Chypre sous la domination des Ptolémées : l’apport des inscriptions hellénistiques de Chypre

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Anaïs Michel

 


Résumé : L’entrée dans le monde hellénistique coïncide du point de vue de l’île de Chypre avec la disparition des cités-royaumes autonomes et le début de la domination des Ptolémées, appelée à perdurer jusqu’à l’extrême fin de la période hellénistique. Cette chronologie particulière, ainsi que la position spécifique de Chypre dans le contexte diplomatique, économique et militaire de l’époque hellénistique confèrent à l’intégration de l’île dans le royaume lagide une dimension remarquable. Le corpus des inscriptions grecques de Chypre apporte un témoignage essentiel sur le statut de l’île vis-à-vis d’Alexandrie, et permet de conduire une étude approfondie des rapports entre les Ptolémées et la société locale. L’objet de notre contribution consiste en la présentation de cet ensemble documentaire méconnu, qui permet de nuancer certains jugements antérieurs sur la nature de la domination lagide et les modalités de la relation entre les Ptolémées et les cités chypriotes.


Anaïs Michel est membre scientifique de l’École française d’Athènes depuis septembre 2017. Docteur en archéologie, elle mène actuellement une étude épigraphique des décrets de la cité de Délos et participe à divers projets archéologiques en Grèce. Sa thèse, intitulée «Chypre à l’épreuve de la domination lagide. Recherches épigraphiques sur la société et les institutions chypriotes à l’époque hellénistique», porte sur l’histoire de l’île de Chypre à l’époque hellénistique et sur les rapports entre les cités chypriotes et les rois lagides.

anais.michel@efa.gr


Introduction

L’entrée dans le monde hellénistique coïncide du point de vue de l’île de Chypre avec la disparition des cités-royaumes autonomes et le début de la domination des Ptolémées, appelée à perdurer jusqu’à l’extrême fin de la période hellénistique[1].

Les inscriptions forment un ensemble méconnu qui met en lumière de nombreux aspects de la société chypriote hellénistique. Analysées en combinaison avec d’autres sources historiques (archéologiques, littéraires, papyrologiques et numismatiques), elles constituent une documentation importante et apportent des éclaircissements sur la nature et les modalités de la relation entre Chypre et les Ptolémées, l’organisation de l’armée et de la cour lagides, ainsi que sur les stratégies adoptées par les Lagides pour administrer leurs possessions en dehors de l’Égypte. Le corpus des inscriptions chypriotes de la période hellénistique se compose en majeure partie d’inscriptions votives[2], de bases de statues inscrites, trouvées en très grand nombre, notamment autour des sanctuaires d’Aphrodite à Palaepaphos, de Zeus à Salamine, et, dans une moindre mesure, d’Apollon Hylatès à Kourion. Un très grand nombre d’inscriptions funéraires ont également été découvertes, principalement à Kition et à Amathonte. Le corpus comporte en revanche un nombre très limité d’inscriptions publiques à caractère institutionnel : une petite dizaine de décrets, provenant pour la plupart de la cité de Kourion, un fragment de règlement écomonique provenant de Salamine, un règlement religieux découvert à Amathonte. Le profil singulier du corpus, fortement marqué par la présence de l’administration et des armées lagides, a contribué par le passé à isoler l’histoire hellénistique de Chypre des études épigraphiques.

Nous proposons d’explorer quelques pistes en vue de l’exploitation de cette documentation importante, qui échappe encore largement à l’attention des historiens du monde hellénistique.

Chypre et les inscriptions chypriotes à l’époque hellénistique

Contexte historique et réévaluation de la place de Chypre dans l’histoire hellénistique

Chypre connaît au IVe siècle[3] une série d’événements militaires et politiques majeurs qui conduisent, au tout début du IIIe siècle, à l’installation pérenne des agents de l’armée et de l’administration lagides sur l’île. L’ancienne organisation politique locale[4], qui reposait sur la division en cités-royaumes autonomes, et dont M. Iacovou identifie les prémices dans le courant du IIe millénaire[5], disparaît définitivement dans le dernier quart du IVe siècle, du fait des luttes auxquelles se livrent les Diadoques au lendemain de la mort d’Alexandre en 323.

Ce changement de système politique, première conséquence de l’entrée en scène des Ptolémées à Chypre, a déterminé rétrospectivement une grande partie des études consacrées à l’histoire hellénistique de l’île.

Le nombre et les frontières des cités-royaumes chypriotes ont fluctué avec le temps[6]. La nature et l’organisation interne de ces entités politiques originales demeurent controversées[7]. Bien que placées au cours de leur histoire sous l’autorité des rois d’Assyrie[8] puis d’Egypte[9], puis soumises aux rois de Perse[10], les cités-royaumes chypriotes conservèrent leur autonomie en matière de gestion interne et pratiquèrent des politiques diverses, notamment dans les domaines économique[11] et militaire[12]. Les conquêtes d’Alexandre[13], puis l’éclosion des royaumes hellénistiques, bouleversèrent les conditions d’existence des cités-royaumes. Si les premières n’entraînèrent pas la chute des dynasties locales, la mort du Macédonien eut pour conséquence directe de jeter les cités-royaumes chypriotes dans les guerres diadochiques, dont l’île fut l’un des principaux théâtres, avec la Grèce continentale et une grande partie de l’Orient méditerranéen.

La position géographique de l’île de Chypre en Méditerranée orientale et ses ressources (cuivre, bois, ateliers monétaires, chantiers navals) en firent un terrain d’affrontement majeur dans les conflits entre les Diadoques[14]. Du point de vue d’Alexandrie, l’île présente en effet des intérêts vitaux, permettant de garantir la sécurité du delta et de la vallée du Nil. Sa situation face à la Syrie[15] lui confère en outre un statut de première importance dans le dispositif géostratégique de Ptolémée fils de Lagos.

L’enjeu attaché à la possession de l’île de Chypre a, d’une certaine façon, participé à la constitution de deux grandes dynasties de l’époque hellénistique : la dynastie lagide et la dynastie antigonide. Réciproquement, le conflit qui mit aux prises au tournant des IVe et IIIe siècles Antigone, associé à son fils Démétrios, et Ptolémée, pour le contrôle des circuits égéens, précipita Chypre dans la nouvelle donne de l’époque hellénistique.

Dès l’année 321, Ptolémée manifesta ses premières velléités de rapprochement avec les rois chypriotes, pressé par l’agression de Perdiccas en Égypte. Il conclut ainsi une alliance avec les rois de Salamine, Soloi, Amathonte et Paphos.

Dans les années 316/315, les rois alliés à Ptolémée repoussèrent une première tentative de conquête de la part d’Antigone. En 313/312, Ptolémée exerça des représailles à l’encontre des rois chypriotes dont la fidélité ne lui semblait pas assurée, tout en confortant la position du roi Nicocréon de Salamine, institué garant des intérêts du Lagide sur l’île[16] : d’après le témoignage des sources littéraires[17], la cité de Marion, aurait été détruite à cette occasion. Les rois de Kition, de Lapéthos et de Kyrénia, également alliés à Antigone, subirent eux aussi les représailles de Ptolémée : le premier fut exécuté, les deux autres emprisonnés.

En 310, à la mort de Nicocréon, Ptolémée nomma son propre frère, Ménélas, stratège de Chypre. Celui-ci émit alors un monnayage d’or reprenant le répertoire et l’iconographie des rois de Salamine et portant au revers le signe représentant, en syllabaire chypriote, la première syllabe du titre royal (« pa »)[18]. Ce geste traduit un glissement capital dans la politique lagide. La disparition des dynasties locales[19] coïncide en effet avec l’affirmation des aspirations monarchiques de Ptolémée et, peut-être[20], avec l’avènement des fonctions du strategos. La victoire d’Antigone et de son fils Démétrios Poliorcète, à Salamine, en 306, freina temporairement l’installation lagide à Chypre. Antigone et Démétrios ceignirent à cette occasion le bandeau royal, imités un an plus tard par Ptolémée. Ce n’est qu’en 295/294 que Ptolémée remit la main sur Chypre, à la faveur des campagnes de Démétrios en Grèce.

Un changement de perspective

L’entrée de Chypre dans le dispositif géopolitique des Ptolémées représente un renversement fondamental de perspective pour les cités chypriotes, réunies pour la première fois sous l’autorité d’une puissance étrangère. Au contrôle indirect traditionnellement exercé par les Grands Rois de Perse qui leur assurait une autonomie encore effective du temps d’Alexandre, se substitua, dès le début du IIIe siècle, l’autorité directe des rois d’Alexandrie. La dynamique de recentrement[21] provoquée par la nouvelle configuration géopolitique de l’Orient méditerranéen est particulièrement manifeste pour Chypre : l’île, carrefour économique et culturel situé aux confins des grandes aires d’influence des époques archaïque et classique[22], est désormais au centre de l’échiquier politico-stratégique du monde hellénistique. Sa proximité géographique avec la capitale du royaume lagide, Alexandrie, a des répercussions sensibles dans les domaines militaire, politique, économique, culturel et religieux. Le développement d’une administration forte et généralisée tend à intégrer l’île de Chypre dans le royaume ptolémaïque, lui conférant un statut qui la distingue singulièrement des autres possessions extérieures lagides.

Ce changement de perspective suscite également des questions importantes pour l’histoire des identités. La spécialisation[23] dans ce domaine d’une partie des études chypriotes et la prospérité des discours visant – démarche qui n’est pas sans fondement dans l’antiquité –  à définir le kyprios charakter[24] rendent cette partie de l’enquête plus complexe, et plus pressante encore, à l’époque hellénistique.

Les sources épigraphiques

Le corpus des inscriptions de Chypre[25] est généralement méconnu. Bien qu’il ait fait l’objet par le passé d’initiatives individuelles[26] ou collectives (IG[27]), les historiens et les archéologues ne disposent pas, à ce jour, d’un recueil épigraphique regroupant de façon exhaustive l’ensemble des inscriptions chypriotes. Dans cette attente, ces textes, édités (quand ils ne sont pas simplement mentionnés), pour une grande partie, dans des publications ponctuelles[28] ou plus rarement monographiques (c’est le cas lorsque les corpus épigraphiques ont été insérés dans les publications de fouille[29]) souffrent de leur isolement dans le paysage historiographique. Cette lacune n’est pas sans conséquences sur l’étude de la société chypriote, et s’est révélée particulièrement dommageable pour l’histoire de l’île à la période hellénistique. Si plusieurs travaux se sont, en tout[30] ou en partie[31], fondés sur ce matériel[32], aucun ouvrage de synthèse n’exploite l’ensemble de la documentation épigraphique de la période hellénistique disponible à l’échelle de l’île.

Chypre et les Ptolémées : changements politiques et sociaux à Chypre à l’époque hellénistique

Chypre dans le dispositif politico-stratégique lagide : indices épigraphiques

La possession de Chypre constitue un enjeu majeur pour les Ptolémées et l’île occupe une place centrale dans le dispositif lagide[33].

La présence lagide à Chypre de la fin du IIIe siècle au troisième quart du ie siècle[34] se caractérise par l’occupation militaire de l’île, l’omniprésence des représentants du pouvoir royal dans les cités, le développement de la représentation honorifique et l’émergence d’un culte royal lagide.

Ces différents aspects sont bien visibles dans les sources épigraphiques. Deux inscriptions provenant de Paphos, capitale de la province lagide de Chypre à partir de la fin du IIIe siècle[35], et appartenant à la sphère diplomatique entre la dynastie séleucide et la dynastie lagide apportent sur ce point un témoignage intéressant. La dédicace[36] par le roi Démétrios II Nikatôr d’une base de statue en l’honneur de Ptolémée Philomètôr vers 145, atteste les rapports particuliers entretenus par le Lagide avec la dynastie séleucide dans une période de troubles intenses pour les deux dynasties[37].

La copie[38] d’une lettre d’Antiochos VIII adressée à Ptolémée Alexandre I en 109 présente elle aussi un intérêt majeur pour l’histoire de Chypre et de la dynastie lagide[39]. Il s’agit d’un document à caractère officiel, destiné à assurer la publicité de la décision d’Antiochos VIII d’accorder la liberté à la cité de Séleucie-de-Piérie. Sa présence à Paphos est significative : la cité, forte de la renommée de son sanctuaire à l’échelle méditerranéenne, est, à la date concernée, le siège d’une cour – lagide – locale et autonome, organisée autour du roi Ptolémée X Alexandre I. La présence d’une telle inscription à Paphos témoigne de la reconnaissance du statut de la cour de Paphos : l’île est soumise, tout autant que le territoire égyptien du royaume, aux conséquences de la bonne – ou mauvaise – entente des rois, y compris lorsque les troubles dynastiques divisent la monarchie ptolémaïque.

Une troisième inscription, provenant du sanctuaire d’Aphrodite à Palaepaphos, nous renseigne sur un aspect stratégique de la conquête lagide. Dédiée dans la première moitié du IIIe siècle, la base[40] de statue de l’architecte naval Pyrgotélès fut commandée par un souverain lagide, probablement[41] Ptolémée II Philadelphe. L’honneur accordé à Pyrgotélès, sans doute un Paphien, est unique dans le corpus chypriote : c’est la seule base conservée portant une dédicace émise par un Ptolémée. Une telle marque de reconnaissance royale n’est pas anodine dans le contexte des conflits militaires et économiques de l’époque hellénistique. Les imposants vaisseaux militaires, de combat ou de transport, font l’objet d’une véritable compétition technologique à l’époque hellénistique[42] : Chypre, riche en matières premières (bois, cuivre) et en main d’œuvre qualifiée, joue un rôle important dans le développement de la puissance lagide hors d’Égypte.

Le statut du stratège de Chypre est, lui aussi, particulièrement révélateur de la place de l’île de Chypre dans le dispositif ptolémaïque. Doté du titre de συγγενής (« Parent ») du roi, sa position dans la hiérarchie de cour lagide le hisse au-dessus des autres agents du pouvoir royal : l’importance du stratège de l’île est directement proportionnelle à celle de Chypre, la « perle »[43]  des possessions ptolémaïques. L’autorité du strategos est multiple. Premier représentant du roi à Chypre, il exerce son autorité dans les domaines militaire, administratif et, à partir de la fin du IIIe siècle, religieux[44].

La présence des armées lagides à Chypre est documentée par plusieurs types d’inscriptions : épitaphes et, plus rarement, épigrammes funéraires, dédicaces honorifiques, listes, décrets. Un document exceptionnel[45], comportant la copie d’un édit de Ptolémée Évergète II et une lettre du roi adressée directement aux troupes actives à Chypre, constitue le témoignage le plus éloquent de l’intégration de Chypre dans le système militaire lagide.

Promulguée par Ptolémée Évergète II en 145/144, cette ordonnance, conservée dans un état fragmentaire, constitue un témoignage explicite de la reprise en main de l’île de Chypre, à la suite de la guerre fratricide qui opposa le souverain à son frère Ptolémée Philomètôr[46]. L’édit d’amnistie nous informe indirectement que des représailles avaient été menées à l’encontre des partisans de Philomètôr, civils et militaires. La lettre adressée par le roi aux forces armées en position sur l’île révèle, quant à elle, les rapports privilégiés[47] que le roi entend entretenir avec ses soldats.

Ce texte offre sans doute le témoignage le plus explicite de l’intégration totale de Chypre dans le royaume lagide.

De nombreux documents épigraphiques attestent par ailleurs la présence de troupes lagides à Chypre. Une épigramme funéraire provenant de Kition est particulièrement explicite, tandis que des dizaines d’épitaphes d’étrangers[48], découvertes principalement à Amathonte et Kition, plaident en faveur de l’implantation de garnisons de mercenaires sur le territoire chypriote. Le bloc de marbre blanc inscrit[49], légèrement convexe, portant l’épigramme funéraire de Praxagoras, officier ἐπ’ἀνδρῶν (« commandant des hommes ») de l’armée lagide, rend compte de façon très concrète de la présence militaire à Chypre. L’origine de cet officier correspond par ailleurs aux nombreux témoignages de la présence des troupes crétoises dans les contingents militaires au service des Ptolémées[50].

Le culte royal lagide à Chypre

Un autre aspect important de la visibilité du pouvoir lagide à Chypre tient aux caractéristiques de la représentation honorifique des Ptolémées. Les bases de statue portant des dédicaces en l’honneur des souverains et de leurs représentants forment une part importante du corpus épigraphique chypriote. Au vu de la documentation épigraphique, le sanctuaire de Zeus à Salamine et le sanctuaire d’Aphrodite à Paphos, et, peut-être, dans une moindre mesure, celui d’Apollon Hylatès à Kourion, devaient constituer d’importantes galeries de statues. Les dédicants se répartissent en cinq grandes catégories : les dignitaires (officiers et administrateurs) de la cour lagide en poste à Chypre, les soldats groupés en koina[51], les cités, les prêtres et les agents du gymnase (gymnasiarques, lampadarques, agônothètes).

L’étude précise des formulaires dédicatoires, et notamment du recours aux formules prépositionnelles εὐνοίας et/ou εὐεργεσίας ἕνεκεν révèle qu’à Chypre seuls les représentants du pouvoir lagide prennent part à l’agôn honorifique.

Le culte royal relève d’un degré particulier du phénomène honorifique[52]. Nous regroupons sous ce terme les documents attestant l’existence d’un attachement de type religieux au souverain, ou révélant l’existence de pratiques cultuelles institutionnalisées en l’honneur du roi. Plusieurs textes d’interprétation difficile[53] se rattachent à cette catégorie à Chypre. Les autels ou éléments d’autel portant simplement le nom du souverain au génitif forment la série la plus importante des témoignages du culte royal. Parmi les souverains concernés par ce type d’hommage, la reine Arsinoé II Philadelphe bénéficie d’une audience particulière. Au total, le corpus épigraphique propre à la sœur-épouse de Ptolémée II concerne une trentaine d’inscriptions chypriotes. Cette somme, composée de documents de nature et de facture diverses, suggère que la reine a, parmi les souverains lagides honorés à Chypre, reçu un culte séparé et organisé, comportant des pratiques et un personnel spécifiques[54]. Deux inscriptions provenant d’Idalion, au Sud-Est de la Mesaoria, revêtent pour notre étude un intérêt crucial. La première se présente comme la dédicace, rédigée en langue phénicienne, des statues des trois petits-fils de Batshilem[55]. L’inscription, datée de l’année 254 par une référence calendaire triple, porte ainsi la mention d’une prêtrise locale du culte d’Arsinoé : Batshilem consacre en effet les statues à Resheph-Mikal pendant la canéphorie d’Amatosiris fille de M[…] fils d’Abdsasm fils de GD’T[56]. La référence à une prêtrise d’Arsinoé, vraisemblablement éponyme, suggère l’institutionnalisation du culte et des rites accomplis à Idalion en l’honneur de la reine.

Un petit fragment architectural inscrit, découvert en 1869 à Idalion, constitue le second élément de ce dossier. Les deux lignes qui composent l’inscription Ἀρσινοεῖο[ν̣…] ἀνδράσι α̣[…][57] sont gravées sur la partie gauche d’un bloc en calcaire qui a été interprété comme un fragment de l’architrave d’une petite colonne votive d’ordre dorique[58]. La première des deux lignes porte clairement mention d’un espace réservé au culte d’Arsinoé, un Arsinoeion, au sein du sanctuaire d’Apollon-Resheph d’Idalion, tandis que la seconde suggère l’énoncé d’une prescription (mais pas nécessairement d’une interdiction[59]) réservée aux hommes.

La société et les institutions chypriotes à l’époque hellénistique

La société chypriote hellénistique

La présence à Chypre de mercenaires provenant de différentes régions de la Méditerranée orientale, et celle d’officiers et de fonctionnaires appartenant aux cercles du pouvoir alexandrin, accentue le caractère polymorphe de la société chypriote hellénistique[60]. Cet aspect, inhérent, en effet, à la société chypriote[61], demeure prégnant à l’époque hellénistique, malgré l’affaiblissement manifeste des disparités linguistiques[62]. L’importance des élites phéniciennes[63], et particulièrement au début de la période, tend par ailleurs à démontrer la participation des cadres locaux dans la mise en place de l’administration lagide à Chypre.

L’étude des notables est significative pour l’étude des structures sociales. Cette catégorie est très hétérogène dans la Chypre lagide et repose, probablement jusqu’au Ier siècle, sur une division irréductible entre les agents directement au service du pouvoir lagide et les notables locaux. Les premiers se distinguent par leur appartenance aux cercles de la cour lagide, caractérisée dans les textes par la mention d’un titre aulique[64], tandis que l’identité et les activités des seconds sont plus difficiles à déterminer. L’attribution discriminante de titres auliques à des Chypriotes, à la fin de la période hellénistique, révèle l’émergence, à la faveur de la personnalisation de l’autorité royale et de la création d’une cour lagide locale, d’une nouvelle catégorie de notables chypriotes. Parmi eux, le cas du Paphien Onèsandros est significatif. Connu par deux[65] bases de statues dédiées par la cité de Paphos et datées des années 88-8056, Onèsandros fils de Nausikratès porte le titre de « Parent » du roi Ptolémée IX Sôter II et jouit d’un statut exceptionnel : présenté comme un promoteur indéfectible du culte du souverain, il est prêtre à vie du roi et fondateur d’un Ptolemaion dans sa cité d’origine, c’est-à-dire d’un lieu consacré au culte royal. Sa carrière n’est pas moins remarquable : secrétaire de la cité de Paphos, il fut, in fine, nommé directeur de la Bibliothèque d’Alexandrie (ἐπὶ τῆς ἐν Ἀλεξανδρείαι μεγάλης βυβλιοθήκης)57.

Rois et cités à Chypre à l’époque hellénistique

L’étude de la relation de la société locale avec les souverains ptolémaïques constitue l’orientation majeure de l’historiographie consacrée à l’île de Chypre à l’époque hellénistique et tend à éclipser58 l’étude des institutions chypriotes pendant la période de la domination lagide. Plusieurs inscriptions importantes permettent néanmoins de constater l’existence et l’activité des cités chypriotes. Connues, à l’époque qui nous intéresse, par le témoignage d’une inscription59 d’Argos enregistrant une donation conjointe des cités chypriotes et du pouvoir lagide, ces entités civiques apparaissent également à de nombreuses reprises dans le corpus local, notamment à l’occasion de dédicaces honorifiques60. Le corpus des décrets, qui constituent généralement sur ce point la catégorie d’inscriptions la plus informative, présente à Chypre un profil très particulier. Représentant, du point de vue quantitatif, une partie très mineure61 du corpus épigraphique chypriote, les décrets conservés proviennent tous de la cité de Kourion. Leur lecture, néanmoins éclairante, tend à nuancer l’ampleur du contrôle lagide sur la vie interne des cités chypriotes. Plusieurs décrets de Kourion attestent ainsi l’effectivité à Chypre des prérogatives traditionnelles de la cité grecque dans les domaines politique, religieux, économique et, peut-être, militaire62.

Le corpus révèle par ailleurs l’existence et l’activité de magistrats (archontes, stratèges et agoranomes) et d’institutions civiques. Remarquablement peu présente dans les textes conservés, la boulè est néanmoins attestée dans les cités de Paphos et de Kourion.

Une catégorie de magistrats occupe une place très prégnante dans la société chypriote à l’époque hellénistique : les gymnasiarques. Placé, comme son nom l’indique, à la tête des activités athlétiques, ce magistrat exerce son autorité sur le principal espace de la vie publique des cités chypriotes à l’époque hellénistique. Le gymnase est également le lieu privilégié du culte dynastique63.

Attesté de façon remarquable dans la plupart des cités chypriotes, le gymnase, entendu à la fois en tant qu’espace architectural, établissement culturel et espace civique – représente une nouveauté importante liée à l’implantation de l’autorité lagide à Chypre.

Enfin, les sources épigraphiques attestent la présence, à côté des cités, de différents groupes au sein de la société chypriote et tendent à montrer que celle-ci reposait, à l’époque hellénistique, sur une pluralité de structures. De nature variée, groupes et associations sont actifs dans divers secteurs de la société (armée, cultes, pratiques athlétiques et artistiques) et sont parfois dotés d’organes de décision fonctionnant vraisemblablement sur le modèle civique64.

Conclusion

La situation de l’île de Chypre de la fin du IVe à la deuxième moitié du Ie siècle repose sur une dynamique singulière qui se caractérise par l’apparition de phénomènes communs à l’ensemble du monde hellénistique, par l’interprétation locale de certains éléments portés par la koinè hellénistique, et par le développement de rapports tout à fait particuliers avec l’Égypte et la dynastie lagide. L’étude des inscriptions chypriotes apporte, sur la longue durée, un éclairage essentiel permettant d’appréhender les conséquences régionales de l’entrée de Chypre dans le monde hellénistique et de son intégration dans le dispositif politico-stratégique de la dynastie lagide. Les sources épigraphiques permettent de nuancer la vision dichotomique généralement portée par les historiens sur la conquête lagide, et de dépasser la question, longtemps dominante dans le domaine des études chypriotes, des « ruptures » et « continuités ». La relation, complexe et durable, entre la société chypriote et les Ptolémées constitue un cas intéressant pour l’étude de la monarchie lagide et de ses rapports avec les cités et les territoires placés sous son contrôle.

 


[1] Cet article présente brièvement les résultats de ma thèse de doctorat, réalisée de 2013 à 2017 à l’Université d’Aix-Marseille au sein du Centre Camille Jullian (UMR 7299) et à Université de Chypre, sous la direction conjointe du Pr. Antoine Hermary et du Pr. Demetrios Michaelides. Les résultats exhaustifs et définitifs de cette thèse, soutenue le 14 décembre 2017, sont actuellement en cours de publication. Environ 450 textes (auxquels s’ajoutent les 310 vases inscrits du corpus de Kafizin : Sidonie Lejeune, « Le sanctuaire de Kafizin : nouvelles perspectives », BCH 138.1, 2014, p. 245-327) ont, à cette occasion, fait l’objet d’une étude épigraphique et historique. La constitution de ce corpus d’inscriptions relativement limité a donné lieu à une enquête épigraphique et bibliographique approfondie, à un classement des textes et, pour chacun d’entre eux, à une traduction originale et à un commentaire. Le choix de ces textes particulièrement significatifs pour l’étude des rapports entre la société chypriote et les Lagides a, in fine, permis d’établir une synthèse embrassant les domaines administratif, économique, politique, culturel et religieux de l’histoire hellénistique de l’île de Chypre.

[2] Dans cette catégorie, l’ensemble que forment les vases inscrits de Kafizin, consacrés à la « nymphe du piton », occupe une place primordiale : Sidonie Lejeune, « Le sanctuaire de Kafizin : nouvelles perspectives », BCH 138, 2014, p. 245-327.

[3] Sauf mention contraire, toutes les dates s’entendent avant notre ère.

[4]Anna Satraki, Κύπριοι Βασιλείς από τον Κόσμασο μέχρι το Νικοκρέοντα. Η πολιτειακή οργάνωση της αρχαίας Κύπρου από την Ύστερη Εποχή του Χαλκού μέχρι το τέλος της Κυπροκλασικής περιόδου με βάση τα αρχαιολογικά δεδομένα (Αρχαιογνωσία 9), Athènes, 2012.

[5]Maria Iacovou, « Advocating Cyprocentricism: An Indigenous Model for the Emergence of State Formation on Cyprus », ‘Up to the Gates of Ekron’. Essays on the Archaeology and History of the Eastern Mediterranean in Honor of Seymour Gitin, Jérusalem, 2007, p. 464-465 ; Maria Iacovou, « Crete and Cyprus: Contrasting Political Configurations », dans C. Cadogan et al. (ed.), Parallel Lives. Ancient Island Societies in Crete and Cyprus (British School at Athens Studies) 20, 2012, p. 355.

[6]Sabine Fourrier, « Les territoires des royaumes chypriotes archaïques : une esquisse de géographie historique », CCEC 32, 2002, p. 135-146 ; Antoine Hermary, « Recherches récentes sur le territoire et les frontières des royaumes chypriotes (VIIIe–IVe siècles av. J.-C.) », dans M.A. Guggisberg (éd.), Grenzen in Ritual und Kult der Antike: internationales Kolloquium, Basel, 5.-6. November 2009, Bâle, 2013, p. 115-129.

[7]Andreas Mehl, « The Cypriot Kings: Despots or Democrats or…? Remarks on Cypriot Kingship Especially in the Time of Persian Suzerainty », Electrum 23, 2016, p. 51-64. Aristote était l’auteur d’une Κυπρίων Πολιτεία, dont seuls quelques fragments subsistent, et son disciple Théophraste celui d’un Περὶ βασιλείας Κυπρίων.  La ruine des sources littéraires ne peut, sur ce point, être compensée.

[8] Maria Iacovou , « From ten to naught. Formation, consolidation and abolition of Cyprus’ Iron age polities », Cahiers du Centre d’Études Chypriotes 32, 2002, p. 73-87.

[9] Hérodote, 2.182.14-15.

[10] Aux alentours de 525, les royaumes chypriotes se soumettent, visiblement, de leur plein gré, au Grand Roi (Hérodote 3.19.3). La nature et les modalités du contrôle exercé par les rois de Perse sur l’île de Chypre sont examinées dans : Antigoni Zournatzi, Persian Rule in Cyprus: Sources, Problems, Perspective (Μελετηματα 44), Athènes, 2005.

[11]Evangeline Markou, L’or des rois de Chypre : numismatique et histoire à l’époque classique (Μελετηματα 64), Athènes, 2011, notamment p. 60-65.

[12]Hérodote 5.104-105, 108-11 ; Diodore 14.98.

[13]Il semble que les rois chypriotes participèrent volontairement aux campagnes d’Alexandre. Chypre ne fait donc pas à proprement parler partie des territoires conquis par le Macédonien. Voir sur ce point : Édouard Will, « La Cyrénaïque et les partages successifs de l’empire d’Alexandre », L’Antiquité classique 29, 1960, p. 369-390.

[14]Édouard Will, Histoire politique du monde hellénistique (323- 30 av. J.-C.), Paris, 2003 (1979-1982 [1re éd. 1966-1967]), I, p. 159-170 ; Anaïs Michel, « Chypre dans le nouvel ordre méditerranéen de l’époque hellénistique. Approches épigraphiques », CCEC 46, 2016, p. 290-294.

[15]Une partie de ce territoire fait l’objet d’un conflit territorial récurrent (les six « Guerres de Syrie ») entre Lagides et Séleucides du deuxième quart du iiie siècle au deuxième quart du iie siècle.

[16]D’après Diodore, Nicocréon aurait alors porté le titre de strategos : Diodore 19.79.5. Ce dernier point est discuté : Roger Shaler Bagnall, The Administration of the Ptolemaic Possessions outside Egypt (Columbia Studies in the Classical Tradition 4), Leyde, 1976, p. 39-40 ; Giorgos Papantoniou, Religion and Social Transformations in Cyprus: From the Cypriot Basileis to the Hellenistic Strategos (Mnemosyne Supplements History and Archaeology of Classical Antiquity 347), Leyde – Boston, 2012, p. 9-15.

[17]Diodore 19.57.4 ; 19.59.1 ; 19.79.4-5. Les sources archéologiques relativisent la portée de ces agressions. Ainsi, à Kition : Jean-François Salles (dir.), Kition-Bamboula IV, Les niveaux hellénistiques, Paris, 1993, p. 109 ; Annie Caubet, Sabine Fourrier, Marguerite Yon, Kition-Bamboula VI, Le sanctuaire sous la colline, Lyon, 2015, p. 60.

[18]Le signe du titre royal en syllabaire chypriote « pa » (pour pa-si-le-wo-se : « du roi ») est en effet attesté au revers de deux 1/3 de statère d’or portant au droit les trois premières lettres grecques du nom du roi (MEN). Voir : Evangeline Markou, « Menelaos, King of Salamis », D. Michaelides (éd.), Epigraphy, Numismatics, Prosopography and History of Ancient Cyprus: Papers in Honour of Ino Nicolaou, Uppsala, 2013, p. 3-8 ; Evangeline Markou, L’or des rois de Chypre…, p. 186, 238.

[19]À cette époque, seule la cité-royaume de Soloi semble encore gouvernée par un roi. Eunostos est connu par le double témoignage des sources littéraires (Athénée 13.37.576e) et des monnaies (Anne Destrooper-Georgiades, « The Cypriote Coinage during the 4th Century B.C.: Unified or Chaotic Evolution in the Hellenistic Period? », dans P. Flourentzos (éd.), Από τον Ευαγόρα Α’ στους Πτολεμαίους : η μετάβαση από τους Κλασικούς στους Ελληνιστικούς χρόνους στην Κύπρο, Λευκωσία 29-30 Νοεμβρίου 2002, Nicosie, 2007, p. 265-281 ; Evangeline Markou, L’or des rois de Chypre…, p. 186-189). Sur le mariage d’Eunostos avec Eirènè, fille de Ptolémée et de l’hétaïre Thaïs, voir : Brako Van Oppen, « The Marriage of Eirene and Eunostus of Soli: An Episode in the Age of the Successors », Athenaeum 103.2, 2015, p. 458-476.

[20]Les inscriptions ne font pas état de l’existence de la strategia à Chypre avant le règne de Ptolémée Philopatôr (Pélops fils de Pélops porte le titre de strategos entre 217 et 203) : désormais Giorgos Papantoniou, Religion and Social Transformations in Cyprus...p. 13-14.

[21]Christian Körner, « The Cypriot Kings under Assyrian and Persian Rule (Eighth to Fourth Century BC): Centre and Periphery in a Relationship of Suzerainty », Electrum 23, 2016, p. 25-49.

[22]En marge du monde grec, l’île est également distante des centres décisionnels de l’empire perse.

[23]Kyprios character. Quelle identité chypriote ? Sources Travaux Historiques 43-44, 1995 ; Yannis Ioannou, Françoise Métral et Marguerite Yon (dir.), Chypre et la Méditerranée orientale : formations identitaires, perspectives historiques et enjeux contemporains. Actes du colloque tenu à Lyon, 1997, Université Lumière-Lyon 2, Université de Chypre (Travaux de la Maison de l’Orient 30), Lyon, 2000 ; Sabine Fourrier, Gilles Grivaud (éd.), Identités croisées en un milieu méditerranéen : le cas de Chypre (Antiquité- Moyen-Âge), 11-13 mars 2004, Mont-Saint-Aignan, 2006.

[24]Eschyle, Suppliantes, v. 281-282.

[25]D’après M. Kantirea, 5 000 inscriptions chypriotes en tout, 3 000 alphabétiques : Maria Kantirea, « The Alphabetic Inscriptions of Cyprus: Epigraphic Contribution to the Reconstruction of the History of Ancient Cyprus », sur le site Internet : Kyprios Character. History, Archaeology & Numismatics of Ancient Cypruskyprioscharacter.eie.gr/en/t/AP.

[26]T.B. Mitford a, le premier, formé le projet, avorté par la suite, de réunir l’ensemble des inscriptions chypriotes dans une monographie : Terence Bruce Mitford, « The Status of Cypriot Epigraphy: Cypriot Writing, Minoan to Byzantine », Archaeology V, 1952, p. 151-156. Les inscriptions en caractères syllabiques sont désormais réunies, à la suite de l’œuvre majeure d’O. Masson, par M. Egetmeyer : Olivier Masson, Les inscriptions chypriotes syllabiques (Études Chypriotes I), Athènes, 1983 (1961) ; Markus Egetmeyer, Le dialecte grec ancien de Chypre, Berlin, 2010.

[27]Pour une présentation de l’historique du projet d’édition du corpus des inscriptions de Chypre, voir : Peter Funke, « Looking for Cypriot inscriptions: first attempts to create a corpus of Cypriot inscriptions (IG XV) at the beginning of the 20th century », dans D. Michaelides (éd.), Epigraphy, numismatics, prosopography and history of ancient Cyprus: papers in honour of Ino Nicolaou, Uppsala, 2013, p. 119-127 ; Daniela Summa, « Inscriptiones Graecae insulae Cypri research project (IG XV 2) », sur le site Internet : Kyprios Character. History, Archaeology & Numismatics of Ancient Cyprus kyprioscharacter.eie.gr/en/t/A2.

[28]Soulignons ici le travail fondamental d’Inô Nicolaou, dont le rapport épigraphique annuel, publié dans le Report of the Department of Antiquities depuis 1963 (mais le premier numéro de ses « Inscriptiones Cypriae Alphabeticae » fut, quant à lui, publié dans la revue Berytus : Inô Michaelidou-Nicolaou, « Inscriptiones Cypriae Alphabeticae, 1960-1961, I », Berytus 14, 1963, p. 129-141) recueillait une somme considérable d’informations pour l’étude des inscriptions chypriotes.

[29]C’est notamment le cas pour les missions françaises de Kition et de Salamine (Marguerite Yon [dir.], Kition-Bamboula V, Kition dans les textes : testimonia littéraires et épigraphiques et corpus des inscriptions, Paris, 2004 ; Jean Pouilloux, Paul Roesch, Jean Marcillet-Jaubert, Salamine XIII, Testimonia Salaminia 2, Corpus épigraphique, Paris, 1987). J.-B. Cayla a consacré sa thèse de doctorat, actuellement en cours de publication, à l’étude des inscriptions alphabétiques de Paphos : Jean-Baptiste Cayla, Les inscriptions de Paphos : Corpus des inscriptions alphabétiques de Palaipaphos, de Néa Paphos et de la chôra paphienne, thèse inédite, Université Paris IV, 2003. Les inscriptions de Kourion ont, quant à elles, fait l’objet d’une monographie de la part de l’épigraphiste écossais Terence Bruce Mitford. Publié en 1971 (Terence Bruce Mitford, The Inscriptions of Kourion, Philadelphie, 1971), l’ouvrage fut vivement critiqué par Th. Drew-Bear et R. Bagnall dans deux articles de la revue Phoenix en 1973 : Roger Shaler Bagnall, Thomas Drew-Bear, « Documents from Kourion: A Review Article. Part I: Principles and Methods », Phoenix 27.2, 1973, p. 99-117 ; « Documents from Kourion: A Review Article. Part 2: Individual Inscriptions », Phoenix 27.3, 1973, p. 213-244.

[30]C’est notamment le cas de la vaste étude prosopographique consacrée à la période de la domination lagide : Inô Michaelidou-Nicolaou, Prosopography of Ptolemaic Cyprus (Studies in Mediterranean Archaeology 44), Göteborg, 1976.

[31] Signalons à ce titre plusieurs recherches doctorales récentes : Paul Wallace Keen, Land of Experiment: the Ptolemies and the Development of Hellenistic Cyprus, 312-58 BC, thèse inédite, Chicago, 2012 ; Giorgos Papantoniou, Religion and Social Transformations in Cyprus... ; Sidonie Lejeune, Chypre en transition. Les cités chypriotes de la fin des Royaumes autonomes à la mise en ordre lagide, IVe-IIIe siècles av. J.-C., thèse inédite, Paris, 2013. Une autre thèse, bien qu’elle ne fasse qu’un usage très limité du matériel épigraphique pour se consacrer au matériel numismatique, statuaire et architectural, peut encore être mentionnée : Jody Michael Gordon, Between Alexandria and Rome: A Postcolonial Archaeology of Cultural Identity in Hellenistic and Roman Cyprus, thèse inédite, Cincinnati, 2012.

[32]Voir également les recherches d’A. Mehl sur l’histoire de Chypre hellénistique, notamment sa contribution à l’un des volumes de l’Ιστορία τῆς Κύπρου publié en 2000 : Andreas Mehl, « Ἑλληνιστική Κύπρος », dans Th. Papadopoullos (éd.), Ιστορία τῆς Κύπρου, II.B, Ἀρχαία Κύπρος, Nicosie, 2000, p. 619-761. En dernier lieu, voir : Andreas Mehl, « Nea Paphos et l’administration ptolémaïque de Chypre », dans Cl. Balandier (éd.), Nea Paphos : fondation et développement urbanistique d’une ville chypriote de l’antiquité à nos jours. Études archéologiques, historiques et patrimoniales. Actes du 1er colloque international sur Paphos, Avignon 30, 31 octobre et 1er novembre 2012, Bordeaux, 2016, p. 249-260.

[33]Cf. supra, n. 14.

[34]Jean-Baptiste Cayla, « Antoine, Cléopâtre et les technites dionysiaques à Chypre », BCH 141, 2017 (à paraître) ; Anaïs Michel, « Cléopâtre et l’île d’Aphrodite : enjeux politiques et idéologiques de l’île de Chypre au crépuscule de la dynastie lagide », dans S. Aufrère, A. Michel (éd.), Cléopâtre en Abyme, (à paraître).

[35]La cité, et son centre administratif et politique situé à Néa Paphos, font actuellement l’objet de nombreuses recherches. Voir : Claire Balandier (éd.), Nea Paphos : fondation et développement urbanistique d’une ville chypriote de l’antiquité à nos jours. Études archéologiques, historiques et patrimoniales. Actes du 1er colloque international sur Paphos, Avignon 30, 31 octobre et 1er novembre 2012, Bordeaux, 2016.

[36]Terence Bruce Mitford, « Seleucus and Theodorus », OpAth 1, 1953, p. 146 n. 33.

[37]Le conflit territorial qui oppose Lagides et Séleucides pour la possession de la Syrie « Creuse » envenime les relations internationales depuis le deuxième quart du IIIe siècle. Lors de la guerre de succession qui opposa, en Syrie, Démétrios II à Alexandre Balas, Ptolémée VI, ayant dans un premier temps penché pour la cause de l’usurpateur, avait finalement pris le parti de Démétrios, insufflant dans sa politique étrangère un revirement, et lui avait donné en mariage sa fille, Cléopâtre Théa. Acclamé roi à Antioche, le Lagide avait ensuite ménagé l’intégrité du royaume séleucide au profit de son jeune gendre — se conservant du même coup la bienveillance de la puissance romaine, dont les interventions en Orient se faisaient alors de plus en plus fréquentes. Voir : Édouard Will, Histoire politique du monde hellénistique…, II, p. 377-378, 410, 432, 435, 448.

[38]Londres, British Museum, inv. 1888,1115.16. Charles Bradford Welles, Royal correspondence in the Hellenistic Period: a study in Greek epigraphy, New Haven, 1934, n°71-72 ; Terence Bruce Mitford, « The Hellenistic inscriptions of Old Paphos », ABSA 56, 1961, p. 3-4, n°3.

[39]Édouard Will, Histoire politique du monde hellénistique…, II, p. 455-457. À l’occasion de la publication d’un exceptionnel autel du culte royal à Amathonte, L. Thély fait précisément le point sur la place de Chypre dans les conflits dynastiques de la fin du iie siècle : Ludovic Thély, « Inscriptions d’Amathonte XI. Un autel en l’honneur de Ptolémée X et Bérénice III découvert aux abords Sud-Ouest de l’agora », BCH 139-140, 2016, p. 463-484.

[40]Musée de Kouklia, inv. KM 51. Marie-Christine Hellmann, Choix d’inscriptions architecturales grecques, traduites et commentées, Paris, 1999, p. 35, n°11.

[41]J.-B. Cayla remet en question la datation traditionnelle de cette inscription et émet l’hypothèse d’une date haute, sous le règne de Ptolémée I : Jean-Baptiste Cayla, « Le paysage des théonymes en Crète et à Chypre », CCEC 46, 2016, p. 153-155.

[42]Jean Rougé, La marine dans l’Antiquité, Paris, 1975, p. 104.

[43]Leon Mooren, La hiérarchie de cour ptolémaïque…, p. 208-209. Ce constat s’étend aux domaines économique et stratégique.

[44]Polykratès d’Argos, stratège entre 203 et 197, est le premier à assumer la fonction d’ἀρχιερεύς, « grand-prêtre » des cultes de l’île.

[45]La pierre est actuellement conservée au musée archéologique de Nicosie : Cyprus Museum, inv. 201. Voir : Marie-Thérèse Lenger, « Décret d’amnistie de Ptolémée Évergète II et lettre aux forces armées de Chypre », BCH 80, 1956, p. 437-461 ; Marie-Thérèse Lenger, Corpus des ordonnances des Ptolémées, Bruxelles, 1980, p. 95-102 ; Francis Piejko, « An act of Amnesty and a Letter of Ptolemy VIII to his Troops on Cyprus », L’Antiquité Classique 56, 1987, p. 254-259 ; Marguerite Yon (dir.), Kition-Bamboula V, Kition dans les textes : testimonia littéraires et épigraphiques et corpus des inscriptions, Paris, 2004, n°2017.

[46]Édouard Will, Histoire politique du monde hellénistique…, II, p. 360-364.

[47]La relation étroite nouée entre le roi et ses soldats est notamment soulignée par l’emploi du terme συναναστροφή (« fréquentation ») qui contribue à révéler cet aspect essentiel de la monarchie hellénistique, bien représenté dans le corpus épigraphique chypriote. Les soldats sont quant à eux désignés sous le terme ἀρχηγοί qui en fait les véritables « instigateurs » de l’autorité royale. La bienveillance du monarque – si souvent alléguée dans la rhétorique propre aux inscriptions honorifiques – prend ici un sens très concret par la mention de la distribution de soldes à vie (διὰ βίου σιταρχία). La tonalité emphatique des paroles du roi, rapportées au discours direct, donne également voix à la notion d’εὔνοια, incontournable composante du discours honorifique à l’époque hellénistique.

[48]Inô Michaelidou-Nicolaou, « The Ethnics in Hellenistic Cyprus. I, The Epitaphs », KyprSp 31, 1967, p. 15-36. On recense des individus provenant de Macédoine, de Thrace, d’Épire, d’Illyrie, d’Asie-Mineure, de Phénicie, de Perse, d’Égypte et de Libye.

[49]Londres, British Museum, BM C 1, 2613. Voir : Marguerite Yon (dir.), Kition-Bamboula V, Kition dans les textes…, n°2070. On lit : « La Crète est ma patrie, passant, Nikô la mère qui m’a donné le jour, et Sôsianax était mon père. J’avais pour nom illustre Praxagoras, moi qu’autrefois le souverain fils de Lagos nomma commandant des hommes ».

[50]Inô Michaelidou-Nicolaou, « The Ethnics in Hellenistic Cyprus… » ; Anaïs Michel, « Chypre dans le nouvel ordre méditerranéen de l’époque hellénistique… », p. 297-300.

[51]Actifs sur l’île à partir du milieu du IIe siècle, ces groupes rassemblent des soldats de diverses origines : Achéens, Thraces, Crétois, Ioniens, Ciliciens et surtout Lyciens. Dotés de moyens financiers importants et d’organes de décision, les koina se signalent par la dédicace de bases de statues en l’honneur des souverains ou de hauts dignitaires lagides et de leur famille. Les troupes achéennes et grecques stationnées à Chypre sont par ailleurs en capacité de consacrer une statue du stratège Séleukos dans le sanctuaire de Zeus à Olympie : IvO, n°301.

[52]Guillaume Biard, La représentation honorifique dans les cités grecques aux époques classique et hellénistique (Bibliothèque des Écoles Françaises d’Athènes et de Rome 376), Athènes, 2017 (notamment p. 96-105).

[53]C’est le cas lorsque l’emploi des cas ne permet pas d’identifier clairement le statut du souverain par rapport à la divinité. On pense par exemple à l’inscription bilingue grec-phénicien gravée sur un rocher aménagé près de Lapéthos (LBW n°2778) : Sabine Fourrier, « Chypre, des royaumes à la province lagide : la documentation phénicienne », dans J. Aliquot et C. Bonnet (éd.), La Phénicie hellénistique. Actes du colloque international de Toulouse (18-20 février 2013), Topoi Orient-Occident Supplément 13, 2015, p. 44. L’autel de Kition consacré à Zeus Sôter et Athéna Nikèphoros en l’honneur de Ptolémée Sôter II (Cyprus Museum, inv. 213) entre également dans cette catégorie : Marguerite Yon (dir.), Kition-Bamboula V, Kition dans les textes…, n°2003.

[54] L’ensemble de la documentation est réunie dans Aristodemos Anastassiades, « Ἀρσινόης Φιλαδέλφου : aspects of a specific cult in Cyprus », Report of the Department of Antiquities Cyprus, 1998, p. 129-140, pl. XIV. Pour les enjeux idéologiques du culte d’Arsinoé à Chypre, et de ses échos dans l’histoire de la présence lagide à Chypre, voir : Hans Hauben, « Arsinoé II et la politique extérieure de l’Égypte », dans E. van’t Dack, P. van Dessel & W. van Gucht (éd.), Egypt and the Hellenistic World (Studia Hellenistica 27), Louvain 1982, p. 99-127 ; Anaïs Michel, « Cléopâtre et l’île d’Aphrodite. Enjeux politiques et idéologiques de l’île de Chypre au crépuscule de la dynastie lagide », dans S.H. Aufrère et A. Michel (éd.), Cléopâtre en Abyme, Paris, 2018, p. 243-265.

[55] Corpus Inscriptionum Semiticarum I, Paris, 1881, n° 93 ; Marguerite Yon (dir.), Kition-Bamboula V, Kition dans les textes…, n° 82 ; Sabine Fourrier, « Chypre, des royaumes à la province lagide… », p. 38-40.

[56] Le texte pose l’équivalence de cette référence calendaire avec la 31e année du règne de Philadelphe (295/294-246) et la 57e année de l’ère civique de Kition, dont il faut logiquement placer l’avènement en 311, date de l’exécution du roi Pumayyaton (Sabine Fourrier, « Chypre, des royaumes à la province lagide… », p. 38).

[57] Les restitutions, proposées par T.B. Mitford (« The Hellenistic inscriptions of Old Paphos… », p. 8) et par O. Masson (« Kypriaka », BCH 92, 1968, p. 400-402), sont probables, mais elles ne sont pas vérifiables en l’état.

[58] British Museum, inv. 1903,1215.4.

[59] Le datif ἀνδράσι indique vraisemblablement que les personnes de sexe masculin sont les destinataires (sans doute exclusifs) de la proposition manquante à droite du fragment conservé, mais rien ne permet d’affirmer qu’il s’agit d’une interdiction.

[60]Anaïs Michel, « Cypriot Society and Identity in Hellenistic Times: some Observations on the Epigraphic Evidence », dans L. Bombardieri, M. Amadio, F. Dolcetti (éd.), Ancient Cyprus, an Unexpected Journey: Communities in Continuity and Transition, Rome, 2017, p. 153-172.

[61]Voir à ce sujet les contributions réunies lors de la 14e réunion de la Postgraduate Conference of Cypriot Archaeology qui s’est tenue du 14 au 16 novembre 2014 à Bochum, et intitulée « The Many Face(t)s of Cyprus » (actes à paraître).

[62]Les inscriptions en grec alphabétique sont tout à fait majoritaires à l’époque hellénistique. On dénombre également quelques inscriptions phéniciennes et une exceptionnelle bilingue grec-langue locale d’Amathonte. En ce qui concerne la graphie, le syllabaire chypriote est, malgré un très net recul, encore employé dans des contextes bien spécifiques jusqu’à la basse époque hellénistique. Sur ce dernier point, la relecture des inscriptions de Kafizin est décisive : Sidonie Lejeune, « Le sanctuaire de Kafizin : … ».

[63]Sabine Fourrier, « Chypre, des royaumes à la province lagide : la documentation phénicienne… ».

[64]Leon Mooren, The Aulic Titulature in Ptolemaic Egypt: Introduction and Prosopography, Bruxelles, 1975 ; Leon Mooren, La hiérarchie de cour ptolémaïque : contribution à l’étude des institutions et des classes dirigeantes à l’époque hellénistique (Studia Hellenistica 23), Louvain, 1977. Le corpus chypriote porte la mention d’individus appartenant aux groupes des « Parents », « Premiers Amis », « Gardes-du-corps en chef », « Amis » ou « Successeurs ».

[65]Terence Bruce Mitford, « The Hellenistic inscriptions of Old Paphos… », p. 40, n°110 (Musée de Kouklia, inv. KM 33). La seconde dédicace honore la fille d’Onèsandros : Terence Bruce Mitford, « Contributions to the Epigraphy of Cyprus. Some Hellenistic Inscriptions », APF 13, 1939, p. 36, n°18.

56 Ces dates correspondent à celles du règne de Ptolémée Sôter II sur le royaume lagide indivis, en l’occurrence sur l’Égypte et sur Chypre.

57 L’activité d’Onèsandros à la tête de la bibliothèque d’Alexandrie coïncide avec le retour de Ptolémée Sôter II sur le trône d’Alexandrie, et, qui plus est, du retour de Chypre au sein du royaume lagide indivis. La présence du Paphien auprès du roi dans la capitale égyptienne est sans doute justifiée par l’excellence des rapports qu’il a su entretenir avec le souverain lorsque celui-ci régnait à Chypre sur un royaume lagide dissident (106/105-88).

58 Constat qu’émettait déjà T.B. Mitford : Terence Bruce Mitford, « The Character of Ptolemaic Rule in Cyprus », Aegyptus 33, 1953, p. 80-90.

59 Pierre Aupert, « Une donation lagide et chypriote à Argos », BCH 106, 1982, p. 263-280.

60 Les cités de Paphos, Salamine, Amathonte, Kourion, Kition, Lapéthos, Arsinoé et peut-être Chytroi sont mentionnées sur des bases de statue dont elles sont les dédicantes. Ces bases sont majoritairement destinées à accueillir les statues d’officiers ou de dignitaires lagides, quand elles n’honorent pas directement les souverains.

61 Quelques textes lacunaires ou d’interprétation délicate, provenant de Kourion, Paphos, Chytroi, Lapéthos et Amathonte, complètent peut-être cet ensemble. D’autres inscriptions, rédigées selon le formulaire des décrets civiques, sont émises par des entités hétérogènes : association de technites dionysiaques ou collèges de prêtres.

62 Les décrets de Kourion forment un dossier cohérent pour l’étude des institutions civiques de la Chypre lagide (voir supra, n. 29 ): Inô Nicolaou, « The Greek Inscriptions », dans D. Buitron-Oliver (éd.), The Sanctuary of Apollo Hylates at Kourion: Excavations in the Archaic Precinct (Studies in Mediterranean Archaeology 109), Jonsered, 1996, p. 174, n°2 (Musée d’Épiskopi, inv. I 70-73) ; Anne Bielman, Retour à la liberté. Libération et sauvetage des prisonniers en Grèce ancienne : Recueil d’inscriptions honorant des sauveteurs et analyse critique (Études Épigraphiques I), Athènes, 1994, n°27 ; Peter Thonemann, « A Ptolemaic Decree from Kourion », ZPE 165, 2008, p. 87-95.

63 Sophia Aneziri, Dimitris Damaskos, « Städtische Kulte im hellenistichen Gymnasion », dans D. Kah, P. Scholz (éd.), Das hellenistische Gymnasion, Berlin, 2004, p. 247-271.

64 C’est notamment le cas des nombreux thiases connus à Chypre (Antoine Hermary, « Autour de Golgoi : les cités de la Mesaoria à l’époque hellénistique et sous l’Empire », CCEC 34, 2004, p. 47-68), du bureau des artistes dionysiaques (Sophia Aneziri, « Zwischen Musen und Hof: Die Dionysischen Techniten auf Zypern », ZPE 104, 1994, p. 179-198 ; Jean-Baptiste Cayla, « Antoine, Cléopâtre et les technites dionysiaques à Chypre… ») ou encore de l’association des cultivateurs du lin active à Kafizin (Sidonie Lejeune, « Le sanctuaire de Kafizin… »).