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Les femmes meurtrières dans la Bretagne du XVIIIe siècle

Marie Christine Delamotte

 


Résumé : Bien que les archives criminelles de la Bretagne du XVIIIe siècle conservent les traces d’assassinats particulièrement sanglants commis par des femmes, les meurtrières restent peu nombreuses. Le cas breton fait état de plusieurs caractéristiques propres à ces criminelles. Elles agissent rarement seules, le plus souvent en famille, si bien que leur degré de complicité est généralement difficile à évaluer. Elles tuent par des coups excessifs, lors d’une querelle ou d’un vol qui tournent mal mais elles peuvent aussi préméditer un assassinat par intérêt ou pour se débarrasser d’un mari. Les meurtres au sein de la famille sont sans doute largement sous-estimés, mais c’est l’infanticide qui se révèle être le meurtre féminin par excellence. Cette similitude avec le constat fait en d’autres régions montre que l’on ne peut pas parler d’une véritable spécificité bretonne pour le XVIIIe siècle mais au contraire d’un exemple représentatif ; même si le meurtre en Basse-Bretagne développe des spécificités en fin de période, avec une violence plus marquée.

Mots-clés : femmes, meurtre, infanticide, Bretagne, XVIIIe siècle.


Marie Christine Delamotte (Tempora, Université de Rennes 2) est née en 1955. Après une carrière de professeur des écoles, elle est doctorante et travaille à une thèse sur La violence féminine en Bretagne au 18e siècle, sous la direction de Dominique Godineau. Publication récente : Marie Christine Delamotte, « Le triste sort des bâtards nouveau-nés en Pays rennais à la fin de l’Ancien Régime », Histoire culturelle de l’Europe [En ligne], Revue d’histoire culturelle de l’Europe, Regards portés sur la petite enfance en Europe (Moyen Âge-XVIIIe siècle), Pratiques liées à la petite enfance, mis à jour le : 15/01/2018, URL : http://kmrsh.unicaen.fr/mrsh/hce/index.php?id=567

mc.delamotte@outlook.fr


Introduction

Pendant longtemps, la violence féminine a été ignorée. Minoritaire dans les archives comme dans les statistiques, elle est restée invisible. Mais depuis une vingtaine d’année, elle fait l’objet d’un intérêt nouveau sous l’impulsion d’historiennes[1] ou de sociologues[2]. Des chercheurs d’horizons différents se penchent sur l’histoire des femmes criminelles et s’interrogent sur leur représentation dans l’imaginaire collectif. Le XIXe siècle est abondamment documenté : une justice bien organisée depuis 1790 et une presse en plein essor offrent de nombreuses sources imprimées et iconographiques. Cet état de fait permet de mener des travaux spécifiques sur les femmes face à la justice[3], ou les grandes criminelles comme Violette Nozières[4]. En Bretagne, Annick Le Douget fait une large place aux femmes criminelles dans son livre sur la violence au village dans le Finistère[5] tandis qu’Annick Tillier se penche sur l’infanticide[6]. La période de l’Ancien Régime, avec une justice à l’organisation complexe et des archives moins bien conservées, n’offre pas autant de possibilités. Les femmes criminelles apparaissent dans des travaux plus vastes sur la violence en général[7], la criminalité dans un lieu ou une juridiction en particulier, à une période donnée[8]. Le XVIIIe siècle, avec des archives plus abondantes que celles des siècles précédents, permet néanmoins quelques recherches spécifiques sur les femmes, comme celles de Karine Lambert[9] sur la Provence ou de Dominique Godineau[10] pour la période révolutionnaire. En ce qui concerne la Bretagne, aucun ouvrage ne leur est spécifiquement dédié, même si Jean Quéniart aborde cet aspect dans son livre, Le Grand Chapelletout[11]. Les crimes féminins, selon la définition de l’époque, présentent des aspects très divers, allant de l’avortement et l’adultère au vol et aux violences verbales et physiques ; l’homicide n’en représente qu’une infime partie. Les femmes meurtrières sont encore peu connues et peu étudiées, dans l’Ancien Régime en général et en Bretagne en particulier. L’étude des archives bretonnes du XVIIIe siècle, notamment celles du Parlement de Bretagne, permet d’en esquisser un portrait, certes imparfait car vu à travers le filtre judiciaire. Toutefois, il s’agit ici d’analyser l’existence de caractéristiques spécifiques à ces meurtres et de s’interroger sur la représentativité du cas breton. Pour cela, nous verrons quel rôle jouent les femmes dans les homicides, quelles sont leurs motivations et modes d’action dans le contexte de la Bretagne du XVIIIe siècle.

La faible représentation des femmes dans les archives du Parlement de Bretagne

En examinant les archives du Parlement de Bretagne, on retrouve, entre 1689 et 1789, les traces d’environ 210 procédures pour homicide dans lesquelles des femmes sont impliquées à des degrés divers, une moyenne de deux à trois par an, avec une amplitude de zéro à cinq, sans évolution particulière au cours du siècle. Certes, toutes les procédures d’homicide n’arrivent pas en appel au Parlement : seulement celles où des juridictions inférieures ont prononcé des peines afflictives. Ainsi on en retrouve, pour la même période, une vingtaine au Présidial de Rennes et seulement cinq dans la juridiction royale de Brest. Ces chiffres sont évidemment très bas et ne correspondent très certainement pas à la criminalité réelle. D’une part, les séries d’archives qui nous sont parvenues sont souvent incomplètes, ce qui est le cas pour celles du Parlement. D’autre part, tous les homicides n’arrivaient forcément pas en justice, pour des raisons diverses : familles qui reculent devant les frais de justice, qui préfèrent un silence imposé ou consenti, un arrangement entre parties, ou c’est parfois le fait de procureurs négligents, soucieux d’éviter à leur juridiction les frais d’une procédure criminelle. Ainsi, en 1768, une sentence rappelle encore qu’il est fait défense « à tous recteurs, curés, prestres, et à tous particuliers d’inhumer et faire inhumer les corps de ceux qui auront esté trouvés morts avec des signes ou indices de mort violente »[12], ce qui montre que le problème est récurent. Cependant, même si le nombre d’homicides est sous-évalué, il n’en demeure pas moins que les femmes meurtrières sont très peu nombreuses. D’autant plus que dans 13 % des cas seulement, la femme tue seule tandis que pour 84 %, il y a au moins un homme également impliqué dans l’acte meurtrier. Quant au nombre d’hommes accusés dans un homicide (impliquant seulement un ou des hommes), il est quatre à cinq fois supérieur. Cette situation n’a rien d’exceptionnelle et ne paraît pas différente de celle des autres régions européennes. Ainsi Robert Muchembled rapporte qu’en Angleterre, au XIIIe siècle, les femmes représentent « moins d’une accusée sur dix »[13]; Michel Nassiet constate qu’au parlement de Paris, dans les années 1575 à 1604, les femmes « étaient 10,4 % parmi les accusées pour homicide »[14]; les études sur la prévôté royale de Vaucouleurs sous l’Ancien Régime[15] ou le duché-pairie de La Vallière[16] vont dans le même sens. Comme l’écrit Robert Muchembled, l’homicide est toujours « massivement masculin », et « cette sous-représentation s’observe toujours aujourd’hui, dans des proportions identiques »[17]. Cependant, en poussant notre regard plus loin que notre période, Annick Le Douget remarque que dans le Finistère « le pourcentage des femmes criminelles est au XIXe siècle constamment plus élevé que la moyenne française », phénomène qui est lié à une moyenne de criminalité générale « légèrement supérieure à la moyenne française ». Entre 1861 et 1875, le pourcentage d’accusées est de 20 % alors que le taux en France est de 14 %. Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que la moyenne du Finistère (16,5%) se rapproche de la moyenne nationale (15%)[18]. On peut expliquer cette situation par la résistance de la Basse-Bretagne à la modernisation progressive en cours au XIXe siècle. Isolée géographiquement et linguistiquement, elle conserve longtemps ses singularités et ses archaïsmes. Michel Nassiet[19] associe la baisse de l’homicide avec l’individualisation de la société et l’affaiblissement des relations de parenté. Or, ces phénomènes ne pénètrent que très lentement cette région où les solidarités familiales et communautaires restent fortes et dont l’acculturation est très progressive. On perçoit les prémices de ce problème à la fin de l’Ancien Régime. Il semblerait que les meurtrières soient plus majoritairement originaires de Basse-Bretagne dans la seconde partie du XVIIIe siècle, mais les archives sont trop fragmentaires et les cas d’homicides féminins trop peu nombreux pour faire de cette constatation une évidence. Mais Jean Quéniart, de son côté, a noté des disparités dans la cartographie de la violence à la fin de l’Ancien Régime qui peuvent corroborer cette hypothèse[20].

Des meurtrières ou des complices ? Le rôle incertain des femmes

La multiplicité des acteurs de l’homicide amène à poser la délicate question du degré de complicité et du rôle de chacun. Il est parfois difficile, pour nous, comme pour les juges de l’époque, de connaître le rôle précis des femmes. En réalité, dans plus de la moitié des affaires, les femmes n’ont pas participé activement au meurtre. Minoritaires, elles sont aussi « plus souvent provocatrices, complices ou modératrices qu’acteurs principaux », dit Jean Quéniart[21]. Elles peuvent avoir simplement « excité » les combattants. Ainsi, en 1775, une dispute entre garçons meuniers à la sortie de l’auberge fait un mort. La meunière Marie Legrand est interrogée « si elle ne les excitoit pas à maltraiter ce domestique »[22] qui était garçon meunier dans un moulin concurrent. Elle n’a pas porté de coups, mais elle a une part de responsabilité. Les femmes sont souvent soupçonnées d’avoir aidé à dissimuler les preuves du crime, particulièrement en déplaçant le cadavre. Toutes nient mais leurs dénégations laissent parfois perplexe, comme en témoigne l’interrogatoire de Mathurinne Frémont en 1726 : « Interrogée comment son mary put se charger seul du cadavre, du chien, et de la pelle et porter le tout dans ledit champ. »[23]  On peut dire qu’on retrouve dans le crime la même répartition genrée des tâches que dans le reste de la vie quotidienne. Les femmes délèguent ou sont perçues comme déléguant la violence meurtrière aux hommes, qui sont le bras armé. Cette situation correspond à la répartition traditionnelle des rôles sociaux entre hommes et femmes. Selon les normes culturelles, c’est l’homme qui commande la famille ; il se doit de la protéger, de défendre ses biens et son honneur. Possédant la force physique, il affirme sa virilité au besoin par la violence, tandis que la femme reste en retrait. Dans aucun des cas d’homicide impliquant des hommes et des femmes la femme n’a porté les coups mortels. Même si elle participe activement au meurtre, elle n’en est jamais la responsable directe. Un exemple représentatif : en 1720, il est remontré à la femme Guillonas « qu’elle a maltraitté led Belleguic à coups de pieds et de poing et qu’elle l’a traisné par les cheveux » mais ce sont les coups de bâton donnés par le mari qui entraînent la mort de la victime, trois jours plus tard[24]. Comme dans cette affaire, la moitié environ des meurtres ne sont pas prémédités et résultent d’excès qui ont mal tourné. Quand l’assassinat a été préparé, dans la plupart des cas, le rôle des femmes reste flou. Elles peuvent en avoir eu connaissance mais s’être tues, ou l’avoir encouragé, voire commandité, avoir « fait tuer » quelqu’un, comme Anne Fagon, en 1718 : « selon touttes les apparences, elle engagea lesd. Chopin Marec et quelques autres à assassiner lad. Le Gall, ce qu’ils ont fait.»[25] Ou encore de Jeanne Fresnel, en 1723, « interrogé s’il n’est pas vray que sa esté à sa sollicitation et connoissance que sondit mary et sondit fils furent le soir attendre ledit feu Berien au bas des pastures où ils l’étranglèrent.[26] Mais cette forme d’implication est encore plus difficile à prouver. Jean Quéniart estime que l’approche juridique « sous-estime lourdement la part réelle de la femme dans les rapports conflictuels. »[27] Finalement, même quand un meurtre est commis par des hommes, on ne peut pas être assuré qu’une femme n’apparaît pas en arrière-plan. C’est un aspect qui est évoqué également dans le travail sur les lettres de rémission fait par Fabienne Anthoine[28]. On peut émettre l’hypothèse que le nombre d’homicides commis par des hommes à l’instigation de femmes est plus élevé qu’il n’y paraît ; mais cela reste de l’ordre de la supposition et de l’improuvable.

Pour déterminer qui sont ces meurtrières, il n’est donc pas possible de parler d’elles sans parler aussi de leurs complices. En effet, près de 70 % des meurtres se font en famille, souvent en couple mais parents, enfants, frères et sœurs et même domestiques peuvent apporter leur aide. Par exemple, en 1730, la veuve Morvan est « Interrogée s’il n’est pas vray que sa fille Marie Morvan et elle tenoient ledit Helloch pendant que son gendre l’étrangloit. »[29]. L’organisation sociale basée sur la famille, avec des solidarités fortes, explique cette situation et Jean Quéniart tire les mêmes conclusions en écrivant que « la violence contre les personnes apparaît la plus concernée par les solidarités familiales. »[30]. Robert Muchembled avait déjà noté que, dans l’Angleterre du XIIIe siècle, « 53% (des meurtrières) agissent en compagnie d’un proche. »[31] Pour le XVIIIe siècle, les études spécifiques sur les femmes meurtrières manquent mais les travaux sur la criminalité s’accordent sur le fait que « la délinquance féminine est également marquée par son aspect collectif et familial. »[32], comme l’écrit Hervé Piant. La Bretagne n’est pas différente en cela des autres régions.

L’incertitude sur la complicité se ressent dans les condamnations. Dans les sentences définitives prononcées au Parlement, 50 % des femmes sont renvoyées hors d’accusation (acquittées), ou encore hors procès, quant à présent ou sous quousque[33], c’est à dire qu’elles retrouvent la liberté mais que la procédure peut être reprise avec la découverte de nouveaux éléments, ce qui n’arrive jamais dans la pratique. Finalement, seulement un quart d’entre elles sont exécutées, généralement pendues. On peut se demander si les juges manifestent pour elles une indulgence particulière. La question a été soulevée pour l’époque contemporaine[34] mais non pour le XVIIIe siècle. Il apparaît ici que c’est bien le rôle périphérique et le manque de preuves qui sont les raisons de ce nombre élevé d’acquittements et rien ne permet d’affirmer que leur statut de femme les protège. Par exemple, en 1776, à la suite de l’assassinat d’une aubergiste à coups de couteau, une femme est trouvée en possession d’effets volés. Bien qu’elle persiste à dire qu’elle est restée dehors pour ses besoins et n’a donc pas participé au crime, elle est pendue à Nantes, alors que les deux hommes impliqués avec elle sont renvoyés sous quousque, car il n’y a pas de preuve que ce soit bien eux les assassins[35].

Des crimes s’inscrivant dans le contexte économique et social de la Bretagne du XVIIIe siècle

Pour déterminer les caractéristiques de ces meurtres, il convient également de s’intéresser aux mobiles et aux victimes, car ces aspects s’entremêlent. On l’a vu, les meurtres impliquant des femmes s’inscrivent dans des relations sociales et familiales spécifiques qui font écho au milieu dans lequel elles vivent. Ainsi, plus de 70 % des homicides ont des causes matérielles, qu’il faut rechercher dans un contexte plutôt difficile. La province est, au XVIIIe siècle, une région plutôt en déclin, marquée par de forts contrastes entre des îlots de prospérité et des zones de pauvreté, essentiellement dans la Bretagne de l’intérieur dont l’agriculture peine à se moderniser. Elle connaît, particulièrement à la fin de l’Ancien Régime, des crises frumentaires et des épidémies engendrant des mortalités importantes, véhiculées par les soldats ou les bandes de vagabonds qui parcourent la province[36]. Ainsi, en 1787, Perrine Le Roch a une querelle avec un vieux voisin qui veut « avoir du lait et de la bouillie dont elle et sa fille mangeoient », et elle lui lance une pierre qui l’atteint au front : il en meurt quelques jours après. Elle justifie son refus « par la raison qu’elle et sa fille n’en avoient que ce qu’il falloit. »[37] Par cet exemple, on mesure à quel point la vie pouvait être précaire. C’est en milieu rural que les meurtrières se retrouvent en grande majorité et sont les plus actives. Près d’un quart des affaires ont pour origine un différent avec des voisins. On tue pour des dégâts faits par les bestiaux, pour un droit de passage, pour un litige au sujet d’une terre, un procès perdu. Il semble que des haines mortelles s’y développent et il existe déjà un contentieux, parfois ancien, quand le drame éclate. Cela peut être favorisé par l’habitat dispersé, qui fait que les familles se retrouvent toujours avec le même voisinage, pour le meilleur et le pire. Jean Quéniart rappelle que « l’hostilité entre voisins a certainement une potentialité dramatique d’autant plus forte que manquent les médiations, les modes de sociabilité quotidienne qui pourraient faire décroître la tension. »[38] Ainsi, en 1789, Marie Madec tue une voisine de plusieurs coups de couteau pendant une querelle « au sujet de sa chèvre qui endommageait un champ d’avoine à la défuncte Cadic ». Il apparaît toutefois que l’animosité entre elles était plus ancienne : « depuis qu’une vache de ladite Madec a été chassée d’une prairie de ladite Cadic par sa sœur et qu’elle est tombée dans la rivière où elle est morte. »[39] On tue aussi pour voler, ce qui est le cas de 14 % des homicides. Il existe des familles de paysans sédentaires qui ont abandonné le travail de la terre pour devenir bandits. Ainsi, en 1756, Françoise Buzelier, dont la famille se compose des parents, de deux fils et deux filles avec leurs maris, est « convaincue d’avoir vécu, nouris, élevés et induits ses enfants dans le crime, vols et meurtres sur les grands chemins, d’avoir trempée dans les assassinats desdits deux voyageurs. »[40]  Il y a également des bandes qui sévissent sur les grands chemins ou en attaquant de nuit les habitations isolées. Là aussi, les liens familiaux sont très présents. Si on examine la composition d’une bande de six hommes et cinq femmes, jugés en 1788, on constate que deux des femmes sont avec leur mari, dont une également avec sa fille, une autre jeune fille est avec son père, la cinquième est une voisine[41]. En ce qui concerne les villes, elles sont le théâtre de nombreuses querelles entre femmes, de vols et de bagarres, particulièrement les villes portuaires où circulent soldats et matelots. Toutefois les homicides impliquant des femmes y sont en quantité négligeable : ils sont le résultat de rixes auxquelles sont mêlées des femmes « de mauvaise vie ». Diane Roussel avait déjà observé au sujet du Paris de la Renaissance que, « loin des stéréotypes qui voudraient voir dans la ville le lieu d’un déchaînement de brutalité meurtrière, la capitale se fait au contraire apaisante et civilisatrice. »[42] Ce constat semble aussi valable pour les villes bretonnes du XVIIIe siècle.

Il faut encore se demander si la petite quantité de femmes qui tuent seules a des motivations particulières. Or, dans près de la moitié de ces homicides, il s’agit d’un accident, jet de pierre ou maltraitements excessifs, à la suite d’une querelle. Les assassinats de mari, sur lesquels nous reviendrons, comptent également presque pour moitié. Parricide et matricide sont quasiment absents, ce qui confirme les observations qui ont pu être faites dans le reste de la France du XVIIIe siècle. Les femmes se trouvent finalement impliquées dans des conflits liés à leurs conditions de vie, à la nécessité de protéger leur famille et d’assurer sa subsistance, avec des hommes dont elles partagent les motivations.

Des meurtres spécifiquement féminins ?

Existe-t-il des meurtres spécifiquement féminins ? Assassiner son mari est par nature un crime de femme et les femmes qui tuent leur époux ne sont pas rares puisque 23 % du total des homicides concernent un mari. Marie-Yvonne Crépin estime que l’uxoricide est partagé à égalité entre hommes et femmes[43], ce qui amène à dire que l’assassinat d’un conjoint n’est pas spécifiquement féminin. Mais alors que les maris peuvent tuer par accident, par excès de coups, les épouses assassinent toujours délibérément. Il est intéressant de constater que, comme pour les autres meurtres, les femmes n’agissent pas seules : sur une cinquantaine de cas, neuf seulement tuent sans aide. Plus de 30 % ont des complices dans leur famille, père ou frères. Ainsi, en 1726, Charlotte Catherinne est assistée de ses deux frères : « ils l’étranglèrent puis l’emportèrent en aide les uns des autres.»[44] En 1779, c’est avec son père que Françoise Michot enivre un homme et le fait tirer un coup de fusil sur son mari[45]. On retrouve ici l’expression des solidarités familiales, et le devoir des hommes de protéger les femmes de leur famille. D’autres femmes sont aidées de leurs enfants, souvent des enfants d’un premier mariage. Et dans ces affaires, ce sont les maltraitements de la femme, mais aussi des enfants, qui sont le plus souvent invoqués comme mobiles. C’est le cas de Thérèse Guéret, en 1721, dont le mari est retrouvé noyé, qui affirme « qu’il avoit pris la hache après elle et ses enfants de son premier mariage et qu’elle avoit esté blessée. »[46] Cependant la moitié des femmes ont recours à des hommes extérieurs à la famille. En 1771, Jacques Ernoul, qui a tué un nommé Coué de plusieurs coups de pal, avoue « qu’il est vray qu’il menoit un commerce illicite avec Mathurinne Grimaud femme dudit Coué depuis deux à trois ans.»[47] Dans ce cas précis, le « commerce illicite » est la cause incontestable de l’assassinat du mari. Mais, dans la plupart des affaires, il est difficile de savoir si ce « mauvais commerce » n’est pas, pour la femme, un moyen de trouver quelqu’un pour l’aider à commettre le meurtre. C’est le cas de l’épouse d’un conseiller au présidial qui, en 1778, tente de faire croire à une intrusion de bandits en pleine nuit. Elle a promis de l’argent, des terres et jusqu’au mariage à un homme pour l’aider dans son projet[48]. Certaines femmes cherchent ouvertement un homme de main, comme Jeanne Allard, en 1782, qui propose à plusieurs personnes de tuer son mari, finalement massacré à coups de serpe devant sa porte et sous les yeux de ses enfants[49]. Dans toutes les affaires quelque peu documentées, ce n’est pas une simple mésentente qui apparaît mais, au-delà du « mauvais commerce » éventuel, une véritable haine qui anime ces femmes. Ainsi, en 1779, Anne Le Gouverneur dit de son mari « qu’elle le ferait crever et qu’elle l’assommerait de coup de garot si elle était obligée d’aller demeurer avec lui. »[50] Le mariage est un lien indissoluble dont seule la mort peut libérer. C’est sans doute pourquoi l’assassinat de mari est le seul crime commis par des femmes de toutes les catégories sociales. On retrouve parmi les accusées, une noble[51], une femme d’avocat[52], une femme de conseiller au présidial dont nous avons parlé, même si la plupart sont des paysannes. La plupart des maris meurent dans des conditions sordides, étranglés, tués à coup de fourche ou de bâton puis sont abandonnés dans un lieu isolé ou sur le grand chemin. La stratégie est de faire croire qu’ils ont été attaqués par des inconnus – ce qui tend aussi à montrer que beaucoup de meurtres restent impunis.

Peu de maris sont empoisonnés : seulement neuf, soit 19 %. Mais il est vrai que huit le sont par des femmes qui ne bénéficient pas de l’aide d’un homme, et on serait tenté de voir dans le poison l’arme des femmes seules. Cependant, dans l’ensemble de la période, le nombre d’empoisonnements est très faible (9%), et parmi ceux-ci la moitié seulement ont été commis par des femmes seules. Le poison n’apparaît donc comme pas comme une arme spécifiquement féminine contrairement à la représentation traditionnelle. Aujourd’hui encore, il n’est pas considéré comme « une singularité féminine de la criminalité. » mais on parle davantage de l’empoisonneuse que de l’empoisonneur car « dans l’imaginaire collectif, l’empoisonneuse présente l’effrayante image inversée de la mère nourricière » dit Myriam Tsikounas[53]. C’est au XIXe siècle que les feuilles volantes puis la presse véhiculeront les représentations stéréotypées de cette gardienne du foyer qui donne la mort, de cette femme sournoise et dissimulatrice qu’est l’empoisonneuse.

Le cas de l’infanticide

On trouve, dans les archives du Parlement, étonnamment peu de femmes ayant tué leurs enfants : cinq affaires en un siècle. Il ne faut pas trop vite en conclure que ces affaires n’existaient pas. Il est plus vraisemblable que cette forme de violence familiale soit restée cachée et ignorée, du moins de la justice. La maltraitance infantile évoquée par Annick Le Douget pour le XIXe siècle[54] existait forcément au XVIIIe mais elle est restée quasiment invisible dans les archives judiciaires. A une époque où la mortalité infantile était très forte, il est probable que plus d’une mort suspecte soit passée inaperçue ; mais cela aussi reste du domaine de l’hypothèse.

En revanche l’infanticide de nouveau-nés est un phénomène bien connu[55]. En un siècle, près de 210 procédures arrivent au Parlement, c’est à dire autant que les procédures d’homicides. Toutefois elles sont plus nombreuses que ces dernières dans les autres juridictions : 28 au Présidial de Rennes, une dizaine pour la seule ville de Saint-Malo. Même dans la plus petite juridiction seigneuriale, on trouve des affaires d’infanticide. Leur nombre est sans doute sous-estimé : dans de nombreux cas, la mère n’est pas retrouvée, soit qu’elle demeure inconnue, soit qu’elle se soit enfuie ; il est également possible que les cadavres des nouveau-nés n’aient pas été retrouvés. Les infanticides sont la conséquence d’un « mauvais commerce », consenti ou imposé et les enfants sont des enfants « bâtards ». Dans plus de 90 % des cas, la mère agit seule, et c’est ce qui fait de l’infanticide un crime spécifiquement féminin. Toutes ces femmes sont de condition modeste, le plus souvent servantes ou domestiques, parfois lingères, fileuses ou journalières. Ce sont généralement des jeunes filles prises de force ou séduites avec une promesse de mariage par leur maître ou par un autre domestique, ainsi que quelques veuves ou femmes dont le mari est parti depuis longtemps. Depuis 1556, les grossesses illégitimes doivent être déclarées, pour prévenir ces infanticides. Mais les femmes essaient de cacher leur grossesse et leur accouchement, pour préserver à la fois leur emploi et leur honneur. Ce qui n’est pas toujours possible, sous la surveillance des femmes du voisinage. Ainsi, en 1775, une voisine de Françoise Gautier dit « que la ditte Gautier passoit pour avoir été grosse et la soupçonna fort d’avoir accouché » ; avec d’autres voisines, elles « cherchèrent l’enfant dont la ditte Gautier étoit soupçonnée d’avoir accouchée dans les jardins et pièces de terre voisins sans rien trouver. »[56]1 Déshonorées, les mères d’un enfant illégitime sont mises au ban de la société et par voie de conséquence privées de leur gagne – pain et livrées à la mendicité et au vagabondage. C’est la raison que donne Marie Le Paroux qui avoue, en 1784, « qu’elle avoit honte de le déclarer, d’autant que cela lui auroit fait perdre sa condition et l’eut exposée à être tout l’hiver sur le pavé. »[57] Beaucoup d’enfants meurent faute de soins à la naissance ; les mères disent être « tombée en faiblesse », comme le fait Marie Le Paroux. D’autres assurent qu’il est mort né, comme Jacquette Vary, en 1722 : « estant venu mort au monde elle l’enterra dans le jardin pour sauver son honneur et sa réputation. »[58] D’autres encore affirment avoir été possédées, comme Catherine Travers qui, en 1747, égorge le nouveau-né avec un couteau et dit que « le démon la tenta si fort qu’elle tua son enfant sans sçavoir comment, possédée qu’elle étoit. »[59] Plusieurs disent ne pas savoir que c’est un enfant, comme Hélène Lemoine, en 1783, qui « prit ce qu’elle avoit fait, qu’elle ignoroit être un enfant. »[60] Si les preuves que l’enfant a bien été tué manquent, les femmes peuvent espérer sauver leur vie et beaucoup bénéficient d’une sentence de quousque, comme pour les autres formes d’homicide. Mais les autres (environ la moitié) sont pendues. C’est le cas de Janne Garnier qui avoue, en 1757 qu’« elle prit son enfant qu’elle plongea dans une mare, que l’aiant tiré et voiant qu’il n’étoit pas mort elle le mit dans la boue et lui marcha sur le corps et le pilla. »[61] Ou de Marguerite Kergoat, en 1781, qui tue l’enfant « en le jetant par une fenestre d’un second étage parmi des planches dans la cour. »[62] Annick Tellier, qui s’est intéressée aux femmes infanticides en Bretagne au XIXe siècle, a noté un nombre d’infanticide en Bretagne supérieur à la moyenne nationale. Ce qui correspond d’ailleurs tout à fait aux constatations d’Annick Le Douget sur la criminalité que nous avons évoquées précédemment. Elle arrive à une conclusion qui peut aussi s’appliquer au XVIIIe siècle : « L’origine rurale des criminelles, pour qui la mise à mort des animaux est un acte banal, la familiarité des hommes du XIXe siècle avec la mort, l’importance de la mortalité infantile, atténue sans doute à leurs yeux la portée de leur acte. D’autant que pour nombre d’entre elles, le nouveau-né n’est pas encore une personne. »[63] Les mères infanticides apparaissent comme des victimes de la misère et de la solitude, pénalisées à la fois par leur sexe et leur condition sociale. « Si l’infanticide est violence, il s’inscrit au terme d’un processus, où la future mère s’est heurtée à celle de la société »[64].

Conclusion

Les femmes meurtrières dans la Bretagne du XVIIIe siècle sont peu nombreuses ; elles agissent rarement seules et sont les complices plus ou moins actives de meurtres qui s’accomplissent le plus souvent en famille, pour des raisons généralement matérielles qui s’inscrivent dans un contexte économique et social souvent difficile. Les meurtrières bretonnes ne sont, en cela, pas différentes des femmes du reste de la France et semblent donc plutôt représentatives. Cette violence brutale, parfois cruelle, est tout à fait semblable à celle des hommes et s’inscrit dans le contexte d’une société elle-même violente, dont elle représente un des aspects. De la même façon, en Bretagne comme ailleurs, le seul crime typiquement féminin est l’infanticide. Cependant, à partir de la seconde partie du siècle, s’amorce une tendance qui ne sera vraiment visible qu’au XIXe siècle. A mesure que les solidarités familiales vont s’effriter, que l’homicide va être mieux réprimé et diminuer, la violence va néanmoins disparaître plus lentement en Basse-Bretagne. Alors qu’une presse en plein essor va contribuer à diffuser largement le récit de leurs crimes, les meurtrières vont arriver en pleine lumière aux assises. Mais parce que les femmes sont moins représentées dans le crime, parce qu’elles sont assignées traditionnellement au rôle d’épouses et de mères, elles vont être perçues comme d’autant plus monstrueuses qu’elles sont rares.


[1] Cécile DAUPHIN, Arlette FARGE (dir.), De la violence et des femmes, Paris, Albin Michel, 1997, (Histoire).

[2] Coline CARDI, Geneviève PRUVOST (dir.), Penser la violence des femmes, Paris, La Découverte, 2012.

[3] Christine BARD, Frédéric CHAUVAUD, Michelle PERROT, Jacques – Guy PETIT (dir.), Femmes et justice pénale. XIXe – XXe siècles, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2002.

Frédéric CHAUVAUD, Gilles MALANDAIN (dir.), Impossibles victimes, impossibles coupables. Les femmes devant la justice (XIXe – XXe siècles), Rennes, Presse Universitaires de Rennes, 2009.

[4] Anne-Emmanuelle DEMARTINI, « Celle dont on ne voit pas les yeux. Portraits de Violette Nozières », in L’historien, le juge et l’assassin, Paris, Publication de la Sorbonne, 2012.

[5] Annick LE DOUGET, Violence au village. La société rurale finistérienne face à la justice (1815 – 1914), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2014.

[6] Annick TILLIER, Des criminelles au village. Femmes infanticides en Bretagne (1825-1865), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2001.

[7] Robert MUCHEMBLED, Une histoire de la violence de la fin du Moyen Age à nos jours, Paris, Le Seuil, 2008.

Michel NASSIET, La violence, une histoire sociale. France, XVIe – XVIIIe siècles, Seyssel, Champ Vallon, 2011.

[8] Fabrice MAUCLAIRE, La justice au village. Justice seigneuriale et société rurale dans le duché-pairie de La Vallière (1667 – 1790), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008.

Hervé PIANT, Une justice ordinaire. Justice civile et criminelle dans la prévôté royale de Vaucouleurs sous l’Ancien Régime, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006.

[9] Karine LAMBERT, Itinéraires féminins de la déviance. Provence, 1750-1850, Aix en Provence, Presses Universitaires de Provence, 2012.

[10] Dominique GODINEAU, Citoyennes tricoteuses. Les femmes du peuple à Paris pendant la Révolution française, Aix en Provence, Alinéa, 1988.

[11] Jean QUÉNIART, Le Grand Chapelletout. Violence, normes et comportements en Bretagne rurale au XVIIIe siècle, Paris, Apogée, 1993.

[12] AD Ille-et-Vilaine, 1Bg 330.

[13] Robert MUCHEMBLED, Une histoire de la violence…, op cit., p. 82.

[14] Michel NASSIET, La violence, une histoire sociale…, op cit., p. 41.

[15] Hervé PIANT, Une justice ordinaire…, op cit., pp. 461-462.

[16] Fabrice MAUCLAIRE, La justice au village…, op cit., p.187 ; 260.

[17] Robert MUCHEMBLED, Ibid., p. 82.

[18] Annick LE DOUGET, Femmes criminelles en Bretagne au XIXe siècle. Tourments, violences et châtiments, Fouesnant, Cloître Imprimeurs, 2003, pp. 148-152.

[19] Michel NASSIET, Ibid., pp. 12-18.

[20] Jean QUÉNIART, Le Grand Chapelletout. Violence, normes et comportements en Bretagne rurale au XVIIIe siècle, Paris, Apogée, 1993, pp. 159-165.

[21] Jean QUÉNIART, Ibid., p. 88.

[22] AD Ille-et-Vilaine, 2B 1292.

[23] AD Ille-et-Vilaine, 1Bg 267 /1Bg 444/ 1Bn 1799.

[24] AD Illle-et-Vilaine, 1Bg 427.

[25] AD Ille-et-Vilaine, 1Bg 426.

[26] AD Ille-et-Vilaine, 1Bg 443, 1Bn 1388.

[27] Jean QUÉNIART, Le Grand Chapelletout…, op cit., p. 35.

[28] Fabienne ANTHOINE, Criminalité en Bretagne au XVIIIe siècle à partir des lettres de rémission. Mémoire de Maîtrise sous la direction de Jean Quéniart, Histoire. Rennes : Université de Rennes 2, 1991.

[29] AD Ille-et-Vilaine, 1Bg 444.

[30] Jean QUÉNIART, Le Grand Chapelletout…, op cit., p. 108.

[31] Robert MUCHEMBLED, Une histoire de la violence …, op cit., p. 82.

[32] Hervé PIANT, Une justice ordinaire…, op cit., p. 106.

[33] Le renvoi « hors d’accusation » lave de tous soupçons ; s’il subsiste quelques légers doutes, la Cour renvoie « hors procès » ; mais si des indices plus importants existent, elle renvoie « quant à présent », et enfin s’il y a de graves indices, sous « quousque » : ce sont des formes d’acquittement imparfaites et dans ces deux derniers cas, le procès peut reprendre si de nouveaux éléments sont découverts. Le « quousque » peut être assorti d’une peine de prison.

[34] Christine BARD, Frédéric CHAUVAUD, Michelle PERROT, Jacques – Guy PETIT (dir.), Femmes et justice pénale…op. cit.

[35] AD Ille-et-Vilaine, 1Bn 2668/ 1Bn 2885/ 1Bg 347.

[36] Jean QUÉNIART, La Bretagne au XVIIIe siècle, Rennes, éditions Ouest-France, 2004.

[37] AD Ille-et-Vilaine, 1Bg 361/1Bg 440/ 1Bn 3731.

[38] Jean QUÉNIART, Le Grand Chapelletout…, op cit., p. 62

[39] AD Ille-et-Vilaine, 1Bn 4188.

[40] AD Ille-et-Vilaine, 1Bg 317/1Bg 434/ 1Bn 2094.

[41] AD Ille-et-Vilaine, 1Bn 4001 à 4004.

[42] Diane Roussel, Violences et passions dans le Paris de la Renaissance, Seyssel, Champ Vallon, 2012.

[43] Marie-Yvonne CRÉPIN, « Violences conjugales en Bretagne : la répression de l’uxoricide au XVIIIe siècle », in Mémoires de la Société d’Histoire et d’archéologie de Bretagne, 1995, p. 163 – 175.

[44] AD Ille-et-Vilaine, 1Bg 267/1Bg 444.

[45] AD Ille-et-Vilaine, 1Bg 352/1Bn 2977.

[46] AD Ille-et-Vilaine, 1Bn 1279.

[47] AD Ille-et-Vilaine, 1Bg 437/1Bn 2432.

[48] AD Ille-et-Vilaine, 1Bg 348 /349/1Bn 2768/2B 1320/1322.

[49] AD Ille-et-Vilaine, 1Bg 359, 1Bn 3334/1 à 3.

[50] AD Ille-et-Vilaine, 1Bg 352/353/358/1Bn 2980.

[51] AD Ille-et-Vilaine, 1Bn 3159/1.

[52] AD Ille-et-Vilaine, 1Bg 443, 1709.

[53]  Myriam TSIKOUNAS, Éternelles coupables. Les femmes criminelles de l’Antiquité à nos jours, Paris, Autrement, 2008, p. 188.

[54]  Annick LE DOUGET, Violence au village…, op cit., pp. 91-118.

[55] Voir pour le XVIIIe siècle : Didier RIET, L’infanticide en Bretagne au XVIIIe siècle, Thèse de doctorat : Histoire. Rennes, Université de Rennes 2, 1983, 163 p. ; et pour le XIXe siècle : Annick TILLIER, Des criminelles au village. Femmes infanticides en Bretagne (1825 – 1865), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2001.

[56] AD Ille-et-Vilaine, 1Bn 2595/3 ; 2B 1298.

[57] AD Ille-et-Vilaine, 1Bn 3382/2B 1374.

[58] AD Ille-et-Vilaine, 1Bg 443.

[59] AD Ille-et-Vilaine, 1Bn 1936.

[60] AD Ille-et-Vilaine, 1Bg 353/2B 1358.

[61] AD Ille-et-Vilaine, 1Bg 434.

[62] AD Ille-et-Vilaine, 1Bg 353/1Bn 3133.

[63] Annick TILLIER, Des criminelles au village, op cit., p. 400.

[64] Jean QUÉNIART, Le Grand Chapelletout…, op cit., p. 85.


Bibliographie

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Se passer des procureurs ? Les juges conservateurs des foires de Lyon et les procureurs postulants dans la seconde moitié du XVIIe siècle

Benoît Saint-Cast

 


Résumé : L’étude des auxiliaires de justice a largement contribué à renouveler la connaissance du fonctionnement des institutions judiciaires d’Ancien Régime. Peu d’études en revanche se sont intéressées aux auxiliaires des justices commerciales. L’article s’intéresse au cas des procureurs postulants au tribunal de la conservation des foires de Lyon dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Si la place que ces auxiliaires devaient occuper au sein du tribunal a fait l’objet de débats et de conflits, dans une période de réformes des institutions judiciaires par la monarchie, leur ministère s’avérait indispensable au fonctionnement de la justice des foires. L’histoire mouvementée des procureurs à la conservation dans cette période articule des problématiques cruciales dans l’intégration des juridictions commerciales dans le système judiciaire d’Ancien Régime, entre rivalités avec les juridictions ordinaires, tentative d’uniformisation monarchique et recherche d’un équilibre interne dans ces institutions.

Mots-clés : procureurs ; auxiliaires de justice ; conflits de juridiction ; justice commerciale ; justice sous l’Ancien Régime.


Né à Angers le 18 juin 1990, Benoît Saint-Cast est agrégé d’histoire et prépare une thèse de doctorat en histoire moderne sous la direction de Natacha Coquery à l’Université Lyon 2–Lumière (LARHRA, UMR 5190). Sa thèse porte sur le règlement des litiges commerciaux devant le tribunal de la conservation des foires de Lyon de 1655 aux années 1760. Ses recherches croisent histoire sociale, histoire économique et histoire de la justice pour appréhender les relations entre marchés, pouvoirs et société dans la France d’Ancien Régime. Depuis 2017, il enseigne l’histoire moderne à l’Université Polytechnique des Hauts-de-France (Valenciennes) en qualité d’ATER.


Introduction

Cet article interroge la place occupée par les procureurs postulants au sein du tribunal de la conservation des foires de Lyon dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Ces auxiliaires de justice avaient été bannis des juridictions consulaires au même titre que les avocats par l’édit de 1563, qui créait les juge et consuls parisiens, et par l’ordonnance civile de 1667[1]. Pourtant, à la veille de la Révolution, des postulants avaient été admis à représenter les parties et plaider pour elles dans la plupart des juridictions consulaires malgré leur proscription par les textes de loi[2]. Aucun office royal de procureur n’avait cependant été créé dans ces juridictions et les postulants n’y étaient admis à postuler qu’avec l’agrément des juges et consuls. La création d’offices royaux de procureurs postulants en la conservation des privilèges des foires de Lyon en 1692 distinguait ce tribunal des autres juridictions commerciales du royaume. Avant cette date, l’admission des procureurs au sein du tribunal des foires avait fait l’objet de débats et de contestations. La présence des procureurs touchait à des questions centrales comme l’organisation interne du tribunal, la façon dont la justice était rendue et les relations entre la conservation et la juridiction ordinaire de la ville, la sénéchaussée et siège présidial de Lyon.

L’étude des auxiliaires de justice (greffiers, huissiers, sergents, procureurs, avocats, etc.) tient une place importante dans les renouvellements récents de l’histoire de la justice d’Ancien Régime[3]. S’agissant des procureurs, des travaux récents, en particulier ceux de Claire Dolan, ont permis de mettre en évidence leur rôle essentiel d’interface entre les justiciables et l’institution judiciaire[4]. Les procureurs avaient pour fonction de représenter les parties au tribunal et d’effectuer pour elles toutes les démarches et actes nécessaires au déroulement de la procédure (ce qu’on appelle postuler). Ils devaient aussi défendre les intérêts de leurs parties et pouvaient plaider à la place des avocats. Cependant, notre connaissance des postulants des juridictions commerciales avant la Révolution reste limitée. Les anciennes monographies sur les différentes justices consulaires d’Ancien Régime leur consacrent souvent un chapitre ou quelques pages[5]. Les travaux plus récents sur les juridictions consulaires se sont encore peu intéressés aux auxiliaires de justice[6]. La compagnie des agréés de la juridiction consulaire parisienne reste la mieux connue grâce à d’anciennes études[7] ou au travail récent de Claire Lemercier, qui a montré le rôle crucial des agréés dans le fonctionnement du tribunal de commerce de Paris au XIXe siècle [8]. Dans le cas de Lyon, l’étude de référence de Joseph Vaësen sur le tribunal de la conservation des foires aborde de manière partiale et superficielle le cas des procureurs[9]. L’auteur estimait que l’admission des procureurs dénaturait la justice des foires et participait d’un « luxe de formalités si nuisible aux vrais intérêts du commerce[10] ». En se fondant essentiellement sur les sources normatives, Joseph Vaësen avait conclu à une suppression des procureurs de la conservation en 1669 et à leur rétablissement par un édit royal de 1692. Cette erreur accrédite l’idée selon laquelle le ministère des procureurs était fondamentalement incompatible avec l’exercice d’une justice sommaire destinée aux marchands. En se débarrassant des préjugés qui entourent la fonction des procureurs, un éclairage par les sources de la pratique et du fonctionnement quotidien du tribunal montre leur rôle-clé dans l’institution et permet de réévaluer les enjeux des conflits et des débats qu’a soulevé l’exercice de leur fonction dans la juridiction commerciale de Lyon dans la seconde moitié du XVIIe siècle.

L’article vise à comprendre l’évolution des relations entre les juges conservateurs et les procureurs qui postulaient au tribunal des foires. Par ce biais, on espère éclairer le rôle des auxiliaires de justice et les enjeux de la postulation dans les juridictions commerciales d’Ancien Régime. La première partie présente l’organisation institutionnelle de la conservation des foires et revient sur l’origine de la présence des procureurs au sein du tribunal. La deuxième partie est consacrée aux circonstances de l’exclusion des procureurs de la conservation par un édit 1669, à la suite d’un important conflit de juridiction entre ce tribunal et la sénéchaussée et siège présidial de Lyon. Il s’agira enfin dans une troisième partie d’interroger les motifs et les enjeux de leur maintien au sein du tribunal, en dépit de leur proscription et bien avant la création d’offices de procureurs postulants en la conservation à la fin du XVIIe siècle.

Aux origines de la présence des procureurs au tribunal des foires de Lyon

Pour comprendre la présence de procureurs postulants dans la conservation des privilèges des foires de Lyon, il convient de revenir sur l’organisation et l’évolution de cette institution depuis sa création au XVe siècle jusqu’au XVIIe siècle. Durant cette période, le tribunal s’est progressivement imposé comme une des principales juridictions de la ville, attirant un nombre croissant de justiciables et d’auxiliaires de justice.

Organisation institutionnelle et compétences de la conservation

La conservation de Lyon avait été érigée en 1463 pour juger les affaires civiles et criminelles liées aux quatre foires annuelles de la ville, créées entre 1420 et 1463[11]. Avec le développement des foires, Lyon s’était affirmée comme un centre commercial essentiel pour le royaume de France au XVIe siècle[12]. En dépit du déclin relatif des foires à la suite des guerres de religion[13], Lyon demeurait au siècle suivant un marché cambiaire et une place marchande d’envergure européenne, tandis que la Grande Fabrique de la soie prenait une importance croissante. Au cours du XVIIe siècle, la conservation des privilèges des foires connut des mutations capitales tant dans son organisation institutionnelle que dans ses compétences. Depuis sa création, la justice y était rendue par un officier royal de robe longue, c’est-à-dire gradué en droit. Par un édit de 1655, la conservation fut rattachée au corps municipal de Lyon (le consulat) à la suite du rachat des différents offices du tribunal par celui-ci. À partir de cette date, la justice des foires fut exercée par le prévôt des marchands et les quatre échevins de Lyon et par six juges assesseurs nommés pour un mandat de deux ans parmi les marchands et bourgeois de la ville, dont un ex-échevin. Chaque année, au mois de janvier, durant lequel deux échevins étaient nouvellement élus, trois nouveaux assesseurs entraient en charge, l’un nommé par le roi et les deux autres choisis par le consulat.

Les compétences de la conservation furent également étendues et consolidées au cours du XVIIe siècle. D’après les édits de 1467 et 1535 qui réglaient ses compétences, le juge conservateur avait la connaissance exclusive de toutes les affaires commerciales liées aux foires, tant civiles que criminelles, y compris les faillites, banqueroutes, saisies et appositions de scellés. À partir du début du XVIIe siècle, la conservation acquit progressivement, en plus de ses compétences foraines, les mêmes compétences que les juridictions consulaires, à savoir la connaissance de tous les procès entre marchands pour fait de marchandises seulement. En 1602, sa juridiction fut étendue à tous les faits de négoce, tant en foire que hors foire[14]. Les compétences consulaires de la conservation furent entérinées par un édit de 1669, surnommé « édit de la conservation », à l’issue d’un important conflit de juridiction qui l’opposa à la sénéchaussée et siège de présidial de Lyon entre 1667 et 1668[15]. L’édit de la conservation consacrait la spécificité du tribunal tout en l’intégrant dans le réseau des juridictions consulaires, dont la monarchie s’efforçait d’uniformiser et de codifier les procédures. La conservation obtenait ainsi de juger souverainement et en dernier ressort jusqu’à la somme de 500 livres, comme les juge et consuls de Paris.

Au milieu du XVIIe siècle, la conservation étendait sa juridiction sur toutes les affaires commerciales, tant civiles que criminelles, d’un pôle économique majeur du royaume. Le tribunal s’affirmait comme l’une des principales juridictions royales de la ville, à côté et aux dépens de la juridiction ordinaire, la sénéchaussée et siège présidial de Lyon[16]. Ville de commerce et cité la plus peuplée du royaume après Paris, Lyon resta dépourvue de cour souveraine jusqu’à l’érection d’une cour des monnaies en 1704 qui disposait d’une juridiction sur l’ensemble du royaume[17]. Hormis durant la courte existence d’un conseil supérieur (1771-1774) à la suite de la réforme du chancelier Maupeou, la ville dépendait du ressort du parlement de Paris. Lyon ne disposait pas non plus d’université, mais seulement d’une école de droit, financée par la municipalité, qui s’adressait aux petits officiers de justice, comme les procureurs. N’ayant comme concurrent que la sénéchaussée, le tribunal des foires pesait de plus en plus lourd dans le monde judiciaire lyonnais.

Les procureurs postulants au tribunal des foires

Jusqu’en 1668, le recours aux procureurs et avocats n’avait pas été explicitement interdit au tribunal de la conservation des foires. Les édits de 1467 et de 1535 rappelaient seulement que les procès devaient être jugés par le conservateur « sommairement et sans figure de plaids[18] ». Cependant, certaines compétences du tribunal rendaient leur ministère nécessaire, comme les saisies, appositions de scellés et inventaires de biens, les ventes judiciaires et les procédures criminelles. Ainsi, dès le début du XVIe siècle, des parties étaient représentées par des procureurs pour les causes ordinaires et sommaires et au tournant des XVIe et XVIIe siècles l’emploi des procureurs et des avocats dans la conservation s’était généralisé[19]. Un mémoire du consulat daté de 1603 déplorait l’accroissement du nombre d’auxiliaires de justice[20]. La justice des foires avait connu une dynamique de professionnalisation et un personnel judiciaire toujours plus nombreux gravitait autour du tribunal. D’après le consulat, la création dans la conservation d’un greffier des présentations – chargé d’inscrire sur un registre le nom des procureurs des parties moyennant une taxe – avait institué l’usage de refuser de recevoir les parties à plaider sans procureur[21]. Le consulat reconnaissait que les parties elles-mêmes étaient à l’origine de cette dynamique. Les procureurs répondaient à une demande de justiciables ignorants des arcanes de la procédure. Les parties étaient alors en mesure d’exploiter toutes les possibilités offertes par la procédure pour allonger les procès ou décliner la justice du conservateur. De surcroit, une partie avait tout intérêt à payer les services d’un procureur dès lors que son adversaire y avait recours. Leur assistance devenait ainsi déterminante dans les chances qu’avaient les justiciables de remporter un procès.

Le quasi-monopole des procureurs dans la représentation des parties suscita de nombreuses critiques de la part du consulat et des marchands[22]. La présence des procureurs dénaturait la justice des foires, anciennement fondée sur la bonne foi des marchands et non sur les stratégies judiciaires qu’ils y avaient introduites. Dans son mémoire de 1603, le consulat écrivait :

« Au lieu que quand les parties plaident par leur bouche et sans assistance de procureur, la bonne foy venoit au dessus ; les amys s’interposoient pour les accorder et au pis aller le Conservateur jugeoit sur le champt et de plain et les greffiers n’estoient point cause de faire constituer les procureurs. […] Et ainsy la simplicité de la foy mercantile n’estoit poinct gauchie lors par les ouvertures que la praticque en faict maintenant[23]. »

Le discours du consulat s’appuyait sur les mêmes arguments qui avaient justifié l’exclusion des procureurs et des avocats des juridictions consulaires. L’édit de création de la juridiction consulaire de Paris ordonnait en 1563 que les parties comparaîtraient en personne « pour estre ouïs par leur bouche », de façon à abréger le déroulement des procès qui devaient se faire « sans aucun ministère d’avocat et de procureur ». Cette mesure était censée garantir une justice prompte, rapide et peu coûteuse. Les procureurs étaient accusés d’inciter à la chicane et d’allonger volontairement les procédures pour augmenter leur salaire. Dans le même temps, la comparution directe des parties reposait sur un idéal d’honnêteté, d’honneur et de vertu des marchands, en opposition aux subtilités du droit et de la procédure et aux artifices des plaidoiries[24].

Les procureurs postulants à Lyon portaient le titre de « procureurs de la Sénéchaussée et Siège Présidial » ou, de manière générique, « procureurs ès cours de Lyon », car ils avaient la faculté de postuler dans toutes les juridictions royales de la ville. Ces charges avaient été érigées en offices royaux par un édit de juillet 1572 et une déclaration royale de 1585 après avoir été temporairement supprimées[25]. Leur nombre avait été fixé à quarante par un arrêt des Grands Jours du 8 octobre 1596 mais ce numerus clausus fut rapidement dépassé[26]. Un édit de février 1620 créa des offices royaux de procureurs postulants dans toutes les juridictions royales, qui devinrent héréditaires par une déclaration du 2 janvier 1630[27]. En 1664, le conseil royal des finances ordonna une enquête sur les auxiliaires de justice qui exerçaient sans lettres de provision et sur simples ordonnances des juges. À cette occasion, un état des « procureurs postulants en la Sénéchaussée et Siège présidial et autres jurisdictions de la ville de Lyon » fut dressé et le numerus clausus fut alors porté à cinquante [28]. À la fin du XVIIe siècle, le nombre de procureurs ès cours de Lyon était de soixante[29].

En dépit des nombreuses plaintes formulées par le consulat à l’égard des procureurs au début du XVIIe siècle, ils furent maintenus au sein du tribunal lors de sa réunion au corps consulaire en 1655[30]. L’édit de réunion ordonnait « que les Procureurs en la Sénéchaussée & Siege Présidial de Lyon continuëront aussi d’occuper & postuler pour leurs parties en ladite jurisdiction[31] ». Le projet d’édit que le consulat avait présenté au conseil, prévoyait déjà cette mesure[32]. Cette décision fut sans doute une concession faite au présidial par le consulat[33]. Le rattachement avait fait l’objet de concertations entre le consulat et des officiers députés par le présidial, dont le président et le lieutenant général, en présence de l’archevêque de Lyon, Camille Neuville de Villeroy[34]. Les membres du consulat, dont certains étaient officiers à la sénéchaussée, étaient sans doute favorablement disposés à l’égard des procureurs. Le maintien des procureurs dans le tribunal fut officialisé solennellement lors de l’inauguration du rattachement de la conservation au consulat le 9 octobre 1655. Les procureurs de Lyon furent convoqués à l’hôtel de ville pour assister à lecture de l’édit de réunion et au serment des nouveaux juges[35].

La remise en question des procureurs en 1667-1669 : conflits de compétences, luttes d’influence et « réformation de la justice »

Les procureurs perdirent la faculté de postuler dans la juridiction des foires, à l’exception de certaines matières, par un arrêt du conseil du roi du 23 décembre 1668, suivi d’un édit en juillet 1669. Cette décision royale s’inscrit dans un double contexte, dans lequel s’entremêlent les rivalités entre la conservation et la sénéchaussée et l’entreprise de réforme des institutions judiciaires menées par la monarchie.

Les procureurs responsables des « transports de juridiction » ?

Une quinzaine d’année après l’édit de 1655, la place des procureurs au sein de la conservation fut durement remise en question lors d’un important conflit entre le tribunal de la conservation et la sénéchaussée au sujet de leurs compétences respectives entre 1667 et 1668. Le conflit éclata en janvier 1667 autour de la faillite d’un marchand teinturier, Jacques Girard[36]. Le secrétaire de la ville, Thomas de Moulceau, qui remplaçait le procureur de la ville en son absence, fut député en cour par le consulat afin d’obtenir un règlement de juge devant le conseil de roi[37].

L’opposition entre les deux tribunaux portait d’abord sur la définition de leurs compétences respectives (en particulier pour les faillites, les voitures et les sociétés commerciales). L’accroissement des compétences du tribunal de la conservation a alimenté tout au long du XVIIe siècle des conflits de juridiction avec la sénéchaussée. Avec la diminution des affaires portées devant eux, les officiers du siège voyaient également leur revenu décroître. Dans le même temps, le conflit révélait des dissensions à l’intérieur du tribunal qui remettaient en cause certains aspects de l’édit de 1655. Ainsi, le consulat, qui n’avait pas pu racheter la charge de procureur du roi en la conservation, dénonçait la double position de son détenteur, Jean Vidaud, qui occupait en même temps l’office de procureur du roi en la sénéchaussée. Une autre cause de conflit était la faculté des procureurs de la sénéchaussée de postuler à la conservation. Ainsi, la question des procureurs émergea progressivement dans les débats qui animaient les deux parties devant le conseil du roi.

L’attitude de certains procureurs suscita des plaintes et des sanctions des juges conservateurs. L’inventaire des effets de Jacques Girard mené par les juges conservateurs en janvier 1667 fut en quelques sortes boycotté par les procureurs. Deux autres conflits éclatèrent lorsque des procureurs portèrent devant la sénéchaussée des affaires du ressort des juges conservateurs. À la fin de l’année 1667, une affaire de société entre les sieurs Dandré et Collemieu fut portée au présidial par le procureur Nicolas Deschamps. Par une sentence du 9 décembre 1667, Deschamps fut interdit d’exercer sa charge dans la conservation pour six mois pour avoir présenté au présidial une affaire relevant de la compétence des juges conservateurs[38]. La sentence portait que les procureurs qui en useraient de même à l’avenir seraient interdits de postuler dans le tribunal. Les juges présidiaux réagirent vivement à cette interdiction et en exigèrent la cassation avec interdiction aux juges conservateurs « de prononcer à l’avenir par interdiction & condamnation d’amende tant contre les Procureurs que contre les parties en cas de conflits, & pour raison de distraction de jurisdiction[39] ». Après avoir présenté ses excuses, Deschamps fut rétabli dans sa charge en janvier 1668[40]. Les procureurs furent encore mis en cause lors de la faillite d’Oudart Mercier au printemps 1668. Après l’ouverture de la faillite par les juges conservateurs, le procureur Jean Dru requit le renvoi de l’affaire à la sénéchaussée. Le lieutenant général de la sénéchaussée se rendit au domicile de Mercier accompagné de « divers procureurs postulants » pour « se saisir de ses livres de compte, apposer les scellés et dresser l’inventaire du failli[41] ». Cinq ou six procureurs, créanciers de Mercier, étaient intéressés dans la faillite. L’un d’eux, Pierre Pillotte, présenta une requête au présidial pour être substitué au saisissant qui s’était pourvu à la conservation afin de poursuivre le règlement de la faillite[42]. Le consulat fit assigner Pillotte devant Pussort le 17 mai 1668 pour répondre de cette tentative de distraire la faillite de la juridiction de la conservation.

Dans ses mémoires adressés au conseil du roi, le consulat exprimait toute sa méfiance à l’égard des procureurs. L’influence exercée sur eux par les officiers de la sénéchaussée en faisait une menace pour l’autorité de la conservation. D’après le consulat, les procureurs sacrifiaient « l’intérêt de leurs parties à l’attachement, au respect & à l’obéissance qu’ils croyent devoir ausdits officiers du présidial[43] ». Leur « aveuglement » et leur « dépendance » les maintenaient dans la crainte de déplaire aux officiers du présidial[44]. Pour appuyer ces allégations, le consulat avait joint à son mémoire plusieurs déclinatoires et demandes de renvoi devant la sénéchaussée faits par les procureurs[45]. Ces derniers étaient présentés comme des suppôts des officiers de la sénéchaussée. De fait, les officiers de la sénéchaussée avaient déjà su par le passé tirer profit de leur autorité sur les procureurs pour cantonner la conservation dans ce qu’ils estimaient être ses justes limites[46]. Un arrêt du parlement de Paris rendu le 8 juin 1628 entre les deux tribunaux rapportait que les officiers du Présidial intimidaient les procureurs par des amendes, des poursuites ou des vexations en pleine audience et leur défendaient de postuler devant la conservation. Ceux-ci, « craintifs de leur déplaire », n’osaient plus s’y présenter. Quelques années plus tard, en 1631, une sentence du présidial faisait défense à tout procureur de porter des procès pour fait de voiture devant le juge conservateur sous peine d’amende[47]. La gradation des tensions entre les juges conservateurs et certains procureurs révélait un défaut d’autorité sur ces auxiliaires de justice.

La demande du consulat : des procureurs « plus soigneux et jaloux » de l’autorité des juges

Le consulat présenta au conseil un projet de règlement définitif qui prévoyait un remède aux « transports de juridiction[48] ». Le prévôt des marchands et les échevins auraient eu la faculté « choisir et nommer tel nombre de procureurs postulans qu’ils jugeront nécessaire, pour occuper et postuler pardevant eux privativement et à l’exclusion de tous les autres ». Les nouveaux procureurs ne pourraient exercer leur fonction qu’à la conservation et devraient « faire leur soumission et serment és mains » des juges. Enfin, il serait fait défense aux procureurs du présidial de postuler à la conservation sous peine d’amende. En appuyant sa demande, le consulat faisait explicitement référence aux agréés du tribunal consulaire parisien, qui y postulaient à l’exclusion des procureurs du Châtelet et du parlement de Paris[49]. En dehors de l’inspiration parisienne, la demande du consulat s’inscrivait dans une dynamique générale inaugurée à partir de 1655 qui consistait à transformer tous les offices royaux du tribunal en commission délivrée par la municipalité. Ainsi, les charges de commis du greffe et d’huissiers audienciers de la conservation avaient été soustraites à la vénalité des offices. Les personnes commises à ces charges prêtaient serment devant le consulat, recevaient des gages fixes et étaient révocables.

Dans le même temps, la création de ces nouvelles charges devait permettre d’éviter les empiètements de la juridiction ordinaire. Des postulants attachés à l’autorité des juges conservateurs auraient été moins susceptibles de demander le renvoi d’affaires à la sénéchaussée. C’est ce que soulignait la communauté des procureurs dans une requête présentée au conseil d’État le 18 octobre[50]. Les procureurs se défendaient de préférer la juridiction de la sénéchaussée à celle des conservateurs, qu’ils avaient servie avec « tout l’honneur et toute l’intégrité possible ». Cependant, ils soulignaient qu’en vertu de leur mandat ils devaient représenter leurs clients et répondre à leurs demandes dans les limites prévues par la loi.

« On ne peut pas leur imputer pour un crime d’assister leurs parties lors qu’elles ont à proposer des declinatoires, soit pour la jurisdiction desdits sieurs Juges Conservateurs, soit pour celle desdits sieurs Seneschal & Presidiaux lors que la matiere n’est pas de leur connoissance, puisqu’au contraire ils ne le peuvent refuser ausdites parties à moins de prévariquer à leur devoir & à l’obligation de leurs charges[51]. »

L’argumentation des procureurs rappelait qu’ils exerçaient leur profession au service de leurs clients et non à celui des juges[52]. Le consulat souhaitait disposer de procureurs qui, selon ses propres mots, « n’ayans désormais aucun attachement audit Présidial, soient plus soigneux & jaloux de cette autorité légitime desdits Conservateurs[53] ». Aux yeux du consulat, des procureurs propres à la conservation devaient avant tout servir à mieux délimiter les frontières entre la juridiction des foires et la juridiction ordinaire.

La réponse du conseil du roi : l’exclusion des procureurs

Au-delà des rivalités entre deux juridictions, le conflit de 1667 s’inscrit dans le contexte des réformes colbertiennes touchant le commerce et la justice. L’oncle de Colbert, Henri Pussort fut rapporteur du procès jusqu’à son règlement définitif. Pleinement investi dans l’entreprise de « réformation de la justice » initiée par le contrôleur général des finances depuis 1665, Pussort avait occupé une place centrale dans la commission chargée de l’élaboration de l’ordonnance sur la procédure civile d’avril 1667 avant de travailler avec Jacques Savary à la rédaction de l’édit de commerce de 1673[54]. Dans son mémoire préparatoire au « conseil de réformation de la justice », il proposait de supprimer la moitié des offices de procureurs, huissiers et commis de greffe, qu’il désignait comme « les vrais ronces et espines de la justice », et de rembourser les charges à leurs propriétaires[55]. À l’inverse, il louait la simplicité et l’efficacité des justices consulaires par rapport aux frais et aux lenteurs de la justice ordinaire[56].

Le conseil d’État mit fin à la contestation par un arrêt rendu le 23 décembre 1668, qui fut suivi par l’édit dit « de la conservation » de juillet 1669[57]. On l’a vu, l’édit respectait les spécificités institutionnelles et juridictionnelles de la conservation, en qualité de tribunal des foires, tout en la mettant sur le même pied que les juridictions consulaires pour les matières commerciales. Le sort qui fut réservé aux procureurs postulants répondait à la même logique. Les procureurs furent interdits de postuler dans la conservation, mais le conseil n’accéda pas à la requête du consulat qui demandait la création de postulants pour la conservation. L’article 12 de l’édit supprimait les offices de procureurs dans la conservation, sans qu’ils puissent y être rétablis. L’article 14 portait que la procédure en vigueur dans les juridictions consulaires définie dans l’ordonnance de 1667 devait être ponctuellement observée, c’est-à-dire que les parties devaient comparaître par elles-mêmes ou se faire représenter par un ami, parent ou voisin. Le ministère des avocats et procureurs était cependant autorisé pour certaines causes dont connaissaient la conservation (contrairement aux justices consulaires), comme les matières criminelles, les scellés, les confections d’inventaires, les saisies et les ventes judiciaires.

Des procureurs indispensables… et plus dociles ?

En dépit de l’édit de 1669, les procureurs continuèrent de postuler dans toutes les affaires avec la complaisance des juges conservateurs. La suppression des procureurs ordonnée par l’article 12 de l’édit de 1669 se heurtait à plusieurs difficultés. Tout d’abord, l’extinction des charges était conditionnée par le rachat des offices. Le consulat devait rembourser la finance des offices à ceux qui en étaient pourvus dans un délai de six semaines à compter de la publication de l’édit. Jusqu’au remboursement, les procureurs ne pouvaient être dépossédés de leurs offices. Cependant, le remboursement ne fut jamais effectué. Sans doute les finances municipales ne permettaient pas de rembourser dans un si bref délai la finance de cinquante offices. Suivant l’article 13 de l’édit, le consulat devait également racheter la charge de procureur du roi en la conservation, qui fut acquise pour 130 000 livres. L’achat des autres offices du tribunal entre 1653 et 1654 avait coûté au consulat environ 250 000 livres. En outre, il n’existait pas en tant que tels d’offices de « Procureurs postulants en la jurisdiction de la Conservation des foires de Lyon », comme mentionné dans l’édit, mais seulement des offices de « procureurs ès cours de Lyon ».

Cependant les considérations financières n’expliquent pas à elles seules le maintien des procureurs dans la conservation. Les prévôts des marchands et échevins de l’année 1738 écrivaient dans un mémoire : « Soit que les Procureurs fussent devenus plus dociles, soit que l’on eût compris qu’il étoit impossible que les affaires fussent traitées par les Parties seules, ce remboursement n’a point été fait[58]. » Après les fortes tensions de la fin des années 1660, les décennies qui suivirent furent marquées par une normalisation des relations entre les juges conservateurs et les procureurs, qui s’avéraient indispensables au bon fonctionnement de la justice.

La réception et l’enregistrement des procureurs : un nouveau moyen de contrôle en 1670 ?

Les registres de distribution des procès suggèrent l’apparition de nouveaux moyens de contrôler les procureurs après le conflit de juridiction avec la sénéchaussée. Dans ces registres, les commis au greffe inscrivaient le nom des juges à qui avaient été distribués les procédures écrites pour en être les rapporteurs. Une fonction essentielle des registres de distribution était de suivre la circulation des liasses et sacs de procédure, notamment lorsqu’ils étaient retirés au greffe par le procureur d’une des parties. À partir de 1670, l’habitude fut prise de consigner au verso des registres de distribution de procès les actes de réception et d’installation des nouveaux procureurs admis à postuler à la conservation[59]. L’enregistrement des actes de réception permettait aux commis du greffe de conserver plus rigoureusement la mémoire des procureurs reçus et installés au tribunal et donc autorisés à y postuler. Dans les années qui suivirent le conflit de 1667-1668, la volonté de contrôler davantage les procureurs dans l’exercice de leur charge n’était sans doute pas étrangère à cette mesure.

Il convient de revenir sur les étapes que devait suivre un particulier avant de pouvoir exercer le métier de procureur[60]. Une fois propriétaire d’un des offices de procureur par achat, résignation ou transmission, il devait obtenir des lettres de provision délivrées par la chancellerie royale. Pourvu du titre et de la « seigneurie » de l’office, il devait ensuite être reçu par les juges royaux du lieu puis installé. Le récipiendaire était soumis à une enquête d’âge, vie, mœurs et religion catholique et à un examen de capacité, et devait avoir obtenu l’avis favorable de la communauté des procureurs. Après approbation du parquet, le récipiendaire prêtait serment devant les juges avant d’être officiellement installé, c’est-à-dire autorisé à exercer. Le serment prêté par les procureurs établissait un lien de subordination entre les procureurs et les magistrats. Le style des actes de réception des procureurs à la conservation a varié entre 1670 et 1716. Le premier acte retranscrit dans les registres de distribution se présentait ainsi[61] :

« Du vendredy dernier may 1670.

Me Michel Domet, pourvu de l’office de procureur ez cours de Lyon qu’exerçoit feu Me Pascal Delaplace, a esté receu et installé aud. office de procureur postulant en notre cour de la Conservation des privilèges royaux des foires de Lyon apprès qu’il nous est apparu et au procureur du Roy en nostredite Cour des provisions et installation en la sénéchaussée et siège présidial dud. Lyon, et après serment par luy fait et presté de bien et fidellement exercer lad. charge et observer les ordonnances. Faict en la chambre du conseil où estaient presents nous, Constant de Silvecanne &c. prevost des marchands, Laurent Anisson, eschevin, François Lumague &c. ancien eschevin, Lambert de Pontsaimpierre, François Dervieu, Jean de La Forcade, Anthoine de Riverieux et Jacques Tiollet, bourgeois, president, juges, gardiens conservateurs des privileges royaux des foires dud. Lyon. »

Les actes de réception permettent de reconstituer la procédure suivante : le procureur se présentait dans la chambre du conseil de l’hôtel-de-ville où se réunissaient les juges conservateurs. Il produisait devant les juges et le procureur du roi ses lettres de provisions et son acte d’installation à la sénéchaussée et siège présidial. Il prêtait ensuite le serment requis de « bien et fidellement exercer ladite charge et observer les ordonnances ». Au terme de cette procédure, il était reçu à « l’office de procureur postulant en la conservation ». Par la suite, la teneur des actes s’est étoffée. À partir de 1675, ils indiquent une information de vie, mœurs, âge et religion catholique. Puis, dans les actes de réception de 1688-1689, un examen de capacité est systématiquement mentionné.

L’installation préalable des procureurs à la sénéchaussée était exigée de tous les nouveaux officiers reçus et installés à la conservation entre 1670 et 1694. Ainsi, Guichard Bouchard présenta une requête au présidial le 22 juin 1675 pour y être reçu « procureur postulant en la sénéchaussée et siège présidial et autres juridictions royales de Lyon[62] ». Après l’enquête d’âge, vie, mœurs et religion catholique et l’accord de la communauté des procureur, Bouchard obtint le 5 juillet 1675 des conclusions favorables du procureur du roi à la sénéchaussée pour sa réception. Le 12 juillet, il se présenta pour être reçu à la conservation, muni de ses lettres de provision et de son acte d’installation à la sénéchaussée[63]. Les procureurs postulants devaient donc faire l’objet d’une nouvelle réception pour exercer à la conservation, après avoir été pourvus de leur office et installés à la sénéchaussée.

Ces documents soulèvent la question de la nouveauté de la procédure de réception des procureurs à la conservation. En effet, nous n’avons trouvé aucune trace de réception et d’installation de procureur au tribunal antérieure au conflit de juridiction de 1667-1668. Si l’absence de documents ne signifie pas que la procédure n’existait pas auparavant, il est possible que les procureurs aient jusqu’alors été admis à postuler à la conservation sans avoir été reçu et installé dans cette juridiction mais seulement à la sénéchaussée. D’après les actes de réception, les procureurs qui se présentaient à la conservation étaient pourvus « procureurs ès cours de Lyon » ou encore de « procureurs en la sénéchaussée, siège présidial, conservation et autres juridictions royales de Lyon ». Néanmoins, le conflit de juridiction avait mis au jour des perceptions divergentes sur les offices dont étaient pourvus les procureurs. Pour ces derniers, les offices qu’ils avaient achetés sous Louis XIII leur permettaient de postuler dans toutes les juridictions lyonnaises sans exception en qualité de « procureurs ès cours de Lyon »[64]. Le consulat insistait pourtant pour les désigner comme « procureurs de la sénéchaussée », soulignant ainsi qu’ils n’appartenaient pas à la conservation, qu’ils y étaient étrangers. Il est possible que cette différence de perception ne reposât pas tant sur le titre des offices dont étaient pourvus les procureurs que sur la juridiction qui procédait à leur réception et installation. D’après un arrêt de règlement du parlement de Paris de 1616, la réception des procureurs de Lyon était réalisée de Lyon devant le sénéchal ou son lieutenant après enquête du parquet[65].

La documentation ne permet pas de trancher définitivement la question de la nouveauté de la procédure de réception des procureurs à la conservation après le conflit de juridiction de 1667-1668. Si l’on retient cette hypothèse, cette mesure aurait permis aux juges conservateurs de s’assurer de leur fidélité et de leur loyauté. Le cérémonial et le serment prêté devant les juges conservateurs solennisaient leur admission dans la juridiction et renforçaient le lien de subordination entre les procureurs et les magistrats. Pour mesurer l’effet de ce dispositif, il faut encore tenir compte du fort turn-over que connaissait la profession. En effet, une partie des procureurs n’exerçaient leur charge que cinq ou dix ans avant de la revendre[66]. Ainsi, en l’espace de six ans, entre 1670 et 1676, vingt-six nouveaux procureurs furent reçus et installés à la conservation, soit environ la moitié du nombre total d’offices de procureurs postulants à Lyon. D’autres mesures ont pu participer à desserrer l’influence qu’exerçaient les officiers de la sénéchaussée sur les procureurs. Par une délibération consulaire de 1679, le consulat avait assuré la communauté des procureurs qu’il prendrait fait et cause pour ceux de ses membres qui feraient l’objet de poursuites ou de condamnations par la sénéchaussée pour avoir porté des affaires devant la conservation[67]. Le prévôt des marchands et les échevins voulaient dissiper l’impression que les menaces des officiers de la sénéchaussée pouvaient faire « sur l’esprit des procureurs les plus foibles et les plus timides ».

« Ils se sont rendus maîtres de toutes les affaires » : les procureurs, la procédure et les juges

Le consulat avait hésité pendant un temps à se mettre en conformité avec l’édit de 1669. Plusieurs projets de « nouveau stile et forme de procéder » furent rédigés qui distinguaient les « matières sommaires et qui seront plaidées par la bouche des parties » et les « causes ou les parties se serviront du ministère des avocats et des procureurs[68] », conformément avec l’article 14 de l’édit. En mai 1670, le consulat députait le prévôt des marchands, Constant de Silvecanne, et le secrétaire de la ville, Thomas de Moulceau, pour solliciter auprès du conseil l’homologation du nouveau style « réformé, corrigé et augmenté sur le dernier arrest de reiglement[69] ». De même, l’acte de réception du procureur Paul Chappuis du 15 janvier 1672 précisait qu’il était reçu et installé comme procureur en la conservation « pour l’exercer en la forme de l’article 12 de l’édit de sa majesté portant règlement pour lad. juridiction du mois de juillet 1669[70] ». Cependant, le projet d’un nouveau style conforme de l’édit de 1669 ne vit pas le jour. Rapidement, les procureurs continuèrent de postuler pour leurs parties dans toutes les affaires, mêmes sommaires. D’après un sondage portant sur les sentences rendues à la conservation en janvier 1682, toutes les parties étaient assistées ou représentées par des procureurs aussi bien pour la demande que pour la défense[71].

Les minutes du tribunal et le Règlement pour la discipline, pratique et forme de procéder… adopté par la conservation en 1686 donnent un aperçu de la place essentielle occupée par les procureurs dans l’activité judiciaire du tribunal[72]. Le recours aux procureurs apportait tout d’abord une solennité à la justice des foires. En dehors de leur fonction d’assistance des magistrats et des parties, les auxiliaires de justice s’inscrivaient dans un apparat qui relevait la dignité des tribunaux[73]. Ainsi, les procureurs étaient tenus de se trouver à heure précise à l’hôtel-de-ville pour l’ouverture des audiences « en habit & en état décent, ainsi qu’il se pratique dans les Tribunaux de Justice Royale » (art. 6). Les procureurs participaient à élever la conservation à la hauteur des juridictions ordinaires. Dans le même temps, ils confortaient l’autorité judiciaire en maintenant les justiciables à « une distance raisonnable » du pouvoir[74].

Le rôle-clé des procureurs s’observe dans la conduite de la procédure et le déroulement des procès. Dans la plupart des procès, seuls les demandeurs présentaient un procureur et les procès se réglaient sur défaut de présentation ou de défense des défendeurs. L’importance du nombre de défauts (plus de 60% des sentences en janvier 1682) s’explique moins par l’éloignement des parties – la grande majorité des défendeurs étaient domiciliés à Lyon et les délais d’assignation étaient étendus en fonction de la distance de leur lieu de résidence – que par la nature des litiges. L’essentiel de l’activité du tribunal était des procès pour dettes, fondés sur des pièces (factures, obligations, promesses) souvent difficiles à contester. En ne présentant pas de procureurs, un défendeur économisait des frais de justice (droits de greffe, vacations, assistance et éventuelles écritures du procureur, etc.) et n’avait qu’à payer les dépens du demandeur. Sur les trois audiences hebdomadaires du tribunal qui se tenaient les lundis, mercredis et vendredis de deux ou trois heures à cinq heures de l’après-midi, celles du mercredi étaient spécifiquement consacrées au jugement des procès sur défaut[75]. Les procureurs des demandeurs devaient remettre au greffe la veille ou le matin du jour d’audience une liste des causes en état d’être jugées (art. 18). À l’entrée de l’audience, le greffier appelait chaque procureur par ordre d’ancienneté et les affaires étaient expédiées les unes après les autres. Grâce à une organisation rodée, les juges pouvaient entendre plus d’une centaine d’affaires au cours des deux à trois heures imparties – sans doute régulièrement dépassées[76]. Lorsqu’ils étaient amenés à plaider[77], les procureurs devaient le faire « d’une maniere concise sur le fait de la cause, sans s’écarter ni emporter en injures & sans aucune redite & répétitions inutiles » (art. 13). La concision et la parfaite connaissance de la procédure requises par une telle organisation ne pouvaient être exigées des parties elles-mêmes. Comme l’a remarqué Claire Lemercier au sujet des agréés au tribunal de commerce de Paris au XIXe siècle, l’expédition sommaire des affaires reposait sur « un ensemble de savoirs tacites » partagés par les procureurs et les juges[78]. Cette justice sommaire, bien réglée et, à certains égards, routinière reposait sur les procureurs.

Dans son mémoire sur l’intendance du Lyon, l’intendant Lambert d’Herbigny déplorait en 1698 le « terrible avantage » dont bénéficiaient les procureurs qui s’étaient rendus « maîtres de toutes les affaires » à la conservation[79]. Il expliquait cette situation par le renouvellement annuel de la moitié des juges et l’inexpérience de la plupart d’entre eux en matière de droit et de procédure. Ces observations font échos à d’autres jugements de contemporains, qui remarquaient que les courtes durées des mandats des juges consulaires donnaient plus de poids aux auxiliaires de justice[80]. Les réquisitions du procureur du roi, Thomas de Moulceau, qui constituaient le préambule du Règlement de 1686, soulignaient que la rotation des charges de juges et le grand nombre d’affaires à traiter imposaient d’établir « une pratique & usage qui soient fixes et connus d’un chacun » afin d’éviter les abus. Le parquet jouait un rôle important dans la discipline imposée aux officiers subalternes du tribunal, notamment en raison de la stabilité dans le temps de la charge de procureur du roi. Thomas de Moulceau, à l’origine du Règlement de 1686, avait bénéficié d’une longévité exceptionnelle puisqu’il avait été greffier en chef de la conservation de 1655 à 1672, en qualité de secrétaire de la ville, puis procureur du roi de 1672 à 1695. Le Règlement de 1686 présentait un ensemble de mesures et de règles ad hoc rassemblées par de Moulceau dont la plupart s’adressaient aux auxiliaires de justice en général, et aux procureurs en particulier[81]. Certaines mesures visaient à éviter toute collusion entre les procureurs et les commis du greffe aux dépens des parties ou de la prompte expédition de la justice. Un éventail de sanctions contre les procureurs était prévu : déchéance d’une partie de leur salaire, amende, suspension ou radiation. D’après de Moulceau, la sévérité de ces mesures disciplinaires devait remettre dans le rang certains procureurs qui « se sont si fort prévalus de la tolérance & que l’on a eue pour eux jusques à présent[82] ». La procédure et l’ordre observés dans l’administration de la justice étaient le produit de dynamiques conflictuelles et de compromis entre les différents acteurs de l’institution judiciaire[83].

La communauté des procureurs et la défense d’un marché

Il convient pour finir de souligner le rôle de la communauté des procureurs dans la défense de leurs intérêts. En 1655, la communauté avait fait opposition devant le parlement de Paris à l’enregistrement de l’édit de réunion de la conservation au corps consulaire, craignant d’avoir été exclus du tribunal[84]. En apprenant que l’édit les maintenait dans leur droit de postuler à la conservation, ils s’étaient désistés de leur opposition. De fait, les procureurs tiraient une bonne partie de leur revenu de leur activité à la conservation. La réaction des procureurs à la demande du consulat de nommer ses propres postulants en 1668 est éloquente :

« S’il estoit permis à des Procureurs de preferer leur interest particulier à celuy des parties, & de suivre l’avantage de leur fortune plûtost que la necessité de leur devoir, ils porteroient la connoissance de toutes les affaires dont ils sont chargez à la Conservation ».

Les affaires jugées à la conservation représentaient une part importante de l’activité des procureurs lyonnais. Ainsi, être suspendu ou interdit d’exercer leur fonction à la conservation revenait à perdre une part substantielle de leur revenu. Lorsque la communauté des procureurs défendait la faculté des postulants d’officier en la conservation, il s’agissait de « préserver un marché », selon l’expression de Claire Dolan[85].

Par un édit du 20 août 1692, trente offices de « procureurs en la conservation de Lyon » furent créés. Le préambule remarquait qu’il n’existait pas de procureurs en titre d’office pour la conservation et que les procureurs de la sénéchaussée avaient seulement été autorisés par l’édit de 1655 à postuler sans avoir payé aucune finance[86]. Il était défendu aux procureurs de la sénéchaussée d’exercer en la conservation deux mois après la publication de l’édit, mais ils pouvaient acquérir les nouveaux offices individuellement ou collectivement sans obtenir de nouvelles lettres de provision. Le consulat entreprit en octobre 1692 d’obtenir du conseil du roi la suppression des nouveaux offices, mais il recommanda à Thomas de Moulceau, envoyé à la Cour à cette occasion, de solliciter cette suppression « sans aucune obstination et avec une soumission toute entière au bon plaisir de sa Majesté et de Monseigneur de Pontchartrain[87] », alors contrôleur général des finances. D’autres questions plus pressantes occupaient le consulat. Par ailleurs, l’opposition à ces créations d’office ne revenait pas à demander l’exclusion des procureurs de la juridiction. De fait, l’édit de 1692 répondait à une logique purement bursale. En pleine guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697), la monarchie exerçait une pression financière accrue sur les officiers et les municipalités à travers la création et la vente d’offices. La communauté des procureurs dût négocier le rachat des trente offices au prix de 90 000 livres, plus le droit de deux sols pour livre (soit 9 000 livres), ce qui fut fait en 1694[88].

Les pressions financières de la monarchie eurent des effets paradoxaux sur la communauté des procureurs. D’un côté, l’édit de 1692 officialisait l’existence de procureurs de la conservation, bien que la communauté estimât à juste titre qu’elle avait dû racheter des droits dont elle jouissait déjà. D’un autre côté, les créations successives d’offices creusaient l’endettement communautaire. Au début de la Régence, la communauté des procureurs produisit un état des dépenses consenties pour la monarchie entre 1689 et 1712, qu’elle estimait à 310 450 livres[89]. La somme comprenait le rachat de divers offices et de nouvelles taxes sur les actes de justice, la confirmation de l’hérédité de leur charge, la capitation et différents frais de procédure et de représentation au conseil du roi. Pour faire face à ces dépenses, la communauté avait emprunté auprès de particuliers 240 000 livres[90]. Si l’on retient la somme de 4 000 livres par office avancée dans un mémoire accompagnant l’état des dépenses de la communauté[91], celle-ci était endettée à hauteur de la valeur totale des soixante offices de procureurs ès cours de Lyon. Comme dans d’autres sièges[92], l’endettement de la communauté conduisit les procureurs à mettre en commun une partie de leurs droits dans une bourse commune. Au tournant du XVIIIe siècle, ces nouvelles conditions financières imposées aux procureurs de Lyon avaient accru leur dépendance vis-à-vis du travail que leur fournissaient les deux principales juridictions de la ville.

Conclusion

L’histoire des procureurs à la conservation des foires de Lyon illustre le processus de construction institutionnelle des juridictions commerciales et de leur intégration dans le système judiciaire d’Ancien Régime. Ce double processus articule la conflictualité locale avec les autres juridictions, la réception des décisions royales et l’évolution des usages et règles de fonctionnement interne.

Au cours du XVIIe siècle, les juridictions commerciales se sont progressivement professionnalisées et judiciarisées, à des rythmes et avec des résultats différents selon les contextes institutionnels et politiques locaux[93]. La complexité et la masse des affaires à traiter par ces juridictions avaient conduit certains tribunaux à admettre que les parties recourent à une assistance juridique. Des tensions régulières résultaient de l’admission de professionnels du droit au sein de juridictions formées exclusivement ou principalement de magistrats non-professionnels, issus du négoce et peu ou pas formés au droit et à la procédure. À Lyon, les juges conservateurs souffraient d’autant plus de ce défaut d’autorité qu’ils voyaient dans les procureurs des intrus susceptibles de remettre en cause leurs compétences et de favoriser les empiètements de la sénéchaussée. La méfiance des juges conservateurs à l’égard des procureurs s’enracinait dans les luttes qui opposaient les deux juridictions rivales. Il s’agissait de hisser la conservation à la hauteur de la juridiction ordinaire, en termes de dignité, de respectabilité et d’autorité.

Dans le même temps, l’intervention de l’État monarchique avait changé de nature entre le début et la fin du règne de Louis XIV. À la fin des années 1660, l’État se posait comme arbitre d’un conflit de juridiction et comme réformateur. L’inapplication de l’édit de 1669 à l’endroit des procureurs révélait cependant un hiatus entre les usages de la juridiction et l’entreprise de codification et d’uniformisation judiciaire impulsée par Colbert. Le maintien des procureurs illustrait également la difficulté pour le consulat d’affranchir totalement le tribunal de la vénalité des offices. À partir des années 1690, l’action monarchique répondait aux besoins de l’État de finance. L’édit de 1692 reconnaissait officiellement les procureurs postulants à la conservation d’un point de vue institutionnel, à travers la création d’offices propres à la juridiction, mais aussi « fiscal », dans la mesure où la monarchie considérait désormais leur activité au tribunal comme une matière taxable.

Au début du XVIIIe siècle, les juges conservateurs ne songeaient plus à se passer des procureurs qui se révélaient indispensables au bon fonctionnement de la justice des foires. À travers leur participation quotidienne à l’activité du tribunal et les frictions qui pouvaient naître avec les juges, le parquet ou les autres auxiliaires, les procureurs ont contribué à l’évolution des pratiques, des règlements et de la procédure. Il resterait à définir précisément ce rôle des procureurs aussi bien à l’échelle des individus qu’à l’échelle du corps. La communauté des procureurs jouait un rôle de discipline interne, de réglementation et de médiation entre les procureurs et les juges, dont des traces ont été conservées pour le XVIIIe siècle[94]. À la suite des pressions financières de la fin du règne de Louis XIV et du début de la Régence, la gestion de la dette communautaire a pu renforcer ce rôle régulateur[95]. La communauté défendait les intérêts du corps et de ses membres face aux juges mais aussi à d’autres auxiliaires de justice, comme les avocats qui contestèrent en 1737 le monopole des procureurs dans les plaidoiries, furent appuyés dans leur revendication par le consulat[96]. La conservation était un marché à préserver, mais aussi à conquérir pour les professionnels de la justice.


[1] François-André Isambert, Recueil général des anciennes lois françaises, depuis l’an 420 jusqu’à la Révolution de 1789, Paris, Belin-Leprieur, 1829, t. 14, p. 153-158 et t. 18, p. 128-129.

[2] Joseph-Nicolas Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale. Ouvrage de plusieurs jurisconsultes : mis en ordre & publié par M. Guyot, écuyer, ancien magistrat. Nouvelle édition corrigée & augmentée, Paris, Visse, 1784, t. 4, p. 571.

[3] Claire Dolan (éd.), Entre justice et justiciables: les auxiliaires de la justice du Moyen Âge au XXe siècle. Actes du colloque, Québec, 15-17 septembre 2004, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université de Laval, 2005 ; Michel Cassan (éd.), Offices et officiers moyens en France à l’époque moderne: profession, culture, Limoges, PULIM, 2004.

[4] Isabelle Carrier, « L’art de louvoyer dans le système judiciaire de l’Ancien Régime : le procureur et la procédure civile », in Entre justice et justiciables… op. cit., p. 479‑490 ; Claire Dolan, Les procureurs du Midi sous l’Ancien régime, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012 ; Claire Dolan, Délibérer à Toulouse au XVIIIe siècle:  les procureurs au parlement, Paris, Éd. du CTHS, 2013 ; Charles Bataillard et Ernest Nusse, Histoire des procureurs et des avoués, 1483-1816, Paris, Hachette, 1882 ; Laure Koenig, La Communauté des procureurs au Parlement de Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles, Cahors, impr. de A. Coueslant, 1937.

[5] On peut se référer notamment à : G. Denière, La juridiction consulaire de Paris, 1563-1792:  sa création, ses luttes, son administration intérieure, ses usages et ses moeurs, Paris, H. Plon, 1872 ; Auguste Breton, La juridiction consulaire à Orléans. Étude historique, Orléans, M. Marron, 1902 ; Paul Logié, Les Institutions du commerce à Amiens au XVIIIe siècle: juridiction consulaire et Chambre de commerce sous l’Ancien régime et pendant la période révolutionnaire, Amiens, Yvert, 1951.

[6] Voir notamment : Jacqueline Lucienne Lafon et Jean Imbert, Les députés du commerce et l’ordonnance de mars 1673. Les juridictions consulaires: principe et compétence, Paris, Éd. Cujas, 1979 ; Idem, Juges et consuls: à la recherche d’un statut dans la France d’Ancien régime, Paris, Economica, 1981 ; Amalia D. Kessler, A Revolution in Commerce. The Parisian Merchant Court and the Rise of Commercial Society in eighteenth-century France, New Haven, Yale University Press, 2007.

[7] Guibert, Recueil des règlements de la compagnie des agréés au Tribunal de commerce de la Seine précédé d’une notice historique sur cette compagnie, Paris, F. Locquin, 1841.

[8] Claire Lemercier, Un modèle français de justice des pairs. Les tribunaux de commerce, 1790-1880, Thèse d’habilitation à diriger des recherches, Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis, Paris, 2012.

[9] Joseph Vaësen, La juridiction commerciale à Lyon sous l’ancien régime: étude historique sur la conservation des privilèges royaux des foires de Lyon, 1463-1795, Lyon, Mougin-Rusand, 1879.

[10] Ibid., p. 172.

[11] Marc Brésard, Les foires de Lyon aux XVe et XVIe siècles, Paris, A. Picard, 1914.

[12] Richard Gascon, Grand commerce et vie urbaine au XVIe siècle. Lyon et ses marchands (environs de 1520-environs de 1580), Paris, France, S.E.V.P.E.N., 1971 ; Nadia Matringe, La banque en Renaissance : les Salviati et la place de Lyon au milieu du XVIe siècle,Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2016 ; Agnès Pallini-Martin, Banque, négoce et politique :  les Florentins à Lyon au moment des guerres d’Italie, Paris, Classiques Garnier, 2018.

[13] Jacques Bottin, « Les foires de Lyon autour de 1600 : déclin ou reconfiguration ? », in Paola Lanaro (éd.), La pratica dello scambio. Sistemi di fiere, mercanti e città in Europa (1400-1700), Venise, Saggi Marsiglio, 2003, p. 201‑218.

[14] « Lettres patentes du 2 décembre 1602 », dans Privileges des Foires de Lyon, octroyez par les Roys Tres-Chrestiens, aux Marchands François & Estrangers y negocians sous lesdits Privileges, ou residens en ladite Ville, Lyon, Guillaume Barbier, p. 384.

[15] Edit du roi portant règlement pour la Jurisdiction civile & criminelle des Prevost des Marchands & Eschevins, President, Iuges Gardiens & Conservateurs des Privilèges des Foires de la Ville de Lyon, Lyon, Antoine Jullieron, 1669.

[16] Pour un aperçu général des juridictions lyonnaises, voir : Ennemond Fayard, Etudes sur les anciennes juridictions lyonnaises, précédées d’un essai sur l’établissement de la justice royale à Lyon, Paris, Guillaumin, 1867. Il reste que peu d’études ont été consacrées au monde judiciaire de Lyon à l’époque moderne. On peut néanmoins citer mémoires de maîtrise consacrés au XVIIe siècle : Christiane Grosseau, Les officiers de justice à Lyon (1740-1790), Université Lyon II, 1971 ; Patrick Mignot, Les officiers de la sénéchaussée de Lyon au XVIIIe siècle : étude sociale, Université Lyon II, 1987.

[17] La ville abritait avant 1704 un hôtel des monnaies et un commissaire de la monnaie. La cour des monnaies de Lyon a fait l’objet de travaux récents : Éric Thiou, Les magistrats de la Cour des monnaies de Lyon :  1704-1771. Dictionnaire prosopographique d’une élite urbaine au XVIIIème siècle, Aix-en-Provence, Mémoire et documents, 2014 ; Philippe Paillard, La Cour des monnaies de Lyon & la circulation des métaux précieux dans la France du Sud-Est sous les règnes de Louis XIV et Louis XV, Lyon, J. André, 2012.

[18] « Edit du 14 novembre 1467 » et « Edit de février 1535 », Privilèges des foires de Lyon… op. cit., p. 36 et 94.

[19] Une sentence datée de 1507 atteste cette présence de procureurs pour représenter le défendeur et le demandeur. Joseph Vaësen, La juridiction commerciale à Lyon sous l’ancien régime: étude historique sur la conservation des privilèges royaux des foires de Lyon, 1463-1795, Lyon, Mougin-Rusand, 1879, p. 92.

[20] Archives municipales de Lyon (désormais AML), BB 140, fol. 135 v° et seq. Édité dans : Ibidem, pièce justificative n°6, p. 208-214.

[21] « Il fault aussy que puys qu’il y a en la Conservation ung greffier des présentations nul ne soit receu comme à la veritté il ne l’est a y plaider sans procureur contre ce qui estoit de l’ancienne institution. » AML, BB 140, fol. 139 v°.

[22] Ces critiques apparaissent dans de nombreux mémoires produits dans cette période, qui ont été transcrits dans : Ibidem, pièces justificatives n° 5, 6, 7, 8, 9 et 10.

[23] AML, BB 140, fol. 140.

[24] A.D. Kessler, A revolution in commerce…, op. cit., p. 32-33 et p. 88-89 ; Jean Toubeau, Les institutes du droit consulaire, ou La jurisprudence des marchands,… 2e éd. augmentée du tiers, Paris, N. Gosselin, 1700, t. 1, p. 243.

[25] Jean Chenu, Livre des offices de France, Paris, Robert Fouët, 1620, p. 845-846.

[26] Dès 1603, le mémoire du consulat, cité précédemment, affirmait qu’il existait à Lyon cinquante procureurs (AML, BB 140, fol. 137). Le numerus clausus fut encore rappelé en 1616 par un arrêt de règlement du parlement de Paris, car il n’était pas respecté. Arrêt du parlement portant règlement pour les procureurs de Lyon, 17 juillet 1616 (Bibliothèque nationale de France, désormais, BNF, F-23668 (241)).

[27] C. Bataillard et E. Nusse, Histoire des procureurs et des avoués, 1483-1816…, op. cit, p. 153-164.

[28] Extraict de l’estat des notaires, procureurs postulans, huissiers & sergens royaux… arresté au Conseil Royal des Finances le 22 jour de Juin 1665, imprimé, 1665 (Bibliothèque municipale de Lyon, désormais BML, Fonds Coste, 115826).

[29] Déclaration portant réunion des trente offices de procureurs, créez par S. M. pour la Conservation des privilèges royaux des foires de Lyon aux soixante offices des procureurs de la Sénéchaussée & Siège présidial dudit Lyon, 1693 (BNF, F-23615 (440)).

[30] Des projets dans ce sens furent pourtant formulés au début du XVIIe siècle, mais, faute de moyens, jamais mis en œuvre. Assemblée des marchands convoquée par le consulat le 15 juillet 1610 (AML, BB 146, fol. 85, édité dans : J. Vaësen, La juridiction commerciale à Lyon…, op. cit., pièce justificative n°9, p. 239-246). Assemblée des marchands au consulat du 22 octobre 1615 (AML, BB 151, fol. 105, édité dans : Ibid.,  pièce justificative n° 10, p. 246-254).

[31] Edict du Roy portant union de Jurisdiction de la conservation des Privilèges Royaux des Foires de la Ville de Lyon, au corps Consulaire de ladite Ville, donné à Paris au mois de May 1655, registré en Parlement le 25 Juin audit an, Lyon, Aimé de la Roche, 1776 (AML, FF 67, pièce 27).

[32] L’exposé de l’édit de 1655 retranscrit le projet qui avait été soumis par le consulat au conseil.

[33] J. Vaësen, La juridiction commerciale à Lyon sous l’ancien régime…, op. cit., p. 75.

[34] Le motif qui a obligé les prévôt des marchands et eschevins de la ville de Lyon…, imprimé, 1655 (AML, FF 67, pièce 28).

[35] Délibérations consulaires des 8 et 9 octobre 1655 (AML, BB 210, fol. 423, 427).

[36] Les pièces du procès et l’édit de 1669 ont été publiées dans un épais volume de quatre-cent soixante pages : Procès en règlement de jurisdiction entre les prevost des marchands & eschevins juges conservateurs des privilèges des foires de la ville de Lyon, et les officiers de la sénéchaussée & siège présidial de ladite ville, jugé par le roy en personne, le 23. jour de décembre 1668, Paris, Pierre Le Petit, 1669. Pour une synthèse du conflit, voir : J. Vaësen, La juridiction commerciale à Lyon…, op. cit., p. 77-84 et 107-112.

[37] Délibération consulaire du 25 janvier 1667, AML, BB 222, fol. 34.

[38] Sentence du 13 décembre 1667 contre Nicolas Deschamps, procureur (AML, FF 77).

[39] « Contredits des officiers du Présidial », Procès en règlement…op. cit., p. 300.

[40] Sentence du 3 janvier 1668 révoquant l’interdiction de Nicolas Deschamps (AML, FF 77).

[41] « Arrêt de règlement du 23 décembre 1668 », Procès en règlement…, op. cit., p. VII.

[42] « Requête de Pierre Pillotte, procureur ès cours de Lyon », Procès en règlement…, op. cit., p. 196.

[43] « Inventaire de production desdits sieurs Prévost des Marchands & Eschevins Juges Conservateurs servant d’avertissement », Procès en règlement…, op. cit., p. 241.

[44] Ibid.

[45] Ibid., p. 258.

[46] J. Vaësen, La juridiction commerciale à Lyon…, op. cit., p. 76.

[47] « Inventaire de production desdits sieurs Prévost des Marchands & Eschevins Juges Conservateurs servant d’avertissement », Procès en règlement… op. cit., 1669, p. 252.

[48] Ibid., p. 181.

[49] Ibid., p. 242. Sur les agréés de la juridiction consulaire de Paris, voir : G. Denière, La juridiction consulaire de Paris, 1563-1792…, op. cit. ; Guibert, Recueil des règlements de la compagnie des agréés au Tribunal de commerce de la Seine précédé d’une notice historique sur cette compagnie…, op. cit.

[50] « Requête des procureurs postulans aux fins d’estre maintenue en l’exercice de leurs charges … du 18 Octobre 1668 », Procès en règlement…, op. cit., p. 172-178.

[51] Ibid., p. 174.

[52] Cette conception de la profession s’est maintenue en dépit de l’érection des charges de procureur en offices royaux. Voir : Robert Descimon, « Les auxiliaires de justice du Châtelet de Paris : aperçu sur l’économie du monde des offices ministériels (XVIe-XVIIIe siècle) », in Entre justice et justiciables :  les auxiliaires de la justice du Moyen Âge au XXe siècle. Actes du colloque, Québec, 15-17 septembre 2004, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université de Laval, 2015, p. 301‑325 ; C. Dolan, Les procureurs du Midi sous l’Ancien régime…, op. cit. ; C. Bataillard et E. Nusse, Histoire des procureurs et des avoués, 1483-1816…, op. cit.

[53] « Inventaire de production desdits sieurs Prévost des Marchands & Eschevins Juges Conservateurs servant d’avertissement », Procès en règlement… op. cit., 1669, p. 242.

[54] René Pillorget, « Henri Pussort, oncle de Colbert (1615-1697) », in Roland Mousnier (éd.), Le conseil du roi, de Louis XII à la Révolution, Paris, Presses Universitaires de France, 1970, p. 262-265.

[55] Mémoire d’Henri Pussort dans « Mémoires de MM. du Conseil pour la réformation de la justice », présentés au roi Louis XIV (1665), p. 424 (BnF, Clairambault 613).

[56] Ibid., p. 413. Procès-verbal des conférences tenues par ordre du roi, pour l’examen des articles de l’ordonnance civile du mois d’avril 1667; et de l’ordonnance criminelle du mois d’août 1670. Nouvelle édition revue et corrigée, Paris, Les Associés, 1776, p. 98-107.

[57] Edit du roi portant règlement pour la Jurisdiction civile & criminelle des Prevost des Marchands & Eschevins, President, Iuges Gardiens & Conservateurs des Privilèges des Foires de la Ville de Lyon, Lyon, Antoine Jullieron, 1669.

[58] Mémoire signifié pour les Prévôt des Marchands & Echevins, Présidens, Juges Gardiens et Conservateurs des Privilèges Royaux des Foires de la Ville de Lyon, intervenans dans la cause d’entre les Avocats & la Communauté des Procureurs de la même ville, Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1738 (BML, Fonds Coste (23145)).

[59] Une série de neuf registres de distribution de procès a été conservée qui couvre avec des lacunes une période de 1633 à 1716 (AML, FF 100). Les réceptions et installations de procureurs postulants n’apparaissent qu’à l’envers des registres allant de 1670 à 1716. Le registre de distribution de procès pour les années 1655 à 1668 ne comporte aucun acte de réception de procureurs à la conservation.

[60] Pour le détail de ce processus, voir : Roland Mousnier, La vénalité des offices sous Henri IV et Louis XIII, 2e éd. revue et augmentée., Paris, Presses universitaires de France, 1971, p. 107-116 ; C. Dolan, Délibérer à Toulouse au XVIIIe siècle…, op. cit., p. 181-182.

[61] Registre de distribution des procès, 1670-1677 (AML, FF 100).

[62] ADR, BP 3639.

[63] AML, FF 100, Registre de distribution de procès (1670-1676).

[64] « Requête des procureurs postulans aux fins d’estre maintenue en l’exercice de leurs charges », 18 octobre 1668, dans Procès en règlement… op. cit., p. 172-173.

[65] Arrêt du parlement portant règlement pour les procureurs de Lyon, 17 juillet 1616 (BNF, F-23668 (241))

[66] Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, 40% des procureurs et des huissiers revendaient leur charge moins de cinq ou dix ans après l’avoir acquise. Christiane Grosseau, « Les officiers de justice à Lyon (1740-1789). Étude d’un groupe socio-professionnel », Bulletin du centre d’histoire économique et sociale de la région lyonnaise, 3, 1972, p. 71‑75.

[67] Délibération consulaire du 7 juillet 1679 (AML, BB 235, fol. 116).

[68] « Project des reglemens pour le stile et forme de procéder, qui doit estre estably et observé dans la Jurisdiction de la Conservation des privilèges royaux des foires de Lyon, en exécution du Règlement général ordonné par Arrest du XXIIIe décembre 1668 » (AML, FF 93).

[69] Délibération consulaire du 8 mai 1670 (AML, BB 226, fol. 70).

[70] Registre de distribution des procès, 1670-1677 (AML, FF 100).

[71] Procès et sentences de la conservation, janvier 1682 (AML, FF 323 à 327).

[72] Règlement pour la discipline, pratique et manière de procéder dans la juridiction de la Conservation…, Lyon, Antoine Jullieron, 1686.

[73] Christophe Blanquie, « Les huissiers audienciers des présidiaux », Revue historique de droit français et étranger, 83-3, septembre 2005, p. 421‑439.

[74] C. Dolan, Les procureurs du Midi sous l’Ancien régime…, op. cit., p. 41.

[75] Règlement pour la discipline, pratique et manière de procéder… op. cit.

[76] Un simple comptage dans les plumitifs d’audiences permet de mesurer l’importance du nombre d’affaires entendues lors des audiences du mercredi : 104 affaires le 22 août 1714 (Archives départementales du Rhône, désormais ADR, 8B 1), 126 le mercredi 30 mai 1725 (ADR, 8B 4).

[77] Les procureurs occupaient à la conservation la place d’ordinaire dévolue aux avocats. Bien qu’un jugement arbitral de l’archevêque eût déterminé en 1689 les matières qui devaient être traités par les avocats à la conservation, les procureurs continuaient de plaider à la place de ces derniers. Mémoire pour les avocats de la ville de Lyon contre la communauté des procureurs de la même ville, Paris, veuve d’André Knapen, 1738.

[78] C. Lemercier, Un modèle français de justice des pairs…, op. cit., p. 431.

[79] Henri-François Lambert d’Herbigny et Jean-Baptiste François de La Michodière, L’Intendance de Lyonnais, Beaujolais, Forez en 1698 et en 1762. Édition critique du mémoire rédigé par Lambert d’Herbigny et des observations et compléments de La Michodière, Paris, France, CTHS, 1992, p. 136-137.

[80] Lors de l’examen au conseil de l’ordonnance de 1667, le premier président du parlement de Paris, Guillaume de Lamoignon, remarquait, non sans un certain dédain pour les juges et consuls, que dans « la plupart des sièges le greffier juge seul les affaires, parce qu’il est le seul qui les puisse entendre ». Procès-verbal des conférences tenues par ordre du roi,… op. cit., p. 98.

[81] Neuf articles s’adressaient aux procureurs, quatre au greffier et deux aux huissiers.

[82] Règlement pour la discipline, pratique et manière de procéder… op. cit., p. 15.

[83] Christophe Blanquie, Justice et finance sous l’Ancien Régime: la vénalité présidiale, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques historiques », 2001, p. 47 et seq.

[84] « Et si bien il en a paru quelqu’une (opposition) de la part des sieurs Procureur & Advocat du Roy, & des Procureurs en la Senéchaussée & Siège Présidial, ce n’a esté que pour leurs interests particuliers, ausquels ayant recognu que l’on avoit suffisamment pourveu par l’Edict, ils s’en sont tous départis, comme il est cognu par leurs actes de désistement fait sur les Registres du Parlement, les vingtieme May & dix-septiéme Juin de la présente Année. » Le motif qui a obligé les prévôt des marchands et eschevins de la ville de Lyon…, imprimé, 1655 (AML, FF 67, pièce 28).

[85] C. Dolan, Les procureurs du Midi sous l’Ancien régime…, op. cit., chapitre 13.

[86] Édit… portant création de procureurs postulans en la jurisdiction de la conservation des privilèges royaux des foires de la ville de Lyon, 1692 (BNF, F-21048 (82)).

[87] « Mémoire des affaires présentes qu’il s’agit de poursuivre et tacher de terminer au conseil du roi et à Paris… », 22 octobre 1692 (AML, BB 250, fol. 107).

[88] Déclaration portant réunion des trente offices de procureurs, créez par S. M. pour la Conservation des privilèges royaux des foires de Lyon aux soixante offices des procureurs de la Sénéchaussée & Siège présidial dudit Lyon, 1693 (BNF, F-23615 (440)).

[89] « Estat des taxes payées par les procureurs ez cours de Lyon depuis 1689 jusqu’à présent », s.d. (AML, FF 740).

[90] Les créanciers des procureurs n’ont pas pu tous être identifiés, mais y figurent plusieurs conseillers du présidial de Lyon, pour des sommes très élevées, ainsi que des avocats, des bourgeois et des marchands (Ibid.). Les communautés n’avaient pas de difficultés à trouver des prêteurs, car les procureurs s’engageaient solidairement sur leurs biens et leurs offices. Voir : R. Descimon, « Les auxiliaires de justice du Châtelet de Paris : aperçu sur l’économie du monde des offices ministériels (XVIe-XVIIIe siècle) »…, op. cit. ; C. Dolan, Les procureurs du Midi sous l’Ancien régime…, op. cit., p. 250-253.

[91] « À Monseigneur le Mareschal Duc De Villeroy, chef des Conseils de sa Majesté, Gouverneur de la ville de Lyon et des provinces qui en dépendent », s.d. (AML, FF 740).

[92] Ce mécanisme d’endettement des communautés de procureurs s’observe dans de nombreux sièges à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle. Voir : C. Dolan, Les procureurs du Midi sous l’Ancien régime…, op. cit., p. 249-258.

[93] Jean Hilaire, « Introduction : Perspectives historiques de la juridiction commerciale », Histoire de la justice, 17-1, 2007, p. 9-16.

[94] Certaines délibérations de la communauté des procureurs ont été conservées, essentiellement pour le XVIIIe siècle (ADR, BP 3927).

[95] C. Dolan, Les procureurs du Midi sous l’Ancien régime…, op. cit., p. 249-258.

[96] Hervé Leuwers, L’invention du barreau français, 1660-1830. La construction nationale d’un groupe professionnel, Paris, Editions de l’EHESS, 2006, p. 33.

Conseiller le roi en Égypte hellénistique : le cas du philosophe Démétrios de Phalère, « expert » royal à la cour de Ptolémée Ier Sôter

Juliette Roy

 


Résumé : Cet article entend s’intéresser à la figure cardinale de l’« expert » royal,  conseiller politique, culturel et intellectuel du souverain, dans le cadre de la monarchie hellénistique des Lagides. Il est issu d’un croisement entre deux mémoires de recherche menés en Master 1 et 2, le premier étant dédié au philosophe grec Démétrios de Phalère, homme d’Etat athénien devenu conseiller de Ptolémée Ier Sôter après son exil ; tandis que le second, basé sur une prosopographie, élargissait la thématique en s’intéressant de manière plus globale aux « experts » grecs et égyptiens constituant l’entourage aulique des Ptolémées tout au long de la période. Liés aux souverains par des liens d’amitié et de fidélité, tel que l’atteste le titre aulique de « philos» (« Ami ») qui leur est parfois attribué (pour ceux d’origine grecque) par la documentation papyrologique, épigraphique et littéraire, ces « experts » vont s’illustrer grâce à des savoirs et surtout des savoir-faire intellectuels particulièrement prisés par le pouvoir royal. Et ce d’autant plus au début de la période hellénistique, au cours des années d’établissement et de construction de ces nouvelles formes de pouvoir que sont les monarchies hellénistiques. À travers le cas de Démétrios de Phalère, figure emblématique de l’« expert royal » dont le prestige intellectuel rejaillit sur le plan politique, cet article souhaite interroger le rôle effectif et la fonction de ces individus essentiels au bon fonctionnement de la monarchie.

Mots-clés : conseiller, Ptolémée, Egypte, Expertise.


Certifiée d’Histoire et Géographie, Juliette Roy a obtenu une double licence en Histoire et Histoire de l’art – Archéologie puis un master recherche en Histoire de l’Égypte hellénistique, sous la direction de Bernard Legras, à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne.

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Introduction

« […] Car nous pourrions en rappeler beaucoup qui, avec une formation scientifique médiocre, furent de grands hommes d’État, et des personnages très savants qui ne furent guère versés dans les affaires politiques ; mais un homme éminent sous les deux rapports, capable d’être le premier à la fois par sa culture scientifique et par son talent de diriger l’État, en dehors de Démétrios, qui pourrait-on facilement citer ? »[1]

Cet extrait issu du traité De Legibus de Cicéron offre un passage élogieux sur le philosophe et homme d’État athénien Démétrios de Phalère, vantant sa capacité à combiner habilement sa formation philosophique et son expérience politique[2]. Personnage central de l’histoire d’Athènes après la mort d’Alexandre le Grand, puis lié aux premiers Ptolémées[3] dans la seconde partie de sa vie, Démétrios de Phalère incarne un type d’homme caractéristique de l’époque hellénistique : l’ « intellectuel » grec, le savant de cour détenteur de multiples savoirs et compétences qui se met au service d’un souverain afin de le conseiller, à l’image, toute proportion gardée, du « philosophe-roi » platonicien.

Différentes sources anciennes, grecques et romaines – essentiellement littéraires – nous permettent de retracer, de façon lacunaire, divers aspects de la vie de ce philosophe grec, ainsi que sa postérité[4]. Plus précisément, les historiens sont tributaires de deux documents pour reconstituer les étapes marquantes de la vie de Démétrios de Phalère[5]. La première est une compilation à caractère doxographique de biographies de philosophes antiques classées par écoles de pensée. Le livre V des Vies et doctrines des philosophes illustres de Diogène Laërce est consacré à l’école péripatéticienne et comprend un passage sur la vie de Démétrios de Phalère. La seconde source constitue une notice biographique issue de la Souda, une encyclopédie byzantine rédigée en grec à la fin du Xe siècle ap. J.-C[6]. En outre, quelques passages de Cicéron offrent des indications sur la réception et la postérité de la figure de Démétrios à l’époque romaine ainsi que des passages biographiques[7]. Enfin, le fragment d’un papyrus littéraire daté probablement du IIIe s. av. J.-C., le P. Lille 88, semble le mentionner avec Callisthène, bien que son identification reste difficile en raison de l’état lacunaire du papyrus[8].

Originaire du dème de Phalère, l’un des trois ports d’Athènes, Démétrios serait le fils d’un certain Phanostratos, d’origine servile, qui aurait appartenu à la maison du stratège athénien Timothée. Plus vraisemblablement, les historiens supposent que Phanostratos faisait partie de la clientèle politique du stratège. En outre, il s’avère que Démétrios a bénéficié d’une solide formation philosophique auprès de l’un des disciples d’Aristote, Théophraste, qui prend par la suite la direction du Lycée à la mort du Stagirite en 322 av. J.-C. Il réapparaît ensuite dans les sources dans le cadre des guerres de succession entre les différents diadoques, désireux de recueillir l’héritage d’Alexandre le Grand. Plus spécifiquement, Démétrios de Phalère apparaît pour la première fois dans le contexte de la lutte entre Cassandre et Polyperchon qui se disputent la succession d’Antipatros, le régent de l’Empire au nom des deux héritiers d’Alexandre. Lorsque Cassandre, le fils d’Antipatros, reprend le contrôle d’Athènes, il place Démétrios de Phalère à la tête de la cité pour la gouverner en son nom à partir de 317 av. J.-C. Les différents titres donnés à Démétrios semblent indiquer à la fois un rôle de gestionnaire des affaires de la cité et de réformateur des lois, dans la tradition des grands législateurs antiques[9]. Les sources épigraphiques et littéraires concernant le rôle de gouverneur de Démétrios ont permis aux historiens de restituer assez fidèlement son œuvre politique à Athènes[10]. Il apparaît que les différentes mesures législatives prises par Démétrios de Phalère sont plurielles et, par bien des points, semblent appliquer les idées élaborées par l’école péripatéticienne.

Toutefois, en 307 av. J.-C., Démétrios de Phalère est contraint de fuir la cité attique suite à l’attaque surprise de Démétrios Poliorcète, mandaté par son père Antigone le Borgne pour la reprendre. Dans la Vie de Démétrios, Plutarque témoigne notamment de l’admiration que vouait le Poliorcète à Démétrios de Phalère, à tel point qu’il l’aurait aidé à fuir à Thèbes[11]. Un autre traité de Plutarque, issu des Moralia, atteste non seulement de l’exil de Démétrios dans la cité béotienne, mais aussi d’une rencontre fortuite avec le philosophe cynique Cratès, maître de Zénon de Kition[12]. Démétrios se réfugie donc quelques temps à Thèbes puis se rend en Égypte, probablement après la mort de son protecteur, Cassandre, en 298 ou 297 av. J.-C. Bien que les circonstances de son arrivée à la cour de Ptolémée Ier Sôter[13] ainsi que la date de celle-ci restent sujets à débats, les historiens admettent qu’il a probablement été introduit à la cour royale lagide par le biais de son ami et mentor, Théophraste. En effet, les liens entre les premiers Lagides et l’école d’Aristote, concrétisés par la fondation de la Bibliothèque d’Alexandrie sous l’impulsion de Démétrios, sont particulièrement étroits, et ce tout au long de la période ptolémaïque[14]. L’ancien gouverneur d’Athènes entame alors une nouvelle carrière  aux côtés du fondateur de la dynastie lagide en tant que conseiller politique, ce qui constitue ici le cadre thématique et chronologique de cet article. Le conseiller royal, en tant qu’individu détenteur de compétences destinées à guider celui qui détient le pouvoir de décision, apparaît comme un personnage-clé des monarchies hellénistiques qui se mettent en place après la mort d’Alexandre[15]. Cette fonction est toutefois loin d’être une spécificité de l’époque hellénistique puisqu’elle constituait déjà une thématique importante de l’œuvre philosophique de Platon au IVe s. av. J.-C., avec la question du rapport entre savoir et politique ainsi que les modalités d’intervention du conseiller auprès du pouvoir royal[16].

Dans cette optique, les expertises de Démétrios de Phalère, qui ont contribué à consolider sa position au sein de l’entourage aulique de Ptolémée Ier et vantées a posteriori par Cicéron, tendent à en faire un véritable « expert » royal. Cette dénomination moderne d’ « expert », récemment utilisée par certains chercheurs et appliquée à différentes aires chronologiques de l’Antiquité[17], s’avère particulièrement opérante dans le contexte des monarchies hellénistiques au sein desquelles le savoir intellectuel est valorisé sous toutes ses formes[18]. L’expert royal désigne plus précisément un individu ayant fréquenté ou appartenant à la cour, lié à la personne du souverain et détenteur de compétences dans différents domaines, qui font de lui une autorité préposée à seconder (par le biais du conseil par exemple) et légitimer le gouvernement du roi. Les experts peuvent inclure des intellectuels et des lettrés (philosophes, historiens, poètes) ainsi que des spécialistes dans les domaines du droit, de la médecine, de la religion ou encore de l’art militaire. Le cas de Démétrios de Phalère pour l’Égypte ptolémaïque permet ainsi d’éclairer différents domaines au sein desquels les experts royaux jouent le rôle de conseiller, dans le cadre de liens interpersonnels entre eux et les souverains qu’ils servent. L’intérêt de la figure de ce philosophe permet, en outre, d’étudier l’influence qu’il a eue dans la mise en œuvre d’une « politique culturelle » d’envergure menée par les premiers Ptolémées et destinée à faire d’Alexandrie la « nouvelle Athènes » de l’oïkoumène[19] hellénistique.

De l’exil à la disgrâce : un expert royal intégré dans les sphères du pouvoir lagide

La place de Démétrios de Phalère à la cour : conseiller et « Ami » du roi

Qu’il s’agisse des Ptolémées, des Séleucides ou encore des Antigonides en Grèce, les souverains hellénistiques ont tous eu à cœur de s’attacher les services d’individus qualifiés, pas seulement des militaires, mais aussi des experts aux talents multiples tels que des lettrés, des devins ou des médecins. Comme le note Claire Préaux, « en s’attachant philosophes et poètes, les rois hellénistiques suivent des modèles grecs »[20], et notamment celui d’Alexandre le Grand, particulièrement attaché aux enseignements de son précepteur Aristote. En raison de leur posture de conseiller, certains experts royaux évoluent ainsi dans les cercles les plus proches de l’entourage aulique du souverain, à l’image de Démétrios de Phalère. Si l’on suit la typologie de ces différents cercles, il apparaît qu’après la famille royale et l’ensemble de la bureaucratie régissant une administration centralisée depuis Alexandrie, se trouve le groupe des « Amis du roi »[21] dont la terminologie renvoie, dans le cas des experts, à un titre aulique reflétant un réel lien de proximité avec le souverain[22]. Comme le note Ivana Savalli-Lestrade, les philoi sont des « personnalités exceptionnelles » et forment avec l’armée les deux piliers de tout royaume hellénistique dans la mesure où ils assistent le roi en qualité de conseillers, de stratèges et parfois d’ambassadeurs[23].

L’assimilation de Démétrios de Phalère comme philos de Ptolémée Ier est corroborée par un passage de Plutarque dans son traité De l’Exil : « Après avoir été condamné à l’exil, Démétrios devint à Alexandrie le premier Ami de Ptolémée : ce qui lui permit, non seulement de vivre dans la richesse, mais encore d’envoyer des dons aux Athéniens […] »[24]. Ici, Plutarque désigne explicitement Démétrios comme faisant partie de l’entourage le plus proche de Ptolémée, en sa qualité de « πρῶτος ὢν τῶν Πτολεμαίου φίλων » (littéralement « étant le premier au rang des Amis de Ptolémée »). En outre, la fin de la citation est particulièrement éclairante sur la position de l’Athénien : sa fortune, tant personnelle que financière, s’étant considérablement améliorée à la suite de son arrivée en Égypte, il aurait été en mesure d’envoyer des dons à ses compatriotes, probablement aux alentours de 287 av. J.-C, après la libération de la cité de l’emprise de Démétrios Poliorcète avec le secours de la flotte lagide. Par ailleurs, un autre passage de Plutarque, en plus de confirmer son statut de philos du roi, éclaire une facette importante de son rôle de conseiller royal : il aurait recommandé à Ptolémée l’acquisition et la lecture de traités sur la royauté (basileia)[25]. De fait, c’est à partir de l’époque hellénistique qu’apparaissent ces documents, dont quelques fragments d’écrits ont été conservés au sein de l’Anthologie de Stobée[26]. Ces traités sur la royauté constituent des vitrines de l’idéologie royale qui véhiculent l’idée selon laquelle le roi hellénistique incarne le basilikos anêr (« l’homme idéal ») qui énonce le droit et la loi. Ce sont des philosophes, à l’instar de Démétrios de Phalère, qui élaborent ce type idéal de la royauté et la figure du « bon » souverain afin de le proposer en modèle aux rois. Ainsi, Diogène Laërce, à la fin de la notice dédiée à Démétrios, mentionne parmi la liste des ouvrages écrits par le philosophe plusieurs traités en lien direct avec le gouvernement, la politique et la royauté, ainsi qu’un écrit — probablement de nature politique — dédié à Ptolémée.

La disgrâce d’un conseiller : expert royal, une position précaire à la cour

La fin de la vie de Démétrios de Phalère, marquée par une disgrâce politique au début du règne de Ptolémée II Philadelphe, est un indice de la position privilégiée du philosophe à la cour lagide, en raison de son rôle dans la crise de succession qui s’ouvre au terme du règne de Ptolémée Ier. Elle témoigne, dans le même temps, de l’instabilité de la place du conseiller lorsqu’il se trouve dans le cercles les plus rapprochés du souverain. Rapportée par Diogène Laërce, Cicéron et la notice de la Souda, la disgrâce de Démétrios s’effectue en deux actes : dans un premier temps, sa prise de position dans le choix de l’héritier de Ptolémée Ier, entrainant, dans un second temps, son éviction de la cour et son décès dans des circonstances imprécises. La succession du fondateur de la dynastie lagide intervient à partir de 285 av. J.-C. dans un contexte troublé par les rivalités entre ses deux dernières épouses, Eurydice et Bérénice, qui souhaitent placer leur fils aîné sur le trône : d’une part, Ptolémée Kéraunos, fils d’Eurydice et, d’autre part, Ptolémée II, futur Philadelphe, fils de Bérénice (la dernière épouse). C’est dans ce contexte conflictuel que l’on peut replacer la genèse de la disgrâce de Démétrios, liée à sa prise de position en faveur de Kéraunos, ce que corrobore Diogène Laërce :

« […] aux autres conseils qu’il donna à Ptolémée il ajouta celui de conférer la royauté aux enfants qu’il avait eus d’Eurydice. L’autre ne s’étant pas laissé convaincre, mais ayant transmis le diadème au fils qu’il avait eu de Bérénice, ce dernier, après la mort de Ptolémée, jugea bon de le tenir sous surveillance à la campagne jusqu’à ce qu’il prît un parti à son sujet. »[27] .

Le choix de Ptolémée Ier se porte finalement sur l’enfant de Bérénice, Ptolémée II. Le souverain officialise la succession en offrant la co-régence du royaume à ce dernier jusqu’à sa mort en 283 av. J.-C., contraignant Ptolémée Kéraunos à quitter l’Égypte.

Les sources anciennes ne nous transmettent pas d’explications explicites quant au choix de Démétrios de Phalère de privilégier Ptolémée Kéraunos au détriment de Philadelphe. Diogène Laërce, rapportant un fragment d’une œuvre du philosophe Héraclide Lembos affirme : « Héraclide dans son Abrégé des Successions de Sotion dit que Ptolémée voulait céder la couronne à Philadelphe ; lui [Démétrios de Phalère] l’en détourna en disant : ‘Si tu la donnes à un autre, toi tu ne l’auras plus’ »[28]. Certains historiens ont émis l’hypothèse que ce choix était probablement lié à la généalogie de Kéraunos[29]. Sa mère, Eurydice, est la fille d’Antipatros et donc la sœur de Cassandre, le premier protecteur de Démétrios qui l’a placé à la tête d’Athènes. Cette ancienne proximité entre les deux hommes pourrait alors justifier, ou du moins expliquer, la préférence de Démétrios pour le fils de la sœur de Cassandre, en plus du fait que Kéraunos apparaît comme un héritier qu’il juge plus légitime à ceindre la couronne en raison de sa position d’aîné et de ses origines royales[30]. Suite à cette prise de position contre le futur héritier au trône, Démétrios est retenu prisonnier dans la chôra[31] égyptienne sur les ordres de Ptolémée II et meurt des suites de la morsure d’un aspic venimeux : « Il vivait là dans un grand découragement ; et il abandonna la vie dans une sorte de sommeil, après avoir été mordu à la main par un aspic »[32]. Des débats subsistent sur la nature de ce décès, les hypothèses allant de la thèse du suicide « mélancolique » à cause de la captivité forcée[33], à l’assassinat politique commandité par Ptolémée II pour éliminer l’ancien conseiller de son père qui avait pris position contre lui dans la succession[34].

Conseiller le roi : un expert royal au cœur de la politique du souverain

La potentielle œuvre législatrice de Démétrios de Phalère

À la fois homme politique et philosophe, philos et conseiller du souverain lagide, Démétrios de Phalère a bénéficié d’une position privilégiée à Alexandrie, auprès du pouvoir royal. En plus de conseiller Ptolémée quant à la lecture de traités sur la royauté, le philosophe aurait également eu un rôle législatif, si l’on en croit Claude Elien[35] dans son Histoire variée : « Démétrios de Phalère gouverna excellemment Athènes, jusqu’à ce que la jalousie habituelle des Athéniens ne le chassât ; en Égypte aussi, lorsqu’il fut chez Ptolémée, il présida à l’établissement des lois »[36]. Bien que ce passage soit quelque peu évasif quant au degré d’implication de Démétrios dans la politique de Ptolémée Ier, les historiens ont conjecturé que cette potentielle œuvre législative a surtout été mise en œuvre à Alexandrie et non à l’échelle de la politique globale du royaume. Rapelons que les lois de la capitale lagide sont les mieux connues des trois cités grecques de l’Égypte ptolémaïque[37]. En raison de l’origine athénienne de Démétrios, couplée à son expertise philosophique et politique à la tête de la cité attique, l’historiographie moderne a cherché à lui assigner la paternité de différentes réalisations politiques à Alexandrie, et qui étaient déjà présentes à Athènes.

A titre d’exemple, en s’appuyant sur un papyrus d’Oxyrhynchos (le P. Oxy. XXXII 2645) qui contient un recueil de fragments du traité de Satyros, Sur les dèmes d’Alexandrie, Paul Perdrizet voit une influence de Démétrios dans la mise en place d’un découpage administratif à Alexandrie en tribus et en dèmes[38], dans la tradition des réformes clisthéniennes. Toutefois, les sources papyrologiques attestant de ce découpage ne sont pas en mesure de garantir qu’il a été mis en place au début de l’époque ptolémaïque, lorsque Démétrios était actif. Par ailleurs, une autre réalisation pourrait être attribuée au conseiller de Ptolémée d’après les travaux de Raymond Bogaert. Celui-ci a mis en évidence la filiation entre les banques athéniennes et celles mises en place en Égypte au début de la période lagide, sous le règne de Ptolémée II[39]. Tout en admettant que Démétrios n’a pu présider lui-même à l’ « importation » et l’adaptation de la banque publique aux spécificités du régime monarchique en raison de sa disgrâce, il estime tout à fait crédible que Ptolémée Philadelphe se soit inspiré de sa grande connaissance du fonctionnement d’Athènes. Enfin, P. M. Fraser, en se basant sur l’extrait de l’Histoire variée d’Elien, envisage plus nettement le rôle de Démétrios dans l’élaboration du code civil alexandrin sous le règne de Sôter, en mettant notamment en évidence le grand intérêt des philosophes aristotéliciens pour le domaine de la législation, ce qui s’est traduit par la production de nombreux traités sur ce sujet[40]. Comme l’ont montré les travaux de certains juristes, il existe une certaine parenté entre les lois alexandrines et celles d’Athènes, bien que cela ne justifie pas pour autant, selon Joseph Mélèze-Modrzejewski, d’une réception pure du droit athénien à Alexandrie[41]. En raison d’une insuffisance de sources et de précisions accréditant la parole d’Elien, il est seulement possible de conjecturer que Démétrios de Phalère a pu transmettre ses connaissances des rouages institutionnels d’Athènes au souverain lagide, en sa qualité de conseiller et d’expert royal, en restant prudent toutefois sur l’attribution de certaines réalisations politiques à Alexandrie.

Le Mouseion et la Bibliothèque d’Alexandrie : Démétrios de Phalère et le « rêve d’universalité des Ptolémées »[42]

L’un des faits marquants de l’époque hellénistique repose sur la place importante accordée au savoir intellectuel et scientifique au sein des monarchies : tous les souverains hellénistiques se sont efforcés d’établir leur suprématie intellectuelle en dotant leur capitale, Alexandrie, Antioche et Pergame, de bibliothèques et de centres d’études. Cependant, toutes ces bibliothèques antiques ont disparu, et les sources antiques ne permettent pas de restituer un tableau satisfaisant de leur fonctionnement ou de leur architecture. La plus célèbre de toutes est sans conteste la Bibliothèque d’Alexandrie[43], à la fois par sa vocation encyclopédique et universaliste et par le fait qu’elle était fréquentée par des savants et érudits venus de toutes les régions du monde grec, pensionnés par le pouvoir ptolémaïque au sein du Mouseion[44]. Le modèle des deux institutions alexandrines, et notamment la Bibliothèque, a été cherché par les historiens au niveau de plusieurs aires géographiques : des maisons de vie héritées de l’époque pharaonique[45] à la tradition intellectuelle et culturelle suméro-akkadienne, dans la mesure où la Mésopotamie antique possédait des bibliothèques à caractère encyclopédique et abritant de riches collections de tablettes, à l’instar de l’Esagil à Babylone[46]. Les historiens ont toutefois admis que la Grèce offrait un modèle culturel aux institutions alexandrines particulièrement convaincant, notamment avec le Lycée d’Aristote fondé en 335 av. J.-C., dont la démarche intellectuelle se retrouve en Égypte ptolémaïque dans la vocation universaliste de la Bibliothèque d’Alexandrie. Cette transmission de l’héritage péripatéticien s’est probablement faite par l’entremise de Démétrios de Phalère, lequel avait déjà contribué à obtenir un terrain à son ancien mentor Théophraste pour y installer physiquement le Peripatos à Athènes[47].

En réalité, du fait de témoignages antiques souvent tardifs et allusifs, voire réélaborés et se recopiant parfois les uns les autres, l’incertitude règne sur les origines de la Bibliothèque d’Alexandrie, cette importante collection de rouleaux de papyrus abritée par le Mouseion dans le quartier royal d’Alexandrie[48]. Les sources concernant l’établissement de ces deux institutions alexandrines en attribuent pour la plupart l’inspiration et la paternité à Démétrios de Phalère, en mettant en avant l’héritage d’Aristote dans la nature encyclopédique du Musée ainsi que dans son architecture qui reprend l’agencement spatial du Lycée[49]. La documentation fait cependant état de deux traditions historiques bien distinctes quant au souverain qui a financé et mis en place le projet, entre Ptolémée Ier Soter et son successeur Philadelphe. Le seul document attribuant explicitement la fondation de l’institution à Ptolémée Ier Sôter nous est donné par Eusèbe de Césarée[50] dans son Histoire ecclésiastique, qui cite un passage du Contre les hérésies d’Irénée de Lyon : « Ptolémée, fils de Lagos, très désireux d’orner des meilleurs écrits de tous les hommes la bibliothèque qu’il avait organisée à Alexandrie, demanda aux habitants de Jérusalem leurs Écritures traduites en langue grecque »[51].

A l’inverse, la source qui consacre le mérite de la fondation de la Bibliothèque au successeur de Ptolémée Ier est celle que la tradition postérieure a suivie mais c’est aussi la plus ancienne et la plus problématique d’un point de vue historique qui nous soit parvenue, à savoir La Lettre d’Aristée à Philocrate[52]. Cette œuvre apologétique mêle sous un même règne, celui de Ptolémée II Philadelphe, l’entreprise de traduction en grec du Pentateuque et la fondation de la Bibliothèque qui a accueilli la traduction, grâce à l’impulsion de Démétrios de Phalère[53]. Il apparaît que la gloire de Philadelphe a largement éclipsé celle de son père et, tout au long du Moyen Âge, la fondation de la Bibliothèque lui sera attribuée avec le concours de Démétrios de Phalère. Mais malgré l’impressionnante tradition historique en faveur du fils, les historiens modernes s’accordent tous à attribuer cette fondation royale à Ptolémée Sôter, et ce pour deux principales raisons : d’une part, la contradiction due à l’association entre le philosophe aristotélicien et Philadelphe puisque ce dernier a participé à la disgrâce de l’Athénien ; et d’autre part, l’attachement prégnant de Ptolémée Ier au Lycée d’Aristote, ce qui semble en faire le candidat idéal pour la mise en place d’un projet culturel incluant une institution telle que le Musée d’Alexandrie.

Au regard de la formation philosophique de Démétrios de Phalère à Athènes, son influence sur la « politique culturelle » menée par Ptolémée et poursuivie par son successeur est ainsi tout à fait certaine pour les historiens[54]. En outre, si l’on suit la Lettre d’Aristée à Philocrate, Démétrios aurait également été le premier bibliothécaire de la Bibliothèque d’Alexandrie puisque le philosophe est explicitement désigné comme étant « Κατασταθεὶς ἐπὶ τῆς τοῦ Βασιλέως  Βιβλιοθήκης », littéralement « en charge de la Bibliothèque du roi »[55]. Bien qu’il semble ne pas y avoir eu d’appellation spécifique pour qualifier la charge du bibliothécaire, il existait bel et bien une fonction de « président » de la Bibliothèque d’Alexandrie[56]. Au début de la période ptolémaïque, il s’avère que cet office est systématiquement associé à un rôle de précepteur de la progéniture du couple royal, comme c’est le cas pour le physicien Zénodote d’Ephèse, considéré par les historiens comme le véritable premier bibliothécaire et précepteur de Ptolémée II Philadelphe. Les sources dont les historiens sont tributaires pour reconstituer la liste des bibliothécaires d’Alexandrie, à savoir un papyrus d’Oxyrhynchos (le P.Oxy. X 1241) et une liste issue des Prolégomènes à Aristophane de Tzetzès, sont relativement douteuses et surtout divergentes sur l’ordre de succession. Le croisement de ces deux documents, bien que lacunaires, a permis de dresser une liste approximative dont les noms et la datation sont sujets à débats parmi les spécialistes, mais qui n’inclut pas Démétrios de Phalère. Pour Mostafa El-Abbadi, cette absence s’explique par le fait que l’inventaire des bibliothécaires débute avec la période de co-régence associant Ptolémée II Philadelphe au gouvernement de son père, quelque temps avant la mort de Ptolémée Sôter en 282 av. J.-C. Démétrios n’ayant pu collaborer avec le deuxième des Ptolémées du fait de sa disgrâce au début de son règne, Mostafa El-Abbadi émet l’hypothèse que « la charge consistant à surveiller l’avancement des travaux à la bibliothèque a pu faire l’objet d’une mission royale spéciale, confiée à Démétrios par Sôter[57] ». Le poste de bibliothécaire aurait ainsi véritablement vu le jour sous le règne de Ptolémée II Philadelphe qui a fortement impulsé le rayonnement culturel de l’institution.

Un indice de l’importance de l’action de Démétrios et de son rôle dans la naissance de la Bibliothèque d’Alexandrie nous est, par ailleurs, fourni par l’actuelle Bibliotheca Alexandrina, centre culturel de recherche situé sur l’hypothétique emplacement de son prédécesseur antique et inauguré en octobre 2002 à Alexandrie après plusieurs années de travaux[58]. En effet, installée dans le hall d’entrée et accueillant les lecteurs et visiteurs, se dresse une statue imaginaire d’époque contemporaine de Démétrios de Phalère, vêtu d’un himation et portant un rouleau de papyrus dans la main gauche. En avant de ce portrait, trois inscriptions trilingues rappelant l’identité du philosophe – grec ancien sur la plinthe, arabe et anglais sur la base – rappellent l’universalisme voulu de l’institution, hérité de son modèle ptolémaïque.

Statue fictive de Démétrios de Phalère d’époque contemporaine (Alexandrie, Bibliotheca Alexandrina).

Conclusion

D’abord « gouverneur » d’Athènes pour le compte de Cassandre entre 317 et 307 av. J.-C dans le cadre de la guerre des diadoques, Démétrios de Phalère poursuit ensuite sa carrière politique en Égypte suite à un exil contraint, devenant le conseiller de Ptolémée Ier Sôter. Implanté dans les cercles auliques du pouvoir lagide, Démétrios apparaît véritablement comme une figure intellectuelle de premier plan en incarnant une part de l’héritage classique dans cette civilisation hellénistique dont Alexandre a été à la fois le foyer et le symbole. L’historiographie antique ainsi que les historiens contemporains attribuent au philosophe athénien une action législative et surtout culturelle conséquente à Alexandrie. Dans le cas du Musée et de sa bibliothèque, la formation péripatéticienne de Démétrios est un élément clé pour comprendre la vocation de ces deux institutions et la manière dont elles ont été pensées afin de promouvoir le rayonnement culturel de la capitale. La Lettre d’Aristée à Philocrate va même plus loin en faisant de Démétrios non seulement le premier bibliothécaire, mais aussi l’initiateur de la traduction en grec de la Loi juive à Alexandrie, par soixante-douze traducteurs venus de Jérusalem. Bien que le rôle de Démétrios soit ici sujet à débat en raison de la nature de la source, cette entreprise de traduction en koinè grecque d’un écrit hébraïque sacré au sein de la Bibliothèque témoigne de cette « politique culturelle » universaliste des premiers Ptolémées. De manière plus générale, elle illustre cette posture d’expert royal et témoigne du rôle fondamental joué par le philosophe athénien auprès du pouvoir royal lagide : en effet, la Lettre d’Aristée évoque le fait que c’est Ptolémée II en personne qui aurait demandé à Démétrios, en raison de ses expertises, de mettre en œuvre la traduction[59].

Notons toutefois que Démétrios de Phalère ne constitue pas l’unique exemple de l’intellectuel de cour des débuts de l’époque lagide, puisque d’autres savants grecs et égyptiens ont pu être liés à Ptolémée Ier, à l’instar du philosophe grec Hécatée d’Abdère[60] ou du prêtre égyptien Manéthon de Sébennytos[61]. La question des rapports – réels ou éventuels – qu’ont pu entretenir ces experts entre eux au sein de l’espace curial et avec la royauté reste importante au vu de l’importance de leurs écrits, mais mal documentée et renseignée. Concernant Hécatée d’Abdère, actif essentiellement à la fin du IVe siècle av. J.-C, au temps où Ptolémée n’est pas encore basileus mais un satrape influent, O. Murray rappelle que l’influence croissante de Démétrios à la cour et la mise en place d’une politique visant au rayonnement de la culture grecque, a pu contribuer à créer des visions antagonistes entre ces deux savants[62]. Démétrios aurait même progressivement fait évincer Hécatée, perçu comme un « libre penseur » et dont l’ouvrage sur l’Egypte ne coïncidait plus avec les vues politiques et culturelles de Ptolémée. En outre, comme le rappelle François Hartog dans son ouvrage sur la Mémoire d’Ulysse, les souverains lagides ont également su s’appuyer tout au long de la période sur la sagesse d’experts égyptiens, en particulier des membres de la caste sacerdotale comme Manéthon, susceptibles de leur apporter une connaissance de la tradition intellectuelle égyptienne nécessaire à l’enracinement de leur pouvoir en Égypte[63].


[1] Cicéron, De Legibus,  III, 6, 14 (tr. G. DE PLINVAL, Paris, Les Belles Lettres, 1959).

[2] Dans beaucoup de ses œuvres, Cicéron brosse un portrait élogieux de Démétrios de Phalère, présenté comme une figure politique charismatique et comme un intellectuel ayant réussi à s’adapter aux contraintes de l’action politique pour exceller dans ce domaine. Une seule œuvre, le Brutus, offre une allégation et un jugement péjoratif de la part de Cicéron sur l’éloquence de Démétrios. Voir Pierre CHIRON, « Démétrios de Phalère dans le Brutus » dans S. AUBERT-BAILLOT, C. GUÉRIN, Le « Brutus » de Cicéron : rhétorique, politique et histoire culturelle, Leyde, Brill, 2014, p. 105-120.

[3] La dynastie ptolémaïque (également appelée « lagide », en référence à Lagos, père du premier souverain) est une dynastie de rois gréco-macédoniens fondée par Ptolémée (voir n. 8) et implantée en Egypte suite à la conquête de l’empire perse par Alexandre le Grand. La défaite de Cléopâtre VII et du général romain Marc-Antoine face à Octave lors de la bataille d’Actium (31 av. J.-C.) marque traditionnellement la fin de la dynastie lagide, l’Egypte devenant une province romaine gouvernée par un préfet. Les historiens admettent que la mort de la dernière souveraine lagide marque, plus largement, la fin de la période hellénistique.

[4] Il convient de noter que le corpus de documents anciens concernant la vie de Démétrios de Phalère comprend également d’autres sources iconographiques et archéologiques d’époques variées, mais qui font l’objet de débats importants quant à la figuration réelle ou potentielle du philosophe. Ainsi, il est possible de citer : une statue-portrait (discutée) retrouvée dans l’Exèdre du Sérapéum de Memphis et dont la datation est relativement incertaine, une figuration (discutée) de Démétrios de Phalère sur un gobelet en argent issu du trésor de Boscoreale (daté de la fin du Ier siècle av. J.-C) ; et également une figuration (discutée) du philosophe sur la mosaïque dite des « Sept Sages » de la villa Albani à Rome.

[5] Pour une édition scientifique des sources antiques relatives à la vie de Démétrios de Phalère, avec un apparat critique, se reporter à : William W. FORTENBAUGH, Eckart SCHUTRUMPF (éd.), Demetrius of Phalerum : Text, Translation, and Discussion, Londres, Transaction publishers, 2000.

[6] Souda, s. v. Δημήτριος (Δ 429). Pour consulter les notices de la Souda, voir l’édition numérique Souda On Line (http://www.stoa.org/sol/) qui constitue une base de données des différentes entrées de l’encyclopédie byzantine avec une traduction anglaise.

[7] Démétrios de Phalère est mentionné par Cicéron dans sept de ses œuvres : De republica (II, 2), De legibus (II, 62 ; III, 14), De finibus (V, 53-54), Pro C. Rabirio Postumo (IX, 23), De officiis (II, 60), De oratore (II, 95), Brutus (38 ; 285).

[8] P. Lille 88 = MP3 2845.9 (éd. C. MEILLIER, Études sur l’Égypte et le Soudan anciens, CRIPEL 5, Publications de l’Université de Lille III, 1979,  p. 366-368).

[9] Nous trouvons au moins trois termes différents employés par les auteurs anciens pour désigner son autorité : Polybe (Histoires, XII, I 3, 9) le qualifie de « prostatês », ce qui renvoie à l’idée d’un garant ou d’un tuteur ; Strabon (Géographie, IX, 398) et Diodore de Sicile (Bibliothèque historique, XX, 45,5) usent du terme « épistatês », qui désigne à Athènes un magistrat, le « président » des Prytanes qui préside le Conseil et l’Assemblée le jour de son élection. Mais le même Diodore le qualifie également (XVIII, 74, 3 et XX, 45, 2) du terme d’ « épimélète », titre vague qui implique surtout une fonction d’administrateur et de gouverneur.

[10] Lara O’SULLIVAN, The regime of Demetrius of Phalerum in Athens, 317-307 BCE. A Philosopher in Politics, Leyde, Brill, 2009, 344 p. Voir aussi : Claude MOSSÉ, « Démétrios de Phalère : un philosophe au pouvoir ? » dans C. JACOB, F. DE POLIGNAC, Alexandrie IIIe siècle. Tous les savoirs du monde ou le rêve d’universalité des Ptolémées, Paris, Éditions Autrement, 1992, p. 83-92.

[11] Plutarque, Vie de Démétrios, 9, 1-3 : « L’homme du Phalère, en raison de ce changement de régime, craignant plus ses concitoyens que les ennemis, Démétrios [Poliorcète] ne se désintéressa pas de lui : plein d’estime pour sa réputation et son mérite, il l’envoya en sécurité, comme il le souhaitait, à Thèbes. » (trad. E. CHAMBRY, R. FLACELIÈRE, Les Belles Lettres, 2013).

[12] Plutarque, Moyen de distinguer le flatteur d’avec l’ami, 28 69 C-D. Voir aussi les témoignages de Diogène Laërce, Vies, VI, 90 ; Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XX, 45, 4.

[13] Général d’Alexandre le Grand, Ptolémée participe à toutes ses campagnes lors de l’Anabase et devient l’un de ses sômatophylaques (garde du corps). Il est désigné satrape d’Égypte lors du partage de Babylone à la mort d’Alexandre en 323 av. J.-C. Lors des guerres des diadoques, il s’oppose principalement aux prétentions hégémoniques d’Antigone le Borgne et de son fils Démétrios Poliorcète qui souhaitent restaurer l’unité de l’empire d’Alexandre. La date de sa proclamation comme roi (basileus) d’Égypte dans le sillage d’Antigone le Borgne fait l’objet de discussions, mais la date de 304 av. J.-C. rallie de plus en plus de spécialistes. La documentation disponible ne renseigne pas sur son couronnement en tant que pharaon, son fils Ptolémée II étant le premier souverain lagide à l’être, mais il est très vraisemblable en raison de son intérêt hautement politique pour la dynastie lagide naissante.

[14] Il  convient de rappeler que dans son enfance, Ptolémée a suivi les enseignements d’Aristote avec les autres hétairoi d’Alexandre le Grand à Mieza.

[15] Très récemment : Anne QUEYREL BOTTINEAU (dir.), Conseillers et ambassadeurs dans l’Antiquité, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2017, 866 p.

[16] Voir Annie HOURCADE, Le conseil dans la pensée antique. Les sophistes, Platon, Aristote, Paris, Hermann Editeurs, 2017, 349 p.

[17] Voir la série de mélanges intitulée « Experts et pouvoirs dans l’Antiquité » et dont les contributions ont été publiées entre 2001 et 2003 au sein de la Revue Historique. Notons également l’utilisation récente du terme pour l’ époque classique dans l’ouvrage de Paulin ISMARD, La démocratie contre les experts. Les esclaves publics en Grèce ancienne, Paris, Éditions du Seuil, 2015, 269 p.

[18] Pour les royautés hellénistiques en particulier, il convient de citer deux articles traitant des experts royaux « barbares » (dans le sens d’individus de culture ou de naissance non gréco-macédonienne) au sein des monarchies lagide et séleucide :  Bernard LEGRAS, « Les experts égyptiens à la cour des Ptolémées », Revue Historique, n°624, 2002, p. 963-991 ; Nathaël ISTASSE, « Experts ‘barbares’ dans le monde politique séleucide » dans Jean-Christophe COUVENHES, Bernard LEGRAS (dir.), Transferts culturels et politique dans le monde hellénistique, Paris, Publications de la Sorbonne, 2006, p. 53-80.

[19] L’oïkoumène (en grec, οἰκουμένη) désigne de manière large le monde grec, le monde habité par les Grecs, par opposition au monde barbare.

[20] Claire PREAUX, Le monde hellénistique. La Grèce et l’Orient de la mort d’Alexandre à la conquête romaine de la Grèce (323-146 av. J.-C.), t. 1, Paris, Presses Universitaires de France, 1978, p. 212-213.

[21] En grec « philoi »,  φίλοι τοῦ βασιλέως.

[22] Pour l’étude des philoi royaux en Égypte ptolémaïque, voir les livres de synthèse de Leon MOOREN, The Aulic Titulature in Ptolemaic Egypt and Prosopography, Bruxelles, Palais der Academiën, 1975 ; La hiérarchie de cour ptolémaïque. Contribution à l’étude des institutions et des classes dirigeantes à l’époque hellénistique, Louvain, 1977. Les travaux de L. Mooren attirent l’attention sur la difficulté de cerner les philoi dans l’ensemble du personnel dirigeant ainsi que la nature (réelle ou fictive) des liens de proximité entre le roi et l’individu caractérisé comme philos dans les sources : soit parce que certains individus qui appartiennent à l’entourage royal ne sont pas qualifiés de philoi dans nos sources, soit celles-ci qualifient comme tels des personnes qui ont seulement le titre d’Ami, mais qui sont le plus souvent de simples fonctionnaires. Par conséquent, L. Mooren a proposé une distinction entre philoi « réels », à l’image de Démétrios, et « titulaires ». Toutefois, comme le note Ivana SAVALLI-LESTRADE, Les Philoi royaux dans l’Asie hellénistique, Paris, Droz, 1998, p. XII : « Cette distinction, qui peut paraître au premier abord raisonnable, est en réalité très peu satisfaisante pour l’historien qui manie des sources de nature et d’époques disparates […] ».

[23] Ivana SAVALLI-LESTRADE, Les Philoi royaux dans l’Asie hellénistique, Paris, Droz, 1998, p. X-XI.

[24] Plutarque, De l’Exil, 7 602 A (trad. J. HANI, Paris, Les Belles Lettres, 1980).

[25] Plutarque, Apophtegmes de rois et de généraux, 189 D : « Démétrios de Phalère conseillait au roi Ptolémée d’acquérir et de lire les livres traitant de la royauté et du gouvernement ; ‘car, ce que leurs amis n’osent pas conseiller aux rois, c’est écrit dans les livres » (trad. F. FUHRMANN, Paris, Les Belles Lettres, 1988).

[26] Louis DELATTE, Les Traités de la Royauté d’Ecphante, Diotogène et Sthénidas, Paris, Droz, 1942.

[27] Diogène Laërce, Vies, V, 78 (trad. M.-O. GOULET-CAZE, Paris, Le Livre de Poche, 1999).

[28] Diogène Laërce, Vies, V, 79.

[29] Notamment Auguste BOUCHÉ-LECLERCQ, Histoire des Lagides, t. I, Paris, Ernest Leroux, 1903, p. 96-97.

[30] Il convient de rappeler que Cassandre, le frère d’Eurydice, a été roi de Macédoine. A l’inverse, la mère de Ptolémée II Philadelphe, dernière épouse de Ptolémée Ier, était une suivante d’Eurydice, sans ascendance spécifiquement noble ou royale.

[31] La chôra désigne la campagne égyptienne par opposition à la cité d’Alexandrie. Il faut noter la particularité du lieu de décès de Démétrios, à Diospolis d’aval, aujourd’hui Tell el Balamoum, près de Damiette. Cette dernière ville n’existant pas encore, c’est Diospolis qui faisait fonction de port juste avant l’estuaire. Le philosophe est donc né (Phalère) et mort dans un port. Etant donné les imprécisions autour de ses conditions de détention et de sa mort, il est relativement difficile d’affirmer la dureté de sa situation. Sur Diospolis/Balamoun, voir : Fr. LECLERE, Les villes de Basse Egypte au Ier millénaire av. J.-C. Analyse archéologique et historique de la topographie urbaine. Le Caire, IFAO, Bibliothèque d’Etudes 144/1-2, 2008, p.287-321.

[32] Diogène Laërce, Vies, V, 78. L’épisode de la morsure du serpent est aussi rapporté par Cicéron, Pro C. Rabirio Postumo, IX, 23 : « Démétrius, à qui son excellente administration de l’État et sa science avaient valu gloire et renom, Démétrius, dit de Phalère, perdit la vie dans ce même royaume d’Égypte où il se fit mordre par un serpent ». (trad. A. BOULANGER, Paris, Les Belles Lettres, 1949).

[33] Ce motif du suicide causé par la mélancolie, l’abattement et le découragement (en grec, ἀθυμία) constitue un topos littéraire récurrent que l’on retrouve notamment dans d’autres vies de philosophes de l’œuvre de Diogène Laërce.

[34] Voir Stephen V. TRACY, « Demetrius of Phalerum : Who was He and Whos was He Not ? » dans William W. FORTENBAUGH, Eckart SCHUTRUMPF (éd.), Demetrius of Phalerum : Text, Translation, and Discussion, Londres, Transaction publishers, 2000, p. 331-345.

[35] Compilateur romain de langue grecque du début du IIIe siècle ap. J.-C.

[36] Élien, Histoire variée, III, 17 (trad. A. LUKINOVICH, A.-F. MORAND, La Roue à Livres, 1991).

[37] Voir Julie VELISSAROPOULOU, « Les Lois alexandrines », sous la direction de Joseph Mélèze-Modrzejewski, Université Paris II Panthéon-Assas, 1972 (mémoire de DESS). Les deux autres cités grecques de l’Égypte lagide sont Naucratis et Ptolémaïs.

[38] Paul PERDRIZET, « Le fragment de Satyros sur les dèmes d’Alexandrie », Revue des Études anciennes, t.12, n°3, 1910, p. 217-247.

[39] Raymond  BOGAERT, Trapezitica Aegyptiaca. Recueil de recherches sur la banque en Égypte gréco-romaine, Florence, Gonelli, 1994.

[40] P. M. FRASER, Ptolemaic Alexandria, Oxford, Oxford Clarendon Press, 1972, p. 113-114.

[41] Joseph MÉLÈZE-MODRZEJEWSKI, Loi et coutume dans l’Égypte grecque et romaine, Varsovie, Warsaw University, 2014, p. 124.

[42] Cette formulée est empruntée au sous-titre de l’ouvrage de Christian JACOB, François DE POLIGNAC (dir.), Alexandrie IIIe siècle av. J.-C. Tous les savoirs du monde ou le rêve d’universalité des Ptolémées, Paris, Editions, 1992.

[43] Il existe une bibliographie conséquente sur la Bibliothèque d’Alexandrie. Voir : Mostafa EL-ABBADI, Vie et destin de l’ancienne bibliothèque d’Alexandrie, Paris, UNESCO-PNUD, 1992 ; Luciano CANFORA, La véritable histoire de la Bibliothèque d’Alexandrie, Paris, Desjonquères, 1988. Plus récemment : Frédéric MORI, Charles MELA (éd.), Alexandrie la divine, 2 vol., Genève, La Baconnière, 2016 ; Christophe RICO, Anca DAN (éd.), The Library of Alexandria. A Cultural Crossroads of the Ancient World. Proceedings of the Second Polis Institute Interdisciplinary Conference, Jerusalem, Polis Institute Press, 2017. Plus largement, sur les bibliothèques dans l’Antiquité : Lionel CASSON, Libraries in the Ancient World, Yale University Press, 2001, p. 31-47.

[44] A l’origine, un Mouseion est un sanctuaire consacré aux Muses, divinités liées aux arts. Progressivement, le terme a été employé pour désigner des institutions culturelles et intellectuelles placées sous le patronage des Muses, à l’instar du Mouseion d’Alexandrie qui abritait la bibliothèque.

[45] Sur les maisons de vie, consulter Vilmos WESSETSKY, « Die ägyptische Tempelbibliothek. Der Schlüssel der Lösung liegt doch in der Bibliothek des Osymandyas ? », ZÄS, 100, 1973, p. 54-59. Egalement : Amandine MARSHALL, Etre un enfant en Égypte ancienne, Monaco, Éditions du Rocher, 2014 ; K. ZINN, « Libraries and Archives. The Organisation of Collective Wisdom in Ancient Egypt », dans M. Canatta, Chr. Adams (éd.), Current Research in Egyptology 2006. Proceedings of the Seventh Annual Symposium which took place at the University of Oxford 2006, Oxford, 2007, p.169-176.

[46] Voir Philippe CLANCIER, Les bibliothèques en Babylonie dans la deuxième moitié du Ier millénaire av. J.-C., Münster, Ugarit-Verlag, 2009.

[47] Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes les plus illustres, V, 39.

[48] Parmi les témoignages les plus suggestifs sur la fondation de la Bibliothèque : Lettre d’Aristée à Philocrate ; Eusèbe de Césarée, Histoirre ecclésiastique ; Clément d’Alexandrie, Stromates ; Epiphane de Salamine, De ponderibus et mensuris ; Galien, Commentaire des Epidémies ; Tzetzès, De comoedia.

[49] Le rare témoignage d’époque impériale fournissant une description du cadre physique du Musée d’Alexandrie se trouve chez Strabon, Géographie, XVII, 1, 8 : « Le Musée fait aussi partie des palais, avec un promenoir, une exèdre, et un grand local dans lequel se trouve le réfectoire des savants membres du Musée. Cette société a des biens en commun et possède un prêtre affecté au Musée nommé autrefois par les rois, et aujourd’hui par César ». (trad. B. LAUDENBACH, Paris, Les Belles Lettres, 2014).

[50] Ecrivain et théologien actif au IVe siècle ap. J.-C. et reconnu comme un Père de l’Eglise.

[51] Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, V, VIII, 11-12 (trad. G. BARDY, Ed. du Cerf, 1955).

[52] Ecrit apologétique dont la datation varie entre 200 av. J.-C et 80 ap. J.-C, le seul repère chronologie sûr étant que ce document est antérieur à l’historien Flavius Josèphe puisqu’il la reprend entièrement dans ses Antiquités Judaïques. La Lettre d’Aristée retrace de manière légendaire l’entreprise de traduction en grec du Pentateuque à Alexandrie, à l’initiative de Ptolémée II Philadelphe, par soixante-douze intellectuels juifs venus de Jérusalem.

[53] Sur la Septante et la Lettre d’Aristée à Philocrate voir : G. DORIVAL et. alli. (dir.), La Bible grecque des Septante. Du judaïsme hellénistique au christianisme ancien, Paris, Éditions du Cerf, 1988.

[54] Par la formulation « politique culturelle », nous renvoyons ici à la volonté des Ptolémées de faire d’Alexandrie le siège politique et culturel de la dynastie, via la mise en place du Mouseion et de sa bibliothèque qui ont contribué, par leur but encyclopédique et universaliste de rassembler le savoir intellectuel grec et étranger, à déployer l’idéologie royale lagide.

[55] Pseudo-Aristée, Lettre d’Aristée à Philocrate, 9 (trad. A. PELLETIER, Paris, Editions du Cerf, 1976). Il est intéressant de noter que l’on retrouve une expression analogue dans une inscription honorifique de Chypre datée de la fin de la période ptolémaïque (OGIS 172), dédiée à un certain Onasandre de Paphos. Elle affirme que ce dernier a été « nommé à la tête de la Grande Bibliothèque d’Alexandrie » vers 88 av. J.-C. sous le règne de Ptolémée IX Sôter.

[56] Bien que les historiens aient plus ou moins tendance à associer sous une même bannière le Musée et sa collection de livres, il s’agit de rappeler que les deux institutions – bien que complémentaires – ont eu un fonctionnement différencié. En effet, le fait que la personne nommée à la tête de la Bibliothèque n’était pas la même que celle qui dirige le Mouseion, l’épistatès, semble indiquer une administration distincte.

[57] Mostafa EL-ABBADI, Vie et destin…, p 94.

[58] Sur la Bibliotheca Alexandrina, consulter l’ouvrage de F. PATAUT, La nouvelle bibliothèque d’Alexandrie, Paris, Buchet-Chastel, 2003.

[59] Pseudo-Aristée, Lettre d’Aristée à Philocrate, 9-11. Il faut ici rappeler l’intérêt particulier des philosophes péripatéticiens, depuis Aristote, pour les législations et les sagesses « barbares », pour reprendre la formulation d’Arnaldo Momigliano, Sagesses barbares. Les limites de l’hellénisation, Paris, Éditions Maspero, 1979.

[60] Disciple du philosophe sceptique Pyrrhon d’Elise selon Diogène Laërce (Vies, IX), Hécatée est connu pour de nombreux textes sur des thèmes variés, dont certains ont été transmis indirectement par d’autres auteurs, tel que son œuvre sur l’Egypte (περὶ Αἰπτίων), composé grâce au patronage royal de Ptolémée. Connu grâce à Diodore de Sicile qui l’utilise comme source principale du livre I de sa Bibliothèque historique, l’ouvrage aborde différents aspects de l’histoire, de la culture et de la religion de l’Egypte. Voir O MURRAY,  « Hecataeus of Abdera and Pharaonic Kinship »,  JEA 56, 1970, p.141-169.

[61] L’existence historique de ce prêtre, qui aurait rédigé une Histoire de l’Egypte (Aegyptiaca) sous le règne de Ptolémée Ier ou Philadelphe, est sujette à débat. La  bibliographie  sur  Manéthon  est  considérable.  Voir  celle  réunie  par  DILLERY  J.,  « The  First  Egyptian Narrative  History :  Manetho  and  Greek  Historiography »,  ZPE 127  (1999),  p.  113-116.  Du  même  auteur : DILLERY J.,  Clio’s Other Sons. Berossus & Manetho, Ann Arbor, Presses Universitaires du Michigan, 2015.

[62] O MURRAY,  « Hecataeus of Abdera and Pharaonic Kinship »,  JEA 56, 1970, p. 167 : « It may be too adventurous to see Hecateus and Demetrius as the protagonists at court of two explicit and opposed political doctrines, yet they certainly represent two incompatible attitudes. With the arrival of Demetrius, Greek and Egyptian culture fell apart ; and a whole intellectual approach was forgotten, submerged in the excitement of the establishment of Alexandria […] ».

[63] François HARTOG, Mémoire d’Ulysse. Récits sur la frontière en Grèce ancienne, Paris, Gallimard, 1996, p. 49. Voir également la prosopographie des experts égyptiens royaux réalisée par Bernard LEGRAS, « Les experts égyptiens… », p. 963-991. Cette réflexion autour des transferts culturels et de la diffusion des cultures orientales dans le monde gréco-romain a notamment été posée de manière inédite par Arnaldo Momigliano, Sagesses barbares. Les limites de l’hellénisation, Paris, Éditions Maspero, 1979.

Les Affranchis au service des intrigues impériales

Gurvane Wellebrouck

 


Résumé : Dans le droit romain, l’acte de manumissio qui amenait à l’affranchissement d’un esclave ne rompait cependant pas définitivement le lien qui l’engageait avec son maître, aussi il est intéressant de comprendre sous quelles formes l’esclave libéré, le libertus, pouvait entretenir ces obligations, basées sur la loyauté et le respect envers celui qui était désormais son patronus. Cette situation, vécue aussi bien par les affranchis privés que ceux au service de l’Empereur, sera l’objet de notre étude. La position des affranchis impériaux constituant la familia Caesaris révélait souvent le prestige qui les entourait ainsi que leur personnalité car beaucoup d’entre eux identifiaient proximité et collusion avec le pouvoir. À l’appui de textes d’historiens de l’Empire romain, en particulier l’œuvre de Tacite, cette étude aura pour cadre le règne de Néron jusqu’à l’année 69 apr. J. –C., et s’interrogera sur la façon dont certains de ces affranchis furent au cœur des intrigues impériales et des luttes pour le pouvoir dans cette époque troublée de l’histoire romaine.

Mots-clés : Rome, empire, affranchis, pouvoir, histoire.


Gurvane Wellebrouck, née le 25/07/1971. Professeur certifié de Lettres Classiques au Collège Louis Lumière de Marly-le-Roi (78). Titulaire d’un doctorat de Lettres Classiques ; thèse soutenue en 2016 à l’Université Paris-IV Sorbonne, intitulée Présence et ambitions des affranchis dans l’Empire romain. Actuellement membre associé à l’équipe Themam-ArScAn UMR 7041 Université Paris-Ouest Nanterre. Mes recherches portent sur la civilisation romaine impériale, en particulier sa population affranchie grâce à l’étude des textes latins et grecs et l’analyse épigraphique, en particulier de leurs épitaphes funéraires. Une des publications ayant trait à ces recherches : Claudia Acte : le destin d’une affranchie, article paru dans le BAGB, 2017-1.

wellebrouck.gurvane@orange.fr


Introduction

À Rome, l’affranchi, qu’il fût l’esclave d’un citoyen modeste ou celui d’un personnage puissant, devait continuer à manifester sa fidélité et sa loyauté envers son ancien maître, une fois que ce dernier l’avait libéré. Il s’agissait des operae, ou devoirs, qui prenaient alors un aspect concret, notamment lorsque l’affranchi escortait son patron ou lui tenait lieu de confident, situation plus répandue chez les affranchis impériaux car ils étaient au fait de la politique du prince et de ses tractations[1]. Au cours de la période julio-claudienne jusqu’à la période charnière que fut la succession de Néron[2] , nous verrons que les affranchis impériaux ne demeurèrent pas des êtres obscurs mais révélèrent souvent une inclination pour les intrigues et les complots rapportés dans les textes des historiens, notamment ceux de Tacite, Suétone et Dion Cassius. Sous son règne, Claude avait davantage remis le pouvoir à de grands secrétaires impériaux, leur laissant toute latitude pour représenter le pouvoir. Mais au cours des règnes suivants, ces affranchis furent intégrés aux propres intrigues du Princeps ce qui les amena parfois à agir de façon transgressive.  C’est cette place centrale qu’ils occupèrent auprès de l’empereur qui fit diriger les regards des historiens sur eux et eut tendance à les desservir. En effet, cette posture devint un élément récurrent sous la plume des historiens de l’Empire romain, en particulier celle de Tacite, dont le jugement est souvent partial à l’égard des affranchis[3]. En effet, nombreux sont ses textes où le ton et le vocabulaire sont employés avec l’intention de décrire ces hommes au service du pouvoir comme des êtres machiavéliques, prêts à toutes les manœuvres dans le but de plaire au Prince. Ainsi, les différents portraits d’affranchis impériaux que nous allons présenter dans cette étude apparaîtront, certes, dépendants du style et du point de vue des historiens qui rapportent leurs actes, mais aussi de cette incorruptam fidem préconisée par Tacite[4], soucieux de rapporter les événements dans toute leur vérité. Plongés au sein de l’histoire impériale, jalonnée de crimes et d’antagonismes entre clans luttant pour la place suprême, nous nous interrogerons par conséquent sur le rôle que purent avoir ces affranchis, mus par ce lien de servilité envers leur maître, ainsi que sur leur implication dans le jeu politique du Ier siècle apr. J.-C.

Le règne de Néron

Dévouement et abnégation

Du règne de Néron à celui de Vitellius, la vie politique romaine connut de fréquents rebondissements, ne connaissant alors que peu d’années de répit. Epris de pouvoir, certes, mais ressentant aussi une perpétuelle méfiance vis-à-vis de leur entourage, les empereurs s’entouraient d’hommes fidèles, qu’ils connaissaient souvent depuis longtemps, et en faisaient leurs confidents. Parmi ces membres de la familia impériale figurait le groupe des affranchis, anciens esclaves à l’effectif important et désignés dans les textes par le terme générique de liberti. Les historiens antiques ont précisé le rôle de certaines figures marquantes qui restèrent célèbres[5] et qu’un point commun unissait : la loyauté envers leur maître, qui allait les amener à commettre les plus basses actions, sans oublier, cependant, que ce lien était aussi le poids de leur origine servile. Ainsi, quand Néron chercha à se débarrasser de sa mère Agrippine, c’est de son affranchi Anicetus que vint la solution. En tant que préfet de la flotte de Misène, celui-ci s’était proposé pour aménager le navire d’Agrippine de sorte à ce qu’une partie se détachât et entraînât la mère de Néron dans un naufrage. L’affranchi mit donc ses connaissances et son professionnalisme – l’ingenium dont parle Tacite dans les Annales [6]– au service de l’empereur mais sa motivation était aussi personnelle car il était non seulement rempli de haine envers la mère de Néron, qui le lui rendait bien, au vu de la formule utilisée mutuis odiis[7], mais il était aussi présenté comme l’educator de l’empereur, c’est-à-dire celui qui l’avait élevé, charge partagée avec Beryllus, qu’ils avaient reçue en 41, à la mort du père de Néron[8]. C’était donc bien une marque de sa fides que l’affranchi souhaitait montrer dans ce stratagème. Par la suite, Anicetus sera par deux fois l’émissaire de Néron : en effet, le premier plan avait échoué car Agrippine survécut au naufrage de son bateau, contrairement à l’une des femmes de sa suite, nommée Acerronia[9]. Une fois rentrée chez elle, elle trouva l’affranchi accompagné d’un centurion et d’un triérarque, prêts à finir leur mission[10]. Avant même qu’il ne soit accompli, le meurtre d’Agrippine apparut comme une délivrance pour Néron qui attribua la cause de cette joie à son affranchi[11]. Cette phrase, rapportée par Tacite, montre aussi la position que l’historien veut donner à l’affranchi. Les mots imperium et libertus, grâce à l’antithèse, mettent en valeur ce lien ténu entre pouvoir et servilité, incarné ici par Anicetus, car c’est, paradoxalement, d’un affranchi que l’empereur avait obtenu sa délivrance.

Anicetus sera de nouveau le jouet de Néron au moment de sa rupture avec son épouse Octavie, qu’il avait accusée d’adultère afin de l’éloigner de Rome et, par la suite, de lui donner la mort. C’est Anicetus que Néron choisit encore pour supporter la culpabilité de cet adultère, lui rappelant son rôle lors de la mort d’Agrippine et lui promettant de fortes récompenses[12]. La première phase de cette entrevue est à considérer comme le discours d’un maître à son esclave, sur lequel il avait toute puissance, dont celle de tuer. L’affranchi n’avait aucun intérêt à refuser ce que Néron lui demandait de faire, et se devait d’obéir. La deuxième phase de ce face à face va montrer une loyauté, poussée cependant à l’extrême, puisqu’Anicetus accroîtra sa culpabilité de crimes qu’on ne lui attribuait même pas[13]. Cette attitude illustre la personnalité propre à certains affranchis impériaux, au service de maîtres eux-mêmes retors et manipulateurs, puisqu’ils cherchaient à impressionner l’empereur en lui rendant service au-delà de sa demande, au péril de leur vie ou de leur réputation. Tacite, dans ce passage, qualifie même cette attitude de « contraire à la raison » avec le terme uaecordia, composé de la particule de sens privatif ue– et du nom cor, siège de la raison. Le terme flagitium, par ailleurs, qui exprime une action déshonorante, une infamie, est ici employé à l’égard d’Anicetus comme il le fut pour décrire Acratus, un autre serviteur de Néron missionné par l’empereur pour piller et renflouer le trésor de l’Etat : ille libertus cuicumque flagitio promptus[14]. Nous voyons donc combien, chez ces affranchis, la volonté de devancer les services réclamés était présente. Une fois ce complot fomenté et exécuté, qu’advint-il des récompenses promises à Anicetus ? Celui-ci fut mis à l’écart en Sardaigne, terre d’exil traditionnelle, financièrement nanti et y attendit la mort[15]. Ses fonctions, pourtant, lui avaient donné une place importante dans l’aula Caesaris, comme en témoigne une inscription en son honneur, exécutée certainement par l’un de ses affranchis, dont le nom est malheureusement perdu[16].

La manifestation de la fides de la part d’un affranchi envers son maître a souvent été rapportée par l’auteur des Histoires et des Annales ; cependant, ce fut surtout pour y trouver des occasions de donner libre cours à ses critiques acerbes envers le trop grand zèle des anciens esclaves dont il voyait, à cette époque, la prééminence sur les autres organes du pouvoir, en particulier le Sénat. Soulignant ainsi la noirceur des actes infâmants des affranchis impériaux, c’est surtout l’absence de réaction ou de capacité à agir de la part des institutions romaines de l’époque que Tacite mettait en valeur, ce qui amena certains critiques, comme Ronald Mellor, à le considérer comme un historien moraliste[17], nostalgique de l’époque républicaine où les valeurs ancestrales, dont la fides faisait partie, n’étaient pas dévoyées comme elles le furent, selon lui, à cette époque de l’Empire.

Emissaires et hommes de main

Les services rendus par les affranchis impériaux eurent le plus souvent, nous venons de le voir avec l’exemple d’Anicetus, des motivations machiavéliques dans le but de porter atteinte à des ennemis ou des gêneurs de l’Empire. C’est ainsi que de nombreux personnages, acculés au suicide ou exécutés, le furent par l’entremise de ces affranchis nommément désignés dans les textes, tels Evodus, Cleonicus et Helius, affranchis impériaux lors du règne des Julio-Claudiens. Lors du règne de Claude, particulièrement en l’année 48 apr. J.-C., la haine suscitée par Messaline, sa troisième épouse, fut immense parmi une frange des affranchis, notamment ceux qui suivaient l’opinion de Narcisse envers elle depuis qu’elle avait mis à mort l’affranchi Polybe, secrétaire a studiis et a libellis[18]. Narcisse, inquiet, en effet, de constater que Claude était tenté de revenir sur sa décision de faire exécuter son épouse, avait précipité les choses en demandant à l’un des serviteurs de constater si Messaline mettait bien fin à ses jours[19]. Ce qu’il faut noter dans cette scène, c’est le rôle particulier que joue l’affranchi Evodus : il est, en effet, missionné par un affranchi qui lui est supérieur, à qui il obéit, confiant dans le fait, qu’à l’origine, l’ordre venait de Claude. Il a, d’une part, la charge de surveiller le tribun et les centurions, mais on le voit aussi injurier Messaline qui n’est pas encore morte. Evodus peut, par conséquent, être ici considéré comme le porte-parole de l’empereur qui aurait adressé ces reproches à sa propre épouse. Cependant, dans la suite du drame, l’historien nous précise que Messaline est transpercée par un coup venant du tribun : ictu tribuni transigitur[20]. L’affranchi redevient, à ce moment-là, un observateur du meurtre de Messaline, comme on lui en a intimé l’ordre mais n’en est pas acteur, et ne porte pas la main sur la jeune femme. Cela coïncide avec l’attitude d’Anicetus, décrite précédemment, où le meurtre d’Agrippine fut causé par un coup de bâton infligé par un tiers, le triérarque, puis par les coups de glaive assénés par le centurion. Dans les deux cas, aucun des affranchis n’est exécutant, mais ce sont des soldats qui agissent : on peut l’expliquer par le fait que l’ancien esclave ne pouvait pas donner physiquement la mort à un membre de la familia de son maître, comme à son maître lui-même, au risque de commettre un parricide, crime transgressif réclamant la peine capitale[21]. Toutefois, quand l’ordre de supprimer un ennemi passait cette fois par le poison, les gestes des affranchis impériaux sont plus francs mais, là encore, nous allons constater que les textes sont à lire attentivement. Tout d’abord, à la lecture de Tacite, le nommé Cleonicus eut, sur ordre de Néron, à préparer un poison pour Sénèque, son maître, qui refusait l’idée de s’associer aux cruautés de l’empereur et cherchait à s’éloigner de Rome[22]. Dans un autre cas, Agrippine, au début du règne de son fils, usa des services de l’affranchi Helius quand elle décida de faire disparaître le proconsul d’Asie, Junius Silanus, risque potentiel comme successeur au titre d’empereur[23]. S’il est incontestable que les deux affranchis cités aient été responsables de ces agissements, il faut noter que leurs conduites les exemptèrent, d’une certaine manière : pour Cleonicus, le stratagème ne fonctionna pas car Sénèque n’absorba pas le poison, soit de son propre gré, soit à cause du renoncement final de l’affranchi, manifestation tardive de sa fides. Pour Helius, le fait d’être associé à un chevalier romain servit en quelque sorte à le dédouaner puisqu’un homme au statut supérieur au sien aurait aussi à répondre de cet acte criminel, Helius étant le subordonné du chevalier Publius Celer, procurateur nommé en Asie, qu’il secondait dans cette tâche, maintenant ainsi l’affranchi dans cette condition d’infériorité, par laquelle sa naissance servile faisait face à l’ingenuitas du citoyen de naissance libre.

La trahison au service du pouvoir

Le respect affiché par un affranchi envers celui qui lui avait octroyé la liberté connut cependant des heurts et certains personnages franchirent le pas vers la désobéissance, voire la trahison. Ce fut le cas du dénommé Fortunatus, dont le maître était Lucius Antistius Vetus, nommé procurateur d’Asie en 64 av. J. –C., et beau-père de Rubellius Plautus, que Néron avait fait tuer en 62 av. J.-C., craignant un complot de sa part. De retour à Rome, Vetus et sa fille Antistia Politta, veuve de Plautus, subirent à leur tour les attaques de Néron. L’historien Tacite ne nous explique pas les raisons du comportement de Fortunatus mais il nous dit que, par trahison, cet affranchi poussa son maître et sa famille à se suicider, décision prise par Vetus afin de ne pas céder aux revendications venues de son ancien esclave[24]. Ce dernier avait donc porté des accusations « après avoir détourné les biens de son maître ». Est-ce par le chantage qu’il arriva à ses fins, en l’accusant d’être le complice de son gendre Rubellius, auquel cas l’affranchi aurait été, là encore, l’instrument de Néron ? Cela semble crédible lorsqu’on apprend, dans un passage des Annales[25], que Fortunatus s’était associé à Claudius Demianus, que Néron avait fait libérer à la suite d’une arrestation décidée par le même Vetus. Motivé par la vengeance, Demianus, soutenu par Néron, trouva de fait en Fortunatus un acolyte intéressé et vénal. Une inscription datant du règne de Trajan nous informe également sur cet affranchi. Il s’agit d’une dédicace en l’honneur d’un collège cultuel dédié à Silvanus, bien datée par les noms des consuls de l’année et qui correspondrait à 108 apr. J.-C[26]. Cette dédicace nous permet de lire les tria nomina d’un affranchi impérial : Tiberius Claudius Fortunatus, et de supposer que ce dernier était le même personnage que celui de l’épisode rapporté précédemment. En effet, à la mort de son ancien maître, Lucius Vetus, Fortunatus avait très bien pu passer dans la familia de l’empereur Néron, faisant de lui un affranchi impérial, dont il porterait désormais la nomenclature, puisque l’affranchi romain portait les tria nomina du maître qui l’avait libéré ou de celui à qui il était vendu par la suite. Cependant, la marque de son statut servile résidait toujours dans le cognomen qui était son ancien nom d’esclave. La fidélité prouvée à Néron par l’acte commis ainsi que la titulature sur cette inscription rendent, par conséquent, cette explication plausible.

Un autre épisode du règne de l’empereur Néron fut illustré par la déloyauté d’un affranchi et se déroula lors de la conjuration de Pison, fomentée durant les fêtes dédiées à Cérès. L’un des conjurés, Scevinus, avait un affranchi nommé Milichus. Un soir, celui-ci reçut de son maître l’ordre d’aiguiser un poignard ; or, il s’agissait d’une arme que Scevinus portait sans cesse sur lui, comme un objet sacré[27]. De plus, il ordonna à Milichus de préparer tout un nécessaire de secours[28]. Deux orientations sont proposées par l’historien afin de comprendre le geste de Milichus, qui finira par mettre au grand jour les machinations de son maître. D’une part, inquiet et soupçonneux de la tournure que prenaient les événements, voyant notamment que Scevinus en était même arrivé – comme s’il préparait son testament – à offrir de l’argent et la liberté à ses esclaves favoris, l’affranchi l’aurait trahi en dernier recours, ce qui aurait pu être considéré comme un signal positif, destiné à sauver son patron d’un crime irréparable. Cependant, c’est la perfidie, version privilégiée par Tacite, mue par une âme servile, qui aurait conduit l’affranchi à révéler avec empressement le secret stratagème de Scevinus. Le vocabulaire typiquement tacitéen employé ici dépeint l’affranchi, dont la condition inférieure d’ancien esclave est rappelée[29] : seruilis animus, perfidia, immensa pecunia, potentia, tous termes opposés, dans la suite de la phrase, à ceux que le devoir demande d’un serviteur : fas, salus patroni, libertatis memoria. Milichus, agissant en « perfide », avait brisé la confiance due à son ancien maître, exprimée dans le mot fides, dont la racine est aussi celle de foedus : le pacte, l’alliance. Bien sûr, la motivation de l’affranchi était purement opportuniste et financière, et c’est effectivement ce qui arriva : Néron, une fois averti et le complot déjoué, donna lieu à de vastes représailles sanglantes dans la cité, tandis que l’affranchi était honoré et se confortait de ces largesses[30]. Toutes ces figures de liberti jalonnant le règne des Julio-Claudiens, en particulier celui de Néron, permettent finalement de mieux cerner les intentions politiques de l’empereur car les affranchis en étaient les instruments et la main armée, réalisant souvent dans l’ombre ce que l’empereur ne pouvait se permettre de faire ouvertement. Cependant, face à la condition sociale des affranchis impériaux répondaient le mépris et l’ironie des citoyens de haute naissance, relayés ici par les écrits de Tacite, qui ne gardait le plus souvent d’eux que l’image d’anciens esclaves, rappelant que « quels que soient leur puissance, leurs richesses, les honneurs qu’ils obtiennent, on les confond plus facilement avec les esclaves qu’avec les ingénus[31] ».

La période de troubles : de juin 68 à décembre 69 apr. J. –C. 

Galba et le zèle d’Icelus

À la mort de Néron, la situation politique de Rome apparaissait très chaotique et la présence influente des affranchis impériaux reflétait bien cette instabilité. En effet, dans les textes de Tacite, ces événements nous sont retracés en montrant l’urgence d’une décision à prendre ou l’annonce de nouvelles fausses ou trop vite dévoilées. Le style de l’écrivain est, par ailleurs, très clair lors de ces narrations au cours desquelles le lecteur semble assister à de véritables scènes théâtrales. Ronald Mellor, dans son ouvrage sur Tacite, explique aussi parfaitement le dessein de l’historien, soucieux de décrire une société où le pouvoir se mettait en scène. Les missions octroyées aux affranchis suivirent donc l’atmosphère de cette année durant laquelle trois empereurs se succédèrent au pouvoir.

La première période, durant laquelle Galba succéda à Néron, en juin 68, rapportée, cette fois, selon les propos du biographe Suétone, montre que le futur empereur fut très vite assisté de son affranchi, nommé Icelus[32] dont les partisans de Néron avaient néanmoins reçu l’assurance que le corps de l’empereur fût brûlé tout entier, selon sa volonté. Ayant été jeté en prison au début des émeutes[33] contre Néron, il venait d’être libéré, une fois son maître parvenu au pouvoir ; l’affranchi avait, par conséquent, toute latitude pour exercer sa propre influence. Il la mit d’ailleurs en œuvre dès sa libération puisque c’est lui qui, le premier, annonça à Galba la nouvelle de la mort de Néron, après avoir parcouru rapidement le voyage de Rome jusqu’en Espagne, en sept jours, alors qu’il est précisé que l’été était déjà chaud[34]. Jusqu’en janvier 69, période où des tensions naquirent en défaveur de l’empereur Galba, ce dernier, réalisant que son avenir était incertain, accorda de nombreuses faveurs à trois personnages qui l’avaient servi avec zèle. Parmi eux, Icelus, aux côtés du légat d’Espagne, Titus Vinius et du préfet du prétoire, Cornelius Laco, que Tacite qualifie avec force termes dévalorisants[35]. L’affranchi Icelus avait, de plus, reçu le droit de porter l’anneau d’or, symbole de l’entrée dans l’ordre des chevaliers et put dans le même temps porter le cognomen Marcianus, usité dans ce rang social[36], ce que sa nomenclature définitive nous permet de constater : Servius Sulpicius Icelus Marcianus[37]. Il chercha même à postuler pour le grade supérieur de l’ordre équestre, la préfecture du prétoire mais l’assassinat de Galba, quelques jours plus tard, le 15 janvier, stoppa ses velléités de pouvoir personnel et il fut exécuté en public.

Othon et la fidélité d’Onomastus

Préparant le changement, Othon, alors général de l’armée romaine, fomentait un complot destiné à se hisser à la tête de l’Empire. Là encore, Onomastus, l’un de ses affranchis les plus dévoués, était prêt à le servir aux moments les plus importants[38]. Cet affranchi devint donc le complice le plus proche d’Othon, puisqu’il initia un stratagème fameux qui se déroula le 15 janvier 69. Ayant recruté ses acolytes au sein de l’armée, parmi lesquels Barbius Proculus, un tesserarius, soldat chargé de faire circuler parmi la légion la tessera qui était le morceau de bois ou de métal sur lequel était inscrit l’ordre d’un commandant, ainsi que Veturius, un optio, soldat subalterne. Ce choix n’était pas étonnant puisqu’Othon comptait ses plus fidèles alliés dans l’armée et qu’il cherchait à s’attacher les soldats en leur versant des pots-de-vin ou en aidant en sous-main des soldats et des gardes impériaux[39]. Ce jour du 15 janvier marqua donc la réalisation du complot crucial contre Galba : dès le matin, Othon alla présenter ses respects à Galba, au palais impérial, puis attendit le signal convenu[40]. Ce moment, rapporté par Suétone, s’enrichit de détails comme le lieu fixé, qui était l’endroit du Forum situé près du temple de Saturne, autour du milliaire d’or ; nous apprenons ensuite qu’Othon s’était tout d’abord caché dans une litière de femme puis, en étant descendu, il s’était mis à courir mais qu’arrêté en chemin par une de ses chaussures qui s’était délacée, il fut soudain entouré par des soldats qui le portèrent jusqu’au Forum et le proclamèrent empereur, imperator consalutatus. Cependant, là où l’historien Suétone, dans son récit de cet épisode, ne fait mention que d’un anonyme liberto nuntiante, c’est dans les propos de Tacite qu’il faut lire l’identité de cet affranchi qui est bien celle d’Onomastus[41]. La présence de l’affranchi va, de plus, être précisée à un autre endroit, lorsque l’historien déclare qu’Othon « s’était appuyé sur son affranchi », innixus liberto, « en passant par la domus Tiberiana dans le quartier du Vélabre et que, de là, il devait parvenir sur le Forum,  à la borne du Milliarum aureum, près du temple de Saturne, où vingt-trois éclaireurs le saluèrent du titre d’empereur ». Le geste d’Onomastus, exprimé dans innixus liberto, fut sujet à diverses interprétations, comme celle de Paul Noyen et Gabriel Sanders, qui se sont interrogés sur la signification de cette remarque présente uniquement chez Tacite[42] et sur la cause d’une possible défaillance d’Othon. S’était-il vraiment senti mal, comme le propose Suétone, qui rapporte des rumeurs d’une possible fièvre, l’obligeant à quitter le palais de Galba, après l’annonce de son affranchi ? Cette hypothèse est peu plausible puisqu’Othon avait une excuse toute trouvée avec la venue des architectes qui l’attendaient chez lui et n’allait pas, par conséquent, en trouver une deuxième. De plus, le geste d’aide de l’affranchi intervient au moment de la fuite d’Othon, dont la chronologie est à suivre grâce aux détails fournis par Suétone, Tacite et Plutarque. En effet, selon Suétone, Othon s’enfuit du palais de Galba par une porte dérobée ; il monte dans une litière de femme ; ses porteurs, fatigués, vont abandonner en chemin ; Othon descend de la litière et se met à courir vers le Forum[43] ; une de ses chaussures se délace, il s’arrête ; les premiers soldats l’entourent pour le porter en triomphe. Seul Tacite mentionne qu’il s’était appuyé sur son affranchi  au cours de ce trajet, dans le Vélabre. Plutarque, de son côté, mentionne bien qu’il était à pied, en descendant du palais de Tibère vers le Forum, donc il n’avait plus ses porteurs[44]. On peut alors avancer l’idée que, si Othon avait descendu les pentes de la colline du Palatin en courant, il n’était pas illogique que sa chaussure se fût délacée et que, retardé, son affranchi lui ait apporté son soutien. C’est à partir de ce moment que ses partisans l’ont reconnu et l’ont entouré pour le porter sur le Forum.

Si Tacite a évoqué ce moment important pour la suite du récit, c’est que l’historien cherchait aussi à creuser la part psychologique de ceux qu’il mettait en avant. La signification du geste de l’affranchi, exprimé par le verbe innitor, est bien à comprendre comme une manifestation de pur soutien physique, illustrant de nouveau la proximité entre l’affranchi et son ancien maître. Plusieurs occurrences existent en effet avec ce sens propre[45], même si Othon, à cet instant, se reposait aussi entièrement sur Onomastus, au sens figuré, car c’est lui qui avait initié le complot, avait prévenu son ancien maître et l’avait suivi dans sa course effrénée jusqu’à sa reconnaissance comme empereur.

Vitellius et le sacrifice d’Asiaticus

Les liens entre l’affranchi et son patron étaient donc basés sur la confiance et la fidélité, qualités qui permettront souvent au patronus d’accéder au pouvoir suprême. Les affranchis impériaux pouvaient ainsi apparaître comme des « faiseurs » d’empereurs et tenaient vraiment des rôles clés dans ces parcours d’intrigues où chacun était prêt à tout pour parvenir à ses fins. A la lumière des écrits de Tacite, Ronald Mellor a parfaitement décrit ces affranchis impériaux quand il les compare à des « Raspoutine [46] ». L’empereur savait qu’il pouvait compter sur ses serviteurs qui lui devaient respect et fidélité en accomplissant leurs devoirs, matérialisés dans l’obsequium, les operae et les bona[47]. Certains de ces empereurs abusèrent, néanmoins, de cette dépendance en outrepassant leur pouvoir sur des individus qu’ils tenaient entre leurs mains. Ainsi Vitellius, prince avide de luxure, s’était entiché d’un jeune esclave d’origine orientale nommé Asiaticus. Ce dernier, considéré comme un objet de plaisirs s’était enfui devant cette situation répugnante. Pourtant, Vitellius le retrouva à Pouzzoles alors qu’il vendait du vin aigre : en tant qu’esclave en fuite, il encourait la mort de la main de son maître mais le futur empereur lui fit subir ses désirs d’autrefois, entraves aussi dégradantes. D’autant plus que Vitellius sut agir avec une cruauté machiavélique, que nous décrit là encore Tacite[48]. Ce passage nous démontre que, par trois fois, Vitellius fit souffler le chaud et le froid sur le sort d’Asiaticus : tout d’abord, après l’avoir jeté aux fers, il le délivra aussitôt ; ensuite, l’ayant vendu comme gladiateur à un laniste, il le lui enleva de façon soudaine, probablement de peur qu’il ne meure à la fin d’un combat ; enfin, ayant procédé à sa manumissio, il lui accorda le droit des anneaux d’or, c’est-à-dire l’accès au rang équestre, tout en l’ayant pourtant désigné auprès de son entourage comme une souillure pour l’ordre équestre. Cette attitude qui relèverait de la torture psychologique, Asiaticus l’endura au point de finir par ressembler à son ancien maître. Cet affranchi illustra la honte qui se déversait à cette époque sur Rome, à l’instar de ses prédécesseurs de l’époque néronienne[49]. Endurci par les épreuves qu’il avait endurées, il usa finalement de son influence auprès de l’empereur pour accéder au sommet du pouvoir. Ainsi, à l’issue de la campagne militaire menée contre les troupes d’Othon, et principalement la bataille de Bédriac, dans la plaine du Pô, en avril 69, les troupes de Vitellius manifestèrent leur loyauté envers le nouvel empereur en réclamant que son affranchi, Asiaticus, intégrât l’ordre des chevaliers. Comblé de richesses, ce dernier vécut jusqu’en décembre 69, à la mort de Vitellius, où il subit le supplicium seruile, c’est-à-dire la crucifixion, le châtiment réservé aux esclaves, sur ordre de Mucien, émissaire de Vespasien[50].

Ces trois affranchis, ayant accompli des parcours dignes de grands personnages romanesques, révèlent finalement bien les excès qu’ils pouvaient aussi afficher dans leur comportement ou leurs élans dus à la volonté d’être utiles au pouvoir et à l’empereur qu’ils servaient. Cependant, une fois ce pouvoir déchu, comme ce fut le cas pendant cette « année des trois empereurs », leur propre existence se révélait aussi ténue et aussi fragile que lui, si bien que leur condition originelle d’esclave ressortait, ce qui s’était traduit effectivement pour deux d’entre eux par le châtiment public qui leur était réservé.

Conclusion

Ainsi, c’est grâce à ces différentes figures d’affranchis impériaux que nous venons d’étudier et qui exercèrent leurs fonctions de serviteurs auprès des premiers personnages de Rome, qu’on réalise combien leur place fut parfois ambigüe. En effet, ce lien de confiance, de con-fid-ence qui devait exister entre l’empereur et son ancien esclave devenu libre, mais qui était aussi la trace de cette ancienne servilité, entravait ces affranchis dans leur propre parcours personnel. Dépendants du pouvoir, c’est en agissant de façon transgressive que les plus ambitieux devinrent aussi les plus influents, éclipsant les propres décisions de l’empereur, notamment durant le règne de Claude, avec les célèbres Narcisse et Pallas. L’interaction entre l’empereur et ses affranchis était présente à chaque moment, public ou privé, créant souvent une porosité entre ces deux sphères. Nous pouvons néanmoins constater que ces épisodes de l’histoire romaine donnèrent lieu à de formidables récits d’historiens, ceux de Tacite ou Suétone mais aussi de Plutarque ou de Dion Cassius, où le drame se mêle à l’anecdote, ménageant l’attente du lecteur ou le précipitant dans l’urgence d’un événement, le tout orchestré par les manœuvres de ces affranchis impériaux, tiraillés entre la macula de leur naissance servile et leur position influente au sein de l’aula impériale. Cette situation sociopolitique ne fut pourtant pas inhérente à celle de l’époque romaine du Haut-Empire car il pourrait être intéressant de l’étudier de manière comparée entre l’attitude zélée ou intéressée de certains affranchis et l’obséquiosité des courtisans auprès d’un roi. Les réflexions menées dans cette étude permettent, en outre, de s’interroger sur la force du lien existant entre le maître et son esclave, puis de la relation entre le patron et son affranchi, en particulier quand ce maître est l’incarnation du pouvoir, ainsi que sur les limites ou les faiblesses que cet état de fait pouvait engendrer dans une société fondée sur de telles bases.


[1] Le thème des affranchis à Rome, qui fut le sujet de ma thèse, Gurvane Wellebrouck, Présence et ambitions des affranchis dans l’Empire romain, sous la direction de Gérard Capdeville, Université Paris-IV Sorbonne, 2016 (thèse non publiée), fut l’objet de travaux d’envergure tels ceux de Gérard Boulvert, Les esclaves et les affranchis impériaux sous le Haut-Empire romain, rôle politique et administratif,  Naples, Jovene, 1970 ou de Henrik Mouritsen, The Freedmen in the Roman World, Cambridge, 2011. Au-delà de l’étude du statut ambigu de ces anciens esclaves, que Rome continue à voir porteurs de la macula servile mais auxquels elle accorde certains droits échus aux citoyens, il faut aussi considérer la place souvent influente qu’ils prirent au sein de la société romaine, face aux citoyens de naissance libre, et, pour les affranchis impériaux, leur poids dans l’évolution du cadre politique et administratif au Ier siècle de l’Empire. C’est la démarche engagée dans cette étude, où est exposée la présence des affranchis impériaux, et comment ces derniers, serviteurs et instruments du Prince pouvaient refléter les velléités des aspirants au pouvoir comme celles de la familia des Césars.

[2] Cette période dite des « quatre empereurs », de mars 68 à décembre 69 apr. J.-C., voit la fin du règne de Néron et l’irruption des légions provinciales dans l’appareil politique romain. En effet, après le suicide de Néron, il n’y a pas d’héritier direct désigné, ce que les armées situées dans les provinces comprirent en portant au pouvoir successivement Galba, alors en Hispanie, Othon, ancien gouverneur de la Lusitanie et Vitellius, chef des légions de Germanie. Sur ce rôle des légions dans les provinces sous l’empire, Patrick Le Roux, le Haut-Empire romain en Occident, d’Auguste aux Sévères, Seuil, 1998. Au début des Histoires, Tacite clame, en effet, qu’à la mort de Néron, « le secret de l’Etat venait d’être révélé : un empereur pouvait se faire autrement que dans Rome », Histoires, I, 4.

[3] Dans son ouvrage, Jean Louis Augier est d’avis que les Annales, œuvre ultime de l’historien, « quoique inachevées n’en sont pas moins le sommet de Tacite. Elles nous livrent sa pensée suprême sur l’Empire et sa dernière conception de l’art d’un écrivain. Le sujet est celui de la déchéance totale de Rome dans l’esclavage d’empereurs indignes de leur haute mission. La Cour –favoris, femmes et affranchis- déchaîne les intrigues. », Tacite, Paris, Seuil, 1969.

[4] Tacite, Histoires, I, 1. (les sources antiques de cette étude ont été consultées dans la collection Budé, Les Belles-Lettres, Paris).

[5] À la lecture des écrits du biographe Suétone, les affranchis de Claude, à qui il consacre de nombreux passages, furent parmi les plus célèbres à recevoir les largesses impériales, parmi lesquels les anciens esclaves d’origine grecque Narcisse, Pallas et son frère Félix, ou encore Polybe : Claude, V, 28 ; V, 37.

[6] Tacite, Annales, XIV, 3, 3 : Obtulit ingenium Anicetus libertus, classi apud Misenum praefectus et pueritiae Neronis educator : « L’affranchi Anicetus offrit ses talents, en tant que préfet de la flotte de Misène et comme celui qui avait pris soin de l’enfance de Néron. »

[7] Tacite, Annales, XIV, 3, 3 : ac mutuis odiis Agripinnae inuisus : « il haïssait Agrippine autant qu’il en était haï. »

[8] Suétone, Néron, VI, 4-5 : trimulus patrem amisit (…) nutritus est sub duobus paedagogis saltatore atque tonsore : « il perdit son père à l’âge de trois ans et son éducation fut confiée aux soins de deux pédagogues, l’un danseur, l’autre barbier. »

[9] Tacite, Annales, XIV, 3 : imprudentia dum se Agrippinam esse utque subueniretur matri principis clamitat, contis et remis et quae fors obtulerat naualibus telis conficitur : « elle eut l’imprudence de s’écrier qu’elle était Agrippine, qu’on sauvât la mère du prince et elle fut tuée à coups de crocs, de rames et d’autres instruments qui tombaient sous la main. »

[10] Ibidem, XIV, 8, 4-5 : respicit Anicetum, trierarcho Herculeio et Obarito centurione classiario comitatum : ac si ad uisendum uenisset, refotam nuntiaret, sin facinus patraturus, nihil se de filio credere ; non imperatum parricidium. Circumsistunt lectum percussores et prior trierarchus fusti caput eius adflixit. Iam in mortem centurioni ferrum destringenti protendens uterum « uentrem feri » exclamauit multisque uulneribus confecta est : « elle aperçoit Anicetus, accompagné du triérarque Herculeus et d’Oloarite, centurion de la flotte : s’il était venu pour la voir, qu’il annonce qu’elle était remise mais si c’était pour commettre un meurtre, elle en croyait son fils innocent ; qu’il n’avait pas ordonné un parricide. Les assassins se tiennent autour de son lit et le triérarque le premier lui asséna un coup de bâton sur la tête. Au centurion qui tirait alors son glaive pour lui donner la mort, elle lui cria de la frapper au ventre et elle expira sous de nombreux coups. »

[11] Ibidem, XIV, 7, 5 : ad eam uocem Nero illo sibi die dari imperium auctoremque tanti muneris libertum profitetur : « à l’instant Néron s’écrie que c’est en ce jour qu’il reçoit l’empire et qu’il tient de son affranchi ce magnifique présent. »

[12] Ibidem, XIV, 62, 3 : igitur accitum eum Caesar operae prioris admonet (…) locum haud minoris gratiae instare, si coniugem infensam depelleret. Nec manu aut telo opus : fateretur Octauiae adulterium. Occulta quidem ad praesens,  sed magna ei praemia et secessus amoenos promittit, uel, si negauisset, necem intentat : « César, l’ayant fait mandé, lui rappelle son précédent service (…) le moment de recueillir une non moins grande reconnaissance arrivait, à condition qu’il écarte Octavie, son ennemie. Point n’était besoin de sa main ni d’une arme : il aurait juste à avouer son adultère avec Octavie. Secrètes pour l’instant, il lui promet néanmoins d’importantes récompenses et des retraites agréables, mais, s’il refusait, c’est la mort qui l’attendait. »

[13] Ibidem, XIV, 62, 4 : ille, insita uaecordia et facilitate priorum flagitiorum, plura etiam quam iussum erat fingit  plura etiam quam iussum erat fingit fateturque apud amicos, quos uelut consilio adhibuerat princeps : « celui-là, comme la démence s’était introduit en lui ainsi que la facilité née de ses premiers crimes, invente plus de mensonges que ce qu’on lui avait ordonné et passe aux aveux, devant des proches que le prince avait réunis en guise de conseil. »

[14] Tacite, Annales, XV, 45, 2 : « Cet affranchi-là était prêt à toutes sortes d’infamies. » Le terme flagitium est encore employé par l’historien pour parler des exactions commises par Claudius Demianus en Asie (Annales, XVI, 10).

[15] Ibidem, XIV, 62, 4 : tum in Sardiniam pellitur, ubi non inops exilium tolerauit et fato obiit : « il est alors relégué en Sardaigne, il supporta un exil non dénué de richesses et y finit sa destinée. »

[16] CIL, VI, 8758 : dis manibvs / Ti(berii) Clavdi Aniceti / Neronis Avgvsti  lib(erti) / ….cvbicvlo / (…)s fecit : « Aux dieux Mânes de Tiberius Claudius Anicetus, affranchi de l’empereur Néron. (…)s, préposé à la chambre, a réalisé ceci. »

[17] Ronald Mellor, Tacitus, 1993, p.52 : Tacitus not only judge politics in moral terms but he saw political change, especially  the loss of senatorial liberty, as deeply affecting moral values : « Tacite ne juge pas seulement les politiques en des termes moralisateurs mais il a réalisé aussi le changement en politique, spécialement la perte de la liberté chez les sénateurs, comme une profonde affection des valeurs morales. »

[18] Dion Cassius, LX, 31 : τέως μὲν γὰρ οἱ Καισάρειοι πάντες ὡμολόγουν αὐτῇ, καὶ οὐδὲν τι οὐκ ἀπὸ κοινῆς γνώμης ἐποίουν· ἐπεὶ δὲ τὸν Πολύβιον, καίτοι καὶ ἐκείνῳ πλησιάζουσα, καὶ διέβαλε καὶ ἀπέκτεινεν, οὐκέτι αὐτῇ ἐπίστευον : « tous les Césariens, en effet, jusque-là parlaient comme elle, et rien ne se faisait que d’un commun accord ; mais quand elle eut, malgré ses accointances avec lui, accusé et fait périr Polybe, ils n’eurent plus confiance en elle. »

[19] Tacite, Annales, XI, 37, 2-4 : prorumpit Narcissus denuntiatque centurionibus et tribuno, qui aderat, exequi caedem : ita imperatorem iubere. Custos et exactor e libertis Euodus datur ; isque raptim in hortos praegressus repperit fusam humi. (…) Adstitit tribunus per silentium, at libertus increpans multis et seruilibus probris : « Narcisse sort avec violence et déclare aux centurions et au tribun qui était là, de constater que le meurtre allait à son terme : que c’était ce que l’empereur ordonnait. Parmi les affranchis, Evodus est nommé pour surveiller et vérifier ; celui-ci, les ayant aussitôt précédés dans les jardins, la trouve étendue par terre. (…) Le tribun se tient debout, en silence, mais l’affranchi se répand en injures nombreuses et dignes d’un esclave. »

[20] Ibidem, XI, 38, 2.

[21] Georges Fabre, Libertus. Recherches sur les relations patron-affranchi à la fin de la République, 1981, déclare que l’affranchi, selon la lex Pompeia des parricidiis, de 54 av. J.-C., du fait du lien avec son ancien maître, est considéré comme proche parent et de ce fait, s’il est meurtrier de son patron, il encourt la peine de parricide, le condamnant à « être enfermé dans un sac de cuir et précipité dans le fleuve le plus proche ou dans la mer », Institutes, IV, 18, 6.

[22] Tacite, Annales, XV, 45, 3 : tradidere quidam uenenum ei per libertum ipsius, cui nomen Cleonicus, paratum iussu Neronis uitatumque a Seneca proditione liberti seu propria formidine, dum per simplicem uictum et agrestibus pomis, ac si sitis admoneret, profluente aqua uitam tolerat : « on raconte même que du poison fut préparé pour lui, par son propre affranchi, nommé Cleonicus, sur ordre de Néron mais qu’il fut évité par Sénèque, soit par l’aveu de l’affranchi, soit par sa propre crainte, en raison de sa nourriture simple, faite de fruits des champs, et si la soif se faisait sentir, il se maintenait en bonne santé avec de l’eau courante. »

[23] Ibidem, XIII, 1, 2 : quippe et Silanus diui Augusti abnepos erat : haec causa necis. Ministri fuere P. Celer eques Romanus et Helius libertus, rei familiari principis in Asia impositi. Ab his proconsuli uenenum inter epulas datum est, apertius quam ut fallerent. : « en effet, Silanus était l’arrière-petit-fils d’Auguste : ce fut la cause de sa mort. Le chevalier romain Publius Celer et l’affranchi Helius en furent les instruments, alors qu’ ils avaient été assignés en Asie pour se charger des biens domestiques du prince. C’est par eux que le poison fut donné au proconsul, lors d’un banquet, tellement ouvertement que personne ne s’y trompât. »

[24] Tacite, Annales, XVI, 10, 2 : sed initium detegendae saeuitiae praebuit interuersis patroni rebus ad accusandum transgrediens Fortunatus libertus. : « mais cette haine attendait, pour éclater, une occasion : l’affranchi Fortunatus la fournit, en accusant son maître, après l’avoir ruiné. »

[25] Ibidem, XVI, 10 : adscito Claudio Demiano, quem ob flagitia uinctum a Vetere Asiae proconsule exoluit Nero in praemium accusationis : « il se fit appuyer de Claudius Demianus, que Vetus, proconsul d’Asie, avait emprisonné pour ses infamies et que Néron mit en liberté en récompense de sa délation. »

[26] CIL, VI, 630 : Silvano sacrvm sodal(icio) / eivs et Larvm donvm / posvit Ti(berius) Clavdivs Avg(usti) / lib(ertus) Fortvnatvs  a / cvra amicorvm / idemqve dedicavit / et epvlvm dedit / decvris n(umero) IIII / k(alendis) Avgvstis C(aio) Min / cio Fvndano et / C(aio) Vettennio se / vero co(n)s(ulibus) : «  Tiberius Claudius Fortunatus, affranchi impérial a consacré ceci à Silvain comme cadeau pour sa confrérie et aux Lares grâce au soin de ses amis ; lui-même l’a dédicacé et a donné un repas aux décuries, au nombre de quatre. Le jour des Calendes d’Août, sous le consulat de Caius Minicius Fundanus et de Caius Vettenius Severus. »

[27] Tacite, Annales, XV, 53, 2 : primas sibi partes expostulante Scaeuino, qui pugionem templo Salutis in Etruria siue, ut alii tradidere, Fortunae Ferentino in oppido detraxerat gestabatque uelut magno operi sacrum : « réclamant le premier rôle, Scevinus, qui avait enlevé un poignard dans le temple du Salut, en Etrurie, ou, comme certains le rapportent, dans celui de la Fortune, dans la ville de Ferentinum, et la portait toujours comme s’il était destiné à un grand événement. »

[28] Tacite, Annales, XV, 54, 2-4 : Eamque curam liberto Milicho mandauit. (…) Postremo uulneribus ligamenta quibusque sistitur sanguis parari iubet idque eundem Milichum monet, siue gnarum coniurationis et illuc usque fidum, seu nescium et tunc primum arreptis suspicionibus, ut plerique tradidere. De consequentibus consentitur. Nam cum secum seruilis animus praemia perfidiae reptauit simulque immensa pecunia et potentia obuersabantur, cessit fas et salus patroni et acceptae libertatis memoria : « Il confia ce soin à l’affranchi Milichus (…) enfin, il charge ce même Milichus d’apprêter ce qu’il faut pour bander des plaies et arrêter le sang ; soit que cet affranchi connût la conjuration et eût été fidèle jusqu’alors, soit qu’il ignorât un secret dont le premier soupçon lui serait venu à cet instant même, comme la suite l’a fait dire à plusieurs. Quand cette âme servile eut calculé le prix de la perfidie, ne rêvant plus que trésors et puissance, elle oublia le devoir, la vie d’un patron, la liberté reçue. »

[29] Ces termes sont également employés quand l’historien veut décrire l’attitude ou le caractère de ceux qui, par exemple, agissent tels des esclaves, malgré leur haute naissance ; ainsi, Tigrane, choisi comme souverain de l’Arménie par Néron est-il présenté comme Cappadocum e nobilitate, regis Archelai nepos : « né d’un sang illustre en Cappadoce », sed quod diu obses apud urbem fuerat, usque ad seruilem patientiam demissus, « mais retenu longtemps comme otage à Rome, il en avait rapporté l’esprit lâche et rampant d’un esclave. », Annales, XIV, 26 ; de plus, les termes fides/perfidia sont souvent utilisés de pair pour illustrer le comportement dégradant ou versatile d’un homme politique, tel Fabius Valens qu’il présente comme Galbae proditor, Vitellio fidus et aliorum perfidia inlustratus : « traître à Galba, fidèle à Vitellius, il reçut quelque éclat de la perfidie des autres. », Histoires, III, 62 ou encore lors d’une décision de Vitellius après la débâcle des Othoniens : Vitellius credidit de perfidia et fidem absoluit : « Vitellius crut récompenser la perfidie mais ne fit qu’absoudre la fidélité », Histoires, II, 60. On peut citer encore Histoires, III, 61 ; Annales, I, 55.

[30] Ibidem, XV, 71, 2 : Milichus praemiis ditatus conseruatoris sibi nomen Graeco eius rei uocabulo adsumpsit : « Milichus, comblé de richesses, se donna pour nom un mot grec qui signifiait sauveur ».

[31] Gérard Boulvert, Domestique et fonctionnaire sous le Haut-Empire romain : la condition de l’affranchi et de l’esclave du prince, Les Belles-Lettres, Paris, 1974, p.256.

[32] Suétone, Néron, XLIX : nihil prius aut magis a comitibus exegerat quam ne potestas cuiquam capitis sui fieret, sed ut quoquo modo totus cremaretur. Permisit hoc Icelus, Galbae libertus : « la première et principale promesse qu’il avait exigée de ses compagnons était qu’on n’abandonnât sa tête à personne, mais qu’on le brûlât tout entier, de quelque manière que ce fût. Icelus, affranchi de Galba, permit ceci. »

[33] Ibidem, XLIX : non multo ante uinculis exsolutus, in quae primo tumultu coniectus fuerat : « (Icelus) qui venait d’être délivré de la prison où on l’avait jeté au commencement de l’insurrection. »

[34] Plutarque, Vie de Galba, VIII : ῏Ην δὲ θέρος ἤδη, καὶ βραχὺ πρὸ δείλης ἧκεν ἀπὸ ῾Ρώμης ῎Ικελος ἀνὴρ ἀπελεύθερος ἑβδομαῖος. Πυθόμενος δὲ τὸν Γάλβαν ἀναπαύεσθαι καθ’ ἑαυτὸν ἐβάδιζε συντόνως ἐπὶ τὸ δωμάτιον αὐτοῦ, καὶ βίᾳ τῶν θαλαμηπόλων ἀνοίξας καὶ παρελθὼν ἀπήγγειλεν ὅτι καὶ ζῶντος ἔτι τοῦ Νέρωνος, οὐκ ὄντος δὲ φανεροῦ, τὸ στράτευμα πρῶτον, εἶτα ὁ δῆμος καὶ ἡ σύγκλητος αὐτοκράτορα τὸν Γάλβαν ἀναγορεύσειεν, ὀλίγον δὲ ὕστερον ἀπαγγελθείη τεθνηκὼς ἐκεῖνος : « on était au commencement de l’été : un soir, vers la fin du jour, un de ses affranchis, nommé Icelus, arriva de Rome au camp en sept jours. Ayant appris que Galba s’était déjà retiré dans sa tente, il y courut, entra malgré ses domestiques, et lui annonça que l’armée d’abord et le sénat ensuite, ne voyant pas paraître Néron, quoiqu’il fût encore en vie, l’avaient proclamé empereur, et que quelques instants après on avait appris sa mort. »

[35] Suétone, Galba, XIV : regebatur trium arbitrio, quos una et intra palatium habitantis nec umquam non adhaerentis paedagogos uulgo uocabant. Hi erant T. Vinius legatus eius in Hispania, cupiditatis immensae ; Cornelius Laco ex assessore praefectus praetorii, arrogantia socordiaque intolerabilis ; libertus Icelus, paulo ante anulis aureis et Marciani cognomine ornatus ac iam summae equestris gradus candidatus. His diuerso uitiorum genere grassantibus adeo se abutendum permisit et tradidit, ut uix sibi ipse constaret, modo acerbior parciorque, modo remissior ac neglegentior quam conueniret principi electo atque illud aetatis. : « il était gouverné par trois hommes qui logeaient dans l’intérieur de son palais et ne le quittaient point. On les appelait ses pédagogues. C’étaient T. Vinius, son légat en Espagne, homme d’une cupidité effrénée ; Cornelius Laco, qui de simple assesseur était devenu préfet du prétoire, et dont l’arrogance et la sottise étaient insupportables ; enfin l’affranchi Icelus, déjà décoré de l’anneau d’or et du surnom de Marcianus, et qui prétendait au suprême degré de l’ordre des chevaliers. Ces trois hommes, dominés par des vices différents, gouvernaient si despotiquement le vieil empereur, qu’il ne s’appartenait plus, tantôt trop dur et trop avare pour un souverain élu, tantôt trop faible et trop insouciant pour un souverain de son âge. » ; on retrouve la narration de cet épisode chez Plutarque, Galba, VII et Tacite, Histoires, I, 13.

[36] Paul Richard Carey Weaver, Familia Caesaris. A social study of the emperor’s freedmen and slaves, Cambridge, University Press, 1972, p. 87. L’auteur y livre une étude sur la nomenclature des affranchis et le port de leurs cognomina.

[37] Ségolène Demougin, Prosopographie des chevaliers romains Julio-claudiens (43 av. J. –C., 70 apr. J. –C.), Rome,  Publications de l’Ecole Française de Rome, 1992, 153, p. 546-547.

[38] Tacite, Histoires, I, 25, 1 : sed tum e libertis Onomastum futuro sceleri praefecit, a quo Barbium Proculum tesserarium speculatorum et Veturium optionem eorundem perductos : « mais alors, il donna l’initiative de ce futur crime à l’un de ses affranchis, Onomastus, qui s’adjoignit Barbius Proculus, un tesséraire des corps de garde et Veturius, sous-officier du même corps. ». Dans Galba, XXIV, Plutarque cite également ces deux personnages, accompagnant l’affranchi.

[39] Suétone, Othon, IV : nullo igitur officia ut ambitionis in quemquam genere omisso, quotiens cena principem acciperet, aureos excubanti cohorti uiritim diuidebat, nec minus alium alia uia militum demerebatur : « aussi n’omettant rien qui pût lui permettre de solliciter quiconque, à chaque fois qu’il recevait le Prince à sa table, il distribuait des pièces d’or par tête à la cohorte chargée de monter la garde et ce n’est pas autrement qu’il cherchait à s’attirer les bonnes grâces des soldats. »

[40] Ibidem, VI : deinde liberto adesse architectos nuntiante, quod signum conuenerat, quasi uenalem domum inspecturus abscessit, proripuitque se postica parte Paltii ad constitutum : « ensuite, un affranchi vint lui annoncer que les architectes étaient là, ce qui avait été convenu comme signal. Il quitta les lieux, prétextant qu’il allait visiter une maison à vendre et se précipita vers une sortie dérobée du Palais pour aller au rendez-vous. »

[41] Tacite, Histoires, I, 27, 1 : nec multo post libertus Onomastus nuntiat expectari eum ab architecto et redemptoribus, quae significatio coeuntium iam militum et paratae coniurationis conuenera:  « et peu de temps après, son affranchi Onomastus lui annonce qu’il est attendu par l’architecte et par les entrepreneurs, ce qui était le signal du rassemblement des soldats et de la préparation de la conjuration. »

[42] Paul Noyen, Gabriel Sanders, « Innixus liberto (Tacite, Histoires, I, 27) », L’Antiquité classique, tome 28, fasc.1, 1959, p.223-231.

[43] Suétone, Othon, VI : ac deficientibus lecticariis cum descendisset cursumque cepisset. De même, chez Dion Cassius, LXIV, 5.

[44] Plutarque, Vie de Galba, XXIV : καὶ διὰ τῆς Τιβερίου καλουμένης οἰκίας καταβὰς ἐβάδιζεν εἰς ἀγοράν, οὗ χρυσοῦς εἱστήκει κίων, εἰς ὃν αἱ τετμημέναι τῆς ᾿Ιταλίας ὁδοὶ πᾶσαι τελευτῶσιν : « il descendit le long du palais de Tibère et se rendit vers la place publique, là où se trouve le milliaire d’or, auquel aboutissent tous les chemins d’Italie. »

[45] Pline le Jeune, Lettres, VI, 16, 19 : Innitens seruolis duobus, assurexit et statim concidit : « S’appuyant sur deux jeunes esclaves, il se leva mais retomba aussitôt » ; Suétone, César, 57 : si flumina morarentur, nando traiciens uel innixus inflatis utribus : « si des fleuves lui faisaient obstacle, il les traversait à la nage ou appuyé sur des outres gonflées » ; ibidem, Néron, 43 : innixus umeris familiarum : « appuyé sur les épaules de ses proches. »

[46] Ronald Mellor, Tacitus, p.195 : « He provides the first, and perhaps the deepest, analysis of paranoid government, in which freedmen play upon the fears of the emperor to gain temporary bureaucratic victories. (…) There have always been Rasputins, eager and ready to lead their insecure master to disaster. » : « Il fournit le premier, et peut-être le plus précisément, l’analyse d’un gouvernement paranoïaque, dans lequel les affranchis jouent sur les peurs de l’empereur pour gagner provisoirement des victoires bureaucratiques. »

[47] Ces trois notions juridiques en vigueur au début du Principat sont à la base d’un chapitre développé par Gérard Boulvert dans lequel il déclare que « l’affranchi est toujours tenu d’obéir en toutes circonstances à son ancien maître et spécialement de remplir tous les services qu’il lui demandera » à tel point que les décisions d’exil ou de mort sont même l’expression de ce lien de dépendance et d’autorité entre le patronus et son affranchi. Gérard Boulvert, Domestique et fonctionnaire sous le Haut-Empire romain : la condition de l’affranchi et de l’esclave du Prince, Annales littéraires de l’Université de Besançon, (CRHA, 9), Les Belles-Lettres, Paris, 1974, p.101-107.

[48] Suétone, Vitellius, XII : Hunc adulescentulum mutua libidinem constupratum, mox taedio profugum cum Puteolis poscam uendentem reprehendisset, coiecit in compedes statimque soluit et rursus in deliciis habuit ; iterum deinde ob nimiam contumaciam et furacitatem grauatus circumforano lanistae uendidit dilatumque ad finem numeris repente subripuit, et prouincia demum accepta manumisit, ac primo imperii die aureis donauit anulis super cenam, cum mane, rogantibus pro eo cunctis, detestatus esset seuerissime talem equestris ordinis maculam : « Ce dernier, par un commerce de prostitution mutuelle, alors qu’il était tout jeune homme, s’était enfui de dégoût. Alors que Vitellius l’avait repéré à Pouzzoles en train de vendre de l’eau vinaigrée, il lui fit mettre les entraves mais aussitôt le délivra et le tint de nouveau sous ses caprices ;  cependant, peiné à la longue de son esprit trop rebelle et de son penchant pour le vol, il le vendit à un laniste ambulant ; puis, voyant qu’il était réservé pour la fin du spectacle, il l’enleva soudain et l’affranchit seulement une fois qu’il eut reçu la charge d’une province ; au premier jour de son règne d’empereur, il lui accorda le droit à l’anneau d’or après un dîner, alors que le matin-même, il avait répondu à ceux qui demandaient cette faveur pour Asiaticus, qu’il repoussait très sévèrement une telle tache de l’ordre équestre. »

[49] Tacite, Histoires, II, 95, 2 : uetera odiorum nomina aequebat : « il égalait les anciens noms devenus odieux. » ; II, 57, 2 : foedum mancipium et malis artibus ambitiosum : « un esclave indigne et avide d’honneurs, au prix de funestes procédés. »

[50] Ibidem, IV, 11, 3 : Asiaticus (is enim libertus) malam potentiam seruili supplicio expiauit : « Asiaticus, qui était un affranchi, expia sa misérable puissance dans un supplice digne d’un esclave. »


Bibliographie complémentaire

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Domestique et fonctionnaire sous le Haut-Empire romain : la condition de l’affranchi et de l’esclave du Prince, Annales littéraires de l’Université de Besançon, (CRHA, 9), Paris, Les Belles-Lettres, 1974.

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