77v. « Pee Guirautoo de la Tor et Peyroo de Nousty Ga[vineter], gardes de la communauté du Bourg-Neuf, en leur nom et en celui de toute la communauté, baillent à ferme la maltôte du vin et du cidre de la communauté du Bourg-Neuf de la Saint-André passée à la Saint-André suivante à Johan de Ponsoo, Johanet de Boc et à Arnaut de Blachon, voisins du Bourg-Neuf, et ce pour la somme de 8 livres de Morlaàs. Les gardes attestent avoir reçu et pris la somme et s’engagent à faire bien durant ce délai selon qu’il était coutume autrefois. Ils s’obligent sur leurs biens et ceux de ladite communauté en tant que gardes. Actum le 8e jour de janvier. Témoins : Bernat Baradat de Gerzerest, Per d’Escarer de Morlaàs ».

[83] Pierre Tucoo-Chala, Gaston Fébus et la vicomté de Béarn : 1343-1391, Imprimerie Bière, Bordeaux, 1959, p. 117.

[84] 3 E 806, AD64, fol. 77v.

[85] 3 E 806, fol. 107v.

[86] 3 E 806, AD64, fol. 139v. Pelegrii d’Ossun, bayle de Morlaàs en ce temps, en son nom et en ceux des jurats de Morlaàs commissionnés par le seigneur pour faire le fossé de Morlaàs, ordonne de la part du seigneur sous peine de cent marcs d’argent à Pelegrii Lambert et à Arnaut de Blachon, voisins de Morlaàs, que d’ici à mardi prochain, ils aient baillé à ferme la taille du Bourg-Neuf […]. Ils requièrent la rédaction d’une charte. Actum le 2e jour de mai. Témoins : frère Per de Forx, moine, Arnaut de Manhet de Montcaub ».

[87] Ibidem. « Le bayle fait le même mandement à Berdoo d’Osques et à Domenioo de Perdelhaa, voisins de Marcadet, pour la taille du Marcadet. Ils requièrent la rédaction d’une charte. Fait le 2 mai 1367. Témoins : Domenioo de la Darer, Guilhoo de Viele Franque de Morlaàs ».

[88] Ibidem. « Le bayle fait le même mandement à Pee deu Blanc et à Per Bruu pour la taille de [la Une] rue du bourg. Ils requièrent la rédaction d’une charte. Fait le 2 mai 1367. Témoins : Caubet de la Tor et Frances de Bordeu, tailleur de Morlaàs ».

[89] Ibidem. « Le bayle fait le même mandemant à Bernat de Nousty dit « Filhou » et à Pascau de Coarraze pour la taille de Morlaàs-Viele. Ils requièrent la rédaction d’une charte. Fait le 2 mai 1367. Témoins : Bernat deu Blanc et Per Bruu de Morlaàs ».

[90] Coralie Nazabal, « Ville et campagne en Béarn… » op. cit.

[91]3 E 806, fol. 156.

[92] Joseph Morsel (dir.), Communautés d’habitants au Moyen Âge (XIe-XVe siècles), Éditions de la Sorbonne, Série du LAMOP, Bialec, Heillecourt, 2018.


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Annexe : index des noms de voisin dans le minutier d’Odet de Labadie(1364-1368)

Vesiis de Morlaas

[…] d’Assat, fol.17v.

[…] de Momas, fol. 40v.

[Bonetolo] de Cadelhoo, fol. 68v.

[Johan de] Bordeu, fol. 6.

[Johanet] de Cucuroo, fol. 40v.

A.

Archaloo de Vielefranque, fol. 77bis

Arnaut Bernat de Pomees, fol. 70v, 72.

Arnaut Blaxoo, fol. 20v.

Arnaut Daricau, fol. 30v, 82v, 83v, 98v.

Arnaut de [Daa Ramon], fol. 73.

Arnaut de Blaxoo, fol. 20v, 23v, 23v-24, 40v, 55, 62, 96, 97, 99v, 103v, 107v, 119, 133, 145, 149.

Arnaut de Casenave dit clec deo Sent Laurentz, fo. 40.

Arnaut de Iacmes, fol ? 72v-73.

Arnaut de Narb, fol. 50v, 58v.

Arnaut de Sent Castii, fol. 31v, 51, 106v, 114v.

Arnaut de Tre[yener], fol. 79.

Arnaut den Vinhes, fol. 5, 94, 161v.

Arnaut de Blanc, fol. 98v.

Arnaut deu Vinhau, fol. 129.

Arnaut Guilhem d’Ossuu, fol.17, 18, 165v.

Arnaut Guilhemet, fils d’Arnaut de Sent Castii, fol. 31v.

Arnaut Guilhem de Gert, fol. 39v, 99.

Arnautolat de Marsaa, fol. 6, 8v, 9, 21, 50v, 62, 82, 88v, 90v, 92v, 118v, 130v, 136, 144, 150v, 165, 166.

Arnautoo de Baylere, fol. 18, 58, 65v, 68v.

Arnautoo de Bordeu, fol. 74v.

Arnautoo de la Fosse, fol. 58v, 143v.

Arnautoo de Lacoste, fol. 41, 82.

Arnautoo de Sendetz, fol. 90v, 93, 139v, 151.

Arnautoo de Sent Castii, fol. 51v.

Arnautoo de Theze, fol. 5v, 18, 39v, 40v, 130v, 136v.

Arnautoo Debat, fol. 108v.

Arnautoo Lambert, fol. 111.

Auger d’Espoey Guixar, fol. 108v.

Auger Merser, fol. 40v.

B.

Berdolet deu Port, fol. 24, 24v, 140v, 158.

Berdolo Darrife, fol. 95v.

Berdolo de Daa Ramon, fol. 73.

Berdolo de Prat de Buros, fol. 49, 53v, 74v, 75v, 77bisv, 127v, 157.

Berdolo deu Prat, fol. 47, 106v.

Berdot Lacoste, fol. 82, 117v, 147.

Berdot de Poey, fol. 82v, 119v.

Berdot d’Osques, fol. 20v.

Bergunhat de Bordeu, fol. 105v.

Bernadon deu Port, fol. 92v.

Bernat Baradat, fol. 139v.

Bernat d’Anoye dit Mixero, fol. 8v, 11, 151.

Bernat d’Aromaas, fol. 147, 155v.

Bernat de Bordeu, fol. 147v.

Bernat de Cadelhoo, fol. 50v.

Bernat de Cururon, fol. 105v.

Bernat de Duras, fol. 35.

Bernat de Marqu[er] Sus, fol. 72v-73.

Bernat de Nabeta, fol. 122v.

Bernat de Nostii, dit Filhou, fol. 79.

Bernat Guilhem de Lescar, fol. 119v.

Bernat Juus de Sedzere, fol. 73v, 89v, 106v, 136.

Bonetolo de Cadelhoo, fol. 77bisv.

Berthomiu Cauderer, fol. 8v, 22v.

Bosom de Cassannhe, fol.82v.

C.

Colomec Colom, fol. 127v, 133v.

Combien d’Anglade, fol. 142.

Conderane de Theze, fol. 5v.

Condor […], fol. 118.

D.

Domenioo de Ladarre[r], fol. 108v, 123.

Domenioo d’Espoey, fol. 22v, 79.

F.

Florane (veuve de Johan de Cort), fol. 119.

Florane (épouse d’Arnaut deu Treyener), fol. 140v.

Florane de Cadelhoo, fol. 89v, 90v, 138v.

Frances de Bordeu, fol. 18v-19v, 71, 105v, 129, 145v.

Francote (veuve de Domenioo de Sedze), fol. 132.

G.

G[…] de Saut, fol. 5v.

Galhard d’Oroys, dit de Pau,  82v.

Galhardolo d’Oroys, fol. 115.

Galhardot d’Oroys, fol. 84v.

Gassiot de Pii de Momii, fol. 70.

Goalhard de Duras, fol. 18v-19v, 25v, 33, 36, 39, 40v, 159.

Goalhard de Peletroys, fol. 23v, 23v-24.

Goalhard de Saubaterre, fol. 21v, 64v, 155, 164v, 165v.

Goalhard[ot]e (veuve de Johandot d’Escarer), fol. 74v.

Guilhamoo de Lortet, fol. 67v, 165.

Guilhem Alhade, fol. 22v.

Guilhem Bernat de These, fol. 82, 149v.

Guilhem de Barbazaa, fol. 130v.

Guilhem de Blaxoo, fol. 23v, 31v, 59, 61v, 70, 96v, 122v, 123, 128v, 144v, 145, 157v.

Guilhem de Cortiade, fol. 157v.

Guilhem de Davan de Maucor, fol. 127v.

Guilhem de Momaas, fol. 165.

Guilhem de Prat, fol. 122v.

Guilhem de Setees, fol. 108v, 122v, 147v.

Guilhem de Lapar[…], fol. 18.

Guilhem lo Proherer, fol. 31v.

Guilhem Picharer, fol. 136.

Guilhem Sans de la Borde d’Espoey, fol. 10v, 18, 63, 74, 82v, 88, 88v, 90, 95v, 98, 111, 114, 120, 123, 140v, 122v.

Guilhemolo de Bere, fol. 118, 123v.

Guilhemolo de Lissarre, fol. 46v, 140.

Guilhemolo de Prat, fol. 18v-19v, 23v, 23v-24.

Guilhemoo de Casanhe, dit Conches, fol. 18v-19v.

Guilhemoo de Setees, fol. 34.

Guilhoo de Vielefranque, fol. 18v-19v.

Guiraut de Domii de Lescar, fol. 6, 64, 104.

Guiraut de Lacoste, fol. 93v.

Guiraut de Sent Castii, fol. 23v, 109.v

Guix[ain] d’Esclees de Mauborguet, fol. 59.

I.

Iohan de Bordeu, fol. 11v, 50v, 65, 56biv, 59v.

Iohan de Meysii, fol. 65.

Iohan de Navalhes, fol. 62v.

Iohan de Saut, fol. 24v.

Iohan de Sent Pau, fol. 17v.

Iohan de Theze, fol. 8v.

Iohan deu Badacle, fol. 62v

Iohan deu For[t], fol. 53.

Iohan Faur de Serres, fol. 25v-26.

Iohanet de Cadelhoo, fol. 23, 63.

Iohanet de Cucuroo, fol. 23, 67v, 111.

Iohanet de Momaas, fol. 114-114v.

Iohanote de Biniaa, fol. 53v.

J.

Jacmes Daurer, fol. 6, 41.

Jacme den Estene, fol. 34, 56bisv, 75.

Johan de Bordeu, fol. 69, 83, 104, 120.

Johan de Meysii, fol. 18v-19v.

Johan de Navalhes, fol. 23v, 95v, 147, 152.

Johan de Ponsoo, dol. 74v, 105, 107v, 141.

Johan de Saut, fol. 59v, 66v, 68v, 100v, 128v.

Johan de Sent Castii, fol. 30v, 117v.

Johan de Theze, fol. 125v.

Johan deu Badagle, fol. 64, 77bisv.

Johan deu Forn, fol. 75, 49, 124v, 128v, 138v.

Johan Ferrador, fol. 20, 56.

Johan Sant, fol. 146v.

Johandolo de Lacase, fol. 140.

Johandolo d’Osque, fol. 162v.

Johandot de Bere, fol. 50v.

Johanet de Cadelhoo, fol. 49, 80v, 90, 151v, 163.

Johanet de Cucuroo, fol. 33, 33v, 102v, 105v, 133v, 134v.

Johanet de Lacoste, fol. 20.

Johanet de Lagoarde, fol. 36v.

Johanet de Momaas, fol. 122v, 130v, 162v.

Johanete (épouse de Johan de Ponsoo), fol. 147.

Johanete (veuve de Bernat de Luc Mentoos), fol. 151.

M.

Mo[rin]cot de Sus, fol. 6, 8.

Manaut d’Abos, fol. 6v, 7.

Manaut de Castelhoo, fol. 17v, 21v, 23, 31v, 33, 39, 59v, 67, 75, 81v, 86, 91, 93v, 94, 94v, 145v-146, 148, 150, 15v, 155v, 159.

Manaut de Latapie de Laa, fol. 69.

Manaut de Marsaa, fol. 6, 55v, 15-105v, 114v, 117v.

Margaride deus Salies, fol. 157v.

Marthii de Saubeterre, fol. 48v, 73, 75, 103v, 105v-106, 128, 164.

Maurii de Moneynh, fol. 36v.

Miremonde de Neyrac (épouse de Johanet Daurelhaa de Morlaas), fol. 83v.

Monat Ferrador, fol. 76, 95v, 163, 163v.

Monde de Bere fol. 9v,  24v, 31v, 60v, 77bis, 98v, 107, 114, 115, 115v, 123v, 125v, 127v, 132v, 133v, 143v, 153.

Mondete (fille de Pelegrii Merser), fol. 124.

Morincot d’Assat, fol. 43, 103v, 105v-106, 164.

Morincot de Sus, fol. 106v, 122.

N.

Navarine (épouse d’Arnaut Bernat de Pomers), fol. 122.

Nicholau de Vielefranque, fol. 18v-19v, 73v, 106v.

O.

Ossaleze (fille de Guilhem de Bere, dit Conpanhs), fol. 147v.

P.

Pascau de Coarase, fol. 18, 21, 26v, 39, 59v, 62, 75v, 107, 107v, 115, 128, 136, 140.

Pascau deu Frexo, fol. 72v.

Pee Bernat d’Aromaas, fol. 47v.

Pee Bruu, fol. 156.

Pee d’Angos, fol. 156/

Pee d’Aubiaa d’Aux, fol. 31, 53v.

Pee de Geyres, fol. 30v, 51, 860v, 56, 61, 71v, 86v.

Pee de Lac, fol. 18v-19v.

Pee de Lezat, fol. 8, 22v-23.

Pee de Momaas, fol. 61v, 64v, 122v.

Pee de Noguer Gavineter, fol. 83.

Pee de Theze, fol. 30v, 77bis, 106v, 107v, 119.

Pee d’Escarer, fol. 8, 9, 18, 40v, 51v, 65v, 67, 69, 77v, 86, 114v, 130v.

Pee Frobidor, fol. 138v, 143, 166.

Pee Guiratoo de la Tor, fol. 5, 20-20v, 21v, 31v, 120, 127v.

Pee Ramon de Listoo, fol. 118.

Pelegrii Lambert , fol. 67, 72.

Pelegrii d’Aurelhaa, fol. 54v-55, 55, 66, 124, 127v, 136, 160v.

Pelegrinat de Narb, fol. 23, 33.

Per de Larban, fol. 138.

Per d’Escarer, fol. 91v, 93, 144v, 155.

Per Iohan Armer, fol. 9, 11, 21v, 26v, 35, 35v, 51v, 54v, 55v, 85v, 131-131v, 148, 165.

Peyroo Decarer, fol. 11.

Peyrolet Bruu den Gilis, fol. 11, 116, 119v, 136v, 137-137v, 147.

Peyrolet de la Tor, fol. 34.

Peyrolo de Beneyac, fol. 24, 24v, 34, 76, 102, 107, 151, 155.

Peyrolo de These, 86.

Peyrolo deu Blanc, fol. 80v, 110, 150v, 162.

Peyroo de Baylere, fol. 82v, 90v, 121v, 122, 137.

Peyroo de Bordeu, fol. 147v.

Peyroo de Corude de Maucor, fol. 157.

Peyroo de Laborde d’Andonhs, fol. 72v.

Peyroo de Nostii Ga[vin]eter, fol. 119v, 143v, 153v.

Peyroo de THese, fol. 89.

Peyrot Disave, fol. 70v, 72.

Peyrot de Puisader, fol. 18v-19v.

Peyrot Ferrador, fol. 34, 114-114v, 137v.

R.

Ramon Arnaut deu Poey, fol. 94.

Ramon de Sevinhac, fol. 53v.

Ramon Guilhem Alhade, fol. 22v.

Ramonet de Luc Mendoos, fol. 25v, 71v, 118.

Ramonet deu Senher, fol. 137.

S.

Seguiane (fille de Johan Babii), fol. 110-110v.

Vidalot Ferrador, fol. 39v.

V.

Vidau Ferrador, fol. 56v, 61v, 80, 80v, 114v, 130.

Vidau Babii, fol. 5, 8, 18v, 21v, 58-58v, 142v.

Vidau de Mont Forner, fol. 62.

Vidau Tapie, fol. 144v.

Vesiis de Morlaas Viele

Arnaut Guilhem d’Ossuu, fol. 99.

Johan de Theze, fol. 99.

Pascau de Coarase, fol. 99.

Pee de Theze, fol. 99.

Vesiis de Marcadet

Arnautoo de Sendetz, fol. 82v.

Bernat d’Osques, fol. 82v.

Bonshom de Casanhe, fol. 67v.

Domenges de Perdelhaa, fol. 82v.

Gassiot deu Cloos de Momii, fol. 82v.

Johan deu Forn, fol. 82v.

Johan de Sent Pau, fol. 82v.

Pee de Sacase, fol. 82v.

 

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Portrait de Dominique Iogna-Prat, historien de l’Église

 

Dominique Iogna-Prat est directeur d’études à l’EHESS et occupe la chaire « Les « territoires » de l’Église. Médiévistique et sciences sociales des religions ». Ses recherches qui ont introduit l’ecclésiologie dans le champ des sciences sociales lui permettent de penser l’Église comme organisatrice du fait social sur le temps long.
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Les écrits contre-insurrectionnels du général Christophe Michel Roguet. Une réflexion militaire et politique

Ivan Burel

 


Résumé : Officier de l’armée française, traversant les événements insurgés français de 1830 à 1852, le général Christophe Michel Roguet est l’un des théoriciens les plus notables de la guerre de rues et de la guérilla lors de la première moitié du XIXe siècle. Associant la répression militaire à des méthodes et objectifs politiques, ses écrits permettent d’étudier comment un officier français attribue à la contre-insurrection le rôle de pilier de l’ordre sociétal. Par les tactiques militaires défendues, et par sa détermination à venir à bout de l’insurgé par la persuasion politique ou par la force seule, la réflexion de Roguet est une illustration des discours et pratiques de répression des insurgés de 1830 à 1852, et ce aux échelles française et européenne.

Mot-clés : guérilla ; Roguet ; contre-insurrection ; insurrection ; barricade.


Ivan Burel est né le 14 octobre 1995. Professeur agrégé d’histoire, il est doctorant contractuel à l’université de Lille, laboratoire IRHiS, et enseigne aux étudiants en Histoire de Licence 1 et Licence 3. Il effectue une thèse sous la direction de Philippe Darriulat (Sciences Po Lille) sur le sujet suivant : « La répression de l’insurrection en France, au Royaume-Uni et au Royaume des Pays-Bas (frontières de 1815) de 1815 à 1871 ».

ivan.burel@univ-lille.fr


Introduction

Évoquant les combats de rue traversant l’histoire de la première moitié du XIXe siècle, Hervé Couteau Bégarie jugeait que si le maréchal Bugeaud figurait en bonne place parmi les figures identifiées à la conduite de cette guerre urbaine, « moins connu, le général Roguet est à redécouvrir[1] ».

Fils du général comte François Roguet, Christophe Michel Roguet entre sous les drapeaux lors de la Restauration. Il participe à la campagne d’Espagne de 1823, aux combats du 11-12 mai 1839 contre l’insurrection de la société des saisons à Paris et sert brièvement en Algérie. Aide de camp du prince président sous la République, il prend « une part active à la préparation et au succès du coup d’Etat du 2 décembre 1851[2] ». Contributeur du Journal des sciences militaires et du Spectateur militaire, son intérêt pour la question insurgée est notable dès 1833 et la parution de son ouvrage De la Vendée militaire suivi en 1836 de son Essai théorique sur les guerres d’insurrection ou suite à la Vendée militaire. Roguet étudie même la guerre urbaine par l’envoi de trois mémoires au ministère de la Guerre en juillet 1832, juin 1839 et décembre 1848, mémoires qui aboutissent en 1850 à son ouvrage Insurrection et guerre de barricades dans les grandes villes.

La contre-insurrection désigne au XIXe siècle les opérations d’un gouvernement et de ses forces de maintien de l’ordre (la troupe de ligne mais aussi la garde nationale, la garde mobile en 1848, la garde royale ou républicaine, la gendarmerie et ce avec la collaboration des forces de police) destinées à réprimer un mouvement insurgé. D’autres qualificatifs sont employés par ces forces de l’ordre pour qualifier l’insurrection : « émeute », « révolte » ou « jacquerie » pour le cas spécifique de 1851-1852[3]. Le dictionnaire de l’armée de terre emploie pour le cas rural le terme de « petite guerre » ou de « guérilla[4] » hérité de la guerre de la péninsule ibérique de 1808 à 1814, illustrant l’importance de ce conflit dans les réflexions des militaires français en matière de guerre de contre-insurrection. Selon Lawrence Keeley, la guérilla n’est pas une forme de guerre à ignorer, au contraire, elle s’apparente à la forme première du combat entre les peuples, anticipant de loin le combat en rase campagne[5]. Cette guerre d’embuscades et, dans sa forme urbaine, de barricades est intégrée par Hervé Couteau Bégarie dans la longue histoire des guerres irrégulières[6]. Guerres devant être étudiées selon Béatrice Heuser et Jeannie Johnson en prenant en compte les différences culturelles propres à chaque époque mais également à chaque culture stratégique[7].

Cette culture stratégique – dont font partie les écrits de Roguet – se nourrit des réflexions des militaires français émergeant à la lumière des combats livrés lors des guerres révolutionnaires et impériales : l’insurrection de la Vendée, la guerre de la péninsule ibérique ainsi que les autres conflits irréguliers rencontrés en Europe (Tyrol, Russie, Calabre, etc.), en Égypte et à Saint-Domingue. À ces héritages récents s’ajoutent les études portant sur les combats d’Afrique du Nord à compter de 1830. Parmi l’importante littérature sur le sujet, relevons les Mémoires du maréchal Suchet relatant ses campagnes à la tête de l’armée napoléonienne en Aragon et en Catalogne à compter de 1809. Des campagnes reconnues pour leur succès contre l’armée régulière espagnole et les guérilleros, comme pour les tentatives constantes de rallier les populations à la cause impériale. Encensée par la critique militaire à l’échelle européenne, l’œuvre de Suchet sert à alimenter une part importante de la réflexion des contemporains sur la guérilla, à commencer par celle de Roguet. Ce dernier est en effet chargé du compte rendu de l’œuvre pour Le Spectateur militaire[8], dont un article reprend les leçons de Suchet afin de prévoir une éventuelle occupation de l’Espagne[9].

La contribution de Roguet nous apparaît originale dans le contexte de son époque étant donné la place prépondérante qu’y occupe la contre-insurrection, sujet qui à la lecture de la masse théorique du premier XIXe siècle reste mineur par rapport aux réflexions sur la « grande » guerre[10] opposant deux armées régulières en rase campagne ou lors d’un siège. Notable est également son intérêt pour la guerre urbaine assimilée par Stendhal à une « guerre de maréchaussée[11] » et souvent méprisée par les officiers de l’armée[12] qui jugent pour beaucoup dégradant de se voir confier une tâche de maintien de l’ordre intérieur, tâche supposée être du ressort de la gendarmerie[13]. Si cette guerre des rues est étudiée et fait l’objet de nombreux rapports[14], Roguet se singularise pour avoir fait paraître ses réflexions dans un ouvrage publié et accessible et non dans des instructions confidentielles ou dans de seuls rapports et mémoires au ministère de la Guerre. À la différence de Bugeaud, auteur d’un manuscrit sur la guerre urbaine[15], il parvient à faire publier les conclusions de son traité. De même, notre auteur est l’un des rares à avoir théorisé à la fois la guerre de contre-insurrection rurale et celle urbaine, permettant une comparaison entre ces deux formes de la guerre irrégulière par l’intermédiaire de ses écrits. Quand d’aucuns, tel Lemière de Corvey, évoquent l’insurrection dans sa forme rurale comme urbaine[16], Roguet se place résolument du point de vue de celui chargé d’écraser la révolte. Il ne théorise pas l’emploi de la guérilla comme une arme, mais définit les meilleurs moyens pour écraser celle-ci, en associant la répression militaire à une logique politique de conservation de la société. Il assigne ainsi au militaire engagé contre une insurrection le rôle de « sauver la civilisation en péril[17] » face à l’émeute. Étudier ses conceptions nous permet dès lors d’examiner le rapport aux civils et à un ennemi « non régulier » entretenu par un officier français de la première moitié du XIXe siècle, dans le cadre d’un combat où, à la différence d’un affrontement ouvert, l’ennemi est mal différencié du reste de la population civile. Lui-même civil, l’ennemi se voit nier la qualité de combattant ce qui, selon Laurence Montroussier, conditionne le degré de violence qui lui est appliqué[18] et Roguet préconise en effet en matière de guerre urbaine une répression violente, s’inscrivant dans un espace public conservateur légitimant l’emploi de la force contre ses propres concitoyens en révolte. Des conclusions qui rejoignent celles du maréchal de Castellane, du général Magnan ou du maréchal Bugeaud. Toutefois, Roguet s’emploie également dans le cadre de l’insurrection rurale à rallier les populations en révolte, non pas au moyen d’une coercition brutale mais par une persuasion faite sur le long terme, grâce à des moyens tant militaires que civils. Au contraire de l’insurrection urbaine où le corps militaire doit être séparé du corps de la « multitude » citadine, une foule dont les éruptions dignes d’un « pays volcanisé[19] » doivent être vaincues par la force, immédiatement et sans compromis. Dès lors, nous étudierons en quoi les théories de Roguet en matière de contre-insurrection s’inscrivent dans une réflexion associant moyens militaires et objectifs politiques pour venir à bout d’un soulèvement.

Héritages et influences d’une réflexion stratégique

Les héritages historiques. Légitimer le présent par l’usage du passé

Selon Walter Laqueur « la guérilla est aussi vieille que les collines[20] » et le général Roguet s’inspire longuement des combats du passé, faisant remonter la guerre d’insurrection à « Viriathe, Sertoriux, Spartacus, Tacfarinas[21] », un recours à l’antique qui relève du poncif chez les militaires français. Ainsi, Abd el-Kader est qualifié à de nombreuses reprises de nouveau « Jugurtha » contre l’armée française, nouvelle légion romaine[22]. Étudiant la Vendée insurgée, Roguet croit y déceler une réminiscence de la guerre des Cévennes : « L’état des Cévennes, au temps des camisards, a quelque rapport avec celui de la Vendée […] l’histoire ne fait, pour ainsi dire, que répéter les mêmes leçons[23]. »

Cette conception, loin d’être l’apanage de Roguet, le rattache à la tradition historiographique du XIXe siècle, tradition qui, à l’image d’Augustin Thierry, entend analyser le passé « à la lanterne du présent.[24] » Le recours au passé n’est pas à entendre comme un seul habillage savant de ses réflexions, il s’agit d’un argument légitimant pour l’auteur les arguments défendus. Selon Roguet, si Charles X a dû abdiquer en 1830, c’est parce qu’il s’est refusé à imiter Henri III abandonnant Paris en 1588[25]. Indépendamment de l’écart de plusieurs siècles qui sépare le dernier Bourbon du dernier Valois, la décision d’Henri III était, pour notre auteur, pertinente et aurait pu de ce fait fonctionner en 1830 ; en conséquence, elle pourrait être employée en 1848. Un argumentaire qui dépasse d’ailleurs le seul cadre militaire, à l’image du débat sur les fortifications de Paris qui traverse la monarchie de Juillet, où la figure de Vauban et ses projets défensifs pour la capitale sont invoqués à plusieurs reprises. Pour les défenseurs des fortifications de Paris, leur projet est une continuité de Vauban, une simple défense de la capitale face à une poussée ennemie[26]. À l’inverse, cette réutilisation de l’héritage de Vauban est pour Arago un argument important mais au détriment des défenseurs des fortifications : le but de Vauban était selon lui de tenir Paris à la merci du roi et d’asservir les Parisiens par ses œuvres de retranchement[27].

À la campagne, les conservateurs de la monarchie de Juillet finissante et de la Deuxième République voient quant à eux ressurgir un spectre passé, celui de la « jacquerie », dont la peur s’est faite sentir dès l’affaire sanglante de Buzançais dans l’Indre – peur abondamment relayée par la presse – où, le 14 février 1847, des « blouses » massacrent le fils d’un propriétaire[28]. Ainsi, en décembre 1851, ce qu’a illustré Aurélien Lignereux, les partisans de l’ordre se croient aux prises avec une nouvelle « jacquerie », le mot étant alors allègrement employé. Grâce à la peur suscitée par les échos magnifiés de soi-disant orgies insurgées, la presse bonapartiste réussit à disqualifier le discours des paysans en révolte, associant au souvenir lointain de la « grande peur » et des affrontements ruraux les craintes conservatrices de voir dans l’année 1852 celle d’un affrontement final et apocalyptique avec les démocrates-socialistes[29].

Au-delà de ces combats métropolitains, la prise en compte des circulations entre colonies et entre nations traverse les réflexions de notre auteur.

Circulations européennes et impériales

Une circulation des savoirs contre-insurrectionnels aux échelles européennes et impériales est effective en ce premier XIXe siècle, née du retour sur expérience des combats de Vendée, de la péninsule ibérique, de Calabre ou encore de Saint-Domingue, forgeant cette génération de soldats qui se retrouve en Algérie à partir de 1830[30]. Pour Roguet, les leçons les plus marquantes sont à chercher dans les combats de Vendée et d’Espagne, auxquels il consacre respectivement un ouvrage et un article à part entière. À l’inverse, l’Algérie n’est traitée que de façon anecdotique dans ses écrits, probablement du fait de de son court service en Afrique contrairement à d’autres tels Lamoricière, Bugeaud ou Changarnier qui s’inspirent de leurs expériences coloniales pour fonder leurs pratiques métropolitaines – notamment celle du quadrillage en milieu urbain[31].

En matière de guerre urbaine, le souvenir des deux sièges de Saragosse de 1808 et 1809 est un témoignage récurrent non seulement pour Roguet qui l’évoque à plusieurs reprises dans ses ouvrages[32] mais également pour ses contemporains[33], et ce à de rares exceptions[34]. Selon le maréchal Lannes en charge du siège de la cité en 1809, ce combat « ne ressemble en rien à la guerre que nous avons faite jusqu’à présent[35] », la férocité des combats, les 54 000 victimes d’un combat de rues acharné marquent les mémoires pour les décennies à venir. Comparer Saragosse à une insurrection urbaine devient en conséquence un topos courant chez les décideurs français. Louis-Philippe, confronté au soulèvement républicain de Paris en avril 1834, déclare à l’ambassadeur d’Autriche : « C’était comme au siège de Saragosse, chaque maison était transformée en forteresse[36]. » En juin 1848, le colonel Allard assimile dans son rapport à l’Assemblée les barricades ouvrières avec celle des Espagnols insurgés[37]. Par conséquent, en reliant à Saragosse les combats de rues auxquels ils sont confrontés, les militaires et gouvernants mettent à l’écart de la nation les insurgés, les assimilant à une insurrection étrangère. « Messieurs, on a dit que les baïonnettes françaises n’avaient soif que du sang étranger. Cela est vrai en ce sens qu’elles ne désirent combattre que contre les ennemis de la France, mais, toujours aussi, elles sont prêtes à combattre les factieux[38]. », déclare Bugeaud, pas encore maréchal mais déjà farouche adversaire de tout insurgé, à la Chambre des députés le 1er février 1832.

Un facteur insurgé qui plane sur la France mais l’analyse de Roguet a la pertinence de sortir des seules frontières hexagonales pour embrasser un regard européen, concevant comme nombre de penseurs militaires et politiques le combat contre le « factieux » à l’échelle du continent.

La contre-insurrection, enjeu européen

De fait, Roguet étudie le combat contre les insurgés dans une perspective européenne : « 6 à 8000 réfugiés de toutes les nations ont pris la part la plus active aux désordres européens ; une réserve révolutionnaire de tous les pays se transporte successivement d’une capitale à l’autre et y impose l’anarchie[39]. » Réminiscence de l’« âge des ombres[40] », du complot omniprésent, cette réserve d’insurgés sans visage et sans patrie est à combattre par la force[41]. Après juin 1848, le soldat se voit assimilé en France et chez les conservateurs européens au pilier de la civilisation, la « dictature du sabre » préférable au « poignard démagogique[42] ». La circulation des pratiques insurgées en 1848 ayant déjà été relevée[43], celle-ci se fait sentir de même dans le camp de la contre-insurrection. La presse militaire de l’espace germanique glorifie comme martyrs de la civilisation les généraux morts en juin 1848[44], l’United Service Journal britannique fait un portrait élogieux de Cavaignac[45], quand l’ouvrage de Roguet sur la guerre de rues a droit à une recension complète dans l’Allgemeine Militär Zeitung[46]. Une recension qui, si elle juge cette réflexion comme manquant de recul, reste très favorable aux propositions de Roguet.

Ce regard européen questionne ainsi le caractère de l’ennemi dont, pour reprendre Carl Schmitt, la nature justifie les moyens mis en œuvre pour le combattre[47]. En se positionnant face à un adversaire à l’influence européenne, Roguet légitime l’usage de la force contre une menace qu’il s’inquiète de voir progresser[48] et contre laquelle l’armée se pare de l’attribut d’un bouclier indispensable[49]. Cependant, examinons plus en détail cette notion d’ennemi chez Roguet et en quoi les moyens militaires doivent s’accompagner d’une victoire politique, particulièrement dans un cadre rural.

Qui est l’ennemi ? Procédés d’action militaires et politiques envers les combattants irréguliers et les non combattants

Gagner les cœurs et les esprits. Le militaire au service du politique dans une insurrection rurale

Contrairement à certains de ses condisciples adeptes de la « loi du sabre » tels le général Boyer[50], Roguet ne voit pas dans la répression armée une fin, mais un moyen. Les lendemains d’Empire sont traversés par l’idéalisation d’un soulèvement général populaire, qui dans le cas de l’Espagne 1808 aurait conduit à la libération de la patrie face aux troupes françaises, à l’exemple de Carlo Bianco désireux de répéter cette expérience dans la péninsule italienne[51]. Cependant, considérer le peuple comme unanimement insurgé peut à rebours amener les soldats en charge de la répression à gommer les différences entre combattants ou non combattants et ainsi réprimer sans ménagement, à l’image du général Boyer, qui avait réussi par ses actes à se faire appeler le « Cruel » en Haïti, en Espagne et à Oran[52].

Roguet se distingue au contraire par son soin à souligner l’importance de rallier les habitants et, plus motivé par le pragmatisme que par humanisme, de ne pas les pousser dans les bras des insurgés par des pratiques brutales[53]. S’il préconise de restreindre le pillage et la maraude à la suite de précédents traités militaires[54], il dépasse ce lieu commun de la contre-insurrection en prônant une politique des « cœurs et des esprits » avant l’heure. Définie par le général Templer dans sa campagne de Malaisie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale[55], cette expression est néanmoins appropriée pour désigner les conceptions de Roguet. Prenant exemple sur Suchet en Aragon, il prône une gestion administrative exemplaire de la province occupée, destinée à maintenir l’ordre économique, à lutter contre l’absence d’emploi par la fondation de travaux publics et à assurer une justice exemplaire[56]. Cette volonté de ne pas antagoniser les civils rejoint une lecture très négative des effets des « colonnes infernales » ayant cherché à réduire par la terreur les Vendéens sous la Convention ; une politique n’ayant contribué qu’à provoquer un désir de vengeance traversant l’ensemble de la population, analyse rejoignant celle de Napoléon[57]. Une vision critique non-unanime cependant, Pélissier mentionnant en Algérie que sa troupe serait surnommée, ou en tout cas l’espère-t-il, la « colonne infernale » par les locaux[58].

Pour achever le ralliement des populations, la question des troupes à employer pose question. Comme le souligne Mathilde Larrère, la garde nationale est employée dans les combats, servant notamment à maintenir les communications et à assurer les arrières de la troupe[59]. Toutefois, Roguet se livre à une lecture très négative de son efficacité. S’inspirant de l’expérience vendéenne et des critiques de Hoche, les gardes nationaux seraient trop animés par leurs passions politiques et, employés en campagne, ne seraient pas en mesure de faire preuve d’une discipline suffisante envers les civils. Cette garde serait de même un potentiel foyer de sympathisants envers des politiques contraires à celles du gouvernement et, au nom de cette conception, notre auteur se montre partisan de son confinement à de simples tâches de police[60].

À en croire Roguet, une fois la vie et les propriétés des habitants garanties, les populations devraient être gagnées par un important travail de propagande, aussi bien par une presse stipendiée aux intérêts gouvernementaux que par des acteurs non étatiques (cabaretiers, marchands de foire, vétérinaires, etc.)[61]. La contre-insurrection doit s’enraciner dans le quotidien des habitants pour les couper sans cesse de la propagande opposée des insurgés. Le peuple est alors « éclairé », persuadé et non brutalisé. Cependant, pour s’assurer de séparer le peuple de l’insurgé et de le rapprocher de l’autorité, Roguet entend mener une politique aussi bien offensive que défensive. Offensive, au sens où elle rejoint la pratique habituelle d’organiser des colonnes mobiles supposées, à la différence des colonnes infernales vendéennes, ne s’en prendre qu’aux combattants. Défensive en ce que Roguet veut créer des villages fortifiés, protégés par l’armée et les milices locales et interdisant l’accès des bandes insurgées aux villages[62]. Un projet resté à l‘état de théorie mais qui ressemble fortement à un enfermement et n’est pas sans rappeler les tentatives de quadrillage colonial.

Si les tentatives de conjuguer persuasion politique et militaire sont apparentes dans un contexte d’insurrection rurale, ces points semblent cependant atténués par le recours à la seule force dans un cadre urbain.

Séparer les corps : le soldat, l’insurgé, la foule urbaine

La différence dans le traitement qui lui est réservé entre insurgé rural et urbain peut s’expliquer dans la théorie de Roguet par la nature de leurs soulèvements : alors qu’une guérilla rurale se déroule sur le long terme, l’insurrection urbaine est soudaine et, dans le cas français jusqu’en 1852, se joue en quelques jours.

De même, une différence notable se trouve dans les représentations faites de l’insurgé urbain. Comme le souligne Pierre Michel, le XIXe siècle est marqué par l’idée du « barbare », du « sauvage », dont l’image reste certes associée aux populations extra-européennes mais se trouve peu à peu assimilée à une part des populations d’Europe[63]. Le 8 décembre 1831, Saint-Marc Girardin publie dans le Journal des débats son fameux article, décelant les barbares de la société dans les manufactures, les faubourgs industrieux[64]. Au lendemain de l’insurrection des canuts de 1831[65], l’insurgé urbain se voit lié dans les discours gouvernementaux et militaires à l’« anarchiste[66] », au « factieux », à cette armée de l’ombre recouvrant la France. Sous la Deuxième République, toute une presse conservatrice croit en l’imminence d’une guerre civile fomentée par les clubs, ce qu’illustre la pièce d’anticipation Le Lendemain de la victoire. Vision de Louis Veuillot[67], lui-même proche de Bugeaud et dont le traité sur la guerre des rues manqua d’être publié dans le journal L’Univers[68].

Dans cet « âge des ombres » faisant de l’insurrection non pas une révolte spontanée mais le résultat d’un complot planifié (les évènements des 5 et 6 juin 1832 seraient selon Le Moniteur le fait de manœuvres souterraines fomentées par des « républicains » et des « carlistes[69] »). La foule elle-même est un danger selon Roguet car influençable par quelques comploteurs décidés[70]. En effet, il garde en mémoire le ralliement le 29 juillet 1830 des 5e et 53e régiments de ligne à l’insurrection alors que, manquant de vivres, les hommes s’étaient laissés approcher par le peuple et avaient fraternisé avec lui. Pour empêcher une pareille répétition, Roguet encourage comme nombre de ses homologues une séparation physique[71] mais de fait symbolique entre le soldat et cette foule émeutière. Il ne peut exister de compromis et de pourparlers menés avec une foule en armes ou des insurgés révoltés :

Les méprises, les engagements ; pris en apparence avec les révoltés, sont leur principal moyen de succès, l’insurrection les obtient à l’aide de pourparlers toujours compromettants et dangereux. Dans aucun cas, la troupe et ses chefs ne doivent entrer en rapport avec les insurgés, si habiles à profiter des hésitations et des malentendus, et décidés à pousser tout à l’extrême, tant que l’on reste sur la voie des concessions. Toute hésitation est funeste, même au seul point de vue de l’humanité[72] .

Contre une foule influencée, c’est donc la force qui doit parler[73]. Le maréchal Castellane dans ses instructions secrètes à Lyon en 1849 ne dit pas autre chose, ordonnant le feu après sommation contre une colonne d’émeutiers refusant de se disperser, même si les femmes et enfants sont à leurs têtes[74] – instructions qui, en 1858, deviennent la règle de conduite à suivre dans toute la région du Sud-Est dépendant de son commandement. Les femmes et enfants, supposés tueurs d’officiers en puissance, ne doivent se voir accorder aucune exception[75]. La troupe a pour consigne dès lors d’ouvrir le feu si la foule approche à moins de cinquante pas de son emplacement. Bugeaud, plus modéré dans ses instructions, juge que la foule peut entendre raison et se disperser si le chef commande avec autorité mais laisse malgré tout l’option de la fusillade ouverte[76]. Cette politique de dureté peut cependant avoir des effets contraires, ce qu’illustre la fusillade devant le ministère des Affaires étrangères du 23 février 1848 dont l’indignation populaire en résultant fait basculer le mouvement populaire en un soulèvement républicain. Selon Jonathan M. House, le manque d’entrainement des troupes au combat urbain risque de les faire excessivement réagir contre les insurgés, aggravant l’insurrection au lieu de la comprimer[77]. Et une fois l’insurrection ayant pleinement éclaté, ses acteurs peuvent alors faire pleinement usage d’un procédé tactique qui devient vite synonyme de l’insurrection : la barricade.

Comment tenir une ville

Franchir les Thermopyles : contre la barricade

Si le siège est une pratique courante, la guerre dans la ville même est d’ordinaire rejetée par les militaires[78]. Ce champ de bataille empêche le soldat de faire preuve de sa supériorité manœuvrière – hormis à une échelle tactique réduite –, d’autant plus qu’il n’est pas formé à s’y battre, ce que regrette d’ailleurs Bugeaud[79]. Le souvenir des combats de Saragosse, qui déforme plus qu’il ne forme les commandants à cette guerre, s’y ajoutant, les officiers s’attendent à un conflit âpre et sanglant.

Dans cette guerre de rues, la barricade est un instrument tactique mais, comme l’ont illustré les travaux du colloque organisé par Alain Corbin et Jean-Marie Mayeur, elle est aussi un véritable symbole de la guerre de rues au XIXe siècle[80]. Nouvelles Thermopyles selon Victor Hugo[81], son efficacité tactique est indéniable. Protégé par sa barricade bloquant les charges de cavalerie et de surcroit stoppant les troupes régulières en mouvement, le militant républicain Charles Jeanne dépeint lors des combats de juin 1832 les assauts frontaux de la ligne et de la garde nationale repoussés à plusieurs reprises par des défenseurs déterminés et retranchés[82]. En conséquence, Roguet s’intéresse vivement à cette question. À l’opposé de charges frontales pratiquées en juillet 1830 mais qui subsistent jusqu’en juin 1848[83], Roguet préconise une méthode plus économe du sang des soldats :

Pour enlever une barricade, ordinairement faite par 10 à 20 hommes, défendue tout au plus par 50 à 100 hommes, deux patrouilles jumelées de 100 hommes chaque, dont une agissant sur les flancs, par les rues latérales ou l’intérieur des maisons, suffisent en une demi-heure. L’attaque, uniquement faite de front, et par le bas de la rue même, exigerait dix fois plus de monde, de temps et de pertes[84].

L’objectif est ici de fixer une barricade par un premier détachement, tandis qu’un autre la prendrait à revers par le flanc ou les maisons. Cette méthode implique de percer des cloisons à travers les appartements, afin de les traverser et de prendre à revers les combattants de la barricade. Une méthode appliquée lors des combats de barricades de juin 1848, mais reprise lors de postérieures réflexions sur le sujet, à l’exemple des consignes du général Magnan en 1854 pour la garnison de Paris en cas d’émeute urbaine[85]. Cette pratique d’investissement des barricades par une progression conjointe entre la rue et les immeubles se retrouve outre-Rhin[86], héritage des combats de Francfort de septembre 1848 mais aussi d’une influence française, les combats de barricades de juin 1848 faisant l’objet de nombreuses descriptions dès le lendemain des combats, à l’échelle européenne[87].

Cependant, cette tactique interroge quant au rapport des officiers français aux civils et à la propriété. En passant par les maisons des habitants pour atteindre les barricades, le combat est amené à prendre place au sein de leurs propres foyers, avec tous les dommages matériels et les pertes humaines que l’on peut envisager. L’artillerie, dont l’usage est encouragé en cas de résistance sérieuse, provoque non seulement d’important dommages pour la rue mais aussi de forts risques de pertes collatérales et d’incendie[88]. Ces risques ne sont pas ignorés, ils sont au contraire pleinement acceptés. Les instructions du général Magnan, qui est conscient des dommages risquant d’être occasionnés, prescrivent de ne pas tenir compte des plaintes des habitants en pénétrant dans les maisons[89]. Instructions qui ne tiennent pas compte des risques que peut provoquer l’invasion par les soldats d’une maison dans le feu des combats, risques dont le massacre de la rue Transnonain du 14 avril 1834, où un peloton de soldats ayant cru voir un coup de feu tiré depuis un immeuble l’investit et passe à la baïonnette ses occupants, est l’exemple le plus vivace dans la mémoire collective des Parisiens[90].

Le temps semble loin où le maréchal Marmont interdisait en juillet 1830 d’ouvrir le feu sans avoir reçu au moins cinquante coups de feu, commandait de ne pas entrer dans les maisons d’où partaient les tirs et se refusaient à faire donner mitraille et boulets rouges pour éviter pertes et dommages matériels[91]. Nous pouvons voir dans cette évolution des pratiques une marque de la détermination des officiers français à tenir la ville, à vaincre la barricade coûte que coûte illustrant le mot d’ordre couramment utilisé dans les semaines précédant juin 1848 : « Il faut en finir[92]. »

Des considérations tactiques mais qui, à l’échelle de la ville entière, questionnent les moyens de tenir celle-ci dans son ensemble.

Réprimer, concentrer ou évacuer ? Stratégies militaires et raisonnement politiques

Roguet s’applique à définir des lignes de conduite à l’échelle de la ville entière. Selon lui, en cas d’insurrection grave, quatre stratégies sont applicables : « 1. N’évacuer aucun quartier, réprimer partout l’émeute. 2. Occuper un quartier militaire, sauf à agir ultérieurement en dehors de ce grand réduit. 3. Concentrer toutes ses forces dans une position extérieure, contigüe, dominante. 4. Se replier sur une place voisine pour revenir, avec toutes ses forces réunies, contre la capitale[93]. » Ces stratégies incarnent la somme du retour sur expérience, pour employer un phrasé militaire contemporain, le RETEX, des combats urbains depuis un demi-siècle. La première stratégie est celle de Marmont en juillet 1830, une répression immédiate de toutes les émeutes. C’est aussi la demande de Bugeaud appelant à quadriller la ville de Paris de fortins garnisonnés, inspirés des « blockhaus » d’Algérie à partir desquels les soldats d’infanterie pourraient rejoindre les gardes nationaux et écraser immédiatement l’émeute[94]. Stratégie sévèrement jugée par Roguet car synonyme pour lui d’une fatigue et d’une dispersion des troupes pouvant donner la victoire aux rebelles[95]. Roguet, ce qu’a pu déceler l’analyse d’Édouard Ebel, reprend au contraire dans sa deuxième solution le point de vue de Cavaignac laissant au 23 juin 1848 les barricades se créer pour mieux concentrer ses troupes et écraser l’insurrection qui se dévoile[96].

Les deux dernières solutions de Roguet sont plus osées, car il s’agit d’abandonner la ville aux insurgés pour se retirer sur une position militaire proche ou sur un autre point du pays ; dans une perspective militaire, c’est laisser le terrain à l’ennemi et reconnaitre une défaite temporaire. Roguet rappelle que ceci doit être exceptionnel, mais il met en avant cette solution dès son premier mémoire de juillet 1832[97]. Nous pouvons y voir une défense de la conduite de son père à Lyon en novembre 1831, dont l’évacuation de la ville avait suscité de vives critiques. En effet, l’accusation d’une fuite en désordre face à l’ennemi voire de lâcheté n’est pas loin, un camouflet d’autant plus infamant que cet ennemi n’est pas un soldat régulier mais un rebelle. De plus, alors que les forces de l’ordre assimilent insurgés et pillards, se replier signifie livrer la ville ou même à l’échelle plus réduite un village aux orgies insurgées, visions d’épouvante relevant avant tout de la fiction[98].

Pourtant, selon le témoignage de Tocqueville, Adolphe Thiers, croyant que l’insurrection parisienne de juin 1848 semblait en bonne voie de l’emporter, était prêt à faire évacuer la ville par le gouvernement, à se réfugier sur une hauteur pour mieux concentrer les forces disponibles et écraser la cité rebelle. Une anticipation de sa conduite en mars 1871 face au mouvement communard investissant la capitale[99].

Conclusion

En conclusion, Roguet s’inscrit dans une période qui selon Paddy Griffith voit apparaître une « doctrine systématique de contre-insurrection[100] », et ce à deux moments du premier XIXe siècle. D’une part, de la révolte des Canuts de 1831 à la défaite des insurrections de Paris et de la région lyonnaise lors de l’année 1834, d’autre part sous la Deuxième République, de 1848 à 1852. Au-delà des seules prescriptions militaires, l’étude des écrits de cet officier supérieur souligne l’interdépendance des facteurs militaires et politiques dans une logique de contre-insurrection. Interdépendance se traduisant par la légitimation politique de la répression et par la disposition à livrer une contre-insurrection sans compromis pour préserver l’ordre social en vigueur.

L’impact de la pensée de Roguet est difficile à évaluer. Doit-on parler d’une réflexion originale ? Elle l’est de par sa polyvalence, son traitement systématique et comparé du fait insurrectionnel en milieu urbain et rural et son insistance à mettre le ralliement des populations au cœur de sa réflexion. Cependant, il serait exagéré de mentionner une « doctrine » à proprement parler, étant donné le peu de références dans des travaux ultérieurs aux conclusions de Roguet – à la différence de Bugeaud dont les leçons seront reprises abondamment dans le cadre insurrectionnel colonial au sein des troupes françaises[101] mais également dans le monde anglo-saxon[102]. Les mémoires sur la guerre urbaine que Roguet envoie au ministère de la Guerre en décembre 1849 ont notamment souffert des vives critiques du colonel de Laveaucoupet chargé pour le ministère de leur évaluation et dont le jugement à leur égard est mitigé, reprochant notamment à leur auteur de mal connaître les conditions réelles du combat en ville[103].

De plus, ses leçons, comme Roguet le rappelle lui-même, sont davantage des comptes rendus de pratiques déjà employées par ses collègues et prédécesseurs. À la différence de Saint-Arnaud dont la gestion du 2 décembre 1851 est saluée comme un modèle par les manuels de combat urbain outre-Atlantique[104], Roguet n’a pas exercé de commandement à l’échelle d’une ville pendant une insurrection. Il prend certes part aux combats du 5 et 6 juin 1832 et du 11 mai 1839 à Paris mais à la tête de son seul bataillon et il n’a pas de rôle déterminant dans la victoire. Enfin, après le coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte auquel il participe activement et l’avènement du Second Empire, ses contributions théoriques se désintéressent de la guerre des rues au profit d’études historiques. Marque peut-être d’une chute de l’intérêt qui était apparue en 1848 dans la littérature militaire pour les combats de barricades, après la défaite des mouvements insurgés du Printemps des peuples[105].

Ce n’est donc pas une école, ou même une doctrine amenée à perdurer, qu’a créé Roguet mais une synthèse, un ensemble de manuels supposément prêts à être livrés clés en main à des officiers confrontés à des civils en armes. Ses réflexions demeurent de même éclairantes pour l’historien afin de comprendre les regards politiques et militaires de son époque sur la guerre irrégulière. Elles illustrent la relation complexe d’un officier de France à son peuple qu’il est astreint par ses devoirs à protéger d’un ennemi extérieur mais contre une partie duquel il peut avoir à livrer bataille, sur le sol de la patrie.

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[1] Hervé Couteau-Bégarie, « Guerres irrégulières : de quoi parle-t-on ? », Stratégique, 2009/1 (N°93-94-95-96), p. 13-30.

[2] Adolphe Robert, Edgar Bourloton, Gaston Cougny, Dictionnaire des parlementaires français comprenant tous les mémoires des Assemblées françaises et tous les Ministres français. Depuis le 1er mai 1789 jusqu’au 1er mai 1889, Tome cinquième, Paris, Bourloton, 1891, p. 183.

[3] Aurélien Lignereux, La France rébellionnaire. Les résistances à la gendarmerie (1800-1859), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 210.

[4] Étienne Alexandre Bardin, Dictionnaire de l’armée de terre, ou recherches historiques sur l’art et les usages militaires des anciens et des modernes, volume 5, Paris, Corréard, p. 2727.

[5] Lawrence H. Keeley, Les guerres préhistoriques, Paris, Perrin, 2009, p. 103.

[6] Hervé Couteau-Bégarie, « Guerre irrégulière : de quoi parle-t-on ? », op. cit.

[7] Beatrice Heuser et Jeannie Johnson, « Introduction. National Styles and Strategic Cultures », Insurgencies and Counterinsurgencies. National Styles and Strategic Cultures, Cambridge, Cambridge University Press, 2016, p. 2.

[8] Christophe Michel Roguet, « Mémoires du Maréchal Suchet, duc d’Albuféra sur ses campagnes depuis 1808 jusqu’en 1814 », Le Spectateur militaire, Tome 17, 15 avril 1834 – 15 octobre 1834, p. 227.

[9] Christophe Michel Roguet, « De la guerre d’insurrection dans la péninsule », Le Spectateur militaire, Tome 18, 15 octobre 1834-15 mars 1835.

[10] Gérard Chaliand, Une histoire mondiale de la guerre, Paris, Odile Jacob, 2005, p. 354.

[11] Cité dans Fabien Cardoni, La garde républicaine. D’une République à l’autre (1848-1871), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 217.

[12] Ibidem.

[13] William Serman, Le corps des officiers français sous la Deuxième République et le Second Empire : aristocratie et démocratie dans l’armée au milieu du XIXe siècle, 1978, p. 1372.

[14] SHD, GR 1M 2151, Mesures à prendre en cas de troubles en province et dans Paris. Défense de Paris.

[15] Thomas Robert Bugeaud, La guerre des rues et des maisons. Manuscrit inédit présenté par Maité Bouyssy, Paris, Jean-Paul Rocher, 1997.

[16] Jean Frédéric Auguste Lemière de Corvey, Des partisans et des corps irréguliers, Paris, Anselin, 1823, p. 225-226.

[17] Christophe Michel Roguet, Insurrection et guerre de barricades dans les grandes villes, Paris, Dumaine, 1850, p. 109.

[18] Laurence Montroussier, Ethique et commandement, Paris, Economica, 2005, p. 161.

[19] Auguste Romieu, Le spectre rouge de 1852, Paris, Ledoyen, 1851, p. 87-88.

[20] Walter Laqueur, The Guerilla Reader, A historical anthology, Philadelphie, Temple University Press, 1977, p. 1.

[21] Christophe Michel Roguet, Essai théorique sur les guerres d’insurrection ou suite à la Vendée militaire, Paris, J Corréard, 1836, p. 116.

[22] Armand Jacques Leroy de Saint-Arnaud, Lettres du Maréchal de Saint-Arnaud, 1832-1854. Tome premier, Paris, Michel Lévy frères, 1864, p. 167.

[23] Christophe Michel Roguet, De la Vendée militaire, avec cartes et plans, par un officier supérieur, Paris, Corréard, 1834, p. 153.

[24] Loïc Rignol, « Augustin Thierry et la politique de l’histoire. Genèse et principes d’un système de pensée », Revue d’histoire du XIXe siècle, 25/2002.

[25] Christophe Michel Roguet, Insurrection…, op. cit., p. 75-76.

[26] Éléanor-Zoa Dufriche de Valazé, Fortifications de Paris : du système à suivre pour mettre cette capitale en état de défense, Paris, Paul Renouard, 1833, p. 2.

[27] François Arago, « Lettre sur l’embastillement de Paris », Le National, 21 juillet 1833.

[28] Frédéric Chauvaud, Histoire de la haine, Une passion funeste, 1830-1930, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2014, p. 220.

[29] Aurélien Lignereux, La France rébellionnaire, p. 210.

[30] Nicolas Cadet, « La question de la « brutalisation » des conflits à l’époque napoléonienne : l’exemple de la guerre de Calabre de 1808 à 1809 », Les Européens dans les guerres napoléoniennes, Toulouse, Privat, 2012, p. 114-115.

[31] Thomas Robert Bugeaud, La guerre des rues…, op. cit., p. 119-120.

[32] Christophe Michel Roguet, Insurrection…, op. cit., p. 22.

[33] Paddy Griffith, Military thought in the French army. 1815-1851, Manchester, Manchester University Press, 1989, p. 44.

[34] SHD, GR 1M 1985, Note sur l’emploi des Mortiers-Grenadiers pour l’attaque des barricades.

[35] Cité dans Jean-Louis Dufour, La guerre, la ville et le soldat, Paris, Odile Jacob, 2002, p. 137.

[36] Ernest Daudet (éd.) Journal du comte Rodolphe Apponyi, Attaché de l’ambassade d’Autriche à Paris (1831-1834), Paris, Plon, 1914, p. 418.

[37] Rapport fait au nom de la commission chargée de l’enquête sur l’insurrection qui a éclaté dans la journée du 23 juin et sur les évènements du 15 mai, Séance du 3 août 1848, p. 42.

[38] Henry d’Ideville, Le Maréchal Bugeaud d’après sa correspondance intime et des documents inédits, 1784-1849, Tome 2, Paris, Firmin-Didot, 1882, p. 187.

[39] Christophe Michel Roguet, Insurrection…, op. cit., p. 310-311.

[40] Jean-Noël Tardy, L’âge des ombres : complots, conspirations et sociétés secrètes au XIXe siècle, Paris, Les Belles-Lettres, 2015.

[41] Christophe Michel Roguet, Insurrection…, op. cit., p. 306.

[42] Juan Donoso Cortés, Lettres et Discours, Paris, Jacques Lecoffre, 1850, p. 29.

[43] Catherine Brice, « La Commission des barricades de la République romaine (1848-1849) : une ‘‘technologie politique’’ ? Réflexion sur les contextes mouvants de l’innovation », Diasporas, 29, 2017, p. 131-133.

[44] « Tod des Generals Brea », Allgemeine Militär Zeitung, Carl Wilhelm Leske, Leipzig und Darmstadt, 1848.

[45] « The military career of general Cavaignac », The United Service Journal and Naval and Military Magazine, 1848, Part III.

[46] « Roguet, General, die Zukunft der europäischen Armeen oder Bekämpfungsystem der Aufstände in den grössen Städten, von Heilmann, Oberlieutnant und Brigade Adjudant, Leipzig und Meissen, Goedschechen Buchhandlung, 1851 », Allgemeine Militär Zeitung, Carl Wilhelm Leske, Leipzig und Darmstadt, 1851.

[47] Carl Schmitt, Der Nomos der Erde, Berlin, Duncker, 1950.

[48] Christophe Michel Roguet, Insurrection…, op. cit., p. 109.

[49] L. Touillon, Le Barde – Poésies nationales à la gloire de l’armée, Paris, Choiseul, 1850.

[50] Pierre Serna, « Pour un épilogue : Le massacre au XVIIIe siècle ou comment écrire une histoire de l’in-humain des Lumières aux Révolutions, puis à la conquête de l’Algérie », La Révolution française, 2011.

[51] Walter Laqueur, The Guerilla Reader, p. 67.

[52] Edmond Pellissier de Reynaud, Annales algériennes, T 1, Paris, Dumaine, 1854, p. 75.

[53] Christophe Michel Roguet, De la Vendée…, op. cit., p. 94.

[54] Léopold Sigisbert Hugo, Coup d’œil militaire sur la manière d’escorter d’attaquer et de défendre les convois, et sur les moyens de diminuer la fréquence des convois et d’en assurer la marche. Suivi d’un mot sur le pillage, Paris, Magimel, 1796, p. 30.

[55] Lars Wedin, Marianne et Athéna, La pensée militaire française du XIXe siècle à nos jours, Paris, Economica, 2011, p. 349.

[56] Christophe Michel Roguet, « De la guerre d’insurrection dans la péninsule », p. 643-647.

[57] Napoléon Bonaparte, Commentaires de Napoléon Ier, tome IV, Paris, Plon, 1867, p. 141.

[58] Jacques Frémeaux, La conquête de l’Algérie, Paris, CNRS Editions, 2016, p. 219.

[59] Mathilde Larrère, L’urne et le fusil, La Garde nationale parisienne de 1830 à 1848, Paris, Presses Universitaires de France, 2016, p. 198.

[60] SHD, GR 1M 2002, Note sur la garde nationale, par le général de brigade Roguet, Laon, le 1er août 1850.

[61] Christophe Michel Roguet, De la Vendée…, op. cit., p. 188.

[62] Ibidem, p. 69.

[63] Pierre Michel, Un mythe romantique. Les barbares, 1789 – 1848, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1981.

[64] Saint-Marc Girardin, Le Journal des débats, 8 décembre 1831.

[65] Jean-Claude Caron, « L’écriture des Trois Glorieuses : Héros et Barbares dans le cycle des violences insurrectionnelles », La Révolution 1789 – 1871, Ecriture d’une Histoire immédiate, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2008, p. 290.

[66] SHD, GR 1M 822. Notices sur les divers évènements et sur les différentes expéditions qui ont eu lieu de 1830 à 1835.

[67] Louis Veuillot, Le lendemain de la victoire, vision, Paris, Lecoffre, 1850.

[68] Thomas Robert Bugeaud, La guerre des rues…, op. cit., p. 11.

[69] Le Moniteur, Jeudi 7 juin 1832.

[70] Christophe Michel Roguet, Insurrection…, op. cit., p. 145.

[71] Édouard Ebel, « Du maintien de l’ordre à la guerre des rues : la gestion des foules entre 1830 et 1871 », La ville en ébullition : Sociétés urbaines à l’épreuve, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.

[72] Christophe Michel Roguet, Insurrection…, op. cit., p. 158.

[73] Édouard Ebel, « Du maintien de l’ordre à la guerre des rues ».

[74] Esprit Victor Elisabeth Boniface de Castellane, Journal du maréchal de Castellane 1804-1862. Tome 4, 1847-1853, Paris, Plon, 1896, p. 288.

[75] SHD, GR 1M 2151. Mesures à prendre en cas de troubles en province et dans Paris. Défense de Paris.

[76] Thomas Robert Bugeaud, La guerre des rues…, op. cit., p. 114-115.

[77] Jonathan M. House, Controlling Paris. Armed Forces and Counter-Revolution, 1789 – 1848, New York, New York University Press, 2014.

[78] Jean-Louis Dufour, La guerre, la ville, Paris, Odile Jacob, 2002, p. 43.

[79] Thomas Robert Bugeaud, Guerre de rues…, op. cit., p. 11.

[80] Mark Traugott, « Les barricades dans les insurrections parisiennes : rôles sociaux et modes de fonctionnement », La Barricade, Publications de la Sorbonne, 1997, p. 73.

[81] Thomas Bouchet, « La barricade des Misérables », La Barricade, Publications de la Sorbonne, 1997, p. 129.

[82] Charles Jeanne, A cinq heures nous serons tous morts. Sur la barricade Saint-Merry, 5-6 juin 1832, Paris, Vendémiaire, 2011, p. 47.

[83] Édouard Ebel, « Théories et pratiques de la guerre des rues à Paris au XIXe siècle », Revue Historique des Armées, N°231, 2e trimestre 2003, p. 52.

[84] Christophe Michel Roguet, Insurrection…, op. cit., p. 152.

[85] SHD, GR 1 K 28, Armée de Paris. Dispositifs en cas de troubles.

[86] « Beitrag zur Taktik des Angriffes beim Barrikadenkampf in Städten und Dörfern », Allgemeine Militär Zeitung, Carl Wilhelm Leske, Leipzig und Darmstadt, 1848.

[87]« The Battle of Paris, from the testimony of an eye witness », The United Service Journal and Naval and Military Magazine, 1848, part II, pp. 481-500.

[88] Christophe Michel Roguet, Insurrection…, op. cit., p. 150.

[89] SHD, GR 1 K 28, Armée de Paris.

[90] Jill Hardin, Barricades. The War of the Streets in Revolutionary Paris, 1830-1848, Palgrave Macmillan, 2002, p. 96.

[91]Auguste Frédéric Louis Wiesse de Marmont, Mémoire justificatif du maréchal Marmont, duc de Raguse, Paris, Gaultier Laguionie, 1830.

[92] Jean-Claude Caron, Frères de sang, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2009, p. 164.

[93] Christophe Michel Roguet, Insurrection…, op. cit., p. 91.

[94] Thomas Robert Bugeaud, La guerre des rues…, op. cit., p. 119-120.

[95] Christophe Michel Roguet, Insurrection…, op. cit., p. 93.

[96] Édouard Ebel, « Du maintien de l’ordre à la guerre des rues ».

[97] SHD, GR 1M 2151, Mesures à prendre en cas de troubles en province et dans Paris. Défense de Paris.

[98] Ted W. Margadant, French Peasants in Revolt, The Insurrection of 1851, Princeton, Princeton University Press, 1979, p. 39.

[99] Alexis de Tocqueville, Souvenirs, Paris, Calmann Lévy, 1893, p. 224.

[100] Paddy Griffith, « Military thought in the French army », p. 44.

[101] Thomas Rid, “The Nineteenth Century Origins of Counterinsurgency Doctrine”, 5, Volume 33, October 2010, p. 756.

[102] Charles E. Callwell, Petites guerres, Paris, Economica, 1998, p. 126.

[103] SHD 1M 2151. Mesures à prendre en cas de troubles en province et dans Paris. Défense de Paris, « Notes au crayon écrites par le colonel de Laveaucoupet, chef de cabinet du Ministre, en marge du rapport du général Roguet. »

[104] Albert Ordway, Drill regulations for street riot duty: including lecture on relations between military and civil authority; rights and duties of military officers; and methods of dealing with riots, by Brigadier General Albert Ordway, District of Columbia Militia, Washington, Chapman, 1891, p. 322.

[105] SHD GR 1M 2004. « Conférence sur les combats de rue et de maison », Rapporteur. M. Granet, sous-lieutenant aux chasseurs de la garde, 26 février 1870, p. 1.

 

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Les « insignes fripons » embastillés : regards sur les coupables de friponnerie emprisonnés à la Bastille au XVIIIe siècle

Natacha Rossignol

 


Résumé : La prison de la Bastille est connue pour être devenue, après sa démolition, le symbole de l’aube d’une révolution qui métamorphosa la France. Si l’on en a surtout retenu les cas d’emprisonnement pour idées subversives, en revanche on sait moins qu’elle fut un lieu de prédilection d’enfermement des fripons de toutes espèces. Qu’ils soient faux sorciers, imposteurs, escrocs, usurpateurs, charlatans, rien ne faisait peur à ces singuliers personnages et leur principal objectif dans la vie était de faire des dupes pour en retirer des avantages. Les règnes de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI ont vu l’embastillement de nombreux fripons et les sources concernant ces individus nous permettent de mettre en lumière le regard que l’on pouvait porter sur ceux-ci. On y découvre une indéniable fascination de la part de leurs contemporains, y compris les lieutenants généraux de police, pour les étonnantes capacités de ces hommes et de ces femmes hors du commun.

Mot-clés : Bastille, fripon, friponnerie, escroquerie, escroc, imposteur, charlatan, argent, XVIIIe siècle.


Après avoir soutenu en 2017 un mémoire de Master sur Le jeu devant l’opinion dans la France du XVIIIe siècle, Natacha Rossignol est actuellement doctorante en histoire moderne à l’Université de Bourgogne Franche-Comté, où elle prépare une thèse sur les fripons et la friponnerie dans l’espace européen du XVIIIe siècle sous la direction d’Edmond Dziembowski, professeur d’histoire moderne à l’UBFC. Elle est rattachée au laboratoire de recherche du Centre Lucien Febvre EA 2273 dirigé par Paul Dietschy, professeur d’histoire contemporaine à l’UBFC.

natacha.rossignol@edu.univ-fcomte.fr


 

Introduction

Aujourd’hui désuet, le mot fripon faisait partie du langage courant au XVIIIe siècle. En 1762, le Dictionnaire de l’Académie française propose pour sa quatrième édition cette définition : « fourbe, qui n’a ni honneur, ni foy, ni probité[1] ». En 1798, lors de sa cinquième édition est ajouté « voleur adroit[2] ». De manière plus générale, le mot fripon est employé, à cette époque, pour parler de quelqu’un qui trompe son monde. Un fripon est un faiseur de dupes, un escroc, un imposteur, un charlatan. Ses friponneries engendrent des vols d’argent, la plupart du temps de manière consentie par la dupe, mais ce vol demeure un crime[3] car on considère que la personne a été trompée, à juste titre. Beaucoup de fripons furent donc emprisonnés, et beaucoup finirent à la Bastille.

Cet article s’appuie sur Les archives de la Bastille recueillies et publiées par François Ravaisson à la fin du XIXe siècle[4]. Il s’agit d’une sélection des documents de police conservés à la Bibliothèque de l’Arsenal, principalement les dossiers des prisonniers et les documents du lieutenant général de police liés à l’administration de la prison. Il existe 19 volumes publiés par Ravaisson et nous avons exploité ceux qui concernent les années 1700 à 1788[5]. Les affaires de friponnerie étant plurielles, nous avons sélectionné les cas les plus parlants, ou ceux qui illustrent le mieux les exemples de même nature. Ces sources, bien que limitées[6], sont une aide précieuse pour la recherche qui nous intéresse ici. En effet, s’il existe déjà plusieurs ouvrages importants sur la Bastille[7] et si certains forfaits de près ou de loin liés à la friponnerie ont fait l’objet d’études[8], nous observerons ici le regard que portaient les officiers[9] sur les fripons. Au travers de leurs rapports et de leur correspondance, nous tâcherons de mettre en lumière l’opinion des autorités sur ces individus. Notre étude ne relève donc pas tant de l’histoire de la police[10] ou de l’histoire judiciaire[11] que de l’histoire des mentalités et des représentations collectives. Il nous faudra par ailleurs comprendre pourquoi des accusés de sorcellerie ou d’escroquerie financière eurent droit à cette épithète qui, nous le verrons, n’est pas anodine. Ainsi, si l’analyse des cas d’embastillement pour friponnerie nous permet de découvrir ces personnages, elle nous livre également un éclairage précieux sur la société et les états d’esprit du siècle des Lumières, en nous révélant le regard que les contemporains portaient sur ces personnages et leurs méfaits.

Définir la friponnerie à partir des archives de la Bastille

Tâcher de reconnaître un coupable de friponnerie

En 1707, un italien nommé Benciolini est enfermé à la Bastille. Cet homme était coupable d’avoir soutiré plus de 40 000 livres à différentes personnes, dont des princes. Changeant son nom au gré de ses besoins, il se fit passer pour un homme bien né en qui l’on pouvait avoir une confiance presque aveugle. De notre point de vue contemporain, nous n’hésiterions pas longtemps à qualifier cet homme d’escroc. Mais à l’aube du XVIIIe siècle, les choses ne sont pas aussi évidentes. Si le commissaire Socquard reconnaissait volontiers que Benciolini était un « bon chevalier d’industrie[12] », c’est-à-dire un homme vivant d’impostures, il avait cependant plus de peine à identifier de manière claire et précise son forfait. Il est vrai qu’au début du XVIIIe siècle, le crime d’escroquerie n’était pas encore bien défini par la justice[13] et les archives de la Bastille font écho à ce manque : « On a peine à qualifier son crime : ce n’est point vol de violence, débauche, ni attentat criminel, c’est plutôt un vol de séduction, une imposture d’un étranger commencée dans son pays et soutenue avec une extrême persévérance dans diverses villes du royaume[14]. » Le lieutenant général de police, Marc René de Voyer de Paulmy d’Argenson, était en revanche sûr d’une chose : Benciolini était « un scélérat du premier ordre qui avait commis une infinité de friponneries[15] ». Si l’on ne savait pas encore trop reconnaître ou qualifier l’escroquerie, on était parfaitement capable en revanche de reconnaître une friponnerie. Une friponnerie, peu importe les moyens employés ou le but escompté, engendrait à coup sûr des dupes, en petite ou grande quantité. Un fripon, c’était donc quelqu’un qui trompait les autres dans un but purement personnel.

Le cas Benciolini montre de façon nette que si certains crimes d’escroquerie ou d’imposture ne connaissaient pas encore une définition juridique certaine et déroutaient quelquefois les autorités, on n’avait en revanche aucune peine à qualifier un faiseur de dupes de fripon et ses actes de friponnerie. De plus, il faut souligner que le motif d’embastillement pour friponnerie allait toujours de pair avec un autre chef d’accusation.

Les différentes raisons d’enfermement à la Bastille, relatives à la friponnerie

Dans les archives de la Bastille, les mots fripon, friponne et friponnerie reviennent à de très nombreuses reprises. Lorsqu’un de ces termes apparaît dans ces documents, c’est dans des cas précis et pour des personnes accusées de crimes particuliers. Viennent en premier lieu les cas liés à la sorcellerie. Entrent dans cette catégorie les sorciers, les devins et diseurs de bonne aventure, les chercheurs de trésors et les soi-disant détenteurs du secret de la pierre philosophale[16]. Ensuite nous retrouvons les crimes liés à la finance : fabrication de fausse monnaie, billonnage, détournements de fonds, et toute autre sorte d’escroquerie financière. Les autorités employèrent également le terme de fripon pour parler des charlatans, des aventuriers, des intrigants, des espions et des personnes coupables d’abus de confiance. Enfin, les faussaires ont également eu le droit à l’épithète de fripon. Fausses lettres de cachets, faux papiers, fausses lettres de grâce, ou encore faux billets de loterie gagnants, les fripons ne reculaient devant rien et falsifiaient toutes sortes de documents, du plus anodin au plus notable.

On qualifiait souvent d’« insignes » les individus qui commettaient des actes de friponnerie. Le sens de ce mot est, comme nous le savons, relativement ambivalent puisque, s’il fait certes référence au caractère remarquable d’une personne, il peut le faire à des fins mélioratives ou péjoratives. L’emploi de ce mot à l’égard des fripons ne semble pas anodin mais paraît au contraire très révélateur du regard, tantôt fasciné, tantôt réprobateur, que les autorités portaient sur eux à cette époque.

Le traitement des fripons à la Bastille

Après la Révolution, la légende noire de la Bastille, prison abominable, lieu de tourments sans fin, fit couler beaucoup d’encre. Par la suite, afin de distinguer le mythe et la réalité, plusieurs historiens ont essayé de retracer la véritable histoire de ce lieu[17]. Il ressort de ces ouvrages que les conditions de vie des prisonniers dépendaient avant tout de leur condition sociale et de leurs moyens de s’offrir une détention agréable ou non. C’est ce que rappelle Monique Cottret : « Du tragique au dérisoire, la vie bastillonnaire offre une multitude de nuances possibles qui expliquent les témoignages contradictoires[18]. » En effet, tout confort se payait. S’ils avaient les ressources nécessaires, rien n’interdisait aux prisonniers de s’aménager une cellule confortable, meublée et même de s’entourer d’animaux de compagnie[19]. Ils avaient également la possibilité de se faire livrer de la nourriture, sous forme de denrées brutes ou de mets préparés par des pâtissiers ou des rôtisseurs, ce qui leur permettait « de maintenir la position sociale qu’ils occupaient avant leur incarcération[20]. » Ce fut notamment le cas du marquis de Sade qui se fit livrer de nombreuses denrées par sa femme lors de sa détention en 1787[21] ainsi que de la vaisselle fine[22]. Le gouverneur recevait du Roi une somme quotidienne pour chaque prisonnier, proportionnelle à sa condition sociale, pour subvenir à ses besoins indispensables. Mais celui-ci pouvait parfois détourner, à son profit, une partie de ces versements, ce qui lésait les détenus et cela d’autant plus lorsqu’ils étaient de condition modeste[23].

La durée de détention des fripons dépendait du bon vouloir des autorités[24]. Ceux accusés de sorcellerie étaient le plus souvent transférés dans une autre prison (Bicêtre, la Salpêtrière, l’Hôpital) dès que les interrogatoires (qui pouvaient durer soit quelques semaines ou dans les cas les plus complexes, une année[25]) étaient achevés. Cette autre détention, quant à elle, pouvait durer plusieurs années. D’autres fripons étaient maintenus enfermés tant que le gouverneur n’avait pas la preuve de leur imposture, ou plutôt la certitude de leur faux talent. En effet, lorsqu’un homme était enfermé parce qu’il prétendait détenir le secret de la pierre philosophale, le même rituel se mettait en place. Il lui était fourni de quoi travailler et l’on attendait d’avoir la preuve qu’il ne savait pas changer le plomb en or. Le roi voulait à chaque fois s’assurer que l’opération était bien impossible : « Comme cette affaire paraît mériter attention, quoiqu’on soit ordinairement, ou pour mieux dire toujours, trompés dans celle de pareille nature, il semble cependant nécessaire de vérifier ce qui en est[26]. »

La Bastille étant une prison d’état, c’était le roi qui payait les frais de détention de ses prisonniers. Ainsi, il fallait valoir la dépense que l’on faisait faire au souverain[27]. Ce ne fut pas le cas des deux escrocs Taussin père et fils embastillés en 1701. Proxénètes, prêteurs sur gage à grosse usure, ces deux hommes falsifiaient des lettres de change et soutiraient de l’argent à des parents qui pensaient, en toute bonne foi, le donner à leurs enfants. Bien que l’exempt Savery[28] reconnût que ces deux personnages étaient « les deux plus grands poisons qui soient à Paris, ne vivant que d’industrie et de filouterie[29] », ils furent relâchés rapidement. Si l’on compare leur cas avec celui de Du Hautoy enfermé la même année, une nette différence apparaît. Cet homme falsifiait également des lettres de change, faisait de faux papiers, mais ces derniers étaient en rapport direct avec l’Électeur palatin[30]. Au lieu de tromper les gens du peuple, il trompait les grands, les très grands, ce qui inquiétait manifestement l’autorité. Bien que Du Hautoy fût atteint d’une fistule à l’anus, mal qui augmentait les frais de son incarcération, on ne le relâcha pas pour autant. Puisque tous les papiers qu’il avait falsifiés n’étaient pas encore récupérés et donc que son porteur n’était pas neutralisé, il resterait à la Bastille quoiqu’il en coûte : « M. Du Hautoy ne peut pas encore être mis en liberté, et si son mal le presse, il faut le faire traiter à la B. avec le plus de soin qu’il se pourra[31]. » Le cas de Du Hautoy se rapproche de celui de Benciolini, qui, étant « assurément un imposteur des plus dangereux qui a affronté en plusieurs endroits des hommes considérables[32] », ne fut chassé du royaume et reconduit à la frontière qu’en 1715, soit huit ans après son ordre d’entrée à la Bastille. Pour en revenir aux Taussin, nettement moins dangereux pour la haute société, l’exil immédiat ne posa en revanche pas de problèmes : ils furent renvoyés dans leur province[33]. Peu semble importer au lieutenant général de police d’Argenson s’ils écument à nouveau la Gascogne : au moins ce ne sera pas au roi qu’ils porteront préjudice.

Le fripon, produit et miroir de la société

Bien connaître sa proie

Lorsque les officiers racontaient comment les fripons trompaient leurs dupes, c’était en émettant bien souvent une remarque importante[34]. Les fripons connaissaient les désirs et les faiblesses de leurs cibles et s’en servaient pour arriver à leur fin. Les dupes, pour leur part, croyaient que la personne qui leur promettait monts et merveilles leur apporterait ce qu’elles recherchaient : l’amour, un trésor, de l’argent, une réputation, la santé etc. Évoquons le cas de Desbroys, embastillé en 1724 pour sorcellerie : « Il a cru pouvoir se procurer quelques secours en faisant entendre à des personnes faibles et crédules qu’il avait des secrets pour se faire aimer, pour découvrir des trésors cachés, et pour prédire l’avenir, et il a sous ce faux prétexte abusé de leur crédulité, a tiré d’eux de l’argent[35]. » Desbroys arrivait à convaincre ses dupes qu’il avait réponse à tous les besoins, à tous les désirs, même les plus inavouables, et grâce à ce talent, il réussit à en tromper plus d’un. Cette capacité des fripons à deviner l’attente de leur proie a été bien soulignée par l’avocat Nicolas Des Essarts, qui rédigea entre 1786 et 1790 un Dictionnaire universel de Police et dont on peut lire, à l’article « Escrocs, filous, escroqueries et filouteries de toutes espèces », les remarques suivantes :

Les Filous n’ont pas étudié le cœur humain comme les Philosophes, pour en tirer des règles de conduite & de morale ; ils pénètrent tous ses replis pour en connoître les foiblesses, & pour en tirer profit. L’un aspirant à se faire une fortune brillante aux dépens des sots de toutes les conditions & de tous les rangs, réfléchit sur les habitudes attachées, pour ainsi dire, à chaque état. Lorsqu’il a découvert les passions ordinaires qui agitent un individu de telle classe, il l’attaque par l’endroit foible qu’il a apperçu. L’amour-propre flatté, caressé & exalté, est un des moyens que les Filous de la grande espèce emploient constamment […] Souples, adroits à saisir toutes les nuances qui s’offrent à leurs yeux perçans, ils ne négligent rien pour connoître les préjugés & les goûts des personnes qu’ils veulent subjuguer[36].

Ce portrait, qui laisse percer une certaine fascination, insiste à juste titre sur le talent que montraient les fripons, mentalistes et psychologues avant la lettre, en s’adaptant aux règles qui régissaient les différentes conditions sociales et en tirant profit des faiblesses qui leur étaient propres. Savoir s’adapter aux dupes permettait de tromper efficacement. Évoquant les faux sorciers, Ulrike Krampl émet à ce sujet une remarque très pertinente : « L’art de séduire, de faire espérer autrui par des promesses, révèle une vraie compétence à diriger, certes à une échelle très restreinte et localisée, les âmes et les corps des contemporains en donnant discrètement du sens aux aléas de la vie[37]. » Mais les fripons ne se contentaient pas de bien cerner le cœur humain. Ils connaissaient aussi remarquablement le fonctionnement de leur société, dont ils exploitaient les codes de conduite mais aussi les failles pour s’y faire une place et, in fine, mieux abuser leurs proies.

L’habit fait le moine : une société d’apparence qui facilite le travail du fripon

Un des grands talents des fripons consistait en leur capacité d’analyser finement et précisément la société dans laquelle ils vivaient. Connaissant bien ses particularités et ses failles, ils se servaient de ce savoir pour s’y fondre parfaitement et s’y adapter en fonction du lieu et de la compagnie qui les entourait. À cet égard, les archives de la Bastille se montrent fort éloquentes. Les dupes regroupaient des catégories de personnes assez semblables en fonction du crime du fripon. Prenons l’exemple des sorciers. Ces derniers visaient principalement des dupes faciles[38], prises dans un panel de personnes simples et peu éduquées : « on a trouvé chez Tirmont plusieurs livres et caractères et d’inventions diaboliques, dont tout l’effet consiste à profiter de la simplicité de quelques dupes[39] ». Parfois, le bouche à oreille amplifiait la réputation des fripons et jouait en leur faveur, comme ce fut le cas de ce charlatan enfermé en 1703, nommé Lully. Ce personnage avait non seulement identifié les désirs des gens, mais a également pu profiter de sa réputation naissante et grandissante, comme nous l’explique l’exempt Loir :

J’ai découvert ici, depuis quelques jours, un charlatan ridicule, qui prétend avoir des secrets merveilleux pour satisfaire les passions ou pour les guérir ; il prétend, dit-il, que la force de ses remèdes pénètre jusqu’à l’âme, qu’il sait radoucir les tempéraments les plus féroces, amortir la colère, exciter la haine ou l’amour ; il débite pour cela des poudres qui ne sentent que le pur brûlé ; mais il ne laisse pas d’en faire un assez grand débit, car il se forme beaucoup plus de nouvelles dupes qu’on n’en voit d’anciennes se détromper ; ainsi avant que chacun ait fait son expérience, et qu’un fripon soit connu pour ce qu’il est, il a fait à Paris beaucoup de mal[40].

L’officier reconnut que malgré son caractère quelque peu ridicule, Lully avait été redoutablement efficace ! Tromper les personnes de la haute société, souvent beaucoup moins naïves et crédules, était une gageure encore plus ambitieuse pour les fripons qui devaient alors redoubler d’efforts et d’imagination pour parvenir à leurs fins. En 1705, fut enfermé, après plus d’un an de fuite, un certain Doucelin d’Albaterre, qui s’était fait passer pour l’héritier de la couronne de Castille. Ce curieux personnage ne manqua pas de forcer le lieutenant général de police d’Argenson à une certaine reconnaissance de ses capacités imaginatives : « Des volumes entiers ne suffiraient pas, s’il fallait rapporter toutes ses extravagances[41]. » L’aventurier Blaud, se faisant appeler alternativement chevalier de Bon ou de Saint-Luc, ou encore Blaud, Seneuve, Couprie, Melfort, inspire la même fascination en 1741. Ce caméléon « qui a de l’esprit et qui débite bien son discours[42] » a réussi à escroquer beaucoup de monde en se faisant inviter et prêter de l’argent par « tous ceux qu’il pouvait séduire[43] ». Le lieutenant général de police, Claude Henry Feydeau de Marville, le regardait comme « un misérable dont la vie paraît être un tissu de crimes et de friponneries[44] ». Derrière ces mots sévères, perce néanmoins un soupçon d’admiration : « il paraît être un maître fripon[45] », qui a été l’auteur d’une « infinité d’impostures[46] ». En bref, ce fripon était « un des plus hardis que la terre souffre[47] ». Ceux qui prétendaient détenir le secret de la pierre philosophale eurent droit, eux aussi, à ce même respect à peine voilé. Ceux-ci, nous l’avons vu, réussissaient à abuser pour un temps le roi et la police. En 1711, un certain Troin fut embastillé pour ce crime. C’est toute une province que ce dernier aurait fait plonger dans ses filets comme le décrit le lieutenant-général de Provence, François de Grignan, qui « souhaitait tirer de l’erreur la contrée de Provence où il joue ce personnage[48] ». Troin en était même venu à tromper l’évêque de Senez. Lorsqu’il décéda à la Bastille, l’autorité fut déçue de n’avoir pu réussir à prouver son imposture : « La mort naturelle ou précipitée du malheureux fait, ce me semble, assez connaître que c’était un insigne fripon qui a mieux aimé mourir que de révéler le secret de ses friponneries[49]. » Sa disparition engendra un soulagement général, mêlé de regrets : « Enfin il ne trompera plus personne, et il aurait été seulement à désirer qu’il eût détrompé avant sa mort ceux dont il avait fasciné les yeux et séduit la crédulité[50]. » Puisque la police ne put prouver son imposture avant son trépas, ceux qui avaient cru en ses capacités persistèrent à croire en ses talents. La tromperie de hauts personnages par les fripons n’était pas, par ailleurs, sans provoquer un certain malaise. En effet, comme l’a relevé Ulrike Krampl, l’on n’osait pas traiter ces dupes renommées de la même manière que des dupes anonymes : « L’embarras devant l’implication de personnages haut placés se fait sentir aussi bien dans les affaires instruites que dans les directions des autorités[51] ».

Comme l’a bien souligné Daniel Roche, la société des Lumières était une société d’apparence, ou les codes sociaux se retrouvaient dans l’habillement et la façon de se comporter[52]. Même si certaines conceptions peuvent nous paraître aujourd’hui étonnantes voire farfelues, les hommes et les femmes du XVIIIe siècle appréhendaient la personnalité des gens avant tout sous cet angle. Benoît Garnot analyse les idées reçues sur les criminels en ces termes : « Les délinquants sont perçus par la plus grande partie de la population de manière stéréotypée […] on attribue fréquemment aux délinquants des caractères physiques qui les démarquent de la bonne société de leur temps, leur ignominie étant visible jusque dans leur apparence et inscrite dans leur chair comme la marque du Diable[53]. » Est-il besoin de rajouter que ces a priori sont évidemment faux : « Ces conceptions révèlent des peurs sociales, mais ne correspondent pas à la réalité de la population délinquante[54]. » En ce qui concerne les fripons, c’était même l’opposé qui s’imposait aux yeux de leurs contemporains, puisque ces imposteurs faisaient tout pour se fondre dans le milieu dans lequel ils cherchaient à faire des dupes et c’est ainsi que cette société d’apparence les servait de manière tout à fait providentielle. Ils prenaient tantôt des atours de comtes, de marquis, de ducs et même de rois. Le portrait qu’a brossé Catherine Samet du fripon insiste sur cette remarquable faculté d’adaptation : « Il sait jouer de tous les titres, de toutes les personnalités, de tous les costumes. La mise en scène n’a pas de mystère pour lui. C’est un excellent acteur. Il aime tromper […] [il] est un ‘‘animal social’’. Il est séducteur, stratège, politique et économiste[55]. »

Pour commettre ses méfaits, le fripon changeait non seulement d’apparence mais également de nom. Les archives de la Bastille nous apprennent à ce sujet que chaque fripon pouvait faire usage de nombreux patronymes, qu’il choisissait en fonction des milieux qu’il voulait infiltrer. Vincent Denis nous explique cette importance du nom :

Dans ces stratégies de reconnaissance, l’usage du nom et du titre mérite une attention particulière […] Le nom constitue le premier élément de l’imposteur, mais son premier capital également, puisqu’il s’agit de le faire accepter ou de le faire fructifier : par le nom, on espère gagner la reconnaissance, l’argent, les honneurs auxquels on prétend. Aussi l’imposteur, peut-être avant même d’être une silhouette avenante, est-il un nom. Il n’est jamais anonyme […] Il y a dans la prolixité à se nommer et à se faire nommer, une dimension performative essentielle[56].

Les fripons nous apprennent beaucoup de leur société, dont ils constituent de vrais miroirs puisqu’ils en reflètent à eux seuls les règles de conduite et les faiblesses. Ce constat est à rapprocher de l’analyse de l’imposteur contemporain faite par Roland Gori, professeur de psychopathologie. À ses yeux, l’imposteur est une « véritable éponge vivante[57]», ce qui fait de lui un caméléon redoutable. « Par ses emprunts aux couleurs de l’environnement » remarque-t-il, « l’imposteur témoigne d’une exceptionnelle « adaptation à la réalité » […] C’est le prototype de l’adaptation et de l’habileté sociale, le sujet idéal des façonneurs de comportements[58]. » Il va de soi que, pour certains observateurs, cette grande capacité d’adaptation des fripons les rend d’autant plus dangereux.

Le bouleversement de l’ordre social engendré par la friponnerie

Les fripons faisaient planer sur la société d’Ancien Régime une menace subtile mais bien réelle. Nous l’avons vu pour le cas de Benciolini : le lieutenant général de police d’Argenson parlait d’un homme des plus dangereux[59]. Pourquoi un individu qui ne faisait qu’escroquer de l’argent était-il à ce point un danger pour la société dans laquelle il vivait de ses friponneries ? Suivons la piste que nous ouvre Pierre Deyon : c’est l’estimation même du danger qui influence les lois. Plus le risque est grand, plus la loi sera rigoureuse : c’est « l’appréciation du risque couru par la société bien plus que le degré de responsabilité et de conscience du délinquant qui inspire la législation royale et la jurisprudence des tribunaux […] le vol est puni moins en fonction des motifs du voleur et des dommages infligés à la victime qu’en fonction du danger ressenti par le corps social dans ses hiérarchies et ses institutions[60] ». À ce titre, Catherine Samet met en lumière un fait important : « L’abus de fausses qualités est, évidemment, particulièrement mal toléré par la société d’Ancien Régime. D’abord parce qu’il remet en cause la sécurité des signatures et des contrats du système économique, mais aussi parce qu’il porte atteinte à l’honneur et, de façon générale, aux personnes. D’autant que les noblesses ‘‘natives’’ retrouvent, à l’époque de Louis XV, une certaine influence[61]. » Nous l’avons vu, les principales armes des fripons étaient leurs fausses identités et leurs fausses apparences. Se faire passer pour quelqu’un d’autre, et surtout pour un noble, entachait la véritable noblesse et portait atteinte à son honneur, vertu cardinale du second ordre. Il n’était donc pas anodin, même si cela était très répandu, de se faire passer pour ce qu’on n’était pas[62]. Les fripons créèrent une faille dans le pilier qu’était la noblesse, et, partant, dans la société d’ordres et de corps.

De la même manière, l’enrichissement facile et parfois fulgurant des fripons ne pouvait que perturber la société. Ulrike Krampl insiste sur ce danger : « Dans une société fortement hiérarchisée, faire fortune a des conséquences sociopolitiques […] l’enrichissement, par sa capacité à modifier l’assise sociale d’une personne, interfère dans l’équilibre des tensions qui organisent la société[63]. » Lorsqu’on ne possédait ni nom ni titre, une soudaine ascension pécuniaire était difficilement admise par les contemporains. Or, l’argent était un élément essentiel et déterminant dans toute friponnerie. C’était même le ressort primordial.

Un regard ambigu sur la friponnerie

Les fripons, les dupes et l’argent : un triangle amoureux

Peu importe le biais ou le chemin, il semble que la quête de tout fripon soit l’argent. Tout tournait autour de lui : il fallait se faire un nom pour pouvoir se faire recevoir, se faire entretenir pour économiser quelques dépenses et surtout, soutirer des richesses à des dupes prestigieuses ou totalement anonymes. À cet égard, les archives de la Bastille nous montrent que les femmes qui commettaient des actes de friponnerie étaient animées par ce même désir. C’est le cas de la veuve Bougie, qui, en 1753, soutira 10 380 livres à un correcteur de compte[64]. Il faut également mentionner Marie Élisabeth Charlotte Valérie de Bruls, une aventurière enfermée à la Bastille en 1761. Autrichienne, fille d’un perruquier, elle s’est enfuie de son pays pour rejoindre Paris travestie en homme. Le fil de ses mensonges et de ses travestissements s’avère difficile à suivre tant l’intéressée se montre intarissable sur ce chapitre. Ses prétendues identités furent multiples : fille d’un capitaine des gardes de la reine de Hongrie, filleule du prince Charles de Lorraine et de la princesse Charlotte, abbesse de Remiremont, veuve d’un comte de Bruls officier suisse au régiment de Vigé ou encore épouse de Favier du Tilleul. Elle multiplia l’emprunt de noms : Likinda, veuve Vasser, comtesse d’Herchond, ou encore milady Mantz. Tous ces stratagèmes n’étaient déployés que pour une finalité : l’argent. Et avec succès. Elle fut entretenue par Turin, contrôleur des guerres en Champagne, par la comtesse du Rumain, qui lui loua elle-même un appartement à l’hôtel de l’Impératrice, puis elle escroqua entre 20 000 et 25 000 livres à un joaillier. Elle réussit également à duper la comtesse de Choiseul-Meuse et l’ambassadrice de l’Empereur[65] à qui elle soutira également des espèces et des diamants. C’est une « femme extraordinaire[66] », ne pouvait s’empêcher de s’exclamer l’inspecteur Buhot. Son cas prouve, si besoin était, que les femmes étaient elles aussi capables de friponner et qu’elles subjuguaient tout autant que leurs congénères masculins, d’autant qu’on ne s’attendait pas toujours à ce qu’elles soient capables d’escroquerie.

La cupidité n’était pas l’apanage des seuls fripons et friponnes. C’est ce même appétit pour les richesses qui fait tomber bien souvent les dupes dans le piège qui leur est tendu. Cela est tout à fait significatif dans les cas d’escroquerie pour sorcellerie. Les gens étaient prêts à rétribuer une personne pour obtenir une information sur un trésor ou sur la manière de faire fortune. Comme le souligne Ulrike Krampl, si « l’enrichissement constitue le principal objet que visent les magies des faux sorciers […] les paroles prometteuses tombent rarement dans le vide car le désir de fortune semble avoir saisi la société tout entière[67]. » Il est donc intéressant de relever que ce qui rapproche la dupe de son dupeur réside dans un but similaire : « En dépit des différences de statut social, les faux sorciers partagent pleinement l’intérêt de leurs clients : réussir et s’enrichir[68]. » Imprégnée du catholicisme, la société d’Ancien Régime réprimait fortement cette soif d’argent et regardait ce penchant d’une manière extrêmement défavorable. Ulrike Krampl nous décrit ainsi le cas d’un chimiste qui fit fortune en très peu de temps et qui affichait son amour pour les richesses. Il fut décrié par tout son entourage et son attitude fut jugée inadmissible[69]. Aimer l’argent ouvertement était source de déshonneur.

L’honneur en jeu

Afin que les gains de son imposture soient les plus importants possible, le fripon devait privilégier des dupes issues du milieu où l’argent était le plus abondant et le plus facilement dépensé : la haute société. Or, dans ce milieu, il existait une valeur primordiale : l’honneur. Suivons Benoît Garnot dans sa définition de ce qu’était l’honneur au XVIIIe siècle :

L’honneur implique à la fois le respect que l’on doit à un homme ou à une femme en fonction de son statut, et les qualités qui justifient ce respect, particulièrement le courage, la droiture et la fidélité à la parole donnée dans le cas des hommes, et dans le cas des femmes la pudeur, la virginité avant le mariage et la fidélité ensuite, pour que soit préservée la pureté de sang du lignage. Les Gens sont honorés parce qu’ils sont honorables, et ils sont honorables parce qu’ils sont honorés (A. Jouanna) […] L’honneur est une composante essentielle de la personnalité sociale, sans doute même la première, et il est essentiel de le conserver et de le défendre, la perte de l’honneur constituant la pire des déchéances[70].

Il était capital pour un fripon voulant s’infiltrer dans la haute société de passer pour une personne honorable, c’est-à-dire une personne que l’on pouvait recevoir chez soi, à qui l’on pouvait faire confiance et prêter de l’argent sans crainte. Sa parole, comme celle de tout gentilhomme, devenait alors à elle seule un gage de confiance et de respectabilité. Ainsi, l’identité usurpée ou inventée, qui permettait de jouir en toute tranquillité des bienfaits de l’honneur, devait être accompagnée d’une apparence digne de cette honorabilité. Pour comprendre l’importance du comportement de l’imposteur qui souhaitait se fondre dans les apparences nobiliaires, examinons le cas d’un dénommé Roger, emprisonné à la Bastille en 1767. Roger était un soldat du régiment d’infanterie du Dauphiné qui se fit passer pour le fils de Mme de Flavacourt à qui il écrivait régulièrement. Importunée par ces lettres, celle-ci écrivit à Antoine de Sartine, lieutenant général de police, pour se débarrasser de cet homme encombrant en demandant une lettre de cachet. Il fut ainsi embastillé. Lorsque l’on étudie son cas, on observe que Roger commit deux erreurs qui empêchèrent son imposture de réussir et qui, in fine, lui furent fatales. Tout d’abord, la biographie qu’il mettait en avant correspondait mal à l’identité qu’il avait usurpée. En effet, il se voyait régulièrement contraint d’en modifier certains détails dans la mesure où il ne s’était pas suffisamment documenté sur la famille dont il se prétendait issu. En second lieu, son comportement était loin d’être celui d’une personne de haut rang comme le remarqua, à l’occasion de son emprisonnement, le commissaire Rochebrune : « Je ne dirai point qu’il est fou, mais je le trouve méchant, violent, emporté, grossier et sans éducation, et rien n’annonce qu’il soit même d’une naissance bourgeoise, n’ayant ni politesse, ni connaissance du français[71]. » Roger finit même par exaspérer les autres prisonniers au point qu’ils firent usage d’une grande violence à son égard : « Tous les prisonniers de la salle se sont ameutés, et ils étaient déterminés de le lapider cette nuit […] ce matin on n’a pu les contenir, ils ont exécuté leur dessein ; en sorte qu’ils l’ont beaucoup maltraité[72]. » Cet escroc médiocre ne s’en remit pas et mourut de ses blessures[73]. Le fripon se devait donc de rentrer corps et âme dans son personnage pour que son imposture puisse réussir. Le traitement brutal infligé à Roger s’explique aisément dans la mesure où il a abusé de fausses qualités et a prétendu être quelqu’un d’honorable, alors qu’il n’en avait ni l’apparence ni le comportement. Cependant, l’honneur ne concerne pas que l’imposteur. Il concerne aussi la dupe.

Les imposteurs étaient enfermés à la Bastille après l’envoi d’une lettre de cachet. Celle-ci était souvent réclamée par des particuliers, comme nous venons de le voir, qui demandaient l’emprisonnement d’une personne pour différentes raisons[74]. Vincent Denis nous dit ceci à propos des imposteurs : « La fréquence des lettres au lieutenant général de police, et inversement la rareté des témoignages directs, montrent dans ces affaires la volonté de mettre à distance les victimes et l’imposteur, comme si leur association était vécue comme une véritable souillure. À plusieurs reprises, des poursuites semblent avoir été abandonnées par honte du scandale[75]. » Mais quel était vraiment le motif du scandale ? Ce qui était vraiment honteux et déshonorant, c’était de ne pas avoir été plus astucieux que l’imposteur, d’être tombé dans ses filets et de se voir contraint d’avouer à tous d’avoir été dupé. Relevant le rapport entre honneur et duperie, Ulrike Krampl estime que ces deux notions s’avèrent totalement incompatibles : « S’avouer dupe revient à avouer une faiblesse sociale, aveu d’impuissance qui met en jeu l’honneur, ressource sociale de premier ordre[76]. » La seule chose qui pousserait une dupe à parler, c’est l’argent. Seul lui se montrerait plus fort que l’honneur : « En dépit du risque de mettre en jeu leur réputation, les ‘‘dupes’’ privilégient le fait qu’elles ont été dépossédées d’importantes sommes d’argent. N’avoir plus rien à perdre peut amener à parler[77]. » Elles sont d’autant plus honteuses qu’elles perdent sur tous les tableaux, à la fois leur argent et leur honneur, alors que celui qui leur a tout ravi subit pour sa part une punition qui n’en est pas forcément une. En effet, la Bastille posséderait le pouvoir de métamorphoser positivement ses hôtes, comme le souligne Monique Cottret : « La Bastille ne terrorise plus ; un court séjour donne en quelque sorte un certificat d’honorabilité[78]. » Tandis qu’un passage à la Bastille pour un fripon ne signifiait nullement la fin de sa carrière, les dupes voyaient, quant à elles, leur réputation durablement entachée. La police éprouvait beaucoup de peine à dissimuler son embarras devant l’implication des grands personnages victimes d’une tromperie[79]. Le vrai gagnant restait donc l’imposteur, qui pouvait se targuer d’avoir été le plus rusé et d’avoir prouvé à tous ses talents. Le fait est d’autant plus avéré, comme nous allons le voir, lorsqu’il s’agit d’une friponnerie partie du sommet de l’État.

La friponnerie pardonnée ? Le cas fascinant de La Jonchère

Lors du jugement des cas d’escroquerie, la question de l’exemption pouvait se poser. En effet, dans le cas des individus mineurs, on se demandait s’il ne convenait pas de les juger irresponsables de leurs actes. De la même manière, lors du jugement des personnes âgées, voire très âgées[80] on pouvait s’interroger sur leur éventuelle sénilité. Mais à la suite des 477 jugements pour escroquerie qui ont eu lieu au XVIIIe siècle, aucun accusé ne fut exempté pour ces motifs[81]. Les magistrats leur reconnaissaient en effet de telles facultés intellectuelles, qu’ils ne leur accordaient jamais la moindre décharge de responsabilité. Comme le souligne Catherine Samet, « les manœuvres nécessitent une vivacité d’esprit qui caractérise à la fois l’intention coupable et également une certaine capacité[82]. » La justice d’Ancien Régime semblait donc ne pas mettre en doute l’intelligence des fripons qu’elle jugeait et semblait même éprouver une certaine fascination à leur égard. Et, de la fascination au pardon, le pas est d’autant plus aisément franchi que le rang social du fripon est élevé.

En 1723, un cas très particulier se présenta au lieutenant général de police Marc Pierre de Voyer de Paulmy d’Argenson. Le 24 mai, Gérard Michel de La Jonchère est emprisonné à la Bastille. Il était trésorier de l’extraordinaire des guerres, placé sous la responsabilité du secrétaire d’État de la Guerre, Claude Le Blanc. Albert Babeau, qui a publié le journal de captivité de La Jonchère, nous éclaire sur le fonctionnement très particulier de l’extraordinaire des guerres. C’était en effet :

Une institution qui fonctionnait en dehors des règles normales. Elle s’alimentait, en temps de guerre, par des contributions levées sur l’ennemi, en temps de paix, par des revenants-bons et des épargnes de divers genres. Les trésoriers n’étaient pas astreints à rendre leurs comptes annuellement ; ils pouvaient retenir les deniers, les appliquer à leurs affaires, et les ministres, par un usage abusif, leur délivraient des ordonnances d’ajournement de compte lorsqu’ils étaient débiteurs de deux ou trois millions[83].

Pour un individu peu scrupuleux, il va sans dire qu’une telle charge était une aubaine. Les sources concernant l’affaire La Jonchère montrent qu’il en profita pleinement. Le trésorier fit fortune en très peu de temps et il acquit un hôtel rue Saint Honoré, dans lequel trônait son portrait peint par Hyacinthe Rigaud. Cette soudaine ascension financière éveilla les soupçons des frères Pâris[84]qui ouvrirent une enquête et s’appliquèrent à examiner méticuleusement les comptes du trésorier. Ils purent ainsi démontrer qu’ « il avait distribué en billets la solde des officiers, pour le paiement de laquelle il avait reçu des espèces ; cette opération illicite lui aurait procuré des bénéfices illicites évalués à douze ou treize millions[85]. » Non seulement La Jonchère profita du non suivi strict des comptes, mais il se servit également des billets du système de Law pour engranger encore plus de liquidités. On comprend mieux comment il a pu rassembler une telle fortune en si peu de temps. L’affaire fit grand bruit à Paris : Edmond Barbier et Mathieu Marais ne manquèrent pas de mentionner cette surprenante affaire dans leur journal[86]. La Jonchère fut en toute logique emprisonné à la Bastille, avec le confort et les avantages que lui garantissait son rang. Il eut le privilège d’avoir en sa compagnie son serviteur, Lorange, ainsi que de quoi lire, écrire et meubler sa cellule selon ses goûts. Au bout de quatorze mois d’embastillement, il fut finalement libéré, mais déclaré par un arrêt de la Chambre de l’Arsenal « incapable désormais de tenir ni posséder aucune charge de finance et le condamnait par corps à porter au trésor royal la somme de 1 381 688 livres en espèces sonnantes[87] ». Le trésorier ne fut pas la seule personne inculpée dans cette affaire. Suspecté de malversation, le secrétaire d’État de la Guerre, Le Blanc, fut finalement acquitté grâce aux soutiens hauts placés dont il bénéficiait. Le comte de Belle-Isle, petit-fils de Nicolas Fouquet, le célèbre surintendant de Louis XIV, fit à son tour un séjour à la Bastille de plusieurs mois. En revanche, il ne fut pas acquitté comme Le Blanc, mais condamné à restituer 600 000 livres. Nous pourrions croire que ces individus peu consciencieux, ayant porté préjudice à l’honneur de l’État, aient vu leur carrière s’arrêter à ce stade. Mais il n’en est rien. Le Blanc fut à nouveau secrétaire d’État de la guerre deux ans après l’affaire. Le comte de Belle-Isle devint Maréchal de France en 1741, fut nommé duc et pair de France en 1748, ministre d’État en 1750 puis secrétaire d’État de la Guerre en 1758[88]. La Jonchère fut pour sa part promu trésorier de l’ordre royal de Saint-Louis[89] ce qui lui donnait le titre de commandeur et lui octroyait 3 000 à 4 000 livres de pension. Tout ceci passait bien sûr outre sa condamnation à ne plus être en charge du moindre compte. Bien qu’exceptionnelle par le rang social des personnages impliqués, l’affaire n’en reste pas moins éclairante sur le regard porté en haut lieu sur la friponnerie, qu’elle soit issue du ruisseau ou qu’elle prenne naissance dans les ors versaillais. Quel que soit leur crime, les fripons suscitent une perplexité mêlée d’admiration. Plus la dupe est importante, plus la friponnerie devient un exploit digne d’être célébré. Or, existe-t-il dans la société d’Ancien Régime une dupe plus prestigieuse que la monarchie ?

Conclusion

Les archives de la Bastille sont une source précieuse pour étudier les fripons et la friponnerie, phénomène qui, nous l’avons souligné, affecte toutes les strates de la société, des plus humbles, aux plus hautes sphères, et s’en prend à toutes sortes de dupes, des plus anodines aux plus prestigieuses et controversées. L’étude de ces surprenants personnages révèle aussi beaucoup des mentalités des contemporains. Ils fascinaient souvent plus qu’ils n’étaient décriés. Cette admiration, il est vrai, s’exprime la plupart du temps avec circonspection. Certaines précautions de langage prennent alors tout leur sens. Le recours fréquent à des mots à double-sens atteste du magnétisme exercé par ces « insignes fripons », expression qui parcourt nos sources, sur une France partagée entre réprobation et compréhension. En effet, la police n’est pas la seule à donner son opinion sur ces personnages : nous croisons leur chemin dans les pièces de théâtre, les traités, les romans, les correspondances, et l’iconographie. Ils semblent être omniprésents et une étude plus profonde est indispensable pour mieux cerner l’importance de ces individus et ce qu’ils ont à révéler de la société dont ils sont issus. C’est pourquoi cette analyse n’est que le commencement d’un travail bien plus vaste faisant l’objet d’une recherche doctorale en cours[90].


[1] Académie française, Dictionnaire de l’Académie française, 4e édition, Paris, Veuve Brunet, 1762. Consultable en ligne : http://artfl.atilf.fr/dictionnaires/ACADEMIE/QUATRIEME/quatrieme.fr.html

[2] Académie française, Dictionnaire de l’Académie française, 5e éd., Paris, Veuve Brunet, 1798.

[3] Au XVIIIe siècle, un crime est une action méchante et punissable par les loix, tandis qu’un délit est un crime commis par un ecclésiastiqueDictionnaire de l’Académie française, 5e éd., op cit.

[4] François Ravaisson, Archives de la Bastille: documents inédits, Paris, A. Durand et Pedone-Lauriel, 1866.

[5] Il s’agit de la fin du règne de Louis XIV, où nous retrouvons encore beaucoup de cas de sorcellerie, crime toujours regardé avec beaucoup de suspicion, voire d’angoisse, à la suite de l’affaire des poisons (1679-1682) et nous nous sommes arrêtés avant la Révolution, puisque la Bastille ne comptait à cette période plus que quelques prisonniers.

[6] Ravaisson n’a pas retranscrit la totalité des archives disponibles et les motifs d’embastillement qu’il décrit ne correspondent pas toujours à la réalité des chefs d’accusations. Il faut pour cela se reporter aux archives manuscrites.

[7] Frantz Funck-Brentano, Légendes et archives de la Bastille, Paris, Hachette, 1935 ; Monique Cottret, La Bastille à prendre : histoire et mythe de la forteresse royale, 1re éd., Paris, Presses universitaires de France, coll. « Histoires », 1986 ; Claude Quétel, L’histoire véritable de la Bastille, Paris, Tallandier, 2013.

[8] Ulrike Krampl, Les secrets des faux sorciers: police, magie et escroquerie à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, coll.« Collection En temps & lieux », n˚ 31, 2011 ; Vincent Denis, « Imposteurs et policiers au siècle des Lumières », Politix, 74, janvier 2009, p. 11‑30 ; Catherine Samet, Naissance de l’escroquerie moderne du XVIIIe au début du XIXe siècle: la naissance de la notion d’escroquerie d’après la jurisprudence du Châtelet et de parlement de Paris durant le siècle de Louis XV (1700-1790), Paris, France, L’Harmattan, coll.« Logiques juridiques », 2005.

[9] Il s’agit des lieutenants généraux de police, des commissaires et des exempts (voir note 28).

[10] Paolo Napoli, Naissance de la police moderne : pouvoir, normes, société, Paris, Éd. la découverte, coll.« Armillaire », 2003 ; Catherine Denys, Brigitte Marin et Vincent Milliot, Réformer la police: les mémoires policiers en Europe au XVIIIe siècle, Rennes, PUR, 2009 ; Nicolas Vidoni, La police des Lumières, Paris, Perrin, 2018.

[11] Jean-Pierre Royer, Histoire de la Justice en France, du XVIIIe siècle à nos jours, Paris, PUF, 2010 ; Catherine Samet, Naissance de l’escroquerie moderne…, op. cit. Pour une histoire de la police et de la justice, voir également la bibliographie d’Arlette Lebigre et de Benoît Garnot.

[12] François Ravaisson, Archives de la Bastille: documents inédits., vol. 11, Paris, A. Durand et Pedone-Lauriel, 1866, p. 405.

[13] Catherine Samet, Naissance de l’escroquerie moderne…, op. cit., p. 32‑33.

[14] François Ravaisson, Archives de la Bastille…, op. cit. vol. 11, p. 407.

[15] Ibidem p.409.

[16] Tous ces crimes ont été pratiqués par des hommes et par des femmes, sauf les cas concernant la pierre philosophale où seuls des hommes ont été embastillés pour ce motif.

[17] Voir note 7.

[18] Monique Cottret, La Bastille à prendre…, op. cit., p. 32.

[19] Ibidem p. 32-33.

[20] Odile Roblin, L’alimentation à la prison de la Bastille au XVIIIe siècle : une culture de la table élitaire ? Mémoire de Master 2 « Histoire et cultures de l’alimentation ». Sous la direction de Florent Quellier, Université François Rabelais de Tours, Tours, 2017 p.158.

[21] Ibidem p. 72.

[22] Ibidem p. 75.

[23] Monique Cottret, La Bastille à prendre…, op. cit., p. 32.

[24] La lettre de cachet laisse la décision de la liberté entre les mains des autorités. Il n’y avait donc rien de préétabli à l’avance, c’est pourquoi il existe tant de différences de durée de séjour. Les fripons ne font pas exception. Voir à ce propos Claude Quétel, L’histoire véritable de la Bastille…, op. cit., p. 441‑466.

[25] François Ravaisson, Archives de la Bastille: documents inédits., vol. 10, Paris, A. Durand et Pedone-Lauriel, 1866, p. 381‑403.

[26] François Ravaisson, Archives de la Bastille: documents inédits., vol. 13, Paris, A. Durand et Pedone-Lauriel, 1866, p. 184.

[27] François Ravaisson, Archives de la Bastille…, op. cit. vol. 10, p. 380.

[28] Officier chargé des arrestations.

[29] François Ravaisson, Archives de la Bastille…, op. cit. vol. 10, p. 377.

[30] Prince germanique faisant partie des sept souverains ayant pour fonction d’élire l’empereur du Saint Empire Romain Germanique.

[31] François Ravaisson, Archives de la Bastille…, op. cit. vol. 10, p. 321.

[32] François Ravaisson, Archives de la Bastille…, op. cit. vol. 11, p. 411.

[33] François Ravaisson, Archives de la Bastille…, op. cit. vol. 10, p. 380.

[34] Surtout pour les affaires de sorcellerie et de pierre philosophale, comme dans le cas Tirmont (Ibidem p. 271), Troin (François Ravaisson, Archives de la Bastille: documents inédits., vol. 12, Paris, A. Durand et Pedone-Lauriel, 1866, p. 68., voir partie II/ B/) et celui que nous allons évoquer.

[35] François Ravaisson, Archives de la Bastille…, op. cit. vol. 13, p. 499-500.

[36] Nicolas-Toussaint Des Essarts, Dictionnaire universel de police, contenant l’origine et les progrès de cette partie importante de l’administration civile en France, Paris, Moutard, 1786, vol. 3, p. 537.

[37] Ulrike Krampl, Les secrets des faux sorciers…, op. cit., p. 114.

[38] Ibidem p. 78.

[39] François Ravaisson, Archives de la Bastille…, op. cit. vol. 10, p. 271.

[40] François Ravaisson, Archives de la Bastille…, op. cit. vol. 11, p. 164.

[41] Ibidem p. 243.

[42] François Ravaisson, Archives de la Bastille: documents inédits., vol. 15, Paris, A. Durand et Pedone-Lauriel, 1866, p. 118.

[43] Ibidem p. 124.

[44] Ibidem p. 126.

[45] Ibidem p. 125.

[46] Idem.

[47] Idem.

[48] François Ravaisson, Archives de la Bastille…, op. cit. vol. 12, p. 53.

[49] Ibidem p. 67.

[50] Ibidem p. 68.

[51] Ulrike Krampl, Les secrets des faux sorciers…, op. cit. p. 108.

[52] Daniel Roche, La Culture des apparences. Une histoire du vêtement (XVIIe-XVIIIe siècle), Paris, Fayard, 1990.

[53] Benoît Garnot, Crime et justice aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Imago, 2000 p. 77.

[54] Idem.

[55] Catherine Samet, Naissance de l’escroquerie moderne…, op. cit. p. 309.

[56] Vincent Denis, « Imposteurs et policiers au siècle des Lumières »…, op. cit., p. 15‑16.

[57] Roland Gori, La fabrique des imposteurs : essai, Arles, Actes Sud éditions., coll. « Babel », 2015 p. 13.

[58] Idem.

[59] François Ravaisson, Archives de la Bastille…, op. cit. vol. 11, p. 410.

[60] Pierre Deyon, Le Temps des prisons, Paris, Éditions universitaires, coll. « Encyclopédie universitaire », 1975, p. 22.

[61] Catherine Samet, Naissance de l’escroquerie moderne..., op. cit. p. 223.

[62] Ibidem, p. 419.

[63] Ulrike Krampl, Les secrets des faux sorciers…, op. cit. p. 145.

[64] François Ravaisson, Archives de la Bastille: documents inédits., vol. 16, Paris, A. Durand et Pedone-Lauriel, 1866, p. 300.

[65] L’empereur du Saint-Empire Romain Germanique n’ayant pas d’envoyée féminine, il doit s’agir de l’épouse de l’ambassadeur alors en poste.

[66] François Ravaisson, Archives de la Bastille: documents inédits., vol.18, Paris, A. Durand et Pedone-Lauriel, 1866, p. 153.

[67] Ulrike Krampl, Les secrets des faux sorciers…, op. cit. p. 128.

[68] Ibidem p. 144.

[69] Ibidem p. 147.

[70] Benoît Garnot, Justice et société en France aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Ophrys, coll. « Synthèse histoire », 2000 p. 14.

[71] François Ravaisson, Archives de la Bastille: documents inédits., vol.19, Paris, A. Durand et Pedone-Lauriel, 1866, p. 360.

[72] Ibidem p. 374.

[73] Idem.

[74] Telles qu’inconduite, indécence, délinquance, folie présumée, ou même pour empêcher une mésalliance : Claude Quétel, Une légende noire : les lettres de cachet, Paris, Le Grand livre du mois, 2011.

[75] Vincent Denis, « Imposteurs et policiers au siècle des Lumières »…, op. cit. p. 28.

[76] Ulrike Krampl, Les secrets des faux sorciers…, op. cit. p. 64.

[77] Ibidem p. 65.

[78] Monique Cottret, La Bastille à prendre…, op. cit. p. 63.

[79] Voir note 51.

[80] L’escroc le plus âgé qui fut jugé, Alexandre André Maudaire, avait 85 ans. Catherine Samet, Naissance de l’escroquerie moderne..., op. cit. p. 442.

[81] Ibidem p. 445.

[82] Idem.

[83] Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, Mémoires de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France. Tome XXV. Un Financier à la Bastille sous Louis XV.  Journal de La Jonchère, Paris, H. Champion, 1875 p. 3-4.

[84] Antoine, Claude, Joseph et Jean Pâris étaient tous les quatre financiers. Leur fulgurante ascension leur a permis d’atteindre les plus hautes sphères politiques du royaume.

[85] Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, Mémoires de la Société de l’histoire de Paris… op. cit. p. 4.

[86] Edmond Jean François Barbier, Chronique de la régence et du règne de Louis XV (1718-1763) ou Journal de Barbier, vol.8, Paris, Charpentier, Libraire-éditeur, 1857 ; Mathieu Marais, Journal et mémoires de Mathieu Marais, avocat au Parlement de Paris sur la Régence et le règne de Louis XV (1715-1737), Paris, Firmin Didot frères, 1863.

[87] Ibidem p. 13.

[88] Jean de Viguerie, Histoire et dictionnaire du temps des Lumières, Paris, R. Laffont, coll. « Bouquins », 1995 p. 748.

[89] Ordre de chevalerie créé en 1693 pour récompenser les services rendus à l’armée.

[90] Natacha Rossignol, Fripons et friponnerie dans l’espace européens des Lumières (vers 1680- fin XVIIIe siècle) thèse en cours depuis 2017, sous la direction du professeur Edmond Dziembowski, Université de Bourgogne Franche-Comté.

 

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Remarques sur quelques références à la vente ad pretium participandum comme cause de réduction en esclavage − I., 1, 3, 4 − dans la doctrine du droit naturel moderne

Constance d’Ornano

 


Résumé : Un texte de droit romain (I., 1, 3, 4) expose qu’un homme libre devient esclave soit par le ius gentium − capture au cours d’une guerre − soit par le ius civile – s’il se fait passer pour un esclave pour être vendu comme tel par un complice et partager avec lui le prix de la vente. Ce second motif de réduction en esclavage est une manifestation − voire une conséquence − de l’opposition du droit romain à l’esclavage volontaire : c’est en effet au titre de la fraude commise par celui qui s’est laissé vendre ad pretium participandum que l’arsenal juridique lui refuse de retrouver la liberté. Ce texte est pourtant cité par des représentants de l’École du droit naturel moderne à l’appui de leurs thèses reposant sur l’admission de la servitude volontaire. Cette contribution se propose d’examiner les problématiques que posent, chez de tels auteurs, ces références à I., 1, 3, 4, ainsi que l’éventuelle influence de ces dernières sur la critique, par Montesquieu et Rousseau, des positions de leurs prédécesseurs sur la validité de l’esclavage.

Mot-clés : vente de soi, esclavage volontaire, liberté, convention, aliénation, philosophie politique


Constance d’Ornano est doctorante à l’Université Panthéon-Assas (Paris II). Sa thèse, dirigée par messieurs les professeurs Philippe Cocatre-Zilgien et Olivier Descamps, porte sur les aspects juridiques du paiement des rançons (XVIe-XVIIIe siècle). Sa participation aux sessions de la Société Internationale Fernand de Visscher pour l’Histoire des Droits de l’Antiquité (SIHDA), à Paris et Bologne, lui a donné l’opportunité de s’intéresser à la position des arrêtistes français quant à l’application hors du domaine maritime des dispositions romaines sur la lex Rhodia de iactu (publication dans la revue Interpretatio Prudentium, 2017, II-2, p. 41-74) ainsi qu’aux références à la vente ad pretium participandum dans la doctrine des XVIIe et XVIIIe siècles.

constance.ornano@gmail.com


 

Introduction

Si, en droit romain, un homme libre peut devenir esclave – sort notamment subi par les prisonniers de guerre –, un tel changement d’état ne saurait être considéré comme volontaire[1]. Pas davantage qu’il ne suffit de se prétendre esclave pour le devenir[2], il n’est possible de se réduire ou d’être réduit en esclavage en vertu d’une convention. En effet, l’homme libre, considéré comme monétairement inestimable[3], ne peut être l’objet d’un contrat : on ne peut ni prétendre qu’il doive être remis en propriété ni en verser l’estimation pécuniaire[4]. Ainsi, alors que les esclaves, considérés comme des choses, font l’objet d’un commerce et peuvent être vendus ou achetés, il en va tout autrement des hommes libres, qui se révèlent indisponibles aux tiers[5]. Même hors de la figure de la vente, et donc de la problématique de l’estimation monétaire, une convention entre particuliers ne pourrait faire d’un homme libre un esclave[6] : la liberté est en effet considérée comme publique et non privée[7].

Néanmoins, plusieurs textes du Digeste de l’empereur Justinien († 565) – recueil de fragments d’œuvres de jurisconsultes de l’époque classique, promulgué le 16 décembre 533 et ayant valeur de loi dans l’Empire − montrent que des hommes libres se font parfois passer pour des esclaves afin d’être vendus comme tels par un complice et partager avec lui le prix de la vente[8]. Alors même que les règles précédemment mentionnées font obstacle à la validité d’une telle opération, c’est précisément leur existence qui encourage cette dernière et la place au rang d’escroquerie. En effet, l’homme libre vendu comme esclave, peut, après sa vente, faire reconnaître sa qualité d’homme libre[9]. Ainsi, alors que celui qui s’est frauduleusement laissé vendre reste libre et peut jouir d’une partie du prix de sa propre vente, l’acheteur perd quant à lui à la fois celui qu’il avait acheté comme esclave et le prix déboursé pour l’acquérir. Dans certains cas, afin de punir celui qui, en toute conscience de son statut d’homme libre, s’est laissé vendre comme esclave dans le dessein de percevoir une partie du prix, le droit classique, plutôt que simplement le poursuivre pour dol sur le terrain contractuel, lui refuse le droit de réclamer sa liberté[10]. En maintenant celui qui s’est prétendu esclave dans sa faute, l’arsenal juridique romain fait de cette dernière la sanction même de celui qui l’a commise[11].

Cette vente dite ad pretium participandum se retrouve dans le paragraphe quatre du titre trois du livre un des Institutes du même Justinien (ci-après I., 1, 3, 4). Ce passage commence par indiquer que l’on peut naître esclave − si l’on est l’enfant d’une femme esclave − ou le devenir. Il précise ensuite les deux façons par lesquelles l’on devient esclave : par le droit des gens − lorsque l’on est capturé au cours d’une guerre − et par le droit civil − lorsqu’un homme libre âgé de vingt ans se laisse vendre afin de « participer » du prix de la vente − : Servi autem aut nascuntur aut fiunt. Nascuntur ex ancillis nostris : fiunt aut iure gentium, id est ex captivitate, aut iure civili, veluti cum homo liber maior viginti annis ad pretium participandum sese venundari passus est[12]. Les Institutes − manuel destiné à l’enseignement du droit promulgué en novembre 533 – se fondent également sur les opinions précédemment dégagées par les jurisconsultes classiques. Il semble donc difficile d’admettre que la règle dégagée par I., 1, 3, 4 mette fin au principe d’indisponibilité de la liberté en reconnaissant la validité de la vente de soi-même. Il est beaucoup plus probable que ce passage ne fasse que synthétiser les règles dégagées par les fragments du Digeste sur la vente ad pretium participandum, transformant en déni de liberté ce qui n’était dans certains textes antérieurs qu’un déni de proclamatio ad libertatem[13]. Le changement de statut d’homme libre en celui d’esclave serait ici une sanction de la vente ad pretium participandum et non une manifestation de la reconnaissance de la servitude volontaire.

I., 1, 3, 4 est cité dans le De iure belli ac pacis d’Hugo Grotius († 1645) et dans la traduction par Jean Barbeyrac († 1744) du De iure naturae et gentium de Samuel Pufendorf († 1694). Ces trois auteurs sont des représentants de l’École du droit naturel moderne, un courant doctrinal qui fait du droit naturel − c’est-à-dire les droits possédés par tous les êtres humains indépendamment des règles spécifiques propres à chaque société − l’expression de la raison humaine et l’inscrit dans un projet de science du droit fondée sur la rationalité[14]. Si ces penseurs citent très fréquemment, à l’appui de leurs thèses, le droit romain tel que rapporté par les compilations de Justinien, leurs références à I., 1, 3, 4 peuvent néanmoins surprendre. En effet, contrairement aux jurisconsultes romains, ils admettent l’esclavage volontaire.

Cette apparente contradiction invite à se pencher sur l’utilité et les problèmes que soulèvent, dans le système de ces auteurs, quelques-unes de ces références à I., 1, 3, 4, ainsi que sur l’éventuelle influence de ces dernières sur la critique, par des philosophes des lumières tels que Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu († 1755) ou Jean-Jacques Rousseau († 1778), des positions de leur prédécesseurs sur la validité de l’esclavage.

Références à I., 1, 3, 4 dans la doctrine jusnaturaliste admettant la validité de l’esclavage

La doctrine du droit naturel moderne admettant la validité de l’esclavage semble avoir fait référence à I., 1, 3, 4 dans deux contextes spécifiques : l’analogie de Grotius entre esclavage volontaire du particulier et soumission du peuple à un souverain d’une part et l’articulation établie par Pufendorf entre esclavage volontaire et esclavage de guerre d’autre part.

Référence à I., 1, 3, 4 et analogie entre esclavage volontaire du particulier et soumission du peuple à un souverain chez Grotius

La référence de Grotius à I., 1, 3, 4 à l’appui de son analogie entre esclavage volontaire du particulier et soumission du peuple à un souverain pose la question d’une erreur d’interprétation de cet auteur sur le droit romain. Néanmoins, cette référence de Grotius à I., 1, 3, 4 se révèle insuffisante à remettre en cause la validité de son analogie, en raison de l’influence très relative du droit romain dans la justification de l’esclavage volontaire dans le système du droit naturel moderne.

La référence de Grotius à I., 1, 3, 4 à l’appui de son analogie : une erreur d’interprétation du droit romain ?

Au paragraphe huit du chapitre trois du livre premier du De iure belli ac pacis, Grotius affirme la possibilité d’une soumission volontaire d’un peuple à un souverain, le premier transférant au second le droit de le gouverner. Grotius justifie la validité d’une telle opération par une analogie avec la situation de l’homme libre qui aliène volontairement sa liberté : Licet homini cuique se in privatam servitutem cui velit addicere, et ex lege Hebrae et Romana apparet : quidni ergo populo sui juris liceat se unicuipiam, aut pluribus ita addicere, ut regendi sui jus in eum plane transcribat, nulla ejus juris parte retenta ? Ainsi, puisqu’il est permis à chaque homme de se réduire en esclavage au profit d’un autre, comme cela apparaît en droits hébreux et romain, pourquoi ne serait-il pas permis à un peuple gouverné par son propre droit, d’aliéner volontairement celui de se gouverner à une ou plusieurs personnes sans s’en réserver aucune partie ? À première vue, la reconnaissance de la validité de la soumission d’un peuple libre à un souverain repose sur l’admission de la servitude volontaire des particuliers, dont la reconnaissance n’est elle-même justifiée que par les lois hébraïque et romaine. Grotius précise en note les textes de droit positif ancien lui permettant de considérer que la servitude volontaire du particulier était admise dans ces deux droits : verset six du chapitre 21 du livre de l’Exode, I., 1, 3, 4 et livre deux du compilateur latin Aulu-Gelle († ≈180)[15].

L’utilisation par Grotius de I., 1, 3, 4 pour affirmer une reconnaissance de l’esclavage volontaire en droit romain est problématique. En effet, comme il a été exposé en introduction, ce passage s’inscrit dans le contexte romain d’indisponibilité de la liberté aux tiers, dans lequel la perte de la liberté ne saurait être volontaire. Si la vente ad pretium participandum est, d’après ce passage, une cause de réduction en esclavage d’un homme libre, ce n’est pas en raison de la volonté de celui qui se laisse vendre mais en conséquence de la fraude qu’il a commise. Le changement d’état induit par la vente ad pretium participandum est donc moins d’origine contractuelle − et donc volontaire − que délictuelle – et donc involontaire. Ce passage des Institutes, loin de démontrer que la servitude volontaire est admise en droit romain, manifesterait même au contraire, son opposition à une telle faculté. La référence de Grotius à I., 1, 3, 4 à l’appui de son analogie semble donc à première vue indiquer une erreur d’interprétation de ce passage de la part de l’auteur du De iure belli ac pacis. Une telle hypothèse conduit à accuser Grotius, non d’une lecture hâtive ou partielle du seul texte de I., 1, 3, 4, mais d’une méconnaissance de l’esprit du droit romain quant à l’indisponibilité de la liberté − ou d’un passage sous silence délibéré de ce dernier afin de permettre une utilisation du fragment servant son analogie[16].

Pour madame Martine Pécharman, cette erreur de Grotius quant au droit romain serait soulignée par une note de Jean Barbeyrac († 1744) dans sa traduction de l’ouvrage d’un autre auteur : le De iure naturae et gentium de Samuel von Pufendorf († 1694)[17]. Barbeyrac y considère expressément que la réduction en esclavage à la suite d’une vente ad pretium participandum, exposée dans I., 1, 3, 4, est une exception prouvant la règle romaine selon laquelle « personne ne pouvait directement transférer à autrui sa liberté par aucune convention[18]. » Or, loin de prouver une erreur de Grotius, ce passage de Barbeyrac pourrait au contraire indirectement contribuer à montrer qu’il n’en a pas commise. En effet, si l’hypothèse d’une interprétation critiquable de I., 1, 3, 4 de la part de Grotius repose sur l’idée d’une interprétation de ce dernier opposée à celle retenue par le traducteur du même paragraphe des Institutes, il semble délicat d’expliquer pourquoi Barbeyrac n’aurait pas, dans sa traduction du De iure belli ac pacis – qui maintient les trois références aux textes anciens à l’appui de l’analogie – relevé cette erreur de Grotius quant au droit romain. Ni la volonté de Barbeyrac de ne pas contredire le propos de Grotius, ni la découverte, par ce traducteur, de l’esprit originel de ce passage après la traduction du De iure belli ac pacis, ne peuvent expliquer ce silence. En effet, Barbeyrac critique Grotius sur certains points[19]. Il est vrai que si Barbeyrac a traduit pour la première fois le De iure naturae et gentium en 1706, cette note n’apparaît que dans la cinquième édition en 1734, soit après sa première traduction du De iure belli ac pacis en 1724[20]. Mais la nouvelle édition de la traduction de l’œuvre de Grotius en 1746 ne témoigne d’aucune volonté de Barbeyrac de critiquer la référence de l’auteur à I., 1, 3, 4 à l’appui de son analogie[21].

Les deux autres références de Grotius au droit positif ancien remettent également en cause l’hypothèse d’une erreur de cet auteur quant au texte des Institutes. La référence à l’Exode peine à justifier pleinement le propos de Grotius : le verset six du chapitre 21 a en effet trait à la possibilité pour un esclave de choisir de rester dans son état de servitude, et non à la possibilité d’un homme libre de se faire esclave[22]. L’hypothèse d’une simple erreur de l’auteur du De iure belli ac pacis quant au numéro de verset est loin d’être inenvisageable[23]. Traitant de la vente comme esclave d’une personne auparavant libre, le verset sept de ce même chapitre semble à première vue avoir un lien plus étroit avec l’affirmation de Grotius[24]. Mais ce passage paraît là encore incapable de justifier cette dernière : il ne concerne en effet pas la faculté de se vendre soi-même mais celle reconnue au père de vendre sa fille[25].

La référence à Aulu-Gelle est encore plus problématique : non seulement elle ne paraît pas apte à justifier l’affirmation de Grotius, mais elle remet de plus indirectement en cause l’idée d’une méconnaissance par ce dernier de l’esprit du droit romain sur la servitude volontaire. Si Grotius n’indique pas le nom du texte d’Aulu-Gelle visé, il ne semble pouvoir s’agir que de la seule œuvre connue de l’auteur latin : les Nuits Attiques[26]. Alors que la mention du livre deux est présente dans toutes les éditions et traductions du De iure belli ac pacis, le numéro de chapitre apparaît variable. Par exemple, dans l’édition de 1626 – l’édition originale datant de 1625 – et dans celle de 1647, il s’agit du chapitre huit[27], mais dans celles de 1646, 1652, de 1660, 1670, ainsi que dans celle de 1680 comportant des notes de Johann Friedrich Gronovius († 1671) et dans la traduction française de 1687 par Antoine de Courtin († 1685), c’est le chapitre sept qui est mentionné[28]. En revanche, dans l’édition de 1720 − comportant à la fois des notes de Gronovius et de Barbeyrac − et dans la traduction française de Barbeyrac de 1724, il s’agit du chapitre 18[29]. Dans cette traduction, Barbeyrac indique en note que la référence de Grotius à Aulu-Gelle est erronée dans toutes les éditions précédant la sienne – sans que soit précisé quel chapitre était originellement mentionné[30]. En raison de l’absence de lien chapitres sept et huit avec le propos de Grotius, le caractère erroné des références à ces derniers paraît devoir être admis. En effet, le chapitre sept traite de l’obéissance des enfants à leur père[31] et le chapitre huit a pour sujet une critique de Plutarque à Épicure au sujet des règles du syllogisme[32]. En revanche, le chapitre 18 présente bel et bien un lien plus étroit avec le sujet qui occupe Grotius : il a en effet trait à la servitude de plusieurs philosophes grecs[33].

Toujours selon Barbeyrac, une note de Gronovius, dans l’édition critique de ce dernier du texte des Nuits Attiques, montre que c’est une interprétation contestable du passage du chapitre 18, concernant la servitude de Diogène le Cynique († 327 av. JC), qui explique la référence de Grotius à Aulu-Gelle[34]. Dans ce chapitre, le compilateur latin indique qu’après avoir vécu libre une partie de sa vie, le philosophe grec Diogène le Cynique fut vendu en esclavage[35]. Ainsi, alors que l’idée de servitude volontaire n’est pas directement présente chez Aulu-Gelle, Gronovius remarque que Grotius, dans une de ses œuvres − le Florum Sparsio ad ius iustinianum − fait de ce passage des Nuits Attiques une illustration de la possibilité, chez les anciens grecs, de vendre sa propre liberté[36]. Cette utilisation du texte d’Aulu-Gelle par Grotius prend place au sein d’un commentaire de ce dernier sur I., 1, 3, 4. Ce commentaire conduit Grotius à établir une distinction entre les lois romaines et grecques au sujet de la servitude volontaire. L’auteur du Florum sparsio commence par souligner qu’il y a bien dans la vente ad pretium participandum une volonté de tromper l’acheteur. Il affirme ensuite qu’en droit romain, personne ne pouvait directement se vendre, comme cela était la coutume chez les grecs. Il précise qu’on dit ainsi que Diogène, après avoir été libre, a été vendu comme esclave – comme cela apparaît chez Aulu-Gelle[37]. Selon Barbeyrac, le sens conféré par Grotius au texte d’Aulu-Gelle – une vente de soi-même − est contestable. L’auteur romain aurait simplement voulu signifier que Diogène le Cynique, auparavant libre, est devenu esclave – et non qu’il s’était lui-même vendu comme esclave. En effet, comme le fait remarquer Gronovius, le poète grec Diogène Laërce (IIIe siècle) précise que si Diogène le Cynique a connu un tel changement de statut, c’est parce qu’il avait été capturé par des pirates qui le vendirent comme esclave[38]. Dans sa traduction de 1865 du De iure belli ac pacis – postérieure à celle de Barbeyrac −, Paul Pradier-Fodéré († 1904) considère également que c’est le chapitre 18 du livre deux des Nuits Attiques que Grotius avait en tête − ce traducteur mentionnant la référence au chapitre sept pour le texte original – et que ce passage a été mal appliqué puisque Diogène le Cynique ne s’était pas donné en esclavage mais avait été pris par des pirates puis vendu par ces derniers. Pourtant, Pradier-Fodéré ne mentionne nullement Gronovius, Barbeyrac ou Diogène Laërce à l’appui de son propos[39]. En revanche, il cite une traduction française des Nuits Attiques où le changement de statut de Diogène le Cynique procède bien d’une vente – ce qui n’est pas le cas chez Barbeyrac[40].

La référence de Grotius à Aulu-Gelle en soutien à son analogie se révèle problématique bien au-delà de son manque de respect de la lettre du texte de l’historien romain et des autres sources historiques sur le même sujet. En effet, même si l’on admet que Grotius a considéré que ce passage des Nuits Attiques témoignait d’une possibilité reconnue aux particuliers de se réduire en esclavage, une telle reconnaissance ne serait valable que pour les grecs[41]. Or, seules les lois hébraïque et romaine sont mentionnées par Grotius à l’appui de son affirmation. Plus encore, le passage du Florum Sparsio ad Jus Justinianum dans lequel Grotius fait du texte d’Aulu-Gelle sur Diogène le Cynique une manifestation de la pratique grecque de la vente de soi-même, tend à montrer que l’auteur du De iure belli ac pacis adhère parfaitement à l’idée que la règle de I. 1, 3, 4, loin d’être une manifestation de la reconnaissance de la servitude volontaire en droit romain, est au contraire une preuve de son impossibilité. En effet, comme il a précédemment été évoqué, Grotius y considère bien que c’est, dans I., 1, 3, 4, la fraude envers l’acheteur qui constitue la cause de réduction en esclavage. La mention de la possibilité, chez les grecs, de se réduire en servitude par une vente directe de sa propre personne − que manifesterait le récit d’Aulu-Gelle sur la servitude de Diogène le Cynique – semble accessoire par rapport à l’affirmation très explicite de l’absence d’une telle possibilité en droit romain. L’opposition entre les règles grecques et romaines paraît avoir pour principal intérêt de mettre en valeur la réticence que témoigne le droit romain face à la libre disposition de sa liberté[42]. L’idée d’une erreur de Grotius sur le sens de I., 1, 3, 4 et sur l’esprit du droit romain est donc mise à mal.

L’hypothèse d’involontaires erreurs d’interprétation de Grotius sur les textes originaux peine à expliquer l’absence récurrente de pertinence de ces derniers quant à l’admission de la possibilité reconnue au particulier de se réduire en esclavage. Le caractère systématique du décalage entre la lettre de ces textes anciens et le sens dont ils se voient revêtus par leur présence dans la justification du postulat de l’analogie du De iure belli ac pacis − alors même que l’auteur de l’ouvrage démontre par ailleurs sa bonne connaissance du droit romain[43] − suggère que Grotius a peut-être conscience de l’incapacité de chacun de ces passages à justifier totalement son propos. Néanmoins, en raison de la présence, dans chacun de ces textes, d’un élément allant dans le sens d’une reconnaissance par le droit ancien de la possibilité pour les particuliers de se réduire en esclavage, le cumul de ces trois références présente une utilité pour Grotius. En effet, si le texte de l’Exode a pour sujet la volonté d’un esclave de se maintenir dans son statut – et non celle d’un homme libre de changer le sien – il reconnaît bel et bien une forme de servitude volontaire. De même, si le texte des Institutes ne reconnaît nullement la simple volonté comme cause de réduction en esclavage, il manifeste la possibilité d’un changement du statut d’homme libre en celui d’esclave. De plus, si la cause de la réduction en servitude est un délit – la fraude envers l’acheteur –, ce délit procède bien d’une dissimulation volontaire de son statut d’homme libre au profit de celui d’esclave. Enfin, le passage d’Aulu-Gelle témoigne d’une configuration loin d’être étrangère au droit romain : un homme auparavant libre peut devenir esclave, et de ce fait être ensuite vendu comme tel.

L’incapacité de la référence de Grotius à I., 1, 3, 4 à remettre en cause la validité de son analogie : l’influence très relative du droit romain sur la reconnaissance de l’esclavage volontaire dans le système du droit naturel moderne

Les références de Grotius, à l’appui de son analogie, à l’Exode, aux Nuits Attiques, et surtout aux Institutes, peuvent lui être reprochées. Elles laissent en effet penser au lecteur du De iure belli ac pacis que ces sources anciennes reconnaissent explicitement la possibilité du particulier de se réduire en esclavage. Dans le cas des deux premières références, un tel procédé affuble les textes anciens d’un sens dont ils ne sont pas porteurs. La référence aux Institutes est encore plus problématique : elle semble en effet conférer à ce passage un sens radicalement opposé à l’esprit même du droit romain. Ainsi, si les mentions de l’Exode et des Nuits Attiques ne permettent pas de fonder l’analogie de Grotius, la référence à I., 1, 3, 4 pourrait a priori directement contribuer à la réfuter.

Cette erreur de Grotius quant au droit romain ne remet pourtant pas fondamentalement en cause le bien-fondé de l’admission de la servitude volontaire dans le système grotien. En effet, si la validité de l’analogie de l’auteur du De iure belli ac pacis semble reposer sur les lois anciennes, l’étroitesse de ce lien n’est qu’apparente. Comme le met en lumière madame Martine Pécharman, l’analyse des développements de Grotius sur la liberté – au-delà de cette analogie – montre que son admission d’une telle forme d’esclavage a pour fondement, bien plus que l’ancien droit positif, la loi naturelle de la raison[44].

Tout comme les Romains, Grotius nie l’existence d’une servitude dans l’état primitif de nature de l’humanité. L’esclavage requiert un factum humanum : il a pour origine la volonté humaine[45]. Si le système de Grotius pose que nul n’est esclave par nature, cela n’entraîne pas qu’il soit reconnu à chaque humain le droit de ne jamais devenir esclave. Dans le cas contraire, personne ne pourrait être dit « libre ». La liberté naturelle, qui est une simple exemption d’esclavage, n’est pas incompatible avec ce dernier, auquel elle ne fait pas obstacle[46]. Mais, contrairement aux jurisconsultes romains, Grotius considère que chacun a le droit de renoncer à sa liberté au profit d’autrui. Sans cette possibilité, l’Homme pourrait manquer à son premier devoir : se conserver soi-même − au sens de conserver sa vie[47]. En effet, dans la liste des propria cuique − choses naturellement possédées par l’Homme et qu’il peut, voire doit, protéger d’une attaque extérieure − la liberté ne vient qu’en troisième et dernière position, après la vie et l’intégrité physique[48]. La vie, conférée par Dieu, ne peut être aliénée. Nul n’ayant sur sa vie un droit tel qu’il puisse se l’ôter ou prendre l’engagement de la perdre[49], un pacte par lequel une personne s’engage à renoncer à sa vie ne peut être valable[50]. En revanche, chacun peut aliéner sa liberté afin de protéger sa vie. Il est ainsi possible de devenir esclave afin de ne pas cesser d’être soi[51].

Selon Pécharman, la hiérarchie établie par Grotius entre la vie et la liberté s’explique de la manière suivante. Si la liberté est le premier « droit parfait » de l’Homme, elle n’est pas son premier bien[52]. Cette position revient à la vie[53]. Pour Pécharman, cette distinction entre les droits et les biens d’une personne s’explique par une inclusion du droit de propriété dans les droits parfaits de l’homme. Si l’Homme a des droits et des biens, deux types de droits doivent être distingués : le pouvoir sur soi-même – c’est-à-dire la liberté − en premier lieu et la propriété en second lieu. C’est précisément l’interaction de ces deux droits qui permet de justifier la servitude volontaire. L’abandon par une personne de son pouvoir sur elle-même n’est en effet qu’une manifestation de la pleine propriété – dominium plenum[54] − qu’elle a de ce pouvoir.  Ainsi, si la liberté est le premier « droit parfait » de l’Homme, elle se trouve également « tomber […] sous [la] juridiction » de la propriété. La liberté se voit donc assigner la place de chose « possédée » par l’Homme. Une telle conclusion place donc la liberté au cœur d’une autre problématique : celle des autres choses possédées naturellement par l’Homme. C’est au regard de cette autre grille d’analyse que la primauté de la liberté est concurrencée par celle de la vie[55]. En effet, selon le droit naturel − entendu par Pécharman comme règle rationnelle –, la liberté – qui est, également pour Pécharman, la première forme de droit naturel entendu comme faculté − n’a pas autant de valeur que la vie[56]. En effet, selon la droite raison, la vie étant « le fondement de tous les biens temporels » ainsi que « l’occasion des biens éternels », elle a plus de « prix » que la liberté[57]. De plus, si la vie est un bien possédé par l’Homme, elle est, puisque conférée par Dieu, un bien inaliénable[58]. L’Homme n’a donc sur sa vie qu’un droit et un devoir de conservation[59]. Or, afin de respecter cet impératif de conservation de la vie, l’Homme doit pouvoir s’ôter sa propre liberté[60]. Cela explique, que selon l’auteur du De iure belli ac pacis, une personne peut s’engager à travailler toute son existence en échange des choses indispensables à la vie, comme la nourriture[61].

Ainsi, si Grotius reconnaît que la vie est préférable à la liberté, il admet dans le même temps que l’esclavage n’est que l’expression du caractère absolu de la liberté humaine : le pouvoir de renoncer à cette dernière[62]. Permettant de préserver sa vie, l’aliénation de sa liberté est une manifestation de l’ « amour de soi[63] ». Comme le souligne Pécharman, cette justification de la servitude volontaire permet à l’analogie de Grotius de fonctionner dans les deux sens. Tant le pouvoir du maître sur l’esclave que le pouvoir du souverain sur le peuple sont absolus, en raison de leur origine volontaire[64].

Si la référence à I. 1, 3, 4 ne fonde pas davantage l’analogie de Grotius qu’elle ne permet de l’invalider, elle pourrait peut-être expliquer la traduction proposée par Pécharman du début de cette analogie. Elle traduit en effet le passage latin Licet homini cuique se in privatam servitutem cui velit addicere par « Il est permis à tout homme de se vendre comme esclave à qui il veut[65]. » Or, le verbe latin addicere est communément traduit par « adjuger », « attribuer », « déclarer », « dédier », « vouer », « abandonner » et non par « vendre ». L’idée de vente n’apparaît d’ailleurs pas dans les diverses traductions françaises de ce passage. Antoine de Courtin propose ainsi la traduction suivante : « En premier lieu, il est permis à quelqu’homme que ce soit, de se faire esclave de qui il veut, comme il paroît par les Loix Hebraïques et Romaines ; et cela étant, pourquoy ne serait’il pas permis à un peuple qui est libre, de s’engager de la même maniere à un seul ou à plusieurs, en leur transportant à pur et à plein, sans aucune reserve, le droit de se gouverner[66] ? » Jean Barbeyrac traduit le verbe addicere par « rendre » : « Il est permis à chaque Homme en particulier de se rendre Esclave de qui il veut, comme cela paroît par la loi des anciens Hébreux et par celles des Romains : pourquoi donc un Peuple libre ne pourroit-il pas se soûmettre à une ou plusieurs personnes, en sorte qu’il leur transférât entiérement le droit de gouverner, sans s’en réserver aucune partie[67] ? » Paul Pradier-Fodéré choisit quant à lui le verbe « réduire » : « Il est permis à tout homme de se réduire en esclavage privé au profit de qui bon lui semble, ainsi que cela ressort de la loi hébraïque et de la loi romaine. Pourquoi donc ne serait-il pas permis à un peuple ne relevant que de lui-même, de se soumettre à un seul individu ou à plusieurs, de manière à leur transférer complétement le droit de le gouverner, sans en réserver aucune partie[68] ? » L’idée de vente n’apparaît pas non plus dans les diverses traductions anglaises[69]. Si Pécharman prend en compte la référence de Grotius à I., 1, 3, 4 pour souligner non seulement ce qu’elle considère être une erreur de Grotius sur le droit romain mais encore l’importance mineure de ce dernier face à la raison naturelle dans la justification de l’analogie dans le système grotien, elle a peut-être inconsciemment retenu l’idée de vente véhiculée par ce texte romain pour l’appliquer au propos de Grotius[70].

Références à I., 1, 3, 4 et articulation entre esclavage volontaire et esclavage de guerre chez Pufendorf

Une référence à I., 1, 3, 4, faite à l’occasion de l’affirmation de l’antériorité historique de l’esclavage volontaire sur l’esclavage de guerre, semble confirmer que le rejet de ce premier type de servitude par le droit romain ne saurait remettre en cause le bien-fondé de son admission dans le système du droit naturel moderne. Une autre référence à I., 1, 3, 4, intervenant cette fois dans des développements visant à étendre l’esclavage volontaire à celui de guerre, souligne les spécificités de la vente ad pretium participandum et pose la question de sa capacité à maintenir une différence entre ces deux sources de servitude.

Référence à I., 1, 3, 4 et antériorité historique de l’esclavage volontaire sur l’esclavage de guerre : la confirmation de l’incapacité du droit romain à remettre en cause l’admission de l’esclavage volontaire dans le système du droit naturel moderne

Une référence à I., 1, 3, 4 est opérée par Barbeyrac dans une note de sa traduction du De iure naturae et gentium de Pufenforf. Cette note a déjà été mentionnée : il s’agit de celle utilisée par madame Pécharman pour montrer l’erreur de Grotius sur I. 1, 3, 4[71]. Néanmoins, contrairement aux indications respectives de madame Martine Pécharman et du professeur Victor Goldschmidt († 1981), cette note ne porte ni sur le paragraphe trois du chapitre sept du livre trois[72] – paragraphe traitant des promesses devenant impossibles à exécuter[73] − ni sur le paragraphe un du chapitre trois du livre six[74] – paragraphe détaillant la « société » constituée des maîtres et des esclaves[75]. Il s’agit de la première note sur le paragraphe trois du chapitre trois du livre six.

Pufendorf traite dans ce chapitre du pouvoir des maîtres de maison. Après y avoir, dans un paragraphe deux, rejeté la thèse de la servitude par institution naturelle[76] − tout comme Grotius et les jurisconsultes romains[77] – il réfute dans le paragraphe trois celle de la servitude par institution divine soutenue par Johannes Fridericus Hornius dans son Politicorum Pars Architectonica de civitate (1664)[78]. D’après Pufendorf, ce dernier, distinguant la cause de la société de celle de l’autorité, remet en cause l’idée que la servitude aurait pour origine le droit des gens. En effet, selon Hornius, le droit de la guerre n’est que l’occasion de la différence entre les conditions de maître et d’esclave : l’autorité du premier sur le second vient de Dieu. Pour Pufendorf en revanche, l’établissement de ces conditions respectives est instantané et vient des Hommes. Dieu ne fait qu’approuver ce qu’il juge conforme à la raison. L’auteur du De iure naturae et gentium conteste également l’idée d’Hornius que le vainqueur conserve un droit de vie et de mort sur le vaincu, après que ce dernier est devenu son esclave. Pour Pufendorf, si le droit de la guerre permet au vainqueur de mettre à mort le vaincu, le pouvoir du maître de faire mourir l’esclave ne se justifie que si celui-ci commet un crime passible d’une telle peine[79]. Le paragraphe quatre montre quant à lui que Pufendorf non seulement admet la servitude volontaire – comme Grotius – mais encore soutient qu’elle a historiquement précédé la servitude en raison du droit de la guerre − ce qui n’est pas le cas chez Grotius. Pour expliquer cette instauration humaine de l’esclavage, Pufendorf recourt à une fiction narrative en trois étapes chronologiques[80]. La première résulterait d’une disparité économique entre les hommes. Les plus pauvres se voient alors invités par les plus aisés et ingénieux à louer leurs services à ces derniers[81] – ce que Barbeyrac traduit par « travailler pour eux [les riches] moiennant un certain salaire[82] ». La seconde étape correspondrait à une substitution à ce travail temporaire d’une intégration pour toujours dans la famille de ceux qui proposent le travail[83]. Ce moment est celui de la naissance de la servitude parfaite : les personnes qui étaient de simples travailleurs dans la première étape deviennent désormais des esclaves, en échange de nourriture et d’autres choses indispensables à la vie[84]. Comme le souligne Pécharman, l’esclavage naîtrait donc d’un rapport contractuel entre les plus et les moins riches. Contrairement à ce qu’avance le professeur Victor Goldschmidt, il n’est pas tout à fait exact que Pufendorf retient pour ce contrat la formulation facio ut des, alors que la formulation do ut facias doit être retenue pour Rousseau au motif de la comparaison qu’institue ce dernier entre la renonciation volontaire à sa propre liberté et un contrat de vente[85]. En effet, pour Pufendorf, il s’agit d’un contrat do ut facias dans lequel celui qui donne est celui qui fournit les aliments (do alimenta perpetuas) − soit le maître – et celui qui fait est celui qui travaille (ut praestas operas perpetuas) – soit l’esclave[86]. En revanche, comme le fait remarquer Pécharman, Barbeyrac non seulement fait disparaître la formule finale do alimenta perpetuas ut praestas operas perpetuas mais encore inverse la formule précédente de Pufendorf (contractum do ut facias) pour faire de cet accord entre le maître et l’esclave un contrat « de faire afin que l’on nous donne[87] ». Dans la cinquième édition de sa traduction, en 1734, Barbeyrac semble assumer que cette modification entraîne un changement dans l’ordre d’exécution des prestations[88]. Selon Pécharman, Barbeyrac transfère également ce faisant l’initiative du contrat sur les plus pauvres − alors qu’elle revient aux plus riches dans le texte original[89]. Néanmoins, les modifications apportées par Barbeyrac ne remettent pas en cause l’idée centrale dégagée par Pufendorf de ces deux premières étapes : la servitude aurait pour première origine le consentement libre (ultroneum consensum) des esclaves[90]. Ce dernier serait en revanche absent de la troisième phase de l’instauration humaine de la servitude, telle qu’exposée par Pufendorf dans un paragraphe cinq. Cette étape serait celle de l’augmentation du nombre d’esclaves par la guerre. La multiplication des conflits aurait engendré une coutume consistant à laisser aux prisonniers de guerre la vie et la liberté physique, en contrepartie de leur service perpétuel auprès de ceux entre les mains de qui ils sont tombés[91]. Pufendorf précise qu’en ce cas, les maîtres, continuant à percevoir leurs esclaves comme des ennemis, les traitent avec beaucoup de cruauté et les tuent parfois pour des fautes mineures. Toujours selon Pufendorf, une telle rigueur s’étendit ensuite aux enfants de ces esclaves et aux esclaves que l’on achetait[92].

La note de Barbeyrac faisant référence à I., 1, 3, 4 intervient au tout début du paragraphe trois, après la proposition qui en constitue la première phrase dans sa traduction – contrairement au texte original : « Les jurisconsultes romains rapportent au droit des gens l’origine de la servitude[93]. » Pourtant, elle semble également se rapporter à la suite de ce paragraphe trois ainsi qu’aux paragraphes quatre et cinq de ce même chapitre du De iure naturae et gentium. En effet, Barbeyrac cite et reproduit intégralement I., 1, 3, 2, I., 1, 3, 3 et I., 1, 3, 4 afin de mettre en relation le droit romain avec les développements de Pufendorf sur l’établissement de la servitude.

Dans les premières éditions de sa traduction, Barbeyrac utilise ces textes pour rapprocher la pensée de Pufendorf de celle des jurisconsultes romains. Le traducteur y affirme en effet que les éléments auxquels Pufendorf rapporte « avec raison » l’origine de la servitude − la pauvreté et la force − ressortent de ces passages des Institutes[94]. Ce faisant, Barbeyrac semble considérer que la vente ad pretium participandum romaine était motivée par la pauvreté de celui qui se laisse vendre, ce qui ne semble pas expressément ressortir des textes romains[95].

À l’inverse, dès la cinquième édition de sa traduction, en 1734, Barbeyrac utilise ces mêmes passages des Institutes pour souligner la différence entre la position romaine et celle de Pufendorf. Le traducteur y affirme en effet que les juristes romains attribuent la première origine de la servitude au droit de la guerre, ce qui lui paraît être erroné. Barbeyrac critique également ce qu’il considère être la conséquence de cette position des jurisconsultes romains : leur théorie d’une étymologie du terme servus (esclave) dans celui de servando (de préserver, de sauver, de converser, de garder, de maintenir)[96]. Au contraire, comme Antoine Favre († 1624), Barbeyrac affirme que c’est le verbe servire (être utile) qui est l’origine du terme servus[97]. Il avance ensuite qu’à l’instar des autres établissements humains, la servitude s’est introduite progressivement, par degrés, comme Pufendorf le montre au paragraphe quatre. Barbeyrac feint ensuite de s’étonner que cette servitude volontaire admise par Pufendorf ne soit nullement mentionnée par les jurisconsultes romains. Son principe lui paraît en effet tout aussi conforme à la raison naturelle – qui d’après les auteurs modernes doit permettre de juger ce qui se rapporte au droit des gens – que l’esclavage de guerre. Mais Barbeyrac s’appuie immédiatement après sur I., 1, 3, 4 pour émettre une hypothèse permettant d’expliquer ce silence : la servitude volontaire serait en contradiction avec les règles du droit civil romain selon lesquelles personne ne peut directement se vendre ou transférer directement sa liberté à autrui au moyen d’une convention quelconque. Barbeyrac fait alors explicitement de la disposition de I., 1, 3, 4 sur la vente ad pretium participandum une exception attestant l’existence d’une telle règle. Il justifie son propos en affirmant expressément ce qui peut être déduit de la mise en relation de l’ensemble des dispositions romaines sur cette vente avec celles témoignant d’une indisponibilité de la liberté. En effet, selon le traducteur, la réduction en esclavage par le droit civil rapportée par I., 1, 3, 4 est une punition, motivée non seulement par la fraude mais encore par le mépris pour sa propre liberté dont s’est rendu coupable l’homme libre de plus de vingt ans qui s’est fait passer pour esclave afin de partager le prix de la vente avec son complice[98].

Si la référence de Barbeyrac à I., 1, 3, 4 lui permet de souligner la nouveauté, par rapport au droit romain, de la thèse de Pufendorf[99], la mise en lumière de cette opposition entre les deux courants doctrinaux n’a ni pour but ni pour conséquence de remettre en cause la pertinence de l’admission de la servitude volontaire par l’auteur du De iure naturae et gentium. Barbeyrac utilise simplement I., 1, 3, 4 pour montrer pourquoi la thèse de la servitude volontaire défendue par Pufendorf n’apparaît pas, malgré sa validité, en droit romain. De plus, l’interprétation de ce texte par le traducteur contribue à faire obstacle à une éventuelle contestation de la reconnaissance de l’esclavage volontaire sur le fondement du droit romain lui-même. En effet, comme le montre Barbeyrac, l’impossibilité romaine de vendre ou de transférer sa liberté par une convention − impossibilité que suppose I., 1, 3, 4 − prend sa source dans le droit civil, auquel elle se voit limitée. Elle ne saurait donc à elle seule mettre efficacement à mal la reconnaissance de la servitude volontaire dans le système doctrinal du droit naturel moderne, dans lequel cette dernière est fondée sur la raison naturelle.

Pour le professeur Robert Derathé († 1992), cette note de Barbeyrac contient également l’argument utilisé par Rousseau dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes pour réfuter la thèse de la servitude volontaire : la différence entre l’aliénation de ses biens par un contrat de vente et l’aliénation de sa liberté par une convention[100]. Cette similitude entre la position romaine – ici rapportée par Barbeyrac − et celle de Rousseau montrerait à la fois que les jurisconsultes romains avaient une idée beaucoup plus haute de la liberté que Grotius et Pufendorf, et que Rousseau lui-même a, dans sa critique du droit d’esclavage, retrouvé le véritable esprit du droit romain – peut-être sans même en avoir conscience. En effet, les jurisconsultes romains n’admettent pas la servitude volontaire. Ils « ne pensent pas qu’un homme libre, à supposer qu’il soit assez vil pour le faire, ait le droit de se vendre comme esclave.[101] » « Pour eux l’esclavage ne résulte pas d’un contrat, c’est toujours une privation involontaire de la liberté, une déchéance que l’on subit contre son gré, soit en punition d’un délit, soit par droit de la guerre[102]. » Toujours selon Derathé, l’opposition de Rousseau à la servitude involontaire, alors que cette dernière est admise en droit romain, s’explique de la manière suivante : alors que, pour les Romains, la liberté est « un droit attaché à la dignité de citoyen » elle est pour Rousseau « un droit de l’homme[103] ». Le rejet de la servitude est donc total chez le philosophe des lumières. La position du professeur Robert Derathé sur le lien antique entre liberté et citoyenneté mériterait peut-être d’être légèrement nuancée. En effet, si la liberté est bien à Rome une affaire publique[104], les trois premiers paragraphes du titre 16 du livre un des Institutes de Justinien montrent que le droit romain distingue néanmoins la perte de la liberté de la perte des droits de citoyen. Dans ce titre consacré au changement d’état (De capitis deminutione), trois types de modification de statut sont distingués. Le changement d’état le plus important (maxima capitis deminutio) correspond à la perte simultanée de la citoyenneté et de la liberté. Un tel bouleversement intervient à la suite d’une vente ad pretium participandum mais également en raison d’une condamnation à une peine d’esclavage ou par l’effet d’une condamnation d’un affranchi pour ingratitude envers ses patrons[105]. Le changement d’état « intermédiaire » (minor, sive media capitis deminutio) correspond à la perte des droits de citoyen mais au maintien de la liberté. C’est par exemple le sort enduré par celui qui est déporté sur une île[106]. Enfin, le plus petit changement d’état (minima capitis deminutio) maintient à la fois la liberté et la citoyenneté. Cela correspond à l’entrée d’une personne auparavant sui iuris sous la puissance d’autrui (elle devient donc alieni iuris) ou à l’émancipation[107]. Néanmoins, une telle remarque ne remet pas en cause l’idée que l’argument d’impossibilité de conclure un contrat de réduction en esclavage peut être utilisé à la fois par Barbeyrac pour soutenir la validité de la thèse de la servitude volontaire et par Rousseau pour la réfuter. En effet, alors que Barbeyrac limite la règle au seul droit civil, distinct de la raison naturelle et surpassé par cette dernière, Rousseau la justifie par la nature et la raison.

Référence à I., 1, 3, 4 et extension conceptuelle de l’esclavage volontaire à celui de guerre : spécificités de la vente ad pretium participandum et capacité de cette dernière à maintenir une différence entre les deux sources de servitude

Si Grotius admet la servitude volontaire, l’esclavage de guerre reste pour lui  – tout comme en droit romain – une privation involontaire de liberté. Ce droit d’esclavage sur les prisonniers de guerre accordé aux vainqueurs, dont Grotius traite au chapitre sept du livre trois, est, comme le souligne madame Pécharman, beaucoup moins limité que l’esclavage auquel on se soumet sous contrainte de la pauvreté. En effet, il n’est pas cantonné à ceux qui se rendent et promettent de servir comme esclaves − une telle promesse étant de toute façon pour Grotius exigée du vaincu par le vainqueur −, il ne requiert pas qu’un délit quelconque ait été commis par le vaincu, et il s’étend à toutes les personnes présentes sur le territoire conquis. De plus, les effets de cet esclavage de guerre sont très différents de ceux de la servitude volontaire : les générations à venir restent réduites en esclavage et le maître a le droit de vie et de mort sur son esclave. Selon madame Pécharman, cette extension du droit d’esclavage – quant aux personnes et quant aux effets − constitue un moyen, pour le droit des gens, de limiter la mise à mort des prisonniers de guerre. En effet, les avantages que représente pour les vainqueurs cet esclavage doivent conduire ces derniers à le préférer aux massacres. Pourtant, toujours d’après Pécharman, cet esclavage de guerre, qui va à l’encontre de tous les principes de droit naturel, « […] n’est un droit que du point de vue de ses effets, alors que d’un point de vue intrinsèque il constitue une injuria[108]. » Afin que ce type d’esclavage ne soit pas réduit à une simple impunité d’action[109], Grotius − conscient de la différence entre ce que le droit des gens autorise et ce que la raison naturelle permet – établirait, selon Pécharman, une restriction à l’aide du droit naturel. Grotius reconsidérerait l’esclavage de guerre sur le modèle de la servitude volontaire, afin qu’il n’y ait pas d’excès du premier par rapport à la seconde. L’auteur du De iure belli ac pacis réintroduirait ainsi − par comparaison avec le pacte d’esclavage volontaire – des obligations mutuelles permanentes (perpetua obligatio operarum pro alimentis itidem perpetuis)[110].

Si les paragraphes quatre et cinq du chapitre trois du livre six du De iure naturae et gentium font du contrat – et non de la guerre – l’origine de l’esclavage, ils ne mettent pas fin à la différence, présente chez Grotius, entre la servitude parfaite et l’asservissement des vaincus. Ils viendraient même à première vue confirmer la dichotomie grotienne entre les deux types d’esclavage. Comme le souligne Pécharman, s’ils montrent que l’esclavage de guerre est historiquement postérieur à la servitude volontaire, la continuité de cet asservissement des vaincus avec le pacte de sujétion volontaire n’est que temporelle. En effet, l’accroissement du nombre d’esclaves en raison des guerres n’est nullement accompagné d’une extension à ces derniers d’un contrat de servitude parfaite[111]. C’est dans le paragraphe six que Pufendorf va venir « combler l’écart théorique qui vient d’être figuré par [cette] distance temporelle entre les deux stades de l’esclavage[112]. » Contrairement à Grotius, Pufendorf va en effet restreindre le droit d’esclavage à la servitude volontaire, en étendant cette dernière à l’esclavage de guerre[113]. Comme le souligne Pécharman, c’est l’utilisation, par Pufendorf, du De Cive de Thomas Hobbes († 1679), qui permet cette extension de la servitude volontaire à l’esclavage de guerre[114]. Selon Hobbes, la préservation de la vie du vaincu par le vainqueur n’est pas un motif suffisant pour justifier qu’une relation maître/esclave (dominus/servus) est établie. Le vaincu qui voit sa vie épargnée, mais est privé de sa liberté physique – car il est retenu enchainé ou emprisonné – ne peut être considéré comme un véritable esclave (servus). En effet, pour Hobbes, le vaincu devient l’esclave du vainqueur quand il lui promet, afin de sauver sa vie, de faire tout ce que ce dernier lui ordonnera. L’obéissance de l’esclave envers son maître a donc pour origine la convention entre le vainqueur – désormais le maître – et le vaincu – désormais l’esclave. Or, s’il maintient le vaincu captif, le vainqueur l’empêche de conclure un tel contrat (pacisci). En effet, alors que l’action de contracter suppose une confiance réciproque des cocontractants, le maintien en captivité montre l’absence de confiance du vainqueur envers le vaincu. Le fondement du devoir de l’esclave envers son maître repose non seulement sur la sauvegarde de sa vie mais encore sur la confiance que le vainqueur/maître témoigne au vaincu/esclave en lui laissant sa liberté de mouvement. Ainsi, pour Hobbes, les véritables esclaves sont ceux qui ne sont pas en même temps captifs[115]. Mais, chez lui, cette distinction entre le droit d’esclavage (ius in servos) et le droit de captivité (ius in captivos) va de pair avec une intégration du droit d’esclavage dans le droit naturel justifiée par la perception de la guerre comme la condition naturelle entre les hommes[116]. En effet, selon l’auteur du De cive, l’état de nature donne à chacun un droit d’agression et un droit de réduction en esclavage du vaincu[117]. Pufendorf est loin de partager cette position : l’état de nature est pour lui un état de paix[118]. Le droit de la guerre de Hobbes ne saurait donc être considéré comme un droit dans l’état de nature. Afin de pouvoir adhérer aux positions de Hobbes sur la distinction entre le servus et le captivus, Pufendorf les replace dans la doctrine de la juste guerre (iustus bellum). Il indique ainsi au début du paragraphe six que Hobbes a tort et raison à la fois. Il se trompe lorsqu’il prétend que l’état de nature confère à chacun un droit d’agression sur l’autre auquel vient s’ajouter un droit de réduire en esclavage celui qu’on a vaincu. En revanche, il ne commet pas d’erreur en affirmant que chacun ayant le droit de tuer son ennemi dans une guerre juste, le vainqueur peut sauvegarder la vie du vaincu, à condition que ce dernier lui promette d’être son esclave – c’est à dire de faire tout ce qu’il lui commandera[119]. Pufendorf ne fait ici que désolidariser des énoncés solidaires chez l’auteur du De cive[120]. Cette transposition vers la doctrine de la guerre juste autorise Pufendorf à combiner les idées de Hobbes avec celles de Grotius, pour faire de l’esclavage de guerre un esclavage volontaire[121]. Ainsi, selon Pufendorf, le prisonnier de guerre réduit en esclavage est obligé envers son maître − le vainqueur − non seulement parce que sa vie est maintenue, mais encore parce qu’il n’est pas gardé dans les fers. En effet, l’obligation vient d’un pacte, et dans chaque pacte ou accord, il doit y avoir une confiance réciproque des cocontractants. En faisant résulter l’esclavage de guerre d’un accord de servitude volontaire entre le vainqueur et le vaincu, Pufendorf rend cet esclavage de guerre parfaitement conforme au droit de la nature[122]. Aussi, comme le souligne madame Pécharman, « ce qui pourrait sembler à première vue une opposition, entre la conclusion à laquelle Pufendorf vient de parvenir à la fin du § V (servitutis primaeva origo est ex utroneo consensu, non ex bello) et la déduction par Hobbes du pouvoir des maîtres à partir de la guerre (postestas herilis […] ex bello oritur), convoquée pour examen au début du § VI, s’avère ne l’être pas[123]. »

En dépit de cette uniformisation conceptuelle du droit d’esclavage, Pufendorf fait apparaître au paragraphe sept une différence entre la personne qui devient esclave par le droit de la guerre et celle qui se réduit en esclavage sous la contrainte de la pauvreté. Dans le premier cas, tous les biens du vaincu qui tombent aux mains du vainqueur au moment de la capture deviennent la propriété de ce dernier[124]. En revanche, celui qui se met volontairement au service d’un maître peut choisir de lui transférer tous ses biens ou pas. Pufendorf affirme que, selon toute vraisemblance, ceux qui se vendaient eux-mêmes se réservaient – au moins sous forme de pécule − à la fois leurs biens et l’argent de la vente, ou les donnaient à ceux qu’ils étaient tenus de nourrir avant leur réduction en esclavage (parents ou enfants notamment). Pufendorf précise que, chez les Juifs, il n’était possible de vendre sa liberté qu’à condition de n’avoir plus rien pour vivre. L’auteur fait alors référence au chapitre six du livre sept du De iure naturali et gentium, juxta disciplinam erbraeorum du juriste anglais John Selden († 1654)[125]. Pufendorf indique ensuite que le droit romain déclare esclave la personne qui se laisse vendre afin de percevoir une partie du prix ([…] qui ad pretium participandum sese venundari passus fuerat […])[126]. Si aucune référence à I., 1, 3, 4 n’est faite ici, l’affirmation de Pufendorf apparaît non seulement être parfaitement conforme à ce texte, mais encore en avoir été directement inspirée[127]. Si l’auteur du De iure naturae et gentium ne précise pas que la réduction en esclavage faisant suite à une vente ad pretium participandum intervient au titre de la fraude commise par celui qui s’est laissé vendre pour un tel motif, la suite de ses développements peut le laisser entendre au lecteur. Pufendorf retrace en effet – en adoptant d’ailleurs une présentation casuistique courante dans les sources juridiques romaines − les différentes étapes du mécanisme de la vente ad pretium participandum. Ainsi, Caius, un homme libre, fait passer Seius, lui aussi libre, pour son esclave. Seius, auquel un pacte de confiance avec Caius réserve une partie du prix de la vente, feint quant à lui d’être bel et bien esclave. Une fois Seius vendu, un troisième complice revendique la liberté de ce dernier. L’acheteur perd ainsi à la fois l’esclave et le prix de la vente – le vendeur Caius ayant disparu par ruse. Ces phases successives peuvent être déduites des différents textes romains sur la vente ad pretium participandum[128]. Pufendorf ne fait néanmoins ici référence qu’au théâtre romain, en citant les scènes quatre et neuf de l’acte quatre d’une pièce de Plaute († 184 av. JC), Persa[129]. Quoi qu’il en soit, cet exposé met bien indirectement en lumière l’aspect frauduleux de la vente ad pretium participandum qui motive la réduction en esclavage[130].

Dans les premières éditions de sa traduction, ces développements de Pufendorf sur la vente ad pretium participandum ne suscitent pas de commentaire de Barbeyrac. Alors qu’ils figurent dans le corps du texte original, le traducteur les place simplement – ainsi que ceux sur les Juifs – dans sa seconde note sur le paragraphe sept. Dans la première édition de 1706, Barbeyrac substitue également, à la revendication de la liberté du vendu par un tiers, la revendication par ce dernier de sa propriété sur l’esclave, en raison d’une précédente vente[131]. Dès la seconde édition, en 1712, l’idée de Pufendorf d’une revendication de la liberté est à nouveau présente[132]. Mais, dans la cinquième édition de sa traduction (1734) Barbeyrac soulève, dans une note quatre sur le paragraphe sept, ce qu’il considère être un aspect problématique des développements de Pufendorf[133]. En effet, selon le traducteur, si l’auteur du De iure naturae et gentium affirme que la vente ad pretium participandum est une cause de réduction en esclavage, la présentation détaillée qu’il en fait montre que l’acheteur perd l’esclave. Ainsi, en voulant montrer que la vente d’un homme libre est valide en droit romain, Pufendorf montre à l’inverse qu’elle ne l’est pas. Faisant référence à I., 1, 3, 4 – dont il indique avoir reproduit le texte dans la note sur le paragraphe trois – et à l’ensemble du livre 40 du Digeste de Justinien (ci-après D., 40), Barbeyrac affirme que cette vente est tantôt bonne, tantôt nulle, selon qu’elle satisfait ou non aux conditions posées par le droit romain. Le traducteur − selon lequel cet aspect a échappé à Pufendorf – précise alors ces dernières, en les présentant comme cumulatives[134]. En commençant par affirmer que celui qui se laisse vendre doit avoir plus de vingt ans, Barbeyrac ne fait que reprendre la condition d’âge retenue dans I., 1, 3, 4 − par l’expression maior viginti annis − ainsi que dans certains passages de D., 40[135]. En ajoutant que celui qui se laisse vendre ne doit « pas être sous la puissance paternelle ni assujetti à un patron », Barbeyrac semble mettre en lumière deux autres conditions nécessaires à la validité d’une vente ad pretium participandum à partir de dispositions du D., 40 visant à limiter le tort causé aux proches d’un homme libre du fait de sa possession comme esclave par un tiers. Le droit romain reconnaît en effet que le paterfamilias dispose d’une action en revendication de la liberté de son fils[136], tout comme le patron de la liberté de l’affranchi qui s’est laissé vendre à son insu[137]. Après les conditions concernant le statut de celui qui se laisse vendre, Barbeyrac expose celles relevant des intentions des parties. Le traducteur ajoute tout d’abord à l’exigence de la bonne foi de l’acheteur, qui, − comme le montrent bien plusieurs textes du D., 40[138] − doit ignorer la qualité d’homme libre du vendu, celle de la connaissance par celui qui se laisse vendre de sa qualité d’homme libre. Barbeyrac précise ensuite que le vendu doit également avoir « véritablement reçu la partie du prix stipulée par celui de la part de qui il s’étoit laissé vendre ». S’il est possible de considérer qu’une telle condition ressort de certains passages du D., 40[139], d’autres semblent − à l’instar de I., 1, 3,4 – n’exiger qu’une simple intention de partager le prix[140]. Après avoir laissé entendre − par l’utilisation du terme « etc » − que la liste de ces conditions n’est pas limitative, le traducteur précise que, dans le cas où la vente est nulle – en raison de l’absence d’une quelconque de ces conditions −, l’acheteur perd bien l’esclave mais pas nécessairement le prix de la vente. En effet, si le vendeur est retrouvé et qu’il est solvable, l’acheteur peut demander à être dédommagé de ce que cette tromperie lui a coûté[141]. Sur ce point, Barbeyrac ne reflète que partiellement les possibilités offertes par l’arsenal juridique romain. Il laisse en effet entendre que seul le vendeur est tenu au dédommagement. Or, si le D., 40 reconnaît bien à l’acheteur trompé une action contre le vendeur en restitution du double du prix versé, il précise qu’elle peut se cumuler avec celle – au double également − dirigée directement contre celui qui se laisse vendre[142].

Cette note de Barbeyrac montre que le prisme par lequel il envisage la vente ad pretium participandum romaine est loin d’être celui des seuls textes romains faisant de cette dernière une cause de réduction en esclavage au sens juridique strict. En effet, si les conditions de vingt ans révolus et d’intention de participer au prix de la vente[143] sont présentes dans ces textes, les autres n’apparaissent que dans des passages attestant d’une simple impossibilité de réclamer la liberté[144].

La mise en relation de cette note avec celle étudiée précédemment[145] révèle également ce qui peut apparaître comme un aspect original de la réduction en esclavage à la suite d’une vente ad pretium participandum : elle échappe à la dichotomie juridique traditionnelle entre le contractuel et le délictuel. En effet, Barbeyrac, dans sa première note sur le paragraphe trois, fait de la fraude de celui qui se laisse vendre ad pretium participandum le fondement de sa réduction en esclavage[146]. Mais certaines formulations de sa quatrième note sur le paragraphe sept, comme « […] la vente étoit tantôt bonne tantôt nulle […] », confèrent implicitement à cette servitude une origine contractuelle[147]. Ainsi, alors que les origines contractuelle et délictuelle sont généralement deux sources d’obligations exclusives l’une de l’autre, elles participent ici conjointement à la justification de la réduction en esclavage. La fraude, qui motive la vente ad pretium participandum chez le vendeur et celui qui se laisse vendre, rend sous certaines conditions valide le contrat entre le vendeur et l’acheteur du prétendu esclave. L’esclavage est donc bien ici à la fois d’origine délictuelle – pour celui qui se laisse vendre – et contractuelle – pour l’acheteur. Il est possible de considérer que les textes du Digeste et des Institutes traitant de la vente ad pretium participandum témoignent, par une autre voie, de la spécificité de cette transaction. Il paraît en effet se dégager de ces passages que la réduction en esclavage à la suite d’une vente ad pretium participandum ne nécessite pas de condamnation pénale, alors qu’une telle étape semble être présente dans les autres causes de réduction en esclavage selon le droit civil[148].

Aussi, si, comme l’affirme Goldschmidt, il est vrai que Barbeyrac « sait parfaitement que le droit (civil) romain n’admet nullement la servitude volontaire – Barbeyrac in Pufendorf, VI, III, § [3], note 1 − et reprend même Pufendorf à ce sujet − Barbeyrac, ibid., VI, III, § 7, note 4[149] », cette « reprise » n’est nullement due à une opposition radicale entre un Pufendorf affirmant de manière générale la validité de la servitude volontaire en droit romain et un Barbeyrac venant réfuter une telle position. En effet, comme il a été montré, l’admission par Barbeyrac d’une hostilité du droit romain à la servitude volontaire n’a pas lieu à l’occasion de l’affirmation par Pufendorf d’une reconnaissance de ce type d’esclavage en droit romain. La mention par Barbeyrac d’un rejet romain de l’esclavage volontaire, dans la note sur le paragraphe trois, s’intègre à un raisonnement visant à défendre la validité de la reconnaissance, par Pufendorf, de ce mode de réduction en esclavage. L’opposition entre Barbeyrac et Pufendorf, qui apparaît dans la note sur le paragraphe sept, se manifeste uniquement sur le terrain des conditions requises pour qu’une vente ad pretium participandum soit une cause de réduction en esclavage et sur la présentation du casus par l’auteur du De iure naturae et gentium.

L’examen de la place réservée à I., 1, 3, 4 chez Grotius, Pufendorf et Barbeyrac révèle ainsi des références explicites à ce texte au service d’une reconnaissance d’un esclavage volontaire pourtant rejeté par le droit romain. Les philosophes des lumières ayant critiqué la faveur accordée à l’auto-asservissement par les auteurs jusnaturalistes, la poursuite de l’étude de la destinée de I., 1, 3, 4 invite donc à s’interroger sur le rôle joué par ce texte dans ces développements philosophiques postérieurs. Une telle démarche s’appuie moins sur les mentions apparentes de I., 1, 3, 4 chez les philosophes du XVIIIe siècle que sur la recherche d’une éventuelle influence sur ces derniers de l’utilisation faite par le courant jusnaturaliste du texte romain.

Influences éventuelles des références jusnaturalistes à I., 1, 3, 4 sur les philosophes des lumières rejetant la validité de l’esclavage

Si Grotius, Pufendorf et Barbeyrac admettent la validité de l’esclavage, leurs positions ont été vivement critiquées, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, par des auteurs tels que Montesquieu et Rousseau. Il convient ainsi de s’interroger sur la place réservée par les seconds aux références à I., 1, 3, 4 des premiers. Une telle perspective conduit à envisager l’hypothèse d’une influence des références des représentants de l’École du droit naturel moderne ’à I., 1, 3, 4 sur la critique de l’esclavage par Montesquieu, puis celle d’une influence de la référence de Grotius à I., 1, 3, 4 sur la critique de l’analogie de ce dernier par Rousseau.

L’hypothèse d’une influence des références jusnaturalistes à I., 1, 3, 4 sur la critique de l’esclavage par Montesquieu

Comme Pufendorf, Montesquieu aborde au second chapitre du livre 15 de son De l’esprit des lois, la question des biens de l’homme libre qui se vend. Mais, contrairement à son prédécesseur, cette problématique ne le conduit pas à détailler − ni même à mentionner explicitement − la vente ad pretium participandum romaine. De plus, sa thèse diffère radicalement de celle de l’auteur du De iure naturae et gentium. Montesquieu affirme en effet une incompatibilité entre la vente de sa liberté et la conservation du prix de la vente pour celui qui s’est réduit en esclavage. Cet argument lui permet de réfuter la faculté de vendre sa liberté en raison de l’infraction que constitue une telle transaction pour la loi civile :

Il n’est pas vrai qu’un homme libre puisse se vendre. La vente suppose un prix : l’esclave en se vendant tous ses biens entreroient dans la propriété du maître ; le maître ne donneroit plus rien, et l’esclave ne recevroit rien. Il auroit un pécule dira-t-on ; mais le pécule est accessoire à sa personne. S’il n’est pas permis de se tuer parce qu’on se dérobe à la patrie, il n’est pas plus permis de se vendre. La liberté de chaque citoyen est une partie de la liberté publique. Cette qualité, dans l’État populaire, est même une partie de la souveraineté. Vendre sa qualité de citoyen est un acte d’une telle extravagance, qu’on ne peut pas la supposer dans un homme. Si la liberté a un prix pour celui qui l’achète, elle est sans prix pour celui qui la vend. La loi civile qui a permis aux hommes le partage des biens, n’a pu mettre au nombre des biens une partie des hommes qui doivent faire ce partage. La loi civile, qui restitue sur les contrats qui contiennent quelque lésion, ne peut s’empêcher de restituer contre un accord qui contient la lésion la plus énorme de toute[150].

Si Montesquieu ne convoque pas ici la vente ad pretium participandum, il semble bel et bien dans ces quelques lignes récuser une position qu’il attribue aux jurisconsultes romains. Le chapitre deux traite en effet expressément de l’origine de la servitude chez ces derniers et l’auteur y indique, peu avant le passage cité, que le droit romain permettait aux débiteurs susceptibles d’être maltraités par leurs créanciers de se vendre eux-mêmes[151]. De plus, alors que le droit d’esclavage est pour lui autant opposé au droit naturel qu’au droit civil, Montesquieu ne soulève dans ces quelques lignes que le problème que pose la vente de la liberté au regard de la loi civile et non celui de sa contradiction à la loi naturelle. Un tel tropisme − permettant à Montesquieu de combattre le droit d’esclavage sur le terrain de ses contradictions et incohérences internes et non sur celui des seuls principes supérieurs qu’il viendrait heurter[152] – renforce l’idée que c’est le droit romain − et non l’École moderne du droit naturel − qui est ici visé. Pourtant, plusieurs auteurs contemporains s’appuient sur I., 1, 3, 4 pour émettre l’hypothèse que c’est bien à la doctrine moderne que s’attaque l’auteur du De l’esprit des lois « sous le couvert des romains[153] ». Ce point de vue repose en partie sur l’idée d’une erreur de Montesquieu quant au droit romain[154]. En effet, comme il a été exposé en introduction, I., 1, 3, 4 ne témoigne nullement d’une reconnaissance par le droit romain de la servitude volontaire. Il pourrait être objecté à l’encontre de cette idée d’erreur commise par l’auteur du De l’esprit des lois que son argumentation semble être davantage inspirée par la vente du débiteur que la vente ad pretium participandum et qu’il ne cite que I., 1 − et non précisément I., 1, 3, 4. La loi des douze tables – ancien droit romain, bien antérieur à l’époque classique et a fortiori au droit de Justinien − reconnaît d’ailleurs bien une possibilité de vente du débiteur comme esclave. Cependant, cette opération, qui a pour but de rembourser le créancier, ne s’effectue pas sur le territoire romain mais au trans Tiberim, c’est-à-dire à l’étranger[155]. Mais surtout, il semble que dans ce cas, le débiteur ne se vende pas lui-même : il est d’abord adjugé au créancier qui le vend ensuite pour bénéficier du prix de la vente[156]. Il s’agit donc moins d’une possibilité du débiteur insolvable de se vendre lui-même[157] que d’un droit reconnu à son créancier de le faire vendre[158]. Considérée comme tombée en désuétude bien avant le droit de Justinien[159],  cette manière de devenir esclave relève donc d’une déchéance pénale et non d’une servitude volontaire[160]. De surcroît, le seul autre texte du premier livre des Institutes mentionné par Montesquieu semblant traiter du changement d’état d’homme libre à celui d’esclave − I., 1, 16, 1 − ne manifeste nullement une possibilité pour le débiteur de se vendre lui-même[161]. L’hypothèse d’une erreur de Montesquieu sur le droit romain paraît donc pouvoir être retenue. D’adversaires de Montesquieu, les jurisconsultes romains passent ainsi du côté des « partisans » de ses positions. En revanche, la position de l’École moderne du droit naturel se trouve de fait récusée par l’argumentation de Montesquieu – malgré l’accent « civiliste » de cette dernière[162]. Si Montesquieu s’attaque à tort aux jurisconsultes romains[163], ses développements combattent efficacement l’interprétation que les auteurs jusnaturalistes modernes font des dispositions romaines sur l’homme libre qui se réduit en esclavage. En effet, Grotius, en citant I., 1, 3, 4 à l’appui de son analogie, et dans une moindre mesure Pufendorf, en utilisant la vente ad pretium participandum pour montrer que le particulier qui se réduit en esclavage ne voit pas tous ses biens devenir la propriété du maître, font du droit romain un système juridique admettant la servitude volontaire. Il pourrait même être avancé que la critique de Montesquieu à l’encontre de la possibilité de se vendre comme esclave a peut-être été suscitée par la lecture du De iure belli ac pacis et du De iure naturae et gentium. Si l’on admet une telle hypothèse – certes discutable −, les références de la doctrine moderne du droit naturel à I., 1, 3, 4 auraient alors une influence sur la critique de la servitude volontaire par Montesquieu, alors même que ce dernier ne s’attaque pas ici expressément à Grotius ou Pufendorf.

Le professeur Robert Derathé constate que Rousseau, dans les lignes du Du contrat social ou principes du droit politique consacrées à la folie que constituerait un don de sa propre liberté[164], paraît avoir emprunté à Montesquieu l’argument de l’extravagance de la vente de soi-même[165]. Si l’hypothèse d’un tel emprunt était admise, celle d’une influence de Montesquieu sur Rousseau au-delà de ce seul argument est peut-être également envisageable. En effet, si Montesquieu nie qu’il soit légitime d’aliéner sa liberté en s’appuyant sur le droit civil − « vendre sa qualité de citoyen […][166] » −, alors que Rousseau se place du côté du droit naturel − « renoncer à sa qualité d’homme[167] » −[168], leurs argumentations respectives présentent par ailleurs de nombreuses similitudes. Tout comme Montesquieu, Rousseau s’appuie sur le contrat de vente pour établir une distinction entre un contrat de droit civil et la servitude volontaire sur le terrain de l’impossibilité de toute contrepartie à la renonciation à la liberté, établit un lien entre la liberté et la vie et opère un parallèle entre la liberté du particulier et la souveraineté du peuple[169]. Si l’on adhère à l’idée d’un parallèle entre ces deux auteurs imputable à la reprise de Montesquieu par Rousseau, il n’est pas impossible de penser que les références à I., 1, 3, 4 dans la doctrine moderne du droit naturel aient eu, par le truchement de Montesquieu, une influence indirecte sur certains aspects de la pensée de Rousseau.

L’hypothèse d’une influence de la référence de Grotius à I., 1, 3, 4 sur la critique de son analogie par Rousseau mise à mal par celle d’une influence d’Aristote sur ces deux auteurs ?

Dans le chapitre quatre du premier livre de Du contrat social ou principes du droit politique (ci-après Contrat social), Rousseau s’est manifestement intéressé à l’analogie de Grotius afin d’en rejeter la validité :

Si un particulier, dit Grotius, peut aliéner sa liberté et se rendre esclave d’un maître, pourquoi tout un peuple ne pourrait-il pas aliéner la sienne et se rendre sujet d’un roi ? Il y a là bien des mots équivoques qui auraient besoin d’explication, mais tenons-nous en à celui d’aliéner. Aliéner c’est donner ou vendre. Or un homme qui se fait esclave d’un autre ne se donne pas, il se vend, tout au moins pour sa subsistance : mais un peuple pourquoi se vend t’il ? Bien loin qu’un roi fournisse à ses sujets leur subsistance il ne tire la sienne que d’eux et selon Rabelais un roi ne vit pas de peu. Les sujets donnent donc leur personne à condition qu’on prendra aussi leur bien ? Je ne vois pas ce qu’il leur reste à conserver[170].

Dès 1766, l’un des premiers commentateurs de Rousseau, Élie Luzac († 1796), souligne que ces quelques lignes du Contrat Social ne respectent pas la formulation originale du De iure belli ac pacis et attribuent à un concept juridique central dans les débats sur la servitude volontaire une définition critiquable. En effet, non seulement le terme « aliéner » est absent de la formulation originale de l’analogie de Grotius, mais encore il se voit conférer par Rousseau un sens extrêmement restreint : donner ou vendre[171]. Cette critique paraît fondée : alors que les verbes alienare, dare et vendere existent en latin, Grotius emploie dans son analogie celui d’addicere tant pour le particulier que pour le peuple[172]. De plus, les notions d’aliénation de don ou de vente, sur lesquelles Rousseau fait pourtant porter sa réfutation[173], n’apparaissent ni sous la plume de Courtin ni sous celle de Barbeyrac[174]. L’hypothèse d’une utilisation par Rousseau des traductions du De iure belli ac pacis à sa disposition n’expliquent donc pas l’apparition de ces deux concepts à cet endroit du Contrat social.

La place centrale conférée par Rousseau à la vente dans ces quelques lignes – elle est à la fois la forme prise par la réduction en servitude du particulier et le moyen de nier une telle possibilité pour le peuple – invite à envisager l’hypothèse d’une influence de la référence à I., 1, 3, 4 – opérée par Grotius lui-même à l’appui de son analogie et maintenue par les traducteurs − sur l’auteur du Contrat social. Même si la vente ad pretium participandum est prohibée par le droit romain, elle paraît néanmoins constituer un des rares exemples juridiques concrets et historiquement avérés de la renonciation volontaire à sa propre liberté au profit d’autrui. Loin de remettre en cause l’idée de Rousseau d’une apparente contrepartie à l’aliénation par le particulier constituée a minima par la subsistance de celui qui devient esclave, elle conforte au contraire ce parti-pris. En effet, la vente ad pretium participandum romaine montre bien que, dans les faits, une contrepartie encore plus concrète est présente : l’espoir d’un gain à partager entre celui qui se laisse vendre et son complice. La référence de Grotius à I., 1, 3, 4 contribuerait ainsi à permettre à Rousseau de réfuter, sur le terrain de l’absence de toute contrepartie, la possibilité pour le peuple d’aliéner sa liberté. Mais, en sus de ne pouvoir être étayée par des éléments concrets, l’idée d’une influence de I., 1, 3, 4 sur l’auteur du Contrat social ne permet pas d’expliquer la présence des concepts d’aliénation et de don dans cet ouvrage.

Aptes à justifier l’apparition, sous la plume de Rousseau, des trois notions d’aliénation, de don et de vente, les hypothèses émises par monsieur le professeur Bruno Bernardi paraissent bien plus pertinentes. Respectueux de l’ordonnancement du propos de l’auteur du Contrat social, Bernardi commence par justifier l’apparition, dans la reformulation de l’analogie de Grotius par Rousseau, de la notion d’aliénation, par la présence de cette dernière dans un autre passage du De iure belli ac pacis[175]. Dans le chapitre six du livre deux, traitant de l’aliénation de la souveraineté – De acquisitione derivativa facto hominis, ubi de alienatione imperii, et rerum imperii[176] −, Grotius affirme au paragraphe trois que la souveraineté peut être aliénée quelquefois par le roi et quelquefois par le peuple : Sicut autem res alie, ita et imperia alienari possunt ab eo cuius in dominio verè sunt ; id est, ut suprà ostendimus, à rege, si imperium in patrimonio habeat : alioquin à populo, sed accedente regis consensu ; quia is quoque ius aliquod habet, quale usufructuarius, quod invitio auferri non debet. Et hae quidem procedum de toto imperio summo[177]. Conférant à ce texte une capacité à laver Rousseau d’un soupçon de manipulation de la pensée de Grotius, cette première partie de la démonstration de monsieur professeur Bruno Bernardi peut a priori sembler fragile. Le passage de Grotius qu’il prend en compte fait tout d’abord apparaître une notion absente de l’analogie : celle de souveraineté du peuple – imperium. Il est bien-sûr possible de considérer que l’idée de soumission du peuple reconnue par l’analogie de l’auteur du De iure belli ac pacis est implicitement sous-tendue par cette notion. Mais il paraît à première vue délicat de rattacher l’imperium au postulat sur lequel Grotius fait reposer son analogie : la réduction en esclavage du particulier. Or, le terme d’aliénation est également présent sous la plume de Rousseau pour le particulier[178]. De plus, alors que les développements sur l’aliénation de la souveraineté prennent place au sein d’un chapitre consacré aux acquisitions dérivées[179], le pouvoir des souverains sur leurs sujets et celui des maîtres sur leurs esclaves relèvent pour Grotius de l’acquisition originaire d’un droit sur les personnes[180]. Toutefois, le concept de propriété établi par Grotius semble permettre de considérer que les addicere du particulier et du peuple, présents dans l’analogie, peuvent être entendus comme relevant d’une aliénation. En effet, comme le montre la traduction de Barbeyrac, Grotius, au paragraphe un de ce même chapitre six du De iure belli ac pacis, établit une interdépendance entre aliénation et propriété en s’appuyant sur Aristote :

Après avoir parlé des Aquisitions originaires, il faut passer maintenant aux aquisitions dérivées, qui se font ou par le fait d’autrui, ou en vertu de quelque Loi. Depuis l’établissement de la propriété, il est de Droit Naturel, que les Hommes, qui sont maîtres de leurs biens, puissent transférer ou en tout, ou en partie, le droit qu’il y ont : c’est ce que renferme la nature même de la propriété, j’entens, de la Propriété pleine et entiére. On posséde en propre une chose disoit Aristote, lorsqu’on a pouvoir de l’aliéner[181].

Or, comme il a été montré précédemment, l’homme a bien pour Grotius un droit de pleine propriété sur sa liberté[182] puisque son aliénation peut s’avérer nécessaire à la conservation d’un autre de ses biens – inaliénable quant à lui : la vie[183]. De plus, comme il a déjà été souligné, l’analogie de Grotius fonctionne, dans son système, dans les deux sens, puisque le droit de souveraineté et le droit d’esclavage sont tous deux des droits absolus, en raison de leur origine volontaire[184].

Selon Bernardi, c’est ce même recours de Grotius à Aristote qui permet d’expliquer le choix de Rousseau d’une limitation des manifestations de l’aliénation au don et à la vente[185]. En effet, la consultation du texte du philosophe grec qui a manifestement inspiré ici Grotius – la référence précise étant d’après Bernardi apportée par Barbeyrac[186] – montre qu’Aristote, juste après avoir défini la propriété par le pouvoir d’aliénation, assimile expressément cette même aliénation au don et à la vente. En effet, la proposition To de oikéïon einaï, hê mê [oros] otan eph’ autô hê apallotriôsai – que Bernardi traduit par « Être propriétaire d’une chose, selon ma définition, c’est pouvoir l’aliéner de son chef − est immédiatement suivie de celle-ci : Legô de aparllostriôsin dosin kai prasin – que Bernardi traduit par « j’appelle aliénation le don et la vente[187] ». Il ne peut être avancé à l’encontre de cette hyptohèse d’une définition rousseauiste de l’aliénation induite par la référence de Grotius à Aristote que Rousseau lisait mal le grec. En effet, les traductions françaises à sa disposition font apparaître les notions d’aliénation, de don et de vente[188].

Même si elle paraît respecter la pensée de Grotius, l’admission par Rousseau de la définition proposée par Aristote de l’aliénation – donner ou vendre – semble pouvoir lui être reprochée : elle apparaît primitive par rapport à l’état de la technique juridique de l’époque moderne[189]. Celle de Luzac − « aliéner c’est transposer un droit »[190] − semble plus satisfaisante[191]. En effet, tout en subordonnant la notion d’aliénation à celle de titulaire d’un droit, elle ne la restreint pas aux seuls droits de propriété[192]. Mais Bernardi montre que cette opération de « régression » à laquelle se livre Rousseau s’explique par l’utilité qu’il retire de la conception aristotélicienne de l’aliénation. Elle permet en effet au philosophe des lumières une « refondation conceptuelle » nécessaire à sa critique de la servitude volontaire[193].

L’admission du don et de la vente comme les deux formes prises par l’aliénation est la conséquence de l’adhésion de Rousseau au principe aristotélicien qui sous-tend la définition de la propriété comme le pouvoir d’aliéner une chose de son propre chef – définition dégagée dans la proposition de la Rhétorique précédant celle sur la définition de l’aliénation par le don ou la vente et l’ayant suscitée. Ce principe est celui de l’interdépendance entre possession et aliénation. En effet, dans le chapitre cinq de la Rhétorique qui propose la définition de l’aliénation par le don et la vente, Aristote expose les différentes composantes – considérées comme des biens − entrant en compte dans la recherche du bonheur : la bonne naissance, la chance, la vertu… L’aliénation (apallotriôsis) apparaît à l’occasion du traitement de la richesse (to plouton) − traitée après la bonne descendance (heuteknia) et la bonne réputation (heudoxia). Aristote commence par énumérer les différents types de richesse : l’argent, les terres, les troupeaux, les esclaves. Mais, comme l’expose Bernardi, le philosophe grec précise ensuite que, pour que ces richesses puissent être considérées comme des biens, il faut qu’elles procurent une jouissance – sous la forme d’une jouissance directe ou d’un revenu porteur d’une jouissance différée – et que la ktêsis (possession) en soit effective, c’est-à-dire sûre et disponible. C’est cette libre disposition qui fait que la richesse est un bien qui peut être donné ou vendu, c’est-à-dire aliéné[194]. Comme le remarque Bernardi, une telle conception fait de l’apallotriôsis (aliénation), le corollaire de la ktêsis (possession). En conséquence, ce qui n’est pas de l’ordre de la possession ne peut faire l’objet d’une aliénation[195].

Or, toujours selon Bernardi, la critique de la servitude volontaire par Rousseau consiste précisément à montrer que la reconnaissance de cette forme d’esclavage revient à admettre l’aliénation de ce qui ne saurait être une possession, et donc a fortiori une propriété[196]. En effet, dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (ci-après second Discours), Rousseau, qui y prend pour adversaire Pufendorf, oppose deux arguments à l’encontre de la possibilité de renoncer à sa liberté. Le premier est qu’aliéner sa liberté suppose une chose impossible : s’ôter la responsabilité de ses actes. Le second est que la liberté – tout comme la vie – n’est pas une propriété mais un don essentiel de la nature. Il est ainsi permis d’en jouir mais pas de s’en dépouiller. Si en s’ôtant la vie on anéantit son être, en renonçant à la liberté on le dégrade. Aucun bien temporel ne pouvant venir compenser la perte de la vie ou de la liberté, l’abandon de l’une ou de l’autre est une offense à la nature et à la raison[197]. Rousseau fait reposer cette exclusion des dons de la nature du rang des possessions sur l’institution humaine du droit de propriété : « […] De plus, le droit de propriété n’étant que de convention et d’institution humaine, tout homme peut à son gré disposer de ce qu’il possede : mais il n’en est pas de même des dons essentiels de la nature, tels que la vie et la liberté […][198]. » Pour Bernardi, « l’idée sous-jacente est qu’il n’y a de possession que par acquisition et de droit de propriété que par institution de cette possession[199]. » La liberté n’étant non pas une acquisition humaine mais un don de la nature, elle n’est donc pas possédée par l’Homme mais bel et bien constitutive de son être[200]. Selon Bernardi, Rousseau montre donc bien ici qu’on « possède ce que l’on a et non ce qu’on est » et que « l’avoir seul est aliénable et non l’être[201] ». Ces développements de Rousseau admettent donc − du moins de fait[202] − la corrélation aristotélicienne entre la ktêsis et l’apallotriôsis : « on ne peut aliéner que ce qui est objet de possession[203] ».

Dans le Contrat social, la définition aristotélicienne de l’aliénation par le don ou la vente permet à Rousseau d’infirmer le raisonnement analogique de Grotius − puisqu’un homme peut aliéner sa liberté, un peuple peut faire de même − par l’absurde[204]. S’il est impossible, dans le cas du peuple, d’être question de vente, la seule autre figure possible, le don, ne peut davantage emporter la conviction. En expliquant pourquoi un peuple ne peut se vendre, Rousseau feint d’admettre l’existence d’une possible contrepartie à l’aliénation de sa liberté pour le particulier. En revanche, le don est rejeté tant du côté du peuple que du côté du particulier[205]. Rousseau vient justifier ce rejet dans la suite de ses développements : « Dire qu’un homme se donne gratuitement, c’est dire une chose absurde et inconcevable ; un tel acte est illégitime et nul, par cela seul que celui qui le fait n’est pas dans son bon sens. Dire la même chose de tout un peuple, c’est supposer un peuple de fous : la folie de ne fait pas droit[206]. » Selon Bernardi, on retrouve ici l’idée d’anéantissement de soi présente dans le second Discours. En effet, ce premier raisonnement par l’absurde du Contrat social « met en lumière que l’analogie grotienne fait du peuple un sujet qui se nie comme tel et, dans l’aliénation, se réifie[207]. » Or, comme il a été évoqué, les idées d’anéantissement et de dégradation de l’être du second Discours reposent largement sur la limitation aristotélicienne de l’aliénation à la possession. Il semble ainsi que si la définition de l’aliénation par le don et la vente permet à Rousseau, dans le Contrat social, de récuser efficacement l’analogie de Grotius, c’est bien parce que le philosophe des lumières admet en premier lieu la relation entre l’apallotriôsis et la ktêsis précédemment dégagée par Aristote.

Le second raisonnement par l’absurde opéré par Rousseau afin de récuser la validité de l’analogie de Grotius semble également pouvoir attester de l’influence de la position d’Aristote sur la pensée du philosophe des lumières. Un tel raisonnement, s’opérant par le prisme de la transmission de la souveraineté, ne recourt pas aux notions de don ou de vente :

Quand chacun pourroit s’aliéner lui-même, il ne peut aliéner ses enfants ; ils naissent hommes et libres ; leur liberté leur appartient, nul n’a droit d’en disposer qu’eux. Avant qu’ils soient en âge de raison, le père peut, en leur nom, stipuler des conditions pour leurs conservation, pour leur bien-être, mais non les donner irrévocablement et sans condition ; car un tel don est contraire aux fins de la nature, et passe les droits de la paternité. Il faudroit donc, pour qu’un gouvernement arbitraire fût légitime, qu’à chaque génération le peuple fût le maître de l’admettre ou de le rejeter : mais alors ce gouvernement ne seroit plus arbitraire[208].

Pour Bernardi, « si les pères ont pu s’aliéner c’est qu’ils étaient des sujets libres, par hypothèse les enfants le sont aussi, ils ne sont pas des possessions du père[209]. » Ainsi, si elle n’apparaît pas expressément dans ces quelques lignes, ce serait là encore la notion de possession qui sous-tend l’argument de Rousseau.  Bernardi relève également que ce dernier, par l’expression « s’aliéner lui-même » présente au début de ce passage, reformule l’énoncé qu’il imputait précédemment à Grotius : « aliéner sa liberté ». Cette substitution de l’être à la liberté serait une manifestation de l’opération conceptuelle à laquelle se livre Rousseau : ce que Grotius présente comme l’aliénation d’une simple possession est pour l’auteur du Contrat social une aliénation de l’être[210]. Or, comme il a déjà été exposé à l’occasion de l’examen du second Discours, une telle position repose sur une limitation de l’aliénation à la possession.

Le paragraphe suivant du Contrat social montre que l’infirmation de l’analogie elle-même n’était que la première étape de la démonstration de Rousseau. Les raisonnements par l’absurde permettent à ce dernier de remonter à ce qui constitue le cœur de sa critique : la réfutation du postulat sur lequel repose cette analogie de Grotius – un homme peut aliéner sa liberté à autrui[211]. Selon Rousseau, la renonciation à sa propre liberté est impossible car un tel abandon est incompatible avec la nature même de l’homme. Aucune contrepartie ne pouvant exister à la perte de la liberté, la servitude volontaire ne saurait être assimilée à une relation contractuelle de droit civil :

Renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs. Il n’y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout. Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l’homme ; et c’est ôter toute moralité à ses actions que d’ôter toute liberté à sa volonté. Enfin c’est une convention vaine et contradictoire de stipuler d’une part une liberté absolue, et de l’autre une obéissance sans bornes. N’est-il pas clair qu’on n’est engagé à rien envers celui dont on a droit de tout exiger ? Et cette seule condition, sans équivalent, sans échange, n’entraîne-t-elle pas la nullité de l’acte ? Car, quel droit mon esclave auroit-il contre moi, puisque tout ce qu’il a m’appartient, et que, son droit étant le mien, ce droit de moi contre moi-même est un mot qui n’a aucun sens[212] ?

Ces développements du Contrat social font − tout comme ceux du second Discours − obstacle à l’idée de servitude volontaire en plaçant la liberté du côté de l’être et non du côté de l’avoir. Rousseau y justifie en effet le rejet d’une possible renonciation à sa liberté en attribuant à cette dernière le statut de « qualité [de l’] homme ». Or, comme le fait remarquer Bernardi, une qualité est une propriété selon l’être, et non selon l’avoir[213]. Rousseau rejoindrait donc ici le second Discours en montrant que « la propriété est une notion double : comme possession acquise, elle relève d’une problématique de l’avoir, comme qualité reconnue, elle concerne l’être[214]. »

Toujours comme le relève Bernardi, Rousseau peut donc, grâce au concept aristotélicien d’apallotriôsis, distinguer les biens que l’on possède – que l’on peut donc aliéner – de ce qui est propre à l’être – et qui est donc inaliénable – comme la vie ou la liberté[215]. La prise en compte de la perception aristotélicienne de l’aliénation permet ainsi à Rousseau de conférer au concept d’aliénation un double rôle[216]. La notion d’aliénation constitue d’une part un instrument critique à l’égard de la conception moderne de la propriété, dégagée par Locke († 1704)[217]. En qualifiant à la fois la vie, la liberté et les biens comme propriétés, ce dernier effaçait en effet l’équivoque du terme « propriété » et réduisait la relation de soi à soi à une simple possession[218]. La notion d’aliénation se fait d’autre part « l’opérateur constitutif d’une ontologie fondée sur la distinction de l’être et de l’avoir[219]. » « Le retour vers son socle le plus ancien » que Rousseau fait opérer à la notion d’aliénation permet ainsi à cette dernière de devenir « ce rapport par lequel ce qui est de l’ordre de l’être est traité comme de l’ordre de l’avoir[220]. »

Bernardi laisse entendre que c’est Barbeyrac qui l’a amené à établir l’importance du rôle joué par le concept aristotélicien de l’apallotriôsis dans la pensée de Rousseau – voire qui le lui a permis. L’articulation du propos de Bernardi peut même donner l’impression que le seul texte original de Grotius n’aurait peut-être pas permis à Rousseau d’opérer ce retour vers la notion d’aliénation dégagée par Aristote. Bernardi affirme en effet que c’est Barbeyrac qui donne en note de sa traduction la référence précise du texte d’Aristote sur lequel se fonde l’auteur du De iure belli ac pacis − Rhétorique, Livre un, chapitre cinq, page 523 B, édition de Paris − alors que cette dernière est absente du texte latin original. Il précise également que Barbeyrac cite le texte grec original : To de oikéïon einaï, hê mê [oros] otan eph’ autô hê  apallotriôsai[221]. Or, si la version du De iure belli ac pacis publiée en 1626 – qui semble pouvoir être considérée comme identique à l’édition originale de 1625 puisque la seconde édition de l’œuvre date de 1631 – ne mentionne en effet ni la référence précise à l’œuvre d’Aristote ni le texte grec, elle ne fait pas non plus figurer une quelconque référence à Aristote et au lien établi par ce dernier entre possession et aliénation. La phrase que Barbeyrac traduit par « On posséde en propre une chose disoit Aristote, lorsqu’on a pouvoir de l’aliéner » y est en effet absente : Acquisitione derivativa nostrum sit aliquid facto hominisa ut legis. Homines rerum domini, ut dominium, aut totum, aut ex parte transferre possint, juris est naturalis post introductum dominium : inest enim hoc in ipsa dominii, pleni scilicet, natura. Duo tantum notanda sunt, alterum in dante, alterum in eo cui datur[222]. Ainsi, au regard de cette édition, si l’hypothèse du rôle majeur joué par Barbeyrac dans le lien entre Aristote et Rousseau apparaît confirmée, la fonction du traducteur semble même avoir été minimisée par Bernardi. En effet, Bernardi, en considérant que Barbeyrac n’a fait que donner les références du texte grec que Grotius avait en tête, suggère que c’est Grotius lui-même qui aurait écrit que, d’après Aristote, on possède une chose en propre lorsqu’on a le pouvoir de l’aliéner. À l’inverse, la seconde édition du De iure belli ac pacis, en 1631, apparaît au contraire montrer que Bernardi a exagéré le rôle de Barbeyrac. En effet, non seulement Grotius y affirme, dans le corps même du texte, que, selon Aristote, on possède une chose en propre lorsqu’on a le pouvoir de l’aliéner, mais encore il y cite – dans le corps des développements également – le texte grec : Acquisitione derivativa nostrum sit aliquid facto hominisa ut legis. Homines rerum domini, ut dominium, aut totum, aut ex parte transferre possint, juris est naturalis post introductum dominium: inest enim hoc in ipsa dominii, pleni scilicet, natura. Itaque Aristoteles To de oikéïon einaï, hê mê oros otan eph’ autô hê apallotriôsai. Proprietatis definitio est, ubi penes nos est jus alienandi. Duo tantum notanda sunt, alterum in dante, alterum in eo cui datur. La référence à l’œuvre du philosophe grec est quant à elle donnée en marge : I. Rhet. V[223]. Une telle présentation est maintenue dans les éditions suivantes, et notamment dans celle de 1646 − postérieure au décès de Grotius mais augmentée des dernières observations qu’il a lui-même apportées au texte avant son décès[224] – et celle de 1680 − qui, en sus des observations précédemment ajoutées par Grotius, est également augmentée des notes de Johannes Friedrich Gronovius[225]. La traduction d’Antoine de Courtin de 1687 maintient le propos attribué à Aristote par Grotius − « Aussi Aristote dit que la définition de la propriété est d’avoir droit d’aliener ce qu’on possede en propre. » −, ainsi que la référence à la Rhétorique[226]. Barbeyrac n’a ainsi fait que préciser la page où se trouve, dans l’édition de Paris de la Rhétorique, ce passage d’Aristote.

L’importance conférée à Barbeyrac par Bernardi semble révéler, de la part de ce dernier, une prise en considération insuffisante − voire inexistante − du texte latin de Grotius par rapport à celui de ce traducteur. La lecture de la seule traduction de Barbeyrac peut assurément laisser à penser que c’est bien à ce dernier que doit être attribué la mise en relation du propos de Grotius avec le texte précis d’Aristote. En effet, Barbeyrac, dès la première édition de sa traduction en 1724 – sur laquelle se fonde Bernardi[227] − opère une réorganisation du texte de Grotius présent dans les éditions de 1631 et suivantes du De iure belli ac pacis : plaçant en note de bas de page le texte grec et la référence à la Rhétorique, le traducteur fait disparaître ces éléments du corps du texte[228]. Certaines notes étant bel et bien celles du traducteur et non celles de l’auteur[229], le lecteur de cette traduction du De iure belli ac pacis peut être amené à croire que la note contenant le texte grec et la référence à la Rhétorique est l’œuvre de Barbeyrac, et donc que ces informations sont absentes du texte original de Grotius. Mais la simple confrontation de la traduction de Barbeyrac avec le texte de 1626 du De iure belli ac pacis – que l’on suppose là encore être celui de la première édition de 1625 − permet de remettre en cause le rôle clé conféré au traducteur. En effet, si la richesse des commentaires qu’inspire à Barbeyrac le propos des auteurs qu’il traduit amène fréquemment à considérer ce traducteur comme un penseur de l’École moderne du droit naturel, et si Barbeyrac montre une certaine propension à réorganiser le propos des auteurs qu’il traduit[230] − voire à retrancher du corps du texte certains développements pour les placer en note[231] −, il paraît difficile d’admettre que ce traducteur puisse ajouter dans le corps du texte un élément de fond originellement absent de ce dernier, laissant à entendre que cet élément était présent dans le texte original de l’auteur. Ainsi, le contraste entre l’absence totale d’une quelconque prise de position de Grotius sur le lien entre possession et aliénation dans le texte latin de 1626 et la mise en relation de ces deux notions au sein du corps du texte dans la traduction de Barbeyrac doit alerter le lecteur et le conduire à consulter les éditions du De iure belli ac pacis parues entre 1626 et la première traduction de Barbeyrac en 1724. Si elle peut être reprochée à Bernardi, son absence de prise en compte des textes originaux de Grotius est toutefois moins surprenante qu’elle ne paraît à première vue. En effet, s’il convient de se référer aux textes latins du De iure belli ac pacis et du De iure naturae et gentium pour étudier la pensée de Grotius et de Pufendorf, il est admis que ce sont les traductions de Barbeyrac qu’il faut prendre en compte pour étudier la réception, notamment chez Rousseau, de la pensée de ces deux « pères » de l’École du droit de la nature et des gens. Barbeyrac a assurément exercé une influence certaine sur Rousseau, qui a constamment utilisé ses traductions et commentaires des œuvres de Grotius et Pufendorf[232].

Si la désignation de Barbeyrac comme un maillon essentiel de sa démonstration peut être repprochée à Bernardi, cela ne conduit pas à remettre en cause la pertinence des positions de ce dernier sur le rôle joué par Aristote dans l’appréhension rousseauiste de l’aliénation. Cette hypothèse de Bernardi paraît beaucoup plus apte que celle de la référence à I., 1, 3, 4 − opérée par l’auteur du De iure belli ac pacis lui-même à l’appui de son analogie − à expliquer la présence de l’idée de vente dans la critique de l’analogie de Grotius dans le Contrat social. En effet, si Aristote admet – contrairement aux Romains et à Grotius –, qu’il peut exister un esclavage par nature, il semble bien que ce soient, plus que les principes romains sous-tendant la règle exposée à I., 1, 3, 4, les positions de ce philosophe grec au sujet de l’aliénation qui supportent la critique faite par Rousseau de l’esclavage volontaire. De plus, comme il a précédemment été indiqué, non seulement le droit romain admet la servitude involontaire[233] – ce que manifestent bien les deux causes de réduction en esclavage, retenues, respectivement selon le droit des gens et selon le droit civil, par I., 1, 3, 4 − mais encore il est concurrencé, dans le système de Grotius, par la raison naturelle. Au XVIIIe siècle, Rousseau ne peut donc se contenter d’un retour au droit romain pour réfuter la validité de l’esclavage. L’influence des références des jusnaturalistes modernes à I., 1, 3, 4 sur la critique de la servitude volontaire par les philosophes des lumières serait donc, contre toute attente, inversement proportionnelle à la prise en compte – du moins apparente − par ces derniers, des développements de la doctrine jusnaturaliste moderne. En effet, comme il a été montré précédemment, l’interprétation moderne de I., 1, 3, 4 a peut-être une influence sur la portée des développements de Montesquieu, alors que ce dernier ne prétend pas explicitement s’attaquer aux positions de la doctrine du droit naturel[234]. En revanche, la référence de Grotius à I., 1, 3, 4 à l’appui de son analogie ne semble pas avoir d’influence sur Rousseau, alors même que ce dernier réfute expressément cette même analogie.

Néanmoins, toujours dans l’optique de justifier les formulations employées par Rousseau, une autre observation sur la démonstration de Bernardi pourrait montrer l’intérêt d’envisager un rôle complémentaire de la conception aristotélicienne de l’aliénation et de la référence de Grotius à I., 1, 3, 4. La présentation de Bernardi confère en effet à l’influence d’Aristote sur Grotius et Rousseau une capacité à balayer le bien-fondé des accusations émises par Luzac à l’encontre de l’auteur du Contrat social. Or, dans ses développements, Luzac expose en premier lieu sa critique de la définition de l’aliénation retenue par Rousseau. Ce n’est qu’en second lieu que le détracteur de Rousseau aborde ce qu’il juge encore plus répréhensible : la surimposition de la notion d’aliénation au texte de Grotius. Pour Luzac, cette surimposition est problématique car c’est précisément cette notion d’aliénation qui conduit Rousseau à affirmer que le texte de l’analogie de Grotius est équivoque. Luzac renforce sa critique en utilisant le paragraphe 12 du même chapitre du De iure belli ac pacis, où la notion d’aliénation est bel et bien présente[235]. Il affirme en effet que même si le terme d’aliénation avait été utilisé par Grotius dans son analogie, Rousseau, n’aurait pu, pour le réfuter, que l’utiliser dans le sens que lui confère Grotius au paragraphe 12[236]. Ainsi, si Luzac est conscient de la présence du terme aliénation dans l’œuvre de Grotius, il ne semble pas que cela lui paraisse pouvoir justifier le choix de l’imposition de ce mot au texte de l’analogie. Il pourrait même être avancé que, pour Luzac, l’emploi du verbe alienare dans le paragraphe 12 aggrave l’accusation qu’il porte contre Rousseau. En effet, si ce verbe n’apparaît pas dans la formulation de l’analogie, c’est bien que Grotius ne considère pas qu’il s’agisse dans ce cas d’une aliénation. Il apparaît donc que dans la logique de Luzac, l’existence de cette notion d’aliénation dans le passage du chapitre six du livre deux du De iure belli ac pacis repéré par Bernardi, n’excuse nullement Rousseau. Bernardi peut bien reprocher à Luzac de ne pas avoir perçu que l’adoption par Rousseau de la définition de l’aliénation par le don et la vente est due à « l’aveu même de Grotius qui invoque Aristote comme autorité[237] ». Mais cette omission ne met à mal que la première partie de la critique de Luzac (la définition de l’aliénation), que ce dernier semble lui-même considérer comme accessoire à la seconde (l’imposition du terme aliéner à un passage ne le faisant nullement figurer)[238]. Il semblerait que l’affirmation de Bernardi selon laquelle Rousseau « n’a pas surimposé au texte de Grotius la notion d’aliénation mais qu’il l’y a bel et bien trouvée : c’est Luzac et ses successeurs qui n’ont pas su identifier le texte exact sur lequel il s’appuyait[239] » révèle une prise en compte insuffisante de l’articulation de la critique de Luzac. Si pertinentes soient-elles pour expliquer les choix de Rousseau, les conclusions de Bernardi ne paraissent pas, contrairement à ce qu’il avance, permettre de considérer que « la gausserie de Luzac commence ainsi à se retourner contre lui »[240] ni que « l’accusion de subreption portée contre Rousseau s’avère donc infondée, et selon le principe de l’arroseur arrosé Élie Luzac qui se glorifiant de lire scrupuleusement Grotius et de connaître, lui, les manuels de Brisson et Ferrières, est pris en flagrant délit de lecture inattentive de Grotius et d’ignorance d’Aristote[241]. » La prise en compte de la référence de Grotius à I., 1, 3, 4 pourrait éventuellement contribuer à empêcher que cette faiblesse du raisonnement de Bernardi n’invalide totalement sa thèse d’une capacité du recours de Grotius à Aristote à expliquer le propos de Rousseau et à mettre à mal la critique de Luzac. L’admission de la définition aristotélicienne de l’aliénation peut en effet conduire à considérer que l’idée d’aliénation n’est pas totalement absente de l’analogie de Grotius, en raison de la référence de ce dernier à I., 1, 3, 4 à l’appui de son raisonnement analogique[242]. Puisque la définition de l’aliénation par le don ou la vente découle de la notion aristotélicienne de l’aliénation expressément adoptée par Grotius lui-même à un autre endroit du De iure belli ac pacis, le choix d’une telle définition ne semble pas pouvoir être reproché à Rousseau. Il ne ferait que respecter la pensée de Grotius[243]. Or, ce dernier, en citant I., 1, 3, 4 à l’appui de son analogie, semble bien s’intéresser à la vente de la liberté[244], et donc à l’une des deux formes possibles de l’aliénation[245].

Aux problèmes du rôle de Barbeyrac et du respect de la lettre de la critique de Luzac, semble venir s’ajouter un décalage entre les développements du professeur Robert Derathé et la présentation qu’en fait le monsieur le professeur Bruno Bernardi. En effet, ce dernier, après avoir mentionné la critique de Luzac, et avant d’exposer ce qu’il considère permettre de la mettre à mal, précise que Derathé, « prenant acte de l’objection de Luzac, croit pouvoir rendre compte de la rédaction de Rousseau en observant que la notion d’aliénation est employée un peu plus loin par Grotius dans le [même] chapitre [que celui où figure l’analogie et] dont s’inspire le chapitre IV [du Contrat social] […][246]. » Derathé renverait en effet au paragraphe 12 du chapitre trois du livre un du De iure belli ac pacis que Bernardi cite dans sa traduction de Barbeyrac : « à proprement parler, quand on aliène un Peuple, ce ne sont pas les Hommes, dont il est composé, que l’on aliène, mais le droit perpétuel de les gouverner, considérés comme un Corps de peuple[247]. » Selon Bernardi, pour Derathé, Rousseau n’aurait ainsi fait que rapprocher deux passages voisins de l’œuvre de Grotius[248]. Bernardi affirme alors que « l’explication suggérée par Derathé, loin de disculper Rousseau d’un délit de subreption ne ferait que l’aggraver en y ajoutant une récidive[249]. » Bernardi relève en effet que ce second passage de Grotius ne porte pas sur tout type de gouvernement, ni même sur tout type de royauté, mais uniquement sur un type de monarchie bien particulier : la monarchie patrimoniale[250]. L’impossibilité, exposée par Bernardi, de la présence de la notion d’aliénation dans le paragraphe 12 à justifier son apparition dans la critique de Grotius par Rousseau, semble convaincante. Mais la présentation que fait Bernardi du propos de Derathé paraît curieuse au lecteur ayant connaissance des détails de la critique de Luzac. En effet, le passage du paragraphe 12 utilisant la notion d’aliénation – paragraphe qui, d’après Bernardi, serait utilisé par Derathé pour disculper Rousseau −, est précisément celui cité par Luzac à l’appui de sa critique[251]. Pas davantage que la découverte de la notion d’aliénation dans ce passage ne peut donc être attribuée à Derathé, elle ne semble apte, dans la logique de Luzac, à justifier la reformulation du texte de Grotius par Rousseau.

Si la consultation des développements de Derathé auxquels renvoie Bernardi confirme l’existence une déformation du propos du premier par le second, elle paraît également mettre en lumière une distorsion, par Derathé lui-même, de la lettre de la critique de Luzac. Dans une note sur le texte du Contrat social, Derathé prend acte de la critique de Luzac, dont il rapporte d’abord la seconde partie : le terme « aliéner » ne figure pas dans le texte de Grotius que réfute Rousseau[252]. Derathé fait alors remarquer que le verbe « aliéner » se trouve au paragraphe 12, qu’il cite, lui aussi, dans la traduction de Barbeyrac[253]. Si Derathé ne précise pas explicitement que la présence à cet endroit du terme objet de la critique de Luzac à Rousseau a été repérée par Luzac lui-même, la suite des développements semble montrer qu’il est conscient d’une telle réalité. En effet, sa formulation laisse à entendre que ce serait la présence du mot « aliéner » dans ce paragraphe 12 qui aurait suscité la critique de Luzac de la définition, par Rousseau, de l’aliénation par le don et la vente. Derathé écrit ainsi : « De là cette remarque d’Élie Luzac […] : “Aliéner, c’est, dites-vous donner ou vendre. D’où prenez-vous, Monsieur, cette définition très-incomplette ? […]”[254]. » Derathé semble donc chercher à présenter la critique de Luzac, et non, comme le suggère Bernardi, à remettre en cause son bien-fondé en justifiant la reformulation de l’analogie de Grotius par Rousseau. Mais, en bouleversant l’ordre des étapes de la critique de Luzac, Derathé modifie quelque peu le sens de cette dernière. Pour Luzac, l’absence du verbe « aliéner » dans le passage de l’analogie paraît suffire à remettre en cause la validité des développements de Rousseau sur ceux de Grotius, la présence du verbe « aliéner » dans un autre passage du De iure belli ac pacis ne pouvant justifier son imposition à celui de l’analogie. L’articulation de la note de Derathé semble suggérer au contraire que Luzac est conscient que l’utilisation du verbe « aliéner » au paragraphe 12 pourrait justifier, du moins partiellement, l’emploi de ce terme par Rousseau et donc éloigner – voire écarter − l’idée d’une surimposition de la notion d’aliénation au texte de l’analogie de Grotius. En effet, d’après la présentation de Derathé, la remise en cause de la définition de l’aliénation par le don ou la vente paraît permettre à Luzac d’empêcher que la critique qu’il adresse à Rousseau ne soit totalement invalidée par la présence de la notion d’aliénation dans le paragraphe 12 du De iure belli ac pacis. Si Bernardi ne semble pas avoir conscience du glissement que Derathé fait subir au propos de Luzac, sa propre altération de l’orientation des développements de ces derniers le conduit, de fait, à respecter une donnée qui ressort de la confrontation de la critique de Luzac avec la présentation qu’en fait Derathé : c’est bien Derathé – et non Luzac − qui reconnaît implicitement à la présence du verbe « aliéner » dans le paragraphe 12 du chapitre trois une aptitude à justifier l’emploi de ce verbe par Rousseau dans sa reformulation de l’analogie de Grotius.

L’écart entre la lettre de la critique de Luzac et la présentation de cette dernière dans les développements de Derathé et Bernardi semble révéler la persistance d’une lecture fragmentée du propos original du détracteur de Rousseau. Une prise en compte de l’ensemble du raisonnement de Luzac permet en effet de mettre en lumière les conséquences induites par la modification de l’articulation originelle de l’argumentation de ce dernier. À la décharge de Derathé et Bernardi, il peut être remarqué que Luzac, dans la synthèse qu’il fait de ses accusations envers Rousseau, inverse lui-même l’ordre qu’il avait précédemment établi pour les présenter. En effet, il reproche tout d’abord à Rousseau de censurer une expression que Grotius n’emploie pas dans la formulation de son analogie. Il accuse ensuite le philosophe des lumières de présenter comme équivoque un terme qui ne l’est pas dans l’œuvre de Grotius. Il fait enfin grief à Rousseau de limiter le sens de ce terme en allant à l’encontre de la signification ordinairement et généralement retenue pour ce dernier[255].

Conclusion

Alors que les références à I., 1, 3, 4 dans la doctrine du droit naturel moderne constituent le fil conducteur de cette présentation, elles sont loin de justifier à elles seules les positions de Grotius, Pufendorf, Barbeyrac, Montesquieu et Rousseau sur l’esclavage. De plus, la pensée de ces auteurs peut être exposée sans aucune prise en compte de ce recours au droit romain[256]. Le choix des références modernes à I., 1, 3, 4 comme point de départ se révèle néanmoins assez efficace pour mettre en lumière quelques aspects des différences idéologiques entre ces penseurs et de l’évolution du débat sur la servitude depuis Rome[257]. Si à la fois les juristes romains et les représentants de l’École du droit naturel moderne admettent l’esclavage, les seconds tendent à le faire reposer sur une convention entre l’esclave et son maître[258]. Auparavant rejeté comme cause de réduction en esclavage, le consentement devient ainsi un fondement de la reconnaissance de ce dernier. Soutenant que chaque Homme est fondamentalement libre, les philosophes des lumières, tels que Montesquieu et Rousseau, font de la volonté humaine la source essentielle de « subordination[259] » des Hommes les uns aux autres − subordination présente et indispensable à chaque société[260]. Dans cette perspective, la perception de l’esclavage comme un contrat comme un autre est un argument très fort en faveur de la validité de la servitude. En effet, l’individu, libre et rationnel, doit respecter les engagements, les obligations auxquelles il a consenti, la loi qu’il s’est donnée par sa volonté. Le rejet de l’esclavage opéré par Montesquieu et Rousseau brise cette cohérence en remettant en cause le postulat sur lequel elle repose : la possibilité même de consentir à la servitude, et donc celle de l’existence d’un pacte d’esclavage. Dans le système rousseauiste tout particulièrement, la liberté de l’Homme n’est pas illimitée : elle lui permet tout, sauf nier cette dernière. Ce devoir de liberté montre que la norme procède de l’être : la liberté intrinsèquement présente en l’Homme est également la finalité de l’Homme en tant qu’Homme.

Cette double nature de sein[261] et de sollen[262] de la liberté est loin d’aller de soi dans les débats contemporains. Placé au cœur de toutes les réflexions, le consentement, expression de la volonté humaine, tend à repousser les limites de l’exercice, par chacun, de sa propre liberté. En effet, l’existence d’un consentement libre et éclairé, non entaché d’un vice de violence, dol ou crainte, permet par elle-même de justifier tout engagement humain, même si ce dernier paraît contraire aux intérêts de celui qui consent ou heurte un principe moral. Alors que la nature libre de l’être humain continue à être fermement revendiquée, elle se voit bien souvent désolidarisée du principe de liberté comme fin de l’Homme. Si la tension entre cette reconnaissance de la capacité de la seule volonté de l’Homme à se donner sa propre loi d’une part et la volonté de restreindre cette toute puissance conférée au consentement humain d’autre part subsiste, elle semble désormais davantage se manifester sur le terrain des « atteintes » au corps humain que sur celui de la renonciation à la liberté. En effet, la confrontation entre la réduction ou la vente de soi-même en esclavage et le principe d’indisponibilité de la liberté a laissé place à un face à face entre des revendications relatives à des pratiques telles que le don de gamètes ou d’organes, la prostitution, la gestation pour autrui ou la convention de sadomasochisme[263] et des principes tels que l’indisponibilité du corps humain ou la dignité humaine[264]. En outre, les débats suscités par ces pratiques contemporaines ne semblent pas s’inscrire dans une réflexion sur l’organisation politique. Plus encore, les partisans de la gestation pour autrui ou la prostitution justifient bien souvent ces dernières par une affirmation de l’autonomie personnelle apte à reléguer au second plan le rôle de l’État dans leur régulation. Cette orientation représente une évolution certaine. En effet, si, chez Grotius, l’idée d’un contrat social n’est pas développée en tant que telle, la possibilité d’une réduction en esclavage est toutefois liée à celle de la soumission du peuple à un souverain[265]. Chez Montesquieu et Rousseau, la critique de l’esclavage est subordonnée à la critique de la domination politique, dont elle constitue un aspect. Par ailleurs, alors que chez les juristes romains, la doctrine jusnaturaliste et les philosophes des lumières, la contrepartie monétaire à l’abandon de la liberté ne joue pas de rôle majeur − pas davantage qu’elle ne justifie la reconnaissance de l’auto-asservissement, elle ne permet de le rejeter −, la problématique financière se voit aujourd’hui portée sur le devant de la scène. Certains opposants aux pratiques contemporaines susmentionnées mettent en effet en avant les risques d’exploitation de personnes vulnérables découlant de la marchandisation du corps. L’absence de contrepartie financière est d’ailleurs parfois une condition de légalité de certaines de ces pratiques. Ainsi, en France, celui qui donne un organe ou ses gamètes ne peut être rémunéré[266].

Au-delà de ces évolutions, la vivacité des débats actuels autour des pratiques évoquées montre bien que la problématique de la limitation de la liberté qui sous-tend les réflexions des auteurs jusnaturalistes et des lumières est toujours un enjeu majeur. La tension entre l’affirmation de la liberté humaine et la nécessité de sa restriction ne disparaît pas : elle se déplace sur de nouveaux objets.


[1] Je remercie madame le professeur Emmanuelle Chevreau (Université Panthéon-Assas Paris II), qui, en me proposant de participer aux sessions de la Société Internationale Fernand de Visscher pour l’Histoire des Droits de l’Antiquité (SIHDA), m’a donné l’opportunité de m’intéresser au sujet présenté ici.

[2] C., 7, 16, 6 ; C., 7, 16, 22, C., 7, 16, 24 ; C., 7, 16, 39 ; Jacques Ramin, Paul Veyne, « Droit romain et société : les hommes libres qui passent pour esclaves et l’esclavage volontaire », Historia : Zeitschrift Für Alte Geschichte, XXX-4, 1981, p. 483.

[3] Sententiae Pauli, 5, 1, 1.

[4] D., 45, 1, 103. Le texte compare une telle promesse à celle portant sur un homme mort ou sur un terrain appartenant à l’ennemi. D., 18, 1, 6, pr compare également l’acquisition d’un homme libre à celle des lieux sacrés, religieux ou des publics. Cf. Yan Thomas, « L’indisponibilité de la liberté en droit romain », Hypothèses, X-1, 2007, p. 379-380.

[5] Yan Thomas, « L’indisponibilité de la liberté… », p. 379.

[6] D., 40, 12, 37 ; Jacques Ramin, Paul Veyne, « Droit romain et société…», p. 483.

[7] D., 40, 5, 53, pr ; Jacques Ramin, Paul Veyne, « Droit romain et société…», p. 483 et 490.

[8] Voir notamment D., 40, 12 et D., 40, 13.

[9] D., 40, 12, 4 ; D., 40, 12, 23, 1 ; D., 40, 12, 33 par exemple.

[10] D., 40, 13, 1, pr ; D., 40, 13, 1, 1 ; D., 40, 13, 3 et D., 40, 14, 2, pr notamment.

[11] Jacques Ramin, Paul Veyne, « Droit romain et société…», p. 475.

[12] I., 1, 3, 4. Ce paragraphe quatre est placé au cœur d’un titre trois qui commence par affirmer que les personnes sont ou libres ou esclaves. Le paragraphe un définit la liberté comme la faculté reconnue aux hommes dits libres de faire ce qui leur plaît, à l’exception de ce que la violence ou le droit empêche. Le paragraphe deux appréhende la servitude comme une disposition du droit des gens par laquelle, de manière contraire à la nature, on soumet une personne à la propriété d’une autre. Le paragraphe trois précise que les esclaves (servus) sont ainsi nommés en raison du verbe servare (conserver) parce que les personnes faites captives à la guerre étaient vendues plutôt que tuées. Le paragraphe cinq affirme quant à lui que, s’il n’y a aucune différence dans la condition des esclaves, il y en a plusieurs dans celles des hommes libres, puisque certains le sont par la naissance alors que d’autres le deviennent après avoir été affranchis par leur maître. Cf I., 1, 3, pr ; I., 1, 3, 1 ; I., 1, 3, 2 ; I., 1, 3, 3 et I., 1, 3, 5 : Summa itaque divisio de iure personarum haec est, quod omnes homines aut liberi sunt aut servi. Et libertas quidem est, ex qua etiam liberi vocantur, naturalis facultas eius quod cuique facere libet, nisi si quid aut vi aut iure prohibetur. Servitus autem est constitutio iuris gentium, qua quis dominio alieno contra naturam subicitur. Servi autem ex eo appellati sunt, quod imperatores captivos vendere iubent ac per hoc servare nec occidere solent : qui etiam mancipia dicti sunt, quod ab hostibus manu capiuntur […]. In servorum conditione nulla differentia est. In liberis multae differentiae sunt: aut enim ingenui sunt aut libertini.

[13] En effet, dans les textes d’Ulpien, Pomponius et Saturnius repris dans le Digeste (D., 40, 13, 1 ; D., 40, 13, 3 et D., 40, 14, 2), il ne semble pas qu’il devienne esclave iuri civili. Le prêteur lui refuse simplement l’action en liberté. Le changement de condition semble s’être produit au IIIe siècle, comme en témoignent les textes de Marcien et Modestin (D., 1, 5, 5, 1et D., 1, 5, 21). Pour les débats sur cette question voir par exemple Mathieu Nicolau, « Causa liberalis » Étude historique et comparative du procès de liberté dans les législations anciennes, thèse droit, Paris, Sirey, 1993 p. 266-274 ; Roberto Reggi, Liber homo bona fide serviens, Milano, Giuffrè, 1958, p. 325 ; Wilhelm Rein, Das Privatrecht und der Zivilprozess der Röner von der ältesten Zeit bis auf Justinianus, Leipzig, 1858, p 123 ; John Roby, Roman private law in the times of Cicero and of the Antonines, I, Cambridge, Cambridge University Press, 1902, p. 43. Marcel Morabito, Les réalités de l’esclavage d’après le Digeste, Paris, Les Belles Lettres, 1981, p. 72-74.  Ce dernier auteur fait remarquer que si cette différence est importante du point de vue juridique, elle est ne l’est pas du point de vue pratique, puisque l’homme libre se retrouve dans les deux cas dans une condition servile. Un autre texte des Institutes de Justinien tendrait à montrer que la vente ad pretium participandum était considérée à l’époque tardive comme une véritable réduction en esclavage : elle est en effet citée parmi les causes de capitis deminutio (I., 1, 16, 1), ce qui n’est pas le cas dans les Institutes de Gaius (1, 160).

[14] Simone Goyard-Fabre, « École du droit naturel et rationalisme juridique (xviie-xviiie) », in Denis Alland et Stéphane Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Presses universitaires de France, 2003, p. 564-571.

[15] Hugo Grotius, De iure belli ac pacis libri tres. In quibus jus Naturae et Gentium, item iuris publici praecipua explicantur, Moeno-Francofurti, 1626, liv. I, cap. III Belli partitio in publicum et privatum. Summi imperii explicatio, §8, p. 63.

[16] Contrairement à ce que la présentation de madame Martine Pécharman – qui admet cette idée d’une erreur de Grotius – pourrait laisser à penser. Pécharman affirme en effet que Grotius a « mal lu » le texte d’I., 1, 3, 4 qu’il cite à l’appui de son analogie.  Cf. Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ? Le droit d’esclavage dans le droit naturel moderne », Droits, L, 2009, p. 99, n. 1.

[17] Id.

[18] Samuel Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, trad. Jean Barbeyrac, II, Amsterdam, 5e éd., 1734, liv. VI, chap. III « Du pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs, ou sur leurs esclaves », §3, p. 250, n. 1.

[19] Voir par exemple Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 102-106.

[20] L’ordre des traductions est inverse à celui des textes originaux : la première édition du De iure belli ac pacis date de 1625 alors que le De iure naturae et gentium est publié pour la première fois en 1672.

[21] Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, trad. Jean Barbeyrac, I, Basle, 1746, liv. I, chap. III « Où l’on traite des différentes sortes de Guerre ; et l’on explique la nature de la souveraineté », §8, p. 121-122, n. 2.

[22] Exode, 21-6, Traduction œcuménique de la Bible, Paris, Cerf, 1988, p. 100.

[23] Comme le montre le paragraphe suivant de notre contribution, Grotius semble en effet commettre une erreur sur le numéro de chapitre de l’œuvre d’Aulu-Gelle.

[24] C’est peut-être ce qui a conduit – consciemment ou non – monsieur Alessandro Tuccillo, dans ses développements consacrés à la déformation que Grotius fait subir aux textes de l’Exode et des Institutes du fait de leur citation à l’appui de son analogie, à faire de ce passage celui que l’auteur du De iure belli ac pacis avait en tête. La présentation du docteur Tuccillo peut néanmoins laisser à penser à son lecteur que Grotius fait simplement référence au chapitre (appelé ici livre) 21 de l’Exode, et que la vente de la fille par son père est le sujet de l’ensemble des versets un à 11. Alessandro Tuccillo, « Lumières antiesclavagistes. Le livre VI de L’Esprit des lois sous le regard du Settecento », (Re)lire L’Esprit des lois, Paris, Publications de la Sorbonne, 2014, p. 171 et p. 171 n. 65.

[25] Exode, 21-7, Traduction œcuménique…, p. 100-191 ; Alessandro Tuccillo, « Lumières antiesclavagistes… », p. 171 et p. 171, n. 65.

[26] C’est bien cette œuvre que mentionnent Barbeyrac et Pradier-Fodéré. Cf. Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix avec des notes de l’auteur même, qui n’avoient point encore paru en françois ; et de nouvelles notes du traducteur,  trad. Jean Barbeyrac, I, Amsterdam, 1ère éd., 1724, liv. I, chap. III « Où l’on traite des différentes sortes de Guerre ; et l’on explique la nature de la souveraineté », §8, p. 121-122, n. 2 et Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, trad. Paul Pradier-Fodéré, I, Paris, 1865, liv. I, chap. III « Division de la guerre en guerre publique et guerre privée. – explication de la souveraineté », §8, p. 206-207 et p. 207, n. 1.

[27] Hugo Grotius, De iure belli ac pacis libri tres. In quibus jus Naturae et Gentium, item iuris publici praecipua explicantur,, Moeno-Francofurti, 1626, liv. I, chap. III Belli partitio in publicum et privatum. Summi imperii explicatio, §8, p. 63 ; Hugo Grotius, De iure belli ac pacis libri tres. In quibus jus Naturae et Gentium, item iuris publici praecipua explicantur. Editio nova cum Annotatis Auctoris ex postrema ejus ante obitum cura multo nunc auctior, Amsterdami, 1647, lib. I, cap. III Belli partitio in publicum et privatum. Summi imperii explicatio, §8, p. 49.

[28] Hugo Grotius, De iure belli ac pacis libri tres. In quibus jus Naturae et Gentium, item iuris publici praecipua explicantur. Editio nova cum Annotatis Auctoris ex postrema ejus ante obitum cura multo nunc auctior, Amsterdami, 1646, lib. I, cap. III Belli partitio in publicum et privatum. Summi imperii explicatio, §8, p. 53; Hugo Grotius, De iure belli ac pacis libri tres. In quibus jus Naturae et Gentium, item iuris publici praecipua explicantur. Editio nova cum Annotatis Auctoris ex postrema ejus ante obitum cura multo nunc auctior, Amsterdami, 1652, liv. I, cap. III Belli partitio in publicum et privatum. Summi imperii explicatio, §8, p. 53 ; Hugo Grotius, De iure belli ac pacis libri tres. In quibus jus Naturae et Gentium, item iuris publici praecipua explicantur. Editio nova cum Annotatis Auctoris ex postrema ejus ante obitum cura multo nunc auctior, Amsterdami, 1660, lib. I, cap. III Belli partitio in publicum et privatum. Summi imperii explicatio, §8, p. 53 ; Hugo Grotius, De iure belli ac pacis libri tres. In quibus jus Naturae et Gentium, item iuris publici praecipua explicantur. Editio nova cum Annotatis Auctoris ex postrema ejus ante obitum cura multo nunc auctior, Amsterdami, 1670, lib. I, cap. III Belli partitio in publicum et privatum. Summi imperii explicatio, §8, p. 54 ;  Hugo Grotius, De Jure belli ac pacis libri tres. In quibus jus Naturae et Gentium, item iuris publici praecipua explicantur. Editio novissima cum Annotatis Auctoris ex postrema ejus ante obitum cura […] nec non Joann. Frid.  Gronovii V. C. notae in otum opus de Jure Belli ac Pacis, Amsterdami, 1680, lib. I, cap. III Belli partitio in publicum et privatum. Summi imperii explicatio, §8, p. 60 ; Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, trad. Antoine de Courtin, I, Paris, 1687, liv. I, chap. III « Division de la Guerre, en publique, et en particulière ; avec l’explication de la souveraineté », §8, p. 78.

[29] Hugo Grotius, De iure belli ac pacis libri tres. In quibus jus Naturae et Gentium, item iuris publici praecipua explicantur, cum annotatis auctoris, ejus demque Dissertatione de mari Libero ; ac Libello singulari de aequitate, ingulgentia, et facilitate : nec non joann. Frid. Gronovii V. C. Notis in totum opus de Jure Belli ac Pacis. Editionem omnum, quae hactenus prodierunt, emendatissima, ac fidem priorum et otimarum recensuit ; loca pleraque Auctorum laudatorum distinctiùs designavit ; innumeros in illis errores sustulit aut indicavit ; Notulas denique addidit Joannes Barbeyrac JC. et Publici Privatique Juris Antecessor Groninganus, Amsterdami, 1720, lib. I, cap. III Belli partitio in publicum et privatum. Summi imperii explicatio, §8, p. 86-87; Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix avec des notes de l’auteur même, qui n’avoient point encore paru en françois ; et de nouvelles notes du traducteur,  trad. Jean Barbeyrac, I, Amsterdam, 1ère éd., 1724, liv. I, chap. III « Où l’on traite des différentes sortes de Guerre ; et l’on explique la nature de la souveraineté », n. 2 sur §8, p. 121-122.

[30] Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix avec des notes de l’auteur même, qui n’avoient point encore paru en françois ; et de nouvelles notes du traducteur, trad. Jean Barbeyrac, I, Amsterdam, 1ère éd., 1724, liv. I, chap. III « Où l’on traite des différentes sortes de Guerre ; et l’on explique la nature de la souveraineté », n. 2 sur §8, p. 121-122.

[31] Aulu-Gelle, Noctes Atticae, Lugduni, 1559, liv. II, chap. VII, p. 68-71.

[32] Ibidem, chap. VIII, p. 71-72.

[33] Ibid., chap. XVIII, p. 82-83.

[34] Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix avec des notes de l’auteur même, qui n’avoient point encore paru en françois ; et de nouvelles notes du traducteur, trad. Jean Barbeyrac, I, Amsterdam, 1ère éd., 1724, liv. I, chap. III « Où l’on traite des différentes sortes de Guerre ; et l’on explique la nature de la souveraineté », §8, p. 121-122, n. 2. Aulu-Gelle, Noctium Atticarum […] Novo et multo labore exegerunt, perpetuis notis et emandationibus illustraverunt Johannes Fredericus et Jacobus Gronovii […], Lugduni Batavorum, 1706, p. 160, n. 14. Ainsi, alors qu’aucune personne de ce nom ne semble avoir participé à une édition antérieure des Nuits Attiques, deux Gronovius ont participé à celle de 1706 : l’auteur des notes sur le De iure belli ac pacis Johann Friedrich Gronovius et son fils Jacob Gronovius († 1716). En mentionnant le seul nom de famille et soulignant le silence dudit Gronovius sur la référence de Grotius au chapitre 18, Barbeyrac semble attribuer cette note à Gronovius père. Sur cette problématique voir note 38 infra.

[35] La suite des développements d’Aulu-Gelle sur la servitude de Diogène le Cynique, sans doute en raison de leur lien beaucoup plus lâche quant à la réduction en esclavage du particulier, n’ont pas retenu l’attention de Grotius, Gronovius et Barbeyrac. Un certain Xéniade, venu de Corinthe, voulant acheter Diogène le Cynique, lui demanda alors ce qu’il savait faire. Diogène répondit alors « commander à des hommes libres ». Xéniade, séduit par cette réponse, l’acheta, puis l’affranchit afin de le charger de l’éducation de ses fils « des hommes libres à qui tu peux commander ». Aulu-Gelle, Noctes Atticae, op. cit., liv. II, chap. XVIII, p. 82-83.

[36] Gronovius n’affirme pas expressément que l’idée d’une vente de soi-même n’est pas présente dans le passage d’Aulu-Gelle sur la réduction en esclavage de Diogène le Cynique. Il se contente − en citant le texte original des Nuits Attiques – de dire que c’est le sens que lui confère Grotius.

[37] Hugo Grotius, Florum Sparsio ad ius iustinianeum, Amsterdam, 1643, commentaire sur le livre I des Institutes, titre De iure personarum, p. 22 : ad cum liber homo major viginti annis ad pretium participandum sese venundari passus est. Nempe spe decipiendi emptoris. Nam jure romano directe semet vendere nemo poterat, quod apud Graecos fieri erat solitum. Itaque Diogenes dicitur ex libertate in servitutem venum iisse (Gellius l. II, c. XVIII). Le passage est cité dans son intégralité par Gronovius, mais pas par Barbeyrac. En revanche, si ni Gronovius ni Barbeyrac ne précisent que ce passage de Grotius semble avoir pour objet principal le commentaire des Institutes, Barbeyrac remarque bien que la présentation de Grotius établit une différence entre les lois romaines et grecques.

[38] La formulation de Barbeyrac pourrait laisser entendre que les précisions de Diogène Laërce sur l’origine de la servitude de Diogène le Cynique sont également présentes dans le texte d’Aulu-Gelle. Le traducteur semble néanmoins avoir plutôt cherché à montrer, qu’en raison des précisions apportées par Diogène Laërce – relevées par Gronovius –, il faille admettre qu’Aulu-Gelle ne considère pas que Diogène le Cynique se soit lui-même réduit en esclavage. Contrairement à ce que la note de Barbeyrac pourrait suggérer, Gronovius n’indique pas expressément que le sens conféré par Grotius au passage d’Aulu-Gelle est erroné. Chez Gronovius, les passages de Diogène Laërce semblent simplement indiquer une autre interprétation possible du texte du compilateur latin. C’est peut-être cela qui explique le silence de Gronovius – relevé par Barbeyrac – dans ses commentaires du De iure belli ac pacis, sur l’erreur d’interprétation de Grotius. Si Gronovius ne considérait pas nécessairement l’interprétation de Grotius comme erronée, la référence au texte latin en soutien à l’analogie ne lui apparaissait pas forcément problématique. L’autre explication pourrait être que le Gronovius ayant, dans l’édition critique des Nuits Attiques, consacré une note à l’utilisation critique du texte d’Aulu-Gelle par Grotius dans ses Florum sparsio ad jus justinianum, ne serait pas Johann Friedrich Gronovius († 1671) – l’auteur des notes sur le De iure belli ac pacis − mais son fils Jakob Gronovius († 1716), qui n’a pas participé à l’édition latine du De iure belli ac pacis. La formulation de Barbeyrac semble suggérer qu’il n’a pas retenu une telle hypothèse. Une troisième explication pourrait être celle de l’erreur de Gronovius père, dans son édition critique du De iure belli ac pacis, quant au chapitre d’Aulu-Gelle visé par Grotius. En effet, comme il a été exposé au paragraphe précédent de la présente contribution, Barbeyrac affirme que cette référence est erronée dans toutes les éditions précédant la sienne. Il est donc possible que Gronovius considère que Grotius a fait référence, à l’appui de son analogie, au chapitre sept et non au chapitre 18 des Nuits Attiques.

[39] Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, trad. Paul Pradier-Fodéré, I, Paris, 1865, liv. I, chap. III « Division de la guerre en guerre publique et guerre privée. – explication de la souveraineté », §8, p. 206-207 et p. 207, n. 1.

[40] Aulu-Gelle, Nuits Attiques, trad. E. de Chaumont, Félix Flambart et E. Buisson, I, Paris, 1863, p. 113 : « Diogène le Cynique, lui aussi fût esclave ; à la vérité, il était né libre et avait été vendu ».

[41]  Barbeyrac lui-même ne s’oppose d’ailleurs pas à l’hypothèse d’une reconnaissance, chez les grecs, de la possibilité de se vendre directement comme esclave. Il considère simplement que le texte d’Aulu-Gelle – et la servitude de Diogène le Cynique – ne manifeste pas une telle réalité. Il indique même que Grotius aurait eu avantage à citer un autre texte – auquel Barbeyrac remarque que l’auteur du De iure belli ac pacis fait référence sur d’autres points − à l’appui de son affirmation : Dion de Pruse (Ier-IIe siècle), « liv. II. chap. V. §. 27, num. 1 ». Cf. Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix avec des notes de l’auteur même, qui n’avoient point encore paru en françois ; et de nouvelles notes du traducteur, trad. Jean Barbeyrac, I, Amsterdam, 1ère éd., 1724, liv. I, chap. III « Où l’on traite des différentes sortes de Guerre ; et l’on explique la nature de la souveraineté », n. 2 sur §8, p. 121-122.

[42] Hugo Grotius, Florum sparsio…, p. 22

[43] Comme en témoigne par exemple son interprétation de I., 1, 3, 4 dans le Florum sparsio ad jus Justinianum.

[44] Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 99. Les trois paragraphes suivants reprennent très largement une partie des réflexions de madame Martine Pécharman sur Grotius. Nous espérons reproduire le plus fidèlement possible son propos.

[45] Hugo Grotius, De iure belli ac pacis libri tres. In quibus jus Naturae et Gentium, item iuris publici praecipua explicantur, Moeno Francofurti, 1626, lib. III, cap. VII De iure in captivos, §1, p. 541 ; Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 91.

[46] Hugo Grotius, De iure belli…, lib. II, cap. XXII De causis iniustis, §11, p. 431; Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 93. Aux pages 92 et 93 Pécharman précise : « La liberté, entendue comme autonomie, ne doit pas être considérée comme revenant aux hommes individuels, écrit Grotius, quasi naturaliter, et semper “en quelque manière naturellement et pour toujours” − De Jure belli ac pacis, Lib. II, cap. XXII, § XI : assurer que la liberté est naturellement propre aux hommes (natura competer hominibus), c’est seulement affirmer l’existence d’un droit de nature antérieur à tout factum humanum. Mais ce droit de nature n’est pas exclusif de l’assujettissement d’un homme à un autre homme. La liberté ou autonomie que l’on attribue à l’homme et dont on affirme l’antériorité comme droit de nature n’est, par rapport à la servitude (l’équivalent, analogiquement, de l’hétéronomie), qu’une liberté kata sterèsin, une liberté selon la privation, et non pas une liberté kat’enantiotèta, une liberté selon la contrariété − De Jure belli ac pacis, Lib. II, cap. XXII, § XI. Barbeyrac traduit dans le premier cas par « exemption d’esclavage, et dans le second cas par « incompatibilité absolue avec l’esclavage. S’il y a une opposition de la liberté naturelle à la servitude, ce n’est pas celle d’un contraire à un autre, mais celle de la possession à la privation, que Grotius prend ici à rebours de son usage ordinaire, pour dire que la liberté naturelle est privation de servitude. La condition servile, qui suppose quelque établissement humain, ne peut être naturellement attachée à tel ou tel individu, mais par-là, chacun n’est libre, tant que l’homme n’a encore rien institué, c’est-à-dire dans l’état primitif de l’homme, que négativement autrement dit, du fait de l’absence, dans cet état, de relations qui ne sauraient tirer leur origine que de décisions des hommes eux-mêmes – Voir de même Samuelis Pufendorfii De Jure naturae et gentium libri octo, editio ultima, auctior multo, et emendatior, Amstelodami, apud Andream ab Hoogenhuysen (1688), Lib. II, cap. II, § IV, et Lib. VI, cap. III, § IX (“Libertas autem naturaliter omnibus hominibus competere intelligitur, quatenus nullum factum nostrum aut alienum antecessit, quod inaequales nos alteri reddere idoneum sit”) ».

[47] Hugo Grotius, De iure belli…, lib. I, cap. II An bellare unquam iustum sit, §1, p. 15-18 ; Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 97.

[48] Id.

[49] Hugo Grotius, De iure belli…, lib. II, cap. XXI De poenarum communicatione, §11, p. 421-423 ; Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 97. Comme le fait remarquer Pécharman (id.), Grotius étend également ici cette restriction (qu’elle considère comme une restriction du droit de propriété, voir sur ce point le paragraphe suivant de la présente contribution) aux membres du corps humain. Le seul droit que l’homme a sur les membres de son corps est leur préservation. Pécharman (ibidem, p. 98, n. 1) signale que Grotius rapproche également de la perte de la vie le dommage causé à un membre. Cf. Hugo Grotius, De iure belli…, lib. II, cap. I De belli causi, et primum de defensio ne sui et rerum, §6, p. 116-117.

[50] Hugo Grotius, De iure belli…, lib. II, cap. XV De federibus ac sponsionibus, §16, p. 310-311; Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 97.

[51] Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 98.

[52] Pécharman semble ici entendre la notion de « bien » comme celle de chose naturellement possédée par l’Homme (propria cuique chez Grotius). Cf. Hugo Grotius, De iure belli…, lib. I, cap. II An bellare unquam iustum sit, §1, p. 17 ; Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 96-97. Une telle assimilation impose donc de se détacher quelque peu de la définition juridique contemporaine de la notion de « bien » comme chose matérielle susceptible d’appropriation. Cf. Gérard Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, Presses Universitaires de France, 8e éd., 2007, verbo « bien », p. 114.

[53] Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 96-97.

[54] Pécharman précise emprunter cette expression à Grotius. Hugo Grotius, De iure belli…, lib. I, cap. I Quid bellum, quid ius, §5, p. 4; Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 96, n. 3.

[55] Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 96-97.

[56] Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 97.

[57] Hugo Grotius, De iure belli…, lib. II, cap. XXIV Monita de non temere etiam ex iustis causis suscipiendo bello, §6, p. 449 ; Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 97.

[58] Comme mentionné précédemment (cf. note 49 supra), il s’agit davantage d’une restriction du droit de propriété et non d’une absence de droit de propriété sur sa propre vie. Cette restriction du droit de propriété sur la vie établit une différence entre le mode de possession de deux biens de l’Homme : la vie et la liberté. Cette restriction permet d’expliquer qu’on puisse renoncer à sa liberté mais pas à sa vie. Sinon, chacun pouvant volontairement renoncer à sa liberté alors même que son premier bien n’est pas la liberté mais la vie, il lui serait a fortiori possible de renoncer à sa vie, puisque celle-ci est son premier bien. Sur la notion de « bien » voir dans cette partie I/A /2 la note 52 supra. Les développements de madame Pécharman ne paraissent donc pas sous-tendus par la distinction juridique moderne entre la notion de propriété et celle de possession. Ainsi selon Gérard Cornu (dir.), Vocabulaire …, verbo « propriété », p. 734 et verbo « possession », p. 695-696, la propriété « désigne la propriété privé privée – droit individuel de propriété – et la pleine propriété, type le plus achevé de droit réel : droit d’user, jouir et disposer d’une chose de manière exclusive […] » alors que la possession est « le pouvoir de fait exercé sur une chose avec l’intention de s’en affirmer le maître même si le sachant ou non, on ne l’est pas − ou le pouvoir de fait consistant à exercer sur une chose des prérogatives correspondant à un droit réel […] autre que la propriété avec l’intention de s’affirmer titulaire de ce droit ». Un parallèle pourrait en revanche éventuellement être établi entre la restriction, par Grotius, du droit de propriété de chacun sur sa vie avec un démembrement du droit de propriété. L’Homme aurait ainsi la pleine propriété de sa liberté, alors qu’il n’aurait que certains attributs de cette dernière sur sa vie. Grotius utilise des termes distincts pouvant se rattacher à ces notions de propriété et de possession : dominium, proprium et proprietas. Barbeyrac semble traduire dominium par « propriété », proprium par « appartenance en propre » et proprietas par « possession en propre ». Comparer ainsi Hugo Grotius, De iure belli…, lib. I, cap. II An bellare unquam iustum sit, §1, p. 17 : Quod facilè intelligi potest locum habiturum, etiamsi dominium quod nunc ita vocamus introductum non esset. Nam vita, membre, libertas sic quoque propria cuique essent, ac proinde non sine iniuria ab alio impeterentur avec Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix avec des notes de l’auteur même, qui n’avoient point encore paru en françois ; et de nouvelles notes du traducteur, trad. Jean Barbeyrac, I, Amsterdam, 1ère éd., 1724, liv. I, chap. II « Si la guerre peut être quelquefois juste », §1, p. 69 : « On conçoit aisément que la nécessité d’avoir recours, pour se défendre, aux voies de fait, auroit eu lieu, quand même ce que nous appellons la Propriété des biens n’auroit jamais été introduit : car la Vie, les Membres, la Liberté, auroient toûjours appartenu en propre à chacun et ainsi personne autre n’auroit pû sans injustice en vouloir à quelcune de ces choses. » et Hugo Grotius, De iure belli ac pacis libri tres. In quibus jus Naturae et Gentium, item iuris publici praecipua explicantur. Editio nova cum Annotatis Auctoris ex postrema ejus ante obitum cura multo nunc auctior, Amsterdami, 1646, lib. II, cap. VI De acquisitione derivativa facto hominis, ubi de alienatione imperii, et rerum imperii, §1, p. 170 : Acquisitione derivativa nostrum sit aliquid facto hominisa ut legis. Homines rerum domini, ut dominium, aut totum, aut ex parte transferre possint, juris est naturalis post introductum dominium: inest enim hoc in ipsa dominii, pleni scilicet, natura. Itaque Aristoteles To de oikéïon einaï, hê mê oros otan eph’ autô hê apallotriôsai. Proprietatis definitio est, ubi penes nos est jus alienandi. Duo tantum notanda sunt, alterum in dante, alterum in eo cui datur avec Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix avec des notes de l’auteur même, qui n’avoient point encore paru en françois ; et de nouvelles notes du traducteur, trad. Jean Barbeyrac, I, Amsterdam, 1ère éd., 1724, liv. II, chap. VI « De l’aquisition derivée, produite par le fait d’un Homme : Où l’on traite de l’Alienation de la souveraineté et des biens de la souveraineté », §1, p. 314 : « Après avoir parlé des Aquisitions originaires, il faut passer maintenant aux aquisitions dérivées, qui se font ou par le fait d’autrui, ou en vertu de quelque Loi. Depuis l’établissement de la propriété, il est de Droit Naturel, que les Hommes, qui sont maîtres de leurs biens, puissent transférer ou en tout, ou en partie, le droit qu’il y ont : c’est ce que renferme la nature même de la propriété, j’entens, de la Propriété pleine et entiére. On posséde en propre une chose disoit Aristote, lorsqu’on a pouvoir de l’aliéner. » Ce point mériterait un approfondissement. Sur la différence entre propria et proprietas voir partie II/B note 223 infra. Voir également la traduction d’Antoine de Courtin, Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, trad. Antoine de Courtin, I, Paris, 1687, liv. I, chap. II « S’il est permis de faire la guerre », §1, p. 22-23 : « Et il est aisé de comprendre que cela auroit eu lieu quand même la propriété, comme nous l’appellons maintenant, n’auroit jamais été introduite, la vie, le corps, la liberté, n’auoit pas moins appartenu en propre à un chacun, et par conséquent on n’auroit pas pû les attaquer avec moins d’injustice » et ibidem, liv. II, chap. VI « De l’acqusition dérivée, et peremirement de la manière d’acquerir une chose par fait d’homme : Où il est traité de l’alienation d’un Etat, et des choses qui le concernent », §1, p. 244 : « Une chose devient nôtre par une acquisition derivée, ou en deux manieres : En consequence d’un fait humain, ou en vertu de la loy ; car c’est une maxime du Droit naturel, depuis que la propriété est introduite, que les hommes qui sont propriétaires et maîtres des choses, ayent pouvoir de transporter cette propriété à un autre, ou en tout, ou en partie ; puisque cela même est de l’essence de la proprieté, j’entends de la propriété pleine et entiere. Aussi Aristote dit que la definition de la proprieté est d’avoir droit d’aliener ce qu’on possede en propre ». Dans cette traduction de ce dernier paragraphe, Courtin semble assimiler la notion de dominium plenum à celle de proprietas. Voir également la traduction de Paul Pradier-Fodéré, Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, trad. Paul Pradier-Fodéré, I, Paris, 1865, liv. I, chap. II « Si la guerre peut être quelquefois juste », §1, p. 109 : « Il est aisé de comprendre qu’il en aurait été ainsi, quand même le droit que nous appelons maintenant « la propriété » n’aurait pas été créé, car la vie, le corps, la liberté, auraient toujours été des biens propres à chacun, auxquels on n’aurait pu attenter sans injustice » et ibidem, liv. II, chap. VI « De l’acquisition dérivée par le fait de l’homme ; ou il est question de l’aliénation de la souveraineté, et des biens de la souveraineté », §1, p. 554-555 : « Une chose devient nôtre par une acquisition dérivée, soit en conséquence d’un fait de l’homme, soit en vertu de la loi. Que les hommes maîtres de leurs biens puissent transférer, en tout ou en partie, le droit qu’ils y ont, c’est, depuis l’introduction de la propriété, un principe du droit naturel. Cette faculté est, en effet, de l’essence de la propriété : de la propriété pleine et entière, bien entendu. Aussi Aristote dit-il que « ce qui définit la propriété, c’est d’avoir le droit d’aliéner […] ». Pour les traductions du texte d’Aristote voir partie II/B, note 188 infra.

[59] Hugo Grotius, De iure belli…, lib. I, cap. II An bellare unquam iustum sit, §1, p. 15-18 ; Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 97. Pécharman relève ainsi que, pour Grotius, l’idée que chaque individu a un droit entier (ius plenum) sur sa vie va à l’encontre de la saine théologie. Cf. Hugo Grotius, De iure belli…, lib. III, cap. II Quomodo iure gentium bona subditorum pro debito imperantium obligentur, ubi de repressallis, §6, p. 489.

[60] Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 98.

[61] Hugo Grotius, De iure belli…, lib. II, cap. V De acquisitione originaria iuris in personas : ubi de iure parentum : de matrimoniis : de collegiis : de iure in subditos : servos, §27, p. 181-182 et lib. III, cap. XIV Temperamentum circa captos, §2, p. 595-597 ; Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 98.

[62] Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 98-99.

[63] Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 99. Il en va tout autrement chez Rousseau. Voir développements en partie II/B infra. Sur la relation entre amour de soi, amour-propre et aliénation chez Rousseau voir notamment Barbara Carnevali, « La faute à l’amour-propre : aliénation et authenticité chez Rousseau », Annales de la société Jean-Jacques Rousseau, XLVIII, 2008, p. 79-103.

[64] Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 99. Pécharman précise que, d’après Grotius, « la volonté à l’origine du transfert entier d’un droit est à la mesure de ce droit » (cf. Hugo Grotius, De iure belli…, lib. I, chap. III Belli partitio in publicum et privatum. Summi imperii explicatio, §7, p. 62-63). C’est ainsi « par la volonté de celui qui se rend esclave d’un autre homme qu’il faut juger du droit que le maître acquiert ainsi sur lui ». Pécharman remarque également que l’origine humaine de la servitude n’exclut pas la conformité à la nature de l’esclavage résultant non pas d’une convention (pactio) volontaire mais d’un délit (delictum). En effet, tant la correspondance, dans la convention d’esclavage, entre la nourriture fournie par le maître (dominus) et le travail fourni par l’esclave (servus), que l’égalité (aequialitas) entre la faute (culpa ou colpa) et la peine (poena) sont des manifestations de l’équité naturelle (naturalis aequitas). Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 100-101.

[65] Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 99.

[66] Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, trad. Antoine de Courtin, I, Paris, 1687, liv. I, chap. III « Division de la Guerre, en publique, et en particulière ; avec l’explication de la souveraineté », §8, p. 78.

[67] Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix avec des notes de l’auteur même, qui n’avoient point encore paru en françois ; et de nouvelles notes du traducteur,  trad. Jean Barbeyrac, I, Amsterdam, 1ère éd., 1724, liv. I, chap. III  « Où l’on traite des différentes sortes de Guerre ; et l’on explique la nature de la souveraineté », §8, p. 121-122.

[68] Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, trad. Paul Pradier-Fodéré, I, Paris, 1865, liv. I, chap. III « Division de la guerre en guerre publique et guerre privée – explication de la souveraineté », p. 206-207.

[69] Hugo Grotius, Rights of war and peace, in three volumes ; In which are explain’d The Laws and Claims of Nature and Nations, and the Principal Points that relate either to Publick Government, or the Conduct of Private Life. Together with the Author’s own Notes, trad. [Anonymes], I, London, 1715, b. I, chap. III The Division of War into Publick and Private ; together with an explication of the Supreme Power, §8, p. 131 : It is lawful for any Man to engage himself as a Servant to whom he pleases, as appears both by the hebrew and Roman Laws. Why should it not therefore be as lawful for a People that are at their owen disposal, to deliver up themselves to any on or more Persons, and transfer the Right of governing them upon him, or them, retaining to tehmselves no part of that Right ? ; Hugo Grotius, On the Rights of war and peace : an abridged translation, trad. William Whewell, Cambridge-London, 1853, b. I, chap. III Of war public and private. Of Sovereignty §8, p. 38 : A man may by his own act make himself the slave of any one: as appears by the Hebrew and the Roman law. Why then may not a people do the same, so as to transfer the whole Right of governing it to one or more persons ? Voir également Jonathan Dymond, Essays on the principles of morality and on the private and political rights and obligations of mankind, New-York, 1854, p. 296 : From the Jewish as well as the Roman law it appears, that any one might engage himself in private servitude to whom he pleased. Now if an indivifual may do so, why may not a whole people, for the benfit of better government and more certain protection, completely transfer their sovereign rights to on or more persons without reserving any portion to themselves ? On remarque que les références de Grotius à l’Exode, aux Institutes et à Aulu-Gelle ne semblent pas avoir été conservées dans ces traductions anglaises.

[70] Cette influence procéderait peut-être non pas du texte romain lui-même mais de son commentaire par Barbeyrac dans sa traduction du De iure naturae et gentium de Pufendorf. En effet, madame Pécharman ne cite pas le texte du fragment mais le propos de Barbeyrac « […] personne ne pouvait directement vendre ou transférer à autrui sa liberté par une convention […] ». Cf. Samuel Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, trad. Jean Barbeyrac, II, Amsterdam, 5e éd., 1734, liv. VI, chap. III « Du pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs, ou sur leurs Esclaves », n. 1 sur §3, p. 250, présentée en partie I/B/1 et reproduite dans la note 98 infra.

[71] Cf. partie I/A/1 supra.

[72] Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 99, n. 1. Il s’agit là d’une simple erreur de numérotation du chapitre et du livre. C’est bien le texte de la première note de Barbeyrac sur le paragraphe trois du chapitre trois du livre six du De iure naturae et gentium que madame Pécharman cite (id.) et prend en compte dans son raisonnement.

[73] Samuel Pufendorf, De iure naturae et gentium, editio secunda, auctior multio et emendatior, Francofurti, 2e éd., 1684, lib. IV, cap. VII De materia promissorum et pactorum, §3, p. 425-427.

[74] Victor Goldschmidt, Anthropologie et politique. Les principes du système de Rousseau, Paris, 2e éd., Vrin, 1983, p. 655, n. 46. Il s’agit là encore d’une simple erreur de numérotation (du paragraphe cette fois). Le texte cité par Goldschmidt dans sa note 46 et bien celui de la première note de Barbeyrac sur le paragraphe trois du chapitre trois du livre six (et non celui de la première note de Barbeyrac sur le paragraphe un de ces mêmes chapitre et livre). Voir également note 149 infra.

[75] Samuel Pufendorf, De iure naturae…, lib. VI, cap. III De potestate herili, §1, p. 925.

[76] Ibidem, § 2, p. 925-926.

[77] Cf. Partie I/A/2 supra.

[78] Samuel Pufendorf, De iure naturae…, lib. VI, cap. III De potestate herili, §3, p. 926-927 ; Johannes Fridericus Hornius, Politicorum Pars Architectonica de civitate, Trajecti ad Rhenum, 1664, lib. I De civitae pro oemialia de Constitutione Politicae, cap. III De objecto politicae, p. 15-23.

[79] Samuel Pufendorf, ibid. Voir également la traduction de Barbeyrac, Samuel Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, trad. Jean Barbeyrac, II, Amsterdam, 1ère éd., 1706, liv. VI, chap. III « Du pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs, ou sur leurs Esclaves », §3, p. 176.

[80] Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 114-116.

[81] Samuel Pufendorf, De iure naturae…, lib. VI, cap. III De potestate herili, §4, p. 927-928.L’adjectif tenuiores présent dans le texte de Pufendorf peut ici être traduit pas « pauvre ».

[82] Samuel Pufendorf, Le droit de la nature…, II, liv. VI, chap. III « Du pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs, ou sur leurs esclaves », §4, p. 176-178.

[83] Samuel Pufendorf, De iure naturae…, lib. VI, cap. III De potestate herili, §4, p. 927-928.

[84] Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 114-116.

[85] Comme il sera montré en partie II/B infra, Rousseau réfute la possibilité d’une renonciation volontaire à sa propre liberté, renonciation qui ne peut selon lui être assimilée à une relation contractuelle de droit civil. Le professeur Victor Goldschmidt présente ainsi ce qu’il considère être le premier argument de la réfutation de la servitude volontaire par Rousseau : « On ne peut pas assimiler la vente de sa liberté à un contrat onéreux du type : Do ut facias ». Il précise dans la note de bas de page correspondante qu’en raison de la comparaison opérée par Rousseau avec le contrat de vente, c’est bien cette formulation de do ut facias qu’il faut retenir plutôt que celle de facio ut des. Il précise ensuite que cette seconde formulation est celle « proposée par Pufendorf (VI, III, § 4), approuvé ou, plus exactement, commenté par Barbeyrac (ibid. note 1, avec renvoi à V, II, §9) ». Cf. Victor Goldschmidt, Anthropologie et politique…, p. 657 et p. 657, n. 60. Ces développements de Goldschmidt présentent a priori deux problèmes. Goldschmidt fait tout d’abord de la vente un contrat do ut facias. Or, en droit romain, la classification do ut des, do ut facias, facio ut des et facio ut facias, est réservée aux contrats innommés ; alors que la vente est quant à elle un contrat nommé. Voir par exemple : Raimond de Fresquet, Traité élémentaire de droit romain, II, Paris, 1855, p. 208. Mais la vente se rapprocherait de toute façon davantage de la catégorie des contrats do ut des que de celle des do ut facias. Chez Grotius, et Pufendorf l’opération de vente apparaît bien relever de cette catégorie do ut des. Hugo Grotius, De iure belli ac pacis libri tres. In quibus jus Naturae et Gentium, item iuris publici praecipua explicantur Moeno-Francofurti, 1626, lib. II, cap. XII De contractibus, §3, p. 257-258 ; Samuel Pufendorf, De iure naturae…, lib. V, cap. II De contractibus, qui pretia rerum, §9, p. 695-697. De plus, en affirmant qu’à la fois Pufendorf et Barbeyrac considèrent le contrat d’esclavage comme un contrat facio ut des – sans d’ailleurs préciser ce à quoi correspondent le facio et le des – Goldschmidt ne respecte pas la pensée de Pufendorf qui considérait bel et bien ce contrat comme un do ut facias (voir la suite des développements infra). Si Goldschmidt semble considérer que, dans la logique de Rousseau, la renonciation à la liberté serait un contrat do ut facias, c’est peut-être parce qu’il assimile ici le do à la renonciation à la liberté, alors que le facias correspondrait aux ordres donnés par le maître à celui devenu son esclave.

[86] Samuel Pufendorf, De iure naturae…, lib. VI, cap. III De potestate herili, §4, p. 927-928.

[87] Samuel Pufendorf, Le droit de la nature…, II, liv. VI, chap. III « Du pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs, ou sur leurs esclaves », §4, p. 176-178 ; Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 114-116.

[88] En effet, le traducteur y renvoie lui-même, dans sa première note sur le paragraphe quatre − située juste après le « de faire afin que l’on nous donne » − au paragraphe neuf du chapitre deux du livre cinq de De iure naturae et gentium. Pufendorf y distingue quatre types de contrats onéreux : do ut des, facio ut facias, do ut facias et facio ut des. Il y précise également que si Grotius omet le do ut facias, probablement au motif qu’il ne diffère pas du facio ut des, c’est dans le premier cas la délivrance de la chose qui précède l’exécution de l’action alors que dans le second c’est la délivrance de la chose qui suit l’exécution de l’action. Samuel Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, trad. Jean Barbeyrac, II, Amsterdam, 5e éd., 1734, liv. VI, chap. III « Du pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs, ou sur leurs esclaves », n. 1 sur §4, p. 250 ; Samuel Pufendorf, De iure naturae…, lib. V, cap. II De contractibus, qui pretia rerum, §9, p. 696-697. Le professeur Robert Derathé († 1992), qui remarque également la différence entre le texte de Pufendorf et sa traduction par Barbeyrac, relève également le renvoi du traducteur, à ces autres développements de l’auteur. Robert Derathé, Jean-Jacques Rousseau et la science politique de son temps, Paris, 2e éd., Vrin, 1970, p. 197, n. 1.

[89] Pécharman fait également remarquer que Louis de Jaucourt († 1780), dans son article sur l’« esclavage » figurant dans l’Encyclopédie, reprend la traduction de Barbeyrac mais y ajoute la formule latine inverse : « la servitude a d’abord été formée par un libre consentement, et par un contrat de faire afin que l’on nous donne : do ut facias ». Cf. Louis de Jaucourt, « Esclavage », Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, V, Paris, 1755, p. 934 ; Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 115 et p. 115, n. 2. Si cette formule est inverse de la traduction de Barbeyrac c’est bel et bien celle utilisée par Pufendorf.

[90] Samuel Pufendorf, De iure naturae…, lib. VI, cap. III De potestate herili, §4, p. 927-928 ; Samuel Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, trad. Jean Barbeyrac, II, Amsterdam, 1ère éd., 1706, liv. VI, chap. III « Du pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs, ou sur leurs esclaves », §4, p. 176-178 ; Samuel Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, trad. Jean Barbeyrac, Amsterdam, 5e éd., 1734, II, liv. VI, chap. III « Du pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs, ou sur leurs esclaves », §4,  p. 251 ; Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 114-116.

[91] Dans les traductions de Barbeyrac il est question non pas de « laisser » mais de « donner » la vie et la liberté corporelle. Le passage paulatim receptum, nello captis ea conditione vitam et libertatem corporalem relinquere, ut perpetuo pcaporibus servirent est en effet traduit par « on établit insensiblement la coûtume de donner aux Prisonniers de guerre la vie, et la liberté corporelle, à condition de servir toute leur vie ceux entre les mains de qui ils étoient tombez ». Samuel Pufendorf, De iure naturae…, lib. VI, cap. III, De potestate herili, § 5, p. 728-729 ; Samuel Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, trad. Jean Barbeyrac, II, Amsterdam, 1ère éd., 1706, liv. VI, chap. III « Du pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs, ou sur leurs esclaves », § 5, p. 178 ; Samuel Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, trad. Jean Barbeyrac, II, Amsterdam, 5e éd., 1734, liv. VI, chap. III « Du pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs, ou sur leurs esclaves », §5,  p. 252.

[92] Samuel Pufendorf, De iure naturae…, lib. VI, cap. III De potestate herili, §5, p. 928-929.

[93] Barbeyrac réorganise en effet quelque peu le propos de Pufendorf. L’auteur du De iure naturae et gentium indique que Hornius conteste l’idée communément admise par les jurisconsultes selon laquelle l’origine de la servitude se trouve dans le droit des gens : Io. Frid. Hornius de civitate l. I. c. 3. Solita sibi chorda oberrat, dum communi JCtorum sententiae contradicit, à jure gentium originem servitutis repetentium. La position d’Hornius est présentée ensuite. Elle est enfin remise en cause par Pufendorf. La traduction de Barbeyrac indique d’abord que « Les jurisconsultes romains rapportent au droit des gens l’origine de la servitude ». Il oppose ensuite cette position à celle d’Hornius – indiquée d’emblée comme erronée −dans une seconde phrase « Mais un auteur moderne, raisonnant encore ici sur un faux principe, que nous avons réfuté plus d’une fois, prétend, qu’il faut distinguer la cause de la Société, d’avec la cause de l’autorité ». Cf. Samuel Pufendorf, De iure naturae…, lib. VI, cap. III De potestate herili , §3, p. 926-927 ; Samuel Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, trad. Jean Barbeyrac, II, liv. VI, chap. III « Du pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs, ou sur leurs esclaves », §3, p. 176 ; Samuel Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, trad. Jean Barbeyrac, II, Amsterdam, 5e éd., 1734, liv. VI, chap. III « Du pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs, ou sur leurs esclaves, §3, p. 250

[94] Samuel Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, trad. Jean Barbeyrac, II, Amsterdam, 1ère éd., 1706, liv. VI, chap. III « Du pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs, ou sur leurs esclaves », n.1 sur §3, p. 176 ; Samuel Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, trad. Jean Barbeyrac, II, Amsterdam, 2e éd., 1712, liv. VI, chap. III « Du pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs, ou sur leurs esclaves », n.1 sur §3, p. 201 ; Samuel Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, trad. Jean Barbeyrac, II, Basle, 4e éd., 1732, liv. VI, chap. III , « Du pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs, ou sur leurs esclaves »,  n.1 sur §3, p. 201 : « Servi autem est constitutio Juris Gentium […] ad pretium participandum ses venundari passus est. Instit. Lib. I. Tit. III De jure personarum, §. 2, 3, 4. On voit là les deux choses, auxquelles nôtre Auteur rapporte avec raison l’origine de la Servitude ou de l’Esclavage, je veux dire, la pauvreté, et la force ».

[95] Une telle idée est présente dans certaines études contemporaines traitant de la vente ad pretium participandum romaine. Voir par exemple Jacques Ramin, Paul Veyne, « Droit romain et société… », p. 473 et p. 488-489 ; Yan Thomas, « L’indisponibilité de la liberté…», p. 379.

[96] Comme le fait remarquer Derathé (Robert Derathé, Jean-Jacques Rousseau…, p. 198, n. 2), Jacques Bénigne Bossuet († 1704) admet la même origine de la servitude et la même étymologie du terme servus que les jurisconsultes romains. Jacques-Bénigne Bossuet, « Cinquième avertissement aux protestants », Œuvres complètes, V, Liège, 1766, p. 332 :  « […] L’origine de la servitude, vient des Loix d’une juste guerre, où le vainqueur, ayant tout droit sur le vaincu, jusqu’à pouvoir lui ôter la vie, il la lui conserve : ce qui même, comme on sait, a donné naissance au mot de servi, qui, devenu odieux dans la suite, a été dans son origine un terme de bienfait et de clémence, descendu du mot servare, conserver ». Bossuet s’oppose dans la suite de ses développements à l’idée d’un pacte entre l’esclave et le vainqueur.

[97]  Antoine Favre, Jurisprudentiae papinianae, Lugduni, 1607, p. 83.

[98] Samuel Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, trad. Jean Barbeyrac, II, Amsterdam, 5e éd., 1734, liv. VI, chap. III « Du pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs, ou sur leurs esclaves », n. 1 sur §3, p. 250 :  « Servi autem est constitutio Juris Gentium […] ad pretium participandum ses venundari passus est. Instit. Lib. I. Tit. III. De jure personarum, §. 2, 3, 4. On voit là, que les Jurisconsultes attribuoient la prémiére origine de la Servitude au droit de la Guerre ; en quoi ils ne paroissent pas mieux fondez, qu’en ce qu’ils titrent de là l’étymologie de Servus, à servando ;  au lieu que ce mot vient de servire, qui signifie, être utile, comme le remarque Antoine Favre, Jurispr. Papinian. pag. 83. Quand on considére la maniére dont tous les établissements humains, et les circonstances où bien des gens devoient se trouver par une suite nécessaire de la multiplication du Genre Humain ; on ne peut guéres douter que la Servitude ne se soit introduite peu-à-peu, et par degrez, et qu’elle n’ait été d’abord fondée sur des Conventions libres, quoique la nécessité pût souvent y donner lieu ; comme nôtre Auteur le montre dans le paragraphe suivant. Il est surprenant que les Jusrisconsultes romains ne fassent même mention nulle part de cette Servitude volontaire dans son principe, laquelle est pour le moins aussi conforme à la Raison Naturelle, par où ils veulent qu’on juge de ce qui se rapporte au Droit de Gens ; que l’Esclavage où l’on tombe par le sort des Armes. Peut-être ce silence vient-il des idées de leur Droit Civil, selon lequel personne ne pouvait directement vendre ou transférer à autrui sa Liberté par aucune Convention ; comme le suppose l’exception même alléguée ici, d’un Jeune Homme, qui, aiant vingt ans passez, se laisse vendre, comme Esclave, par un tiers, de qui il reçoit une partie du prix : car alors, en punition de la tromperie qui compagne le mépris qu’il a fait de sa Liberté, le Droit Civil le déclare Esclave. Voiez ci-dessous, §.7. Note 4. ». La note quatre sur le paragraphe sept à laquelle renvoie Barbeyrac fait l’objet de la partie I/B/2 infra.

[99] Derathé relève cette mise en valeur, opérée par Barbeyrac, de la nouveauté de la thèse de Pufendorf par rapport à celle des jurisconsultes romains. Robert Derathé, Jean-Jacques Rousseau…, p. 199.

[100] Robert Derathé, Jean-Jacques Rousseau…, p. 199. Cf. Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondemens de l’inégalité parmi les hommes, Amsterdam, 1755, p. 153-155 : « Puffendorf dit que tout de même qu’on transfere son bien à autrui par des conventions et des contrats, on peut aussi se dépouiller de sa liberté en faveur de quelqu’un. C’est là, ce me semble, un fort mauvais raisonnement : car, premièrement, le bien que j’aliene me devient une chose tout à fait étrangere et dont l’abus m’est indifférent ; mais il m’importe qu’on n’abuse point de ma liberté, et je ne puis, sans me rendre coupable du mal qu’on me forcera de faire, m’exposer à devenir l’instrument du crime. De plus, le droit de propriété n’étant que de convention et d’institution humaine, tout homme peut à son gré disposer de ce qu’il possede : mais il n’en est pas de même des dons essentiels de la nature, tels que la vie et la liberté, dont il est permis à chacun de jouir, et dont il est au moins douteux qu’on ait droit de se dépouiller : en s’ôtant l’une on dégrade son être ; en s’ôtant l’autre on l’anéantit autant qu’il est en soi : et comme nul bien temporel ne peut dédommager de l’une et de l’autre, ce seroit offenser à la fois la nature et la raison que d’y renoncer, à quelque prix que ce fût […] ».

[101] Robert Derathé, Jean-Jacques Rousseau…, p. 199.

[102] Id.

[103] Id.

[104] D., 40, 5, 53, pr.

[105] I., 1, 16, 1.

[106] I., 1, 16, 2.

[107] I., 1, 16, 3. Le droit romain distinguait en effet les sui iuris − personnes juridiquement indépendantes, qui ne se trouvent pas sous la puissance d’une autre – et les alieni iuris – personnes soumises à la puissance et au droit d’autrui. Sont considérés comme alieni iuris les esclaves assujettis au pouvoir de leur maître mais également les fils ou filles de familles, c’est-à-dire les personnes ayant un ascendant masculin en vie. Ces fils et filles de famille n’ont pas la capacité juridique : ils sont soumis à la puissance paternelle – patria potestas – du père de famille, en effet seul considéré comme sui iuris et donc seul à avoir la capacité juridique. Sur cette question voir par exemple Charles Demangeat, Cours élémentaire de droit romain, I, Paris, 3e éd., 1876, p. 220-221. Si les alieni iuris peuvent donc être à la fois des personnes libres (fils et filles de famille), et des esclaves, la minima capitis deminutio qui se produit lorsqu’une personne sui iuris se place sous la puissance d’autrui et devient alieni iuris (par exemple par une adoption), ne s’étend pas à la seconde catégorie. En effet un homme libre qui devient esclave ne devient pas seulement alieni iuris : il perd également sa liberté.

[108] Sur l’esclavage de guerre comme iniuria, ainsi que sur le champ, quant aux personnes et aux effets, de cet esclavage, voir Hugo Grotius, De iure belli ac pacis libri tres. In quibus jus Naturae et Gentium, item iuris publici praecipua explicantur, Moeno-Francofurti, 1626, lib. III, cap. VII De iure in captivos, §1, 2, 3, 5, 6 et 7, p. 541-546, ainsi que la présentation de madame Pécharman, Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 100-102, sur laquelle s’appuient là encore très largement les deux premiers paragraphes de la partie I/B/2 de la présente contribution.

[109] En effet, pour Grotius, l’impunité n’est pas un droit au sens propre. Hugo Grotius, De iure belli…, lib. II, cap. V De acquisitione originaria iuris in personas: ubi de iure parentum: de matrimoniis: de collegiis: de iure in subdito: servos, §28, p. 181-182 ; Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 102.

[110] Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 102-103. Un tel procédé ne peut être que déduit des développements de Grotius. Hugo Grotius, De iure belli…, lib. III, cap. XIV Temperamentum circa captos, §1 et 2, p. 595-597. Comme le fait remarquer Pécharman, Barbeyrac exprime clairement dans une note sur sa traduction du De iure belli ac pacis son désacord avec la position de Grotius. L’absence d’uniformité du droit d’esclavage qui en résulte ne paraît guère acceptable au traducteur. Grotius admet un droit des gens arbitraire, reposant sur le consentement des peuples. En revanche, Barbeyrac considère – à l’instar de Pufendorf – que les règles du droit de la guerre, communes à toutes les nations, ne peuvent être distinguées de celles régissant, au motif de la nécessité et des besoins de la vie, les relations entre particuliers.  Hugo Grotius, De iure belli…, lib. I, cap. I Quid bellum, quid ius ?, §14, p. 10. Samuel Pufendorf, De iure natura et gentium, editio secunda, auctior mutio et emendatior, Francofurti, 2e éd., 1684, lib. II, cap. III De legi naturali in genere, §23, p. 227-230. ; Samuel Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, trad. Jean Barbeyrac, I, Amsterdam, 5e éd., 1734, liv. II, chap. III « De la Loi Naturelle en général », n. 2 sur §23, p. 243-244. Pour ne pas contredire le droit naturel, la servitude de guerre doit donc être appréhendée du point de vue des particuliers. Ainsi, selon Barbeyrac, la relation de maître à esclave qui s’établit entre le vainqueur et le vaincu ne peut être uniquement justifiée par l’existence d’une coutume consistant à réduire en esclavage le vaincu plutôt que de lui ôter la vie. L’esclavage de guerre suppose un accord tacite entre le vainqueur et le vaincu. Alors que le vainqueur consent à ne pas mettre à mort le vaincu, ce dernier consent à devenir esclave à la condition que le vainqueur ne le traitera pas d’une façon qui rende son sort encore moins enviable que la mort. Le consentement du vaincu − désormais esclave – l’oblige envers le vainqueur – désormais son maître. Il existe ainsi une relation contractuelle entre le maître et l’esclave. Le service perpétuel auquel s’engage le vaincu est une contrepartie de la préservation de sa vie par le vainqueur. Hugo Grotius, Le droit de la guerre et la paix avec des notes de l’auteur même, qui n’avoient point encore paru en françois ; et de nouvelles notes du traducteur, trad. Jean Barbeyrac, II, Amsterdam, 1ère éd., 1724, liv. III, chap. VII « Du droit qu’on a sur les Prisonniers de guerre », n. 2 sur §1, p. 820. Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 103-106.

[111] Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 106 et p. 116-117.

[112] Ibidem, p. 117.

[113] C’est peut-être ici une expression d’une divergence majeure – relevée par Barbeyrac − entre les deux « pères fondateurs » de l’École moderne du droit de la nature et des gens : le rationalisme de Grotius et le volontarisme de Pufendorf. Sur cette divergence entre Grotius et Pufendorf voir Simone Goyard-Fabre, « École du droit naturel… », p. 564-571.

[114] Pécharman relève que, si les nombreux renvois au De iure naturae et gentium dans la traduction du De iure belli ac pacis montrent bien que, pour Barbeyrac, c’est Pufendorf qui a réussi à accomplir ce qui était resté inachevé chez Grotius, ils n’indiquent nullement que c’est l’utilisation par Pufendorf du De Cive de Hobbes, qui permet, par l’extension de l’esclavage volontaire à l’esclavage de guerre, l’intégration – réussie – du droit d’esclavage dans le droit naturel. Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 106.

[115] Thomas Hobbes, Elementa philosophica de cive, Amsterdam, 1647, cap. VIII De iure dominorum in servos, p. 138-145. Ces développements sont présentés par Pécharman. Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 107-110. Selon Pécharman, l’impossibilité du vaincu maintenu emprisonné ou enchaîné de contracter empêche de dernier d’être, pour son maître, un esclave au sens propre. En revanche, pour ce vaincu privé de liberté corporelle, le vainqueur est bien un maître.

[116] Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 110-111.

[117] Thomas Hobbes, Elementa…, cap. I De hominum statu extra societatem, §14 à 17, p. 14-17.

[118] Samuel Pufendorf, De iure naturae…, lib. II, cap. II De statu hominum naturali, §9, p. 172-173.

[119] Ibidem, lib. VI, cap. III De postetate herili, §6, p. 729-730.

[120] Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 111.

[121] Ibidem, p. 110-112.

[122] Samuel Pufendorf, De iure naturae…, lib. VI, cap. III De postetate herili, §6, p. 929-730 ; Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 111-112.

[123] Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 117, n. 1. Cf. Samuel Pufendorf, De iure naturae…, lib. VI, cap. III De postetate herili, §5 et 6, p. 928-930.

[124] Deux hypothèses peuvent ici être émises. Si l’on admet que l’appropriation des biens du vaincu par le vainqueur va de pair avec la réduction en esclavage du premier, ces biens ne devraient pas tomber dans le patrimoine du second  du seul fait de la capture. Il faut encore que la liberté physique du vaincu soit sauvegardée, afin qu’il puisse consentir à l’esclavage. Mais il est plus probable que les biens pris à la guerre en même temps que leur propriétaire soient considérés comme appartenant au vainqueur dès la capture. Le butin matériel serait donc distinct du butin humain.

[125] John Selden, De iure naturali et gentium, juxta disciplinam erbraeorum, Argentorati, 1645, liv. VI, chap. VII, p. 737-742. Si le nom de l’œuvre n’est pas mentionné par Pufendorf, il apparaît en revanche chez Barbeyrac.  Le chapitre indiqué traite bien de cette problématique. Sur les références aux sources hébraïques dans la doctrine moderne du droit de la nature et des gens, voir Charles Leben, « La référence aux sources hébraïques dans la doctrine du droit de la nature et des gens au XVIIe siècle », Droits : revue française de théorie, de philosophie et de culture juridique, LVI-2, 2012, p. 179-228. Comme il a précédemment été montré, Grotius fait également référence au droit hébreu à l’appui de son analogie.

[126] Samuel Pufendorf, De iure naturae…, lib. VI, cap. III De postetate herili, §7, p. 930-932.

[127] En effet, comme il a été montré en introduction, dans de nombreux textes de droit romain sur la vente ad pretium participandum, il est moins question de réduction en esclavage que de refus de revendiquer la liberté. D., 1, 5, 5, 1 mentionne bien un état d’esclavage, mais sa formulation − […] si quis se maior vingiti annis ad pretium participandum venire passus est […] − est un peu plus éloignée de celle de Pufendorf que celle de I., 1, 3, 4.

[128] L’idée d’un pacte entre le vendeur et celui qui se laisse vendre est par exemple présente dans le texte du D., 40, 12, 40 : Cum pacto partitionis pretii maior viginti annis venalem se praebuit, nec post manumissionem ad libertatem proclamare potest. Il peut ainsi être considéré que cette trace écrite constitue une preuve matérielle du partage. Jacques Ramin, Paul Veyne, « Droit romain et société… », p. 492. Sur la question du caractère intentionnel ou effectif de ce partage, voir le paragraphe suivant de la présente contribution.

[129] Dans cette œuvre, un léno − marchand de femmes esclaves – se fait berner par un esclave qui lui fait acheter, en la présentant comme une captive de guerre, une fille libre, qui verra sa liberté réclamée par son père à la suite de la vente. Si la scène neuf ne semble pas réellement avoir de lien avec la problématique développée ici, la scène quatre décrit en effet la vente de la jeune fille, présentée comme une esclave. Cf. Plaute, « Persa », Comédies, trad. Alfred Ernout, Paris, Les Belles Lettres, 1983, 497 p.

[130] Samuel Pufendorf, De iure naturae…, lib. VI, cap. III De postetate herili, §7, p. 930-932.

[131] Samuel Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, trad. Jean Barbeyrac, II, Amsterdam, 1ère éd., 1706, liv. VI, chap. III « Du pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs ou sur leurs esclaves », n. 2 sur §7, p. 180.

[132] Samuel Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, trad. Jean Barbeyrac, II, Amsterdam, 2e éd., 1712, liv. VI, chap. III « Du pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs ou sur leurs esclaves », n. 2 sur §7, p. 204-205.

[133] Samuel Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, trad. Jean Barbeyrac, II, Amsterdam, 5e éd., 1734, liv. VI, chap. III « Du pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs ou sur leurs esclaves » , n. 4 sur §7, p. 255 : « […] Il y a ici bien des choses à reprendre. I. Nôtre Auteur veut, que l’Acheteur perdit l’Esclave : et cependant il explique la manière dont on devenoit Esclave, selon le Droit Romain, en se laissant ainsi vendre ? A qui étoit donc l’Esclave vendu ? II. Ainsi la conclusion de nôtre Auteur ne s’accorde pas avec les prémisses : il veut montrer, comment la Vente d’un Homme Libre étoit valide, et ce qu’il dit fait voir qu’elle ne l’étoit point. III. La vérité est, qu’une telle Vente étoit tantôt bonne, et tantôt nulle, selon qu’elle avoir ou qu’elle n’avoit pas les conditions requises par le Droit Romain, et auxquelles nôtre Auteur semble n’avoir point pensé. Car il falloit que celui qui se laissoit vendre de la manière dont il s’agit, eût plus de vint ans, et qu’il ne fût ni sous puissance paternelle, ni assujetti aux droits d’un Patron : qu’il se crût lui-même libre, et que l’Acheteur au contraire l’ignorât de bonne foi : qu’il eût véritablement reçu la partie du prix stipulée de celui par qui il s’étoit laissé vendre etc. Sans cela, il pouvoit reclamer sa Liberté. IV. Lors même que la Vente étoit nulle, par le défaut de quelcune de ces conditions, si l’on découvroit le Vendeur, et qu’il fût solvable, l’Acheteur perdoit bien l’Esclave, mais il ne perdoit pas l’argent, et il pouvoir demander un dédommagement de tout ce que lui coûtoit la tromperie. On trouvera les preuves de tout ceci, dans les Interprètes du Droit Romain, sur le passage des Institutes, cité ci-dessus, §. 3 Note 1. et sur le XL. Livre du Digeste ». Les développements sur le droit juif sont placés, sans commentaire particulier, dans la note trois précédant celle sur le droit romain.

[134] Pour une présentation de ces conditions dans les textes romains voir Jacques Ramin, Paul Veyne, « Droit romain et société… », p. 491-492.

[135] D., 40, 12, 7, pr ; D., 40, 12, 7, 1 ;  D., 40, 12, 40 ; D., 40, 13, 1, pr ; D., 40, 13, 1, 1 ; D., 14, 13, 3 ; D., 14, 13, 4. Voir également D., 1, 5, 5, 1. Le D., 40, 14, 2, pr en mentionnant seulement la majorité semble plutôt retenir l’âge de vingt-cinq ans − âge jusqu’auquel le jeune romain est considéré, bien que pubère, comme incapable de faire seul un acte juridique susceptible de lui porter préjudice. La prépondérance de l’âge de vingt ans dans les textes sur la vente ad pretium participandum semble montrer que cette dernière suscitait un régime plus sévère que la plupart des autres actes juridiques. Le texte du D., 4, 4, 9, 4 peut être interprété comme confirmant une telle hypothèse, plutôt que témoignant d’une hésitation de Papinien entre l’âge de vingt ans et celui de vingt-cinq. Contra cf. Marcel Morabito, Les réalités de l’esclavage…, p. 73.

[136] D., 40, 12, 1, pr. Comme il a déjà été évoqué (voir note 105 supra) le fils de famille, n’est pas sui iuris mais alieni iuris : il est soumis à la puissance paternelle (patria potestas) du père de famille (paterfamilias). Néanmoins, ce texte reconnaît également ce droit au père dont le fils ne serait plus sous sa puissance – ce qui ne ressort pas des développements de Barbeyrac.

[137] D., 40, 12, 4. À Rome, l’affranchissement d’un esclave ne rompt pas tous les liens qui l’unissaient à son ancien maître. L’affranchi – appelé libertus ou libertinus – conserve un devoir de respect et est obligé à certains services envers celui qui est désormais son patronus. En contrepartie, le patron lui doit aliments et assistance. Sur ces questions voir par exemple Polynice van Wetter, Cours élémentaire de droit romain contenant la législation de Justinien, avec l’histoire tant externe qu’interne du droit romain, II, Gand−Paris, 1872, p. 211-213 et Ruben de Couder, Résumé de répétitions écrites de droit romain, Paris, 5e éd., 1878, p. 27-28. Sur la question du rôle des affranchis dans les intrigues impériales, voir Gurvane Wellebrouck, « Les Affranchis au service des intrigues impériales », Circé. Histoire, Cultures et Sociétés, XI, 2019, http://www.revue-circe.uvsq.fr/wellebrouk-les-affranchis-au-service-des-intrigues-imperiales/.

[138] D., 40 12, 7, 2 ; D., 40, 12, 7, 3 ; D. 40, 12, 33 ; D., 40, 13, 4 ; D., 40, 13, 5.

[139] D., 40, 13,1, pr ; D., 40, 13, 1, 1.

[140] D., 40, 12, 7, pr ; D., 40, 12, 7, 1 ; D., 40, 12, 40 ; D., 40, 14, 2, pr. Cette intention de partager le prix permet de distinguer la vente ad pretium participandum d’un autre type de vente de sa propre liberté : la vente ad aetum gerendum, par laquelle un homme libre de plus de vingt ans se laisse vendre comme esclave afin d’administrer le patrimoine de l’acheteur − en remplissant la fonction de servus actor de ce dernier. Sur la question de l’ambiguïté du traitement de l’une ou de l’autre de ces deux types de vente de soi-même dans D., 40, 12, 23, pr voir Marcel Morabito, Les réalités de l’esclavage…, p. 72, n. 250.

[141] Samuel Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, trad. Jean Barbeyrac, II, Amsterdam, 5e éd., 1734, liv. VI, chap. III « Du pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs ou sur leurs esclaves » , n. 4 sur §7, p. 255, texte reproduit en note supra.

[142] D., 40, 12, 14 à 23.

[143] Mais non celle d’avoir d’avoir perçu ce dernier. Si la plupart des études modernes et contemporaines traduisent le ad pretium participandum par participation « au prix de la vente », il s’agit bien d’une participation au « produit » de la vente.

[144] Voir les textes romains cités dans les notes du paragraphe précédent.

[145] Cf. partie I/B/1 supra.

[146] Id.  

[147] Se référer ici aux développements de Barbeyrac reproduits dans la note 133 supra.

[148] I., 1, 16, 1 témoigne ainsi à la fois de la reconnaissance de ces autres sources de changement de statut par le droit civil – qui ne sont pas reflétées dans I., 1, 3, 4 − et de la différence entre ces dernières et la vente ad pretium participandum : Maxima est capitis deminutio, cum aliquis simul et civitatem et libertatem amittit. Quod accidit in his qui servi poenae efficiuntur atrocitate sententiae, vel liberti ut ingrati circa patronos condemnati, vel qui ad pretium participandum se venumdari passi sunt. Pour les textes portant spécifiquement sur la vente ad pretium participandum se reporter aux notes du paragraphe précédent de la présente contribution. Sur la question du lien entre la liberté et la citoyenneté – distinguées dans I., 1, 16, 1 – voir le dernier paragraphe de la partie I/B/1supra.

[149] Victor Goldschmidt, Anthropologie et politique…, p. 655 et p. 655, n. 46 et 47. Dans sa note 46, Goldschmidt donne comme référence la première note de Barbeyrac sur le paragraphe un (du chapitre trois du livre six). C’est pourtant bien la première note sur le paragraphe trois qu’il a en tête, comme le montre − dans cette même note 46 − la citation du texte de la note de Barbeyrac. Cette erreur de numérotation a déjà été signalée dans le premier paragraphe de la partie I/B/1 de la présente contribution.

[150] Montesquieu, De l’esprit des loix, II, Paris, Les belles lettres, 1955, liv. XV, chap. II « Origine du droit de l’esclavage chez les jurisconsultes romains », p. 217.

[151] Ibidem, p. 216.

[152] Sur cette question voir Bruno Guigue, « Montesquieu ou les paradoxes du relativisme », Études, CDI-9, 2004, p. 193-204.

[153]  Montesquieu, De l’esprit…, Note 8 de Jean Brèthe de la Gressaye sur le livre XV, p. 410. Le professeur Jean Brèthe de la Gressaye († 1990) ajoute que l’argumentation de Montesquieu aurait de plus une utilité hors de ces deux contextes doctrinaux puisque la vente volontaire a été pratiquée par d’autres peuples, en Orient comme en Occident. Victor Goldschmidt, Anthropologie et politique…, p. 655 ; Alessandro Tuccillo, « Lumières antiesclavagistes… », p. 171.

[154] Idem.

[155] Robert Derathé, Jean-Jacques Rousseau…, p. 192-193, n. 2 ; Joseph Declareuil, Rome et l’organisation du droit, Paris, La renaissance du livre, 1924, p. 140-141. Cette vente semble être l’ultime recours du créancier : elle n’intervient en effet qu’à la suite d’une longue procédure. Pour les détails de cette dernière voir notamment Gustave Hugo, Droit romain, trad. Jourdan, I, Paris, 1822, p. 232-233.

[156] Joseph Declareuil, Rome et l’organisation du droit, Paris, La renaissance du livre, 1924, p. 140-141. Robert Derathé, Jean-Jacques Rousseau…, p. 192-193, n. 2. Mais, dans une autre note, Derathé semble implicitement distinguer cette vente, considérée comme pratiquée dans les premiers temps du droit romain, et la condamnation du débiteur à devenir l’esclave de son créancier. Ibidem, p. 195, n. 2.

[157] En ce sens voir Congrès historique européen, Discours et compte-rendu des séances, Paris, 1836, p. 111.

[158] Examen sur le droit romain, selon les Institutes de Justinien, 2e éd., Paris, 1837, p. 18.

[159] Ibidem, p. 18, n. 2. Derathé semble implicitement distinguer cette vente, considérée comme pratiquée dans les premiers temps du droit romain, de la condamnation du débiteur à devenir l’esclave de son créancier. Robert Derathé, Jean-Jacques Rousseau…, p. 195, n. 2.

[160] Robert Derathé, Jean-Jacques Rousseau…, p. 195, n. 2.

[161] Texte reproduit en note 148 dans la partie I/B/2 supra, et utilisé dans les développements de la partie II/B/1 de la présente contribution.

[162] En effet, il n’est pas certain que Montesquieu ait eu conscience de son erreur quant au droit romain et qu’il ait eu pour but, à travers sa critique de ce dernier, de mettre à mal l’argumentation d’auteurs tels que Grotius ou Pufendorf. Les formulations des auteurs contemporains qui mettent en lumière l’erreur de Montesquieu quant à I. 1, 3, 4 et la capacité de sa critique à viser les représentants du droit naturel moderne semblent révéler cette incertitude. Ainsi, Pour Brèthe de la Gressaye « M. a mal compris [I., 1, 3, 4] et s’est attaqué à tort aux jurisconsultes romains. Son argumentation n’est cependant pas inutile, car la vente volontaire a été pratiquée en Occident par les barbares, en Orient par les autres peuples (v. Infra, chap. VI), et les défenseurs de l’esclavage, à l’époque de M. (Hobbes, Grotius, Pufendorf), admettaient la validité de la servitude volontaire. C’est eux qu’ils visent, probablement, sous le couvert des romains ». Note 8 de Jean Brèthe de la Gressaye sur le chapitre XV de l’Esprit des lois, in Montesquieu, De l’esprit…, p. 410. Le professeur Victor Goldschmidt, qui reprend Brèthe de la Gressaye, affirme : « […] quant à l’esclavage volontaire, conçu comme institution du droit privé (mais aussi “naturel”), [Pufendorf] estime, comme d’ailleurs Grotius, qu’il était autorisé en droit romain. Sur ce dernier point on constate quelque divergence entre les avis. Le seul texte qu’on pouvait ici alléguer [I, 1, 3, 4] ne dit rien de pareil. Il est vrai que Montesquieu encore semble l’avoir compris dans ce sens, mais il est plus satisfaisant d’admettre que ce sont les défenseurs contemporains de la validité de la servitude volontaire qu’il vise “sous couvert des romains” ». Victor Goldschmidt, Anthropologie et politique…, p. 654-655.  Monsieur Alessandro Tuccillo semble pour sa part être conscient de cette incertitude. Il écrit en effet : « Ce chapitre sur “les origines du droit de l’esclave chez les jurisconsultes romains” est en effet dirigé contre la théorie de l’esclavage de son temps : délibéré ou non, l’argumentaire construit par Montesquieu lui permet d’étendre sa réfutation des jurisconsultes romains aux auteurs de l’école moderne du droit naturel, autorités bien vivantes de la science politique au milieu du XVIIIe siècle, qui considéraient l’esclavage comme tout à fait légitime […]. L’interprétation que fait Montesquieu du droit romain comme source de légitimation de l’esclavage volontaire pourrait donc être considérée comme une preuve indirecte du fait que, dans le chapitre 2 du libre XV, sa réfutation de l’esclavage fait allusion aux jusnaturalistes ». Alessandro Tuccillo, « Lumières antiesclavagistes… », p. 170-171. Néanmoins, la formulation du début des développements du docteur Tuccillo est quelque peu ambiguë.  La causalité, manifestée par l’expression « en effet », semblerait avoir davantage sa place après qu’avant les « : ». L’idée de « délibéré ou non » s’applique pour sa part difficilement à « l’argumentaire » : un argumentaire est, par nature, délibéré. Tuccillo a sans doute voulu dire : « Ce chapitre sur “les origines du droit de l’esclave chez les jurisconsultes romains” est [de fait] dirigé contre la théorie de l’esclavage de son temps : [en effet,] l’argumentaire construit par Montesquieu lui permet [− délibérément ou non −] d’étendre sa réfutation des jurisconsultes romains aux auteurs de l’école moderne du droit naturel, autorités bien vivantes de la science politique au milieu du XVIIIe siècle, qui considéraient l’esclavage comme tout à fait légitime […]. »

[163] Montesquieu, De l’esprit…, Note 8 de Jean Brèthe de la Gressaye sur le livre XV, p. 410 ; Victor Goldschmidt, Anthropologie et politique…, p. 655.

[164] Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social ou principes du droit politique, Amsterdam, 1ère éd., 1762, liv. I, chap. IV « De l’esclavage », p. 9 : « Dire qu’un homme se donne gratuitement, c’est dire une chose absurde et inconcevable ; un tel acte est illégitime et nul, par cela seul que celui qui le fait n’est pas dans son bon sens. Dire la même chose de tout un peuple, c’est supposer un peuple de fous ; la folie ne fait pas le droit ».

[165] Robert Derathé, Jean-Jacques Rousseau…, p. 201-202. Sur les relations entre Montesquieu et Rousseau voir notamment Robert Derathé, « Montesquieu et Jean-Jacques Rousseau », Revue Internationale de philosophie, XXXIII-XXXIV-9, 1955, p. 366-386 et Catherine Labro, « Le débat Rousseau/Montesquieu dans le premier Discours : réception et médiations », Revue Française d’Histoire des Idées Politiques, XXXV-1, 2012, p. 135-145.

[166] Montesquieu, De l’esprit…p. 217. Texte cité supra au début de la partie II/A de la présente contribution.

[167] Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social…, Liv. I, chap. IV « De l’esclavage », p. 10. Texte cité en partie II/B infra.

[168] Robert Derathé, Jean-Jacques Rousseau…, p. 202, n. 1.

[169] Voir sur ces questions la partie II/B infra.

[170] Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social…, liv. I, chap. IV « De l’esclavage », p. 8-9.

[171] [Élie Luzac], Lettre d’un anonime à monsieur J. J. Rousseau, Paris, 1766, p. 39-41. Il semble devoir être admis, à l’instar de Luzac, que c’est bien l’analogie de Grotius ayant suscité la référence à I., 1, 3, 4 qui fait l’objet des développements de Rousseau cités ici. En effet, comme le remarque monsieur le professeur Bruno Bernardi, le raisonnement par analogie de Grotius semble bien constituer la substance du texte de Rousseau – la thèse sur laquelle repose l’analogie occupe également Rousseau dans ses développements suivants (voir la suite des développements de cette partie II/B). De plus, cette analogie de Grotius a explicitement pour objet de réfuter un principe que Rousseau cherche au contraire à avérer : la puissance souveraine appartient au peuple. Il est donc nécessaire pour Rousseau de réfuter cette analogie. Cf. Bruno Bernardi, « De l’alienatio à l’aliénation par l’apallotriôsis : Rousseau débiteur d’Aristote », Annales de la société Jean-Jacques Rousseau, LXVIII, 2008, p. 66. En effet, dans le De iure belli ac pacis, l’analogie prend place immédiatement après ces quelques lignes : Atque hoc loco primum reiicienda est eorum opinio, qui ubique et sine exceptione summam potestatem esse volunt pupoli, ita ut ei refes quoties imperio suo malè utuntur, et coercere et punire liceat : quae sententia quot malis causem dedrit, et dare etiamnum possit penitus animis recepta, nemp sapiens non videt. Nos his argumentatis eram refutamus. Cf. Hugo Grotius, De iure belli ac pacis libri tres. In quibus jus Naturae et Gentium, item iuris publici praecipua explicantur, Moeno-Francofurti, 1626, lib. I, cap. III Belli partitio in publicum et privatum. Summi imperii explicatio, §8, p. 63. En mentionnant d’abord le problème de l’apparition de la notion d’aliénation et ensuite celui de sa définition, notre contribution inverse l’articulation des développements de Luzac. Les problèmes soulevés par cette modification – présente dans la plupart des études s’intéressant à cette critique de Luzac – sont abordés infra, dans les quatre derniers paragraphes de cette partie II/B de la présente contribution.

[172] Cf. partie I/A/1supra.

[173] Bruno Bernardi, « De l’alienatio à…», p. 67.

[174] Voir dernier paragraphe de la partie I/A/2 supra.

[175] Bruno Bernardi, « De l’alienatio à… », p. 69-70.

[176] Hugo Grotius, De iure belli…, lib. II, cap. VI De acquisitione derivativa facto hominis, ubi de alienatione imperii, et rerum imperii, p. 184.

[177] Ibidem, §3, p. 186.

[178] Voir Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social…, liv. I, chap. IV « De l’esclavage », p. 8-9. Texte reproduit supra.

[179] Hugo Grotius, De iure belli…, lib. II, cap. VI De acquisitione derivativa facto hominis, ubi de alienatione imperii, et rerum imperii, p. 184-190.

[180] Hugo Grotius, De iure belli…, lib. II, cap. V De acquisitione originaria iuris in personas : ubi de iure parentum : de matrimoniis : de collegiis : de iure in subditos : servos, p. 161-184.

[181] Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix avec des notes de l’auteur même, qui n’avoient point encore paru en françois ; et de nouvelles notes du traducteur, trad. Jean Barbeyrac, I, Amsterdam, 1ère éd., 1724, liv. II, chap. VI « De l’aquisition derivée, produite par le fait d’un Homme : Où l’on traite de l’Alienation de la souveraineté et des biens de la souveraineté », §1, p. 314.

[182] Cf. partie I/A/2 supra. Le texte original de Grotius utilise le terme latin proprietas, que Barbeyrac traduit par « possession en propre », et le terme latin dominium, que Barbeyrac traduit par « propriété ». Cf. Hugo Grotius, De iure belli ac pacis. In quibus jus naturae et Gentium : item juris publici praecipua explicantur. Editio secunda emendatio, et multis locis auctior, Amsterdami, 2e éd., 1631, liv. lib. II, cap. VI De acquisitione derivativa facto hominis, ubi de alienatione imperii, et rerum imperii, §1, p. 151. Texte reproduit dans cette partie II/B infra. Sur cette différence voir partie I/A/2, note 58 supra. Voir également dans cette partie II/B note 223 infra. Pour les traductions du texte d’Aristote voir dans cette même partie II/B, la note 188 infra.

[183] Cf. partie I/A/2 supra. Il peut être reproché à une telle explication que le terme de « liberté » ne figure pas davantage que celui de souveraineté dans l’analogie de Grotius. Néanmoins, l’action exprimée par le verbe addicere conduisant le particulier à se placer in privatem servitutem, il paraît nécessaire de considérer que c’est bien à sa liberté que le particulier renonce.

[184] Voir Martine Pécharman, « La vie ou la liberté ?… », p. 99 et partie I/A/2 supra.

[185] Bruno Bernardi, « De l’alienatio à… », p. 70-77. Cette hypothèse ne doit pas nécessairement conduire à penser qu’une telle définition de l’aliénation est très différente de celle proposée par le droit romain. Ainsi, Barbara Carnevali, reconnaissant que le thème de l’aliénation est « à la fois origine et centre de gravité de la pensée de Rousseau », considère que ce dernier emploie le terme d’aliénation dans son acception juridique traditionnelle qui dérive du latin alienare, et qui désigne « une cession, un don, ou la vente de quelque chose qu’on possède à titre de propriété ». La contribution de cet auteur met en lumière le lien entre l’aliénation et un autre thème central de la pensée de Rousseau : l’amour propre. Barbara Carnevali, « La faute à l’amour propre : aliénation et authenticité chez Rousseau », Annales de la société Jean-Jacques Rousseau, XLVIII, 2008, p. 79-103.

[186] Bruno Bernardi, « De l’alienatio à… », p. 70. Ce rôle de Barbeyrac sera contesté infra.

[187] Ibidem, p. 70. Bernardi se fonde sur l’édition suivante : William David Ross (éd), Aristotelis Ars Rhetorica, Oxford, Clarendon Press – Oxford University Press, 1959, lib. I, cap. V, p. 21. Voir également, Aristote, Rhétorique, trad. Médéric Dufour, I, Paris, Les belles lettres, 1968, lib. I, cap. V, 218 p.

[188] Robert Estienne traduit le passage d’Aristote de la manière suivante : « Quant à la seureté des choses, c’est qu’elles soient en tel lieu, et de telle façon possédées qu’il soit en nous d’en user tant qu’il nous plaira. Comme aussi la propriété d’icelles consister à les pouvoir aliéner : par cette aliénation j’entens la donation et la vente ». Cf. Aristote, Rhétorique, trad. Robert Estienne, Paris, 1630, liv. I, chap. V, p. 25. André Bauduyn de la Neufville propose quant à lui la traduction suivante : « J’entends posséder avec seureté et sans trouble quand on possède une chose en tel lieu, et de telle manière, qu’il est en la puissance de celui qui la possède d’en jouir, et d’en aliéner la propriété à sa volonté : or toute aliénation se fait par donation ou par vente ». Cf. Aristote, La rhétorique royale d’Aristote, trad. [André Bauduyn de la Neufville], Paris, 1672, liv. I, chap. V, p. 48. Sous la plume de François Cassandre, ce passage est ainsi présenté : « On possède en propre une chose lorsqu’on la peut aliéner ; j’appelle aliéner la vendre ou la donner ». Cf. Aristote, Rhétorique, trad. François Cassandre, Paris, 1675, liv. I, chap. V, p. 42. De plus, comme le remarque Bernardi, il est également possible que Rousseau ait eu recours à une traduction latine. Bruno Bernardi, « De l’alienatio à… », p. 70-71.

[189] Bruno Bernardi, « De l’alienatio à… », p. 72-73.

[190] [Élie Luzac], Lettre d’un anonime…, p. 39.

[191] Bruno Bernardi, « De l’alienatio à… », p. 73.

[192] Id. D’après monsieur Bernardi, si Luzac ne peut adhérer à la définition aristotélicienne de l’aliénation c’est parce qu’il raisonne dans un contexte de « droit subjectif » dont Grotius est l’initiateur. La propriété, comme tous les autres droits subjectifs y est facultas moralis in re, et, de manière réciproque, tout transfert de droit devient aliénation.

[193] Id.

[194] Bruno Bernardi, « De l’alienatio à… », p. 73. Pour le texte original et les traductions françaises, se reporter aux éditions précédement citées en note.

[195] Ibidem, p. 74.

[196] Id. « Propriété » appelée « possession en propre » par Barbeyrac dans sa traduction du passage du De iure belli ac pacis mentionnant le lien établi par Aristote entre aliénation et propriété. Cf. Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix avec des notes de l’auteur même, qui n’avoient point encore paru en françois ; et de nouvelles notes du traducteur, trad. Jean Barbeyrac, I, Amsterdam, 1ère éd., 1724, liv. II, chap. VI « De l’aquisition derivée, produite par le fait d’un Homme : Où l’on traite de l’Alienation de la souveraineté et des biens de la souveraineté », §1, p. 314. Texte cité supra. Sur la distinction entre dominium, proprium et proprietas chez Grotius voir partie I/A/2 note 58 supra et la note 223 de cette partie II/B infra. Pour d’autres traductions de ce passage d’Aristote voir également partie I/A/2 note 58 supra ainsi que dans cette partie II/B la note 188 supra.

[197] Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine…, p. 153-155 : « Puffendorf dit que tout de même qu’on transfere son bien à autrui par des conventions et des contrats, on peut aussi se dépouiller de sa liberté en faveur de quelqu’un. C’est là, ce me semble, un fort mauvais raisonnement : car, premièrement, le bien que j’aliene me devient une chose tout à fait étrangere et dont l’abus m’est indifférent ; mais il m’importe qu’on n’abuse point de ma liberté, et je ne puis, sans me rendre coupable du mal qu’on me forcera de faire, m’exposer à devenir l’instrument du crime. De plus, le droit de propriété n’étant que de convention et d’institution humaine, tout homme peut à son gré disposer de ce qu’il possede : mais il n’en est pas de même des dons essentiels de la nature, tels que la vie et la liberté, dont il est permis à chacun de jouir, et dont il est au moins douteux qu’on ait droit de se dépouiller : en s’ôtant l’une on dégrade son être ; en s’ôtant l’autre on l’anéantit autant qu’il est en soi : et comme nul bien temporel ne peut dédommager de l’une et de l’autre, ce seroit offenser à la fois la nature et la raison que d’y renoncer, à quelque prix que ce fût […] ». Bruno Bernardi, « De l’alienatio à… », p. 74. Selon Bernardi, l’analogie est réfutée dans la suite des développements, mais sans être explicitée. Cfibidem, p. 67.

[198] Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine…, p. 154.

[199] Bruno Bernardi, « De l’alienatio à… », p. 74.

[200] Dans un autre passage du second Discours, Rousseau semble considérer que les biens, au même titre que la vie et la liberté, constituent l’être de l’Homme. Il y écrit en effet « […] protéger leurs biens, leurs libertés et leurs vies qui sont, [pour les hommes], pour ainsi dire, les éléments constitutifs de leur être ? ». Cf. Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine…, p. 145. Pour Bruno Bernardi, « De l’alienatio à… », p. 74, les développements de Rousseau cités supra montrent bien, que, pour ce dernier, seuls la vie et la liberté sont constitutifs de l’être. La précédente expression s’expliquerait par la reprise, par Rousseau, d’un syntagme – groupe de mots formant une unité à l’intérieur de la phrase − emprunté à Locke (†1704). Cf. John Locke, Two treatises of government, London, 1821, b. II, chap. IX Of the Ends of Political Society and Government, §123 : […] to have a min to unite, for the mutual preservation of their lives, liberties and estates, which I call by the general name, property ;  John Locke, Traité du gouvernement civil om l’on traitte de l’origine, des feondmes, de la nature, du pouvoir et des fins des sociétez politiques, trad. [David Mazel], Amsterdam, 1691,  chap. VIII « Des fins de la société et du gouvernement politique », p. 161 : « […] ou qui ont pour dessein de s’unir et de composer un Corps pour la conservation mutuelle de leurs Vies, de leurs Libertez, et de leurs Biens ; choses que j’appelle, par nom général, Propriétez » ; John Locke, Traité du gouvernement civil, trad. L. C. R. D. M. A. D. P, Amsterdam, 5 éd., 1755, liv. II, chap. VIII « Des fins de la société et du gouvernement politique », p. 170 : « […] ou qui ont dessein de s’unir et de composer un corps, pour la conservation mutuelle de leurs vies, de leurs libertés et de leurs biens, choses que j’appelle, d’un nom général, propriétés ». Le lecteur pourra constater la répétition de ce syntagme dans d’autres passages de l’œuvre. Sur la connaissance par Barbeyrac de conception voir Victor Goldschmidt, Anthropologie et politique…, p. 438.

[201] Bruno Bernardi, « De l’alienatio à… », p. 74

[202] Il peut en effet être supposé, mais non prouvé, que Rousseau, conscient de l’utilité que représente, pour sa critique de l’esclavage, la conception aristotélicienne de l’aliénation, a consciemment adopté cette dernière. Cette problématique n’est pas soulevée dans l’article de Bernardi. L’hypothèse d’une utilisation délibérée d’Aristote par Rousseau − et non d’une simple identité de fait entre les conceptions de ces deux auteurs − est néanmoins probable. La dette de Rousseau envers Aristote n’est sans doute pas limitée à la notion d’aliénation ni au texte de la Rhétorique utilisé par Grotius. Il peut par exemple être remarqué qu’une référence à Aristote apparaît, sur la page de titre des éditions de 1755 d’Amsterdam et de Dresde du Discours sur l’origine et les fondemens [parfois orthographié « fondements »] de l’inégalité parmi les hommes : « Non in depravatis, sed in his quae bene secundum naturam se habent, considerandum est quid sit naturale. Aristot. Polic. L. 2 ».

[203] Bruno Bernardi, « De l’alienatio à… », p. 74

[204] Ibidem, p. 75.

[205] Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social…, liv. I, chap. IV « De l’esclavage », p. 8-9, texte cité supra.

[206] Ibidem, p. 9. Au sujet de l’hypothèse d’une influence de Montesquieu sur Rousseau pour ce point voir partie II/A supra.

[207] Bruno Bernardi, « De l’alienatio à… », p. 75. Si cela n’apparaît pas dans les développements de Bernardi, il peut être remarqué, que, dans le second Discours, seule la renonciation à la vie constitue un anéantissement de son être. La renonciation à la liberté n’est envisagée que comme une dégradation de ce dernier. Si Bernardi applique ici la notion d’anéantissement à la liberté, c’est peut-être en raison de la problématique spécifique du don. Si le don de sa liberté revient à un anéantissement de son être c’est parce que, n’offrant pas de contrepartie à la perte de la liberté, il revient à un anéantissement de son être. Dans cette logique, la vente de la liberté, en offrant une contrepartie apparente à la perte de la liberté, pourrait n’être considérée que comme dégradation de l’être.

[208] Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social…, liv. I, chap. IV « De l’esclavage », p. 9-10.

[209] Bruno Bernardi, « De l’alienatio à… », p. 75.

[210] Id.

[211] Bernardi souligne que ce mode d’organisation de la pensée est fréquent chez Rousseau. Cf. Ibidem, p. 64.

[212] Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social…, liv. I, chap. IV « De l’esclavage », p. 10-11.

[213] Bruno Bernardi, « De l’alienatio à… », p. 75.

[214] Id.

[215] Ibidem, p. 76.

[216] Id.

[217] Id. Sur la référence à Locke, voir note 200 supra.

[218] Ibidem, p. 75-76.

[219] Ibidem, p. 76.

[220] Id. Selon Bernardi, Rousseau va ainsi « jusqu’à ce point ultime où commence l’histoire moderne, hégélienne puis marxienne, du concept d’aliénation ». Il précise cependant que la conception de l’aliénation dégagée dans les développements de Rousseau présentés ici ne fait pas obstacle à son retour – à première vue paradoxal – dans la formulation de la clause unique du contrat social « l’aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté ». La présence de la notion d’aliénation dans cette formulation est souhaitée par Rousseau et ne remet pas en cause la validité dudit contrat social. C’est parce que Rousseau est conscient du caractère paradoxal de son énoncé qu’une part des développements du chapitre six du Contrat social ont précisément pour objet de montrer ce qu’est l’aliénation du contrat social. Or, pour Bernardi, cette dernière se révèle « aussi différente de l’aliénation d’un bien que le contrat social l’est du contrat synallagmatique ». En effet, selon Bernardi, l’aliénation du contrat social est « si particulière qu’elle efface toute altérité ». En effet, Rousseau lui-même précise que « chacun se donnant à tous ne se donne à personne ». Cf. Ibidem, p. 76-77 et Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social…, liv. I, chap. VI « De l’esclavage », p. 18.

[221] Bruno Bernardi, « De l’alienatio à… », p. 70. Cf. Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix avec des notes de l’auteur même, qui n’avoient point encore paru en françois ; et de nouvelles notes du traducteur, trad. Jean Barbeyrac, I, Amsterdam, 1ère éd., 1724, liv. II, chap. VI « De l’aquisition derivée, produite par le fait d’un Homme : Où l’on traite de l’Alienation de la souveraineté et des biens de la souveraineté », §1, p. 314.

[222] Hugo Grotius, De iure belli ac pacis libri tres. In quibus jus Naturae et Gentium, item iuris publici praecipua explicantur, Moeno-Francofurti, 1626, lib. II, cap. VI De acquisitione derivativa facto hominis, ubi de alienatione imperii, et rerum imperii, §1, p. 185.

[223] Hugo Grotius, De iure belli ac pacis. In quibus jus naturae et Gentium : item juris publici praecipua explicantur. Editio secunda emendatio, et multis locis auctior, Amsterdami, 2e éd., 1631, lib. II, cap. VI De acquisitione derivativa facto hominis, ubi de alienatione imperii, et rerum imperii, §1, p. 151. Bien que Grotius semble considérer la vie comme une propria, elle ne serait pas pour lui une proprietas au sens de la définition entendue par Arisote. En effet, dans le système de Grotius, la vie ne peut être aliénée. Cf. Hugo Grotius, De iure belli ac pacis libri tres. In quibus jus Naturae et Gentium, item iuris publici praecipua explicantur, Moeno-Francofurti, 1626, lib. I, cap. II An bellare unquam iustum sit, §1, p. 17 Voir également partie I/A/2, note 58 supra.

[224] Hugo Grotius, De iure belli ac pacis libri tres. In quibus jus Naturae et Gentium, tiem iuris publici praecipua explicantur. Editio nova cum Annotatis Auctoris ex postrema ejus ante obitum cura multo nunc auctior, Amsterdami, 1646, lib. II, cap. VI De acquisitione derivativa facto hominis, ubi de alienatione imperii, et rerum imperii, §1, p. 170.

[225] Hugo Grotius, De Jure belli ac pacis libri tres, In quibus jus Naturae et Gentium, item iuris publici praecipua explicantur. Editio novissima cum Annotatis Auctoris ex postrema ejus ante obitum cura […] nec non Joann. Frid.  Gronovii V. C. notae in otum opus de Jure Belli ac Pacis, Amsterdami, 1680, lib. II, cap. VI De acquisitione derivativa facto hominis, ubi de alienatione imperii, et rerum imperii, §1, p. 186-187.

[226] Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, trad. Antoine de Courtin, I, Paris, 1687, liv. II, chap. VI « De l’acquisition dérivée, et premierement de la manière d’acquerir une chose par fait d’homme : où il est traité de l’alienation d’un Etat et des choses qui le concernent », §1, p. 244.

[227] Bruno Bernardi, « De l’alienatio à… », p. 65.

[228] Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix avec des notes de l’auteur même, qui n’avoient point encore paru en françois ; et de nouvelles notes du traducteur, trad. Jean Barbeyrac, I, Amsterdam, 1ère éd., 1724, liv. II, chap. VI « De l’aquisition derivée, produite par le fait d’un Homme : Où l’on traite de l’Alienation de la souveraineté et des biens de la souveraineté », §1, p. 314.

[229] Comme le précise bien le titre de la traduction. Cf. Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix avec des notes de l’auteur même, qui n’avoient point encore paru en françois ; et de nouvelles notes du traducteur, trad. Jean Barbeyrac, I, Amsterdam, 1ère éd., 1724, 518 p.

[230] Comparer par exemple la différence entre Samuel Pufendorf, De iure naturae et gentium, editio secunda, auctior multio et emendatior, Francofurti, 1684, lib. VI, cap. III De potestate herili, §3, p. 926-927 et Samuel Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, trad. Jean Barbeyrac, II, Amsterdam, 5e éd., 1734, liv. VI, chap. III « Du pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs ou sur leurs esclaves », §3, p. 176. Cf. partie I/B/1 supra.

[231] Comparer par exemple la différence entre Samuel Pufendorf, De iure naturae et gentium, editio secunda, auctior multio et emendatior, Francofurti, 1684, lib. VI, cap. III De potestate herili, §7, p. 930-932 et Samuel Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, trad. Jean Barbeyrac, II, Amsterdam, 1ère éd., 1706, liv. VI, chap. III « Du pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs ou sur leurs esclaves », n. 2 sur §7 p. 180 ou Samuel Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, trad. Jean Barbeyrac, II, Amsterdam, 5e éd., 1734, liv. VI, chap. III « Du pouvoir des maîtres sur leurs serviteurs ou sur leurs esclaves » , §7, p 255 et n. 4 sur §7, p. 255. Cf. partie I/B/2 supra.

[232] Voir par exemple Robert Derathé, Jean-Jacques Rousseau…, p. 89-92. Comme le fait remarquer Bernardi, Rousseau lui-même surnomme le plus célèbre des traducteurs de Grotius « le savant Barbeyrac ». Cf. Bruno Bernardi, « De l’alienatio à… », p. 70.

[233] Pour la différence entre le droit romain et Rousseau sur ce point voir la partie I/B/1 supra.

[234] Cf. partie II/A supra.

[235] Hugo Grotius, De iure belli ac pacis libri tres. In quibus jus Naturae et Gentium, item iuris publici praecipua explicantur Moeno-Francofurti, 1626, lib. I, cap. III Belli partitio in publicum et privatum. Summi imperii explicatio, §12, p. 73 : Proprie tamen cum populus alienatur, non ipsi homines alienantur, sed jus perpetuum eos regendi, qua populus sunt. Sic cum uni liberorum patroni libertus assignatur, non hominis liberi fit alienatio, sed jus quod in hominem competit transcribitur. Ce passage est maintenu dans les éditions suivantes du De iure belli ac pacis.

[236] [Élie Luzac], Lettre d’un anonime…, p. 39-41 : « “Aliéner”, c’est, dites-vous, “donner ou vendre”. D’où prenez-vous, Monsieur, cette définition très incomplète, et qui ne convient absolument point ici ? Aliéner dans la signification la plus générale est transférer un droit ; Brisson et Ferrières vous l’apprendront si vous l’ignorez : ce n’est pas seulement en vendant ou en donnant qu’on transfère un droit, mais on le fait de différentes manières, comme vous pouvez encore vous en convaincre dans les premiers éléments de Droit qui vous tomberont sous la main : mais qu’il s’agit ici d’une querelle que vous faites à Grotius, passons le peu d’intelligence avec laquelle vous avez determiné le sens d’aliéner, et voyons si vous n’êtes pas plus repréhensible encore par un autre endroit. Grotius dans le passage où il compare le droit de l’homme à celui d’un peuple, rélativement à l’abdication de la liberté, que nous venons de rapporter, et que vous avez sans doute eu en vue, ne se sert pas du mot aliéner, pourquoi donc le lui prêter ? “Il est permis, (dit-il) à chaque Homme en particulier de se rendre Esclave de qui il veut, comme …. Pourquoi donc un peuple libre ne pourroit pas se soûmettre à une ou plusieurs personnes, en sorte qu’il leur transférât entièrement le droit de le gouverner ?” Il n’y a point d’equivoque dans ces paroles, si vous en trouvez dans celles que vous y substituez, ce n’est pas la faute de Grotius ; il ne parle point d’aliéner, et qui plus est, dans l’endroit, où ce savant homme parle de l’aliénation d’un peuple, il explique ce qu’il faut entendre par le mot aliéner, de sorte que s’il s’en fut servi dans celui que vous attaquez, vous n’auriez, pour le refuter, pu le prendre dans un autre sens qu’il ne le fait. Grotius, Droit de la guerre et la paix, Liv. I, Ch. III., §. 12. “Mais (dit cet illustre écrivain), à proprement parler, quand on aliene un Peuple, ce ne sont pas les hommes dont il est composé que l’on aliène, mais le droit perpétuel de les gouverner, considérés comme un corps de Peuple” ». Luzac cite ici la traduction de Barbeyrac. Voir par exemple Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix avec des notes de l’auteur même, qui n’avoient point encore paru en françois ; et de nouvelles notes du traducteur, trad. Jean Barbeyrac, I, Amsterdam, 1ère éd., 1724, liv. I, chap. III « Où l’on traite des differentes sortes de Guerre ; et l’on explique la nature de la Souveraineté », §12, p. 138.

[237] Bruno Bernardi, « De l’alienatio à… », p. 71.

[238] [Élie Luzac], Lettre d’un anonime…, p. 39-41.

[239] Bruno Bernardi, « De l’alienatio à… », p. 71.

[240] Ibidem, p. 70.

[241] Ibid., p. 71-72.

[242] Pour une présentation détaillée du lien entre l’analogie de Grotius et I., 1, 3, 4 voir partie I/A/1 supra.

[243] Voir sur ce point le raisonnement de Bernardi présenté supra dans cette même partie II/B.

[244] C’est moins le texte de I., 1, 3, 4 en lui-même que l’utilisation qu’en fait Grotius à l’appui de son analogie qui permet de considérer que l’auteur du De iure belli ac pacis envisage la figure de la vente de la liberté. En effet, la vente ad pretium participandum romaine prend l’apparence d’une simple vente d’esclave. Ce n’est donc pas à proprement parler l’homme libre qui vend directement sa liberté. S’il se laisse vendre comme esclave avec pour objectif de jouir d’une partie du prix de sa vente, il compte bien ne pas rester esclave. Cf. partie I/A/1 supra.

[245] La délimitation de l’aliénation figurant au paragraphe 12 du chapitre trois du livre un du De iure belli ac pacis, utilisée par Luzac pour mettre à mal la définition de la notion d’aliénation adoptée par Rousseau, apparaît donc concurrencée par la définition aristotélicienne du concept d’aliénation amenée par la référence de Grotius à Aristote au paragraphe un du chapitre six du livre deux de la même œuvre. Il peut toutefois être avancé à l’encontre de l’hypothèse d’une telle concurrence que le passage du paragraphe 12 sur lequel s’appuie Luzac est plus proche du passage de l’analogie (même chapitre) que celui sur la définition aristotélicienne retenu par Bernardi.

[246] Bruno Bernardi, « De l’alienatio à… », p. 68.

[247] Id. Voir également Hugo Grotius, Le droit de la guerre, liv. I, chap. III « Où l’on traite des differentes sortes de Guerre ; et l’on explique la nature de la Souveraineté », §12, p. 138.

[248] Bruno Bernardi, « De l’alienatio à… », p. 68.

[249] Ibidem, p. 69.

[250] Id. Voir également Hugo Grotius, De iure belli ac pacis libri tres. In quibus jus Naturae et Gentium, item iuris publici praecipua explicantur, Moeno-Francofurti, 1626, lib. I, cap. III Belli partitio in publicum et privatum. Summi imperii explicatio, §11 et 12, p. 71-74. Au début du §11, p 71, Grotius explique la configuration que Bernardi appelle « monarchie patrimoniale ». Cela correspond au cas où le roi détient la couronne non à titre d’usufruit mais en pleine propriété par exemple si le roi a acquis la souveraineté par droit de conquête, ou si un peuple s’est livré sans réserve, afin d’éviter un mal encore plus important : […] reges denique tam qui primi eliguntur, quam qui electis legitimo ordine succedunt, iure usufructuario : at quidam reges pleno iure propietatis, ut qui iusto bello imperium quaesiverut, aut in quorum ditionem populus aliquis, maioris mali vitandi causa, ita se dedidit ut nihil exciperetur. Là encore, ce passage est maintenu dans les éditions suivantes du De iure belli ac pacis. Bernardi remarque également qu’un argument similaire empêche de justifier par l’influence de Hobbes sur Rousseau, la désignation, dans le Contrat social, du don et de la vente comme les deux seules formes concrètes de l’aliénation. En effet, si dans son De cive, Hobbes écrit Quod autem quis testamento transferre in alium potest, id eodem jure donare, vel vendre, vivens potest : cuicunque ergo is summum imperium tradiderit, sive dono, sive pretio, jure traditur il traite lui aussi d’un type de monarchie spécifique : les monarchies successorales. Thomas Hobbes, Elementa philosophica de cive, Amsterdam, 1647, cap. IX De iure parentum in liberos, et de Regno Patrimonali, §12 et 13, p. 156.

[251] [Élie Luzac], Lettre d’un anonime…, p. 40-41, texte cité en note 236 supra.

[252] Jean-Jacques Rousseau, œuvres complètes, éd. Bernard Gagnebin et Marcel Raymond, III, Du contrat social ou principes du droit politique, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1964, note 3 p. 1458 de Robert Derathé sur liv. I, chap. IV « De l’esclavage ».

[253] Id : « Mais on le trouve un peu plus loin […] ». Cf. Hugo Grotius, Le droit de la guerre…, liv. I, chap. III « Où l’on traite des differentes sortes de Guerre ; et l’on explique la nature de la Souveraineté », §12, p. 138.

[254] Jean-Jacques Rousseau, œuvres complètes, éd. Bernard Gagnebin et Marcel Raymond, III, Du contrat social…, note 3 p. 1458 de Robert Derathé sur liv. I, chap. IV « De l’esclavage ».

[255] [Élie Luzac], Lettre d’un anonime…, p. 41 : « Ainsi, Monsieur, Vous faites dans une periode très-courte, trois bevues grossières et impardonnables dans un Ecrivain même de la plus basse classe. 1e. Vous censurez dans un Auteur une expression qu’il n’a pas employée. 2e. Vous donnez pour équivoque un mot qui ne l’est point dans l’ouvrage de celui que vous censurez. 3e. Vous limitez le sens de ce mot contre la signification ordinaire et généralement adoptée. Au reste pour prévenir que vous ne m’accusiez d’avoir pris d’autres passages que ceux que vous avez eus en vue, je prendrai la liberté de Vous représenter, qu’il n’a tenu qu’à Vous, Monsieur, de les indiquer, et de prévenir par cette exactitude, qu’on a droit d’exiger de tout Ecrivain qui en attaque un autre […] ».

[256] Il semble également difficile de dresser une conclusion qui donnerait un résultat scientifique brut de la présente enquête. En effet, les problématiques suscitées par les références à I. 1, 3, 4 dans la doctrine du droit naturel moderne ont conduit à opérer des développements sur des points précis qui, s’ils mettent en lumière la récurence et l’importance des problèmes de traduction, peinent à illustrer une logique générale. De même, le rapport et l’apport de cette étude à la doctrine existante sont variables. Ainsi, si certaines références à I., 1, 3, 4 ont été relevées par des auteurs comme Martine Pécharman ou Alessandro Tucillo, leurs remarques sur ces dernières restent très accessoires au regard de l’objet principal de leurs études. Ni la question des références à la vente ad pretium participandum dans la doctrine du droit naturel moderne, ni celle de leur influence éventuelle sur la philosophie des lumières ne semblent avoir fait l’objet d’une précédente étude. Néanmoins, sur plusieurs points, notre présentation s’appuie très largement sur des travaux antérieurs, mis ici au service de la problématique des références à I., 1, 3, 4 (développements de Martine Pécharman et de Bruno Bernardi par exemple).

[257] Ce choix des références à I., 1, 3, 4 dans la doctrine du droit naturel moderne comme point de départ de la présente contribution conduit néanmoins cette dernière à omettre une étape majeure : celle de la question de l’esclavage volontaire chez les auteurs médiévaux. En effet, ni Grotius, ni Pufenforf, ni Barbeyrac ne font référence au traitement réservé à I., 1, 3, 4 par les glossateurs et commentateurs – ce qui peut d’ailleurs paraître curieux au regard des recours fréquents de ces trois auteurs modernes aux interprétations médiévistes du droit romain sur d’autre points. Ainsi, si les travaux des glossateurs et commentateurs sur les textes du Corpus iuris civilis ayant trait à la vente ad pretium participandum n’ont pas été convoqués dans la présente étude, cette dernière semble a posteriori inviter à la recherche de ces argumentations médiévales. En sus de faire apparaître de nouvelles problématiques, une telle démarche pourrait conduire à compléter la présente étude voire à remettre en cause certaines de ses conclusions.

[258] Cf. partie I/A/2 et partie I/B. Comme il a été exposé au début de la partie I/B/2, si, pour Grotius, la servitude des prisonniers de guerre ne repose pas sur une convention d’esclavage fondée sur le consentement du vaincu, l’auteur du De iure belli ac pacis structure néanmoins cette servitude par des obligations mutuelles permanentes du maître et de l’esclave.

[259] Ce terme est ici entendu dans un sens large, comme visant les divers liens de contrainte pouvant s’établir entre les individus.

[260] François Terré, Philippe Simler, Yves Lequette, Droit civil : les obligations, Paris, Dalloz, 11e éd., 2013, p. 32.

[261] Être.

[262] Devoir.

[263] Pouvant être défini comme un contrat momentané d’esclavage sexuel, la pratique du sadomasochisme conserve un lien avec l’idée de renonciation volontaire à sa propre liberté.

[264] Cette notion de dignité humaine n’est certes pas sans lien avec celle de liberté humaine : tout comme cette dernière, elle peut en effet être considérée comme une norme issue de l’être humain, une finalité de ce dernier. Sur les problématiques juridiques et philosophiques amenées par les pratiques ici mentionnées et la définition des notions de dignité humaine et d’indisponibilité du corps humain, voir par exemple Tanella Boni, « La dignité de la personne humaine : De l’intégrité du corps et de la lutte pour la reconnaissance », Diogène, CCXV-3, 2006, p. 65-76 ; Robert Carvais, « L’indisponibilité du vivant », Hypothèses, X-1, 2007, p. 391-402 ; Guy Dupaigne, Catherine Jeanesson-Brunet, « Corps humain et commerce juridique », Revue juridique de l’Ouest, numéro spécial, Question bioéthiques, réponses juridiques, 1991, p. 181-193 ; Marie-Xavière Catto, « La gestation pour autrui : d’un problème d’ordre public au conflit d’intérêts ? », La Revue des droits de l’homme, III, 2013, http://journals.openedition.org/revdh/201 ; Geneviève Delaisi de Parseval, Chantal Collard, « La gestation pour autrui : un bricolage des représentations de la maternité et de la paternité euro-américaines », L’Homme, CLXXXIII, 2007, p. 29-53 ; Sarah-Marie Maffesoli, « Le traitement juridique de la prostitution », Sociétés, IC, 2008, p. 33-46 ; Diane Lavallée, « La prostitution : profession ou exploitation ? » Éthique publique, V-2, 2003, http://journals.openedition.org/ethiquepublique/2078 ; Jeanne Lecomte, Patricia Hennion, « Le principe de dignité humaine dans les lois de bioéthique », Revue juridique de l’Ouest, 2004, p. 47-106 ; Véronique Poutrain, « Un corps sans limites : sadomasochisme et auto-appartenance », Cités, XXI-1, 2005, p. 31-45. Voir également Michel Levinet « La notion d’autonomie personnelle dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », Jean-Pierre Marguénaud, « Liberté sexuelle et droit de disposer de son corps », François Viangalli, « Le consentement à la violence et la règle Volenti non fit injuria dans la responsabilité civile », Bénédicte Lavaud-Legendre, « Le droit pénal, la morale et la prostitution : les liaisons dangereuses », Xavier Pin, « Le consentement à lésion de soi-même en droit pénal. Vers la reconnaissance d’un fait justificatif ? », Bernard Edelman, « Naissance de l’homme sadien », Droits : revue française de théorie, de philosophie et de culture juridiques, IL-2, La liberté du consentement. Le sujet, les droits de l’Homme et la fin des « bonnes mœurs », 2009, p. 3-18, p. 19-27, p. 29-56, p. 57-81, p. 83-105, p. 107-133. Sur le recul de la notion de « bonnes mœurs » face à celle de dignité humaine voir Frédéric Charlin, « La Cour de cassation, des bonnes mœurs à la dignité humaine ? », Pravnik, CXXXIII, Janez Kranjc (dir.), Le juge dans l’histoire : entre création et interprétation du droit, Actes des journées internationales de la Société d’Histoire du Droit, Ljublana 5-8 Juin 2014, 2016, p. 209-226.

[265] Cf. partie I/A.

[266] Code civil, article 16, paragraphe un, alinéa trois : « Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ».

 

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