Les Affranchis au service des intrigues impériales

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Gurvane Wellebrouck

 


Résumé : Dans le droit romain, l’acte de manumissio qui amenait à l’affranchissement d’un esclave ne rompait cependant pas définitivement le lien qui l’engageait avec son maître, aussi il est intéressant de comprendre sous quelles formes l’esclave libéré, le libertus, pouvait entretenir ces obligations, basées sur la loyauté et le respect envers celui qui était désormais son patronus. Cette situation, vécue aussi bien par les affranchis privés que ceux au service de l’Empereur, sera l’objet de notre étude. La position des affranchis impériaux constituant la familia Caesaris révélait souvent le prestige qui les entourait ainsi que leur personnalité car beaucoup d’entre eux identifiaient proximité et collusion avec le pouvoir. À l’appui de textes d’historiens de l’Empire romain, en particulier l’œuvre de Tacite, cette étude aura pour cadre le règne de Néron jusqu’à l’année 69 apr. J. –C., et s’interrogera sur la façon dont certains de ces affranchis furent au cœur des intrigues impériales et des luttes pour le pouvoir dans cette époque troublée de l’histoire romaine.

Mots-clés : Rome, empire, affranchis, pouvoir, histoire.


Gurvane Wellebrouck, née le 25/07/1971. Professeur certifié de Lettres Classiques au Collège Louis Lumière de Marly-le-Roi (78). Titulaire d’un doctorat de Lettres Classiques ; thèse soutenue en 2016 à l’Université Paris-IV Sorbonne, intitulée Présence et ambitions des affranchis dans l’Empire romain. Actuellement membre associé à l’équipe Themam-ArScAn UMR 7041 Université Paris-Ouest Nanterre. Mes recherches portent sur la civilisation romaine impériale, en particulier sa population affranchie grâce à l’étude des textes latins et grecs et l’analyse épigraphique, en particulier de leurs épitaphes funéraires. Une des publications ayant trait à ces recherches : Claudia Acte : le destin d’une affranchie, article paru dans le BAGB, 2017-1.

wellebrouck.gurvane@orange.fr


Introduction

À Rome, l’affranchi, qu’il fût l’esclave d’un citoyen modeste ou celui d’un personnage puissant, devait continuer à manifester sa fidélité et sa loyauté envers son ancien maître, une fois que ce dernier l’avait libéré. Il s’agissait des operae, ou devoirs, qui prenaient alors un aspect concret, notamment lorsque l’affranchi escortait son patron ou lui tenait lieu de confident, situation plus répandue chez les affranchis impériaux car ils étaient au fait de la politique du prince et de ses tractations[1]. Au cours de la période julio-claudienne jusqu’à la période charnière que fut la succession de Néron[2] , nous verrons que les affranchis impériaux ne demeurèrent pas des êtres obscurs mais révélèrent souvent une inclination pour les intrigues et les complots rapportés dans les textes des historiens, notamment ceux de Tacite, Suétone et Dion Cassius. Sous son règne, Claude avait davantage remis le pouvoir à de grands secrétaires impériaux, leur laissant toute latitude pour représenter le pouvoir. Mais au cours des règnes suivants, ces affranchis furent intégrés aux propres intrigues du Princeps ce qui les amena parfois à agir de façon transgressive.  C’est cette place centrale qu’ils occupèrent auprès de l’empereur qui fit diriger les regards des historiens sur eux et eut tendance à les desservir. En effet, cette posture devint un élément récurrent sous la plume des historiens de l’Empire romain, en particulier celle de Tacite, dont le jugement est souvent partial à l’égard des affranchis[3]. En effet, nombreux sont ses textes où le ton et le vocabulaire sont employés avec l’intention de décrire ces hommes au service du pouvoir comme des êtres machiavéliques, prêts à toutes les manœuvres dans le but de plaire au Prince. Ainsi, les différents portraits d’affranchis impériaux que nous allons présenter dans cette étude apparaîtront, certes, dépendants du style et du point de vue des historiens qui rapportent leurs actes, mais aussi de cette incorruptam fidem préconisée par Tacite[4], soucieux de rapporter les événements dans toute leur vérité. Plongés au sein de l’histoire impériale, jalonnée de crimes et d’antagonismes entre clans luttant pour la place suprême, nous nous interrogerons par conséquent sur le rôle que purent avoir ces affranchis, mus par ce lien de servilité envers leur maître, ainsi que sur leur implication dans le jeu politique du Ier siècle apr. J.-C.

Le règne de Néron

Dévouement et abnégation

Du règne de Néron à celui de Vitellius, la vie politique romaine connut de fréquents rebondissements, ne connaissant alors que peu d’années de répit. Epris de pouvoir, certes, mais ressentant aussi une perpétuelle méfiance vis-à-vis de leur entourage, les empereurs s’entouraient d’hommes fidèles, qu’ils connaissaient souvent depuis longtemps, et en faisaient leurs confidents. Parmi ces membres de la familia impériale figurait le groupe des affranchis, anciens esclaves à l’effectif important et désignés dans les textes par le terme générique de liberti. Les historiens antiques ont précisé le rôle de certaines figures marquantes qui restèrent célèbres[5] et qu’un point commun unissait : la loyauté envers leur maître, qui allait les amener à commettre les plus basses actions, sans oublier, cependant, que ce lien était aussi le poids de leur origine servile. Ainsi, quand Néron chercha à se débarrasser de sa mère Agrippine, c’est de son affranchi Anicetus que vint la solution. En tant que préfet de la flotte de Misène, celui-ci s’était proposé pour aménager le navire d’Agrippine de sorte à ce qu’une partie se détachât et entraînât la mère de Néron dans un naufrage. L’affranchi mit donc ses connaissances et son professionnalisme – l’ingenium dont parle Tacite dans les Annales [6]– au service de l’empereur mais sa motivation était aussi personnelle car il était non seulement rempli de haine envers la mère de Néron, qui le lui rendait bien, au vu de la formule utilisée mutuis odiis[7], mais il était aussi présenté comme l’educator de l’empereur, c’est-à-dire celui qui l’avait élevé, charge partagée avec Beryllus, qu’ils avaient reçue en 41, à la mort du père de Néron[8]. C’était donc bien une marque de sa fides que l’affranchi souhaitait montrer dans ce stratagème. Par la suite, Anicetus sera par deux fois l’émissaire de Néron : en effet, le premier plan avait échoué car Agrippine survécut au naufrage de son bateau, contrairement à l’une des femmes de sa suite, nommée Acerronia[9]. Une fois rentrée chez elle, elle trouva l’affranchi accompagné d’un centurion et d’un triérarque, prêts à finir leur mission[10]. Avant même qu’il ne soit accompli, le meurtre d’Agrippine apparut comme une délivrance pour Néron qui attribua la cause de cette joie à son affranchi[11]. Cette phrase, rapportée par Tacite, montre aussi la position que l’historien veut donner à l’affranchi. Les mots imperium et libertus, grâce à l’antithèse, mettent en valeur ce lien ténu entre pouvoir et servilité, incarné ici par Anicetus, car c’est, paradoxalement, d’un affranchi que l’empereur avait obtenu sa délivrance.

Anicetus sera de nouveau le jouet de Néron au moment de sa rupture avec son épouse Octavie, qu’il avait accusée d’adultère afin de l’éloigner de Rome et, par la suite, de lui donner la mort. C’est Anicetus que Néron choisit encore pour supporter la culpabilité de cet adultère, lui rappelant son rôle lors de la mort d’Agrippine et lui promettant de fortes récompenses[12]. La première phase de cette entrevue est à considérer comme le discours d’un maître à son esclave, sur lequel il avait toute puissance, dont celle de tuer. L’affranchi n’avait aucun intérêt à refuser ce que Néron lui demandait de faire, et se devait d’obéir. La deuxième phase de ce face à face va montrer une loyauté, poussée cependant à l’extrême, puisqu’Anicetus accroîtra sa culpabilité de crimes qu’on ne lui attribuait même pas[13]. Cette attitude illustre la personnalité propre à certains affranchis impériaux, au service de maîtres eux-mêmes retors et manipulateurs, puisqu’ils cherchaient à impressionner l’empereur en lui rendant service au-delà de sa demande, au péril de leur vie ou de leur réputation. Tacite, dans ce passage, qualifie même cette attitude de « contraire à la raison » avec le terme uaecordia, composé de la particule de sens privatif ue– et du nom cor, siège de la raison. Le terme flagitium, par ailleurs, qui exprime une action déshonorante, une infamie, est ici employé à l’égard d’Anicetus comme il le fut pour décrire Acratus, un autre serviteur de Néron missionné par l’empereur pour piller et renflouer le trésor de l’Etat : ille libertus cuicumque flagitio promptus[14]. Nous voyons donc combien, chez ces affranchis, la volonté de devancer les services réclamés était présente. Une fois ce complot fomenté et exécuté, qu’advint-il des récompenses promises à Anicetus ? Celui-ci fut mis à l’écart en Sardaigne, terre d’exil traditionnelle, financièrement nanti et y attendit la mort[15]. Ses fonctions, pourtant, lui avaient donné une place importante dans l’aula Caesaris, comme en témoigne une inscription en son honneur, exécutée certainement par l’un de ses affranchis, dont le nom est malheureusement perdu[16].

La manifestation de la fides de la part d’un affranchi envers son maître a souvent été rapportée par l’auteur des Histoires et des Annales ; cependant, ce fut surtout pour y trouver des occasions de donner libre cours à ses critiques acerbes envers le trop grand zèle des anciens esclaves dont il voyait, à cette époque, la prééminence sur les autres organes du pouvoir, en particulier le Sénat. Soulignant ainsi la noirceur des actes infâmants des affranchis impériaux, c’est surtout l’absence de réaction ou de capacité à agir de la part des institutions romaines de l’époque que Tacite mettait en valeur, ce qui amena certains critiques, comme Ronald Mellor, à le considérer comme un historien moraliste[17], nostalgique de l’époque républicaine où les valeurs ancestrales, dont la fides faisait partie, n’étaient pas dévoyées comme elles le furent, selon lui, à cette époque de l’Empire.

Emissaires et hommes de main

Les services rendus par les affranchis impériaux eurent le plus souvent, nous venons de le voir avec l’exemple d’Anicetus, des motivations machiavéliques dans le but de porter atteinte à des ennemis ou des gêneurs de l’Empire. C’est ainsi que de nombreux personnages, acculés au suicide ou exécutés, le furent par l’entremise de ces affranchis nommément désignés dans les textes, tels Evodus, Cleonicus et Helius, affranchis impériaux lors du règne des Julio-Claudiens. Lors du règne de Claude, particulièrement en l’année 48 apr. J.-C., la haine suscitée par Messaline, sa troisième épouse, fut immense parmi une frange des affranchis, notamment ceux qui suivaient l’opinion de Narcisse envers elle depuis qu’elle avait mis à mort l’affranchi Polybe, secrétaire a studiis et a libellis[18]. Narcisse, inquiet, en effet, de constater que Claude était tenté de revenir sur sa décision de faire exécuter son épouse, avait précipité les choses en demandant à l’un des serviteurs de constater si Messaline mettait bien fin à ses jours[19]. Ce qu’il faut noter dans cette scène, c’est le rôle particulier que joue l’affranchi Evodus : il est, en effet, missionné par un affranchi qui lui est supérieur, à qui il obéit, confiant dans le fait, qu’à l’origine, l’ordre venait de Claude. Il a, d’une part, la charge de surveiller le tribun et les centurions, mais on le voit aussi injurier Messaline qui n’est pas encore morte. Evodus peut, par conséquent, être ici considéré comme le porte-parole de l’empereur qui aurait adressé ces reproches à sa propre épouse. Cependant, dans la suite du drame, l’historien nous précise que Messaline est transpercée par un coup venant du tribun : ictu tribuni transigitur[20]. L’affranchi redevient, à ce moment-là, un observateur du meurtre de Messaline, comme on lui en a intimé l’ordre mais n’en est pas acteur, et ne porte pas la main sur la jeune femme. Cela coïncide avec l’attitude d’Anicetus, décrite précédemment, où le meurtre d’Agrippine fut causé par un coup de bâton infligé par un tiers, le triérarque, puis par les coups de glaive assénés par le centurion. Dans les deux cas, aucun des affranchis n’est exécutant, mais ce sont des soldats qui agissent : on peut l’expliquer par le fait que l’ancien esclave ne pouvait pas donner physiquement la mort à un membre de la familia de son maître, comme à son maître lui-même, au risque de commettre un parricide, crime transgressif réclamant la peine capitale[21]. Toutefois, quand l’ordre de supprimer un ennemi passait cette fois par le poison, les gestes des affranchis impériaux sont plus francs mais, là encore, nous allons constater que les textes sont à lire attentivement. Tout d’abord, à la lecture de Tacite, le nommé Cleonicus eut, sur ordre de Néron, à préparer un poison pour Sénèque, son maître, qui refusait l’idée de s’associer aux cruautés de l’empereur et cherchait à s’éloigner de Rome[22]. Dans un autre cas, Agrippine, au début du règne de son fils, usa des services de l’affranchi Helius quand elle décida de faire disparaître le proconsul d’Asie, Junius Silanus, risque potentiel comme successeur au titre d’empereur[23]. S’il est incontestable que les deux affranchis cités aient été responsables de ces agissements, il faut noter que leurs conduites les exemptèrent, d’une certaine manière : pour Cleonicus, le stratagème ne fonctionna pas car Sénèque n’absorba pas le poison, soit de son propre gré, soit à cause du renoncement final de l’affranchi, manifestation tardive de sa fides. Pour Helius, le fait d’être associé à un chevalier romain servit en quelque sorte à le dédouaner puisqu’un homme au statut supérieur au sien aurait aussi à répondre de cet acte criminel, Helius étant le subordonné du chevalier Publius Celer, procurateur nommé en Asie, qu’il secondait dans cette tâche, maintenant ainsi l’affranchi dans cette condition d’infériorité, par laquelle sa naissance servile faisait face à l’ingenuitas du citoyen de naissance libre.

La trahison au service du pouvoir

Le respect affiché par un affranchi envers celui qui lui avait octroyé la liberté connut cependant des heurts et certains personnages franchirent le pas vers la désobéissance, voire la trahison. Ce fut le cas du dénommé Fortunatus, dont le maître était Lucius Antistius Vetus, nommé procurateur d’Asie en 64 av. J. –C., et beau-père de Rubellius Plautus, que Néron avait fait tuer en 62 av. J.-C., craignant un complot de sa part. De retour à Rome, Vetus et sa fille Antistia Politta, veuve de Plautus, subirent à leur tour les attaques de Néron. L’historien Tacite ne nous explique pas les raisons du comportement de Fortunatus mais il nous dit que, par trahison, cet affranchi poussa son maître et sa famille à se suicider, décision prise par Vetus afin de ne pas céder aux revendications venues de son ancien esclave[24]. Ce dernier avait donc porté des accusations « après avoir détourné les biens de son maître ». Est-ce par le chantage qu’il arriva à ses fins, en l’accusant d’être le complice de son gendre Rubellius, auquel cas l’affranchi aurait été, là encore, l’instrument de Néron ? Cela semble crédible lorsqu’on apprend, dans un passage des Annales[25], que Fortunatus s’était associé à Claudius Demianus, que Néron avait fait libérer à la suite d’une arrestation décidée par le même Vetus. Motivé par la vengeance, Demianus, soutenu par Néron, trouva de fait en Fortunatus un acolyte intéressé et vénal. Une inscription datant du règne de Trajan nous informe également sur cet affranchi. Il s’agit d’une dédicace en l’honneur d’un collège cultuel dédié à Silvanus, bien datée par les noms des consuls de l’année et qui correspondrait à 108 apr. J.-C[26]. Cette dédicace nous permet de lire les tria nomina d’un affranchi impérial : Tiberius Claudius Fortunatus, et de supposer que ce dernier était le même personnage que celui de l’épisode rapporté précédemment. En effet, à la mort de son ancien maître, Lucius Vetus, Fortunatus avait très bien pu passer dans la familia de l’empereur Néron, faisant de lui un affranchi impérial, dont il porterait désormais la nomenclature, puisque l’affranchi romain portait les tria nomina du maître qui l’avait libéré ou de celui à qui il était vendu par la suite. Cependant, la marque de son statut servile résidait toujours dans le cognomen qui était son ancien nom d’esclave. La fidélité prouvée à Néron par l’acte commis ainsi que la titulature sur cette inscription rendent, par conséquent, cette explication plausible.

Un autre épisode du règne de l’empereur Néron fut illustré par la déloyauté d’un affranchi et se déroula lors de la conjuration de Pison, fomentée durant les fêtes dédiées à Cérès. L’un des conjurés, Scevinus, avait un affranchi nommé Milichus. Un soir, celui-ci reçut de son maître l’ordre d’aiguiser un poignard ; or, il s’agissait d’une arme que Scevinus portait sans cesse sur lui, comme un objet sacré[27]. De plus, il ordonna à Milichus de préparer tout un nécessaire de secours[28]. Deux orientations sont proposées par l’historien afin de comprendre le geste de Milichus, qui finira par mettre au grand jour les machinations de son maître. D’une part, inquiet et soupçonneux de la tournure que prenaient les événements, voyant notamment que Scevinus en était même arrivé – comme s’il préparait son testament – à offrir de l’argent et la liberté à ses esclaves favoris, l’affranchi l’aurait trahi en dernier recours, ce qui aurait pu être considéré comme un signal positif, destiné à sauver son patron d’un crime irréparable. Cependant, c’est la perfidie, version privilégiée par Tacite, mue par une âme servile, qui aurait conduit l’affranchi à révéler avec empressement le secret stratagème de Scevinus. Le vocabulaire typiquement tacitéen employé ici dépeint l’affranchi, dont la condition inférieure d’ancien esclave est rappelée[29] : seruilis animus, perfidia, immensa pecunia, potentia, tous termes opposés, dans la suite de la phrase, à ceux que le devoir demande d’un serviteur : fas, salus patroni, libertatis memoria. Milichus, agissant en « perfide », avait brisé la confiance due à son ancien maître, exprimée dans le mot fides, dont la racine est aussi celle de foedus : le pacte, l’alliance. Bien sûr, la motivation de l’affranchi était purement opportuniste et financière, et c’est effectivement ce qui arriva : Néron, une fois averti et le complot déjoué, donna lieu à de vastes représailles sanglantes dans la cité, tandis que l’affranchi était honoré et se confortait de ces largesses[30]. Toutes ces figures de liberti jalonnant le règne des Julio-Claudiens, en particulier celui de Néron, permettent finalement de mieux cerner les intentions politiques de l’empereur car les affranchis en étaient les instruments et la main armée, réalisant souvent dans l’ombre ce que l’empereur ne pouvait se permettre de faire ouvertement. Cependant, face à la condition sociale des affranchis impériaux répondaient le mépris et l’ironie des citoyens de haute naissance, relayés ici par les écrits de Tacite, qui ne gardait le plus souvent d’eux que l’image d’anciens esclaves, rappelant que « quels que soient leur puissance, leurs richesses, les honneurs qu’ils obtiennent, on les confond plus facilement avec les esclaves qu’avec les ingénus[31] ».

La période de troubles : de juin 68 à décembre 69 apr. J. –C. 

Galba et le zèle d’Icelus

À la mort de Néron, la situation politique de Rome apparaissait très chaotique et la présence influente des affranchis impériaux reflétait bien cette instabilité. En effet, dans les textes de Tacite, ces événements nous sont retracés en montrant l’urgence d’une décision à prendre ou l’annonce de nouvelles fausses ou trop vite dévoilées. Le style de l’écrivain est, par ailleurs, très clair lors de ces narrations au cours desquelles le lecteur semble assister à de véritables scènes théâtrales. Ronald Mellor, dans son ouvrage sur Tacite, explique aussi parfaitement le dessein de l’historien, soucieux de décrire une société où le pouvoir se mettait en scène. Les missions octroyées aux affranchis suivirent donc l’atmosphère de cette année durant laquelle trois empereurs se succédèrent au pouvoir.

La première période, durant laquelle Galba succéda à Néron, en juin 68, rapportée, cette fois, selon les propos du biographe Suétone, montre que le futur empereur fut très vite assisté de son affranchi, nommé Icelus[32] dont les partisans de Néron avaient néanmoins reçu l’assurance que le corps de l’empereur fût brûlé tout entier, selon sa volonté. Ayant été jeté en prison au début des émeutes[33] contre Néron, il venait d’être libéré, une fois son maître parvenu au pouvoir ; l’affranchi avait, par conséquent, toute latitude pour exercer sa propre influence. Il la mit d’ailleurs en œuvre dès sa libération puisque c’est lui qui, le premier, annonça à Galba la nouvelle de la mort de Néron, après avoir parcouru rapidement le voyage de Rome jusqu’en Espagne, en sept jours, alors qu’il est précisé que l’été était déjà chaud[34]. Jusqu’en janvier 69, période où des tensions naquirent en défaveur de l’empereur Galba, ce dernier, réalisant que son avenir était incertain, accorda de nombreuses faveurs à trois personnages qui l’avaient servi avec zèle. Parmi eux, Icelus, aux côtés du légat d’Espagne, Titus Vinius et du préfet du prétoire, Cornelius Laco, que Tacite qualifie avec force termes dévalorisants[35]. L’affranchi Icelus avait, de plus, reçu le droit de porter l’anneau d’or, symbole de l’entrée dans l’ordre des chevaliers et put dans le même temps porter le cognomen Marcianus, usité dans ce rang social[36], ce que sa nomenclature définitive nous permet de constater : Servius Sulpicius Icelus Marcianus[37]. Il chercha même à postuler pour le grade supérieur de l’ordre équestre, la préfecture du prétoire mais l’assassinat de Galba, quelques jours plus tard, le 15 janvier, stoppa ses velléités de pouvoir personnel et il fut exécuté en public.

Othon et la fidélité d’Onomastus

Préparant le changement, Othon, alors général de l’armée romaine, fomentait un complot destiné à se hisser à la tête de l’Empire. Là encore, Onomastus, l’un de ses affranchis les plus dévoués, était prêt à le servir aux moments les plus importants[38]. Cet affranchi devint donc le complice le plus proche d’Othon, puisqu’il initia un stratagème fameux qui se déroula le 15 janvier 69. Ayant recruté ses acolytes au sein de l’armée, parmi lesquels Barbius Proculus, un tesserarius, soldat chargé de faire circuler parmi la légion la tessera qui était le morceau de bois ou de métal sur lequel était inscrit l’ordre d’un commandant, ainsi que Veturius, un optio, soldat subalterne. Ce choix n’était pas étonnant puisqu’Othon comptait ses plus fidèles alliés dans l’armée et qu’il cherchait à s’attacher les soldats en leur versant des pots-de-vin ou en aidant en sous-main des soldats et des gardes impériaux[39]. Ce jour du 15 janvier marqua donc la réalisation du complot crucial contre Galba : dès le matin, Othon alla présenter ses respects à Galba, au palais impérial, puis attendit le signal convenu[40]. Ce moment, rapporté par Suétone, s’enrichit de détails comme le lieu fixé, qui était l’endroit du Forum situé près du temple de Saturne, autour du milliaire d’or ; nous apprenons ensuite qu’Othon s’était tout d’abord caché dans une litière de femme puis, en étant descendu, il s’était mis à courir mais qu’arrêté en chemin par une de ses chaussures qui s’était délacée, il fut soudain entouré par des soldats qui le portèrent jusqu’au Forum et le proclamèrent empereur, imperator consalutatus. Cependant, là où l’historien Suétone, dans son récit de cet épisode, ne fait mention que d’un anonyme liberto nuntiante, c’est dans les propos de Tacite qu’il faut lire l’identité de cet affranchi qui est bien celle d’Onomastus[41]. La présence de l’affranchi va, de plus, être précisée à un autre endroit, lorsque l’historien déclare qu’Othon « s’était appuyé sur son affranchi », innixus liberto, « en passant par la domus Tiberiana dans le quartier du Vélabre et que, de là, il devait parvenir sur le Forum,  à la borne du Milliarum aureum, près du temple de Saturne, où vingt-trois éclaireurs le saluèrent du titre d’empereur ». Le geste d’Onomastus, exprimé dans innixus liberto, fut sujet à diverses interprétations, comme celle de Paul Noyen et Gabriel Sanders, qui se sont interrogés sur la signification de cette remarque présente uniquement chez Tacite[42] et sur la cause d’une possible défaillance d’Othon. S’était-il vraiment senti mal, comme le propose Suétone, qui rapporte des rumeurs d’une possible fièvre, l’obligeant à quitter le palais de Galba, après l’annonce de son affranchi ? Cette hypothèse est peu plausible puisqu’Othon avait une excuse toute trouvée avec la venue des architectes qui l’attendaient chez lui et n’allait pas, par conséquent, en trouver une deuxième. De plus, le geste d’aide de l’affranchi intervient au moment de la fuite d’Othon, dont la chronologie est à suivre grâce aux détails fournis par Suétone, Tacite et Plutarque. En effet, selon Suétone, Othon s’enfuit du palais de Galba par une porte dérobée ; il monte dans une litière de femme ; ses porteurs, fatigués, vont abandonner en chemin ; Othon descend de la litière et se met à courir vers le Forum[43] ; une de ses chaussures se délace, il s’arrête ; les premiers soldats l’entourent pour le porter en triomphe. Seul Tacite mentionne qu’il s’était appuyé sur son affranchi  au cours de ce trajet, dans le Vélabre. Plutarque, de son côté, mentionne bien qu’il était à pied, en descendant du palais de Tibère vers le Forum, donc il n’avait plus ses porteurs[44]. On peut alors avancer l’idée que, si Othon avait descendu les pentes de la colline du Palatin en courant, il n’était pas illogique que sa chaussure se fût délacée et que, retardé, son affranchi lui ait apporté son soutien. C’est à partir de ce moment que ses partisans l’ont reconnu et l’ont entouré pour le porter sur le Forum.

Si Tacite a évoqué ce moment important pour la suite du récit, c’est que l’historien cherchait aussi à creuser la part psychologique de ceux qu’il mettait en avant. La signification du geste de l’affranchi, exprimé par le verbe innitor, est bien à comprendre comme une manifestation de pur soutien physique, illustrant de nouveau la proximité entre l’affranchi et son ancien maître. Plusieurs occurrences existent en effet avec ce sens propre[45], même si Othon, à cet instant, se reposait aussi entièrement sur Onomastus, au sens figuré, car c’est lui qui avait initié le complot, avait prévenu son ancien maître et l’avait suivi dans sa course effrénée jusqu’à sa reconnaissance comme empereur.

Vitellius et le sacrifice d’Asiaticus

Les liens entre l’affranchi et son patron étaient donc basés sur la confiance et la fidélité, qualités qui permettront souvent au patronus d’accéder au pouvoir suprême. Les affranchis impériaux pouvaient ainsi apparaître comme des « faiseurs » d’empereurs et tenaient vraiment des rôles clés dans ces parcours d’intrigues où chacun était prêt à tout pour parvenir à ses fins. A la lumière des écrits de Tacite, Ronald Mellor a parfaitement décrit ces affranchis impériaux quand il les compare à des « Raspoutine [46] ». L’empereur savait qu’il pouvait compter sur ses serviteurs qui lui devaient respect et fidélité en accomplissant leurs devoirs, matérialisés dans l’obsequium, les operae et les bona[47]. Certains de ces empereurs abusèrent, néanmoins, de cette dépendance en outrepassant leur pouvoir sur des individus qu’ils tenaient entre leurs mains. Ainsi Vitellius, prince avide de luxure, s’était entiché d’un jeune esclave d’origine orientale nommé Asiaticus. Ce dernier, considéré comme un objet de plaisirs s’était enfui devant cette situation répugnante. Pourtant, Vitellius le retrouva à Pouzzoles alors qu’il vendait du vin aigre : en tant qu’esclave en fuite, il encourait la mort de la main de son maître mais le futur empereur lui fit subir ses désirs d’autrefois, entraves aussi dégradantes. D’autant plus que Vitellius sut agir avec une cruauté machiavélique, que nous décrit là encore Tacite[48]. Ce passage nous démontre que, par trois fois, Vitellius fit souffler le chaud et le froid sur le sort d’Asiaticus : tout d’abord, après l’avoir jeté aux fers, il le délivra aussitôt ; ensuite, l’ayant vendu comme gladiateur à un laniste, il le lui enleva de façon soudaine, probablement de peur qu’il ne meure à la fin d’un combat ; enfin, ayant procédé à sa manumissio, il lui accorda le droit des anneaux d’or, c’est-à-dire l’accès au rang équestre, tout en l’ayant pourtant désigné auprès de son entourage comme une souillure pour l’ordre équestre. Cette attitude qui relèverait de la torture psychologique, Asiaticus l’endura au point de finir par ressembler à son ancien maître. Cet affranchi illustra la honte qui se déversait à cette époque sur Rome, à l’instar de ses prédécesseurs de l’époque néronienne[49]. Endurci par les épreuves qu’il avait endurées, il usa finalement de son influence auprès de l’empereur pour accéder au sommet du pouvoir. Ainsi, à l’issue de la campagne militaire menée contre les troupes d’Othon, et principalement la bataille de Bédriac, dans la plaine du Pô, en avril 69, les troupes de Vitellius manifestèrent leur loyauté envers le nouvel empereur en réclamant que son affranchi, Asiaticus, intégrât l’ordre des chevaliers. Comblé de richesses, ce dernier vécut jusqu’en décembre 69, à la mort de Vitellius, où il subit le supplicium seruile, c’est-à-dire la crucifixion, le châtiment réservé aux esclaves, sur ordre de Mucien, émissaire de Vespasien[50].

Ces trois affranchis, ayant accompli des parcours dignes de grands personnages romanesques, révèlent finalement bien les excès qu’ils pouvaient aussi afficher dans leur comportement ou leurs élans dus à la volonté d’être utiles au pouvoir et à l’empereur qu’ils servaient. Cependant, une fois ce pouvoir déchu, comme ce fut le cas pendant cette « année des trois empereurs », leur propre existence se révélait aussi ténue et aussi fragile que lui, si bien que leur condition originelle d’esclave ressortait, ce qui s’était traduit effectivement pour deux d’entre eux par le châtiment public qui leur était réservé.

Conclusion

Ainsi, c’est grâce à ces différentes figures d’affranchis impériaux que nous venons d’étudier et qui exercèrent leurs fonctions de serviteurs auprès des premiers personnages de Rome, qu’on réalise combien leur place fut parfois ambigüe. En effet, ce lien de confiance, de con-fid-ence qui devait exister entre l’empereur et son ancien esclave devenu libre, mais qui était aussi la trace de cette ancienne servilité, entravait ces affranchis dans leur propre parcours personnel. Dépendants du pouvoir, c’est en agissant de façon transgressive que les plus ambitieux devinrent aussi les plus influents, éclipsant les propres décisions de l’empereur, notamment durant le règne de Claude, avec les célèbres Narcisse et Pallas. L’interaction entre l’empereur et ses affranchis était présente à chaque moment, public ou privé, créant souvent une porosité entre ces deux sphères. Nous pouvons néanmoins constater que ces épisodes de l’histoire romaine donnèrent lieu à de formidables récits d’historiens, ceux de Tacite ou Suétone mais aussi de Plutarque ou de Dion Cassius, où le drame se mêle à l’anecdote, ménageant l’attente du lecteur ou le précipitant dans l’urgence d’un événement, le tout orchestré par les manœuvres de ces affranchis impériaux, tiraillés entre la macula de leur naissance servile et leur position influente au sein de l’aula impériale. Cette situation sociopolitique ne fut pourtant pas inhérente à celle de l’époque romaine du Haut-Empire car il pourrait être intéressant de l’étudier de manière comparée entre l’attitude zélée ou intéressée de certains affranchis et l’obséquiosité des courtisans auprès d’un roi. Les réflexions menées dans cette étude permettent, en outre, de s’interroger sur la force du lien existant entre le maître et son esclave, puis de la relation entre le patron et son affranchi, en particulier quand ce maître est l’incarnation du pouvoir, ainsi que sur les limites ou les faiblesses que cet état de fait pouvait engendrer dans une société fondée sur de telles bases.


[1] Le thème des affranchis à Rome, qui fut le sujet de ma thèse, Gurvane Wellebrouck, Présence et ambitions des affranchis dans l’Empire romain, sous la direction de Gérard Capdeville, Université Paris-IV Sorbonne, 2016 (thèse non publiée), fut l’objet de travaux d’envergure tels ceux de Gérard Boulvert, Les esclaves et les affranchis impériaux sous le Haut-Empire romain, rôle politique et administratif,  Naples, Jovene, 1970 ou de Henrik Mouritsen, The Freedmen in the Roman World, Cambridge, 2011. Au-delà de l’étude du statut ambigu de ces anciens esclaves, que Rome continue à voir porteurs de la macula servile mais auxquels elle accorde certains droits échus aux citoyens, il faut aussi considérer la place souvent influente qu’ils prirent au sein de la société romaine, face aux citoyens de naissance libre, et, pour les affranchis impériaux, leur poids dans l’évolution du cadre politique et administratif au Ier siècle de l’Empire. C’est la démarche engagée dans cette étude, où est exposée la présence des affranchis impériaux, et comment ces derniers, serviteurs et instruments du Prince pouvaient refléter les velléités des aspirants au pouvoir comme celles de la familia des Césars.

[2] Cette période dite des « quatre empereurs », de mars 68 à décembre 69 apr. J.-C., voit la fin du règne de Néron et l’irruption des légions provinciales dans l’appareil politique romain. En effet, après le suicide de Néron, il n’y a pas d’héritier direct désigné, ce que les armées situées dans les provinces comprirent en portant au pouvoir successivement Galba, alors en Hispanie, Othon, ancien gouverneur de la Lusitanie et Vitellius, chef des légions de Germanie. Sur ce rôle des légions dans les provinces sous l’empire, Patrick Le Roux, le Haut-Empire romain en Occident, d’Auguste aux Sévères, Seuil, 1998. Au début des Histoires, Tacite clame, en effet, qu’à la mort de Néron, « le secret de l’Etat venait d’être révélé : un empereur pouvait se faire autrement que dans Rome », Histoires, I, 4.

[3] Dans son ouvrage, Jean Louis Augier est d’avis que les Annales, œuvre ultime de l’historien, « quoique inachevées n’en sont pas moins le sommet de Tacite. Elles nous livrent sa pensée suprême sur l’Empire et sa dernière conception de l’art d’un écrivain. Le sujet est celui de la déchéance totale de Rome dans l’esclavage d’empereurs indignes de leur haute mission. La Cour –favoris, femmes et affranchis- déchaîne les intrigues. », Tacite, Paris, Seuil, 1969.

[4] Tacite, Histoires, I, 1. (les sources antiques de cette étude ont été consultées dans la collection Budé, Les Belles-Lettres, Paris).

[5] À la lecture des écrits du biographe Suétone, les affranchis de Claude, à qui il consacre de nombreux passages, furent parmi les plus célèbres à recevoir les largesses impériales, parmi lesquels les anciens esclaves d’origine grecque Narcisse, Pallas et son frère Félix, ou encore Polybe : Claude, V, 28 ; V, 37.

[6] Tacite, Annales, XIV, 3, 3 : Obtulit ingenium Anicetus libertus, classi apud Misenum praefectus et pueritiae Neronis educator : « L’affranchi Anicetus offrit ses talents, en tant que préfet de la flotte de Misène et comme celui qui avait pris soin de l’enfance de Néron. »

[7] Tacite, Annales, XIV, 3, 3 : ac mutuis odiis Agripinnae inuisus : « il haïssait Agrippine autant qu’il en était haï. »

[8] Suétone, Néron, VI, 4-5 : trimulus patrem amisit (…) nutritus est sub duobus paedagogis saltatore atque tonsore : « il perdit son père à l’âge de trois ans et son éducation fut confiée aux soins de deux pédagogues, l’un danseur, l’autre barbier. »

[9] Tacite, Annales, XIV, 3 : imprudentia dum se Agrippinam esse utque subueniretur matri principis clamitat, contis et remis et quae fors obtulerat naualibus telis conficitur : « elle eut l’imprudence de s’écrier qu’elle était Agrippine, qu’on sauvât la mère du prince et elle fut tuée à coups de crocs, de rames et d’autres instruments qui tombaient sous la main. »

[10] Ibidem, XIV, 8, 4-5 : respicit Anicetum, trierarcho Herculeio et Obarito centurione classiario comitatum : ac si ad uisendum uenisset, refotam nuntiaret, sin facinus patraturus, nihil se de filio credere ; non imperatum parricidium. Circumsistunt lectum percussores et prior trierarchus fusti caput eius adflixit. Iam in mortem centurioni ferrum destringenti protendens uterum « uentrem feri » exclamauit multisque uulneribus confecta est : « elle aperçoit Anicetus, accompagné du triérarque Herculeus et d’Oloarite, centurion de la flotte : s’il était venu pour la voir, qu’il annonce qu’elle était remise mais si c’était pour commettre un meurtre, elle en croyait son fils innocent ; qu’il n’avait pas ordonné un parricide. Les assassins se tiennent autour de son lit et le triérarque le premier lui asséna un coup de bâton sur la tête. Au centurion qui tirait alors son glaive pour lui donner la mort, elle lui cria de la frapper au ventre et elle expira sous de nombreux coups. »

[11] Ibidem, XIV, 7, 5 : ad eam uocem Nero illo sibi die dari imperium auctoremque tanti muneris libertum profitetur : « à l’instant Néron s’écrie que c’est en ce jour qu’il reçoit l’empire et qu’il tient de son affranchi ce magnifique présent. »

[12] Ibidem, XIV, 62, 3 : igitur accitum eum Caesar operae prioris admonet (…) locum haud minoris gratiae instare, si coniugem infensam depelleret. Nec manu aut telo opus : fateretur Octauiae adulterium. Occulta quidem ad praesens,  sed magna ei praemia et secessus amoenos promittit, uel, si negauisset, necem intentat : « César, l’ayant fait mandé, lui rappelle son précédent service (…) le moment de recueillir une non moins grande reconnaissance arrivait, à condition qu’il écarte Octavie, son ennemie. Point n’était besoin de sa main ni d’une arme : il aurait juste à avouer son adultère avec Octavie. Secrètes pour l’instant, il lui promet néanmoins d’importantes récompenses et des retraites agréables, mais, s’il refusait, c’est la mort qui l’attendait. »

[13] Ibidem, XIV, 62, 4 : ille, insita uaecordia et facilitate priorum flagitiorum, plura etiam quam iussum erat fingit  plura etiam quam iussum erat fingit fateturque apud amicos, quos uelut consilio adhibuerat princeps : « celui-là, comme la démence s’était introduit en lui ainsi que la facilité née de ses premiers crimes, invente plus de mensonges que ce qu’on lui avait ordonné et passe aux aveux, devant des proches que le prince avait réunis en guise de conseil. »

[14] Tacite, Annales, XV, 45, 2 : « Cet affranchi-là était prêt à toutes sortes d’infamies. » Le terme flagitium est encore employé par l’historien pour parler des exactions commises par Claudius Demianus en Asie (Annales, XVI, 10).

[15] Ibidem, XIV, 62, 4 : tum in Sardiniam pellitur, ubi non inops exilium tolerauit et fato obiit : « il est alors relégué en Sardaigne, il supporta un exil non dénué de richesses et y finit sa destinée. »

[16] CIL, VI, 8758 : dis manibvs / Ti(berii) Clavdi Aniceti / Neronis Avgvsti  lib(erti) / ….cvbicvlo / (…)s fecit : « Aux dieux Mânes de Tiberius Claudius Anicetus, affranchi de l’empereur Néron. (…)s, préposé à la chambre, a réalisé ceci. »

[17] Ronald Mellor, Tacitus, 1993, p.52 : Tacitus not only judge politics in moral terms but he saw political change, especially  the loss of senatorial liberty, as deeply affecting moral values : « Tacite ne juge pas seulement les politiques en des termes moralisateurs mais il a réalisé aussi le changement en politique, spécialement la perte de la liberté chez les sénateurs, comme une profonde affection des valeurs morales. »

[18] Dion Cassius, LX, 31 : τέως μὲν γὰρ οἱ Καισάρειοι πάντες ὡμολόγουν αὐτῇ, καὶ οὐδὲν τι οὐκ ἀπὸ κοινῆς γνώμης ἐποίουν· ἐπεὶ δὲ τὸν Πολύβιον, καίτοι καὶ ἐκείνῳ πλησιάζουσα, καὶ διέβαλε καὶ ἀπέκτεινεν, οὐκέτι αὐτῇ ἐπίστευον : « tous les Césariens, en effet, jusque-là parlaient comme elle, et rien ne se faisait que d’un commun accord ; mais quand elle eut, malgré ses accointances avec lui, accusé et fait périr Polybe, ils n’eurent plus confiance en elle. »

[19] Tacite, Annales, XI, 37, 2-4 : prorumpit Narcissus denuntiatque centurionibus et tribuno, qui aderat, exequi caedem : ita imperatorem iubere. Custos et exactor e libertis Euodus datur ; isque raptim in hortos praegressus repperit fusam humi. (…) Adstitit tribunus per silentium, at libertus increpans multis et seruilibus probris : « Narcisse sort avec violence et déclare aux centurions et au tribun qui était là, de constater que le meurtre allait à son terme : que c’était ce que l’empereur ordonnait. Parmi les affranchis, Evodus est nommé pour surveiller et vérifier ; celui-ci, les ayant aussitôt précédés dans les jardins, la trouve étendue par terre. (…) Le tribun se tient debout, en silence, mais l’affranchi se répand en injures nombreuses et dignes d’un esclave. »

[20] Ibidem, XI, 38, 2.

[21] Georges Fabre, Libertus. Recherches sur les relations patron-affranchi à la fin de la République, 1981, déclare que l’affranchi, selon la lex Pompeia des parricidiis, de 54 av. J.-C., du fait du lien avec son ancien maître, est considéré comme proche parent et de ce fait, s’il est meurtrier de son patron, il encourt la peine de parricide, le condamnant à « être enfermé dans un sac de cuir et précipité dans le fleuve le plus proche ou dans la mer », Institutes, IV, 18, 6.

[22] Tacite, Annales, XV, 45, 3 : tradidere quidam uenenum ei per libertum ipsius, cui nomen Cleonicus, paratum iussu Neronis uitatumque a Seneca proditione liberti seu propria formidine, dum per simplicem uictum et agrestibus pomis, ac si sitis admoneret, profluente aqua uitam tolerat : « on raconte même que du poison fut préparé pour lui, par son propre affranchi, nommé Cleonicus, sur ordre de Néron mais qu’il fut évité par Sénèque, soit par l’aveu de l’affranchi, soit par sa propre crainte, en raison de sa nourriture simple, faite de fruits des champs, et si la soif se faisait sentir, il se maintenait en bonne santé avec de l’eau courante. »

[23] Ibidem, XIII, 1, 2 : quippe et Silanus diui Augusti abnepos erat : haec causa necis. Ministri fuere P. Celer eques Romanus et Helius libertus, rei familiari principis in Asia impositi. Ab his proconsuli uenenum inter epulas datum est, apertius quam ut fallerent. : « en effet, Silanus était l’arrière-petit-fils d’Auguste : ce fut la cause de sa mort. Le chevalier romain Publius Celer et l’affranchi Helius en furent les instruments, alors qu’ ils avaient été assignés en Asie pour se charger des biens domestiques du prince. C’est par eux que le poison fut donné au proconsul, lors d’un banquet, tellement ouvertement que personne ne s’y trompât. »

[24] Tacite, Annales, XVI, 10, 2 : sed initium detegendae saeuitiae praebuit interuersis patroni rebus ad accusandum transgrediens Fortunatus libertus. : « mais cette haine attendait, pour éclater, une occasion : l’affranchi Fortunatus la fournit, en accusant son maître, après l’avoir ruiné. »

[25] Ibidem, XVI, 10 : adscito Claudio Demiano, quem ob flagitia uinctum a Vetere Asiae proconsule exoluit Nero in praemium accusationis : « il se fit appuyer de Claudius Demianus, que Vetus, proconsul d’Asie, avait emprisonné pour ses infamies et que Néron mit en liberté en récompense de sa délation. »

[26] CIL, VI, 630 : Silvano sacrvm sodal(icio) / eivs et Larvm donvm / posvit Ti(berius) Clavdivs Avg(usti) / lib(ertus) Fortvnatvs  a / cvra amicorvm / idemqve dedicavit / et epvlvm dedit / decvris n(umero) IIII / k(alendis) Avgvstis C(aio) Min / cio Fvndano et / C(aio) Vettennio se / vero co(n)s(ulibus) : «  Tiberius Claudius Fortunatus, affranchi impérial a consacré ceci à Silvain comme cadeau pour sa confrérie et aux Lares grâce au soin de ses amis ; lui-même l’a dédicacé et a donné un repas aux décuries, au nombre de quatre. Le jour des Calendes d’Août, sous le consulat de Caius Minicius Fundanus et de Caius Vettenius Severus. »

[27] Tacite, Annales, XV, 53, 2 : primas sibi partes expostulante Scaeuino, qui pugionem templo Salutis in Etruria siue, ut alii tradidere, Fortunae Ferentino in oppido detraxerat gestabatque uelut magno operi sacrum : « réclamant le premier rôle, Scevinus, qui avait enlevé un poignard dans le temple du Salut, en Etrurie, ou, comme certains le rapportent, dans celui de la Fortune, dans la ville de Ferentinum, et la portait toujours comme s’il était destiné à un grand événement. »

[28] Tacite, Annales, XV, 54, 2-4 : Eamque curam liberto Milicho mandauit. (…) Postremo uulneribus ligamenta quibusque sistitur sanguis parari iubet idque eundem Milichum monet, siue gnarum coniurationis et illuc usque fidum, seu nescium et tunc primum arreptis suspicionibus, ut plerique tradidere. De consequentibus consentitur. Nam cum secum seruilis animus praemia perfidiae reptauit simulque immensa pecunia et potentia obuersabantur, cessit fas et salus patroni et acceptae libertatis memoria : « Il confia ce soin à l’affranchi Milichus (…) enfin, il charge ce même Milichus d’apprêter ce qu’il faut pour bander des plaies et arrêter le sang ; soit que cet affranchi connût la conjuration et eût été fidèle jusqu’alors, soit qu’il ignorât un secret dont le premier soupçon lui serait venu à cet instant même, comme la suite l’a fait dire à plusieurs. Quand cette âme servile eut calculé le prix de la perfidie, ne rêvant plus que trésors et puissance, elle oublia le devoir, la vie d’un patron, la liberté reçue. »

[29] Ces termes sont également employés quand l’historien veut décrire l’attitude ou le caractère de ceux qui, par exemple, agissent tels des esclaves, malgré leur haute naissance ; ainsi, Tigrane, choisi comme souverain de l’Arménie par Néron est-il présenté comme Cappadocum e nobilitate, regis Archelai nepos : « né d’un sang illustre en Cappadoce », sed quod diu obses apud urbem fuerat, usque ad seruilem patientiam demissus, « mais retenu longtemps comme otage à Rome, il en avait rapporté l’esprit lâche et rampant d’un esclave. », Annales, XIV, 26 ; de plus, les termes fides/perfidia sont souvent utilisés de pair pour illustrer le comportement dégradant ou versatile d’un homme politique, tel Fabius Valens qu’il présente comme Galbae proditor, Vitellio fidus et aliorum perfidia inlustratus : « traître à Galba, fidèle à Vitellius, il reçut quelque éclat de la perfidie des autres. », Histoires, III, 62 ou encore lors d’une décision de Vitellius après la débâcle des Othoniens : Vitellius credidit de perfidia et fidem absoluit : « Vitellius crut récompenser la perfidie mais ne fit qu’absoudre la fidélité », Histoires, II, 60. On peut citer encore Histoires, III, 61 ; Annales, I, 55.

[30] Ibidem, XV, 71, 2 : Milichus praemiis ditatus conseruatoris sibi nomen Graeco eius rei uocabulo adsumpsit : « Milichus, comblé de richesses, se donna pour nom un mot grec qui signifiait sauveur ».

[31] Gérard Boulvert, Domestique et fonctionnaire sous le Haut-Empire romain : la condition de l’affranchi et de l’esclave du prince, Les Belles-Lettres, Paris, 1974, p.256.

[32] Suétone, Néron, XLIX : nihil prius aut magis a comitibus exegerat quam ne potestas cuiquam capitis sui fieret, sed ut quoquo modo totus cremaretur. Permisit hoc Icelus, Galbae libertus : « la première et principale promesse qu’il avait exigée de ses compagnons était qu’on n’abandonnât sa tête à personne, mais qu’on le brûlât tout entier, de quelque manière que ce fût. Icelus, affranchi de Galba, permit ceci. »

[33] Ibidem, XLIX : non multo ante uinculis exsolutus, in quae primo tumultu coniectus fuerat : « (Icelus) qui venait d’être délivré de la prison où on l’avait jeté au commencement de l’insurrection. »

[34] Plutarque, Vie de Galba, VIII : ῏Ην δὲ θέρος ἤδη, καὶ βραχὺ πρὸ δείλης ἧκεν ἀπὸ ῾Ρώμης ῎Ικελος ἀνὴρ ἀπελεύθερος ἑβδομαῖος. Πυθόμενος δὲ τὸν Γάλβαν ἀναπαύεσθαι καθ’ ἑαυτὸν ἐβάδιζε συντόνως ἐπὶ τὸ δωμάτιον αὐτοῦ, καὶ βίᾳ τῶν θαλαμηπόλων ἀνοίξας καὶ παρελθὼν ἀπήγγειλεν ὅτι καὶ ζῶντος ἔτι τοῦ Νέρωνος, οὐκ ὄντος δὲ φανεροῦ, τὸ στράτευμα πρῶτον, εἶτα ὁ δῆμος καὶ ἡ σύγκλητος αὐτοκράτορα τὸν Γάλβαν ἀναγορεύσειεν, ὀλίγον δὲ ὕστερον ἀπαγγελθείη τεθνηκὼς ἐκεῖνος : « on était au commencement de l’été : un soir, vers la fin du jour, un de ses affranchis, nommé Icelus, arriva de Rome au camp en sept jours. Ayant appris que Galba s’était déjà retiré dans sa tente, il y courut, entra malgré ses domestiques, et lui annonça que l’armée d’abord et le sénat ensuite, ne voyant pas paraître Néron, quoiqu’il fût encore en vie, l’avaient proclamé empereur, et que quelques instants après on avait appris sa mort. »

[35] Suétone, Galba, XIV : regebatur trium arbitrio, quos una et intra palatium habitantis nec umquam non adhaerentis paedagogos uulgo uocabant. Hi erant T. Vinius legatus eius in Hispania, cupiditatis immensae ; Cornelius Laco ex assessore praefectus praetorii, arrogantia socordiaque intolerabilis ; libertus Icelus, paulo ante anulis aureis et Marciani cognomine ornatus ac iam summae equestris gradus candidatus. His diuerso uitiorum genere grassantibus adeo se abutendum permisit et tradidit, ut uix sibi ipse constaret, modo acerbior parciorque, modo remissior ac neglegentior quam conueniret principi electo atque illud aetatis. : « il était gouverné par trois hommes qui logeaient dans l’intérieur de son palais et ne le quittaient point. On les appelait ses pédagogues. C’étaient T. Vinius, son légat en Espagne, homme d’une cupidité effrénée ; Cornelius Laco, qui de simple assesseur était devenu préfet du prétoire, et dont l’arrogance et la sottise étaient insupportables ; enfin l’affranchi Icelus, déjà décoré de l’anneau d’or et du surnom de Marcianus, et qui prétendait au suprême degré de l’ordre des chevaliers. Ces trois hommes, dominés par des vices différents, gouvernaient si despotiquement le vieil empereur, qu’il ne s’appartenait plus, tantôt trop dur et trop avare pour un souverain élu, tantôt trop faible et trop insouciant pour un souverain de son âge. » ; on retrouve la narration de cet épisode chez Plutarque, Galba, VII et Tacite, Histoires, I, 13.

[36] Paul Richard Carey Weaver, Familia Caesaris. A social study of the emperor’s freedmen and slaves, Cambridge, University Press, 1972, p. 87. L’auteur y livre une étude sur la nomenclature des affranchis et le port de leurs cognomina.

[37] Ségolène Demougin, Prosopographie des chevaliers romains Julio-claudiens (43 av. J. –C., 70 apr. J. –C.), Rome,  Publications de l’Ecole Française de Rome, 1992, 153, p. 546-547.

[38] Tacite, Histoires, I, 25, 1 : sed tum e libertis Onomastum futuro sceleri praefecit, a quo Barbium Proculum tesserarium speculatorum et Veturium optionem eorundem perductos : « mais alors, il donna l’initiative de ce futur crime à l’un de ses affranchis, Onomastus, qui s’adjoignit Barbius Proculus, un tesséraire des corps de garde et Veturius, sous-officier du même corps. ». Dans Galba, XXIV, Plutarque cite également ces deux personnages, accompagnant l’affranchi.

[39] Suétone, Othon, IV : nullo igitur officia ut ambitionis in quemquam genere omisso, quotiens cena principem acciperet, aureos excubanti cohorti uiritim diuidebat, nec minus alium alia uia militum demerebatur : « aussi n’omettant rien qui pût lui permettre de solliciter quiconque, à chaque fois qu’il recevait le Prince à sa table, il distribuait des pièces d’or par tête à la cohorte chargée de monter la garde et ce n’est pas autrement qu’il cherchait à s’attirer les bonnes grâces des soldats. »

[40] Ibidem, VI : deinde liberto adesse architectos nuntiante, quod signum conuenerat, quasi uenalem domum inspecturus abscessit, proripuitque se postica parte Paltii ad constitutum : « ensuite, un affranchi vint lui annoncer que les architectes étaient là, ce qui avait été convenu comme signal. Il quitta les lieux, prétextant qu’il allait visiter une maison à vendre et se précipita vers une sortie dérobée du Palais pour aller au rendez-vous. »

[41] Tacite, Histoires, I, 27, 1 : nec multo post libertus Onomastus nuntiat expectari eum ab architecto et redemptoribus, quae significatio coeuntium iam militum et paratae coniurationis conuenera:  « et peu de temps après, son affranchi Onomastus lui annonce qu’il est attendu par l’architecte et par les entrepreneurs, ce qui était le signal du rassemblement des soldats et de la préparation de la conjuration. »

[42] Paul Noyen, Gabriel Sanders, « Innixus liberto (Tacite, Histoires, I, 27) », L’Antiquité classique, tome 28, fasc.1, 1959, p.223-231.

[43] Suétone, Othon, VI : ac deficientibus lecticariis cum descendisset cursumque cepisset. De même, chez Dion Cassius, LXIV, 5.

[44] Plutarque, Vie de Galba, XXIV : καὶ διὰ τῆς Τιβερίου καλουμένης οἰκίας καταβὰς ἐβάδιζεν εἰς ἀγοράν, οὗ χρυσοῦς εἱστήκει κίων, εἰς ὃν αἱ τετμημέναι τῆς ᾿Ιταλίας ὁδοὶ πᾶσαι τελευτῶσιν : « il descendit le long du palais de Tibère et se rendit vers la place publique, là où se trouve le milliaire d’or, auquel aboutissent tous les chemins d’Italie. »

[45] Pline le Jeune, Lettres, VI, 16, 19 : Innitens seruolis duobus, assurexit et statim concidit : « S’appuyant sur deux jeunes esclaves, il se leva mais retomba aussitôt » ; Suétone, César, 57 : si flumina morarentur, nando traiciens uel innixus inflatis utribus : « si des fleuves lui faisaient obstacle, il les traversait à la nage ou appuyé sur des outres gonflées » ; ibidem, Néron, 43 : innixus umeris familiarum : « appuyé sur les épaules de ses proches. »

[46] Ronald Mellor, Tacitus, p.195 : « He provides the first, and perhaps the deepest, analysis of paranoid government, in which freedmen play upon the fears of the emperor to gain temporary bureaucratic victories. (…) There have always been Rasputins, eager and ready to lead their insecure master to disaster. » : « Il fournit le premier, et peut-être le plus précisément, l’analyse d’un gouvernement paranoïaque, dans lequel les affranchis jouent sur les peurs de l’empereur pour gagner provisoirement des victoires bureaucratiques. »

[47] Ces trois notions juridiques en vigueur au début du Principat sont à la base d’un chapitre développé par Gérard Boulvert dans lequel il déclare que « l’affranchi est toujours tenu d’obéir en toutes circonstances à son ancien maître et spécialement de remplir tous les services qu’il lui demandera » à tel point que les décisions d’exil ou de mort sont même l’expression de ce lien de dépendance et d’autorité entre le patronus et son affranchi. Gérard Boulvert, Domestique et fonctionnaire sous le Haut-Empire romain : la condition de l’affranchi et de l’esclave du Prince, Annales littéraires de l’Université de Besançon, (CRHA, 9), Les Belles-Lettres, Paris, 1974, p.101-107.

[48] Suétone, Vitellius, XII : Hunc adulescentulum mutua libidinem constupratum, mox taedio profugum cum Puteolis poscam uendentem reprehendisset, coiecit in compedes statimque soluit et rursus in deliciis habuit ; iterum deinde ob nimiam contumaciam et furacitatem grauatus circumforano lanistae uendidit dilatumque ad finem numeris repente subripuit, et prouincia demum accepta manumisit, ac primo imperii die aureis donauit anulis super cenam, cum mane, rogantibus pro eo cunctis, detestatus esset seuerissime talem equestris ordinis maculam : « Ce dernier, par un commerce de prostitution mutuelle, alors qu’il était tout jeune homme, s’était enfui de dégoût. Alors que Vitellius l’avait repéré à Pouzzoles en train de vendre de l’eau vinaigrée, il lui fit mettre les entraves mais aussitôt le délivra et le tint de nouveau sous ses caprices ;  cependant, peiné à la longue de son esprit trop rebelle et de son penchant pour le vol, il le vendit à un laniste ambulant ; puis, voyant qu’il était réservé pour la fin du spectacle, il l’enleva soudain et l’affranchit seulement une fois qu’il eut reçu la charge d’une province ; au premier jour de son règne d’empereur, il lui accorda le droit à l’anneau d’or après un dîner, alors que le matin-même, il avait répondu à ceux qui demandaient cette faveur pour Asiaticus, qu’il repoussait très sévèrement une telle tache de l’ordre équestre. »

[49] Tacite, Histoires, II, 95, 2 : uetera odiorum nomina aequebat : « il égalait les anciens noms devenus odieux. » ; II, 57, 2 : foedum mancipium et malis artibus ambitiosum : « un esclave indigne et avide d’honneurs, au prix de funestes procédés. »

[50] Ibidem, IV, 11, 3 : Asiaticus (is enim libertus) malam potentiam seruili supplicio expiauit : « Asiaticus, qui était un affranchi, expia sa misérable puissance dans un supplice digne d’un esclave. »


Bibliographie complémentaire

Jean-Marie AndrÉ (dir.), L’histoire à Rome : historiens et biographes dans la littérature latine, Paris, PUF, 1974.

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Domestique et fonctionnaire sous le Haut-Empire romain : la condition de l’affranchi et de l’esclave du Prince, Annales littéraires de l’Université de Besançon, (CRHA, 9), Paris, Les Belles-Lettres, 1974.

Isabelle Cogitore, La légitimité dynastique d’Auguste à Néron à l’épreuve des conspirations, EFR, 2002.

Cynthia Couhade-Beyneix, Traîtres et trahisons dans la Rome antique, de la fin de la République au début de l’Empire, 2 vol., Paris, 2012 (thèse non publiée).

Ségolène Demougin, Prosopographie des chevaliers romains Julio-claudiens (43 av. J. –C., 70 apr. J. –C.), Rome, Publications de l’Ecole Française de Rome, 153, 1992.

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Ronald Mellor, Tacitus, New York-Londres, Routledge, 1993.

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Ronald Syme, Tacitus, 2 vol., Oxford, Clarendon Press, 1958.

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Aloys Winterling, Aula Caesaris. Studien zur Institutionalisierung des römischen Kaiserhofes in der Zeit von Augustus bis Commodus (31 v. Chr.-192 n. Chr.), Munich, R. Oldenburg, 1999.