Tous les articles par Revue Circe

Editorial n°10

À l’heure où de vifs débats agitent l’espace public et où l’histoire est invoquée pour trancher sur des sujets de société, les chercheurs en sciences sociales peinent souvent à faire entendre leur voix. Qu’il s’agisse de diffuser la connaissance scientifique ou de prendre part à des débats de société, la remise en question du discours de l’expert tel que le qualifie le politologue Arnaud Mercier tend à complexifier ce rôle de médiateur auquel s’astreint une partie de la communauté scientifique. À cela s’ajoutent des facteurs plus endogènes, comme la baisse progressive des dotations de la recherche ou la mise en concurrence accrue des Unités de recherche et de formation : il semble alors nécessaire de diffuser et de valoriser les travaux de jeunes chercheurs.

C’est dans ce contexte que la revue Circé. Histoire, savoirs, sociétés signe son dixième numéro et son septième anniversaire. À cette occasion, une réflexion autour des objectifs et possibilités pratiques de renouvellement de la ligne éditoriale a pu être menée, un certain nombre de pistes sont explorées notamment à travers l’enrichissement de notre site internet qui pourrait aboutir à l’inauguration prochaine d’une rubrique davantage orientée vers l’actualité ainsi que sur la présentation d’outils méthodologiques utiles aux jeunes chercheurs. Notre revue s’engage cette fois encore à mettre en avant la richesse de la production scientifique de notre discipline, dans toute sa diversité et ses originalités.

Chaque numéro est le fruit d’un travail rigoureux d’étudiants en master et doctorat. Cette organisation associative entraîne néanmoins un ralentissement à chaque changement d’équipe, comme ce fut le cas pour cette année 2018. Circé se veut toutefois le reflet d’un univers de la recherche foisonnant, varié et capable de se renouveler. Nous sommes convaincus que l’interdisciplinarité ainsi que la transversalité épistémologique sont des enjeux centraux dans le développement de la recherche et de la connaissance en sciences sociales.

Fort de sept contributions, ce numéro 10 s’ouvre sur un portrait de l’historien Daniel Roche. L’originalité de son approche, empruntant tant à l’histoire culturelle qu’à la tradition de l’histoire économique et sociale, semble tout à fait à propos dans le cadre des débats épistémologiques actuels. Les chercheurs, débutants comme confirmés, pourront trouver dans cet entretien matière à mener une réflexion à la fois egohistorique mais également relative à la place de l’historien en société. C’est enfin l’occasion de revenir, avec lui, sur la diversité documentaire qui s’offre au chercheur ainsi que sur les manières de l’aborder et de l’exploiter. D’inscriptions lapidaires chypriotes aux archives d’état russe de l’histoire sociopolitique, en passant par la Patrologie latine ou encore les états de crime de l’administration royale du XVIIIe siècle, le corpus de contributions proposé dans ce numéro est alors le reflet de cette multiplicité de sources documentaires et de l’originalité méthodologique déployée pour exploiter au mieux les données de la recherche.

Le comité de rédaction de Circé. Histoires, Savoirs, Sociétés

Editorial n°9

Tout vient à point à qui sait attendre : le neuvième numéro de Circé. Histoires, Cultures et Sociétés est arrivé à bon port.

Régine Le Jan nous a fait l’honneur de répondre à nos questions et c’est autour de cette grande médiéviste que s’articule ce numéro. Réflexions sur l’importance de l’interdisciplinarité, sur les tensions entre temps long des structures et temps court de l’événement et de l’histoire personnelle, sur le rôle des concepts et les précautions que nécessite leur manipulation, les réponses de Régine Le Jan éclairent une méthodologie de travail dont la portée s’étend bien au-delà de l’histoire du haut Moyen-Âge. Ses analyses entrent en résonnance avec de précédents portraits de Circé, sur la question des femmes ou des élites, sur la construction sociale et le religieux. C’est un des plaisirs d’une revue qui prend de l’âge que de voir les ponts qui se créent spontanément entre les différentes contributions.

A l’image de la chercheuse qui s’est prêté au jeu du portrait, Circé se veut toujours, modestement, interdisciplinaire et inspirante. Les cinq articles de ce numéro 9 contribuent à leur tour à enrichir les champs de recherche qu’aborde notre revue au fil des parutions. Deux d’entre eux s’intéressent à une trajectoire individuelle au prisme d’un contexte : Corinne M. Belliard explore un aspect peu connu de la personnalité de Churchill, son antiféminisme, alors même que les femmes britanniques obtiennent le droit de vote en 1918. Mouniati Chakour étudie pour l’époque moderne la figure de Baltasar Carlos, héritier de la monarchie hispanique, au travers de l’éducation qui lui a été donnée. La construction de la majesté au XVIIe siècle s’opère par une éducation qui fasse du jeune prince héritier un modèle de prudence, d’honneur et de justice, qui puisse être à la fois respecté, admiré et craint par ses sujets. A l’époque des débuts de la République romaine, c’est la virtus qui fait figure de vertu par excellence. Christophe Burgeon nous en propose une exploration détaillée via la conception qu’en propose Tacite dans ses Annales. Comme l’éducation du jeune prince éclaire le contexte politique de la monarchie espagnole sous Philippe IV, la défense d’une certaine forme de virtus par les auteurs antiques est essentielle pour comprendre les valeurs morales qui sous-tendent le régime politique, d’autant plus que ces auteurs en font une clé de lecture de la transition de la République à l’Empire.

S’appuyant sur une source différente des articles dont il a été déjà été question, Aurélie Massie met en lumière les conflits de compétence qui opposent commissaires et sergents du Châtelet de Paris au XVIIe siècle tels qu’ils se laissent appréhender dans les textes normatifs et judiciaires conservés aux Archives nationales.

Enfin, Fanny Lautissier, croisant histoire des représentations et analyse cinématographique, explore deux réalisations portant à l’écran la figure du militaire opérateur de drone armé, archétype de cette nouvelle « guerre à distance » que permettent les drones.

Avec ce numéro 9, Circé répond à nouveau à son ambition : donner l’occasion à de jeunes chercheurs de mettre en valeur leurs premiers travaux, issus de mémoires de Master ou de thèses de doctorat, et créer des ponts entre les périodes, les disciplines et les méthodologies de recherche.

Cette belle entreprise qu’est Circé est menée depuis 6 ans par une équipe d’étudiants et de jeunes chercheurs bénévoles. Publier une revue scientifique d’histoire est un travail exigeant mais stimulant, et un défi perpétuellement renouvelé pour nous. Ces efforts seront bientôt couronnés par la parution du 10e numéro, pour lequel nous vous donnons rendez-vous en 2018. D’ici là, nous vous souhaitons à tous de belles découvertes au fil de ce numéro.

Le comité de rédaction de Circé. Histoires, Cultures & Sociétés

Portrait de Régine Le Jan, médiéviste et historienne des femmes et des élites

Régine Le Jan est professeure émérite d’histoire médiévale à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Ses thèmes de recherche, consacrés à l’anthropologie des sociétés médiévales, à l’histoire des élites et des femmes, des réseaux et de l’échange compétitif participent de la compréhension du fonctionnement de la société du haut Moyen-Age. Continuer la lecture de Portrait de Régine Le Jan, médiéviste et historienne des femmes et des élites

La notion de uirtus sous les Julio-Claudiens dans les Annales de Tacite

Christophe Burgeon

Résumé :

Les Annales n’hésitent pas à évoquer un certain nombre d’hommes vertueux qui ont fait la grandeur de Rome. Leur auteur s’est demandé, non sans amertume, quelle avait été la part de libre-arbitre des individus et de la dignitas humana sous les Julio-Claudiens. Sous la plume tacitéenne, durant le règne de Tibère et de Néron, les termes libertas et uirtus avaient changé de sens, même si le noyau dur de ces deux vocables subsistait. À tout le moins, le Romain devait les exercer de façon différente, car en l’absence de libertas politique, il n’était plus possible d’utiliser la uirtus républicaine. Le suicide vertueux sert donc, chez Tacite, à manifester une nouvelle forme de libertas intérieure. Selon nous, sous l’exposition de ces manifestations de courage, Tacite, nostalgique d’une époque révolue, a voulu exprimer le sentiment de la grandeur morale républicaine. D’aucuns seraient également tenté de penser qu’il a œuvré à la mise à jour des valeurs traditionnelles pour les adapter au régime politique de l’Empire.

Continuer la lecture de La notion de uirtus sous les Julio-Claudiens dans les Annales de Tacite

La construction d’une majesté : l’éducation de Baltasar Carlos, héritier de la monarchie hispanique (1629-1646)

Mouniati Chakour

Résumé

Baltasar Carlos a porté le titre de prince des Asturies pendant 16 ans. Son manque de gouvernement, dû à sa mort tragique à l’âge de 16 ans à Saragosse, a fait que les historiens se sont peu intéressés à ce personnage. Cependant, en raison de sa qualité d’héritier de la monarchie hispanique, il est un personnage central des années 1620-1640 dont l’existence entre en relation avec le contexte politique, culturel et social de ces deux décennies. Notre communication s’intéressera à un processus bien singulier de la vie d’un prince héritier : son éducation. Quels sont les formes, les choix et les modes d’apprentissage pour l’éducation de Baltasar Carlos? Comment, par le biais de l’éducation d’un héritier, se construit la majesté d’un futur roi ?

Continuer la lecture de La construction d’une majesté : l’éducation de Baltasar Carlos, héritier de la monarchie hispanique (1629-1646)