Vittorio Biancardi
Résumé : Le micro-dosage est un phénomène social de plus en plus répandu parmi la communauté des consommateurs et consommatrices des substances dites psychédéliques. Il consiste une consommation d’un dixième de la dose typique de substance (principalement LSD ou Psilocybine) de façon fréquente, deux ou trois fois par semaine, pour améliorer les capacités cognitives ou comme auto-thérapie. L’analyse de ce phénomène est actuellement très fragmentaire et inconsistante, tant du point de vue des sciences humaines que du point de vue des sciences dites «dures». L’objectif de cet article est de présenter les résultats d’un premier travail historique et ethnographique à ce propos, tout en mettant en discussion la thèse selon laquelle la consommation fréquente des petites doses de champignons hallucinogènes constitue une pratique répandue parmi les peuples traditionnellement liés à l’usage de dites substances.
Mots-clés : microdosing, psychédélique, hallucinogène, histoire, ethnographie, Mexique
Rattaché à l’Université de Milan, Vittorio Biancardi est doctorant au CRH/EHESS. Son travail de recherche, qui relève d’une méthodologie à la fois historique et anthropologique, est axé sur l’usage à faible dose des substances dites psychédéliques.
Introduction. Qu’est-ce que le microdosage ?
Le microdosage, plus connu sous le nom anglais de microdosing, est une pratique qui s’est répandue au sein de la communauté des consommateurs de substances psychédéliques depuis quelques années. Elle consiste à ingérer de très petites doses de substances psychédéliques (dans le cas du LSD, moins de 15 microgrammes) à des fins thérapeutiques, récréatives ou productives. Le mot « psychédélique », qui signifie littéralement « qui rend l’âme manifeste », est dérivé des mots grecs psyché : âme et delóun : révéler. Son origine remonte à 1956, l’année où le psychiatre anglais Humphrey Osmond a proposé, dans une lettre adressée à l’écrivain Aldous Huxley, de l’appliquer aux nouvelles substances psychotropes qui induisent des modifications de conscience, telles que le LSD, la psilocybine et la mescaline. Ces substances sont connues aussi sous le nom d’hallucinogènes. Cette contribution est un travail préliminaire, qui vise aussi à dresser un « état de l’art » partiel, à travers une double méthodologie, à la fois historique et anthropologique, les origines de la pratique du microdosage et à analyser sa présence au sein de différentes communautés de consommateurs, en particulier chez une communauté de consommateurs de champignons hallucinogènes, celle de Huautla de Jiménez, au Mexique, et celle des jeunes participants au mouvement de la contre-culture, selon un témoignage découvert dans une revue italienne publiée en 1971. Tracer un historique des témoignages sur l’usage de petites doses de substances hallucinogènes servira notamment à comprendre si cette pratique du micro-dosage constitue une «habitude humaine» ou s’il s’agit d’une toute nouvelle pratique ; ce qui nous donnera peut-être des informations précieuses sur les risques connectés à ce type d’usage. Il n’existe pas de travaux quantitatifs sur le nombre total de consommateurs et sur leurs caractéristiques sociales : les substances psychédéliques font l’objet d’un regain d’intérêt scientifique depuis peu de temps. Après une brève introduction portant sur les raisons qui ont contribué à transformer la pratique du microdosage en phénomène social, répandu à l’échelle mondiale, nous nous limiterons à un historique fragmentaire de la consommation de champignons et de LSD[1] à petites doses à partir des premiers témoignages fournis par un observateur du XVIe siècle, de ceux que nous a laissés le siècle dernier et des recherches menées sur le thème au cours des deux dernières années.
En dernier, nous essaierons de démontrer, grâce aux données fournies par un travail ethnographique, que la pratique du microdosing, terme inventé par James Fadiman indiquant une modalité (frequence, dose) de consommation spécifique, ne rentre pas dans les habitudes du peuple mazateque.
La « découverte » de James Fadiman
En 1966, la Drug Enforcement Administration (DEA), l’organisme de contrôle des stupéfiants états-unien, interdit le Diéthyllysergamide (de l’allemand Lysergsäurediethylamid, généralement abrégé en LSD ou LSD-25, une substance découverte par hasard par le chimiste suisse Albert Hofmann en 1943[2]). La LSD fait l’objet, à l’époque, d’un processus complexe de démocratisation et de politisation, évidemment impossible à gérer pour le gouvernement de Washington. Celui-ci ordonne alors de l’inscrire dans le Schedule I, la liste des substances « à fort potentiel d’abus et sans usage médical reconnu[3] ».
Dans l’introduction du quinzième chapitre d’un livre publié en 2011 sous le titre The Psychedelic Explorer’s Guide, le psychologue états-unien James Fadiman affirmait que, consommé à petites doses[4], la LSD pourrait entraîner des bénefices d’ordre psychique[5], tout en ayant le même effet qu’un stimulateur cognitif[6] (en anglais, cognitive enhancer). Après l’ingestion d’une très petite dose, selon Fadiman, le consommateur ne ressentirait pas les effets collatéraux qui accompagnent une dose normale de la même substance comme, par exemple, la distorsion des sens et de la perception ou encore la dépersonnalisation:
« Certaines consommations de LSD sont encore très loin d’être détectées. Les plus fascinantes de ces consommations sont les doses inférieures au seuil de la perception d’à peu près 10 microgrammes. En si petite quantité, le LSD agit comme un stimulant cognitif, mais sans les effets secondaires des plus grandes doses […] « Lorsque les gens prennent une quantité inférieure au seuil de perception – dans le cas du LSD, à peu près 10 microgrammes (que l’on appelle aussi une microdose, une sous-dose ou un « tener ») – les effets sensoriels courants associés aux doses supérieures de LSD ou de psilocybe – une lueur ou une étincelle sur les bords des êtres vivants, un entrelacement sensoriel comme le fait d’entendre en couleur ou de goûter la musique et un décloisonnement des frontières de l’ego – n’apparaissent pas[7]. »
Fadiman cite alors plusieurs témoignages sur les effets produits par les microdoses sur les capacités créatives des consommateurs[8]. Le psychologue américain s’est intéressé toute sa vie aux effets des substances psychédéliques sur la psyché, et en particulier sur la façon dont elles influencent un trait humain qui reste très difficile à définir : la créativité.
C’est en 1966, dans un contexte social dominé par la peur des effets imprevisibles de la LSD, que James Fadiman reçoit une lettre d’apparence officielle, signée par la DEA, lui enjoignant, ainsi qu’à son équipe, d’arrêter immédiatement leurs recherches : Fadiman n’a ensuite plus jamais administré de la LSD a un patient. Son travail portait alors en particulier sur le professional problem solving : c’est-à-dire sur la question de savoir si et comment l’ingestion d’une dose normale d’acide lysergique produisait un stimulant positif sur la capacité à résoudre des problèmes de différentes natures dans le domaine professionnel[9].
En 1999, Robert Forte[10], une figure très connue dans le champ de la science psychédélique, fait part au docteur Fadiman de l’intérêt de A. Hofmann pour les microdoses[11]. Hofmann souligne que la plupart des recherches sur les substances ne prennent pas en considération l’administration de petites doses ; pourtant, selon le chimiste suisse, ce mode d’ingestion particulier aurait pu remplacer la consommation de médicaments à base d’amphétamines tels que la Ritaline et l’Adderall, utilisés comme stimulants ou pour combattre les troubles de l’attention. Fadiman a continué par la suite à s’intéresser aux effets spécifiques des microdoses. Il cherche alors du coté des populations indigènes de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud les preuves d’une utilisation de substances psychédéliques à petite dose, comme en témoigne un passage de son livre :
« Les cultures indigènes connaissent et consomment les doses de substances psychédéliques inférieures au seuil de perception depuis des siècles. Jusqu’à récemment, ce savoir a été négligé. Après avoir été impliqué dans la recherche sur les dosages inférieurs au seuil de perception depuis plus d’un an, j’ai eu honte de mon préjugé culturel lorsque j’ai pris conscience que j’avais ignoré l’évidence, et que les guérisseurs indigènes ou chamans, en utilisant leurs propres plantes psychédéliques, avaient exploré systématiquement et pleinement tous les niveaux de dosage »[12].
On lit dans une autre note de Fadiman :
« […] lorsque j’ai présenté mes découvertes originales et uniques à un ami anthropologue […], il m’a fait remarquer que les groupes indigènes du Mexique et de toute l’Amérique du Sud utilisaient les plantes psychédéliques depuis des centaines et probablement des milliers d’années. Avais-je imaginé qu’ils n’avaient jamais utilisé de faibles doses ? Au cas où j’aurais eu besoin de preuves, il m’a indiqué une œuvre en six volumes, écrite par un jésuite peu après la conquête espagnole du Mexique, qui comprenait des descriptions de faibles doses de différentes substances psychédéliques. En ce qui concerne les utilisations modernes, il m’a donné un exemple : « Lorsque je sens venir un rhume, je prends une petite dose de psilocybes. Je n’ai pas eu de rhume depuis quinze ans. » Il m’est apparu finalement que j’étais arrivé en retard à une soirée commencée depuis très longtemps »[13].
Le jésuite mentionné par l’ami anthropologue de Fadiman est en réalité le moine franciscain Bernardino de Sahagún, auteur de la monumentale Histoire générale des choses de la Nouvelle-Espagne, l’un des travaux les plus importants sur la colonisation de l’Amérique centrale par la couronne d’Espagne. Sahagún y mentionne l’utilisation d’un champignon appelé teonanacatl[14], qui, ingéré à faible dose, aurait le pouvoir de guérir des maladies telles que le rhume ou la goutte, alors qu’à haute dose, il pousserait à la luxure. Comme il le reconnaît lui-même, sa « découverte » serait en réalité la redécouverte d’une pratique existant depuis des siècles chez les populations traditionnellement liées à la consommation des psilocybes. Y a-t-il effectivement des preuves d’une utilisation de petites doses dans un but productif[15] ou thérapeutique chez les populations de l’Amérique centrale ? Existe-t-il un équivalent du microdosage, par exemple, dans la communauté de Huautla de Jiménez ? C’est dans ce village, situé dans la Sierra Mazateca, au Mexique, que le banquier et ethnomycologue new-yorkais Robert Gordon Wasson a découvert les propriétés hallucinogènes des psilocybes, en 1955 . Il s’agit d’une découverte importante, les Mazatéques étant un des seuls peuples à utiliser les champignons dans un objectif rituel depuis des siècles. C’est à cause de cette capacité de conservation des pratiques anciennes que j’effectuerai un travail ethnographique à Huautla de Jiménez, pour comprendre si la pratique du micro-dosage fait partie ou non des habitudes du peuple Màzateque. Les hypothèses susmentionnées ne sont pas encore étayées par des documents historiques ou par les faits. Mais avant d’essayer de répondre à ces questions, il est utile de comprendre la raison d’un tel intérêt pour un phénomène qui pourrait, à première vue, sembler marginal. Pour cela, nous allons brièvement évoquer plusieurs manifestations de ce phénomène pour essayer de cerner un peu mieux ce qu’il implique, dans quels contextes il se manifeste, quelles en sont les causes et les conséquences de sa réussite.
L’utilisation de microdoses de LSD dans la Silicon Valley
La pratique du microdosage s’est répandue considérablement après la publication de plusieurs articles qui décrivaient les habitudes de consommation de microdoses de LSD chez certains employés des entreprises de la Silicon Valley. Cette relation heureuse entre les substances psychédéliques, la contre-culture et les entrepreneurs de l’industrie high-tech de la Silicon Valley, située à proximité de San Francisco, a commencé pendant la période des années 60[16]. La révolution culturelle, portée dans un premier temps par le mouvement hippie états-unien et dont l’un des noyaux principaux se trouvait à Haight-Ashbury, un quartier central de San Francisco, voyait dans l’usage des substances psychédéliques un moyen d’élargir la conscience et de faciliter en même temps les échanges au sein des communautés[17]. La LSD est devenue une « arme » chimique aux mains de jeunes et moins jeunes rebelles décidés à en finir avec l’establishment, la guerre et toutes les formes de domination. Dans le même temps, non loin de Haight Ashbury, d’autres s’attelaient à la conception des premiers ordinateurs qui ont constitué la base de ce qui allait devenir Internet[18]. Culturellement et socialement proches, les mondes de la contre-culture et du Personal Computer se sont entremêlés tout au long de la deuxième moitié du siècle dernier. Steve Jobs lui-même a déclaré avoir pris de la LSD, et que celui-ci avait contribué au développement des inventions qui ont rendu le nom d’Apple Computers célèbre dans le monde entier[19]. C’est à peu prés à la meme période que James Fadiman fait la connaissance de Timothy Leary[20], l’un des principaux représentants de la contre-culture de l’époque, un psychologue de Harvard connu pour son travail de démocratisation de l’acide lysergique. C’est par Leary que Fadiman obtient sa première dose de LSD. Durant cette période, Fadiman est en contact avec des personnalités importantes des mondes de la contre-culture et de l’informatique, comme l’auteur et éditeur Stewart Brand et l’ingénieur informatique Douglas Engelbart[21].
Ce n’est donc pas un hasard si, aujourd’hui encore, dans la Silicon Valley, les nouvelles générations d’employés, de programmeurs et d’entrepreneurs du secteur de la high-tech sont aussi des consommateurs de LSD et d’autres substances psychédéliques. Le premier article portant sur la consommation de microdoses chez un jeune entrepreneur, sous le pseudonyme de Kevin, a été publié en 2015 dans le magazine Rolling Stone[22]. Quelques mois plus tard, le magazine Forbes a publié un article sur le même thème[23]. Des dizaines d’articles ont depuis vu le jour, dans des magazines grand public connus dans le monde entier comme dans des revues scientifiques. Entre février et décembre 2017, plus de quarante articles ont été recensé, pour la plupart dans des revues de renommée internationale et écrits principalement en français, en italien et en anglais.
Dans la plupart des articles cités, l’utilisation de petites doses de LSD est présentée d’un point de vue neutre, sans préciser les aspects négatifs et les risques possibles liés à la consommation. Au contraire, ils rapportent souvent les témoignages directs – généralement positifs – des consommateurs eux-mêmes. Le microdosage est présenté comme une manière nouvelle et facile d’augmenter la créativité, de réduire les effets négatifs associés à la vie professionnelle (par exemple l’anxiété ou la nervosité) et, dans le meilleur des cas, de mieux jouir de la vie[24]. Suite à ça, la pratique du microdosage s’est répandue très rapidement chez les consommateurs de LSD. C’est ce que confirment les recherches scientifiques entreprises sur ce thème, la diffusion de sites Web et de vidéos en ligne indiquant les modalités correctes de consommation des micro-doses et l’augmentation des inscriptions et des récits d’expériences qui en découlent sur des forums de discussion en ligne comme Reddit[25].
Les micro-doses dans l’histoire
Une pratique ancienne ?
Bernardino de Sahagún, franciscain et historien du XVIe siècle mentionén plus haut, est habituellement cité comme l’une des premières sources, et l’une des plus fiables, qui font état de l’utilisation de champignons hallucinogènes au Mexique pendant la période coloniale[26]. Voici le passage qui nous intéresse, tiré de son Histoire générale des choses de la Nouvelle-Espagne :
« Il y a dans ce pays un petit champignon qui s’appelle teonanacatl qui pousse sous le foin dans les champs et dans les déserts. Il est rond ; son pied est haut, mince et cylindrique. Il a mauvais goût, fait mal à la gorge et enivre. Il est médicinal contre les fièvres et la goutte. On en mange deux ou trois, pas davantage. Il cause des hallucinations et des angoisses précordiales. À forte et même à petite dose il porte à la luxure »[27].
Bernardino de Sahagún est la seule source de la période de la conquête qui se réfère à un usage des psilocybes à des fins thérapeutiques et à faible dose. C’est la source que cite indirectement Fadiman dans sa note[28]. Aucun autre commentateur de l’époque n’évoque ce mode particulier de consommation des teonanacatl. De tels témoignages posent pourtant différents types de problèmes. Comme le souligne Giorgio Samorini dans son article « I funghi nei documenti storici[29] », il se peut que le témoignage de Sahagún soit trompeur, et ce pour diverses raisons. La première concerne les différences entre le texte nahuatl et le texte espagnol. L’Histoire générale se divise en effet en deux parties, l’une écrite dans la langue du peuple mexica et l’autre dans la langue des colons, et les différentes versions ne coïncident pas toujours. Dans l’un d’eux, la mention de la luxure provoquée par les champignons n’apparaît que dans la version espagnole, et pas dans la version nahuatl. Ensuite, les informateurs de Sahagún étaient pour la plupart des Indigènes christianisés et baptisés : on peut donc supposer que, comme lui, ils n’ont jamais été en contact direct avec les champignons « embriagantes » [qui enivrent] – manger les champignons était un péché puni du fouet de l’Inquisition, comme l’indique Alessandro Stella, historien du Moyen Âge et spécialiste de l’histoire de la prohibition des drogues[30].
Alors pour retracer l’histoire de l’ingestion des substances psychédéliques à petite dose dans la période qui précède le XXe siècle, le témoignage de Sahagún reste non seulement le premier et le plus important dont nous disposions, mais aussi le seul.
Témoignages du XXe siècle
Les témoignages suivants, qui racontent des expériences réalisées à l’aide de faibles doses de substances hallucinogènes, viennent des récits de quelques pionniers célèbres du psychédélisme du siècle dernier. La très grande majorité des travaux généralement cités comme références dans les psychedelic studies[31], la branche de la science qu’étudie les phénomènes connectés aux substances hallucinogènes, ne comportent ni ne mentionnent la consommation de faibles doses. Bien qu’il ait affirmé avoir eu recours à de toutes petites doses de LSD pendant une bonne partie de sa vie[32], Albert Hofmann ne cite pas ce type particulier d’utilisation dans ses travaux. Il en est de même d’Aldous Huxley, écrivain anglais, auteur des livres à succès Les Portes de la perception ou Le Meilleur des mondes. On ne trouve rien non plus qui ressemble au microdosage actuel dans les travaux de Roger Heim, mycologue et directeur du Musée national d’histoire naturelle de Paris à l’époque de la découverte des champignons par le banquier new-yorkais Gordon Wasson[33] (avec lequel il a commencé rapidement une collaboration scientifique). Son jeune assistant Roger Cailleux[34] rapporte en revanche une ingestion de champignons à faible dose, qui date entre 1956 et 1960 :
« Des trois expériences réalisées avec les téonanacatl, les deux premières, relatives au Psylocibe Mexicana HEIM, n’ont porté que sur de très faibles quantités de champignons. Il me semblait intéressant, en effet, de connaître ou d’approcher le seuil d’inactivité de cette espèce. Pour la première expérience, je n’absorbai que 0,25 g de carpophores secs, correspondant à trois champignons de taille moyenne, que j’avalais presque sans mastiquer et sans éprouver d’irritations de la gorge ou de nausées. Aucun des phénomènes ordinairement décrits par d’autres expérimentateurs (R. HEIM, R.G. WASSON, A. HOFMANN, A. BRACK) ne se manifestant, je suivis tout d’abord le cours normal de mes occupations. Ce n’est que deux heures trente après l’ingestion […] que, les yeux clos, devant une fenêtre, et contre toute attente, m’apparurent des motifs abstraits faiblement colorés, vite brouillés par un voile aux couleurs vives et changeantes, rouge, orangé, vert, laissant rapidement place à un ensemble régulier de points lumineux rouges et verts se détachant sur fond noir. Me rendant ensuite dans une pièce voisine obscure, j’assistai, les paupières fermées, à la succession de courtes scènes colorées, de dominance rouge, et d’un relief étonnant : une salle de projection cinématographique avec ses spectateurs immobiles, un quai de gare désert et des terrines semblables à celles utilisées pour la culture des psilocybes. Un voile coloré noya subitement le tout et le spectacle s’acheva ainsi. Les visions avaient duré de huit à dix minutes sans me causer aucun trouble d’ordre physique »[35].
Cette expérience ne peut être définie comme du microdosage. L’ingestion n’a eu lieu qu’une seule fois ; elle ne s’est pas répétée dans le temps ; et bien que la dose indiquée par Cailleux s’apparente à ce que l’on désigne aujourd’hui comme une microdose sur les sites spécialisés[36], les hallucinations provoquées par l’ingestion, même si elles sont de très brève durée, indiquent clairement qu’il ne s’agit pas d’une dose sub-threshold[37]. Néanmoins, cette expérience est intéressante pour deux raisons au moins. En premier lieu parce qu’il s’agit du premier témoignage d’un Occidental qui a fait lui-même l’expérience des faibles doses de champignons. Cailleux souligne en outre qu’après l’ingestion, pendant deux heures et demie, il a suivi « le cours normal de [s]es occupations ». On peut supposer qu’il a continué à travailler malgré la dose de champignons ingérée. Et si tel était le cas, il s’agirait du premier document attestant une utilisation « profane[38] » à but productif (dans un contexte professionnel) d’une dose quasi insignifiante de psilocybine.
En 1955, en compagnie d’Édith Boissonnas et de son ami Jean Paulhan, Henri Michaux, poète et expérimentateur de substances psychédéliques[39], se soumet à différentes auto-expérimentations avec de faibles doses de mescaline. Son désir est simple, et proche de celui des jeunes entrepreneurs à qui l’on demande, dans un contexte totalement différent, d’être créatifs à tout prix. Édith Boissonnas, poète suisse et amie de Michaux, écrit dans son journal :
« Après une dose faible de mescaline (le 2 janvier 1955) chez Henri Michaux (avec Jean P.) je n’éprouvai rien. Visiblement J. et H.M. étaient dans une sorte d’ivresse, agréable chez J., cruelle disait M. (j’ai été blessé dira-t-il plus tard) »[40].
Il s’agit là d’un autre exemple de prise de substance psychédélique, même si la dose exacte ingérée par Michaux à cette occasion nous est inconnue. La substance et la nature de l’intérêt du consommateur diffèrent du cas précédent. Le poète cherche ici une réponse à la question : « quelle drogue peut rendre l’écriture facile[41] ? » Il la trouve, en l’occurrence, dans la mescaline – fournie par son ami psychiatre Julian de Ajuriaguerra.
Hanscarl Leuner, Ronald Sandison et la thérapie psycholytique
« […] les groupes de thérapie psycholytique dans lesquels moi-même (1960-86) et d’autres avons eu l’autorisation de pratiquer avec des patients autrement inaccessibles ont produit des réductions importantes de l’état perturbé d’un grand pourcentage de ces patients »[42].
C’est sur ces mots que Hanscarl Leuner[43], l’un des pionniers de la thérapie psycholytique, introduit l’important travail bibliographique de Torsten Passie[44]. Ce dernier a participé, à la fin des années 1990, à la compilation de la bibliographie la plus complète sur l’application des substances psychédéliques à la psychothérapie[45]. Le titre, Psycholytic and Psychedelic Research 1931-1995. A Complete International Bibliography, fait référence aux deux méthodes principales mises au point au cours du XXe siècle par la psychiatrie et la psychologie pour aider les patients « immunisés » contre la thérapie psychanalytique en introduisant l’administration de substances psychoactives, principalement la LSD et la psilocybine. Les deux approches diffèrent sensiblement. L’un des facteurs qui concourent à définir la ligne de démarcation entre les deux méthodes est la dose administrée au patient ; la différence de dosage constitue en outre la raison principale pour laquelle il nous paraît intéressant de mentionner le travail de Leuner, de Passie et d’autres pionniers de la thérapie psycholytique.
La thérapie psycholytique[46], en allemand Psycholytische Therapie, comprend « L’activation et l’approfondissement du processus psychanalytique avec de petites doses de LSD (30-200 mg), de psilocybine (3-18 mg), de LE-25 (30-80 mg), etc., en produisant des images oniriques symboliques, des régressions et des phénomènes de transfert[47] ». La thérapie psychédélique comprend au contraire l’administration de « Hautes doses de LSD (300-800 mg) amenant à de supposées expériences cosmiques-mystiques. Il en résulte des sentiments d’unité, de joie extatique et une connaissance existentielle[48] ».
Une autre différence entre les deux méthodologies réside dans la fréquence de prise. S’il faut « un grand nombre de séances (10-50)[49] » pour garantir l’efficacité de la thérapie psycholytique, trois suffisent en ce qui concerne la thérapie psychédélique. L’utilisation de faibles doses de substances psychédéliques, dans le cas de la méthodologie mise au point par H. Leuner, n’entraîne pas de changement dans le déroulement de la thérapie. Des séances d’analyse individuelles et collectives sont prévues, en effet, pour que le patient retravaille le matériel psychique apparu sous l’influence de la substance. Si le rôle principal de la LSD est de faciliter la libération du matériel inconscient chez le patient, l’un des objectifs des séances « normales » est de revenir sur les moments vécus sous l’effet de la substance en se concentrant principalement sur les mécanismes de défense et sur la psychologie du moi et en comparant la réalité vécue sous les substances psychédéliques à la réalité quotidienne, pour effectuer le passage entre les deux dans les meilleures conditions.
Passie définit ainsi l’obectif de la thérapie : « Guérison par la restructuration de la personnalité dans un processus de maturation et de relâchement des liens parentaux aux premiers stades de développement. Meilleure harmonie intrapsychique et sociale[50]. » Il est curieux de remarquer que les adeptes actuels du microdosage présentent la recherche de bien-être individuel et social comme l’une des raisons principales de leur consommation de LSD. La thérapie psycholytique constitue donc un cas de microdosage avant la lettre, bien que les doses administrées aux patients aient été légèrement plus élevées[51] que celles indiquées par Fadiman pour aider dans le processus de traitement contre la dépression[52].
Torsten Passie est aussi l’auteur du travail le plus complet sur la recherche sur les microdoses[53]. Nous indiquerons deux autres pionniers de l’utilisation des substances psychédéliques dans la psychothérapie. Les psychologues Betty Eisner[54] et Ronald Sandison [55], respectivement états-unienne et anglais, comptent avec Leuner parmi les thérapeutes les plus célèbres qui ont expérimenté la thérapie psycholytique sur leurs patients.
Microdosing et contre-culture : le cas italien
En 1962, Gary Fisher[56], psychologue et pionnier de l’utilisation des substances psychodysleptiques[57] en psychothérapie, a publié dans le deuxième numéro de la Psychedelic Review un article intitulé « Some Comments Concerning Dosage Levels of Psychedelic Compounds for Psychotherapeutic Experiences ». On y lit notamment :
« Usage de petites doses sur des sujets expérimentés :
L’auteur de ces lignes [G. Fisher, ndr.] a souvent remarqué que les sujets expérimentés tendent à se limiter à une dose dont ils ont constaté qu’elle provoque une expérience psychédélique. Nous sommes de l’avis que ce niveau est inutilement élevé, et nous suggérons que ces personnes expérimentent de plus petits dosages. L’expérience montre qu’après avoir eu quelques expériences avec des doses plus élevées, le sujet constate qu’il a besoin d’une quantité de matériel plus petite pour provoquer une expérience psychédéliques. Cependant, les personnes continuent souvent d’utiliser des doses de 100 à 300 µg de LSD. Nous posons comme hypothèse qu’à mesure que la dose diminue, les variables de l’environnement et la clarté d’esprit avant la séance deviennent de plus en plus importantes. Par conséquent, avant les séances de petites doses, une période de mutation est très utile pour permettre à la personne de se relaxer et d’effacer de sa conscience les choses insignifiantes. On a découvert que des doses aussi faibles que 10 à 25µg de LSD ou un ou deux mg de psilocybine produisaient des états de conscience élargie assez étonnants »[58].
Fisher poursuit en décrivant l’utilisation potentielle de faibles doses pour les sujets réfractaires – par crainte ou pour d’autres raisons – à l’ingestion d’une dose normale :
« Cependant, si une personne est extrêmement inquiète ou effrayée à l’idée de vivre une expérience psychédélique, et si le traitement psychédélique est malgré tout indiqué, de petites quantités de drogue dans une atmosphère spécialement créée peuvent être utiles. Des doses de 25 à 75 µg de LSD sont suggérées, et pour certains sujets qui sont extrêmement sensibles aux drogues, on peut utiliser des quantités plus petites encore »[59].
Ces deux passages, qui soulignent l’importance et l’utilité des microdoses de LSD, et qui témoignent évidemment de leur utilisation pendant des séances de psychothérapie, ont été repris intégralement, avec un grand nombre de références bibliographiques, dans le premiér numéro du journal italien Re Nudo[60][61]. Important organe de diffusion d’informations et de propagande politique du mouvement des jeunes et contre-culturel italien durant la période 1970-1980 – et au-delà –, le journal a compté des milliers de lecteurs dans toute l’Italie. Le premier numéro, où l’on trouve les informations sur l’utilisation de la LSD en petites doses, à une époque où la LSD était illégal en Italie, s’est vendu à 9 000 exemplaires dans les librairies de la seule ville de Milan. Un tel article constitue un document historique qui prouve que les participants au mouvement de la contre-culture de l’époque connaissaient les effets de l’usage de petites doses de LSD. Un membre du Centro di Iniziativa Luca Rossi de Milan a pu dire dans un entretien[62] que, dans les années 1970, l’expérience psychédélique avait constitué une part importante du processus de subjectivation des jeunes prolétaires, en Italie comme ailleurs. Ce sujet fera l’objet d’un approfondissement dans un prochain article.
L’exemple de Re Nudo en est la preuve. Le collectif éditorial de la revue a en effet constitué le principal noyau organisateur de ce qui s’est appelé le « Festival du jeune prolétariat[63] », un grand rassemblement musical et politique qui a eu lieu à cinq reprises[64]. Plusieurs milliers de personnes ont participé à chaque édition du festival (la dernière a rassemblé 100 000 personnes, en 1976). Pendant ce type de rassemblement, les participants expérimentaient, individuellement et collectivement, différentes substances psychoactives. On peut donc poser l’hypothèse qu’une partie des participants à ces festivals, ou du moins une partie des lecteurs du journal, savait qu’il était possible, et dans certains cas utile, de consommer la LSD en petites doses, au moins pour favoriser l’« accès » à cette substance à ceux qui avaient peur de vivre une expérience complète. Une autre hypothèse possible est que, dès cette époque, on utilisait les microdoses pour favoriser le processus créatif. La documentation manque en la matière. Il s’agit en tout cas d’une hypothèse qui, si elle se confirmait, ouvrirait des axes de recherche nouveaux et intéressants.
Abstraction faite de ces hypothèses, la republication de l’article de Fisher dans l’un des principaux journaux de la contre-culture italienne constitue la preuve que les groupes de « jeunes prolétaires » italiens de l’époque avaient une profonde connaissance de l’utilisation et de l’expérimentation des substances comme la LSD et la psilocybine. En termes chronologiques, il s’agit du témoignage le plus récent que j’ai pu trouver avant la reprise des recherches sur les substances psychédéliques intervenue dans la deuxième moitié de la première décennie des années 2000.
Microdoses et créativité : nouveaux axes de recherche
Dans un article publié en décembre 2017 dans la revue Chimères, j’ai notamment pu montrer les principes de la théorie de Fadiman sur les microdoses et exposer les premiers résultats de ses recherches[65]. La même année, le psychologue états-unien a présenté à la « Psychedelic Science » – la plus grande conférence au monde sur les psychedelic studies, qui s’est tenue à Oakland au mois d’avril – une série de données tirées de questionnaires remplis par des expérimentateurs et expérimentatrices de microdoses de LSD. L’objectif de l’étude était d’apporter une première démonstration partielle de l’efficacité des microdoses dans le traitement de la dépression et d’autres problèmes de santé mentale, notamment les états anxieux et les troubles de l’attention[66].
Parmi les effets positifs enregistrés par les consommateur ayant participé à la première étude-pilote de Fadiman, on trouve notamment : la réduction des états d’anxiété ; l’augmentation de la sociabilité chez les sujets atteints du syndrome d’Asperger ; l’augmentation positive de l’humeur durant la phase dépressive des sujets bipolaires ; la réduction de la sensation de « descente » après l’absorption répétée de substances psychotropes; une tendance plus fortes à vivre le moment présent et l’augmentation des capacités créatives et techniques – en particulier, dans les cas étudiés par Fadiman, en ce qui concerne la codification informatique et le design ; la réduction de la prise de substances telles que la caféine, la nicotine, l’adderall, la venlafaxine ; le soulagement des états dépressifs; l’amélioration générique des habitudes concernant la santé[67] ; les expériences de « visions intérieures »[68] ; l’amélioration des processus d’apprentissage[69] ; l’augmentation de la concentration dans les salles d’étude ; l’élimination des douleurs pendant les périodes menstruelles, la réduction des douleurs en cas de migraines ; l’amélioration des prestations physiques[70] ; la réduction de la tendance à procrastiner ; l’augmentation des capacités communicatives et de la fluidité du langage ; la facilitation à dépasser le « blocage de l’écrivain » ; l’amélioration qualitative des prestations pendant le travail.
En 2018, plusieurs chercheurs et organismes ont mené des études qui se rapprochent de plus en plus des normes scientifiques. À ce jour, en effet, aucune expérience sur les microdoses n’a pu être menée à bien en laboratoire, en raison de l’interdiction qu’impose la législation sur la consommation de substances psychédéliques dans la plupart des pays du monde. Malgré tout, la première étude consacrée aux rapports entre microdosage et santé mentale a été menée par deux chercheurs de l’université d’York[71], Rotem Petranker et Thomas Anderson. Ils ont analysé les réponses apportées par 909 participants recrutés sur la base du volontariat sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter et sur le forum Reddit. Les chercheurs disent que :
« Recrutés sur des forums en ligne, des consommateurs de microdoses actuels et anciens ont obtenu des résultats moins élevés dans les mesures des comportements dysfonctionnels et des émotions négatives et plus élevés dans la sagesse, l’ouverture d’esprit et la créativité lorsqu’on les compare au groupe de contrôle de ceux qui ne consomment pas de microdoses »[72].
Fig. I : Comme évoqué dans l’introduction, ce graphique indique le nombre de personnes inscrites au forum en ligne Reddit.com/r/microdosing. Au cours du seul mois d’octobre 2018, le nombre de personnes inscrites a presque doublé, passant de 24 389 à 43 400.
Bien que les résultats des tests aient en partie confirmé les hypothèses, comme cela s’est produit pour James Fadiman[73], cette étude présente certaines limites, mises en évidence par les chercheurs eux-mêmes. L’une d’elles concerne la nature de l’échantillon pris en compte dans les analyses. Celui-ci n’est en effet que partiellement représentatif, car plus de 70 % des participants sont issus de pays anglo-saxons, blancs, de classe moyenne, de genre masculin et majoritairement hétérosexuels[74].
Quoi qu’il en soit, les limites rencontrées par les chercheurs ne réduisent pas l’importance de l’étude, qui se présente comme la première étude formelle réalisée sur le sujet, et qui pourrait constituer la première d’une longue série.
C’est dans cette ligne que s’inscrit la dernière étude sur le rapport entre les microdoses et la créativité, publiée le 25 octobre 2018[75]. Luisa Prochazkova et son équipe ont demandé aux participants à un événement de la Dutch Psychedelic Society[76] de se soumettre à trois tests pour mesurer la créativité[77]. Il s’agit en l’occurrence d’une notion fluide, difficile à définir. Malgré cela, l’une des principales découvertes à propos des microdoses, si l’on en croit du moins ce que rapportent les consommateurs, réside précisément dans l’augmentation de ce paramètre psychologique. C’est donc dans ce domaine que se situe l’intérêt des chercheurs qui travaillent sur ce thème. Comme leurs prédécesseurs, Prochazkova et ses collaborateurs ont essayé, dans cette étude quantitative, d’établir si les microdoses entraînaient une amélioration de la capacité créative. Les résultats ont été positifs : après avoir effectué les tests, les chercheurs ont enregistré chez les participants une augmentation aussi bien de la « pensée convergente » que de la « pensée divergente », deux des principaux paramètres liés à la créativité. Comme leurs prédécesseurs, Prochazkova et ses collaborateurs affirment que leur étude constitue l’une des premières études quantitatives, mais que, pour être certains des effets positifs des microdoses, il faudrait réaliser des études plus rigoureuses – contrôlées par placebo et en double aveugle.
À cet égard, la Beckley Foundation londonienne, une véritable institution dans le domaine de la Psychedelic Research, travaille précisément sur une étude qui consiste en l’auto-administration de microdoses et de placebo à un groupe de volontaires, qui ingéreront la substance tous les trois jours, selon un programme fourni par l’équipe de chercheurs, et réaliseront dans le même temps différents tests[78].
Le domaine de la recherche quantitative s’ouvre également à des recherches de ce genre. Restent à attendre les résultats d’autres expériences et un assouplissement de la législation en matière d’utilisation des substances psychédéliques à des fins thérapeutiques et de recherche scientifique pour se prononcer définitivement, autant que possible en tout cas, sur ce – nouveau ? – mode d’ingestion de la LSD, de la psilocybine et d’autres hallucinogènes.
Pour une ethnographie des comportements de microdosage parmi une communauté originaire du Mexique.
Comme l’avait anticipé James Fadiman[79], il est utile de se concentrer sur les modalités de consommation spécifiques des peuples traditionnellement liés à l’usage des substances psychédéliques pour mieux comprendre la nature de la pratique du microdosage. À cet effet, dans ce paragraphe, après avoir cité d’autres témoignages d’auteurs mexicains sur la consommation de petites doses provenant eux aussi du XXe siècle, nous exposerons les raisons qui nous ont amené à effectuer une enquête ethnographique d’une durée de trois mois à Huautla de Jiménez. Les résultats complets de l’enquête feront l’objet d’un autre texte.
Pour un approfondissement des aspects historiques et anthropologiques sur la consommation des champignons parmi les peuples originaires, nous renvoyons aux travaux de C. Levi-Strauss et S. Gruzinski, et a ceux de F. Collard et E. Samama en ce que concerne l’histoire de la pharmacopée et des poisons[80].
Deux témoignages historiques sur l’utilisation des petites doses de substances psychédéliques – et qui ont trait une fois encore aux psilocybes – nous parviennent donc de très loin et d’un cadre entièrement différent, lié à une profonde connaissance du fonctionnement des champignons teonanacatl. Le premier, qui est peut-être moins pertinent mais qui présente une certaine curiosité, concerne l’origine du mot « microdose ».
Gutierre Tibon, milanais de naissance, établi au Mexique en 1940, essayiste, homme de radio dans les turbulentes années 1960, a parlé pour la première fois de microdoses dans son livre La ciudad de los hongos alucinantes, publié en 1983 : « Il suffit d’un microgramme (un millionième de gramme) par kilo pour produire des hallucinations : incroyable puissance de la microdose[81]. » Grand connaisseur des champignons hallucinogènes, et de la culture mexicaine en général, Tibon connaissait déjà le seuil d’apparition des effets de la LSD.
Dans La ciudad de los hongos alucinantes, il a longuement écrit sur Huautla de Jiménez, patrie de la curandera Maria Sabina et destination, précisément à l’époque où il écrivait, d’un grand nombre de jeunes qui étaient à la recherche des célèbres champignons décrits par Wasson et d’autres anthropologues, mycologues, biologistes, gens de lettres, poètes et musiciens. Tibon est allé plusieurs fois à Huautla ; il y a rendu visite à quelques curanderas et participé lui-même à une velada[82].
Le second témoignage figure dans la biographie de la « sabia »[83] mazatèque la plus célèbre au monde évoquée dans le témoignage précédent. Autobiographie de Maria Sabina, la sage aux champignons sacrés (Paris, Seuil, 1979), de l’écrivain mazatèque Alvaro Estrada, publié en 1977, est un entretien que l’auteur a réalisé avec Maria Sabina, intégralement en langue mazatèque – la seule langue que parlait la chjota chjine[84] –, et qui a été traduit ensuite en espagnol. Ce livre intéressant retrace la biographie d’une femme qui a passé la plus grande partie de sa vie en situation de pauvreté absolue et qui est devenue soudainement connue dans le monde entier en racontant ses aventures et ses malheurs. La page 30 de la biographie raconte l’épisode de sa première ingestion des ‘nti si tho[85]. Pendant qu’elles s’occupaient des poules de la famille sur une colline non loin de leur maison, Maria Sabina et sa petite sœur ont trouvé quelques champignons. Maria Sabina connaissait déjà le pouvoir des santitos : elle avait assisté à leur utilisation au cours d’une velada pour son oncle malade. Évidemment poussées par la curiosité, elles en ont mangé deux :
« Quelques jours après la veillée où le Sage Juan Manuel avait guéri l’oncle, Maria Ana et moi nous gardions les poules dans la campagne pour empêcher qu’elles soient mangées par un épervier ou un renard. Nous étions assises sous un arbre, quand tout à coup je vis près de moi, à portée de main, plusieurs champignons. C’étaient les mêmes champignons que ceux que le Sage Juan Manuel avait mangés, je les connaissais bien. Mes mains cueillirent délicatement un champignon, puis un autre. De tout près, je les observai.
– Si je te mange toi, et toi, je sais que vous me ferez chanter de jolies chansons… leur dis-je.
Je me rappelais que les grands-parents parlaient de ces champignons avec grand respect. C’est pour cela que je savais qu’ils n’étaient pas mauvais.
Sans plus réfléchir, je portai les champignons à mes lèvres et les mâchai. Leur goût n’était pas agréable, au contraire, ils étaient amers, ils sentaient la racine, la terre. Je les mangeai tout entiers. Ma sœur Maria Ana, qui m’observait, avait fait de même.
Après avoir mangé les champignons, nous avons eu la tête qui tournait, comme si nous étions un peu soûles et nous nous sommes mises à pleurer : mais l’étourdissement a passé et alors nous avons été très contentes. Plus tard, nous nous sommes senties bien »[86].
Il s’agit d’un cas d’ingestion de petite dose – un ou deux champignons, en effet, ne suffisent pas à provoquer des hallucinations – par une jeune mazatèque. Bien sûr, en ce qui concerne Maria Sabina, ce n’était que le premier de ses innombrables « voyages » avec les champignons sacrés.
Maria Sabina est-elle un cas isolé ? Combien d’enfants mazatèques sont-ils allés se promener ou ont-ils fait paître le bétail dans les champs à proximité des villages de la Sierra, en pleine saison des pluies, ont-ils trouvé quelques santitos et ressenti la même envie d’en manger un ou deux, curieux de l’effet qu’ils provoquaient chez leurs parents ou leurs grands-parents ?
D’après les témoignages précédents, tout laisse pressentir l’existence d’un usage « profane » et à petites doses chez les « peuples indigènes », du moins chez les Mazatèques. Un travail ethnographique à Huautla de Jiménez nous permettra de confirmer cette hypothèse et de trouver des informations précieuses qui seront utiles à ceux qui, en Europe ou aux États-Unis, voudront s’essayer à l’expérimentation des microdoses, que ce soit pour des motivations d’ordre thérapeutique, professionnel ou ludique.
Deux anthropologues ont déjà rapporté plusieurs témoignages qui vont dans le sens de notre hypothèse. Le premier, Ben Feinberg, est l’auteur de The Devil’s Book of Culture. History, Mushrooms and Caves in Southern Mexico[87]. Dans un article publié sur le site Chacruna.net en mars 2017, où l’on trouve une série de textes sur le processus que certains connaissent sous le nom de « Renaissance psychédélique[88] », on peut lire :
« Aujourd’hui, un grand nombre de Mazatèques adoptent aussi des approches plus individuelles de la guérison. Quand j’ai commencé à explorer ce sujet, en 1993, j’ai entendu à maintes reprises une série de « règles officielles » très concrètes pour la prise de champignons (toujours en intérieur, la nuit, et toujours avec un guérisseur). Mais quand les gens m’ont raconté leurs histoires individuelles, ils ont souvent enfreint ces règles. J’ai parlé à Lupe, qui a pris des champignons toute seule, une femmes adulte sans expérience, pour trouver le moyen de faire revenir un mari qui l’avait abandonnée (ça a marché : il s’agissait de la sorcellerie de la sœur de son mari). Et j’ai parlé avec Enrique, dont la femme avait ingéré de la sauge tous les quatre jours pendant deux mois avant d’être soudain guérie de la folie de la dépression post-partum. Et Juana, qui utilisait les champignons toute seule, pour soigner une jambe blessée. Et Alex, qui en prenait simplement pour s’amuser »[89].
L’anthropologue états-unien se réfère donc à une utilisation profane et hors contexte rituel des psilocybes : une approche curative – ou plus simplement récréative, comme dans le cas d’Alex – détachée du contexte de la « culture traditionnelle » mazatèque. Des histoires semblables doivent être très courantes. Une chjota chjine m’a expliqué dans le cadre d’un entretien qu’un jour, elle avait mangé un ou deux champignons qu’elle avait trouvés par hasard au cours d’une promenade au Nindo Tokosho[90]. Le témoignage d’une autre chjota chjine nous est rapporté par Citali Rodriguez, une anthropologue de l’université nationale autonome du Mexique (UNAM), qui, comme Feinberg, a effectué un long travail de terrain à Huautla :
« Doña Inés, quant à elle, parle de sa première expérience d’ingestion : « un de mes oncles qui savait aussi donner les champignons […] nous a fait asseoir pour prendre les champignons, nous en a donné quelques-uns quand nous étions petites[91] ».
Doña Inés raconte un cas semblable à celui de Maria Sabina, une ingestion de champignons à faibles doses à un très jeune âge. La coutume veut en effet, chez les Mazatèques, que les petits garçons et les petites filles qui participent à une velada, et particulièrement ceux qui sont destinés à devenir des « personas de conocimiento », accompagnent les adultes en mangeant un ou deux champignons[92]. Santiago, un garçon de vingt-trois ans, habitant de Huautla et père de trois filles, m’apprend que sa fille aînée a reçu un « santito » pendant que sa grand-mère pratiquait la cérémonie traditionnelle[93]. C’est le seul contexte identifié comme socialement accepté d’ingestion d’une petite quantité de champignons : il s’agit toujours d’une consommation inscrite dans un cadre rituel.
Les peuples originaires utilisent-ils ou non des microdoses ? Les témoignages de Feinberg et de Rodriguez, comme ceux que j’ai recueillis moi-même pendant un travail de terrain à Huautla[94], ne suffisent pas, en effet, à établir avec certitude qu’il existe une consommation « chaotique » – fréquente et répondant aux objectifs les plus variés, comme le dit indirectement Fadiman – de microdoses chez les peuples indigènes qui pratiquent de longue date les substances psychédéliques.
En effet, on considère comme micro-dose une quantité de LSD comprise entre 8 et 15 microgrammes, selon la définition de T. Passie[95], qui appelle les doses comprises entre 15 et 50 microgrammes des « mini-doses[96] ». Il est difficile d’établir avec exactitude la quantité de psilocybine contenue dans un seul champignon, mais il ne s’agit surement pas d’une dose suffisamment faible pour pouvoir être définie une micro-dose. Les témoignages ici présentés ont le mérite de démontrer qu’un usage, bien qu’il soit limité, de psilocybe en mini-doses existe chez les mazatéques. En mini-doses, mais pas en micro-doses. La pratique du microdosing (qui prévoit la consommation d’une micro-dose chaque trois jours pour une période de temps) n’est pas prise en considération par la communauté de Huautla. Le microdosing semble finalement être une pratique née et développée en Occident, en harmonie avec les exigences des populations principalement européennes et américaines. Il faut donc relire la pratique du microdosing sous le prisme des idéologies sous-jacentes aux sociétés occidentales, mais sans oser tracer un rapport avec les modalités de consommation des peuples originaires, vouées à l’usage des substances hallucinogènes – ce que fait Fadiman dans son livre The psychedelic explorer’s guide.
Conclusion
J’ai essayé dans ces quelques pages de couvrir l’histoire de l’usage de substances psychédéliques à faibles doses, des premiers témoignages jusqu’à nos jours. Il s’agit évidemment d’une histoire incertaine, partielle, dont la majeure partie reste à écrire et qui, du fait de la rareté des sources dont nous disposons, pourrait tout simplement ne pas exister. Les expériences qui ont été réalisées ces dernières années (ou qui sont encore en cours) montrent le regain d’intérêt pour ce thème, un intérêt qui a longtemps été considéré comme minoritaire au sein même de la minorité que constituent les consommateurs de substances psychédéliques. Mais, comme toujours quand il s’agit de commencer des recherches dans un champ nouveau, l’enthousiasme peut s’accompagner de conclusions hâtives.
Par exemple, dans le passage que nous avons cité du premier paragraphe de Bernardino de Sahagún, celui-ci parle de « deux ou trois [champignons], pas davantage[97] ». On considère l’ingestion de deux champignons comme une petite dose mais ce n’est pas une microdose au sens indiqué par James Fadiman[98]. Le microdosage est utilisé aujourd’hui notamment dans le contexte thérapeutique. Pour être efficace dans la lutte contre la dépression, par exemple, la LSD ou la psilocybine doivent être ingérés à faibles doses et à fréquence élevée, tous les trois jours précisément[99]. Or ni Bernardino de Sahagún ni les autres chroniqueurs de l’époque (ni, comme nous l’avons vu brièvement et comme nous essaierons de le montrer par ailleurs, les peuples indigènes contemporains) ne donnent de descriptions de l’ingestion de microdoses de champignons à une fréquence si élevée, ni hier ni aujourd’hui. L’hypothèse que les peuples indigènes du Mexique, dont le rapport aux psilocybes (le cas du peyotl est différent et nous ne l’abordons pas ici) remonte à des dizaines de siècles, utilisent les microdoses de champignons reste, en somme, une hypothèse qu’un premier travail de terrain à démenti. Un travail ethnographique plus approfondi et plus précis permettra toutefois d’établir ou infirmer la véracité d’une telle affirmation.
[1] Nous traiterons seulement ici de l’utilisation de la LSD et des psilocybes, bien qu’il ait pu exister autrefois une utilisation à petite dose du peyotl, de l’ayahusca, de l’ololiuqui ou de la sauge des devins (salvia divinorum), qui sont autant d’exemples de végétaux hallucinogènes présents sur le continent américain.
[2] L’histoire de la découverte de la LSD-25 mériterait un chapitre à part (et a déjà fait l’objet d’un certain nombre de livres, dont le célèbre LSD : mon enfant terrible, où Albert Hofmann raconte en détail l’histoire de sa découverte). Il suffit ici de rappeler que, le jour où Hofmann a reçu accidentellement deux gouttes de LSD sur les doigts, il était en train d’effectuer des expériences sur un champignon appelé ergot, un champignon qui infeste normalement les cultures de seigle, et dont on pensait qu’ il contenait un principe actif, l’ergotamine, susceptible de soulager les douleurs de l’accouchement.
[3] https://www.dea.gov/drug-scheduling.
[4] Une dose normale de LSD oscille entre 100 et 200 microgrammes. Une microdose représentant environ un dixième de dose normale, elle consiste en 10-20 microgrammes de substance pure.
[5] Biancardi, V., « La recherche sur les microdoses de substances psychédéliques. James Fadiman, Sophie Korbe et les « micro-doses » », Chimères, 2017/1, n° 91, p. 139-148.
[6] Ces substances sont connues aussi sous le nom de « nootropes ». Il existe des nootropes naturels et des nootropes de synthèse (Cf. Erowid).
[7] J. Fadiman, The Psychedelic Explorer’s Guide, Rochester, Park Street Press, 2011, p. 192-194.
[8] Charles, l’un des témoins interrogés par Fadiman, déclare par exemple : « J’ai découvert que j’avais eu certains éclairs de génie (ou qui m’ont en tout cas semblé géniaux) à la fois dans les résultats de mon travail et dans des projets créatifs personnels », ibid., p. 196.
[9] J. Fadiman, W. W. Harman, R. H. McKim, R. E. Mogar et M. J. Stolaroff, Psychedelic Agents in Creative Problem Solving, San Francisco, The Institute for Psychedelic Research of San Francisco State College, 1965. P. Stafford et B. G. Golightly la décrivent comme : « La plus importante des études pilotes publiées qui portent sur les aptitudes créatives et techniques des drogues psychédéliques à la résolution de problème. Détails de deux séances de groupe – programmées pour le développement : a) d’un lecteur phonographique amélioré, b) de nouveaux jouets créatifs pour les enfants. Organisation aussi de 22 séances individuelles. Participation, entre autres, d’un ingénieur, d’un architecte, d’un physicien, d’un designer de mobilier, d’un mathématicien et d’un dessinateur publicitaire. Mise en évidence d’une amélioration par les substances psychédéliques de onze aspects distincts du processus créatif. Résultats d’une batterie des tests psychologiques et créatifs ; et discussions sur les changements à long terme », dans P. Stafford, B. G. Golightly, LSD. The Problem-Solving Psychedelic, New York, Award Books, 1967.
[10] R. Forte, Entheogens and the future of religions, San Francisco, CA, Council on spiritual practices, 1997
[11] «[…] la première fois que j’ai entendu parler du microdosage, par Robert Forte, et du fait qu’Albert Hofmann l’avait pratiqué pendant des décennies, j’ai été plus amusé qu’intrigué. […]. Soutenu par ces prises de conscience, j’ai commencé à poser des questions aux rares personnes que j’ai pu trouver qui avaient pratiqué les microdoses. Albert Hofmann avait dit des effets de ces doses qu’ils constituaient le domaine « négligé » des substances psychédéliques. Si Sandoz avait été plus intéressé, il avait l’impression qu’ils auraient pu mettre au point un produit plus utile et plus sûr que la Ritaline ou son descendant, l’Adderall », dans J. Fadiman, Microdose Research without approvals, control groups, double-blinds, staff or funding, note non publiée.
[12] Dans Fadiman, The Psychedelic Explorer’s guide. op. cit., p. 193.
[13] Fadiman, Microdose Research, op cit.
[14] Le mot a longtemps été traduit, à tort, par « chair des dieux ». Teonanacátl signifie en réalité « champignon qui enivre ».
[15] Par « but productif », j’entends de petites doses ingérées dans des contextes ni rituels, ni récréatifs, ni thérapeutiques. Dans une communication privée avec l’anthropologue spécialiste de Huautla de Jiménez, Marcos Garcia de Teresa, il me signale, par exemple, que la chjota chjine Maria Sabina a déclaré dans une interview qu’il lui était arrivé par le passé de prendre un ou deux champignons « pour se donner de la force ». On pourrait supposer qu’il s’agissait d’effectuer des travaux domestiques ou dans les champs (Maria Sabina a toujours travaillé la terre, dès son plus jeune âge).
[16] J. Markoff, What the Dormouse said. How the Sixties Counterculture Shaped the Modern Computer Industry, New York, Penguin, 2011.
[17] Ibid.
[18] Ibid.
[19] Armstrong, W., Steve Jobs: LSD Was One of The Best Things I’ve Done in My Life , sur thefix.com, 10 juillet 2011
[20] J. Markoff, What the Dormouse said. How the Sixties Counterculture Shaped the Modern Computer Industry, New York, Penguin, 2011, op. cit.
[21] Ibid.
[22] https://www.rollingstone.com/culture/culture-news/how-lsd-microdosing-became-the-hot-new-business-trip-64961/
[23] https://www.forbes.com/sites/robertglatter/2015/11/27/lsd-microdosing-the-new-job-enhancer-in-silicon-valley-andbeyond/#571991a5188a. L’article, qui cite celui publié précédemment dans Rolling Stone, présente le microdosage comme une nouvelle possibilité d’utilisation.
[24] On en trouve un exemple dans le livre de Ayelet Waldman, brillante avocate états-unienne et mère de famille, qui raconte comment elle a vaincu sa dépression grâce aux mircodoses de LSD dans A Really Good Day. How Microdosing Made a Mega Difference in My Mood, My Marriage and My Life, New York, Knopf, 2017.
[25] Voir plus loin, figure 1.
[26] Un autre franciscain, quant à lui français, André Thevet, dans son Histoyre du Mechique, datée d’avant 1574 et basée sur les écrits du missionnaire Andrés de Olmos, Antigüedades Méxicanas (1543), fait allusion à une herbe des Otomis qui « les faisoyt hors de sens et voyr beaucoup de visions », A. Thévet, « Histoyre du Mechique, manuscrit français inédit du XVIe siècle », dans Journal de la Société des Américanistes, n.s., vol. 2,, 1905 (1574), p. 18. Parmi les premiers colons espagnols, on cite souvent deux autres auteurs qui ont remarqué les psilocybes, Francisco Hérnandez, Historia Natural de Nueva España, 2 vol., Université nationale autonome du Mexique, Mexico, 1959 (1571-1576),et Toribio de Benavente, dit Motolinia, Historia de los indios de la Nueva España, Mexico, Editorial Porrúa, 1990 (1541).
[27] Bernardino de Sahagún, Histoire générale des choses de la Nouvelle Espagne, Paris, G. Masson, 1880 (1569), p. 738.
[28] Fadiman, Microdose Research, op cit.
[29] Article publié sur le site Web de Giorgio Samorini, https://samorini.it/antropologia/americhe/funghi-in-messico/funghi-documenti-storici/.
[30] A. Stella, note personnelle, 14 janvier 2019.
[31] B. Sessa, The Psychedelic Renaissance: Reassessing the Role of Psychedelic Drugs in 21st Century Psychiatry and Society, Muswell Hill Press, 2012.
[32] Cf. Fadiman, Microdose Research, op cit.
[33] Gordon Wasson, spécialiste des champignons, père de l’ethnomycologie, est le premier à avoir publié (dans un article devenu célèbre, paru dans la revue Life en 1957) la nouvelle de la découverte du rituel mazatèque des champignons hallucinogènes. En compagnie de son épouse, Valentina Pavlovna Wasson, il est l’auteur de l’ouvrage monumental Mushroom, Russia and History. Avec Roger Heim, Wasson a publié la première monographie sur les psilocybes du Mexique, Les Champignons hallucinogènes du Mexique.
[34] Avec son professeur Heim, Cailleux est l’un des premiers à avoir cultivé des champignons de l’espèce psylocibe Mexicana Heim en Europe.
[35] R. Cailleux, Trois essais d’ingestion avec les psilocybes hallucinogènes, 1958, p. 283.
[36] Le site Thirdwave.com, par exemple, indique qu’une microdose de psilocybes oscille entre 0,20 et 0,30 g de poduit déshydraté.
[37] On appelle sub-threshold dose, ou « dose inférieure au seuil [des hallucinations] », une dose qui ne provoque aucune sorte d’hallucination. C’est un synonyme moins fréquent de « microdose ».
[38] Le premier exemple d’utilisation profane (mais pas en microdose) a été décrit par Valentina Pavlovna Wasson, qui avait ingéré une dose normale de psilocybe en compagnie de Gordon et de sa fille Mary. V. Pavlovna Wasson, « I ate the magic mushroom », This Week Magazine, mai 1957, p. 8-10, 36.
[39] Cf., entre autres, Misérable miracle. La mescaline, Paris, Gallimard, coll. « Poésie/Gallimard », 1991 et Connaissance par les gouffres, Paris, Gallimard, 1961.
[40] É. Boissonnas, Journal pour moi seule, 11 janvier 1955.
[41] Lettre de H. Michaux à J. Paulhan, 1956.
[42] H. Leuner, préface de T. Passie, Psycholytic and Psychedelic Research 1931-1995. A Complete International Bibliography, Laurentius Publisher, 1997.
[43] Voir T. Passie, « Hanscarl Leuner. Pioneer of Hallucinogen Research and Psycholytic Therapy », Newsletter of the Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies MAPS, vol. 7, n° 1, hiver 1996-1997, p. 46-49.
[44] Une définition de la thérapie psycholytique selon Passie : « Vers 1950, Leuner a développé une technique de rêverie en psychothérapie (établie aujourd’hui comme l' »imagerie affective guidée »). Il a déterminé qu’en utilisant de petites doses d’hallucinogènes, il était possible d’intensifier et de renforcer les images utiles d’un point de vue thérapeutique. Les expériences de régression et de catharsis ont également été favorisées », dans Passie, Psycholytic and Psychedelic Research, op. cit., p. 11.
[45] La bibliographie, qui contient plus de 700 travaux issus de toutes les régions du monde, constitue l’une des rares tentatives de description bibliographique systématique de soixante-cinq années de psychedelic research, ibid., p. 22.
[46] Le mot est dérivé du grec ancien ψυχή, l’âme, et λύσις, la dissolution. Littéralement, « qui dissout l’âme ».
[47] Ibid., p. 13.
[48] Ibid.
[49] Ibid.
[50] Ibid.
[51] La thérapie psycholytique utilisait des doses comprises entre 30 et 200 microgrammes de LSD. On considère aujourd’hui 100 microgrammes comme une dose entière.
[52] Fadiman, The Psychedelic Explorers’s Guide, op. cit., p. 194.
[53] T. Passie, The Science of Microdosing Psychedelics, Falmouth, Psychedelic Press, 2018.
[54] B. G. Eisner, S. Cohen, « Psychotherapy with Lysergic Acid Diethylamide », Journal of Nervous and Mental Disease, 1958, p. 127:528.
[55] R. Sandison, A Century of Psychiatry, Psychotherapy and Group Analysis, Londres, Jessica Kingsley Publishers Ltd, 2001.
[56] Dans les 1950 et 1960, Fisher a mené des recherches pionnières sur l’usage des substances psychédéliques sur les enfants atteints de schizophrénie et d’autisme. Il a étudié par la suite les utilisations possibles de substances psychédéliques sur les adultes atteints de graves maladies mentales et les patients atteints de cancer en phase terminale. Fisher a collaboré avec Timothy Leary au Mexique, dans les Caraïbes et à New York.
[57] Un autre mot pour désigner les substances psychédéliques, « psychodysleptique », est dérivé de « psycholeptique » (Cf. la définition de « psycholytique »), avec l’insertion du préfixe dys-, forgé en opposition à « psychoanaleptique ». Le mot a été utilisé surtout dans les premières années de la recherche sur les usages de la LSD en psychothérapie. Le mot « psychotomimétique », littéralement « qui imite la psychose », a connu lui aussi une certaine mode à l’époque des premières expériences avec la LSD.
[58] G. Fisher, « Some Comments Concerning Dosage Levels of Psychedelic Compounds for Psychotherapeutic Experiences », Psychedelic Review, vol. 1, n° 2, automne 1963, p. 208-218.
[59] Ibid.
[60] « LSD Quiz », Re Nudo n° 1, 1971.
[61] Pour plus de détails, voir A. Valcarenghi, Non contate su di noi, Rome, Arcana, 1977.
[62] Entretien avec C. A., avril 2017.
[63] M. Guarnaccia, C. Fucci (dir), Re Nudo Pop & Altri Festival. Il Sogno di Woodstock in Italia 1968-1976, Milan, VoloLibero, 2010.
[64] Le festival s’est tenu à Ballabio en 1971, à Zerbo en 1972 et au Parco Lambro de Milan en 1974, 1975 et 1976.
[65] V. Biancardi, « La recherche sur les microdoses de substances psychédéliques. James Fadiman, Sophie Korbe et les « micro-doses » », dans Chimères, 2017/1, n° 91, p. 139-148.
[66] « Les données se basent sur les comptes-rendus de 418 volontaires, parmi lesquels 284 hommes, 126 femmes et 5 personnes identifiées comme trans ou genderqueer. L’âge des participants varie entre 18 et 78 ans, avec un âge moyen de 34 ans ; trois quarts des participants citent la « dépression » comme la raison principale pour laquelle ils ont entrepris l’auto-expérimentation. Conformément aux prévisions, la majorité des participants ont rapporté une augmentation sensible de leur sens de la détermination, une attention et une concentration plus grande, et un accroissement de l’énergie, en plus d’une forte diminution du mal-être dû à la dépression », ibid., p. 144
[67]Ce qui comprend notamment les choix alimentaires, les exercices physiques, le yoga, la méditation.
[68]Fadiman et d’autres parlent d’« insight », littéralement « vision intérieure ». C’est un des effets les plus recherchés des consommateurs de psychédéliques, dans la mesure où de tels moments peuvent donner l’impression de discerner clairement ses pensées et son état de santé.
[69]Des langues et des mathématiques, en particulier.
[70]Fadiman signale des cas d’amélioration relatifs à la pratique et à la composition musicale. Pour approfondir, cf. : Oroc, J., Psychedelics and extreme sports, in M.A.P.S. bulletin, Spring 2011 Vol. 21, No. 1.
[71] T. Anderson, R. Petranker, D. Rosenbaum, C. Weissman, Cory,E. Hapke, K. Hui, L.-A. Dinh-Williams et N. Farb, Microdosing Psychedelics : Common Practices, 2018, 10.13140/RG.2.2.16302.00329.
[72] Ibid.
[73] Les résultats de l’étude, présentés par James Fadiman et son assistante Sophie Korbe pendant la conférence Psychedelic Science qui s’est tenue à Oakland en avril 2017, apparaissent dans la vidéo « James Fadiman & Sophia Korb : Microdosing – The Phenomenon, Research Results & Startling Surprises ».
[74] Anderson et Petranker, Microdosing Psychedelics, op. cit.
[75] L. Prochazkova, D. P. Lippelt, L. S. Colzato, et al., « Exploring the Effect of Microdosing Psychedelics on Creativity in an Open-Label Natural Setting », Psychopharmacology, décembre 2018, vol. 235, p. 3401–3413.
[76] La Société psychédélique des Pays-Bas, fondée en 2016, est l’une des nombreuses Sociétés psychédéliques qui sont apparues en Europe et aux États-Unis au cours de la dernière décennie. Son objectif, comme celui de tant d’autres Sociétés semblables, est de diffuser des informations et des découvertes concernant les substances psychédéliques. On lit sur son site : « Promouvoir l’utilisation sûre, informée et responsable des substances psychédéliques et des états altérés de la conscience – pour favoriser la guérison, l’épanouissement personnel et l’évolution de la culture. »
[77] Le Picture Concept Task est le test utilisé pour mesurer la « pensée convergente », tandis que l’Alternative Uses Task est celui qui est utilisé pour mesurer la « pensée divergente ». Le test des matrices progressives de Raven est utilisé quant à lui pour mesurer les modifications de l’« intelligence fluide ».
[78] « La Beckley Foundation et l’Imperial College London sont heureux de lancer une étude nouvelle et novatrice sur le microdosage de substances psychédéliques. L’objectif de l’étude est de tester si le microdosage de substances psychédéliques a des effets au-delà du placebo sur le bien-être psychologique et la fonction cognitive. Le caractère unique de cette étude est une procédure de vérification qui permet aux auto-expérimentateurs de mettre en œuvre leur propre contrôle placebo. Nous appelons cela un modèle d’étude en « auto-aveugle ». Cette dimension « auto-aveugle » augmente la valeur scientifique de l’étude et introduit un jeu de devinettes intéressant pour les participants – ai-je pris une microdose ou un placebo aujourd’hui ? Cette touche d’inconnu rendra l’expérience de microdosage plus attrayante et invitera les participants à réfléchir sur leur pratique », présentation de l’expérience sur le site https://selfblinding-microdose.org/.
[79] J. Fadiman, The Psychedelic Explorer’s Guide, op cit.
[80] Collard, F., Samama, E. (dir.), Le corps à l’épreuve: poisons, remèdes et chirurgie : aspects des pratiques médicales dans L’antiquité et au Moyen Age, Paris, L’Harmattan, 2002.; Gruzinski, S., La colonisation de l’imaginaire. Sociétés indigènes et occidentalisation dans le Mexique espagnol XVIe-XVIIIe siècle, Editions Gallimard, 1988; Levi-Strauss, C., Les champignons dans la culture. À propos d’un livre de M. R. G. Wasson, in: L’Homme, 1970, tome 10, n°1. pp. 5-16.
[81] G. Tibon, La ciudad de los hongos alucinantes, Mexico, Era Ediciones, 1983, p. 145.
[82] C’est le nom que l’on donne dans la zone de la Sierra Mazateca au rituel fondé sur les champignons hallucinogènes. Le mot est dérivé de « vela », qui signifie « bougie ».
[83] Littéralement le terme signifie « personne sage » en langue mazatèque. C’est une autre façon de définir les « curanderos » (les guérisseurs).
[84] Expression mazatèque qui peut se traduire en espagnol par « persona de conocimiento » et en français par « personne de savoir », utilisée pour désigner les curanderos. Le mot « chaman » est impropre, en effet, car il n’appartient pas à la culture de référence (Cf. Samorini, L’uso dei funghi in Messico, op. cit.).
[85] Autre expression mazatèque, qui désigne les psilocybes du groupe des psilocybe cubensis. En espagnol, les Mazatèques préfèrent utiliser l’expression « pequeños que brotan », ou « petits qui poussent », On rencontre fréquemment des mots affectifs pour désigner les champignons (les Mazatèques utilisent aussi très souvent « niños santos », les « enfants saints » ou « santitos », les « saints »).
[86] A. Estrada, Autobiographie de Maria Sabina, la sage aux champignons sacrés, Paris, Seuil, 1994, p. 30.
[87] B. Feinberg, The Devil’s Book of Culture. History, Mushrooms and Caves in Southern Mexico, Austin, University of Texas Press, 2003.
[88] B. Sessa, The Psychedelic Renaissance : Reassessing the Role of Psychedelic Drugs in 21st Century Psychiatry and Society, Londres, Muswell Hill Press, 2012.
[89] B. Feinberg, « Undiscovering Huautla : City of the Magic Mushrooms », publié sur le site chacruna.net, 24 mars 2017.
[90] Nindo Tokosho est l’expression utilisée par les Mazatèques pour indiquer un mont sacré proche de Huautla de Jiménez. On dit de ce mont, connu aussi sous le nom de « Cerro de la adoracion », qu’il est habité par un chikon, un esprit très puissant que l’on appelle « Chikon Tokosho ». Les chikon sont des entités surnaturelles qui habitent les forêts, les fleuves et les lieux sacrés en général des populations de la Sierra.
[91] Citée dans C. Rodriguez, Mazatecos, ninos santos y gueros en Huautla de Jiménez, UNAM, Colleccion posgrado, 2017.
[92] Entretien personnel avec Santiago, 12 décembre 2018
[93] Conversation privée, 18 novembre 2018.
[94] Le travail de terrain que j’ai effectué à Huautla s’est étalé sur trois semaines, respectivement en novembre et décembre 2018 et en janvier 2019.
[95] Passie, T., The Science of Microdosing Psychedelics, Falmouth, Psychedelic Press, 2018.
[96] Ibid.
[97] Sahagún, Histoire générale, op. cit., p. 738.
[98] Une microdose représente un dixième de dose standard, soit 10 microgrammes de LSD ou trois grammes de champignons frais. Un Psilocybe cubensis frais pèse à lui seul plusieurs grammes. Deux ou trois champignons ne constituent donc pas une microdose.
[99] Conformément aux indications qui figurent sur le site de James Fadiman, thethirdwave.com.
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