Résumé
Entre la fin du XIVe siècle et la première moitié du XVe siècle, Venise se lance dans une progressive et méthodique conquête des territoires continentaux donnant naissance à ce qu’on appelle la Terre Ferme, autrement dit le Stato di terra vénitien. La Patria del Friuli n’échappe pas à ces annexions. Gouvernée depuis des siècles, par le patriarche d’Aquilée, prince ecclésiastique et puissant seigneur féodal, tombe aux mains des Vénitiens en 1420 avec la reddition de la capitale Udine. Au même moment et pendant tout le XVe siècle et le début du XVIe siècle, le Frioul est sous le coup de la menace turque et subit même toute une série d’incursions meurtrières. Plutôt que de retracer de manière exhaustive l’histoire événementielle de cette présence ottomane au Frioul, l’article se propose de mettre en lumière les politiques adoptées par les autorités communales pour contrer ces menaces. Dans ces stratégies, la recherche de protecteurs spirituels tient une place de première importance tout comme le rituel processionnel à travers lequel demander la miséricorde divine, faire pénitence ou célébrer les victoires emportées contre les infidèles. Face à l’ennemi, un intercesseur spécial a été sollicité et honoré publiquement. Il s’agit de saint Joseph qui, de Venise au Frioul, apparaît donc comme le protecteur et le sauveur idéal des communautés pliées sous le joug des incursions ottomanes.
Résumé Le temps d’une ballade au refrain de « Telz simulacres n’aourons, » Eustache Deschamps, le poète de cour le plus prolifique du XIVe siècle, joue le purificateur du temple et ridiculise les statuettes religieuses, qu’il nomme « marioles », « babouins » et « fyoles ». Si sa crainte de l’idolâtrie et sa connaissance des critiques iconoclastes peuvent être attribuées à ses contacts avec certains des chamber knights à tendance Lollard de Richard II d’Angleterre, la réforme que Deschamps propose est néanmoins modérée : il conseille de ne garder que deux statues dans les églises, celle de la Vierge et celle du Crucifix. Des universitaires Parisiens influents à la cour de France, comme Pierre d’Ailly, feront écho à cette solution de modération.
Abstract For the duration of a ballad to the refrain of « We will not worship such shams, » Eustache Deschamps, the most prolific court poet of the 14th century, played the purifier of the temple and ridiculed religious statuettes, which he called “mini-Marys”, “monkey business,” and “vials.” If the poet’s fear of idolatry and awareness of iconoclast criticism may be traced to his contacts with certain of Richard II of England’s chamber knights of Lollard persuasion, the reform Deschamps proposed was nevertheless moderate : he advised keeping only two statues in churches, that of the Virgin and that of Christ on the Cross. Parisian university men influential at the court of France, such as Pierre d’Ailly, would echo this moderate solution.
Résumé L’article proposé ici ressemble à des notes personnelles prises afin de progresser dans une réflexion sur la place du nom propre. En effet, l’objectif est de nous interroger sur nos pratiques d’historien en prenant comme objet d’étude le nom propre et la légitimation de son utilisation par les historiens et par les littéraires. Utiliser le nom propre a très longtemps été l’apanage de l’historien, constituant ainsi une sorte de « digue » à sa tentation littéraire. Et c’est la solidité de cette digue qui peut aujourd’hui être remise en cause.
Résumé Lucien Febvre questionnait déjà dans la première moitié du XXe siècle le rôle de l’histoire ainsi que la manière dont cette discipline devait être traitée. La diffusion de l’histoire culturelle portée en grande partie par la revue des Annales a considérablement modifié le métier d’historien. A partir des travaux de Febvre, cet article pousse encore davantage la réflexion : existe-t-il un terrain d’application pour l’histoire ? Cette question revient à s’interroger sur la fonction et le rôle social de l’historien, ainsi que sa place dans le débat public. Qui sont les vrais historiens de terrain ?
Résumé Cet article examine l’intérêt du philosophe Maurice Merleau-Ponty pour la peinture et le mode de perception du peintre Paul Cézanne. Alors que l’on a souvent limité la fascination du phénoménologue pour l’artiste aux deux textes célèbres, « Le doute de Cézanne » et L’Œil et l’esprit, cet article montre que la place que tient Cézanne dans la réflexion du philosophe imprègne d’autres écrits importants et nourrit la pensée du phénoménologue. Cézanne joue un rôle décisif dans l’élaboration des concepts clefs qui articulent le projet et la méthode phénoménologiques (e.g. chiasme, expression, le motif). Plutôt que de nous limiter à la façon dont Merleau-Ponty nous aide à saisir ce qui est unique dans les tableaux de Cézanne, cet article se propose de montrer comment la pensée du philosophe a été elle-même façonnée par ce qu’il trouvait dans la peinture cézannienne. Là où l’on croyait n’avoir affaire qu’à une perspective particulièrement lucide apportée sur l’œuvre de l’un des pères de l’art moderne, on sera peut-être surpris de trouver une identification conceptuelle et philosophique plus profonde entre penseur et peintre.
Abstract
This article investigates Maurice Merleau-Ponty’s philosophical engagement with the painting and unique mode of perception of the artist Paul Cézanne. While the phenomenologist’s fascination with and treatment of the painter have often thought to be limited to the two celebrated pieces, “Cézanne’s Doubt” and Eye and Mind, this article shows that this is not the case. Instead, one finds that Cézanne plays a decisive role throughout Merleau-Ponty’s entire œuvre and in the elaboration of concepts of central importance to the philosopher’s phenomenological project and method (e.g., chiasme, expression, le motif). Rather than limiting ourselves to how Merleau-Ponty helps grasp what is unique about Cézanne’s painting, this article addresses the question of how the philosopher’s thought was itself shaped by what he saw in Cézanne’s canvases. Where we once believed to discern only a particularly lucid perspective on the work of one of the fathers of modern art, we may be surprised to find a deeper, conceptual and philosophical identification between thinker and painter.