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L’écrit municipal à Chartres dans la seconde moitié du XIVe siècle

Nicolas Ruffini-Ronzani

 


Résumé : Les archives médiévales de la ville de Chartres nous sont parvenues dans un état de délabrement important. De ce fonds qui devait être relativement riche, il reste essentiellement une belle série comptable couvrant les années 1358-1359 et 1377-1395. Après une brève présentation de cet ensemble documentaire et de ses principales caractéristiques, l’étude s’interroge sur la place occupée par l’écrit dans la gestion de la ville au cours de la seconde moitié du XIVe siècle. Les comptabilités révèlent en effet l’existence d’un paysage documentaire qui a aujourd’hui disparu et laissent entrevoir l’activité importante des clercs urbains à la fin du Moyen Âge. En croisant les informations fournies par les comptes et celles révélées par des analyses menées en laboratoire (analyses protéomiques et spectrométrie de fluorescence X), il est en outre possible d’éclairer d’un jour nouveau la question de l’approvisionnement de la ville en matériaux de l’écrit.

Mot-clés : pratiques de l’écrit, comptabilités, encres métallo-galliques, fluorescence X, Chartres.


Nicolas Ruffini-Ronzani (7 août 1986) est chercheur associé au laboratoire DYPAC de l’Université de Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines et chargé de recherches FNRS au centre de recherche « Pratiques médiévales de l’écrit – PraME » de l’Université de Namur (Belgique). Entre 2017 et 2019, il a travaillé à l’UVSQ sur des projets de recherche interdisciplinaires au carrefour des sciences humaines et des sciences exactes. Le présent article résulte de travaux menés dans le cadre du projet « EVAS – Évaluer l’activité d’un scriptorium (Chartes, XIVe siècle) », soutenu par la Fondation des Sciences du Patrimoine et le Domaine d’Intérêt Majeur « Matériaux anciens et patrimoniaux ».

nicolas.ruffini@unamur.be


 

Introduction

Les espaces urbains de la fin du Moyen Âge ont été au cœur des transformations du paysage documentaire décrites par les médiévistes depuis la fin des années 1970[1]. En tant que centres de pouvoir de premier plan, les villes se sont en effet muées en hauts lieux de la culture de l’écrit aux XIIe et XIIIe siècles, au point de devenir de véritables laboratoires de « l’innovation documentaire[2] ». Y émergent, au fil des décennies, de nouvelles formes, de nouveaux usages et de nouvelles façons de traiter et conserver l’information. La ville de Chartres de la seconde moitié du XIVe siècle fait, elle aussi, l’expérience de ces évolutions. Le présent article aura pour objectif de faire le point sur la manière dont les autorités municipales chartraines se sont appuyées sur l’écrit pour gérer la ville à la fin du Moyen Âge. À l’époque concernée, ces dernières ne jouissent que d’une faible autonomie dans la gestion des affaires de la cité, lesquelles sont étroitement contrôlées par les officiers royaux[3]. Néanmoins, malgré cette marge de manœuvre réduite, les clercs urbains produisent des écrits destinés à rendre compte de leur activité administrative et à les aider dans la gestion de la cité. Si la majeure partie de la documentation émanant de la ville de Chartres a disparu de longue date, on dispose encore aujourd’hui d’une série comptable quasi continue couvrant le dernier quart du XIVe siècle. L’examen des caractéristiques matérielles et des données livrées par ces comptes ouvre une fenêtre étroite, mais intéressante, sur l’utilisation de l’écrit par l’administration urbaine de Chartres à la fin du Moyen Âge.

Pour explorer cette question, je procéderai en trois temps. Je m’attacherai d’abord à présenter la documentation conservée. J’en viendrai ensuite à la place jouée par l’écrit dans la gestion de la ville. Je m’arrêterai, en particulier, sur la manière dont les comptes subsistants nous informent sur l’activité des clercs urbains et sur un paysage documentaire qui a aujourd’hui disparu. Je terminerai, enfin, en évoquant la question de l’approvisionnement de la ville en matériaux de l’écrit, un sujet sur lequel il est possible d’apporter un éclairage nouveau en croisant les données livrées par les sciences auxiliaires de l’histoire et la physico-chimie[4].

Les comptabilités chartraines : présentation du corpus documentaire

S’il renferme toujours de belles pièces et des séries remarquables –celles de l’abbaye Saint-Père de Chartres ou de l’hôpital de l’Aumône-Notre-Dame, par exemple –, le fonds documentaire chartrain a subi des pertes considérables au fil des siècles. Les déperditions les plus importantes résultent des bombardements alliés du 26 mai 1944, qui ont réduit à l’état de fragments la riche collection de manuscrits de la Médiathèque Municipale[5]. Les archives urbaines héritées de la période médiévale font partie des fonds les plus sinistrés. Les pertes qui les ont affectées étaient cependant déjà effectives en 1888, au moment où l’archiviste Lucien Merlet les a classées et inventoriées[6]. Au total, seuls quelques actes juridiques, vingt-et-un comptes et une copie moderne d’un registre de délibérations urbain de la fin du Moyen Âge sont parvenus jusqu’à nous. Le dossier urbain chartrain fait donc pâle figure en comparaison des riches fonds d’Amiens, de Douai ou de Reims, par exemple[7].

Par leur contenu, les comptes rédigés sous l’autorité d’officiers qualifiés de « receveurs des deniers de la ville de Chartres » constituent à n’en pas douter les documents urbains les plus intéressants pour la période médiévale[8]. Le tableau en annexe livre un aperçu de la documentation préservée. Ces comptes sont conservés aux Archives municipales de Chartres en une série continue pour les années 1377-1395, à laquelle on doit adjoindre un compte isolé datant de 1358-1359. Dans la plupart des cas, ils sont rédigés sur base annuelle. Le terme initial d’une année comptable n’est jamais fixé en référence à une fête religieuse, mais correspond à la date d’entrée en fonction du receveur des derniers. Tous les comptes du receveur Berthelot Bruyant, par exemple, commencent un 15 octobre – date de sa montée en charge – pour se terminer un 14 octobre. Berthelot Bruyant étant remplacé par Louis Noleau à partir de mai 1387, les comptes produits à partir de cette date débutent le 5 mai pour se terminer le 4 mai de l’année suivante. Quatre comptes font néanmoins exception, en couvrant une période inférieure à douze mois – ceux datés de 1379-1380, 1382, 1386-1387 et 1396-1396. Dans trois cas sur quatre, ces durées inférieures à un an s’expliquent par une sortie de charge précoce du receveur des deniers responsable de la rédaction du compte[9].

Rédigés sous la forme de registres aux dimensions assez uniformes (généralement 320 x 260 mm, avec des variations de 5 à 10 %), ces documents ont sans doute circulé de manière indépendante avant d’être reliés les uns aux autres au XIXe siècle au plus tard[10]. Ils sont tous écrits sur parchemin et doivent avoir été produits en double exemplaire, si l’on en croit certaines indications figurant dans les comptes[11]. D’un bout à l’autre, chaque compte a été écrit d’une traite par une seule et même main – à l’exception de corrections très ponctuelles ou d’ajouts de précisions qui sont parfois dus à un autre scripteur, très probablement le contrôleur. Les comptes ne sont visiblement pas rédigés par les receveurs des deniers eux-mêmes. L’écriture n’est en effet pas toujours identique au sein des comptes produits sous l’autorité d’un même receveur. La langue employée est systématiquement le français, y compris dans le compte le plus ancien. La mise en page est généralement sobre et aérée, tandis que les fioritures sont rares et extrêmement modestes (voir illustration no 1). Les comptes sont rédigés sur une seule colonne, avec indication des sommes dans la marge de droite[12]. Des traces de réglure se repèrent encore çà et là, ce qui témoigne d’un travail préparatoire à la mise en écriture. Le caractère uniforme de ces comptabilités d’un bout à l’autre de la période envisagée est frappant. Il est dès lors peu probable que le plus ancien compte conservé – celui de la fin des années 1350 – soit aussi l’un des plus anciens comptes rédigés. À Chartres, la pratique de tenir des comptes est donc très certainement antérieure au milieu du XIVe siècle. On perçoit en effet une certaine forme de routine dans l’administration de la ville, les officiers reproduisant d’année en année le même canevas dans les comptes. Le contrôle étroit exercé par l’administration royale a peut-être pu contribuer à la permanence des formes comptables, en réduisant la latitude d’initiative documentaire des autorités urbaines.

Illustration no 1 – La mise en page des comptes urbains. L’exemple du compte de l’année 1377-1378 tenu par Gilbert Hochecorne (AM Chartres, L.d.I1, f. 22r).

Les intitulés donnés aux comptes de la ville ne brillent guère par leur originalité. Ils se caractérisent par leur pragmatisme, en reflétant le contenu des registres. Ces derniers s’ouvrent par des formules stéréotypées au schéma quasiment invariable[13]. Une main médiévale, que j’estime différente de celles ayant rédigé les comptes, précise le numéro du compte dans la carrière du receveur au moyen d’un adjectif numéral ordinal suscrit dans l’interligne. Cette attention à la personne du receveur des deniers se retrouve également sur la seule couverture de registre qui nous soit parvenue – celle du compte de l’année 1377[14]. On y désigne le compte par le nom du receveur qui en a la responsabilité. Il est intéressant de noter que deux signatures figurent sur la couverture du registre : l’une semble appartenir à un responsable d’ouvriers travaillant aux fossés de la ville, l’autre à un clerc urbain – un certain Boulay –, qui prend en charge la rédaction de documents au profit de la ville et qui appose à plusieurs reprises sa signature dans les registres de comptes. À Chartres au XIVe siècle, il existe un lien très fort entre la production d’un compte et celui sous la responsabilité duquel ce dernier est produit. L’existence de ce lien se traduit par le fait que les comptes sont désignés du nom du receveur et que les comptes conservés devaient porter une indication signalant leur place dans la carrière de ce dernier.

Chaque document se scinde entre une première partie consacrée aux « receptes » et une seconde relative aux « despenses ». Au sein de ces deux grands ensembles, la structure des comptes est loin de présenter un caractère intangible. D’un document à l’autre, l’ordre et les intitulés des sous-parties peuvent varier quelque peu. Les sous-titres peu significatifs – du type « autres receptes » – ne sont en outre pas rares. Ils peuvent apparaître à plusieurs reprises au sein des mêmes documents comptables, ce qui devait obscurcir leur compréhension et compliquer leur manipulation. Certaines rubriques telles que celles consacrées aux travaux, aux gages des officiers municipaux ou aux frais de voyage se rencontrent néanmoins presque systématiquement. Les entrées et les dépenses y sont minutieusement consignées, même lorsque les sommes en jeu ne s’élèvent qu’à quelques deniers tournois[15]. La désignation de nouveaux receveurs ne semble pas induire de transformations dans la structure des comptabilités, comme cela se constate à Mons, où l’entrée en charge d’un nouveau responsable est parfois source d’innovation documentaire[16].

Si la structure des comptes n’est pas toujours des plus claires, ceux-ci semblent néanmoins tenus avec sérieux. Chaque rubrique se termine ainsi par un calcul intermédiaire des sommes engrangées ou dépensées. Celles-ci sont indiquées en chiffres romains, en livres, sous et deniers tournois. Des audits des comptes étaient également réalisés dans la maison de la ville, sans doute en présence des hommes présidant aux destinées de la cité[17]. Cette opération passait notamment par la production de « contreroulle » dont on ne possède plus de traces aujourd’hui[18]. On ne trouve pas de mention de tensions ayant émergé à l’occasion de cette phase de vérification, ce qui laisse à penser que les receveurs des deniers accomplissaient un travail de qualité. Les calculs effectués par les fonctionnaires semblent en effet corrects. Je n’ai pas repéré d’erreurs dans les quelques vérifications que j’ai entreprises au hasard des rubriques. Les mentions d’audit ainsi que les ajouts ou corrections réalisées a posteriori par le contrôleur indiquent que le receveur des deniers n’était pas totalement libre dans l’exercice de sa charge. Au contraire, il se devait « rendre des comptes » de manière chiffrée face aux autorités urbaines et aux représentants du pouvoir royal, dans l’esprit du principe d’accountability récemment mis en avant par John Sabapathy pour l’espace anglais des XIIe-XIIIe siècles[19].

Ces comptes ne représentent évidemment pas l’ensemble de la documentation produite par les autorités municipales chartraines. Sans même parler des centaines de lettres, cédules, quittances et rouleaux aujourd’hui perdus – dont il sera question dans un instant –, nous conservons toujours une trace matérielle d’autres écrits émanant des institutions urbaines et jadis conservés dans ses archives. Un rouleau des « debtes deues a la ville de Chartres » daté de 1377-1378 a été relié avec les registres comptables[20]. Il est le seul témoin matériel de l’usage du rouleau au sein de l’administration municipale. Sous l’Ancien Régime, ce document avait sans doute été exceptionnellement conservé avec le compte urbain relatif à cette même année 1377-1378, ce qui explique sa survie. Les autres rouleaux devaient être entreposés à part et ne se sont pas transmis[21]. Comme le laissent entendre les comptabilités, ils doivent pourtant avoir été produits en abondance. On conserve également la trace d’un registre de délibérations urbain à travers une copie anonyme qui semble en avoir été faite au XIXe siècle[22]. Le document original, qui devait couvrir la période 1437-1576, paraît avoir aujourd’hui disparu. Les délibérations ayant été synthétisées sous forme de tableau dans la copie, il est impossible de se faire une idée précise de l’aspect du document original ni des détails de son contenu. Les dispositions transcrites dans la copie révèlent certaines des principales préoccupations des autorités municipales au dernier siècle du Moyen Âge. Il ne semble néanmoins pas y être question de l’usage de l’écrit, si ce n’est pour relater l’envoi de messagers chargés de diffuser ou de recueillir des informations au profit de la ville.

L’écrit dans la gestion de la ville

Les comptes produits par les receveurs des deniers sont les meilleurs révélateurs de l’activité des autorités municipales chartraines. Au fil des pages, on découvre quelles sont les principales sources de financement de la ville et, plus intéressant encore étant donné le contexte politique difficile de la seconde moitié du XIVe siècle, quels sont les premiers postes de dépenses. Sans surprise, les travaux touchant l’espace urbain et la mise en défense de la cité constituent les frais les plus importants. Il ne s’agit cependant pas des seules dépenses. Les limites imposées au présent article ne permettent pas de rentrer dans le détail de chacune des rubriques. Je me focaliserai donc sur les postes de dépenses témoignant de la place occupée par l’écrit dans la gestion de la ville.

Le recours à des messagers chargés de porter des lettres aux différents interlocuteurs du pouvoir urbain est ainsi bien attestée dans les comptes. La fonction de messager semble confiée à des fonctionnaires spécifiques, tels un certain Colin Qui Trote, dont le nom se rencontre à six reprises dans la comptabilité entre 1377 et 1382[23]. Les messagers ne sont cependant pas les seuls à effectuer des missions à l’extérieur de l’espace urbain. La plupart des voyages ont pour destination Paris, où les fonctionnaires chartrains rencontrent les représentants de l’administration royale, parfois à la demande de ces derniers[24]. Le contexte politique et militaire troublé de la guerre de Cent Ans pèse sur l’accomplissement de ces missions, qui ont parfois pour objectif de solliciter un apaisement des troubles en pays chartrain ou une modération de la fiscalité royale[25]. D’autres voyages ont trait aux démêlés judiciaires dans lesquels la ville est empêtrée. À partir de 1386, des représentants de l’autorité urbaine séjournent chaque année quelques jours à Paris en vue d’obtenir un règlement du conflit opposant la ville et l’évêque de Chartres au sujet des droits sur le « chemin des prés de Reculet ». Ce conflit débouche sur un procès devant le Parlement de Paris. Une enquête impliquant l’audition d’une quarantaine de témoins et la retranscription de leur témoignage sera diligentée pour l’occasion. La ville en supporte au moins une partie des frais[26]. Une indication figurant dans le compte de l’année 1383 laisse entendre que la réalisation de tels voyages était préalablement discutée au sein de l’assemblée des représentants du pouvoir urbain[27].

Plus intéressantes encore pour notre propos sont les recettes et dépenses relatives au fonctionnement de l’administration municipale. Des débours réguliers sont constatés pour l’acquisition de matériaux de l’écrit – il en sera question ci-dessous –, pour l’achat de bois et de charbon de chauffage à utiliser lors des séances d’audit des comptes[28], pour la réalisation de travaux visant à réaménager la « chambre de la ville[29] » – c’est-à-dire le lieu où se réunissent les élus – , ou encore pour payer les gages d’hommes mettant leur maîtrise de l’écrit ou des outils comptables au service de la ville. Parmi ceux-ci, les receveurs des deniers occupent une position de choix. Leurs gages sont systématiquement mentionnés en fin de registre. Ils ne sont généralement pas négligeables – en 1381, Robin Chambli perçoit ainsi une trentaine de livres tournois, ce qui correspond à environ 4,5 % de la dépense totale de l’année[30]. Ces gages viennent rémunérer des fonctionnaires responsables de la gestion financière de la ville. Certains d’entre eux semblent être au service de l’administration municipale durant plusieurs années avant d’être nommés receveur des deniers. Tel est notamment le cas de Berthelot Bruyant, dont le nom apparaît dans les comptes de la fin des années 1370, avant qu’il ne soit désigné au poste de receveur à partir de 1382[31]. D’autres individus maîtrisant l’écrit sont également régulièrement évoqués dans les comptes. Outre l’existence de tabellions[32], les sources mentionnent la présence de clercs (de la ville, du bailli ou « de l’escripture »)[33]. Le salaire des scribes chargés de la production matérielle des comptes est régulièrement évoqué. Il est largement inférieur à celui du receveur des deniers. Ainsi, en 1381, le « sallaire du clerc d’avoir fait ce present compte » se monte à 100 sous, tandis que les gages du receveur s’élèvent à 25 livres, soit cinq fois plus[34] ! À ces salaires s’ajoute parfois une autre forme de rémunération : les étrennes, dont on trouve deux mentions dans le compte de 1377[35]. Ces agents de l’écrit travaillent en collaboration avec d’autres officiers au service de l’administration municipale, tels que des messagers, des collecteurs et des receveurs, qui, pour certains d’entre eux, devaient avoir une maîtrise minimale de l’écrit[36].

Les clercs urbains consignent également dans les comptes d’autres entrées et dépenses qui n’ont pas directement trait à la question de l’écrit. Faute de place, on ne peut les évoquer ici, même si l’étude de certains postes de dépenses pourrait s’avérer particulièrement intéressante. On songe notamment à la section « Mises pour dons et présents », attestée dans chaque compte dès 1358. Y sont mentionnés des frais pour l’accueil d’individus étrangers à l’espace urbain, comme des messagers venus d’autres villes[37], ou pour la réception d’autorités officielles et de personnages de premier plan, comme le connétable de France Bertrand Du Guesclin ou les « embassadeurs du roy de Hongrie[38] ». On note même l’engagement de ménestrels en 1382, à l’occasion d’une visite royale[39].

L’analyse du lexique utilisé dans la comptabilité s’avère particulièrement intéressante pour comprendre la place occupée par l’écrit dans la gestion de la ville. Les comptes chartrains mentionnent en effet des dizaines de documents de formes différentes dont il ne subsiste souvent plus aucune trace tangible aujourd’hui (rouleaux, cédules, chartes, « lettres scellées », registres, etc.). Si la plupart des termes employés sont peu précis et ne permettent pas de se faire une idée très claire des réalités se cachant derrière les mots, certains vocables présentent un caractère moins ambigu. Tel est, par exemple, le cas des termes « mémorial » et « mémoire », que l’on rencontre à quatre reprises dans l’ensemble des comptes. À Chartres, le mémoire semble être une compilation de pièces juridiques réalisée en vue de trancher un conflit. Ce document, qui vient en quelque sorte « faire mémoire » de la législation ancienne, semble avant tout utilisé dans des contextes de tension entre les autorités urbaines et d’autres parties[40]. Un autre terme relativement précis apparaît également dans les comptabilités, mais à deux reprises seulement dans l’ensemble des comptes, et plutôt dans un contexte judiciaire : le mot « calendrier ». On ignore la forme que prenait ce document, mais il s’agit visiblement d’une sorte de liste indiquant l’ordre dans lequel des témoins doivent être interrogés dans le cadre d’une enquête opposant la ville à un contradicteur, en l’occurrence l’évêque de Chartres[41].

Les autres termes employés dans la comptabilité chartraine pour désigner des documents écrits aujourd’hui perdus s’avèrent moins techniques. Ils n’ont qu’une faible valeur sémantique et présentent un caractère descriptif, en s’attachant tantôt à la forme, tantôt au contenu du document. Si les mots « registre », « bref » et « cédule » ne se rencontrent qu’à une seule, deux et sept reprises dans l’ensemble des comptes, tandis que le terme « livre » n’apparaît jamais au sens de « codex », une cinquantaine de « roles » et de « rouleaux » sont évoqués. Ces « rolles » sont de brefs documents comptables consultés par le receveur au moment de la rédaction du bilan de l’année comptable. Ils ont tous disparu, à une exception près – un rouleau, qui se désigne lui-même comme un « roulle », renfermant le nom des créanciers de la Ville (voir illustration no 2)[42]. Ces rouleaux sont avant tout des listes, que ces dernières concernent des biens (achetés à l’occasion de travaux, par exemple) ou des individus (généralement des créanciers ou des débiteurs de la ville). Il s’agit de documents préparatoires à la rédaction des comptes, tout comme les cédules évoquées dans les comptabilités[43]. Peut-être peut-on d’ailleurs percevoir une certaine logique en matière de production de l’écrit au sein de l’administration municipale de Chartres : alors que les documents préparatoires sont essentiellement conçus sous forme de rouleaux, les comptes finaux, destinés à être conservés sur le long terme dans la « chambre de la ville », étaient rédigés sous celle de registres[44].

Illustration no 2 – Le seul rouleau urbain chartrain conservé, 1377-1378 (AM Chartres, L.d.I1, f. 21).

Les clercs urbains chartrains recourent également, mais de manière moins fréquente, à des vocables encore plus flous, tels que « papiers » (dans l’ensemble des comptes, cinq occurrences au sens de « document ») et « escriptures » (neuf occurrences)[45]. Ces termes sont généralement employés au pluriel. À Chartres, ces mots semblent avoir un caractère assez générique et désigner tout type de document, quel que soit le support sur lequel celui-ci est rédigé. Il est difficile de faire une généralité de quelques occurrences, mais l’on remarque tout de même que lorsque le terme « papier » est employé pour désigner un document, le scripteur semble avant tout faire référence à un document de type fiscal ou comptable. En raison de l’état très lacunaire de la documentation conservée, il est difficile de déterminer si l’emploi de ce mot est à comprendre littéralement, c’est-à-dire si les écrits désignés comme des « papiers » étaient effectivement rédigés sur ce support. Des moulins à papier se rencontrent en tout cas en Île-de-France depuis le milieu du XIVe siècle ; le support est d’ailleurs régulièrement utilisé à Chartres par d’autres institutions[46]. « Escriptures » renvoie, pour sa part, à tout type de document, indépendamment de sa forme et de son contenu. Ce mot constitue sans aucun doute le terme le plus flou employé dans l’ensemble des sources urbaines chartraines.

Si la documentation médiévale issue des archives de la ville de Chartres s’avère peu abondante, l’analyse des données livrées par les comptes urbains permet de se rendre compte de toute la place jouée par l’écrit dans la gestion de l’espace urbain. Les comptabilités révèlent en effet la vaste typologie documentaire mobilisée par les officiers urbains dans leur entreprise de gestion de la ville. Il ne s’agit cependant pas du seul intérêt de ces comptes, ces documents permettant également de mieux comprendre l’approvisionnement de la ville en matériaux de l’écrit.

L’acquisition des matériaux de l’écrit

La documentation médiévale chartraine permet d’approcher une problématique que les médiévistes n’ont qu’assez peu explorée jusqu’à présent : celle de l’approvisionnement des bureaux d’écriture en matériaux de l’écrit (encre, cire à sceller, papier, etc.). À partir de l’année comptable 1382-1383, une rubrique est spécifiquement consacrée à l’achat de parchemin, de papier, d’encre et de cire à la fin de chaque compte. Des mentions d’achat de matériaux de l’écrit se rencontrent également dans les comptes antérieurs, mais de manière plus éparse. Ces indications permettent d’en apprendre un peu plus sur la manière dont les officiers de l’administration municipale se fournissent en matériaux de l’écrit, surtout lorsqu’elles sont croisées avec des analyses physico-chimiques menées en laboratoire.

Les comptes urbains font état de commandes d’encre et de cire à sceller. Les précisions à ce sujet sont peu nombreuses. Si la couleur vermeille de la cire est évoquée à une dizaine de reprises dans l’ensemble des comptes, celle de l’encre ne l’est jamais[47]. Les quantités achetées ne sont pas non plus indiquées. Les mentions concernant les supports de l’écrit sont plus fréquentes et, parfois, plus détaillées. Elles portent sur l’achat de parchemin et de papier. On ne note pas, en revanche, d’acquisition de supports destinés à l’écriture de brouillons, comme des tablettes de cire. Sans doute le papier a-t-il supplanté d’autres supports dans la phase de primo rédaction en cette seconde moitié de XIVe siècle[48]. Les sommes déboursées pour l’achat de papier et de parchemin demeurent relativement modestes lorsqu’on les compare à celles mentionnées pour d’autres postes de dépense[49]. Les achats de papier sont particulièrement intéressants, car nous ne conservons plus aujourd’hui de document médiéval en papier émanant des institutions municipales. Ces quelques indications tendent à indiquer que la ville s’est rapidement tournée vers ce matériau de l’écrit à une époque où les premiers moulins à papier s’implantaient dans le bassin de l’Essonne[50]. En cela, l’attitude des autorités municipales ne différait guère de celle autres institutions de la cité chartraine, comme le chapitre cathédral Notre-Dame ou la léproserie du Grand-Beaulieu, qui abandonnent le papier d’origine italienne pour s’approvisionner sur les marchés locaux à partir du milieu du XIVe siècle[51]. D’après le témoignage des comptes, le papier acheté par les autorités municipales sert avant tout à réaliser des documents comptables, des écrits à caractère fiscal ou des lettres closes[52]. Il est également employé pour produire les brouillons des comptes[53].

Ces matériaux de l’écrit semblent systématiquement acquis sur le marché sous leur forme définitive. Contrairement à ce que l’on rencontre ailleurs, comme à Cambrai par exemple, on ne note pas d’achats de matières premières destinées à être travaillées et transformées pour aboutir à un produit fini (« vitriol » en vue de fabriquer de l’encre, peaux qui doivent être traitées pour en faire du parchemin, etc.)[54]. On ignore néanmoins les noms des fournisseurs auprès desquels se fournit l’administration municipale. Ceux-ci sont en effet tus dans la documentation. On sait, néanmoins, que des parcheminiers étaient présents dans le pays chartrain[55] et des fabricants d’encre à Paris[56]. Les informations livrées par les receveurs des deniers dans le texte des comptes ne permettent pas non plus de déterminer si ces matériaux de l’écrit sont achetés en des quantités importantes ni si les stocks doivent être fréquemment renouvelés. À trois exceptions près portant sur des achats de « mains » de papier – c’est-à-dire des ensembles de vingt-cinq feuillets –, les quantités acquises ne sont jamais mentionnées dans les comptes[57]. Les sommes dépensées ne constituent pas de bons indicateurs pour estimer les quantités achetées ou pour déterminer si ces dernières évoluent d’année en année. Sur les quatorze comptes pour lesquels une rubrique est spécifiquement consacrée à l’achat de matériaux de l’écrit – ceux postérieurs à 1382 –, la somme dépensée pour ce poste équivaut à dix reprises à 40 sous. Trois des exceptions n’en sont en fait pas et peuvent facilement s’expliquer. Si les sommes dépensées pour l’acquisition de matériaux de l’écrit ne sont que de 20 sous en 1385-1386 et de 33 sous 4 deniers en 1395-1396, c’est parce que ces comptes ne portent que sur six et dix mois. Ramenées sur douze mois, ces dépenses se montent en fait à 40 sous, comme dans les comptes relatifs à une année complète. En 1384-1385, la somme est de 6 livres tournois, soit 120 sous, mais l’auteur du compte précise que ce montant concerne trois années comptables, c’est-à-dire celle de « ce present compte » et des « deux autres ans precedans[58] ». La seule véritable exception correspond donc à l’année comptable 1386-1387, avec une somme de 50 sous[59]. La stabilité des sommes déboursées au fil des ans pour l’achat de matériaux de l’écrit pourrait laisser à penser qu’une somme « forfaitaire » annuelle de 40 sous est allouée à ce poste de dépense. Ce montant serait adapté de manière proportionnelle lorsque le compte porterait sur plus ou moins de douze mois. Cet élément pourrait constituer le signe de l’existence d’une certaine « routine » dans la gestion de la ville, d’une connaissance assez précise des besoins de l’administration municipale en matériaux de l’écrit.

Des analyses menées en laboratoire dans le contexte du projet de recherche « EVAS – Évaluer l’activité d’un scriptorium (Chartres, XIVe siècle) » permettent de pousser plus loin la réflexion, en particulier sur la question des achats d’encre[60]. Dans le cadre de ce projet, une vingtaine d’unités documentaires datant de la seconde moitié du XIVe siècle et issues de cinq ateliers d’écritures chartrains différents – ceux des chapitres Notre-Dame et Saint-Maurice, des institutions hospitalières de l’Aumône-Notre-Dame et du Grand-Beaulieu et, enfin, celui de l’administration municipale – ont été étudiées dans les locaux du Centre de Recherche sur la Conservation des Collections (Muséum National d’Histoire Naturelle) sous deux angles complémentaires, celui de l’origine animale des parchemins et celui de la composition des encres. Les techniques employées en laboratoire ont d’abord été celles de l’analyse protéomique, grâce à laquelle il est possible déterminer quel type d’animal a été utilisé pour fabriquer le parchemin[61]. Pour l’analyse des encres métallo-galliques, la spectrométrie de fluorescence X a été employée. Cette technique révèle la nature des sulfates métalliques utilisés dans la confection des encres métallo-galliques[62]. Depuis l’Antiquité, ces dernières sont effet fabriquées à partir de trois ingrédients principaux, des extraits végétaux riches en tannins souvent préparés à partir de noix de galle, des liants tels que la gomme arabique, et des sulfates métalliques, dits aussi « vitriols », généralement collectés en milieu minier[63]. La spectrométrie de fluorescence X permet de mesurer les proportions relatives des éléments métalliques (le fer, le cuivre et le zinc dans le cas de Chartres) contenus dans les encres médiévales, des proportions qui découlent directement de la nature des sulfates employés. Partant, il est donc possible d’identifier des « signatures » caractéristiques des encres, et ainsi de distinguer les encres entre elles.

Ces analyses ont permis d’établir que seul le mouton était employé dans la confection du parchemin acquis par la ville et que toutes les encres utilisées à Chartres au cours de la seconde moitié du XIVe siècle étaient de type métallo-galliques[64]. Si l’on se focalise sur le seul cas de l’administration municipale, on repère néanmoins différentes « signatures » d’encres, les proportions de zinc, de fer et de cuivre évoluant considérablement au fil des ans. De manière schématique, on remarque d’ailleurs que les encres à forte teneur en zinc laissent progressivement place à des encres fabriquées à partir de vitriols contenant du cuivre à partir des années 1390. Ces éléments tendent à indiquer que les stocks d’encre constitués par les clercs de l’administration municipale sont régulièrement renouvelés. Le marché de l’encre semble donc bien approvisionné à Chartres dans la seconde moitié du XIVe siècle.

Ce constat est confirmé par le fait que les « signatures » des encres employées par les clercs de l’administration municipale sont parfois très similaires – voire identiques – à celles des encres utilisées dans d’autres institutions de la cité chartraine, comme l’officialité du chapitre cathédral Notre-Dame, l’église Saint-Maurice ou l’hôpital de l’Aumône-Notre-Dame[65]. Il est donc vraisemblable que ces différentes institutions s’approvisionnaient en encre sur le même marché et auprès des mêmes fournisseurs. Si l’on ne peut totalement exclure que ces achats aient parfois été effectués en commun dans le cas d’institutions entretenant des relations de proximité – comme le chapitre cathédral et l’Aumône-Notre-Dame –, ces pratiques n’ont toutefois rien de systématique, car même en cas d’attaches institutionnelles fortes, la composition des encres est susceptible de varier d’une institution à l’autre pour une même année. Des analyses complémentaires menées sur d’autres documents produits à la même époque et dans une même aire géographique seraient néanmoins nécessaires pour déterminer l’ampleur de ce marché.

Conclusion

Les archives médiévales de la ville de Chartres nous sont parvenues dans un grave état de délabrement. Des fonds médiévaux que l’on peut supposer avoir été relativement riches, il ne subsiste aujourd’hui plus qu’une vingtaine de registres comptables, quelques pièces isolées et une copie moderne d’un registre de délibérations. Si cet ensemble fait pâle figure face à d’autres dossiers documentaires bien mieux préservés, au nord comme au sud de la France, il n’en est pas pour autant dénué d’intérêt. Une analyse des données livrées par les comptes révèle toute la place jouée par l’écrit et la maîtrise des chiffres dans la gestion de la cité à l’automne du Moyen Âge. L’écrit y est devenu « ordinaire », parce que nécessaire[66]. Les comptabilités révèlent en effet que les clercs urbains recourent à une vaste typologie documentaire dans leur entreprise de gestion de la ville, des registres aux rouleaux, en passant par les cédules servant à instrumenter les transactions du quotidien. L’état lacunaire de la documentation ne permet pas, cependant, de déterminer si l’on assiste ici au développement d’une forme de « bureaucratisation », au sens où se développeraient des règles propres à l’administration urbaine[67]. Le recours à l’écrit que l’on perçoit à Chartres n’a évidemment rien d’exceptionnel dans le contexte urbain de la fin du Moyen Âge. Le cas chartrain s’apparente à bien d’autres dossiers qui lui sont contemporains, même si l’on pourrait peut-être s’étonner de l’absence de cartulaire urbain ou de tout autre document ayant pu jouer le rôle de « monument » à vocation mémorielle. À Chartres, la seule production documentée ou connue à travers des mentions indirectes est celle d’écrits remplissant une fonction pratique. L’absence de documents à caractère mémoriel pourrait néanmoins s’expliquer par l’état lacunaire des sources ainsi que par l’autonomie très limitée dont jouissaient des institutions urbaines coincées entre le pouvoir du roi et celui de l’évêque. On ne peut en effet exclure que la forte présence de ces pouvoirs en ville ainsi que la tutelle exercée par l’administration royale sur la cité aient pu peser sur l’affirmation de la communauté urbaine et sur la production de « documents-monuments » manifestant l’identité de celle-ci.

Pour produire ces chartes, registres et rouleaux, les clercs de l’administration municipale s’approvisionnent en matériaux de l’écrit sur le marché, parfois auprès des mêmes fournisseurs que les institutions ecclésiastiques et hospitalières de la cité. Une étude des comptes et des analyses physico-chimiques l’a démontré. Le fonctionnement de ce marché de l’écrit – que l’on pressent très dynamique, sans pouvoir l’établir formellement – nous échappe malheureusement en bonne partie, faute d’une documentation suffisante. Pour mieux le comprendre, il serait indispensable de multiplier les analyses sur des sources manuscrites produites dans le bassin parisien au cours de la seconde moitié du XIVe siècle, c’est-à-dire dans la même région et à une même époque que les comptabilités chartraines. Une collaboration entre sciences sociales et physico-chimie ouvrirait ainsi de nouvelles perspectives sur un aspect méconnu de l’histoire de l’écrit médiéval.

 

 

Comptes de la ville de Chartres (XIVe siècle)

 

Cote Date de rédaction

 

Support (nombre de fol.) Nom du receveur
AM Chartres, L.d.I1, fol. 1r-18v 20 janvier 1358 – 19 janvier 1359 Parchemin (18 fol.) Guillaume de la Veste
AM Chartres, L.d.I1, fol. 22r-35v 7 mai 1377 – 6 mai 1378 Parchemin (14 fol.) Gilbert Hochecorne
AM Chartres, L.d.I1, fol. 36r-44v 12 juin 1378 – 11 juin 1379 Parchemin (9 fol.) Robin Chambli
AM Chartres, L.d.I1, fol. 45r-51v 12 juin 1379 – 6 avril 1380 Parchemin (7 fol.) Robin Chambli
AM Chartres, L.d.I1, fol. 52r-80v 7 avril 1380 – 9 avril 1381 Parchemin (29 fol.) Robin Chambli
AM Chartres, L.d.I1, fol. 81r-94v 10 avril 1381 – 13 avril 1382 Parchemin (14 fol.) Robin Chambli
AM Chartres, L.d.I1, fol. 95r-102v 14 avril 1382 – 14 octobre 1382 Parchemin (8 fol.) Robin Chambli
AM Chartres, L.d.I2, fol. 1r-29v 15 octobre 1382 – 14 octobre 1383 Parchemin (29 fol.) Berthelot Bruyant
AM Chartres, L.d.I2, fol. 30r-40v 15 octobre 1383 – 14 octobre 1384 Parchemin (11 fol.) Berthelot Bruyant
AM Chartres, L.d.I2, fol. 41r-57v 15 octobre 1384 – 14 octobre 1385 Parchemin (17 fol.) Berthelot Bruyant
AM Chartres, L.d.I2, fol. 58r-74v 15 octobre 1385 – 14 octobre 1386 Parchemin (17 fol.) Berthelot Bruyant
AM Chartres, L.d.I2, fol. 75r-90v 15 octobre 1386 – 4 mai 1387 Parchemin (16 fol.) Berthelot Bruyant
AM Chartres, L.d.I2, fol. 91r-112v 5 mai 1387 – 4 mai 1388 Parchemin (22 fol.) Louis Noleau
AM Chartres, L.d.I2, fol. 113r-128v 5 mai 1388 – 4 mai 1389 Parchemin (16 fol.) Louis Noleau
AM Chartres, L.d.I2, fol. 129r-141v 5 mai 1389 – 4 mai 1390 Parchemin (13 fol.) Louis Noleau
AM Chartres, L.d.I2, fol. 142r-151v 5 mai 1390 – 4 mai 1391 Parchemin (10 fol.) Louis Noleau
AM Chartres, L.d.I2, fol. 152r-158v 5 mai 1391 – 4 mai 1392 Parchemin (7 fol.) Louis Noleau
AM Chartres, L.d.I2, fol. 159r-165v 5 mai 1392 – 4 mai 1393 Parchemin (7 fol.) Louis Noleau
AM Chartres, L.d.I2, fol. 166r-174v 5 mai 1393 – 4 mai 1394 Parchemin (9 fol.) Louis Noleau
AM Chartres, L.d.I2, fol. 175r-189v 5 mai 1394 – 4 mai 1395 Parchemin (15 fol.) Louis Noleau
AM Chartres, L.d.I2, fol. 190r-202v 5 mai 1395 – 21 mars 1396 Parchemin (13 fol.) Louis Noleau

[1] Voir notamment, parmi une bibliographie luxuriante, Michael T. Clanchy, From memory to written record. England, 1066-1307, Londres, Hodder & Stoughton Ltd, 1979, qui n’évoque toutefois qu’assez peu l’écrit urbain ; Paul Bertrand, Les écritures ordinaires : sociologie d’un temps de révolution documentaire (entre royaume de France et Empire, 1250-1350), Paris, Publications de la Sorbonne, 2015 ; Pierre Chastang, « L’archéologie du texte médiéval. Autour de travaux récents sur l’écrit au Moyen Âge », dans Annales. Histoire, sciences sociales, 63e année, 2008, p. 245-269 ; id., La ville, le gouvernement et l’écrit à Montpellier (XIIe-XIVe siècle). Essai d’histoire sociale, Paris, Publications de la Sorbonne, 2013.

[2]. Sur le concept d’innovation documentaire, voir l’introduction d’Harmony Dewez dans Du nouveau en archives. Pratiques documentaires et innovations administratives (XIIIe-XVe siècle), dir. ead., dans Médiévales, t. 76, 2019.

[3]. Alors qu’elle était déjà dominée par son chapitre cathédral, la cité est en effet devenue le siège d’un baillage royal à partir de la fin du XIIIe siècle. Sur Chartres aux XIVe-XVe siècles, voir la monographie de Claudine Billot, Chartres à la fin du Moyen Âge, Paris, Éditions de l’EHESS, 1987.

[4]. Des analyses physico-chimiques ont été réalisées sur la documentation chartraine des années 1370-1380 dans le cadre du projet « EVAS – Évaluer l’activité d’un scriptorium » (2017-2018), financé par le DIM – Domaine d’Intérêt Majeur « Matériaux anciens et patrimoniaux » et la Fondation des Sciences du Patrimoine. Sur ce projet, voir l’article de synthèse de N. Ruffini-Ronzani, Oulfa Belhadj, François Bougard, Pierre Chastang, Gaëlle Denion, Laurianne Robinet et Véronique Rouchon, « Encre, parchemin et papier à Chartres au XIVe siècle. Les matériaux de l’écrit au prisme des sciences expérimentales », à paraître, mais librement accessible sur HAL : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02292520.

[5]. À ce sujet, voir récemment « Les rescapés du feu ». L’imagerie scientifique au service des manuscrits de Chartres, dir. Anne Michelin, Laurianne Robinet et Juliette Clément, Chartres, Société archéologique d’Eure-et-Loir, 2018.

[6]. Lucien Merlet, Ville de Chartres. Inventaire sommaire des archives communales antérieures à 1790, Chartres, Imprimerie Durand, 1888.

[7]. Sur ce sujet, voir récemment les articles de Marie-Émeline Sterlin, « L’innovation documentaire à Amiens, entre création et adaptation (fin XIVe-début XVsiècle) », et d’Emmanuel Melin, « L’innovation documentaire, entre recyclage et enregistrements. Le cas du Livre Rouge de l’échevinage de Reims (XIVe-XVsiècles) », dans Du nouveau en archives…, ainsi que la thèse de Thomas Brunner, Douai, une ville dans la révolution de l’écrit du XIIIe siècle, Strasbourg, 2014, p. 569-570 (Université de Strasbourg, Thèse de doctorat inédite, sous la direction de Benoît-Michel Tock).

[8]. Ces comptes urbains ont été ont été récemment édités et exploités dans le cadre d’une étude consacrée à la mise en défense de l’espace urbain durant la guerre de Cent Ans : Thomas Lecroère, La mise en défense de la ville de Chartres dans la seconde moitié du XIVe siècle d’après les comptes municipaux, Tours, 2014 (Université de Tours, Mémoire de maîtrise inédit en Histoire et archéologie, sous la direction d’Alain Salamagne), dont le travail est accessible en ligne. Cette recherche sera bientôt publiée dans les Mémoires de la Société archéologique d’Eure-et-Loir.

[9]. Pour des raisons que je ne parviens pas à déterminer, le compte de 1379-1380 ne couvre qu’une période de dix mois, alors que le receveur reste en charge l’année comptable suivante.

[10]. Ils forment aujourd’hui deux gros volumes conservés à Chartres, Archives Municipales (AM), sous les cotes L.d.I1 et L.d.I2. D’après leur aspect (couleur du parchemin, traces d’aplatissement, etc.), il semblerait que ces documents aient subi de légères restaurations à l’époque contemporaine.

[11]. AM Chartres, L.d.I1, f. 28v (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 219) : « Pour ce present compte minner en pappier, escripre et doubler II foiz en parchemin ».

[12]. Si la pratique d’écrire les comptes en une seule colonne est courante dans l’espace français, on notera tout de même qu’une institution chartraine – celle de l’Aumône-Notre-Dame – a pour habitude de produire des comptes en deux colonnes. Sur ce riche fonds documentaire, on se reportera à Séverine Niveau, « Le salut par les œuvres : les bienfaiteurs laïcs de l’Aumône Notre-Dame de Chartres à la fin du Moyen Âge », dans Histoire, économies et sociétés, 35e année, 2016, p. 12-38, en attendant la thèse.

[13]. Ainsi, en 1378, AM Chartres, L.d.I1, f. 37r (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 82) : « C’est le compte premier des receptes et mises que a faittes Robin Chambli, receveur des deniers de la ville de Chartres, depuis le XIIe jour de juing l’an mil CCC LXXVIII que ledit Robin fut institué oudit office […] ».

[14]. AM Chartres, L.d.I1, f. 22r (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 58) : « Compte Gilbert Hochecorne, commencant en may mil IIIc XXVII et finissant en may LXXVIII ».

[15]. Par exemple, en 1385 : « A lui, pour une clef pour la chambre de la ville, xv d. » ; AM Chartres, L.d.I2, f. 69v (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 268). S’il est fréquemment question de clés et de serrures dans les comptes urbains chartrains, il ne semble pas que ces objets revêtent une dimension symbolique particulière aux yeux des clercs municipaux, contrairement à ce qui a été constaté pour l’Aquitaine par Sandrine Lavaud, « Les clés des villes de l’Aquitaine médiévale (XIVe-début XVIe siècle) », dans Le bazar de l’hôtel de ville. Les attributs matériels du gouvernement urbain dans le Midi médiéval (XIIe-XVe siècle), dir. Ézéchiel Jean-Courret, Sandrine Lavaud, Judicaël Petrowiste et Johan Picot, Bordeaux, Ausonius, 2016, p. 93-109. Il n’est ainsi jamais question de « clés de la ville » en la possession desquelles seraient investis les représentants du pouvoir urbain.

[16]. Valeria Van Camp, « La diplomatique des comptes : méthode, limites et possibilités. L’exemple de Mons, XIVe-XVe siècles », dans Archiv für Diplomatik, t. 61, 2015, p. 237-270, ici p. 245-246.

[17]. Voir, par exemple, en 1386, AM Chartres, L.d.I1, f. 33r (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 76) : « […] firent assemblée en la maison de la ville […] a oïr les comptes de la ville ».

[18]. AM Chartres, L.d.I1, f. 28v (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 219) : « Item pour pappier a faire le contreroulle et lettres closes et pour parchemin, ancre et cire […] ».

[19]. John Sabapathy, Officers and accountability in medieval England, 1170-1300, Oxford, OUP Oxford, 2014.

[20]. AM Chartres, L.d.I1, f. 21r-v (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 56-58).

[21]. D’autres institutions chartraines recourent également au rouleau, à l’instar de l’Aumône-Notre-Dame au milieu du XIVe siècle (Paris, Bibliothèque nationale de France, nouv. acqu. lat. 1972).

[22]. AM Chartres, C.1.1. (ancienne cote C.1.a.). Sur les registres de délibérations en France du Nord, voir Cléo Rager, « Les registres de délibérations municipales tenus dans les villes champenoises : enjeux politiques et innovations documentaires (XVe siècle) », dans Du nouveau en archives…, p. 93-112.

[23]. Voir Lecroère, La mise en défense…, p. 66, 71, 130, 141, 154 et 159.

[24]. AM Chartres, L.d.I2, f. 79v (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 150) : « A maistre Nicolas Lefevre et a Jaquet Nadipas, pour aler a Paris au mandement du Roy ». À Namur aussi, par exemple, les déplacements des autorités urbaines ou de ses représentants ont pour but d’entrer en contact avec le prince, ses représentants ou des villes plus ou moins proches. Ces voyages ont généralement pour but d’obtenir des informations ou des concessions sur des questions financières (Isabelle Paquay, Gouverner la ville au bas Moyen Âge. Les élites dirigeantes de la ville de Namur au XVe siècle, Turnhout, Brepols, 2008, p. 251-255).

[25]. En 1380 : « A Perrin Chiere, messaigier, pour porter lettres clouses a Senliz a maistre Nicolas Lefevre et a Jaquet Nadipas, qui estoient par dela pour parler a nossires de France pour les gens d’armes qui gastoient tout environ Chartres […] » ; AM Chartres, L.d.I1, f. 79r (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 149). En 1381 : « […] de Denis Champigneau et dudit Sequart, lesquielx estoient alez par devers le Roy, messire, pour avoir moderacion de ces nouveaux aides, si comme plus a plain est contenu ou mandement rendu a la ville […] » ; AM Chartres, L.d.I1, f. 84v (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 157).

[26]. Voir les nombreuses mentions de cette affaire dans Lecroère, La mise en défense…, p. 281, 308, 311-312, 331, 333-334, 347, 350, 363 et 418.

[27]. « A maistre Guillaume de Chastaing, qui fut a Paris devers le Roy, nostre sire, et son conseil parler des besoignes de ladicte ville, comme ordené avoit esté en assemblée pour ce par mandement des diz esleuz […] » ; AM Chartres, L.d.I2, f. 38v (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 220). Voir également Ibid., p. 169, 193, 281, 310, 432, etc.

[28]. Par exemple, AM Chartres, L.d.I1, f. 90r (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 165) : « Pour deux sacz de charbon mis en ladicte chambre […] ».

[29]. Par exemple, AM Chartres, L.d.I1, f. 90v (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 166) : « Au maistre des charpentiers qui a ouvré dedanz la chambre de la ville par II jours pour faire le porche la ou les arbalestes sont pendues ».

[30]. AM Chartres, L.d.I2, f. 94r (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 171).

[31]. Pour l’année 1377-1378, AM Chartres, L.d.I1, f. 30v (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 73) : « A Berthelot Bruyant, tabelion, pour une quittance faite et baillée a Haquin de IIc XV livres par une cedule […] ».

[32]. AM Chartres, L.d.I2, f. 79v (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 150) : « A Colin de Guingant, tabellion, pour III procuracions pour la ville baillées aux dessus diz pour accorder avecques les provinces […] ».

[33]. AM Chartres, L.d.I1, f. 15v, 30v, 73v, etc. (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 43, 73, 79, etc.).

[34]. AM Chartres, L.d.I2, f. 50v (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 100).

[35]. AM Chartres, L.d.I1, f. 28r et 30v (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 68 et 73).

[36]. Par exemple, AM Chartres, L.d.I1, f. 30r et 32v et 2, f. 53r (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 72, 75 et 253) : « A Jehan Noel, messagier, pour avoir porté lettres closes de Chartres a Paris […] » ; « Aux collecteurs de VII paroisses de la ville de Chartres, pour leur salaire de cuillir le premier tiers du fouage […] » ; « A Jehan Haquin, receveur des aides a Chartres […] ».

[37]. Par exemple, en 1358 : « A Jehan Rivier, messaigier des bourgois d’Orliens, qui aporta lettres a la ville […] » ; AM Chartres, L.d.I1, f. 16v (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 46).

[38]. Année 1377 : « A messire Bertran du Guesclin, connestable de France, pour XVIII poz de vin presentez le IIIIe jour de juing » ; AM Chartres, L.d.I1, f. 27v (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 67). Année 1395 : « Lequel vin a esté presenté de par ladicte ville aux embassadeurs du roy de Hongrie passans par ladicte ville […] » ; AM Chartres, L.d.I2, f. 192v (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 423).

[39]. AM Chartres, L.d.I2, f. 14r-v (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 199-200) : « A Sernestre l’Ermite, pour vi aulnes de drap prins achetées de lui, chacune aulne XX s. t., qui furent données aux Lorrain Georget et Joenniere, menestrelz […] » ; « A Colin le Chaucier, pour la despence faicte par les haulx menestrelx chez lui le jour que le Roy messire arriva […] ».

[40]. AM Chartres, L.d.I2, f. 85v et 124r (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 283 et 331) : « A Jehanin Champigneau, clerc des esleuz a Chartres des aides de la guerre, pour plusieurs memoires, commissions, proces et autres escriptures par lui faites en la cause mené devant les dis esleuz entre la dicte ville » ; « A maistre Jehan l’Englais, procureur du Roy nostre sire a Chartres, pour avoir porté de Chartres a Paris par devers le procureur general du Roy nostre sire le memoire du proces d’entre ledit procureur general et l’evesque de Chartres pour le fait des prez de Reculet ».

[41]. AM Chartres, L.d.I2, f. 139v-140r (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 350) : « A Gilbert Hochecorne, pour sa paine d’avoir fait les cedules et le calendrier pour examiner les tesmoings […] » ; « Item pour pappier a faire les dictes cedules et calendrier […] ». Si le recours aux enquêtes est devenu commun dans le royaume de France de la seconde moitié du XIVe siècle, il ne semble pas que la ville de Chartres fasse appel à des « experts » chargés de mettre à profit leurs connaissances dans le cadre de ces procédures. Cela se constate pourtant ailleurs, comme à Montpellier : Chastang, La ville, le gouvernement et l’écrit…, p. 355-389.

[42]. AM Chartres, L.d.I1, f. 21r-v (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 56-58).

[43]. On trouve une dizaine de mentions de ces cédules dans les comptabilités. Voir, par exemple, AM Chartres, L.d.I1, f. 30v (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 73) : « A Berthelot Bruyant, tabelion, pour une quittance faite et baillée a Haquin de IIIc XV livres, par une cedule de nossires, des comptes en laquelle quittance la commission dudit receveur est encorporée ». Sur l’usage de la liste en contexte urbain, voir Chastang, La ville, le gouvernement et l’écrit…, p. 279-315.

[44]. La « chambre de la ville » au sein de laquelle siègent les élus est évoquée à plus d’une centaine de reprises dans l’ensemble des comptes. On en trouve mention dès le premier compte conservé. Cela témoigne de son importance dans la vie de l’administration municipale. Ainsi, en 1393 : « Ce present compte receu en la chambre le lundi XXIIIe jour de mars l’an M CCC IIIIxx et treze devant Pierre Germain, lieutenant de monsieur le bailli, Gilot Boulay, lieutenant de monsieur le cappitaine, et Jehan l’Englais, procureur du Roy, nostre sire commissaire » (AM Chartres, L.d.I1, f. 91v ; édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 288).

[45]. AM Chartres, L.d.I2, f. 130r et 28r (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 338 et 218 : « […] l’ont veu apparoir par les papiers et registres du contrerouleur dudit grenier […] » ; « A Nicolas de Guingant, tabellion du Roy, […] pour plusieurs quittences, copies, procuracions, seaulx et autres escriptures par lui faictes pour ladicte ville […] ».

[46]. Caroline Bourlet, Isabelle Bretthauer et Monique Zerdoun, « L’utilisation du papier comme support de l’écrit de gestion par les établissements ecclésiastiques parisiens au XIVe siècle. Résultats d’enquête », dans Matériaux du livre médiéval. Actes du colloque du Groupement de recherche (GDR) 2386 « Matériaux du livre médiéval ». Paris, CNRS, 7-8 novembre 2007, dir. Monique Zerdoun Bat-Yehouda et Caroline Bourlet, Turnhout, Brepols, 2010 (Bibliologia, 30), p. 165-202.

[47]. AM Chartres, L.d.I2, f. 151r (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 364) : « Item pour papier a faire le contreroulle de la dicte ville, lettres closes et pour parchemin, ancre et cire vermeille pour faire les mandements et quittances de ce present compte, XL s. ». Il n’est jamais question d’une cire d’une autre couleur que vermeille. De tels achats se rencontrent également ailleurs au XIVe siècle, comme à Douai, où les précisions ne sont guère plus nombreuses (Georges Espinas, La vie urbaine à Douai au Moyen Âge, t. 1, Paris, A. Picard, 1913, p. 963).

[48]. Bertrand, Les écritures ordinaires…, p. 69-70, note ainsi que « elles [les tablettes de cire] vivent leurs dernières décennies de gloire à la fin du XIIIe siècle ». Le fait qu’elles ne soient pas mentionnées dans les comptes urbains de Chartres ne doit donc pas étonner.

[49]. Ainsi, en l’année comptable 1393-1394 évoquée à la note précédente, la somme déboursée pour l’achat de papier, de parchemin, d’encre et de cire à sceller est de quarante sous, soit moins de 0,5 % de la somme totale des dépenses sur l’année, qui s’élèvent à un peu moins de 410 livres ; AM Chartres, L.d.I2, f. 174r (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 398).

[50]. Caroline Bourlet, Isabelle Bretthauer et Monique Zerdoun, « L’utilisation du papier… », p. 165-202.

[51]. À ce sujet, voir Ruffini-Ronzani et al., « Encre, parchemin et papier… » évoqué supra, n. 4.

[52]. Par exemple, en 1387-1388, AM Chartres, L.d.I2, f. 111r (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 314) : « Pour papier a faire le contrerole, lettres closes et pour parchemin, ancre et cire pour faire les mandemens, quittances et assemblees de ce present compte ».

[53]. AM Chartres, L.d.I2, f. 189r (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 421) : « Pour ce present compte minner en papier, grossoier et doubler deux fois en parchemin et pour papier pour ce faire, c s. ».

[54]. Sara Pretto, Production et usages du livre à l’abbaye du Saint-Sépulcre de Cambrai au XVe siècle, Namur, 2019 (Université de Namur, Namur, thèse de doctorat inédite en Histoire, sous la direction de Xavier Hermand), p. 219 (pour l’année 1491-1492) et p. 220 (pour l’année 1495).

[55]. Mention d’un parcheminier au milieu du XIVe siècle à proximité de Chartres : Lucien Merlet, Inventaire-sommaire des archives hospitalières antérieures à 1790 : hospices de Châteaudun, Châteaudun, 1867, p. 9 ; Châteaudun, Archives hospitalières, B. 87 (année 1354). À Mons, au XVIe siècle, un officier urbain sera spécifiquement chargé des achats de parchemin (Van Camp, « La diplomatique des comptes… », p. 251).

[56]. M. Zerdoun Bat-Yehouda, Les encres noires au Moyen Âge (jusqu’à 1600), Paris, IRHT, 1983 (Documents, études et répertoires publiés par l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes), p. 180.

[57]. Ainsi, en 1393-1394, AM Chartres, L.d.I2, f. 173v (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 397) : « Pour une main de papier pour faire le contrerolle de la ville, XX d. ».

[58]. AM Chartres, L.d.I2, f. 55r (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 255). Il est difficile d’expliquer pourquoi les dépenses des deux années précédentes sont ici mentionnées, alors qu’elles apparaissent déjà dans les comptes de 1382-1383 et 1383-1384. Peut-être ces dépenses n’avaient-elles pu être apurées précédemment…

[59]. AM Chartres, L.d.I2, f. 111r (édité dans Lecroère, La mise en défense…, p. 314). Un début de trait devant le « l » indiquant le montant de la dépense pourrait même laisser à penser que le scribe a en fait voulu écrire « xl ».

[60]. Pour une présentation plus complète des résultats de ce projet et des données accumulées, voir Ruffini-Ronzani et al., « Encre, parchemin et papier… », à paraître, mais librement accessible sur HAL : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02292520 . On pourra également se reporter à la note de blog de id., « Les encres comme révélateurs des pratiques d’écriture : le projet EVAS », dans Le carnet de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes, en ligne depuis 2018 : https://irht.hypotheses.org/4068 . Si des analyses en laboratoire peuvent en théorie être réalisées sur les cires, cela n’a pas été le cas dans le contexte du projet EVAS, qui s’est focalisé sur la production des registres et rouleaux chartrains.

[61]. La méthodologie employée a été celle développée par Daniel P. Kirby, Michael Buckley, T. Rose Holdcraft  et al., « Identification of collagen-based materials in cultural heritage », dans The Analyst, t. 138 (17), 2013, p. 4849. Sur l’apport de ces analyses dans le cadre d’études historiques, voir l’article fondamental de S. Fiddyment, B. Holsinger, M. J. Collins et al., « Animal origin of 13th-century uterine vellum… », p. 15066-15071.

[62]. Sur cette technique, voir Oliver Hahn, Wolfgang Malzer, Birgit Kanngiesser et Burkhard Beckhoff, « Characterization of iron-gall inks in historical manuscripts and music compositions using X-ray fluorescence spectrometry », dans X-ray spectrometry, t. 33, 2004, p. 234-239.

[63]. Zerdoun Bat-Yehouda, Les encres noires…, p. 16-17.

[64]. Les résultats et les données générées dans le cadre de ce projet sont librement accessibles sur HAL. Voir Ruffini-Ronzani et al., « Encre, parchemin et papier… », à paraître, en ligne : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02292520 . On se reportera en particulier à la fig. 5, p. 27, et au tableau no 4, p. 32. À Douai, au siècle précédent, il semblerait que les parchemins employés aient été d’origines diverses (mouton, veau et chèvre) : Thomas Brunner, Douai, une ville dans la révolution de l’écrit…, p. 573-574.

[65]. Ibid.

[66]. Bertrand, Les écritures ordinaires…, notamment p. 259-273 au sujet de l’écrit urbain.

[67]. Sur cette notion de « bureaucratisation », voir Pierre Chastang, La ville, le gouvernement et l’écrit…, p. 181-184 et 421-422.

 

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Chagrin et consolation dans la Correspondance de Symmaque. La lettre comme medicina ?

Nicolas Cavuoto-Denis

 


Résumé : Symmaque (342-402) est l’auteur d’un prolifique corpus épistolaire. Souvent mal servies par la critique, ces épîtres ont été considérées comme une accumulation stérile de lieux communs (topoi), qui ne valent que pour la variété de leur agencement : cette idée donna souvent l’impression que Symmaque était un épistolier sec et sans intérêt. Or le sénateur païen n’est pas seulement ce personnage dont la mondanité a asséché l’écriture : il sait faire preuve d’une grande empathie avec ses correspondants et manifeste lui-même des sentiments d’une grande vivacité. L’article prendra pour corpus les lettres de deuil et de consolation de Symmaque, sous-genre qui a été codifié dans le domaine rhétorique, afin d’analyser la mise en scène du chagrin et de la consolation, à la fois dans une perspective littéraire et socio-culturelle.

Mots-clés : épistolarité, consolation, Symmaque, rhétorique, mondanité


Après une licence et un master de lettres classiques, à l’Université de Lyon III (major), obtention de l’agrégation de lettres classiques. Depuis 2017, doctorant contractuel à l’Université de Franche-Comté, à l’Institut des Sciences et Techniques de l’Antiquité. Travail de thèse sur la tradition dans les œuvres de Symmaque, dans une perspective littéraire et sociale. Chargé de la communication sur les réseaux sociaux du laboratoire. Travaux de recherche concernant principalement les œuvres de Symmaque (communications à ce sujet), mais participation également à un séminaire de recherche sur Macrobe (traduction).

nicolas.cavuoto.denis@gmail.com


 

Introduction

Symmaque[1] n’est pas le plus connu des auteurs de la fin de l’Antiquité : aristocrate de la deuxième moitié du IVe siècle, il est l’auteur d’une abondante correspondance (904 lettres), de 8 discours, que nous ne possédons pas intégralement, et d’un ensemble de 49 rapports rédigés à l’occasion de sa préfecture de la Ville en 384-385, les Relationes. Cet aristocrate païen est surtout fameux pour avoir défendu le paganisme dans ses derniers soubresauts, face à d’éminentes figures du christianisme comme Ambroise de Milan ou le pape Damase. Outre sa dimension idéologique et religieuse, le paganisme symmachéen, – le même que celui de la plupart des « derniers païens » -, est plus souvent un paganisme culturel[2], c’est-à-dire un ensemble de valeurs traditionnelles liées à l’exaltation de la culture classique. Ces cercles d’érudits, mus par une éducation et une culture communes, fournissent un cadre d’expression privilégié à la mondanité, créant ainsi une société d’élite, qui se reconnaît grâce à des codes littéraires. La littérature épistolaire est l’un de ces signes de reconnaissance car elle permet la manifestation de la puissance politique[3] et de l’érudition de ceux qui s’y adonnent : elle permet de créer un lien socio-politique entre les puissants de l’Empire, qui vivent toujours une plume à la main.

Symmaque est l’un des représentants de cette pratique littéraire et sociale, grâce à son abondante correspondance : toutes les 904 lettres qui ont été conservées ne sont pas d’égale valeur, dans la mesure où certaines constituent de réels morceaux de bravoure, d’une élégance remarquable, tandis que d’autres ne sont que des billets d’une brièveté souvent moquée[4]. Le point commun de tous ces textes de Symmaque est le recours à des topiques, c’est-à-dire à des lieux communs qui fonctionnent comme une réserve de motifs littéraires dans laquelle les auteurs viennent puiser des thèmes et des idées[5] . En fait, les topoi sont un réservoir presque infini, un « garde-manger littéraire[6] » (litterarum penus) à la source duquel un homme de lettres peut venir puiser des idées pour exprimer tel ou tel sentiment. Il existe autant de topiques qu’il y a de sentiments humains ; l’un d’entre eux, néanmoins, est l’un des plus importants car il est lié au « devoir d’association[7] », c’est-à-dire à l’impératif social de partager les bonnes et les mauvaises nouvelles avec son correspondant. Il s’agit de l’expression du chagrin et de la consolation[8], qui devient un lien puissant entre les hommes, dans la mesure où elle met en scène des sentiments communs à l’ensemble de l’humanité. Le cadre épistolaire est propice à l’expression du deuil, puisqu’il est un moyen d’annoncer – de faire part – du décès de quelqu’un ou de partager son chagrin avec son correspondant, dans le but de trouver du réconfort auprès de lui : le deuil permet donc de mettre en scène l’intimité entre les épistoliers. Toutefois, il ne faut pas oublier que les lettres de Symmaque reposent principalement sur un élément topique : aussi l’enjeu de cette étude sera-t-il de montrer la tension entre la sincérité de l’expression du deuil et les formulations protocolaires et « préfabriquées » de ce chagrin. Enfin, il s’agira également de souligner l’inflexion opérée sur les lettres qui se parent d’une fonction performative forte, en dépassant leur « littérarité » pour devenir des medicinae, c’est-à-dire des remèdes[9].

Genre très pratiqué dans l’Antiquité, la « consolation[10] » se divise en deux éléments successifs.  Ménandre nous souffle cette bipartition[11], en considérant que la première partie est l’expression du deuil et la seconde, la consolation à proprement parler. Il s’agit d’un « genre polymorphe[12] », puisqu’entre les consolations de la Grèce classique et la Consolation de Philosophie de Boèce, à la fin de l’Antiquité, il connut de nombreuses formes, allant de la simple lettre au discours, en pouvant être également un traité philosophique : il existe donc de multiples traditions littéraires et philosophiques liées à l’expression du deuil, qui a également des implications religieuses et sociales[13]. Nous reprenons la bipartition de Ménandre pour l’appliquer aux lettres de Symmaque, afin de montrer les différents enjeux de la consolation chez notre auteur.

La première partie de la consolation : l’expression du deuil et du chagrin

À n’en pas douter, Symmaque fut très attristé par la mort de ses frères, et en particulier par celle de Celsinus Titianus[14] : son écriture porte les marques de ce chagrin aussi violent qu’intime. Pourtant, la mort ne relève pas strictement de la sphère du privé, puisqu’il est d’usage de partager son chagrin avec ses amis. Cet officium d’association constitue l’un des socles de l’amicitia latine : l’épistolier doit lutter contre lui-même, affronter son affliction et espérer, par l’intervention bienveillante d’un destinataire, la consolation, donc le soulagement. La violence du chagrin (luctus) symmachéen est mise en scène pour ses frères[15], mais également pour la perte de Nicomaque Flavien (Epist. IX, 10). De façon topique, Symmaque écrit que son chagrin met en péril le processus épistolaire, comme l’atteste l’Epist. IX, 10 : « Rudement frappé par le trait de la Fortune, maintenant, je confie pour la première fois à une lettre mes mots pleins de chagrin. En effet, je ne devais pas différer plus longtemps l’exécution de mes devoirs, puisque la douleur d’une si grande blessure ne saurait être abolie par un temps plus long[16]. » Le « trait de la Fortune » (Fortunae telum), métaphore qui revient dans l’Epist. IX, 123 (Fortunae tela) et dans l’Epist. I, 100 (Fortunae uulnera), est à l’origine d’une blessure morale et psychologique : il convient néanmoins de se rendre compte des implications physiques de cette douleur[17]. En effet, le uulnus, c’est avant tout la plaie, le coup reçu au corps : par un glissement sémantique traditionnel[18], l’épistolier convertit la douleur morale en meurtrissure physique. Ce phénomène est assez fréquent pour désigner le chagrin, puisqu’il revient dans plusieurs lettres de deuil, comme dans la lettre I, 54 : « Blessé par la mort de mon frère, mon âme est torturée par une douleur sans fin[19]. » Vulneratus (« blessé »), doublé par le verbe discrucior (« être torturé »), s’inscrit dans le champ sémantique de la douleur physique pour désigner le chagrin. L’image de la torture est très forte car elle s’inscrit dans une continuité temporelle infinie (continuo dolore), qui sert d’hyperbole pour désigner le deuil de l’épistolier. Les métaphores du tourment, souvent défraîchies par des siècles de reprise littéraire, deviennent de plus en plus violentes, les auteurs tentant de renouveler l’originalité dans l’expression des sentiments.

L’image de la violence physique utilisée par Symmaque procède de son expérience personnelle : il vit la mort de son frère comme un combat. Ainsi, la lettre III, 6 développe le champ lexical de la lutte : « Mais comme ce malheur nous a trouvés déjà désarmés, mon propre chagrin en a encore grandi. Maintenant se ravive aussi ce qui, les jours passant, s’était engourdi car sous la douleur du dernier coup même se rouvrent les plaies anciennes[20]. » Cet extrait recrée l’univers d’un champ de bataille, en particulier avec les termes inbecillus, ictus, plaga, dolor, ou encore, un peu avant cicatrix et uulnus. C’est bien l’image d’un combat qu’utilise ici Symmaque pour désigner le chagrin : la lutte est celle de l’épistolier contre lui-même et contre sa tristesse. Par un système d’oppositions entre la force et la faiblesse (inbecilliores/casus), l’instant et la durée (nunc/diuturnitas), le récent et l’ancien (nouissimus/ueteres), l’épistolier met en scène les combats qu’il doit mener en lui-même. Dans ce passage, tout montre le chagrin de l’épistolier, mais la forme en est particulièrement sophistiquée : le jeu d’oppositions dans des phrases brèves trahit le savoir-faire rhétorique de l’épistolier, dont l’art de la breuitas est l’une des caractéristiques[21]. Même si sa douleur est réelle et sincère, l’épistolaire symmachéen déploie un luxe de lieux communs pour parler de la mort et du chagrin. Pourquoi autant de maniérisme dans l’expression de l’affliction ? Sans doute la tristesse empêche-t-elle l’épistolier de parler autrement que par des topoi : la douleur freine la création littéraire et annule la volonté « d’originalité » de l’épistolier. La topique devient la condition de possibilité de l’écriture, sans laquelle l’auteur ne pourrait trouver la force d’écrire. Symmaque n’essaye plus de réfléchir ou d’infléchir la tradition littéraire, il s’en empare par facilité et par nécessité. Bref, pleurer la perte d’un être cher, frère ou ami, se fait par l’utilisation de lieux communs, qui tient moins, nous semble-t-il, à la volonté de s’inscrire dans une tradition littéraire qu’à la possibilité de puiser dans un mode de pensée facile d’accès. Empêchant l’écriture épistolaire[22] et la création littéraire, le deuil ne doit pas être prolongé et seule la consolation d’un ami peut le raccourcir.

La seconde partie de la consolation : le « discours de consolation » (λόγος παραμυθητικός) et la « consolation » (solacium)

La consolatio est une figure topique de l’épistolarité latine autant que de la rhétorique[23]. Si Cicéron évoquait déjà, dans une lettre à Lucius Luccéius, les bienfaits de la consolation, associée à la philosophie stoïcienne de son correspondant[24], Symmaque fait également écho à ce thème qui lui est cher, en particulier après la mort de son frère et de Nicomaque senior. Il convient toutefois de distinguer ces deux consolationes : dans la lettre de Cicéron, ce dernier remercie son correspondant de lui offrir une lettre de consolation, ce qui n’est, en fait, qu’une occasion de disserter sur la différence entre les maux publics et privés. La consolation cicéronienne n’est qu’un prétexte à l’écriture philosophique. La démarche symmachéenne est toute différente : la consolation (solacium) a principalement une dimension topique, puisqu’elle sert à éprouver le lien entre les correspondants. Justesse dans les propos, délais respectés et exhortations sont autant d’éléments constitutifs du « devoir de consolation » (officium solacii) attendus par l’épistolier. En effet, la lettre I, 100 théorise le solacium comme activité sociale et littéraire qui, par là même, possède ses propres codes. Symmaque rappelle que la consolation doit être apportée au bon moment[25], pour ne pas trop différer le témoignage d’amitié : « Les réconforts arrivés trop tard renouvellent la douleur et, pour cette raison, nous devons tous deux nous astreindre au silence sur nos malheurs, afin que les blessures de la Fortune, qui se cicatrisent à mesure que le temps passe, ne se remettent pas à saigner pour avoir été touchées mal à propos[26]. »

La métaphore physique (cicatrix, uulnus, crudesco) du deuil est ici exploitée à des fins pédagogiques : l’épistolier explique à Syagrius[27] que le choix du moment est très important dans le processus de consolation. En effet, un serum solacium (« consolation tardive ») ferait plus de mal que de bien au bénéficiaire car il ravive une douleur, peut-être éteinte depuis lors. Outre le choix du moment opportun, compris dans l’opposition entre ce qui est fait (per)opportune (« (fort) à propos ») et intempestiue (« mal à propos »), il faut remarquer que Symmaque n’emploie pas le même ton selon la consolation qui est requise. La consolation pour un deuil doit être plus sophistiquée que celle pour un voyage un peu mouvementé : il existe donc plusieurs degrés de consolation et plusieurs sous-genre d’officia solacii (« devoirs de consolation »). Le plus « léger » est celui de la compassion pour un tracas du quotidien, exprimé par ces mots de Symmaque à son ami Ausone[28] : « Je crois que vous vous remettrez de votre voyage par des consolations de cette sorte[29]. » Dans cette lettre, Symmaque préfère utiliser le verbe recreari (« se remettre ») à solari (« consoler »), ce qui témoigne de la légèreté du souci : en effet, le problème d’Ausone est un voyage professionnel, qui lui cause des tracas. La consolation consiste ici à détourner Ausone de son tourment grâce à la conversation épistolaire (adsiduitas colloquii) qu’il entretient avec Symmaque.

De même, Symmaque fait l’objet d’une consolation qu’il qualifie tantôt de solacium (« consolation »), tantôt de leuamen (« soulagement »), comme dans la lettre I, 54, qui présente les deux occurrences : « Contre mon chagrin, vous m’avez apporté un grand soulagement (solacium). […] Au milieu de mes soucis présents, j’ai reçu un apaisement (leuamen) qui ne manque pas de valeur[30]. » Le début de cette lettre permet de comprendre le schéma d’une consolation pour Symmaque : tout commence avec le chagrin (maestitia), placé en début de phrase, puis l’ami console son correspondant affligé, afin de lui apporter un soulagement (leuamen), qui est le stade final de la consolation, l’aboutissement vers lequel tendent les correspondants. Implicitement, l’épistolier rappelle que la consolation s’accomplit dans le soulagement. La reconstruction après le deuil est un travail collectif autant qu’individuel, social autant que personnel. En effet, Symmaque évoque le plus souvent le travail du deuil comme une mission à mener à plusieurs, dans la mesure où il est soumis à la bienveillance de ses amis. Le solacium semble surtout être la responsabilité du groupe social auquel on appartient, même s’il n’oublie pas de mentionner très ponctuellement l’entreprise intime que représente la consolation, comme dans la lettre IX, 78 : « Je crois que vous vous étonnez de ce que, encore dans la rude souffrance que m’infligea la Fortune, j’aie rompu le silence. Voilà mes consolations : par elles, je me nourris, par elles, je me ressaisis[31]. » Lorsqu’il évoque ici l’étonnement de son destinataire (miraris), il explique, en creux, qu’il n’a pas fait ce que l’on attendait de lui. Traditionnellement, le deuil fait plonger sa victime dans le mutisme[32] : ce silence est suivi par la consolation. Or, dans cette lettre, Symmaque montre qu’il ne « respecte » pas cette première période du deuil qu’est l’aphasie[33]. Bref, une nouvelle étape s’ajoute dans le processus de la consolation : le chagrin, le deuil personnel, la consolation amicale et le soulagement.

Pour comprendre comment la consolation est mise en scène, il convient d’analyser une lettre de consolation écrite par Symmaque. Prenons l’exemple de l’Epist. IX, 123, dont le destinataire nous est inconnu :

Je tirais de vos lettres de multiples plaisirs. Aujourd’hui, vous assombrissez l’esprit de votre lecteur avec vos plaintes pleines de larmes. Où est cette sagesse, qui, par des qualités naturelles et par vos lectures d’auteurs anciens, vous avait fortifié contre tous les traits de la Fortune ? Donnez-vous l’endurance qui convient à un homme et cessez de pleurer ce qui ne peut être changé. […] Pourquoi perdre votre temps dans l’engourdissement et l’inaction et alimenter une douleur démobilisatrice sans vous soucier de votre patrimoine ? Occupez-vous de ce qui vous reste[34].

Cette lettre tente de consoler un père dans une affaire de famille qui, apparemment, tourna en sa défaveur. L’épistolier oppose d’abord deux temporalités : ante et nunc, qui correspondent à deux états d’esprit. À la uoluptas (« le plaisir ») d’autrefois, s’opposent les plaintes larmoyantes d’aujourd’hui (lacrimabilis conquestio). Puis la consolation tourne à l’exhortation pour piquer le destinataire et le faire réagir : les interrogations rhétoriques viennent remettre en question le comportement du père, qui a oublié tous les préceptes de sagesse que sa nature (naturae bonum) et sa culture (ueterum lectio) lui ont inculqués. L’exhortation à se ressaisir se manifeste également par les tournures injonctives (adsume, desiste, sint). Flatter son destinataire sur sa culture et ses qualités permet de le piquer avec plus de force ensuite. L’exhortation apparaît donc comme un élément central de la consolation[35] : en effet, la vivacité de cette lettre cherche à redonner courage au destinataire, pour éviter la perte d’énergie, contraire à l’éthique aristocratique. La consolation est un officium (« devoir ») épistolaire et correspond donc à un pan de l’éthique des grandes familles romaines de la fin de l’Antiquité. En somme, pour atteindre le soulagement, il existe autant de τέχναι ἀλυπίας (« procédés de consolation[36] ») qu’il peut y avoir de sortes de tracas : le but commun est de trouver un remède aux maux de son destinataire afin de le soulager de son chagrin. La perspective est encore différente quand elle se place sous la plume des chrétiens, qui « modifient profondément le genre[37] » de la consolation. En effet, le langage chrétien de la consolation cherche à atteindre le même but que la pratique traditionnelle – donc païenne – à savoir le soulagement, en empruntant des chemins différents, qui ne sont pas la morale mais la foi. Il n’en demeure pas moins une quête de l’écriture comme un remedium au chagrin.

Consolation et remedium : la lettre comme medicina. Un épistolaire thérapeutique ?

« La répétition d’une jouissance (i.e. celle d’une correspondance assidue) est une médecine[38] », écrit Symmaque à Eutrope pour l’enjoindre à écrire des lettres : l’utilisation d’une métaphore médicale répond très logiquement à la conception physiologique du chagrin. En effet, si la tristesse est une douleur autant physique que psychologique, il est normal de parler en termes médicaux de la guérison. Nous l’avons dit, le réconfort et la consolation sont possibles grâce à une conversation amicale : la lettre devient alors le remède contre l’affliction. La bonne exécution des officia épistolaires est l’un des moyens de guérir d’un profond chagrin, comme l’atteste l’Epist. I, 54 : « Il vous reste à vous consacrer à l’exécution assidue d’un devoir de cette nature qui, vous le reconnaissez, procure quelque remède à mon infortune et à mon chagrin[39]. » La conversation épistolaire conçue comme un échange d’officia apparaît comme le moyen pour lutter contre les malheurs (infortunium[40] et maeror). La métaphore de la lettre-thérapeutique est filée dans la lettre IV, 17 :

Symmaque à Protadius. Mon âme est certes bien malade et, devant un si grand chagrin, incapable d’accomplir ses devoirs, pourtant, jamais la fortune ne pourra faire que, vaincu par l’affliction, je me dissimule l’honneur que vous me faites. Plus encore, de ces baumes, je fais un remède pour ma blessure. Et, bien qu’ils soient insuffisants pour faire face à l’ampleur de ma tristesse, ils m’apportent cependant la médecine bien efficace de vos paroles. Ce que j’espère, vous le comprenez : apportez une aide, si bon vous semble, due à l’amitié, qui sera utile à mon âme malade. Adieu[41].

La métaphore de la lettre comme thérapie aux chagrins est particulièrement développée dans cette lettre. S’y opposent les deux polarités de la topique, d’une part la maladie de l’âme et d’autre part la guérison grâce à la lettre. Incapable d’accomplir ses devoirs sociaux et mondains, l’âme triste trouve sa consolation dans le remède que constitue la conversation. L’abondant lexique de la maladie et de la guérison inscrit cette épître dans une topique : aeger animi, luctus, maeror, uulnus, dolor et aeger animus évoquent la plaie du chagrin et la douleur du deuil en termes médicaux ; à l’inverse, remedia, medicina (efficacissima) et delenimentum relèvent du champ sémantique de la guérison. La topique de la maladie ne fait que mieux ressortir celle de la lettre comme thérapie (medicina tui sermonis). Cette épître incarne la conversion de la lettre en pharmakon (remède) littéraire : la maladie de l’âme est soignée par la conversation épistolaire et par l’amitié entre les correspondants. La dimension performative de ce texte est explicitée par le dernier terme de la lettre (profuturam) qui, par l’usage du participe futur, ouvre sur une autre dimension qui n’est plus seulement littéraire : l’épistolier souligne que la lettre que lui enverra Protadius « sera utile » pour sa guérison, c’est-à-dire dans un temps hors-lettre. On retrouve ainsi la tension entre la réalité des sentiments et la littérarité de la consolation, dans un rapport dialectique, qui oscille entre deuil (réel), consolation (littéraire) et soulagement (réel). Il y a une alternance entre la lettre et le hors-lettre, qui est spécifique au processus de consolation.

Conclusion

La consolation constitue un lieu commun particulièrement en vogue dans l’épistolarité antique[42] : à travers les métaphores traditionnelles de la maladie et de la médecine, l’épistolier met en scène son chagrin ou son réconfort de façon topique. Son respect de la tradition épistolaire s’explique par le fait qu’il écrit à un moment où il ne peut et ne doit pas faire preuve d’originalité. Sans doute serait-il mal venu, alors qu’il est en proie à un chagrin violent, de s’épancher avec un langage fleuri. Si le chagrin n’est pas propice aux exercices de style, la consolation, conçue comme une mise à l’épreuve de l’amitié, permet une plus grande liberté littéraire. En effet, le logos paramythétikos (« discours de consolation ») est un genre rhétorique avant d’être une expression intime. Il y a donc une disparité entre les deux parties de la consolation conçues par Ménandre : la première, l’expression du chagrin, est intime et personnelle, alors que la seconde est plus rhétorique et protocolaire, puisque l’auteur de la consolation exhorte son correspondant à se ressaisir et à se réapproprier la dignitas aristocratique. Chez Symmaque, les lettres de tristesse et de consolation se structurent autour d’architectures littéraires et topiques variables, mais toujours empreintes d’une émotion rare dans l’épistolaire de cet aristocrate, que l’on a souvent jugé d’une austérité excessive.


[1] Il existe une abondante bibliographie historique au sujet de Symmaque, étant donné ses fonctions politiques dans l’Empire tardif : voir en particulier Cristiana Sogno, Q. Aurelius Symmachus : a Political Biography, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2006, pour un compte-rendu biographique récent, mais aussi les introductions dans la CUF de notre édition de référence, due au travail de Jean-Pierre Callu : Symmaque, Correspondance, trad. Jean-Pierre Callu, 4 tomes, Paris, Les Belles Lettres, 1972-2003 et Sym., Discours et Rapports, tome V, trad. Jean-Pierre Callu, Paris, Les Belles Lettres, 2009.

[2] Sur le paganisme culturel en général, voir Gaston Boissier, La fin du paganisme. Études sur les dernières luttes religieuses en Occident à la fin du IVe siècle, 2 tomes, Paris, Hachette, 1891, p. 234 et suivantes ; la notion de paganisme culturel est centrale dans l’œuvre de Macrobe, qui met en scène Symmaque dans son banquet fictif des Saturnales : sur ce point, voir Benjamin Goldlust, Rhétorique et poétique de Macrobe dans les Saturnales, Turnhout, Brepols, 2010, p. 14 et suivantes.

[3] L’assiduité des échanges épistolaires est permise par un otium tout aristocratique ; par ailleurs, la dimension matérielle (support d’écriture, courrier, etc.) est également un indice de l’élitisme de cette pratique.

[4] Le livre I de la Correspondance est le plus sophistiqué, ce qui explique qu’il ait focalisé l’attention de la critique (littéraire et historique) : Philippe Bruggisser, Symmaque ou le rituel épistolaire de l’amitié littéraire : recherches sur le premier livre de la Correspondance, Fribourg, Éditions universitaires de Fribourg, 1993. Le livre VIII, en revanche, compte de nombreux billets (44/74), qui ont souvent un intérêt littéraire assez limité. Voir Étienne Évrard, « Formulaire conventionnel et information dans la correspondance de Symmaque », Epistulae Antiquae II, Actes du IIe colloque international Le genre épistolaire antique et ses prolongements européens, Tours, Université François Rabelais, 28-30 septembre 2000, Peeters, Louvain-Paris, 2002, p. 279 et suivantes.

[5] Ernst Robert Curtius, La littérature européenne et le Moyen-Âge latin, trad. Jean Bréjoux, Paris, PUF, 1956 (1e édition : 1954), p. 149 : « Parmi les antiques bâtiments de la rhétorique, la topique constitue les magasins. On y trouve les idées les plus générales ». Voir également Christophe Jacon (La sagesse du discours : analyse rhétorique et épistolaire de Corinthiens, Genève, Labor et Fides, « Actes et Recherches », 2006, p. 53), qui présente les différentes catégories topiques des lettres établies par Démétrios de Phalère, Proclus et le Pseudo-Libanios : Démétrios de Phalère, Τύποι πιστολικοί, Epistolographi Graeci, R. Hercher (dir.), Paris, Firmin Didot, 1873, p. 1-6, mentionne 21 formes topiques de lettres, alors que Proclus, De forma epistolari, Epistolographi Graeci, R. Hercher (dir.), p. 7-13, distingue 41 formes topiques d’épîtres. Outre Démétrios et Proclus, l’introduction des Epistolographi Graeci, p. 1-16, rapporte les théories épistolaires ébauchées par Philostrate, Grégoire de Nazianze et Photios.

[6] Sur l’image du « garde-manger littéraire » empruntée à Aulu Gelle (Gell., Noct. Att., Praef. 2), voir Benjamin Goldlust, Rhétorique et poétique…, p. 172-173.

[7] Le « devoir d’association » est une idée reprise à Philippe Bruggisser, Symmaque ou le rituel épistolaire…, p. 9-13.

[8] Il est difficile de comptabiliser les lettres de chagrin, dans la mesure où ce dernier apparaît dans des cadres très divers  (la lettre I, 82 (« Assurément, votre silence m’est insupportable : ce genre de plainte est habituel à ceux qui aiment… ») manifeste une forme de tristesse, mais peut-on en faire une lettre de chagrin stricto sensu ?). Pour ce qui est des lettres de consolation, on peut estimer qu’elles représentent environ 5% de la production épistolaire, soit une cinquantaine de lettres, ce qui justifie que certains florilèges médiévaux aient regroupé les lettres de consolation de Symmaque, au même titre, par exemple, que les lettres de recommandation.

[9] Marie-Ange Calvet-Sebasti, « La lettre, remède souverain chez les auteurs grecs chrétiens » in Patrick Laurence et François Guillaumont (dir.), Les écritures de la douleur dans l’épistolaire de l’Antiquité à nos jours, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2010, p. 325-338 et Soigner par les lettres : la bibliothérapie des Anciens, Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, « Métis », 2017.

[10] La « consolation » trouve ses origines dans le Phédon de Platon, dans lequel Socrate console ses disciples de sa mort prochaine. Issue de la tradition stoïcienne, la consolation est un « genre » principalement illustré par Sénèque (consolation à Marcia et à Helvia), Boèce (Consolation de Philosophie) puis par Montaigne ou Bossuet. Pour une étude sur les enjeux rhétoriques de la consolation, voir Claudie Martin-Ulrich, « Présentation : consolation et rhétorique », Exercices de rhétorique [en ligne], 9, 2017 et surtout Greek and Roman Consolations. Eight Studies of a Tradition and its Afterlife, Han Baltussen (dir.), Swansea, Classical Press of Wales, 2013.

[11] Voir le Περ παραμυθητικο (Traité, 413, 5-414, 30) de Ménandre le Rhéteur, dans sa traduction anglaise : Donald Russell et Nigel Wilson, Menander Rhetor, Oxford, OUP Oxford, 1981, p. 160-164 et Ménandre le Rhéteur, « Du discours de consolation », trad. Henri Caffiaux, dans Henri Caffiaux, De L’Oraison funèbre dans la Grèce païenne, Valenciennes, Imprimerie B. Henry, 1864, p. 276-278 : « après avoir fait parler la douleur de façon croissante, vous passerez à la seconde partie de votre discours, la consolation elle-même ». Les écritures de la douleur dans l’épistolaire de l’Antiquité à nos jours, op. cit., p. 309-365 : « La consolation ».

[12] Sabine Luciani, « Lucrèce et la tradition de la consolation », Exercices de rhétorique [En ligne], 9, 2017, §6.

[13] Pour comparer avec l’époque classique, voir Francesca Prescendi, « Le deuil à Rome : mise en scène d’une émotion », Revue de l’histoire de religions, 2, 2008, p. 297-313, qui montre que, dans la littérature classique au sens large (Cicéron, Pline, Sénèque), les manifestations du deuil sont codifiées, selon le genre – homme ou femme –, l’âge du défunt, ou son rang. « La lamentation, écrit-elle, peut se comprendre comme expression privée et spontanée mais aussi comme une manifestation organisée, collective et rituelle » (p. 301-302).

[14] Celsinus Titianus meurt en 380. Voir John Robert Martindale, The Prosopography of the Later Roman Empire (= PLRE), Cambridge, Cambridge University Press, 1971, I, p. 917-918, n° 5.

[15] Epist. I, 54 ; I, 100-101 ; III, 6 ; IV, 17 ; IX, 10 ; IX, 78  et IX, 113.

[16] Epist. IX, 10, 1 : Fortunae telo grauiter sauciatus nunc primum epistulae maesta uerba committo. Neque enim diu ab officio debui temperare, cum tanti uulneris dolor nulla temporis diuturnitate possit aboleri.

[17] Giovanni Alberto Cecconi, « L’ipocondria di Simmaco. Critica a un piccolo mito storiografico », Hommages à Carl Deroux, P. Defosse (éd.), II, Bruxelles, Latomus, 2002, p. 466-476, dénombre les lettres dans lesquelles Symmaque se plaint de douleurs corporelles (en particulier la goutte). Il en conclut que l’épistolier ne se plaint pas plus de ses maux que ses contemporains… Sans doute faudrait-il ajouter les épîtres où il évoque son chagrin, souvent en terme de douleur physique.

[18] Comme le rappelle le dictionnaire étymologique (Alfred Ernout et Antoine Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, Klincksieck, 2001 (4e édition), p. 749), le glissement sémantique existe déjà à l’époque classique.

[19] Epist. I, 54 : Fratris obitu uulneratus, continuo animi dolore discrucior.

[20] Pour cet extrait, nous donnons la très belle traduction de Jean-Pierre Callu dans son édition. Epist. III, 6 : At ego, quanto inbecilliores nos iste casus inuenerit, magis doleo. Nunc et illa crudescunt, quibus stuporem diuturnitas fecerat. Ictus enim nouissimus etiam ueteres plagas dolore rescindit.

[21] Il est à noter également que les clausules măgĭs dŏlĕō et diutūrnĭtās fēcĕrăt sont cicéroniennes : il s’agit d’un péon et d’un double crétique (voir Louis Nougaret, Traité de métrique latine classique, Paris, Klincksieck, 1986 (4e édition), §330 et 329a). Le rythme, naturel dans la langue latine, est ici exploité à des fins esthétiques car ces clausules appartiennent à un style considéré comme pur par les orateurs tardo-antiques, puisqu’il est celui de Cicéron. Pour l’art des clausules symmachéennes, voir Louis Havet, La prose métrique de Symmaque et les origines métriques du cursus, Paris, Émile Bouillon, 1892.

[22] « Je suis empêché par la douleur d’avoir perdu mon frère » (Luctu amissi fratris inpediar), lit-on dans l’Epist. I, 101.

[23] Ernst Robert Curtius, La littérature européenne…, p. 100-102 ; Stanley Stowers, Letter Writing in Greco-Roman Antiquity, Philadelphie, Wayne A. Meeks editor, « Library of Early Christianity », 1986, p. 142 et suivantes. Quintilien en parle déjà comme un genre rhétorique dans Quint., I. O., X, 1, 47.

[24] Epist. ad Fam. V, 13 (= Epist. DLXVI), dans Cicéron, Correspondance, tome VII, trad. Jean Beaujeu, Paris, Les Belles Lettres, 1980 : « La consolation que m’apporte votre lettre m’est très chère » (Ipsa consolatio litterarum tuarum mihi gratissima est). De façon générale, voir Emmanuelle Valette, « “Cura ut ualeas”. Santé et épistolarité dans la correspondance de Cicéron », Soigner par les lettres. La bibliothérapie des Anciens, op. cit., p. 21-56. Pour le lien entre philosophie stoïcienne et consolation, voir Laure Hermand-Schebat, « Stoïcisme et christianisme dans les lettres de consolation de Pétrarque », Stoïcisme et christianisme à la Renaissance, actes du XXIIIe colloque tenu à la Sorbonne le 10 mars 2005, Alexandre Tarrête (dir.), Paris, Éditions rue d’Ulm, 2006, p. 17-33.

[25] Le « bon moment » est un élément central de l’écriture symmachéenne : en effet, le kairos (occasio en latin) est l’un des critères de la réussite d’une lettre selon notre épistolier.

[26] Epist. I, 100 : Instaurant dolorem sera solacia et ideo mutuum silentium calamitatibus nostris praestare debemus, ne fortunae uulnera, quae cicatricem processu temporis ducunt, intempestiue contrectata crudescant.

[27] Syagrius (PLRE, I, p. 862-863, n° 3) fut magister officiorum de Gratien, proconcul d’Afrique, préfet de Rome (381), préfet du prétoire d’Italie et consul en 382.

[28] Ausone (PLRE, I, p. 140-141, n° 7) est l’une des figures les plus importantes de la correspondance de Symmaque (Epist. I, 13-43) car il est le destinataire des lettres les plus sophistiquées. Il fut un proche de la famille impériale (précepteur de Gratien), eut une carrière politique remarquable (questeur du palais, préfet du prétoire des  Gaules, consul et proconsul d’Asie) et une œuvre littéraire abondante, en prose (la Gratiarum actio, par exemple) et en vers (la Moselle, Bissula…). Ami de Symmaque, il fut également le précepteur de Paulin, évêque de Nole.

[29] Epist. I, 36 : Peregrinationem tuam solaciis talibus credo recreari.

[30] Epist. I, 54 : Maestitiae meae solacium grande tribuisti. […] Non mediocre inter praesentes curas leuamen accepi. On notera ailleurs l’utilisation du terme rare solamen (« réconfort ») en IV, 74, V, 71 et 97.

[31] Epist. IX, 78 : Credo miraris quod adhuc crudo fortunae meae uulnere silentium ruperim. Haec solacia mea, his pascor, his recreor.

[32] Chez Lucain, comme le souligne Francesca Prescendi (Francesca Prescendi, « Le deuil à Rome… », p. 300), le chagrin est une « souffrance sans parole » (dolor sine uoce). Cf. Lucan., Bell. Civ., 2, 21.

[33] Les auteurs chrétiens tardo-antiques, procèdent différemment car, si l’on prend l’exemple de Jean Chrysostome, on se rend compte que ses lettres racontent en détails ses souffrances physiques et morales au moment de son exil. La proximité avec la pratique chrétienne contemporaine pourrait signifier que Symmaque est conforme aux pratiques de son temps.

[34] Epist. IX, 123 : Plurimum uoluptatis ex litteris tuis ante capiebam. Nunc lacrimabili conquestione mentem legentis infuscas. Vbi illa prudentia quae te et naturae bono <et> ueterum lectione contra omnia Fortunae tela firmauit ? Dignam uiro adsume patientiam et quae mutari nequeunt desiste lugere. […]. Cur autem torpori atque otio uaces et patrimonii neglegens feriatum pascas dolorem ? Curae sint tibi reliquiae rerum tuarum.

[35] À cet égard, Érasme théorise brièvement la lettre de consolation en estimant qu’elle est composée de 3 passages obligés : des arguments généraux, des exemples d’hommes célèbres et une exhortation. Pour le texte et sa traduction, voir Érasme, « De conscribendis epistolis (1522), ch. 49-50 », Exercices de rhétorique [en ligne], 9, 2017, texte établi par Christine Noille et traduit par Ph. Collé et Ch. Noille.

[36] Il s’agit du titre d’un ouvrage que le sopiste Antiphon aurait rédigé à Corinthe, pour guérir les esprits par les mots : voir ce qu’en dit Marie-Pierre Noël, « La persuasion et le sacré chez Gorgias », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 2, 1989, p. 139-151, p. 148, où elle évoque l’effet thérapeutique de la parole dans le soulagement.

[37] Maurice Testard, « Observations sur le passage du paganisme au christianisme dans le monde antique », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 2, 1988, p. 140-161, explique que le genre de la consolation chrétienne est peut-être celui qui diverge le plus de la pratique païenne. En effet, la consolation païenne est « essentiellement raisonneuse », alors que « la consolation des chrétiens [est] affective, […] et tient le langage de l’espérance » (p. 159).

[38] Epist. I, 46 : Fruendi adsiduitas medicinam facit. On pourrait également penser à ces mots de la lettre II, 32 : « L’esprit se soulage de son chagrin à chaque fois que qu’il s’adonne à ses devoirs de l’amitié » (Leuatur aegritudine animus, quotiens in officia amica dirigitur).

[39] Epist. I, 54 : superest ut tu istiusmodi officiis frequentem operam digneris inpendere, quae perspicis medicinam quandam mihi infortunii et maeroris adferre.

[40] Ce terme est rare et apparaît principalement chez les Comiques (Plaut., Merc., 165 et Ter., Ad., 179) puis à l’époque tardive : Macr., Sat., 7, 3, 11, Amm., 17, 12, 13…). Voir ThLL, VII, 1, p. 1481. Sa rareté le met en valeur.

[41] Epist. IV, 17 : Symmachvs Protadio. Sum quidem nimis aeger animi et prae tanto luctu obeundis inpar officiis, sed numquam fortunae in me tantum licebit, ut honorem tuum uictus maerore dissimulem. Quin immo his delenimentis remedia uulneri meo facio. Quae etsi pro magnitudine doloris inualida sunt, medicinam tamen mihi efficacissimam tui sermonis adferunt. Quid expectem, uides : redde operam, si uidetur, amicitiae debitam, aegro animo profuturam. Vale. Protadius (PLRE, I, p. 751-752, n° 1) occupa la préfecture de la Ville. Cet ami de Symmaque fut également un défenseur du paganisme.

[42] Il faut bien distinguer l’expression du deuil dans le cadre épistolaire et dans le cadre officiel : en effet, dans les Relationes, qui sont les comptes rendus du préfet de la Ville aux princes, Symmaque annonce la mort de Prétextat aux Empereurs (Rel. 10 et 11), dans une rhétorique proche de celle des oraisons funèbres, en mettant en scène le dolor omnium (Rel. 11 : « La douleur de tous »). À l’inverse, dans les lettres, l’écriture est plus personnelle.

 

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Éditorial n°12

C’est avec un plaisir non dissimulé que nous débutons cette nouvelle année avec le lancement du douzième volet de Circé. Histoire, Savoirs, Sociétés. De la Beauce à la Gascogne, en passant par l’Île-de-France, les lecteur·rice·s découvriront, au gré de leurs pérégrinations à travers ce numéro, une série de varia illustrant le travail de six jeunes chercheurs, rassemblés autour du portrait de Dominique Iogna-Prat, directeur de recherche à l’EHESS. C’est à la maison Auguste Comte qu’il nous a accueillis et qu’il a bien voulu revenir sur ses accomplissements et sa carrière de chercheur. Dominique Iogna-Prat est l’un des grands artisans du renouveau des études sur l’Église médiévale dans les années 1970 et 1980. C’est à partir de ses travaux sur les communautés monastiques et hérétiques qu’il a repensé l’Église comme architecte de la société au Moyen Âge. Son étude porte aujourd’hui sur la prégnance du discours ecclésial dans la fabrique de nouvelles sphères disciplinaires au XIXe siècle, telles que l’anthropologie ou la sociologie. Se définissant lui-même comme un « inclassable » du point de vue disciplinaire, il n’est pourtant nul doute que la singularité du parcours de cet historien saura toucher plusieurs générations de chercheurs en sciences humaines et sociales.

Ce nouveau numéro de Circé fait la part belle aux études sur le Moyen Âge puisque ce portrait est accompagné de deux articles mettant chacun en lumière une façon d’administrer ou de vivre en communauté dans la ville médiévale. Nicolas Ruffini-Ronzani s’interroge tout d’abord sur la place occupée par l’écrit dans la gestion de la ville de Chartres. L’étude d’une série d’archives comptables, produites dans la seconde moitié du XIVe siècle par les clercs urbains de la cité, permet d’attester des évolutions de la production documentaire ainsi que de l’importance de l’écrit dans le fonctionnement de l’administration municipale. Offrant un regard nouveau sur la question de l’approvisionnement en matériaux de l’écrit, il esquisse une réflexion méthodologique sur l’exploitation et le traitement historique d’un fonds d’archives lacunaire.

Coralie Nazabal, quant à elle, propose un éclairage inédit sur le phénomène du voisinage dans le Béarn médiéval, en s’appuyant sur l’étude d’un minutier rédigé par Odet de Labadie, notaire public de la ville de Morlaàs, entre 1364 et 1368. Largement impliqués dans les affaires de la ville, les vesii ou « voisins » de cette petite localité constituent une communauté territoriale autonome aussi remarquable que complexe et qui occupe une place essentielle dans sa structuration et son organisation socio-économique.

Que les lecteur·rice·s se rassurent, l’équipe de Circé a mis un point d’honneur à respecter les principes chers à la ligne éditoriale de la revue en œuvrant à la publication de contributions mettant en avant la diversité des approches, des thèmes de recherche, des méthodologies ou des périodisations. Ainsi, dans une perspective à la fois littéraire et socio-culturelle, Nicolas Cavuoto-Denis nous exhorte à redécouvrir les lettres de deuil et de consolation rédigées par Symmaque, auteur de l’Antiquité tardive. En cherchant à voir au-delà de la fonction parfois réductrice de topoi rhétoriques qui leur a été attribuée, l’auteur tente de démontrer toute la complexité de ces épîtres, oscillant entre démonstration conventionnelle et expression sincère et intime du chagrin. Cadre propice à la mise en scène des sentiments, la lettre se pare aussi d’une fonction thérapeutique, sous la plume de celui qui fut consul sous l’Empire romain.

Retracer la pensée d’un auteur et restituer sa vision du monde grâce à sa production écrite est également la démarche adoptée par Ivan Burel, qui analyse la réflexion du général Christophe Michel Roguet sur la contre-insurrection au milieu du XIXe siècle. Nourrie par l’héritage des combats menés par l’Armée française au début du siècle et par ses expériences personnelles, la conception du maintien de l’ordre du général Roguet témoigne d’une évolution de la doctrine et des représentations militaires. Mêlant pratiques militaires et politiques, elle a pour ambition de mettre fin aux émeutes et ainsi préserver l’ordre social.

L’histoire du droit s’invite par ailleurs dans les pages de la revue, avec l’article de Constance d’Ornano. Celle-ci a choisi d’explorer les différentes problématiques posées par l’interprétation du concept juridique de servitude volontaire par l’École du droit naturel moderne, théorisé à l’origine par le droit romain. Sur quels principes reposent la doctrine de cette école et qui en sont les principaux représentants ? Peut-on parler d’une erreur d’interprétation de la part des jusnaturalistes ? Est-il possible qu’ils aient influencé certains penseurs au XVIIIe siècle, tels que Montesquieu ou Rousseau ? Autant de questions auxquelles Constance d’Ornano se propose d’apporter une réponse éclairée.

De son côté, Natacha Rossignol revient sur la difficile reconnaissance du crime d’escroquerie au XVIIIe siècle en nous livrant un portrait haut en couleurs des « insignes fripons », intrigants personnages emprisonnés à la Bastille entre les règnes de Louis XIV et de Louis XVI. Qu’ils soient charlatans, spécialistes du travestissement ou faux sorciers, ces trublions de l’ordre social ne poursuivent qu’un seul but : tromper les autres afin d’en tirer personnellement des avantages. L’étude de ces figures, aussi fascinantes que subversives, permet ainsi d’envisager la société du siècle des Lumières sous un nouveau jour.

Cette douzième entreprise éditoriale n’aurait évidemment pas été possible sans le travail de nos éditeur·rice·s, le concours de nos précieux soutiens et la bienveillance des chercheur·se·s qui se sont prêtés au jeu de la recension. Nous adressons nos remerciements à tous ces acteur·rice·s, qu’ils soient institutionnels ou issus du monde de la recherche et qui participent, chacun à leur manière, à faire de Circé un formidable exemple d’émulation, de partage et d’échange, aussi bien sur le plan intellectuel que scientifique. Désireux de s’inscrire dans la continuité des objectifs présentés dans nos précédents numéros, le comité de rédaction fournit des efforts constants afin de développer la revue et de la réinscrire dans un rythme semestriel. Le pari semble relevé puisque le deuxième numéro de l’année est actuellement en cours de préparation. En attendant de découvrir ce futur volet, nous vous laissons parcourir celui-ci et vous souhaitons, bien sûr, une très bonne lecture.

Le comité de rédaction de Circé. Histoire, Savoirs, Sociétés

 

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