Laura Kendrick
Résumé
Le temps d’une ballade au refrain de « Telz simulacres n’aourons, » Eustache Deschamps, le poète de cour le plus prolifique du XIVe siècle, joue le purificateur du temple et ridiculise les statuettes religieuses, qu’il nomme « marioles », « babouins » et « fyoles ». Si sa crainte de l’idolâtrie et sa connaissance des critiques iconoclastes peuvent être attribuées à ses contacts avec certains des chamber knights à tendance Lollard de Richard II d’Angleterre, la réforme que Deschamps propose est néanmoins modérée : il conseille de ne garder que deux statues dans les églises, celle de la Vierge et celle du Crucifix. Des universitaires Parisiens influents à la cour de France, comme Pierre d’Ailly, feront écho à cette solution de modération.
Abstract
For the duration of a ballad to the refrain of « We will not worship such shams, » Eustache Deschamps, the most prolific court poet of the 14th century, played the purifier of the temple and ridiculed religious statuettes, which he called “mini-Marys”, “monkey business,” and “vials.” If the poet’s fear of idolatry and awareness of iconoclast criticism may be traced to his contacts with certain of Richard II of England’s chamber knights of Lollard persuasion, the reform Deschamps proposed was nevertheless moderate : he advised keeping only two statues in churches, that of the Virgin and that of Christ on the Cross. Parisian university men influential at the court of France, such as Pierre d’Ailly, would echo this moderate solution.
Laura Kendrick, née le 31 mars 1949 à Hannibal, Missouri, États-Unis, fait parti de l’équipe qui produit une nouvelle édition aux C.F.M.A. (Classiques Françaises du Moyen Âge) des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps à partir de tous les manuscrits. Professeur des Universités à l’Université de Versailles-St-Quentin-en-Yvelines depuis 1995, elle est membre du centre de recherches États, Sociétés, Religions – Labex Patrima – et de l’Institut d’Etudes Culturelles. Elle est médiéviste et s’intéresse particulièrement à la culture visuelle au Moyen Âge et aux rapports texte / image de toutes sortes. Courriel : Laura.Kendrick@uvsq.fr
Juste avant une ballade annonçant le grand pardon papal de 1399-1400 pour les pèlerins qui visitent les lieux saints à Rome, nous trouvons, dans l’énorme compilation qui contient les œuvres d’Eustache Deschamps (Paris, BnF, ms. fr. 840), une ballade qui traite de la foi catholique, mais d’un point de vue frôlant l’iconoclasme. La rubrique de cette ballade, fournie par le scribe, donne en résumé son argument : « Que on ne doit mettre es eglises nulz ymaiges entailliez, fors le crucifis et la vierge, pour doute d’ydolatrier [1]. » Ce n’est pas par des gestes destructeurs, mais par sa rhétorique que Deschamps joue le rôle de réformateur, de purificateur du temple qui voudrait débarrasser les églises de la plupart des images taillées (toutes sauf celles de la Vierge et du Crucifix). La ballade MCCCCLXXXIX commence sur un ton autoritaire avec l’énoncé d’une interdiction : « Ne faictes pas les dieux d’argent. » La voix du poète rappelle la voix de Dieu et le deuxième des dix commandements donnés à Moïse et au peuple élu [2]. Le refrain répète un refus catégorique et collectif de l’idolâtrie qui sonne aussi comme une interdiction : « Telz simulacres n’aourons. » Pour qui parle-t-il avec ce « nous » implicite dans la terminaison du verbe « aourons » (d’aourer, adorer) ? À qui parle-t-il à travers l’adresse conventionnelle de l’envoi au Prince ?
En raison de sa critique de l’excès de statuettes polychromées dans les églises, la ballade MCCCCLXXXIX est souvent citée, par exemple par Michael Camille dans The Gothic Idol et par Margaret Aston dans Popular and Unpopular Religion [3], comme preuve d’un malaise concernant l’imagerie religieuse qui se développait à la fin du Moyen Âge. Pourtant, le poème n’a jamais été analysé avec l’intention de mieux cerner son contexte et l’origine des idées exprimées. Le traitement de cette ballade comme un document limpide remonte à Johan Huizinga, qui l’a fait connaître dans son Déclin du Moyen Âge. Il cite et traduit la première strophe et l’envoi de la ballade MCCCCLXXXIX, tout en insistant sur l’exactitude de la poésie de Deschamps, poète « superficiel et banal » qu’il estime être un « miroir » reflétant les « aspirations de son temps [4] ». Certes, Deschamps parle de son temps dans ses vers, mais il parle en rhétoricien (pas en journaliste) ; le but de ses poèmes est de persuader, même si le cercle de ses auditeurs est limité aux milieux princiers et administratifs [5]. Il prend part aux polémiques ; il essaie d’influencer ses auditeurs. Il les secoue parfois. Le « nous » du refrain de la ballade MCCCCLXXXIX veut forcer l’adhésion en la supposant déjà acquise.
Avec son avertissement du danger de retomber dans le polythéisme idolâtre des anciens païens, Deschamps n’exprime certainement pas le consensus général. Au contraire, son point de vue semble tellement minoritaire en France à la fin du XIVe siècle, et ses autres écrits sur le thème de la foi catholique semblent tellement orthodoxes [6], que nous pouvons bien demander ce qui a motivé cette prise de position. Pourquoi se prononce-t-il avec tant de véhémence contre le danger d’idolâtrie provoqué par la multiplication dans les églises des images taillées et richement peintes et dorées, qui attirent par leur beauté l’adoration des gens crédules, et qu’il dénigre par le choix de ces mots : « marioles » (statuettes de Marie ou des saints), « babouins » (singeries) et « fyoles » (petits conteneurs de reliques).
Deschamps semble vouloir infléchir la doctrine officielle de l’Église catholique qui approuve l’utilisation des images religieuses (taillées ou autres) comme moyen d’instruction des illettrés (ignorant le latin). Depuis sa formulation par Grégoire le Grand au VIe siècle, cette doctrine a été constamment répétée et pratiquée par l’Église catholique face aux peurs et critiques iconoclastes [7]. Après une rapide évocation du problème de l’idolâtrie passée et présente dans les deux premières strophes, Deschamps en vient à une solution de compromis dans sa troisième strophe : limiter à deux les images taillées exposées dans l’église : le Christ sur la Croix et la Vierge. Pourtant, Deschamps ne s’arrête pas là. Dans l’envoi adressé au Prince, une solution même plus radicale est proposée. Deschamps soutient que Dieu peut être adoré parfaitement bien « aux champs, partout ». Nous entendons, donc, que les gens n’ont pas besoin d’une église remplie d’images pour adorer Dieu. Si on poursuit cette logique, la foi n’a pas besoin de support ni d’aide matérielle ; elle n’a pas besoin de médiation par les images taillées de main d’homme ; elle peut se passer complètement de ces « médias ».
Dans la rubrique annonçant le sujet de cette ballade, déjà audacieuse par sa volonté de débarrasser les églises de toute image taillée à l’exception de celles de la Vierge et du Christ crucifié sur la croix, Raoul Tainguy n’a pas choisi d’attirer l’attention sur le raisonnement de l’envoi adressé au Prince [8]. A-t-il pris pour une simple boutade l’idée d’adorer Dieu « aux champs », alternative bucolique d’un poète qui se nomme « Deschamps » et qui a tendance à critiquer tous les excès – de culte comme de cour – en préférant la simplicité saine d’une vie pastorale [9] ?
Avec notre recul, nous pouvons nous demander si cet envoi n’était pas à prendre au sérieux comme un avertissement. Deschamps a été au courant des protestations contre les images religieuses déjà en cours en Angleterre dans la mouvance de John Wycliffe. Il a certainement connu certains des officiers et administrateurs du roi et des maisons princières d’Angleterre soupçonnés de sympathie Lollard (mot péjoratif, d’origine incertaine, pour désigner des laïcs qui mettaient l’autorité de l’Écriture par-dessus celui de l’Église et qui lisaient la Bible en anglais dans les traductions de Wycliffe et ses disciples). Certains ont commis des actes iconoclastes, comme Sir John Montagu qui, d’après le chroniqueur Thomas Walsingham, a débarrassé vers 1387 la chapelle de son manoir de Shenley de toutes ses images [10]. Deschamps a certainement connu Sir Louis Clifford, car il le mentionne dans deux poèmes : la ballade DXXXVI (vol. 3, p. 375-76), où il demande à ses co-officiers s’il faut se marier avec une femme jeune et belle ou plus mûre, et où il recommande, dans le refrain, de consulter Clifford (« Demandez ent a l’amoureux Cliffort ») ; et la ballade CCLXXXV (vol. 2, p. 139), où il charge « Cliffort » de la livraison d’une ballade de louange au poète anglais Geoffrey Chaucer [11]. La constatation de l’envoi de la ballade MCCCCLXXXIX de Deschamps – que Dieu peut être adoré parfaitement bien aux champs – fait écho au témoignage verbal d’Anne Palmer (et d’autres Lollards) à son procès à Northampton en Angleterre en 1393 : « It suffices every Christian to serve God’s commandments in his chamber or to worship God secretly in the field, without paying heed to public prayers in a material building [12]. » Il y a aussi une résonance entre les critiques des Lollards contre les dons aux mendiants physiquement capables de travailler [13] et une série de six ballades que Deschamps a écrites pour débarrasser les églises des faux mendiants [14].
Des critiques iconophobes venant de sources anglaises auraient bien pu suggérer l’avertissement de la ballade MCCCCLXXXIX. Y a-t-il trace d’idées similaires exprimées en France pendant la vie de Deschamps ? Pourrait-on voir dans les idées de cette ballade une contribution aux courants réformistes en France ? Considérons de plus près maintenant les mots du poème et la culture matérielle de l’époque, c’est-à-dire, l’apparence et l’usage des images taillées en question, ces « marioles », « babouins » et « fioles ».
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La critique de la première strophe, basée sur l’injonction du deuxième Commandement, soulève le spectre d’un passé païen quand les idoles, habitées par les démons, donnaient des réponses énigmatiques aux demandes des adorateurs. Dans le refrain, Deschamps appelle ces idoles « simulacres » (du Latin simulacrum, représentation figurée de quelqu’un). L’usage de ce mot dans les langues vernaculaires est nouveau au XIVe siècle. Simon de Hesdin l’a utilisé pour signifier la statue d’un dieu païen dans sa traduction (circa 1375-1383) de Valerius Maximus [15]. En moyen anglais, dans les traductions de la Bible faites atour de Wycliffe, le mot simulacre traduit le Latin simulacrum quand le mot signifie une image ressemblante, une effigie, mais aussi une idole. Le mot simulacre est souvent couplé avec un synonyme qui le définit, « fals goddis » (faux dieux) par exemple, ou remplacé, d’une traduction biblique à une autre, par le mot péjoratif « mawmet » (Mahomet, idole) [16]. Entaché par son usage dans la première strophe pour signifier des idoles païennes habitées de démons, le mot « simulacres », utilisé pour désigner des statues de saints dans le refrain des deuxième et troisième strophes et de l’envoi, est très péjoratif et suggère qu’elles sont fausses et trompeuses.
Dans la deuxième strophe, Deschamps tourne sa critique vers le présent. Ce ne sont pas les voix démoniaques parlant de l’intérieur des statues qui trompent leurs adorateurs ; la tromperie vient de la beauté physique et de la richesse matérielle des statues qui suscitent l’adoration. Les statues dans les églises sont admirablement sculptées, aux formes agréables, peintes et dorées. En réalité, Deschamps critique le beau style gothique de la dernière moitié du XIVe siècle qui transforme les statues religieuses en modèles « courtois » : souriantes, détendues, se penchant légèrement ou tournant d’un côté ou de l’autre, habillées d’après les dernières modes aristocratiques, avec des vêtements polychromés aux couleurs riches, des bijoux dorés, le visage et les mains peintes pour imiter la peau. Il y a, par exemple, plusieurs traces de la peinture d’origine sur une statuette haute de 113 centimètres, faite en Picardie vers 1400, d’une Vierge gracieuse et royale allaitant l’Enfant (fig. 1) . Une statuette de Sainte Barbe d’environ 1510, d’un peu moins d’un mètre de hauteur mais beaucoup plus colorée, donne une idée de la tendance « courtoise » (fig. 2) . La critique de Deschamps ressemble à celle de John Wycliffe : « women are attracted to sumptuous statues of the Virgin, of gold, silver, and rich colours, for all the world like Diana of the Ephesians (Acts 19) [17]. » La richesse et la beauté signifient le pouvoir et suscitent la croyance, comme le suggère la critique d’un anonyme dans la mouvance de Wycliffe : « to the gayest and most richly arrayed image will the people soonest offer, and not to any poor image standing in a simple church or chapel [18]. » Les gens cherchant aide et protection ont préféré les saints les plus beaux, les plus riches, ceux dont l’apparence semblait témoigner de leur puissance et de leur succès comme intercesseurs.
Deschamps critique le nombre des statues, ainsi que leur apparence, et compare ces groupes de statues à des « caroles », des danses en ronde, des amusements courtois. Il semble faire allusion à la tendance, à la fin du XIVe siècle, à multiplier et à regrouper des statues de saints, par exemple sur des autels ou à la base des jubés (où les saints étaient taillés en relief et peints pour ressembler aux statues sur socle). Cette tendance est même à l’honneur dans deux ballades (XXXII et MCCXXXVII) [19] que Deschamps a écrites pour célébrer dix saints « privilégiés », cinq hommes et cinq femmes. Hélène Millet a récemment montré que ces poèmes sont les premiers vestiges du culte des dix saints privilégiés censés avoir des pouvoirs d’intercession spéciaux, un culte « centré à Paris qui s’est étendu de la Champagne au Hainaut durant le XVe siècle, sans jamais connaître ni une large diffusion ni la faveur des couches populaires [20] ». Deux Livres d’heures richement enluminés datant de la première décennie du XVe siècle représentent ces saints groupés. Dans le Livre d’heures du Maréchal Boucicaut (Paris, Musée Jacquemart-André, ms. 2), probablement fabriqué vers 1408, les saints privilégiés sont groupés suivant leur sexe ; sur le verso du folio 40, les cinq saintes, richement habillées, forme une sorte de noble « carole » [21] (fig. 3) .
Prier un groupe de saints n’est pas la même chose qu’adorer leurs statues réunies dans une église. Les ballades XXXII et MCCXXXVII ne contredisent pas nécessairement le message de la ballade MCCCCLXXXIX selon laquelle trop de statues richement ornées dans les églises mènent à l’idolâtrie. Des protestations contre l’étalage des richesses dans les églises ont été récurrentes dans l’Église catholique. Dans sa correspondance en 1125 avec Guillaume de Saint Thierry, Saint Bernard s’emportait non seulement contre les chapiteaux, dans les cloîtres, taillés pour représenter des formes monstrueuses distrayantes, mais plus généralement contre les dépenses pour toutes sortes d’images et d’ornements plutôt que pour la charité aux pauvres : « l’Église habille ses pierres d’or et laisse ses fils nus ; l’œil du riche est nourri au dépens des pauvres. Les curieux y trouvent plaisir […] leurs yeux sont à la fête devant les reliques enchâssées d’or, et les cordons de leurs bourses sont desserrés [22]. » La critique de Deschamps participe de cette tradition ascète, qui a été reprise par Wycliffe, mais aussi par des réformateurs continentaux. Par exemple, Pierre d’Ailly, chapelain du roi Charles VI à la fin des années 1380 (quand Deschamps y était huissier d’armes), a écrit, en octobre 1416, un traité en latin sur la réforme de l’Église pour le Concile de Constance, censé mettre fin au Grand Schisme. Dans ce texte, Pierre d’Ailly a insisté sur la nécessité de restreindre la multiplication et la variété des statues et des images peintes dans les églises (« quod in ecclesiis non tam magna ymaginum et picturarum varietas multiplicaretur ») [23].
Il se peut que les critiques réformistes exprimées par Deschamps, et ensuite par Pierre d’Ailly, aient été le résultat de contacts universitaires. Pendant une période de plus de vingt ans (circa 1360-1382), Henri de Hesse a servi comme « procurateur » de la nation anglaise à l’Université de Paris, ensuite comme diacre, et enfin comme recteur de la faculté de théologie. Cet allemand a certainement eu connaissance de la mouvance Wycliffite en Angleterre. Dès 1381, il a écrit un traité en latin encourageant la monarchie française à demander un concile pour résoudre le Schisme. Ce texte, Consilium pacis : De unione, ac reformatione ecclesiae, in consilio universali quaerenda, propose des réformes. Le chapitre 18, qui critique la corruption de l’Église contemporaine, demande au lecteur ou à l’auditeur de juger s’il est utile d’avoir tant de statues et d’images variées dans les églises et si cette multiplication ne reconduit pas parfois les gens naïfs à une sorte d’idolâtrie [24]. Les deuxième et troisième strophes de la ballade MCCCCLXXXIX de Deschamps expriment la même crainte, mais en langage plus coloré, car il sait bien « peindre » ses mots.
Considérons les connotations des diminutifs pour désigner les supports de la dévotion contemporaine : « marioles », « babouins » et « fyoles ». D’après le Dictionnaire du moyen français, les « marioles » sont des « images de la Vierge Marie » (première citation de Philippe de Mézières circa 1386-1389), mais aussi, par extension, n’importe quelle « petite image qu’on adore ». Déjà en 1357, Guillaume de Machaut associe le terme avec l’idolâtrie : « plusieurs ydoles, / Temples, autez et marioles [25] ». Dans tous les exemples, le mot est péjoratif et ne désigne que des images en trois dimensions, des statuettes. Il y avait, justement, à Paris et en région Parisienne à la fin du XIVe siècle, une production importante de statuettes « gracieuses », surtout de la Vierge tenant dans ses bras l’Enfant, mais aussi des saintes et des saints. Ces statuettes étaient colorées (en ivoire peint ou en métaux précieux émaillés). Parfois elles étaient très petites, comme la statuette à mi-corps de Sainte Catherine, fabriquée à Paris vers 1400 en or émaillé, incrustée de perles et de pierres précieuses, qui n’a même pas dix centimètres de hauteur (fig. 4). De telles statuettes étaient placées sur les autels d’églises et aussi sur les autels privés de familles suffisamment riches pour les acheter. On retrouve leurs traces dans les inventaires princiers de l’époque, parmi les joyaux répertoriés. Philippe le Hardi, par exemple, a acheté une Sainte Catherine pour sa chapelle en 1387-1388, et Jean de Berry en a donné une autre à Philippe le Hardi en 1401 comme cadeau de Nouvel An [26].
Plus rarement, la « mariole » est combinée avec une « fyole ». La statuette sert de reliquaire. Tel est le cas, par exemple, d’une Vierge à l’Enfant aujourd’hui au Musée de Cluny à Paris (fig. 5). L’Enfant a une fiole de verre incrustée sur son ventre. Cette statuette reliquaire a probablement été fabriquée en 1407, d’après le testament d’un riche bourgeois de Châlons-sur-Marne, qui l’a donnée à l’église Notre-Dame-en-Vaux pour mieux exhiber le saint cordon ombilical qui appartenait à cette église. La statuette et son trône, d’un peu moins de 34 centimètres de hauteur en tout, sont faits d’argent entièrement doré mais avec des traces de peinture blanchâtre toujours visibles sur le visage, la nuque et les mains de la Vierge et sur le corps de l’Enfant. Le mot « fiole » (du latin phiala) n’est pas un diminutif (ce serait « fiolete »), mais associé à « babouins », et rimant avec « marioles », le terme évoque, de manière péjorative, la démultiplication des reliquaires-statuettes à la fin du XIVe siècle [27].
Revenons maintenant aux « babouins » pour essayer de comprendre ce que Deschamps veut dire. Les dictionnaires d’ancien et de moyen français ne donnent pas d’exemple du mot avant le milieu du XVe siècle, quand « babouin » est un terme injurieux qui signifie « sot » ou « imbécile » [28]. Par contre, le mot est courant en Angleterre au XIVe siècle sous les variantes de babewin, défini par le Middle English Dictionary comme une figure animale grotesque (ou composite) utilisée en décoration, ou comme une gargouille, et de babewinrie, une représentation visuelle de « singeries », de bêtises. L’exemple le plus ancien dans le Middle English Dictionary vient d’un inventaire d’Edward III datant de 1330 qui décrit une salière décorée de « babewynis & oiselettis ». Dans un autre cas, le fond de deux coupes d’argent est décoré de singeries (« babewenes in fundo ») [29]. Dans ces deux cas, il s’agit probablement de représentations de singes, peut-être en train de singer les humains. L’Anglo-Norman Dictionary cite deux autres occurrences : un Registre de 1372 de Jean de Gand mentionne « diverses bobunrie » en émail ornant une aiguière (« eauer ») d’argent doré ; un document du Public Records Office à Londres (E 101/400/7) note que le couvercle d’une coupe (ou hanap) se distingue par sa décoration de « babwyns et ymagere [30] ». Il semble que les images de singeries ou de bêtises, qui peuvent inclure la représentation de l’humain combiné avec l’animal et/ou le végétal, soient associées avec la fête, particulièrement avec le sel (qui donne du goût) et avec le vin ou la boisson (qui détend). Mais les babewins n’apparaissent pas seulement sur l’argenterie des riches. Ils sont partout dans les marges des Psautiers et des Livres d’heures fabriqués, de la fin du XIIIe jusqu’au milieu du XIVe siècle, pour la noblesse en Angleterre, en Flandres et en France [31].
Les babewyns avaient aussi leur place dans l’architecture ecclésiastique où on les voyait, par exemple, sur les bords des toitures et des fenêtres ainsi que sous les consoles, les miséricordes et les nervures des voûtes. La cathédrale de Reims, que Deschamps a sûrement connue, était particulièrement riche en curiosités de cette sorte (fig. 6), surtout des têtes grimaçantes d’hommes, d’animaux et de créatures composites. Geoffrey Chaucer, auquel Deschamps a envoyé une ballade de louange, a employé le mot babewyn en anglais vers 1380 pour décrire le décor merveilleux d’un édifice qui n’est pas une église, mais le château de Renommée qu’il voit en rêve, une structure gothique qui foisonne de « babewynnes and pynacles, / ymageries and tabernacles » (singeries et pinacles, / statues et niches) [32]. Plutôt que la fausseté, c’est l’ingéniosité architecturale qui est mise en avant dans cet exemple.
Dans son traité Sur la levure des pharisiens, vers 1383, John Wycliffe emploie le mot « babwynrie » avec un sens clairement dépréciatif pour la première fois ; il critique l’utilisation des images par l’Ḗglise : « Thei drawen the peple in the holiday by coryouste of gaye wyndownes and colours and peyntyngis and babwynrie fro conpunccion of here synnes and fro mynde of hevenely things [33]. » Wycliffe a bien compris la tendance, même s’il n’avait pas vu les babewyns animés (automates en bois polychromé) installés dès 1385 sur le mur au-dessous de l’orgue de la cathédrale de Strasbourg (fig. 7) . L’automate d’environ 175 centimètres de hauteur qu’on nommait Roraffe (singe crieur) n’avait pas l’apparence d’un singe mais était l’imitation d’un homme. Il bougeait son bras droit, avec un bretzel dans la main, ainsi que sa mâchoire inférieure, tandis qu’un homme caché tout près, dans le pendentif de l’orgue, criait pour interpeller les gens et les distraire pendant les fêtes de la Pentecôte. A côté du Roraffe, il y avait deux autres babewyns animés : Samson chevauchant le lion et un héraut à trompette [34].
Dans la ballade MCCCCLXXXIX de Deschamps, comme dans le traité du réformateur Wycliffe, « babouin » et « babwynrie » expriment l’idée d’imitation trompeuse, car le singe (le babouin ou le marmouset) ne fait que singer l’homme [35]. Cet animal était compris comme une imitation dégradée de l’homme, une sorte de burlesque, apte, donc, à provoquer le rire et à distraire. Figurant parmi le grand nombre de « marioles » et de « fioles » auxquels les gens croient, le mot « babouins » dans la ballade MCCCCLXXXIX ne peut être qu’une allusion aux petites images de saints sculptées ou taillées et polychromées – parfois même articulées – pour sembler « vraies ». Deschamps les traite de singeries.
Au XIVe siècle, certaines statuettes de la Vierge à l’Enfant taillées en bois, fabriquées surtout dans les régions d’Alsace et de Rhénanie, étaient manipulables, articulées pour bouger. Des « marioles » s’ouvraient pour montrer la Trinité à l’intérieur, comme l’exemple précoce, haut de 36,8 centimètres, fabriqué vers 1300 en Rhénanie (fig. 8). Peu de ces statuettes ont survécu à la Réforme avec leurs intérieurs intacts. Celle-ci a perdu la colombe du Saint Esprit et le Christ sur la Croix tenue dans les mains de Dieu le Père. Dans un sermon de Noël 1402, Jean Gerson, Chancelier de la Sorbonne depuis 1395, successeur de son professeur et ami Pierre d’Ailly, a critiqué de telles images, qui risquaient de « provoquer l’erreur et l’impiété » parce qu’elles suggéraient que « la Trinité tout entière avait pris chair humaine en la Vierge Marie [36] ».
À la fin du XIVe siècle en Angleterre, la polémique autour des images religieuses était brûlante, et les chamber knights de Richard II, avec lesquels Deschamps avait des contacts, étaient de tendance Lollard. Dans le cas de la ballade MCCCCLXXXIX, Deschamps exprime des critiques contre la multiplication des images dans les églises, mais de façon moins radicale que les Lollards, car il ne veut pas débarrasser les églises de toutes leurs statues. Les grands clercs français, comme Pierre d’Ailly ou Jean Gerson, cherchaient, eux aussi, une voie de réforme modérée face au double danger de l’idolâtrie et de l’iconoclasme au tournant du XIVe siècle. Même si nous ne pouvons pas établir la circonstance qui est à l’origine de la ballade MCCCCLXXXIX de Deschamps, on peut supposer qu’elle date de la dernière décennie de sa vie, autour de 1400, et qu’elle rend service en formulant certaines idées en français, d’une manière concise et mémorable, apte à être lue ou récitée d’abord pour ses amis, un cercle assez tentaculaire d’hommes éduqués à l’université (surtout d’Orléans ou de Paris), serviteurs de la monarchie française et de l’Église. On a souvent l’impression, en lisant les ballades à refrain de Deschamps, d’assister à des exercices de rhétorique, à la recherche de formules incisives, convaincantes, faciles à retenir [37] ; en bref, on a l’impression d’assister à une expérimentation de ce qu’on appellerait aujourd’hui la « communication politique ».
Annexes
Ballade MCCCCLXXXIX (vol. 8, p. 201-202), ma traduction :
Ne faictes pas les dieux d’argent,
D’or, de fust, de pierre ou d’arain,
Qui font ydolatrer la gent,
Car d’omme est euvre et de sa main,
Que les paiens crurent en vain
En aourant telz faulx ydoles,
Ou les diables par paraboles
Leur donnoient doubles respons,
Par leurs fausses creances moles :
Telz simulacres n’aourons.
Car l’ouvraige est forme plaisant ;
Leur painture dont je me plain,
La beauté de l’or reluisant,
Font croire a maint peuple incertain
Que ce soient dieu pour certain,
Et servent par pensées foles
Telz ymages qui font caroles
Es moustiers ou trop en mettons ;
C’est tresmal fait : a briefs paroles,
Telz simulacres n’aourons.
La croix, le representement
Jhesucrist, souffist a plain
Et de la Vierge seulement
En l’eglise pour le plus sain ;
Sanz brasser ce mauvais levain
Ne croire en tant de marioles,
De babouins et de fyoles,
Ou trop de fois ydolatrons
Contre les divines escoles,
Telz simulacres n’aourons.
L’envoy
Princes, un Dieu croions seulement
Ne faites pas les dieux d’argent,
d’or, de bois, de pierre ou de bronze,
qui font idolâtrer les gens,
car ce sont des œuvres de main d’homme
que les païens ont crues en vain,
adorant de telles fausses idoles,
où les diables, par paraboles,
leurs donnaient des réponses ambiguës,
à cause de leurs fausses croyances molles.
Tels simulacres n’adorons.
Parce que l’œuvre est de forme plaisante,
sa peinture polychrome, que je déplore,
la beauté de l’or brillant,
font croire à beaucoup de gens naïfs
que ce sont certainement des dieux,
et par pensées folles ils vénèrent
de telles statues qui dansent en ronde
dans les églises où on en met trop.
C’est très mal faire : en bref,
tels simulacres n’adorons.
La Croix, la représentation
de Jésus Christ, suffit pleinement,
et de la Vierge seulement,
dans l’église, c’est le plus sain ;
sans brasser ce mauvais levain,
ni croire à tant de statuettes,
de singeries et de fioles,
où trop souvent nous idolâtrons
malgré les enseignements divins.
Tels simulacres n’adorons.
L’envoi
Prince, nous croyons en un seul Dieu
Fig. 1. Vierge à l’ Enfant. Paris, Musée du Louvre, Département des Sculptures, Inv. RF 2333. Reproduction avec la permission du Musée du Louvre.
Fig. 2. Sainte Barbe. Berne, Musée d’histoire, Inv. 25491. Reproduction avec la permission du Musée d’histoire de Berne.
Fig. 3. Cinq saintes privilégiées. Livre d’heures du Maréchal Boucicaut. Paris, Musée Jacquemart-André, ms. 2, fol. 40v°. Reproduction avec la permission du Musée Jacquemart-André.
Fig. 4. Sainte Catherine. New York, Metropolitan Museum of Art, Inv. 17.190.905. Reproduction avec la permission du Metropolitan Museum of Art.
Fig. 5. Vierge à l’Enfant reliquaire. Paris, Musée national du Moyen Âge – Thermes de Cluny, Inv. CL. 3307. Reproduction avec la permission du Musée national du Moyen Âge.
Fig. 6. Moulages de têtes en plâtre faits avant 1895, venant de la cathédrale de Reims. Photo tirée de Richard Hamann-MacLean et Ise Schüssler, Die Kathedrale von Reims II : Die Skulpturen, Stuttgart, Steiner, 1996, vol. 8, fig. 4007.
Fig. 7. Roraffe. Cathédrale de Strasbourg. Photo tirée du catalogue de l’exposition Iconoclasme, p. 285.
Fig. 8. Vièrge à l’Enfant ouvrante. New York, Metropolitan Museum of Art, Inv. 17.190.185. Photo avec permission du Metropolitan Museum of Art.
Notes
[1] Voir l’annexe en fin d’article pour la ballade MCCCCLXXXIX en entier ainsi que sa traduction. L’édition est celle des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps par Le Marquis de QUEUX DE SAINT-HILAIRE et Gaston RAYNAUD, 11 volumes, Paris, Didot, 1878-1901. Mes citations des écrits de Deschamps viendront de cette édition, qui donne un chiffre romain à chaque texte, suit l’ordre du manuscrit Paris, BnF fr. 840, et reproduit les rubriques fournies par le scribe de la compilation, Raoul Tainguy. Il a dû l’écrire dans la première décennie du XVe siècle, peu après la mort de Deschamps en 1404, en utilisant les papiers et recueils de ses œuvres laissés par le poète. Sur le travail fréquent de Raoul Tainguy pour Arnaud de Corbie, Chancelier de France, commanditaire vraisemblable de la compilation des œuvres de Deschamps en un seul volume, voir Marie-Hélène TESNIÈRE, « Les manuscrits copiés par Raoul Tainguy, un aspect de la culture des grands officiers royaux du début du XVe siècle », Romania, volumes 426-427, 1986, p. 282-368.
[2] Deutéronome 5.8-9 : « N’ayes, dist il, nul autre dieu que moy ne n’entaille nulle ymage ne nul aultre quelconque chose semblable qui soit en ciel, en terre ne en eaue, ne ne les aoure de fait ne de pensee » (traduction de la Vulgate circa 1377 par Raoul de Presles, Paris, BnF, ms. fr. 153, f. 110r, manuscrit lisible sur http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bv…) (ma ponctuation).
[3] Michael CAMILLE, The Gothic Idol : Ideology and Image-Making in the Middle Ages, Cambridge, Cambridge University Press, 1989, p. 219 ; Margaret ASTON, Popular and Unpopular Religion, 1350-1600, Londres, Hambledon, 1993, p. 223.
[4] Johan HUIZINGA, Le déclin du Moyen-Âge, trad. Julia Bastin, Paris, Payot, 1938 [orig. 1919], p. 158 : « Dans l’esprit du peuple, les saints vivaient comme des dieux. Rien de surprenant dès lors que les piétistes de l’époque aient vu dans le culte des saints un danger pour la piété populaire. Il est bien frappant, d’autre part, que la même pensée se présente à l’esprit d’Eustache Deschamps, le poète de cour superficiel et banal qui, à cause de sa médiocrité même, est un fidèle miroir des aspirations de son temps. »
[5] Eustache Deschamps, né Morel vers 1340 à Vertus en Champagne, était le protégé du poète Guillaume de Machaut, canon de la cathédrale de Reims (ballade CCCCXLVII, vol. 3, p. 259). Il a fait des études, probablement de droit civil, à l’Université d’Orléans (ballade MCV, vol. 6, p. 10-11). Dans l’incipit latin d’une copie datant de 1383 de son Double lay de la fragilité humaine, traduit du latin, il est désigné « maître » et « écuyer » : « magistrum Eustachium Morelli de Virtute, scutiferum » (vol. 2, p. 243). Dans le colophon français du même texte, il est désigné « Eustace Morel, de Vertus, escuier et huissier d’armes du roy Charle le quint » (vol. 2, p. 304-305). Deschamps a passé sa vie à servir la monarchie française. En 1360 il a accompagné Isabelle de France à Milan pour son mariage avec Jean Galéas Visconti ; ils sont devenus Comte et Comtesse de Vertus en 1361. Pendant les années 1360, Deschamps est aussi entré au service du roi Charles V, peut-être comme messager, ensuite comme huissier d’armes, office renouvelé sous Charles VI et que Deschamps a revendiqué toute sa vie. Dès 1375 et jusqu’à 1380 au moins, il a servi le frère de Charles V, Philippe d’Orléans, et ensuite sa veuve, la duchesse Blanche, comme bailli de Valois. En 1389, à sa prise de pouvoir, Charles VI l’a nommé bailli de Senlis, office que Deschamps a gardé jusqu’à quelques mois avant sa mort en 1404. En 1389 il a aussi été retenu comme écuyer d’écurie de Valentine Visconti, Comtesse de Vertus, l’épouse du frère de Charles VI, Louis. Devenu Duc d’Orléans en 1393, Louis a nommé Deschamps maître d’hôtel et conseiller ainsi que maître des eaux et forêts. Dès 1389, Eustache Morel a préféré s’appeler « des Champs » d’après le nom d’une maison qu’il possédait hors les murs de Vertus. Sur la vie de Deschamps, voir Jean-Patrice BOUDET et Hélène MILLET, Eustache Deschamps en son temps, Paris, Publications de la Sorbonne, 1997, p. 9-20, et Ian S. LAURIE, « Eustache Deschamps : 1340( ?) – 1404 », Eustaches Deschamps, French Courtier-Poet : His Work and His World, dir. Deborah M. Sinnreich-Levi, New York, AMS Press, 1998, p. 1-72.
[6] Voir le chapitre « Expressions d’une foi » dans Jean-Patrice BOUDET et Hélène MILLET, Eustache Deschamps en son temps, p. 63-87.
[7] Pour une synthèse et une bibliographie récente, voir Herbert L. KESSLER, « Gregory the Great and Image Theory in Northern Europe during the Twelfth and Thirteenth Centuries », A Companion to Medieval Art : Romanesque and Gothic in Northern Europe, dir. Conrad Rudolph, Londres, Blackwell, 2006, p. 151-72.
[8] Que la ballade MCCCCLXXXIX n’ait pas été supprimée de la compilation des œuvres de Deschamps suggère que le scribe ou le commanditaire ne l’a pas trouvée choquante.
[9] Ce topos est repris des auteurs classiques par Pétrarque et par les pré-Humanistes en France, Pierre d’Ailly et Nicolas de Clamange (le « Dit Franc Gontier » et le « Contre-dit Franc Gontier »), ainsi que par Deschamps dans plusieurs ballades contre les excès de la cour. Voir Laura KENDRICK, « La poésie pastorale d’Eustache Deschamps : Miroir de mentalité à la fin du XIVe siècle », Romanistische Zeitschrift für Literaturgeschichte, volume 7, 1983, p. 28-44.
[10] John TAYLOR, Wendy CHILDS, Leslie WATKISS (éd. et trad.), The St Albans Chronicle, Volume 1, 1376-1394 : The Chronica Maiora of Thomas of Walsingham, Oxford, Oxford University Press, 2003, p. 821 : « There were knights who were enthusiastic followers of this sect and who gave it their support : these were William Nevill, Lewis Clifford, John Clanvowe, Richard Stury, Thomas Latimer and the most foolish of them all, John Montagu. He went so wildly astray that he had all the images taken down, […] in the chapel of the manor of Shenley, and brought them to some secret location. » Ce même John Montagu, comte de Salisbury à la mort de son oncle en 1397, est celui qui a persuadé Christine de Pisan, en 1396, de le laisser ramener son fils en Angleterre pour parfaire son éducation dans sa maison. Montagu a rencontré Christine à Paris, où il faisait partie de l’ambassade chargée de ramener à Richard II sa fiancée, la fille de Charles VI.
[11] D’après la chronique de Thomas of Walsingham, Clifford a encouragé la publication des douze conclusions des Lollards à Londres en 1395, mais il a renié son soutien en 1402. Néanmoins, le Lollard Sir John Oldcastle était un des exécuteurs du testament de Clifford en 1404 (Oxford Dictionary of National Biography, http://www.oxforddnb.com). Sur Clifford, Montague et d’autres chamber knights de Richard II et leurs croyances, voir Kenneth B. McFARLANE, Lancastrian Kings and Lollard Knights, Oxford, Clarendon, 1972, p. 164-82.
[12] « Il suffit que chaque Chrétien obéisse dans sa chambre aux commandements de Dieu ou qu’il adore Dieu en privé dans les champs, sans se soucier des prières publiques dans un bâtiment matériel. » Voir Margaret ASTON, « ‟Caim’s Castles” : Poverty, Politics and Disendowment », The Church, Politics and Patronage, dir. Richard B. Dobson, Gloucester, A. Sutton, 1984, p. 48.
[13] Alison K. McHARDY, « Bishop Buckingham and the Lollards of Lincoln Diocese », Studies in Church History, volume 9, 1972, p. 144-45 : « Item, they are reported to say that it is vain to give alms to any beggar except only to the lame and crooked and blind who are weak or lying paralysed, and that all who give such alms are supporting and sustaining such mendicants in their sins, and whoever gives such alms serves the devil. »
[14] Ballades MCCXXIX, MCCXXX, MCCXXXIII, MCCLIX, MCCXCIX, MCCC (vol. 6, p. 230-33, 237-38, 279-81 ; vol. 7, p. 52-55). Voir aussi Laura KENDRICK, « Marginalizing Mendicancy in the Fourteenth Century : On a Telling Interpolation in the Romaunt of the Rose and Its Contexts », Marges / Seuils : Le Liminal dans la littérature médiévale anglaise, dir. Colette Stévanovitch, Nancy, Association des Médiévistes Anglicistes de l’Enseignement Supérieur, 2006, p. 377-82.
[15] Cité dans le Dictionnaire du moyen français (1330-1500), http://www.atilf.fr/dmf. Dans ce contexte, il est peut-être utile de rappeler la représentation d’Infidelitas peinte par Giotto vers 1306 dans la série des sept vices en noir et blanc au registre inférieur de la Chapelle Scrovegni à Padoue : l’Infidelitas y figure en personnage idolâtre. Elle porte de longues robes et un casque militaire à l’antique et tient à bout de bras sur la paume de sa main droite une petite statuette féminine en robe longue ; celle-ci tient devant elle, de sa main droite, une branche feuillue et, de sa main gauche, le bout d’un cordon qui passe autour du cou de la figure d’Infidelitas. L’Infidèle est attachée à la statuette – une sorte de mariole – qu’elle adore. Sur cette image, voir la Web Gallery of Art, http://www.wga.hu/index1.html (quick search : Giotto + Infidelitas + 1301-1350 + painting).
[16] Voir les citations pour le mot simulacre dans le Middle English Dictionary, http://quod.lib.umich.edu/m/med/loo….
[17] « Les femmes sont attirées par les statues somptueuses de la Vierge, habillées d’or, d’argent et de riches couleurs, exactement comme Diane d’Ephèse. » Pour cette paraphrase, voir Margaret ASTON, Lollards and Reformers : Images and Literacy in Late Medieval Religion, Londres, Hambledon, 1984, p. 162.
[18] « À la statue la plus gaie et la plus richement habillée le peuple offre plus volontiers qu’à une pauvre statue dans une simple église ou chapelle. » On pourrait traduire poor aussi par « médiocre » par allusion à l’œuvre rustique. « Image » ici veut dire statue, une représentation en trois dimensions, comme souvent au Moyen Âge. Voir Anne HUDSON (éd.), Selections from English Wycliffite Writings, Cambridge, Cambridge University Press, 1978, p. 84.
[19] Voici la première strophe de la ballade MCCXXXVII (vol. 6, p. 243) : Saint Denis, saint Georges, saint Blaise, Saint Denis, Saint Georges, Saint Blaise, Saint Cristofle, et aussi saint Gile, Saint Christophe et aussi Saint Gilles, Saincte Katerine, or vous plaise, Sainte Catherine, s’il vous plait, Saincte Marthe et saincte Cristine, Sainte Marthe et Sainte Christine, Saincte Barbe et saincte Margrite, Sainte Barbe, Sainte Marguerite Avoir tousjours de moy memoire, souvenez-vous toujours de moi, Ainsi comme il est chose voire car il est vrai Que Dieux a vous .x. octroya que Dieu a accordé à vous dix Que quiconques vous requerra que quiconque vous suppliera De bon cuer, par priere honneste, sincèrement, par une prière franche, En quelque peril qu’il venrra, en quelque péril qui arrive, Dieux essaucera sa requeste. aura sa demande exaucée par Dieu. Même si les deux ballades ont probablement été écrites à la même époque, le scribe a placé l’autre version, la ballade XXXII (vol. 1, p. 114-15), beaucoup plus tôt dans la compilation (au folio 8 au lieu du folio 336).
[20] Hélène MILLET, « Eustache Deschamps, précoce témoin de la dévotion aux ‟saints privilégiés” », Eustache Deschamps, témoin et modèle : Littérature et société politique (XIVe – XVIe siècles), dir. Thierry Lassabatère et Miren Lacassagne, Paris, P.U.P.S., 2008, p. 159-71, à p. 169.
[21] Ibidem, p. 159, fig. 3 et 4, pour les images des cinq saints et les cinq saintes privilégiés dans un autre Livre d’heures, Paris, Bibliothèque Mazarine, ms. 491, fol. 260v et 261r.
[22] SAINT BERNARD, Apologia ad Guilelmum abbatem, chap. 29, dans Sancti Bernardi Opera, volume 3, éd. Jean Leclercq et Henri Rochais, Rome, Éditions Cisterciennes, 1963, p. 10 ; Armand RAVELET et Romain FOUGÈRES (trad.), Saint Bernard : Écrits sur l’art, Paris, Paleo, 2001, p. 52.
[23] Pour le traité De reformacione Ecclesie de Petrus de Alliaco (Pierre d’Ailly), voir Jürgen MIETHKE et Lorenz WEINRICH (dir.), Quellen zur Kirchenreform im Zeitalter der grossen Konzilien des 15. Jahrhunderts, première partie, Die Konzilien von Pisa (1409) und Konstanz (1414-1418), Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1995, p. 360.
[24] Le traité de Henri de Hesse (Henrich von Langenstein), auquel Pierre d’Ailly fait écho, est publié avec les œuvres de Jean Gerson, dans Ellies du PIN (éd.), Joannis Gersonii, Opera omnia, Anvers, Sumptibus Societatis, 1706, volume 2, colonne 838, pour la phrase en question : « Judicate si tant imaginum & picturarum in Ecclesiis varietas expediat, & in plures simplices non nunquam ad aliquam idolalatriam pervertat. » Au printemps de 1381, quand Henri de Hesse était toujours recteur de théologie à l’Université de Paris, Deschamps semble avoir joint sa voix à ceux qui demandaient aux puissants de mettre fin au Schisme. Sa chanson royale MXII (vol. 5, p. 276-78) s’adresse par son envoi aux universitaires ainsi qu’aux pouvoirs séculiers, pairs et « non-pairs » (« Empereurs, roys, ducs, conte, per / Colleges, estudes, non per »). Deschamps se demande pourquoi les rois ne font pas leur devoir, car ils devraient appeler à un concile qui résoudrait le problème : il y a trop de papes à adorer (comme il y a trop d’images dans la ballade MCCCCLXXXIX). Le refrain insiste sur le fait qu’ « une mauvaise tête fait souffrir les membres » : Deux pappes se font aourer Deux papes se font adorer Dont il ne deust c’un seul regner. dont il ne doit régner qu’un seul. Que ne font les roys leur devoir Que les rois fassent leur devoir D’un concille pour ce trouver ? et en concile trouvent la solution. Mal chief fait les membres doloir. (vers 26-30) Une mauvaise tête fait souffrir les membres.
[25] Philippe de Mézières, Songe du vieil pèlerin, vol. 1, p. 269 ; Guillaume de Machaut, Confort d’ami, p. 49. Cité dans la Dictionnaire du moyen français (1330-1500), http:// www.atilf.fr/dmf.
[26] Pour une comparaison de cette statuette de Sainte Catherine avec d’autres mentionnées dans les inventaires des maisons princières de l’époque, voir le catalogue d’exposition Paris 1400 : Les arts sous Charles VI, Musée du Louvre, 23 mars – 12 juillet 2004, Paris, Fayard – Réunion des Musées Nationaux, 2004, p. 177.
[27] D’après sa ballade de remerciements (chanson royale CCCXCII, vol. 3, p. 166-67), Deschamps lui-même a reçu de la Duchesse d’Orléans (Valentine Visconti), à une date inconnue, le don d’un reliquaire (il emploie aussi le mot « saintuaire ») contenant plusieurs reliques (de la Vraie Croix, de la tête de Saint Jean-Baptiste, de Saint Mathieu, de Saint Antoine et de la Madeleine) qu’il appelle « joyaulx de grant renom ». Le reliquaire est « fait en fin or » et pourvu d’images des saints (« riche pourtraicture »). Sur les collections princières de reliques, parfois regroupées, voir Murielle GAUDE-FERRAGU, « Le prince et les restes saints : le culte des reliques à la cour (1369-1416) », La Cour du prince : Cour de France, cours d’Europe, XIIe – XVe siècle, dir. Murielle Gaude-Ferragu, Bruno Laurioux et Jacques Paviot, Paris, Champion, 2011, p. 377-98, et fig. 2 pour le reliquaire, don de Charles V à son frère Louis vers 1370, sous forme de libretto contenant 72 reliques identifiées par écrit sur des volets de chaque côté d’une relique de la Vraie Croix au centre.
[28] L’utilisation du mot par Deschamps dans sa ballade MCCCCLXXXIX n’est pas prise en compte, ni la mention dans un document de paiement de 1344 des babuini sculptés au-dessus de la porte principale du Palais des Papes à Avignon (voir Philippe VERDIER, « Women in the Marginalia of Manuscripts and Related Works », dans The Role of Woman in the Middle Ages, dir. Rosemary T. Morewedge, Binghamton, State University of New York Press, 1975, note 14).
[29] Voir sous babewin et babewinrie dans le Middle English Dictionary, http://quod.lib.umich.edu/m/med/loo….
[30] Voir sous babewene et babewenrie dans l’Anglo-Norman Dictionary, http://www.anglo-norman.net/gate.
[31] Pour un aperçu des différents espaces où l’on pourrait rencontrer des babewyns, des représentations visuelles de bêtises, souvent d’apparence incongrue, hybride ou composite, voir Michael CAMILLE, Image on the Edge : The Margins of Medieval Art, Cambridge, Harvard University Press, 1992, et Jean WIRTH, Les Marges à drôleries des manuscrits gothiques, Genève, Droz, 2008.
[32] Geoffrey CHAUCER, The House of Fame, livre 3, vers 1189-90, dans The Riverside Chaucer, 3e édition, dir. Larry D. Benson, Boston, Houghton-Mifflin, 1987, p. 362.
[33] « Pendant les fêtes, les gens sont détournés – à cause de leur curiosité devant les fenêtres brillantes, les couleurs, les peintures, les singeries – du remords de leurs péchés et de la méditation des choses célestes. » Of the Leaven of Pharisees, chap. 3, p. 8, dans Frederic D. MATTHEW (éd.), The English Works of John Wyclif Hitherto Unprinted, Londres, Early English Text Society – Kegan Paul, 1880.
[34] Voir le catalogue de l’exposition Iconoclasme : Vie et mort de l’Image médiévale (Musée d’histoire de Berne, Musée de l’œuvre Notre Dame, Musées de Strasbourg), dir. Cécile Dupeux, Peter Jezler et Jean Wirth, Paris, Somogy, 2001, p. 242.
[35] Michael CAMILLE, Image on the Edge, p. 12-13. L’idée est exprimée en anglais par le nom « ape » et le verbe « to ape » (imiter). Voir aussi Guy de POERCK, « Marmouset : Histoire d’un mot », Revue belge de philologie et d’histoire, volume 37, 1959, p. 615-44.
[36] Louis MOURIN, « Le sermon français inédit de Jean Gerson pour la Noël, “Puer natus est nobis”, Les lettres romanes, volume 3, 1949, p. 41-42. Voir aussi Michael CAMILLE, The Gothic Idol, p. 230-32. Pour l’image d’une autre Vierge ouvrante, fabriquée en Alsace vers 1360, voir le catalogue de l’exposition Iconoclasme, p. 282-83.
[37] Voir Laura KENDRICK, « Rhetoric and the Rise of Public Poetry : The Career of Eustache Deschamps », Studies in Philology, volume. 80, 1983, p. 1-13.