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Henry David Thoreau : un anthropologue entre ethnocentrisme et transcendantalisme

Isabelle Gourgues

Résumé

Henry David Thoreau, auteur transcendantaliste du XIXe siècle, est principalement connu pour avoir écrit Walden et l’essai Civil Disobedience, ces deux œuvres le présentant comme un précurseur de l’écologie et comme un auteur politiquement engagé. Si ces deux facettes de Thoreau méritent toute la lumière qu’elles ont reçues jusqu’à présent, certains aspects du travail de l’auteur n’ont que rarement été abordés. A travers l’étude de l’intégralité de l’œuvre de Thoreau et notamment des Indian Notebooks, manuscrits non publiés en France, cet article se propose d’examiner le travail d’anthropologue et d’ethnologue réalisé par l’auteur qui était fasciné par les cultures amérindiennes. Le regard posé par Thoreau sur les cultures des Indiens d’Amérique était-il innovant pour cette époque ou teinté d’ethnocentrisme comme cela était souvent le cas au XIXe siècle ?

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Doctorante en langues et littératures anglaises et anglo-saxonnes à l’Université de Versailles Saint-Quentin, Isabelle Gourgues travaille actuellement sur une thèse intitulée «une approche pluridisciplinaire des Indian Notebooks de Henry David Thoreau ».

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Les derniers mots prononcés par Thoreau ont été « moose » et « indian ». De nombreux auteurs, qu’ils aient été des contemporains de Thoreau ou des auteurs plus modernes, ont constaté que le mode de vie et de pensée de Thoreau se rapprochait de celui des Indiens d’Amérique. Ainsi, Nathaniel Hawthorne décrivit l’auteur de la manière suivante : «  wild, irregular, Indian-like sort of fellow. »[1] Une grande partie de la vie de Thoreau a été centrée sur les Indiens et leurs cultures.

La plupart des œuvres de Thoreau comporte toujours au moins un paragraphe consacré aux Indiens d’Amérique. Il arrive même que tout un chapitre leur soit consacré comme c’est le cas dans Les forêts du Maine (The Maine Woods). Au-delà de ces œuvres, le journal de Thoreau renferme de nombreuses entrées sur les Indiens et c’est aussi dans le Journal que l’on trouve les premières mentions des Indian Books aussi connu sous le nom d’Indian Notebooks[2].

Présentation et finalité des Indian Notebooks

Il convient de présenter brièvement les Indian Notebooks de Thoreau car ils sont très peu connus et étudiés en France. Les Indian Notebooks sont des notes de recherches sur les Indiens d’Amérique constituées de 2 800 pages d’annotations manuscrites réparties en 11 volumes qui se trouvent actuellement à la Pierpont Morgan Library à New York. Pour le moment, seuls les deux premiers volumes ont été publiés par Paul Maher Jr.[3]. Thoreau a commencé ses recherches sur les Indiens d’Amérique vers 1847 et les a poursuivis jusqu’à sa mort en 1862. Il a consulté plus de 200 ouvrages axés sur les Amérindiens tels que les écrits de la période coloniale (Les Relations des Jésuites, les écrits de Samuel de Champlain ou encore la General Historie of Virginia écrite par John Smith), ou encore des écrits du XIXe siècle tels que Historical and Statistical Information respecting the History, Condition, and Prospects of the Indian Tribes of the United States (1851-1857) de Schoolcraft mais aussi des textes de Thomas Jefferson ou de Charles Darwin.

Selon Richard Fleck, qui a publié des extraits des Indian Notebooks, ces 11 volumes constituent la source la plus importante de connaissances sur les Amérindiens au XIXe siècle.[4]

Les Indian Notebooks sont composés d’extraits d’ouvrages concernant les Indiens. Parfois ces extraits sont des citations exactes de la source originale dont ils proviennent mais la majeure partie des extraits du premier volume des Indian Notebooks sont en fait des paraphrases de la source originale. Thoreau contracte parfois plusieurs paragraphes de la source originale en un seul.[5] Il arrive aussi que l’auteur ne relève qu’une suite de mots qui peuvent être considérés comme des mots-clés.[6] Enfin, les Indian Notebooks contiennent également un essai inachevé sur les cultures amérindiennes écrit vers 1852-53.

Une histoire revisitée des Indiens d’Amérique ?

Il est très difficile de déterminer le but final de ces carnets de notes. Il est possible, mais pas certain, que Thoreau ait fait des recherches sur les Indiens d’Amérique afin d’écrire un livre qui revisiterait leur histoire. Albert Keiser pense que Thoreau souhaitait écrire un ouvrage élaboré sur les Indiens d’Amérique : « Thoreau had intended to write an elaborate work on the American Indians, and for more than ten years he busied himself collecting the material from all the available sources. »[7]

Robert Sayre est plus réservé sur la possibilité que ces recherches aient été menées dans la perspective d’écrire un livre sur les Indiens. Il avance que si l’auteur transcendantaliste a considéré la possibilité d’écrire un livre sur les Indiens ce n’est pas avant la fin de l’année 1852.[8]

Pour Richard Fleck, comme pour Thierry Gillyboeuf[9], plutôt que d’écrire l’histoire des Amérindiens, Thoreau entendait peut-être réécrire l’histoire des Américains à travers le prisme de la culture indienne. Cette idée est suggérée dans Henry Thoreau and John Muir among the Indians:

« I believe that an important part of Thoreau’s purpose in writing his 2,800 handwritten pages of the Indian books was to write a book or series of essays on North American Indians which would correct the myopic view of nineteenth-century Euro-American historians by giving them for the first time a North American’s appreciation of his own continent which was and is rich in mythology. »[10]

Selon Fleck, si Thoreau avait écrit un ouvrage sur les Indiens, cela aurait pu permettre de modifier la vision que les historiens euro-américains du XIXe siècle avaient des Indiens et ainsi d’offrir un point de vue différent sur l’histoire de l’Amérique.

S’il est très difficile de trouver des indices qui valideraient définitivement l’hypothèse d’un livre sur l’histoire des Indiens, nous pouvons cependant étudier quelques éléments contenus dans les écrits de Thoreau. Si l’auteur a bel et bien voulu écrire une histoire des Indiens d’Amérique, ce pourrait être pour qu’il subsiste une trace de leur présence sur le continent américain. En effet, Thoreau déplore dans un passage de son Journal que les Indiens n’aient pas reçu plus d’attention de la part des historiens du XIXe siècle qui pensaient que les Indiens ne méritaient pas que l’on se souvienne d’eux :

Some have spoken slightingly of the Indians, as a race possessing so little skill and wit, so low in the scale of humanity, and so brutish that they hardly deserved to be remembered,- using only the terms « miserable, » « wretched, » « pitiful, » and the like. In writing their histories of this country they have so hastily disposed of this refuse of humanity (as they might have called it) which littered and defiled the shore and the interior. But even the indigenous animals are inexhaustibly interesting to us. How much more, then, the indigenous man of America! If wild men, so much more like ourselves than they are unlike, have inhabited these shores before us, we wish to know particularly what manner of men they were, how they lived here, their relation to nature, their arts and their customs, their fancies and superstitions . They paddled over these waters, they wandered in these woods, and they had their fancies and beliefs connected with the sea and the forest, which concern us quite as much as the fables of Oriental nations do. It frequently happens that the historian, though he professes more humanity than the trapper, mountain man, or gold-digger, who shoots one as a wild beast, really exhibits and practices a similar inhumanity to him, wielding a pen instead of a rifle.[11]

Dans cet extrait, Thoreau montre qu’il est impératif de se souvenir des Indiens car leur histoire est intrinsèquement liée à celle du continent américain et par conséquent aux Euro-Américains. Pour Thoreau, les Indiens représentaient le passé du continent américain auquel les Euro-Américains ne pouvaient pas avoir accès. Ceci peut nous faire penser que l’auteur transcendantaliste était effectivement intéressé par l’écriture d’une histoire des Indiens afin de reconstituer l’histoire de l’Amérique.

Thoreau aurait vraisemblablement aimé savoir ce qu’il s’était passé avant l’arrivée des colons car il y fait régulièrement référence dans ses écrits. Cette idée se retrouve par exemple dans l’essai inachevé présent dans les Indian Notebooks : « What kind of facts—what kind of events are those which transpired in America before it was known to the inhabitants of the old world? »[12]

Finalement, nous ne pouvons que formuler des hypothèses quant au but final du travail de Thoreau sur les Indiens car il n’existe pas assez de preuves concrètes pour affirmer qu’une théorie est plus plausible qu’une autre.

Un ouvrage anthropologique sur les Indiens d’Amérique ?

Une des hypothèses sur la finalité des Indian Notebooks, à laquelle cet article n’a pas encore prêté attention, est celle qui remet en question la possibilité d’un livre sur l’histoire des Indiens au profit d’un ouvrage d’ordre plus anthropologique qu’historique.

A la fin du premier volume des Indian Notebooks publié pas Maher Jr. on trouve une liste de sujets que Thoreau a recopié de l’œuvre de Schoolcraft et à côté de laquelle il a inscrit ses propres sujets. Thoreau a souhaité organiser les Indian Notebooks de la manière thématique suivante : Voyages / Physique / Musique / Jeu / Demeures / Fêtes / Nourriture / Charité / Coutumes funéraires / Tradition & histoire / Morale / Coutumes de mariage / Artisanat / Éducation / Habits / Peinture / Argent / Noms / Gouvernement / Traitement des prisonniers / Marins / Connaissance des bois / Chasse / Nourriture / Pêches / Superstitions & Religions / Médecine / Guerre / Langage / Reliques indiennes / Arts dérivés des Indiens.[13] A la lumière de la classification thématique susmentionnée, on constate que ces thèmes couvrent une bonne partie des aspects culturels propres aux populations amérindiennes et peuvent nous faire penser que, dans l’hypothèse où Thoreau aurait décidé de tirer un livre de ses Indian Notebooks, cela aurait pu être un livre d’anthropologie culturelle.

En effet, on constate, dans de nombreux extraits cités par l’auteur, qu’il avait tendance à relever les faits culturels plus que les faits historiques. Par exemple, à partir du livre de Convers Francis, Life of John Eliot : The Apostle to the Indians, Thoreau note qu’« Autrefois [les Indiens] pratiquaient la polygamie » (« Formerly practiced polygamy »[14]) alors que le texte original mentionne que « les Indiens avaient appris grâce à leur nouvelle religion à renoncer à la polygamie » (« The natives had learned from their new religion to renounce polygamy. »[15]) Le texte original a pour but de montrer que les Indiens ont été changés par le Christianisme mais Thoreau ne retient que leurs coutumes avant qu’ils n’aient été convertis. Ceci peut être vu comme une volonté de la part de l’auteur transcendantaliste de débarrasser le texte original du point de vue des colons, qui souhaitaient montrer les bienfaits de la conversion religieuse, afin de faire ressortir les coutumes des Indiens avant l’acculturation européenne. En somme, on peut dire que Thoreau fait ressortir le fait culturel anthropologique et déconstruit le point de vue ethnocentrique de ce récit. Mais l’œuvre de l’auteur transcendantaliste n’est pas exempt de toute forme d’ethnocentrisme.

Aspects anthropologique et ethnologique des Indian Notebooks

Peu d’auteurs ont étudié les Indian Notebooks ainsi que l’aspect anthropologique et ethnologique du travail de Thoreau. Cependant, parmi les auteurs ayant consacré une étude entière à ce sujet, nous pouvons citer Joshua D. Bellin, Richard Fleck, Albert Keiser, Robert Sayre et Lawrence Willson. Ces auteurs ont des points de vue affirmés sur le sujet mais parfois divergents.

Une des premières études consacrées à ce sujet fut un article écrit par Albert Keiser et publié en 1928. Keiser pensait que Thoreau n’était pas véritablement un anthropologue : « it does not specifically indicate the fact that everywhere Thoreau looked at the Red Man from the standpoint of the anthropologist, the naturalist, and the literary man. »[16] Cependant, il considérait que Thoreau était un « observateur et juge impartial » (« Affinities said to exist between the Indian and other languages are looked upon as doubtful by such an unprejudiced observer and judge as Thoreau. »[17])

Dans un article publié une trentaine d’années plus tard, Lawrence Willson a montré que Thoreau n’était pas un anthropologue aguerri («  he was not a trained anthropologist »[18]) mais un étudiant en anthropologie. Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres domaines scientifiques qui intéressèrent Thoreau, Willson note qu’il n’était pas un expert mais qu’il possédait des connaissances qui faisaient de lui plus qu’un amateur éclairé.[19]

En 2007, Fleck écrit que si Thoreau avait écrit un live sur les Indiens, le traitement que ces derniers ont reçu au XIXe siècle aurait probablement été différent: « But, had he lived to write his poetic and scholarly Indian book, our deplorable treatment of the red man during the nineteenth century may have been modified. »[20]

Joshua David Bellin, qui a publié en 2008 un article intitulé « In the Company of Savagists: Thoreau’s Indian Books and Antebellum Ethnology », défend une thèse tout à fait différente à propos des Indian Notebooks et du travail d’anthropologue de Thoreau : « they [the Indian Books] reveal Thoreau to have been unable or unwilling to liberate himself from the dominant mid-century complex of beliefs concerning American Indians, their relationship to Euro-American civilization, and their ultimate fate. »[21] En prenant le contre-pied de Keiser, de Sayre et de Fleck, l’auteur veut montrer que le travail de Thoreau sur les Indiens d’Amérique était biaisé par les idéaux anthropologiques développés au XIXe siècle.

 Alors que les écrits de Thoreau abondent de réflexions anthropologiquement intéressantes, notamment sur les mythes, la religion ou encore la linguistique, nous nous focaliserons dans cet article sur la manière dont ont été traité les concepts antagonistes de « civilisation » et de « primitivisme » dans l’œuvre de l’auteur transcendantaliste. Ces notions peuvent nous aider à déterminer quel anthropologue et ethnologue Thoreau était (ou aurait souhaité être) car elles représentaient le cœur de l’anthropologie au XIXe siècle. Nous nous attacherons à relever la présence d’ethnocentrisme dans le travail de Thoreau, notamment à travers la notion de déterminisme racial. Puis, nous verrons que le travail de Thoreau sur les Indiens d’Amérique était plus complexe car le côté transcendantaliste de l’auteur prenait parfois le pas sur l’impartialité nécessaire à son travail anthropologique.

Ethnocentrisme et déterminisme racial

Le déterminisme racial est un des concepts les plus présents dans l’anthropologie américaine au XIXe siècle. Henry Rowe Schoolcraft comme Samuel George Morton ont avancé des arguments prônant la différence entre les races et la supériorité des hommes blancs sur d’autres peuples. Par exemple, en 1857, dans le 6ème volume des Historical and Statistical Information, Schoolcraft met en parallèle le mode de vie indien avec celui des Euro-Américains en expliquant que l’homme n’a pas été créé pour être sauvage mais pour être civilisé et que les Indiens – les sauvages – représentaient un déclin en comparaison avec les hommes dits « civilisés » : « Man was created, not a savage, a hunter, or a warrior, but a horticulturist and a raiser of grain, and a keeper of cattle – a smith, a musician – a worshipper, not of the sun, moon, and stars, but of God. The savage condition is a declension from this high type. »[22]

Les écrits de ces auteurs ont été cités de nombreuses fois par Thoreau dans les Indian Notebooks et la présence du concept de déterminisme racial dans les carnets de notes de Thoreau mettrait à mal son éventuel statut de précurseur de l’anthropologie moderne.

Selon Bellin, le travail anthropologique de Thoreau était principalement biaisé et peu innovant car l’auteur transcendantaliste considérait les Indiens comme une race différente et inférieure aux hommes blancs dits « civilisés » : « [the Indian Books] are marked by the interlocking set of biases characteristic of antebellum ethnology, with its conviction that the Indians were a separate and unequal race. »[23]

Effectivement, on trouve dans l’œuvre de Thoreau des exemples avalisant le point de vue de Bellin. Dans son Journal, Thoreau a décrit les Indiens comme des « hommes sauvages » (« Indians are wild men. »[24]) Cela montre que l’auteur transcendantaliste considérait les Indiens comme des hommes sauvages et faisait une distinction entre primitif et civilisé. Il convient de préciser que cette distinction était courante au XIXe siècle et que l’étude des Indiens n’était que rarement envisagée autrement qu’à travers l’opposition des notions de civilisation et de sauvagerie. La distinction faite par Thoreau dans cet exemple n’est donc pas nécessairement représentative d’une conviction profonde de l’auteur et pourrait être considérée comme une idée exprimée à l’aide de termes courants pour l’époque.

Cependant, dans l’exemple qui suit, il est incontestable que certains arguments de Thoreau n’étaient pas seulement exprimés grâce à des termes dix-neuvièmistes, mais profondément influencés par le concept du déterminisme racial. Thoreau considérait que la différence raciale entre les Indiens et les Euro-Américains était indéniable comme le montre le passage suivant tiré de l’essai inachevé présent dans les Indian Notebooks : « What a vast difference between a savage & a civilized people. At first it appears but a slight difference in degree—and the savage excelling in many physical qualities—we underrate the comparative general superiority of the civilized man. »[25] En 1858, Thoreau a aussi développé la même idée dans son Journal : « Who can doubt this essential and innate difference between man and man, when he considers a whole race, like the Indian, inevitably and resignedly passing away in spite of our efforts to Christianize and educate them? »[26] Dans le passage issu des Indian Notebooks, malgré les qualités que Thoreau attribue aux Indiens, il défend néanmoins la supériorité des hommes civilisés. Dans l’extrait tiré du Journal, la différence raciale entre les Indiens et les hommes civilisés tient, selon l’auteur transcendantaliste, au fait que les Indiens sont en « voie d’extinction ». Cette évocation de l’Indien comme une race quasi-éteinte était commune au XIXe siècle et était une vision subordonnée aux postulats introduits par l’ethnologie évolutionniste qui a notamment été développée dans l’œuvre de Lewis Henry Morgan ou encore dans celle de Schoolcraft. Selon l’ethnologie évolutionniste, les sociétés humaines suivaient différents stades d’évolution (sauvagerie, barbarie, civilisation), chaque nouveau stade supplantant fatalement le précédent. Thoreau semble donc adhérer à cette vision de l’Indien qui, représentant une civilisation sauvage, était condamné, voir destiné, à être supplanté par la civilisation.

En prenant en compte la présence de concepts développés par l’ethnologie évolutionniste dans l’œuvre de l’auteur transcendantaliste, il apparaît comme évident que Thoreau s’inscrivait bien dans les courants de pensées anthropologiques prépondérants du XIXe siècle.

Primitivisme et transcendantalisme

Pourtant, la manière dont Thoreau percevait les concepts de race, de civilisation et de primitivisme est intrigante. D’une part l’auteur semble n’avoir aucun doute sur la différence raciale entre Indiens et hommes blancs. Cependant, il défend aussi les valeurs des sociétés primitives (ce qui n’est pas incompatible avec le déterminisme racial mais qui est paradoxal, voire même contradictoire, avec l’idée que les Indiens étaient inférieurs aux hommes blancs).

Un exemple qui illustre bien ce paradoxe se trouve dans son Journal : « [The Indians] seem to me a distinct and equally respectable people, born to wander and to hunt, and not to be inoculated with the twilight civilization of the white man. »[27] Si, en qualifiant les Indiens de peuple distinct, il créait une division raciale entre les blancs et les Indiens, on remarque aussi qu’il les qualifiait de « peuple également respectable », ce qui pourrait nous amener à penser que Thoreau plaçait les sociétés indiennes sur un pied d’égalité avec celle des Euro-Américains. De plus, l’auteur considérait les Indiens comme un peuple qui n’était pas fait pour être civilisé ce qui est, par exemple, à contre-courant de ce que défendait Schoolcraft. En effet, l’anthropologue collectait des informations sur les Indiens pour le compte de l’État américain qui se servait de ces données pour établir ses politiques indiennes (Indian policies). Il paraît donc évident qu’il partageait les mêmes convictions et les mêmes buts que l’État américain en ce qui concernait les Indiens, à savoir, les Indiens devaient être civilisés ou leurs sociétés disparaîtraient.

Bien que Thoreau ait cité Schoolcraft de nombreuses fois dans les Indian Notebooks, il ne partageait pas toujours les mêmes opinions que lui, notamment parce qu’il voyait principalement les Indiens comme des hommes primitifs et non comme des sauvages.

Comme l’explique Roy Harvey Pearce dans Savagism and Civilization, l’anthropologie prend un tournant au début des années 1850, principalement grâce aux publications de Lewis Henry Morgan (League of the Ho-Dé-No-Sau-Nee, or Iroquois), la vision anthropologique des Indiens passant de la sauvagerie au primitivisme. La différence fondamentale entre les anthropologues qui considéraient les Indiens comme des sauvages et ceux qui les considéraient comme des hommes primitifs, est que le primitiviste voit la culture amérindienne en tant que remède aux travers de la civilisation Euro-Américaine tandis que le « sauvagiste » prône la supériorité de la civilisation et des hommes civilisés. Si les travaux du primitiviste sont considérés comme une étude plus moderne de l’Indien, le primitiviste continue à appréhender la culture indienne comme une forme antérieure de civilisation[28] et considère généralement l’Indien comme un bon sauvage.

Dans Henry Thoreau and John Muir Among the Indians, Richard Fleck qualifie Thoreau de « primitivist »[29]. En effet, l’auteur transcendantaliste portait un vif intérêt à la manière de vivre et aux valeurs morales des peuples indiens notamment parce qu’il considérait que les Indiens n’étaient pas « domptés et broyés par la société » (« tamed and broken by society. »[30] ). Thoreau éprouvait un certain dégoût pour ce que la société américaine était devenue et c’est dans cet état d’esprit qu’il s’est tourné vers les cultures des Indiens d’Amérique.

Comme Thoreau l’exprime dans son essai Walking, il pense que « C’est dans l’aspect sauvage que réside la sauvegarde du monde. » (« in Wildness is the preservation of the world. »[31]) Thoreau considérait probablement l’aspect primitif des Indiens comme une préservation de ce que fut l’homme avant de devenir civilisé. L’auteur transcendantaliste percevait cette préservation comme un aspect positif. L’état de nature préservé dans lequel semblait se trouver les Indiens leur conférait les qualités dont les hommes civilisés avaient été dépossédés par le processus de civilisation. François Hartog écrit d’ailleurs à ce sujet qu’« un fruit sauvage est un fruit naturel. Tout ce qui relève de la domestication et de la culture est aussitôt marqué négativement comme un artifice, abâtardissement, produit de notre goût corrompu. »[32] Thoreau était donc attaché au concept du Bon Sauvage car il représentait à ses yeux une forme d’idéal : l’Indien était un homme « naturel » dans le sens où la civilisation ne l’avait pas corrompu. Pour François Specq, Thoreau portait de l’intérêt au côté primitif des Indiens dans le but de trouver « un modèle d’harmonie et de complétude. »[33]

Le point de vue de Henry Rowe Schoolcraft est donc assez différent de celui de Thoreau, Pearce considérant que Schoolcraft développait principalement l’idée que ce qui liait les Indiens à la sauvagerie et les empêchait de devenir civilisé était justement l’aspect sauvage de leur vie (« what holds the Indians to savagism is the wildness of their life. »[34]) Tandis que dans l’œuvre de Thoreau, on constate que l’aspect primitif de la vie des Indiens est érigé en modèle contre les travers de la civilisation.

Ce passage extrait de The Maine Woods et décrivant les prescriptions de Thoreau concernant la manière dont un homme devrait mener sa vie, montre aussi que le transcendantaliste élevait en modèle un mode de vie plus « primitif » : « Thus a man shall lead his life away here on the edge of the wilderness, on Indian Millinocket stream, in a new world, far in the dark of a continent, and have a flute to play at evening here, while his strains echo to the stars, amid the howling of wolves ; shall live, as it were, in the primitive age of the world, a primitive man. »[35]

Effectivement, Thoreau peut être considéré comme un primitiviste défendant les us et coutumes amérindiens et condamnant la société euro-américaine. Dans son Journal, Thoreau utilise la figure du jardinier comme métaphore de la civilisation et compare les rapports que celui-ci entretient avec la nature qu’il qualifie de « vulgaires et idiots » alors qu’il qualifie les rapports des Indiens avec la nature de « nobles et loyaux. »[36]

En 1859, dans un autre passage du Journal, Thoreau montre qu’il ne considère pas les Indiens comme des sauvages en les qualifiant de « soi-disant sauvage » : « It is the spirit of humanity, that which animates both so-called savages and civilized nations, working through a man, and not the man expressing himself, that interests us most. The thought of a so-called savage tribe is generally far more just than that of a single civilized man. »[37] Cette citation mérite toute notre attention car d’une part Thoreau dit que la pensée des Indiens est généralement plus juste que celle de l’homme civilisé et d’autre part l’auteur transcendantaliste affirme que pour lui il n’y a pas de distinction profonde entre les Indiens et les hommes dits « civilisés » car ils sont tous deux animés par le même « esprit de l’humanité », autrement dit par la même âme. Dans ce passage, Thoreau dépasse le caractère racial de la distinction entre homme civilisé et homme primitif.

Transcender les préjugés raciaux de son époque n’est que la première étape du grand projet de Thoreau, à travers laquelle il en vient à considérer les êtres humains dans leur ensemble et en viendra, à terme, à transcender l’homme et l’individualité de celui-ci pour ne plus prendre uniquement en compte l’âme humaine mais l’âme du monde.

L’auteur transcendantaliste semble aussi vouloir montrer que les sociétés primitives ne sont finalement qu’une autre forme de civilisation comme il le dit dans son Journal : « What we call wildness is a civilization other than our own. »[38] Cette réflexion est assez similaire à celle que Montaigne avait faite dans Des Cannibales : « Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu’on m’en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage. »[39]

Thoreau cherchait peut-être à flouter les distinctions entre civilisé et sauvage en mélangeant des aspects de la culture indienne avec des aspects de la culture euro-américaine comme l’a très justement dit Pearce : « So [the transcendentalists] looked hard at the Indian, not to find noble savages, but to establish the possibility of noble civilized men. »[40]

Il y a donc dans les écrits de Thoreau deux points de vue qui paraissent contradictoires mais qui coexistent. Peut-être que Thoreau était tiraillé entre les idéaux anthropologiques prônant le déterminisme racial qu’il lisait dans un nombre considérable d’ouvrages consultés pour remplir les Indian Notebooks et ses valeurs transcendantalistes qui le poussèrent justement à transcender la notion de race.

En étudiant les concepts de civilisation et de primitivisme dans l’œuvre de Thoreau, on se rend compte que l’auteur a tenté de remettre en question la distinction faite entre homme sauvage et homme civilisé comme le montre cet extrait de son Journal : « Why is [it] that we look upon the Indian as the man of the woods? There are races half civilized, and barbarous even, that dwell in towns, but the Indians we associate in our minds with the wilderness. »[41] Thoreau se demande ici pourquoi ce sont les Indiens qui sont qualifiés d’hommes des bois et sont associés à la nature sauvage alors qu’il existe, selon l’auteur, des habitants des villes qui ne sont qu’« à moitié civilisés » et voir même « barbares » mais que l’on considère généralement comme étant civilisés. Finalement, l’auteur transcendantaliste montre que les hommes civilisés sont aussi des sauvages et qu’ils ne valent pas mieux que les Indiens.

Le travail d’anthropologue de Thoreau n’est pas fondamentalement novateur et moderne au regard de la présence du concept de déterminisme racial dans ses écrits. Il est indéniable que Thoreau pensait, tout du moins à une certaine période de sa vie, qu’il existait bien une différence raciale entre les Indiens et les blancs, et que la société de l’homme civilisé était supérieure à celle des Indiens. Cela s’explique en partie par l’influence d’ouvrages tels que ceux de Schoolcraft sur l’auteur transcendantaliste et par le fait qu’il est presque impossible de «  transcender son époque et sa culture »[42] comme le rappelle François Specq. Cependant, si Schoolcraft a beaucoup influencé Thoreau, il existe d’autres ouvrages tels que les Relations des Jésuites qui se trouvent autant (si ce n’est pas plus[43]) cités dans les Indian Notebooks et ces autres écrits ont forcément eu un impact sur son approche des cultures amérindiennes.

Le travail anthropologique de Thoreau se distingue de celui d’autres anthropologues du XIXe siècle. Il reconnaît que les Indiens sont animés par la même âme que les hommes blancs et il va même jusqu’à dire que les pensées des tribus indiennes sont supérieures à celles des Euro-Américains.

Finalement, c’est son approche humaine et transcendantaliste des Indiens qui l’amène à les envisager comme des êtres humains à part entière et non plus comme des sauvages. C’est en cela qu’il était précurseur, peut-être pas précurseur de l’anthropologie moderne, mais précurseur d’une vision plus humaine et plus transcendantale des Indiens d’Amérique.


[1]   Nathaniel HAWTHORNE, ed. Joel Myerson, The selected letters of Nathaniel Hawthorne, Ohio State University Press, 2002, p 107.

[2]   Les Indian Notebooks sont connus sous plusieurs noms : Thoreau les appelait Indian Books mais cette dénomination est problématique car elle induit que ce sont véritablement des livres terminés or, ces réflexions sur les Indiens étant encore à l’état de notes, il paraît plus judicieux de les appeler Indian Notebooks. Robert Sayre a avancé que le terme Indian Books était probablement une contraction de Indian [Commonplace] Books ou Indian [fact] Books. Paul Maher Jr. a choisi de les nommer Extracts Relating to the Indians en se référant à la manière dont la Pierpont Morgan Library les a nommés (chaque volume est cependant appelé Notebook suivi du numéro du volume). Nous les appellerons ici Indian Notebooks pour qu’il soit clair que ce sont des notes de recherches et nous ne traduirons pas ce nom par Carnets Indiens car cela pourrait créer une confusion avec le livre de Herman Hesse.

[3]    Henry David THOREAU, ed. Paul Maher Jr., Extracts Relating to the Indians : Notebook One, Upstart Crow Publishing, 2008.

[4]    Richard FLECK, The Indians of Thoreau: Selections from the Indian Notebooks, The Walden Woods Project, 2007, pp 6-7.

[5]    Henry David THOREAU, Extracts Relating to the Indians: Notebook One, p 21.

[6]    Ibidem, p 58.

[7] Albert KEISER, « Thoreau’s Manuscripts on the Indians », The Journal of English and Germanic Philology, volume 27, N°2, 1928, p 184. Traduction de l’auteur : « Thoreau avait l’intention d’écrire un ouvrage élaboré sur les Indiens d’Amérique et durant plus de dix ans, il s’est occupé de collecter des informations dans toutes les sources disponibles. »

[8]    Robert SAYRE, Thoreau and the American Indians, Princeton, Princeton University Press, 1977, p 118.

[9]    Thierry GILLYBOEUF, Henry David Thoreau : le célibataire de la nature, Paris, Fayard, 2012.

[10]  Richard FLECK, Henry Thoreau and John Muir among the Indians, Handem Archon Books, 1985, p 19. Traduction de l’auteur : « En écrivant à la main ses 2 800 pages des Indian books, je crois qu’une partie importante du but de Thoreau était d’écrire un livre ou une série d’essais sur les Indiens d’Amérique du Nord qui aurait corrigé la vision myope des historiens américains du XIXe siècle en leur donnant pour la première fois une appréciation nord-américaine de son propre continent qui était et est toujours riche en mythologie. »

[11]  Henry David THOREAU, ed Bradford TORREY, Journal, Vol 11, Boston, Houghton Mifflin, 1906, pp 437-38. Traduction de l’auteur : « Certains ont fait des remarques désobligeantes sur les Indiens, les considérant comme une race possédant si peu de compétence et d’esprit, comme étant si bas sur l’échelle de l’humanité et si brutaux qu’ils ne méritaient pas que l’on se souvienne d’eux – les qualifiant seulement de “misérable”, “minable”, “pitoyable” et autres adjectifs similaires. En écrivant leurs histoires de ce pays ils se sont hâtés de rejeter l’humanité (comme ils auraient pu l’appeler) qui jonchait et profanait la côte et l’intérieur des terres. Mais même les animaux indigènes sont pour nous une source inépuisable d’intérêt. Ô combien plus intéressant est alors l’homme indigène américain ! Si les hommes sauvages, bien plus semblables à nous-même qu’ils ne sont dissemblables, ont habité ces côtes avant nous, nous souhaitons savoir spécifiquement quel genre d’homme ils étaient, comment ils vécurent ici, leur rapport avec la nature, leurs arts et leurs coutumes, leurs idées fantasques et leurs superstitions. Ils ont pagayé sur ces courants, ils ont parcouru ces bois, et leurs idées fantasques et leurs croyances sont connectées à la mer et la forêt, ce qui nous concerne autant que les contes orientaux. Il arrive fréquemment que l’historien, bien qu’il prétende à plus d’humanité que le trappeur, l’homme des montagnes ou le chercheur d’or qui tirent sur lui comme sur une bête sauvage, manifeste réellement et pratique une inhumanité similaire envers lui, brandissant un stylo à la place d’un fusil. »

[12]  Richard FLECK, The Indians of Thoreau, p 17. Traduction de l’auteur : « Quel genre de faits, quel genre d’évènements sont ceux qui se sont passés en Amérique avant que le continent soit connu des habitants du vieux monde ? »

[13]  Henry David THOREAU, Extracts Relating to the Indians: Notebook One, p 120.

[14]  Ibidem, p 22.

[15]  Convers FRANCIS et Jared SPARKS, Life of John Eliot: The Apostle to the Indians, Boston, 1836, p 100.

[16]    Albert KEISER, « Thoreau’s Manuscripts on the Indians », p 192. Traduction de l’auteur : « Cela n’indique pas spécifiquement le fait que Thoreau regardait le peau-rouge du point de vue de l’anthropologue, du naturaliste et de l’homme littéraire. »

[17]  Ibidem, p 187. Traduction de l’auteur : « Certains disaient qu’il existait des similitudes entre la langue indienne et d’autres langages et cette affirmation était considérée comme douteuse par l’observateur et juge si impartiale qu’était Thoreau. »

[18]   Lawrence WILLSON, « Thoreau: Student of Anthropology », American Anthropologist, New Series, volume 61, N°2, 1959, p 287.

[19]  Ibidem, p 279.

[20]  Richard FLECK, The Indians of Thoreau, p 12. Traduction de l’auteur : « Cependant, s’il avait vécu plus longtemps pour écrire un livre indien poétique et rigoureux, le traitement déplorable que nous avons fait subir à l’Indien au XIXe siècle aurait pu être modifié. »

[21]   Joshua David BELLIN, « In the Company of Savagists: Thoreau’s Indian Books and Antebellum Ethnology », The Concord Saunterer: A Journal of Thoreau Studies, New Series, volume 16, 2008, p 2. Traduction de l’auteur : « [Les Indian Books] révèlent que Thoreau n’a pas voulu ou a été incapable de se libérer des croyances dominantes du milieu du XIXe siècle concernant les Indiens d’Amérique, les relations qu’ils entretenaient avec la civilisation euro-américaine et leur ultime destin. »

[22]   Henry Rowe SCHOOLCRAFT, Historical and statistical information : respecting the history, condition and prospects of the Indian tribes of the United States, volume 6, Philadelphie, Lippincott & Co, 1857, p 27. Traduction de l’auteur : « L’homme n’a pas été créé pour être un sauvage, un chasseur ou un guerrier, mais pour être un horticulteur, un agriculteur et un éleveur de bétail – un forgeron, un musicien – un adorateur de Dieu et non du soleil, de la lune et des étoiles. La condition de sauvage est un déclin par rapport à ce type d’être humain élevé. »

[23]  Joshua David BELLIN, « In the Company of Savagists », p 2. Traduction de l’auteur : « [Les Indian Books] sont marqués par l’entrelacement d’idées biaisées, caractéristiques de l’ethnologie antérieure à la Guerre de Sécession, qui avait la conviction que les Indiens étaient une race inférieure et à part. »

[24]  Henry David THOREAU, Journal, volume 7, p 153.

[25]  Richard FLECK, The Indians of Thoreau, p 16. Traduction de l’auteur : « Quel immense différence entre un peuple sauvage et un peuple civilisé. Au premier abord la différence est peu flagrante – et le sauvage ayant de nombreuses qualités physiques – nous sous-estimons en comparaison la supériorité générale de l’homme civilisé. »

[26]  Henry David THOREAU Journal, volume 10, p 251. Traduction de l’auteur : « Qui peut douter de la différence essentielle et innée entre un homme et un autre, lorsqu’il considère une race toute entière, comme celle des Indiens, qui s’éteint de manière inévitable et résignée en dépit de nos efforts pour les convertir au Christianisme et pour les éduquer? »

[27]  Henry David THOREAU, Journal, volume. 1, p 445. Traduction de l’auteur : « [Les Indiens] me semblent être un peuple distinct et également respectable, né pour errer et chasser et non pour être civilisé par l’homme blanc. »

[28]   Roy Harvey PEARCE, Savagism and Civilization : a Study of the Indian and the American Mind, Baltimore, The Johns Hopkins Press, 1967, p 130.

[29]  Richard FLECK, Henry Thoreau and John Muir, p 26.

[30]  Henry David THOREAU, Journal, volume 2, p 448.

[31]  Henry David THOREAU, « Walking » in Civil Disobedience and Other Essays, Dover Thrift Editions, 1993, p 61.

[32]  François HARTOG, Anciens, modernes, sauvages, Paris, Galaade Éditions, 2005, p 40.

[33]  Henry David THOREAU, Les forêts du Maine, traduit par F. SPECQ, Paris, Editions Rue d’Ulm, 2004, p 473.

[34]  Roy Harvey PEARCE, Savagism and Civilization, p 121. Traduction de l’auteur : « c’est l’aspect sauvage de leur vie qui retient les Indiens dans un état de sauvagerie. »

[35]  Henry David THOREAU, The Maine Woods, Digireads Publishing, 2006, p 37. Traduction de l’auteur : « Ainsi un homme doit mener sa vie ici, au seuil de la nature sauvage, sur le courant du Millinocket indien, dans un nouveau monde, enfoncé dans les profondeurs obscures d’un continent, et doit avoir une flûte pour jouer le soir, tandis que sa mélodie fait écho aux étoiles, parmi les hurlements des loups ; il doit vivre, comme il vivait, à l’âge primitif du monde, en homme primitif. »

[36]  Henry David THOREAU, Journal, volume 1, p 473.

[37]  Henry David THOREAU, Journal, Vol 11, p 438. Traduction de l’auteur : « C’est l’esprit de l’humanité, qui anime à la fois les soi-disant sauvages et les nations civilisées, agissant à travers l’homme, et non l’homme qui s’exprime, qui nous intéresse le plus. La pensée d’une soi-disant tribu de sauvage est généralement bien plus juste que celle d’un seul homme civilisé. »

[38]  Ibidem, p 450.

[39]    Michel de Montaigne, Œuvres Complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1962, p 203.

[40]  Roy Harvey PEARCE, Savagism and Civilization, p 150. Traduction de l’auteur : « Donc, [les transcendantalistes] étudiaient l’Indien avec insistance, pas pour trouver des bons sauvages, mais pour établir la possibilité de bons hommes civilisés. »

[41]  Henry David THOREAU, Journal, volume 5, p 457.

[42]  Henry David THOREAU, Les forêts du Maine, traduit par F. SPECQ, p 449.

[43]  Albert KEISER, « Thoreau’s Manuscripts on the Indians », p 189/90 ; Les citations de Schoolcraft remplissent 212 pages des Indian Notebooks et les citations provenant des Relations des Jésuites occupent 330 pages des Indian Notebooks.

La peur comme arme électorale aux Etats-Unis : le cas des spots de campagne

Lauric HENNETON

Résumé

Cet article analyse l’usage politique de la peur dans le contexte particulier de la campagne présidentielle américaine de 2008, notamment par le biais des spots de campagne. Après une présentation des ressorts psychologiques de la peur, l’article montre que le recours à la peur comme arme discursive n’est pas uniquement l’apanage des républicains puisqu’il fut également largement pratiqué par les démocrates, notamment au cours de la longue séquence des primaires du printemps 2008. Enfin, l’élargissement de la focale sur quelques cas britanniques et français montre que la stratégie phobique n’est pas une spécificité américaine, malgré l’impression conférée par les spots de campagne, pourtant typiquement américains.

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Lauric Henneton est maître de conférences à l’UVSQ depuis 2007. Il y enseigne la civilisation britannique et américaine au sein de l’Institut des Etudes Culturelles et Internationales et est membre du laboratoire ESR/DYPAC. Initialement spécialiste de l’Amérique coloniale en général et de la Nouvelle-Angleterre du XVIIe siècle en particulier, il a étendu son champs d’expertise à l’espace atlantique et aux relations entre politique et religion, jusqu’à la période contemporaine. Il a publié une Histoire religieuse des Etats-Unis (Flammarion, 2012) et codirigé notamment Du bon usage des commémorations (Presses universitaires de Rennes, 2010). Il codirige actuellement un ouvrage collectif intitulé Fear and the Creation of Early American Societies dont la sortie est prévue en 2015.

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Depuis la sortie du film Bowling for Columbine de Michael Moore (2002), l’évocation de la peur comme moteur de l’histoire américaine ne manque pas d’évoquer une séquence animée désormais fameuse, évidemment caricaturale, et qui a pour objet d’expliquer le besoin irrépressible d’armes à feu chez des Américains paradoxalement de plus en plus sujets à la peur[1]. Or, il serait fallacieux d’envisager la peur comme une exclusivité américaine, puisque, comme l’ont montré les études remarquables de Jean Delumeau, la peur est omniprésente dans l’Europe médiévale et moderne[2]. De plus, comme nous y invite Jean Delumeau, il convient de distinguer la peur, ponctuelle et aiguë, de l’angoisse, plus sourde, plus latente, qui correspond à un climat et est alimentée par des peurs liées à des crises et des menaces, elles mêmes réelles ou imaginées[3].

La présence du facteur phobique dans le champ politique américain contemporain n’est en aucun cas une nouveauté, encore moins une spécificité américaine. Dans cette étude, nous aborderons le sujet de l’usage politique de la peur à travers l’angle particulier de la campagne présidentielle de 2008, où la peur fut mobilisée comme arme électorale, notamment dans les spots de campagne télévisés, qui constituent un corpus original et cohérent. L’intérêt de la campagne de 2008 réside dans son caractère inédit, puisqu’elle est la seule depuis 1968 à ne pas voir se présenter de candidat sortant (soit président briguant sa réélection, soit vice-président visant la présidence). Nous montrerons que le recours à une rhétorique phobique n’est pas l’apanage des seuls Républicains, en dépit des dénonciations des Démocrates qui, à tort ou à raison, considèrent le stratège Karl Rove comme le grand ordonnateur du recours à la peur à l’encontre de leurs candidats, et d’études neuroscientifiques qui tendraient à associer peur et conservatisme sur des bases physiologiques. Nous démontrerons donc que les Démocrates eurent recours à des stratégies phobiques, essentiellement entre eux, au risque de faire les frais de ce que nous appelons l’effet boomerang de cette stratégie au profit des Républicains. Nous élargirons ensuite la focale pour montrer que, si la peur n’est pas l’apanage de la politique américaine, les stratégies phobiques ne sont pas étrangères au paysage politique français et britannique et que, comme aux Etats-Unis, elles ne sont pas la prérogative des seuls partis conservateurs, mais qu’elles sont également utilisées par les partis de (centre-)gauche. Cette constatation, ainsi que les modalités et les effets du recours à la peur, permettent d’élargir la réflexion sur les stratégies de conquête politique et d’établir un certain nombre de règles quant à l’(in)opportunité de la peur comme arme électorale.

La relation entre la peur (ou l’angoisse) – et plus généralement les affects – et la politique est un champ dynamique de la psychologie politique actuelle outre-Atlantique, comme en témoignent les études parues dans la revue Political Psychology, ainsi qu’un certain nombre d’ouvrages récents[4]. Certaines de ces études montrent que la peur peut avoir des effets positifs sur les électeurs, en suscitant leur curiosité et en les poussant à s’informer plus et mieux, ainsi que sur les militants et les donateurs[5]. Les stratégies fondées sur les affects, et parmi elles les stratégies phobiques, ne doivent donc pas être perçues comme systématiquement illégitimes dans la mesure où elles peuvent servir de catalyseur à la vie démocratique. Par ailleurs, ces stratégies phobiques ont pour vecteur privilégié les campagnes de dénigrement (negative campaigning), a priori considérées comme condamnables (et dénoncées comme telles dans la presse). Elles ont fait l’objet d’un certain nombre d’études universitaires qui tendaient d’abord à montrer qu’elles avaient pour effet (pervers) de démobiliser l’électorat et de faire chuter le taux de participation. Or, une enquête récente montre qu’elles ont, au contraire, un effet mobilisateur, en mettant en avant des menaces qui catalysent à leur tour un besoin d’information chez les électeurs potentiels[6].

Amygdale républicaine contre cortex démocrate ?

 Les démocrates ont tendance à dénoncer le recours à une stratégie de la peur par leurs adversaires républicains, accusés d’en appeler –injustement – aux plus bas instincts (en réalité aux émotions) des électeurs, plutôt qu’à leur raison. Nous entendons montrer que cet argument est infondé, malgré la cohérence que semblent donner les résultats de deux enquêtes neuropsychologiques : nos comportements électoraux seraient-ils déterminés par notre perception ? Dans une étude publiée dans la revue Science en septembre 2008, une équipe de l’Université du Nebraska a mesuré la perception de la peur à travers les manifestations somatiques de la réceptivité à des stimuli anxiogènes pour corréler ensuite cette sensibilité à des positions politiques préalablement renseignées par les sujets[7]. Les résultats semblent suggérer que la réceptivité à des stimuli anxiogènes est directement proportionnelle à des réflexes de protection de la sphère sociale à laquelle appartient le sujet (social unit). Les sujets les plus sensibles aux stimuli anxiogènes sont largement favorables à :

  • une politique migratoire restrictive (intrusion d’outsiders qui remettent en cause l’intégrité du groupe / de la communauté),
  • une augmentation des dépenses militaires, perçues comme renforçant le sentiment de sécurité,
  • un leader fort et décidé, par opposition à un leader avec des positions conciliantes et sujet au flip-flopping – tergiversations ou revirements,
  • un maintien ou un renforcement de critères de moralité (opposition à la pornographie, au mariage homosexuel, perçus comme compromettant l’intégrité des piliers moraux qui soutiennent le groupe). Ce critère, sans être aussi déterminant qu’on a pu le prétendre, eut plus de poids en 2004 que dans les années 1990 car le contexte de terrorisme latent faisait apparaître la communauté comme plus fragile et donc plus sensible aux formes de « corruption » morale.
  • une politique de fermeté en matière de criminalité (favorables à la peine de mort),

Ces résultats, s’ils peuvent être contestés par la faiblesse du nombre de sujets cliniques, semblent avoir été au moins en partie confirmés par une étude plus récente, à nouveau sur une cohorte limitée, mais avec des taux de prédictivité quasi-parfaits[8].

Cette hypersensibilité à différents types de menace traduit un pessimisme que l’on peut opposer à un caractère plus optimiste. L’opposition entre pessimisme et optimisme recoupe l’opposition entre conservatisme et progressisme, voire entre droite et gauche avec les déclinaisons nationales appropriées. Il s’agit de deux façons de percevoir le monde, que l’on ne choisit pas. D’un point de vue physiologique il faut opposer l’amygdale (siège de la peur et plus largement des affects, des émotions) et le cortex (siège de la raison, de l’intellect).

Ces résultats semblent suggérer, par conséquent, que les candidats conservateurs aient plus naturellement recours à des stratégies de communication mettant en œuvre des stimuli phobiques, ou anxiogènes, afin soit de conforter les électeurs dans leurs positions conservatrices (protectrices) comme cela peut être le cas pour les militants ou les sympathisants, soit de faire ressentir aux indécis le besoin, pour eux-mêmes, de soutenir des positions de type protectrices, défendues par un candidat donné, pourvu que le candidat en question, en plus de ses positions, incarne la protection, une figure rassurante.

Une dimension connexe de cette stratégie de communication est le recours, via les campagnes de dénigrement (negative campaigning) à la déstabilisation de l’adversaire et plus précisément à sa disqualification : dans un jeu politique où le crédit (la réputation) est une composante essentielle du capital politique et dans un contexte anxiogène (terrorisme, guerre, catastrophes naturelles, récession) où la confiance devient une condition sine qua non pour être élu, toute tentative de décrédibilisation peut avoir un effet dévastateur sur la campagne d’un candidat donné.

C’est ce qui explique l’importance des accusations de tergiversation, d’hésitation, d’indécision (flip-flopping) associées à John Kerry et qui ont contribué à lui coûter la présidence en 2004. D’où également la chute de popularité spectaculaire de Gordon Brown après la « non élection » d’octobre 2007[9]. Au pouvoir, ce type d’accusation peut vite se transformer en réputation d’incompétence.

Les stratégies « amygdaliennes », faisant appel aux affects et principalement à la peur[10] (par opposition aux stratégies corticales, faisant appel à la raison) ont donc deux niveaux :

  1. dans un contexte de menaces multiples, je suis le candidat qui incarne le mieux la protection dont vous avez besoin et qui défend des positions visant, dans votre perception d’électeurs, à renforcer votre sécurité et la sécurité de votre sphère sociale ;
  2. mon adversaire, au contraire, n’est pas assez ferme, pas assez résolu, il hésitera au moment de prendre des décisions capitales, et les positions qu’il défend sont de nature à affaiblir la cohésion du groupe (la Nation), à mettre en danger l’équilibre précaire sur lequel elle repose.

George W. Bush incarne le leader du premier cas et les gens qui votèrent pour lui n’étaient pas dupes[11]. Il incarnait, en tout cas en 2004, avant Katrina et l’enlisement en Irak, la détermination à mettre en œuvre des moyens militaires onéreux (donc sophistiqués ?), drapé dans une rhétorique patriotique mettant en avant la grandeur de la Nation, la communauté la plus large dans laquelle les Américains s’identifient, une rhétorique religieuse, donc une certaine transcendance rassurante – après les catastrophes naturelles et les attentats, les églises se remplissent, depuis des siècles[12]– le tout dans une perspective manichéenne d’opposition du bien et du mal : ce qui semble simpliste pour certains paraîtra clair donc rassurant pour d’autres. Le bien et le mal sont des repères familiers[13].

D’autres études[14] ont montré que ce n’est pas tant la peur en soi qui génère des positions conservatrices ou défensives, mais la conscience (et la peur) de sa propre mortalité, notamment au travers de « death reminders », que nous choisissons de rendre ici par memento mori. Aux États-Unis, l’évocation du 11 septembre, d’une façon implicite ou explicite, verbale ou picturale, semble être le memento mori par excellence. Un film sur le 11 septembre fut d’ailleurs diffusé lors de la Convention républicaine de 2008 alors que le sujet n’avait pas été évoqué lors de la Convention démocrate. Les images de Ben Laden succédèrent à celles des attentats perpétrés contre les ambassades américaines d’Afrique de l’Est, mais la suite (chrono)logique était les images de New York accompagnées par les mots « this time on American soil ». A une menace extérieure et relativement désincarnée, qui touche des intérêts américains, et des ressortissants américains, certes, mais de l’autre côté du globe, succède une menace plus domestique, plus proche de soi et qui fait donc vibrer la corde du memento mori. Ici, il s’agit de mobiliser des délégués autour de valeurs et de thématiques définitoires du parti et aucunement de convaincre des indécis que le Parti républicain est le parti qu’il faut élire pour protéger les Américains.

Les paragraphes qui suivent montrent comment les Républicains ont eu recours à ce genre de stratégie de communication que l’on peut qualifier de rovienne, du nom du stratège Karl Rove, que ce soit sous Bush ou, plus près de nous, par la campagne de John McCain. Pourtant, il serait faux de considérer que les Républicains sont les uniques dépositaires de la stratégie rovienne (amygdalienne) alors que les Démocrates n’auraient recours qu’à des campagnes purement « corticales », ne mobilisant que la raison de leurs électeurs et non leurs bas instincts : tant Kerry que Clinton, et même, dans une proportion certes moindre, Obama y eurent recours. Cependant, il s’agit d’abord de contextualiser les spots de la campagne 2008 dans une histoire plus large de la mobilisation des émotions dans les spots de campagne depuis les années 1960, même à grands traits.

La mobilisation des émotions dans les spots de campagne

Les spots de campagne constituent un corpus intéressant dans la mesure où ils présentent sous une forme très ramassée (généralement 30 secondes, parfois plus) un message simple sur une thématique unique (économie, criminalité, politique étrangère…) destiné à influencer le vote du téléspectateur. En tant que tels, ils témoignent de la place centrale de la télévision dans la culture américaine, depuis les années 1960, et les équipes de campagne y consacrent des millions de dollars à chaque échéance électorale, tant au niveau national qu’au niveau local. Leur format même (court et télévisé), impose un recours aux émotions afin de produire un effet plus percutant (donc plus rentable), que ce soit la peur, mais également, comme nous allons le voir, l’espoir, la colère ou l’indignation.

Parmi les spots de campagne les plus mémorables, le plus ancien est « Daisy », dans le cadre de la campagne du démocrate Lyndon Johnson en 1964. Le contraste entre l’innocence d’une petite fille effeuillant une marguerite et le compte à rebours suivi d’une explosion nucléaire est clairement anxiogène. Le message, en pleine Guerre froide, est simple : le danger serait de mettre l’arme atomique, partagée par les deux superpuissances antagonistes, entre des mains irresponsables, ici celles du candidat républicain va-t-en-guerre Barry Goldwater. Vingt ans plus tard, le démocrate Walter Mondale, confronté à un président sortant populaire (Ronald Reagan), tenta d’effrayer les électeurs afin de les rallier à sa cause. Dans le spot « Rollercoaster », il comparait les résultats économiques du premier mandat de Reagan à des montagnes russes : certes, l’économie avait fini par se redresser (on « monte ») mais il fallait s’attendre, comme dans des montagnes russes, à ce que l’ascension, la croissance, soit suivie d’une descente vertigineuse. Le problème fondamental du spot (pas du message) est qu’une montagne russe est un manège, une forme de loisir que l’on choisit non pas parce qu’il est dangereux mais pour se procurer des sensations fortes : la descente vertigineuse est une source de plaisir. En 1988, le vice-président sortant, George H.W. Bush eut recours à un modèle du genre en matière de politique de la peur avec le spot intitulé « Willie Horton », du nom d’un meurtrier récidiviste noir, auquel l’adversaire démocrate de Bush, Michael Dukakis, avait accordé des permissions de sortie au cours desquelles il avait commis des meurtres effroyables. La mise en image, la « voix off », les quelques mots accentués par écrit et le caractère implacable de la démonstration (à un rythme soutenu) ne laissent aucune place au doute : Michael Dukakis, par son angélisme, est dangereux. Par conséquent, il faut voter Bush. Le ressort de ces trois spots est la dénonciation de l’adversaire. On voit au passage que c’est un ressort partagé par les deux grands partis – ce n’est donc aucunement l’apanage des seuls républicains. Aucun de ces spots n’incite les électeurs/téléspectateurs à voter pour le candidat à l’origine du spot mais contre son adversaire, au nom de la menace qu’il incarne.

D’autres spots célèbres jouent sur un registre radicalement différent. Côté républicain, « Morning in America » de Ronald Reagan (1984) joue sur le thème du patriotisme, de la fierté, de l’espoir. La musique est douce, les personnages souriants, les statistiques encourageantes. En creux le message est clair : la situation est tellement meilleure que quatre ans plus tôt, sous les démocrates (Carter et son vice-président, Walter Mondale, par ailleurs adversaire de Reagan). A la « nuit » démocrate de la fin des années 1970 (deuxième choc pétrolier, humiliation de la crise des otages à Téhéran) succède le « matin » reaganien. Côté démocrate, en 1992, le premier spot de Bill Clinton est clairement biographique et repose également sur l’espoir. C’est son titre, « Hope ». De façon presque providentielle, c’est aussi le nom de la petite ville de l’Arkansas où est né le candidat Clinton, qui se présente comme l’incarnation du rêve américain : un Américain très modeste qui a gravi tous les échelons de la politique à force de travail au service des autres. Ici encore, démocrates et républicains peuvent avoir recours à des spots plus positifs bâtis sur l’espoir plus que sur la peur, même si la peur n’est pas totalement absente du spot « Morning in America ». Les spots de campagne participent du discours politique plus général, mais leur format (court) et leur medium (télévisé) leur confèrent une charge émotionnelle qui se trouve diluée dans un discours prononcé par le candidat lors d’un meeting de campagne. Ce recours aux émotions, qu’il soit positif ou négatif, n’est l’apanage d’aucun des deux grands camps : les démocrates ne sont pas le camp de l’espoir et de la raison, les républicains n’ont pas le monopole des bas instincts en général et de la peur en particulier. Il n’est donc pas surprenant que, contrairement aux allégations démocrates, la situation se répète pendant la campagne 2008.

La peur comme arme républicaine de Bush à McCain

La peur peut constituer un instrument de gouvernement : le 24 septembre 2007, dans l’émission Countdown sur MSNBC, Jane Harman, représentante démocrate de Californie, dénonçait la politisation de la terreur par Bush, une « stratégie rovienne », destinée à mettre sous pression le législateur pour faire voter sans difficulté le programme néoconservateur[15]. Mais on se souvient également que la peur a joué un rôle important lors de la réélection de George W. Bush en 2004, que ce soit la communication du président en exercice sur la menace terroriste, comme Dick Cheney qui déclarait la veille du scrutin « Si nous faisons le mauvais choix, le danger est que nous soyons frappés à nouveau », ou l’intervention (providentielle ?) de Ben Laden le 29 octobre via Al-Jazeera. Bush et Cheney réussirent à renverser une situation qui leur était alors défavorable, si l’on se fie à des sondages qui plaçaient Kerry en tête tant dans l’Ohio (50-46) qu’en Floride (49-45)[16]. La peur n’explique pas tout, certes. Il a été établi que les Républicains réussirent à mobiliser efficacement les électeurs des exurbs, les banlieues les plus éloignées, négligées par les Démocrates, et c’est ce qui semble avoir fait la différence dans l’Ohio, l’État qui fit basculer l’élection. Ces deux explications (la peur et la mobilisation des exurbs) ne sont évidemment pas mutuellement exclusives[17].

L’effet des arguments anxiogènes, dans le cadre américain, est sans doute aggravé par l’hypermédiatisation de l’information et l’hypercouverture, permanente et obsessionnelle, des élections par les médias américains longtemps en amont. Pour autant, les médias ne font pas l’information, ils donnent au public ce qu’il attend, ce qui l’attirera, ce qui fera augmenter la part de marché. L’offre médiatique et la demande du public sont donc indissociables dans une économie de l’information[18].

L’impact des médias les plus conservateurs (Fox News, Rush Limbaugh…) est quant à lui limité dans la mesure où ils s’adressent à des sympathisants et non à un large public représentatif de la diversité des opinions politiques. Les accusations de « socialisme » rampant (comprendre communisme) foisonnèrent surtout (sauf erreur) après la victoire d’Obama et n’ont dû avoir pour effet que de conforter les électeurs républicains dans leur opinion.

L’influence médiatique est en revanche maximale dans le cadre des spots de campagne, largement diffusés sur les réseaux télévisuels, notamment dans le cas de John McCain, mais aussi, comme nous le verrons dans un deuxième temps, pour Hillary Clinton. Le spot de campagne, dans un format réduit de 30 secondes (sauf exception) où le texte est limité à quelques phrases simples, joue à plein sur les émotions, et notamment par le biais de la perception visuelle au moins autant que par les mots (les images furtives sont souvent plus éloquentes que les quelques mots, mais les deux se renforcent mutuellement). Ces spots systématisent, ils essentialisent un message simple : notre candidat est le plus apte à gouverner l’Amérique, notre adversaire est faible, dangereux, hésitant, globalement inapte à une fonction présidentielle conçue comme une fonction largement défensive et protectrice.

Ce n’est pas Hillary Clinton qui est la principale cible des spots de la campagne de McCain, essentiellement parce qu’elle n’a jamais été une adversaire directe[19]. Les spots commencent vraiment à viser Obama au mois de mai, donc un peu avant l’officialisation de l’abandon d’Hillary Clinton. Le spot « Can we ask » (réponse : yes we can) n’était pas payé par McCain mais par le Republican National Committee (la mention apparaît en petits caractères à la fin du spot). C’est le plus complet : il attaque le bilan législatif d’Obama (remarquer qu’il n’a pas pris position sur nombre de questions importantes mais a voté « présent » est l’équivalent d’une accusation de flip-flopping), ses valeurs et son inexpérience. Les spots directement financés par la campagne de McCain attaquant Obama apparaissent une fois celui-ci seul candidat démocrate en course (début juin). Ils mettent en avant l’inexpérience, la naïveté et l’idéalisme, voire l’irresponsabilité d’Obama, quand ce n’est pas son image médiatique « d’élu » (« The One ») et par là une certaine mégalomanie, sa rhétorique (évidemment décrite comme creuse, donc implicitement démagogique : « Don’t hope for a better life, vote for one ») et son côté people (le spot « Celeb » l’associe visuellement à Paris Hilton et Britney Spears, donc à une frivolité creuse et superficielle). « He may be the One, but is he ready to lead ? », Il est peut-être l’Élu, mais est-il prêt à commander ? On en revient toujours à la question prosaïque qui combine expérience et leadership, les marques de fabrique de John McCain.

Certains spots mettent en avant ses revirements (flip-flopping), notamment un sur la fiscalité où les seuils pour les baisses d’impôt changent à chaque déclaration, et un autre (« Words ») qui révèle un revirement d’Obama avec des extraits qui le prouvent et le jugement évidemment très négatif de la presse, comme pour abonder dans le sens de McCain. Quelques jours plus tard, McCain expliquait à des donateurs du Kentucky que l’élection reposait sur la notion de confiance, et que « malheureusement, comme il est apparu à plusieurs reprises, on ne peut pas se fier à la parole du Sénateur Obama[20]. »

L’inexpérience de son premier mandat de sénateur se mue parfois en irresponsabilité qui mettrait en danger l’Amérique s’il devenait président. Deux exemples : ses relations avec l’ancien terroriste William Ayers, du Weather Underground, et le fait qu’en mai 2008 il ait qualifié l’Iran de pays minuscule (« Tiny », titre du spot) et inoffensif (« not a serious threat ») – il est dûment cité, mais il faudrait vérifier si ses propos ne sont pas tronqués ou détournés. Ce qui fait conclure à la voix off qu’en ne voulant pas admettre les liens (potentiels) entre l’Iran, le terrorisme, Israël (donc l’antisémitisme) et la menace nucléaire, Obama était « dangerously unprepared ». Non seulement il n’est pas prêt, comme l’avait prétendu pendant les primaires un certain Joe Biden, lui aussi utilisé à ses dépens par les Républicains, mais son impréparation est « dangereuse ».

Autre source de danger pour l’Amérique, sa relation avec William Ayers, décortiquée dans un spot inhabituellement long (1’40) diffusé pour la première fois le 8 octobre 2008. La voix off explique que non seulement ils sont « amis », mais que la carrière politique d’Obama a débuté dans le salon d’Ayers (« launched his political career in Ayers’ living room »), ce qui confère une dimension intime à leur relation. Ce n’est donc pas qu’une vague connaissance croisée à des réunions dans des lieux neutres. Interrogé à ce sujet, Obama aurait décrit Ayers comme « un type de mon quartier » (« a guy from my neighbourhood »). Entre candeur et malhonnêteté, la voix off choisit la candeur, et met en doute le discernement d’Obama, concluant qu’il est « trop risqué pour l’Amérique », slogan qui avait déjà été employé dans un spot justement intitulé « Dangerous » quelques jours avant (5 oct.). L’argumentaire anxiogène se fait d’autant plus insistant que le jour du scrutin approche.

L’image qui vient à l’esprit dans ce contexte est la couverture controversée du New Yorker, qui voulait synthétiser toutes les attaques à l’encontre d’Obama, et non le stigmatiser, en le représentant en taliban enturbané aux côtés d’une Michelle Obama déguisée en Black Panther, elle qui avait avoué n’être fière d’être américaine que depuis peu. [IMAGE 1] Mais ce point, tout comme le fait qu’Obama ne porte pas le drapeau à sa boutonnière, ne relevaient pas d’une stratégie de McCain, ni même des Républicains (l’épisode du flagpin date d’octobre 2007).

La question raciale n’est évidemment pas le sujet dans ces spots, de même qu’Hillary Clinton n’est jamais attaquée en tant que femme[21]. Les attaques contre Obama se résument à son impréparation et les conséquences néfastes pour l’Amérique (notamment dans le domaine international), son idéalisme ou sa naïveté, également dangereuses, son côté démagogique, voire anti-américain. McCain avait explicitement demandé qu’on n’exploite pas le middle name d’Obama (Hussein) à des fins politiciennes, et un de ses conseillers a été limogé pour cela. En revanche, la mention systématique de ce deuxième prénom a fait surface juste avant le caucus du Nevada, dans des appels automatiques (robocalls) anonymes mais très probablement orchestrés par la campagne d’Hillary Clinton, alors son adversaire directe. Appeler Obama « Hussein » était mettre en avant non seulement son altérité, mais aussi son association (pourtant lointaine) avec l’Islam, et donc par un rapprochement un peu rapide avec la menace terroriste. Sans oublier d’évidents échos irakiens.

Avant de nous pencher sur l’utilisation de stratégies phobiques (roviennes ?) par les Démocrates, nous conclurons cette partie par l’utilisation par l’équipe McCain des propres mots des Démocrates entre eux, ce que l’on peut qualifier d’effet boomerang de la campagne négative.

Le long spot « Remote control » (1’35), diffusé fin août 2008, utilisait les déclarations des Démocrates et notamment de la campagne Clinton à l’encontre d’Obama, fustigeant notamment son inexpérience, sur fond d’images de guerre, d’islamistes, de scènes de chaos suivant l’assassinat de Benazir Bhutto et d’autres attentats, avec des civils couverts de sang (identification, memento mori), de Vladimir Poutine, le tout appuyé en médaillon par des citations telles que le « no time for on-the-job training » (pas le temps de se former sur le tas) avec une allusion au coup de téléphone à 3 heures du matin (voir plus loin). La même citation est assumée publiquement par Joe Biden pendant les débats démocrates, et la déclaration suivante d’Hillary Clinton a le mérite, pour le camp républicain, de dénigrer Obama tout en donnant du crédit à McCain : « Le sénateur McCain va apporter à la campagne l’expérience de toute une vie, je vais apporter l’expérience de toute une vie, le sénateur Obama va apporter un discours qu’il a prononcé en 2002 ». L’idée ici est de se dédouaner de toute accusation de mauvaise foi : ce n’est pas un nouveau coup tordu de notre parti, le coup vient de leur propre camp, c’est donc d’autant plus crédible et légitime[22].

Plus tard dans la campagne (le 23 octobre) le spot « Ladies and gentlemen » s’appuyait sur une citation de Joe Biden du 19 octobre, soit seulement 4 jours plus tôt, le tout, comme il se doit, sur fond d’images anxiogènes : des vaisseaux de guerre, Hugo Chavez, des chars, une fillette en larmes, Mahmoud Ahmadinejad. Biden annonçait une crise internationale inévitable dans les six mois qui suivraient l’élection d’Obama, parce que « le monde » voudrait le mettre à l’épreuve. Évidemment la citation n’est pas en contexte. Aux mots de Biden « Ça va arriver » (It’s gonna happen), la voix off répond « Pas forcément » (It doesn’t have to happen), si vous votez pour McCain et Palin. Le choix, fin août, de Sarah Palin comme colistière, par ailleurs, a été difficilement compris dans la mesure où il neutralisait toute la stratégie de McCain dénonçant l’inquiétante inexpérience de son adversaire.

La « rovianisation » de la communication démocrate et les dangers de l’effet boomerang

Timothy Garton Ash, observateur britannique donc extérieur, expliquait en septembre 2008 dans les colonnes du Guardian que les Démocrates n’étaient pas exempts de la politique de la peur. Il craignait que dans un contexte phobique aigu de terrorisme, de crise économique et de catastrophes naturelles, les électeurs privilégient la dimension rassurante du ticket républicain à l’inconnue du changement et « l’audace d’espérer » (« the temerity of fear may yet defeat the audacity of hope »)[23].

A. John Kerry (2004)

Déjà en 2004, des journalistes du Washington Post avaient rejeté dos à dos les deux campagnes, ce qui bat en brèche l’idée reçue d’un monopole républicain sur les campagnes anxiogènes/amygdaliennes. Dans la mesure où l’article déclarait que Kerry adoptait la stratégie républicaine, il semble légitime de parler de rovianisation en tant que processus. En effet, la campagne de Bush prédisait que, dans la mesure où Kerry était décrit (et perçu) comme « faible en matière de terrorisme » (écho du « soft on communism » de la Guerre froide) l’élire augmenterait le risque « d’un nouveau 11 septembre » (memento mori par excellence), « voire pire » [24].

Mais le cas de John Kerry est particulier puisque les accusations formulées à l’encontre du président sortant étaient sans fondement et s’apparentaient plus à des rumeurs. Le fait que l’on voyait clairement les ficelles rendait cette stratégie contre-productive. Parmi les accusations de la campagne démocrate, la menace de la conscription, propre à réveiller les fantômes du Vietnam, le risque accru d’une attaque nucléaire sur le sol américain (memento mori d’autant plus efficace, théoriquement, que la menace est proche de l’électeur). La menace d’une attaque nucléaire ravivait une peur historique du temps de la Guerre froide. Ted Kennedy évoquait non seulement le risque d’une attaque nucléaire avec l’image du « mushroom cloud » (l’image, même verbale, étant encore plus évocatrice que le terme, plus abstrait, d’attaque nucléaire), mais précisait également qu’une telle attaque concernait « n’importe quelle ville » américaine, ce qui rendait la menace encore plus aiguë que le 11 septembre, qui avait surtout concerné New York et Washington. Cette image évoquait immanquablement le spot de campagne « Daisy » de Lyndon Johnson qui visait Barry Goldwater en 1964[25]. Le ressort est le même : voter pour notre adversaire (Bush comme Goldwater) c’est augmenter la menace d’une apocalypse atomique sur notre sol. Dans une moindre mesure, Jimmy Carter avait accusé Reagan d’être un « Va-t-en guerre » (warmonger), ce qui relève d’une stratégie phobique, mais bien moins efficace car moins directement évocatrice.

B. Les Clinton (2007-2008)

Voilà qui tranche en tout cas avec une déclaration de Bill Clinton en 2004, lors d’un meeting de soutien à John Kerry : « Si un candidat en appelle à vos peurs [Bush] et l’autre à vos espoirs [Kerry], vous feriez mieux de voter pour celui qui vous donne à réfléchir et à espérer », ce que l’on peut qualifier d’archétype de la stratégie corticale démocrate, noble, par opposition à la stratégie rovienne faisant appel à l’amygdale des électeurs[26]. Pourtant, dès décembre 2007, à quelques semaines du premier caucus, Bill Clinton avait déclaré que choisir Obama, le candidat le moins éprouvé, revenait à « a roll of the dice », un coup de dés[27]. Et d’ajouter : « A quand remonte la dernière fois que nous avons élu un président qui n’avait été en poste qu’une année avant de se porter candidat? » Dix jours plus tard, à la suite de la mort de Benazir Bhutto dans un attentat, Hillary Clinton, tout en appelant à ne pas politiser la situation, n’a pas pu s’empêcher de rappeler que le monde était « dangereux et imprévisible » et que les États-Unis avaient besoin d’un président (ou d’une présidente) expérimenté(e)[28].

Le mois suivant, juste avant le caucus du Nevada, des appels automatiques (robocalls) mettaient en avant le middle name d’Obama, Hussein, comme nous l’avons vu plus haut. Même si l’on ne sait pas précisément qui est à l’origine de ces appels, il est fort probable que ce soit l’équipe d’Hillary Clinton. L’association entre Obama, l’Islam et le terrorisme a ensuite fait florès, notamment sur Internet, dans les blogs et sur YouTube : la campagne de calomnie, une fois lancée dans un espace public ultra-démocratisé, échappait immanquablement à tout contrôle.

Les spots de campagne d’Hillary Clinton sont de plus en plus difficiles à trouver sur YouTube, il semble qu’ils aient été supprimés après le retrait de la candidate pour limiter leur effet boomerang sur Obama. Certains restent consultables sur le compte d’autres utilisateurs. C’est le cas de « Kitchen » (référence à une citation de Truman, « If you can’t stand the heat, stay out of the kitchen ») diffusé à la veille de la primaire de Pennsylvanie (22 avril 2008). Sur fond de musique martiale, la fonction de président des États-Unis est décrite comme « le boulot le plus difficile au monde ». Les images, non commentées, sont celles de Roosevelt, de la crise de 1929 et de Pearl Harbor, mais aussi de Kennedy et de Castro et Khrouchtchev ensemble, allusion à la crise des missiles de Cuba en 1962, donc à la Guerre froide et à la menace nucléaire sur le sol américain, toujours le memento mori le plus puissant, mais peut-être plus subtil que le 11 septembre puisqu’il nécessite quelques connaissances historiques, contrairement à « 9/11 », qui n’est pas oublié puisqu’à des images de la chute du Mur de Berlin (fin de la Guerre froide) succède une image furtive de Ben Laden. Suivent des images de pénurie d’essence et de victimes de Katrina réfugiées sur un toit (référence à l’incompétence de l’administration Bush dans la gestion de cette crise). La voix off déclare « You need to be ready for anything », « Il faut être prêt à toute éventualité », allusion à la thématique de l’expérience. La dernière image est celle d’Hillary Clinton, rayonnante pendant un meeting. Derrière elle, une pancarte sur laquelle on voit le mot « ready », écho au slogan « ready to lead » de McCain (même si celui-ci sera surtout utilisé après le retrait de Clinton). Cette stratégie de communication ne repose sur rien de précis, rien d’autre que la profession d’expérience de la candidate Clinton. A ce titre, elle est purement incantatoire, performative : l’expérience de Clinton n’a pas besoin d’être démontrée, il suffit de l’affirmer et de la répéter pour lui donner corps. Dans un entretien avec Wolf Blitzer (CNN), le même jour, la représentante pro-Obama Jan Schakowsky accusait Clinton d’avoir recours à une stratégie rovienne (« using the Karl Rove playbook »)[29].

Un des spots les plus connus d’Hillary Clinton, car amplement discuté (et parodié) reste celui du coup de téléphone à 3 heures du matin (« 3 a.m. ») du 29 février, faisant une nouvelle fois appel à l’expérience autoproclamée d’Hillary Clinton, sur fond de memento mori (« It’s 3 a.m. and your children are safe and asleep »). L’irruption des enfants est tout sauf innocente : elle mobilise ce que l’électeur a de plus cher. Clinton y est présentée comme « someone ready to lead in a dangerous world » qui connaîtrait les chefs d’état et l’armée. La réponse de l’équipe d’Obama apparaît sous la forme d’une sorte d’anti-spot le 2 mars (donc deux jours avant les primaires du 4 mars, dans l’Ohio et au Texas). L’équipe d’Obama a retenu la leçon de 2004 : il est impératif de répondre pour neutraliser l’attaque avant qu’elle ne marque les esprits[30]. Mieux, l’argumentaire du spot de Clinton fut rapidement déconstruit dans des émissions consacrées aux élections.

C. Barack Obama

Obama, comme Kerry, fut pris malgré lui dans la tourmente de la « stratégie de la peur », qu’il ne suffit pas de dénoncer, comme il l’a pourtant fait à plusieurs reprises, renvoyant dans les cordes Hillary Clinton et George W. Bush (en janvier 2008) en opposant de façon somme toute classique « hope » et « fear ». Dénoncer et déconstruire, c’est s’adresser au cortex. C’est plus noble mais moins efficace que de s’adresser à l’amygdale.

Pourtant, en décembre 2007, dans l’Iowa, il avait lui-même brièvement participé au discours de la peur, paradoxalement en le dénonçant. Il avait notamment rappelé les dangers auxquels l’Amérique était confrontée, poussant le réalisme jusqu’à préciser que des dizaines de milliers de jihadistes aimeraient sûrement faire sauter le bâtiment où ils se trouvaient à ce moment là – memento mori par excellence. Et réalisme irréaliste – Al Qaeda n’ayant probablement pas pour priorité absolue de faire sauter l’obscur Wartburg College à Waverly, Iowa. Pourtant Obama met ses auditeurs en situation pour mieux rappeler ensuite que la fonction présidentielle qu’il convoite est une fonction protectrice[31].

D. Les dangers de l’effet boomerang

Il semble donc légitime de parler de rovianisation de la communication politique au-delà des Républicains, une rovianisation plus marquée chez Hillary Clinton que chez Barack Obama. Le plus problématique est peut-être l’utilisation d’une rhétorique de la peur entre candidats démocrates à cause de l’effet boomerang de celle-ci quand elle est utilisée après coup par l’adversaire républicain. La campagne démocrate a certes fait disparaître de YouTube les spots de campagne d’Hillary Clinton qui pouvaient nuire à l’image d’Obama, mais il en subsiste toujours et les Républicains ont réussi à se procurer les images en question sans difficulté dès l’instant où elles font leur entrée dans l’espace public et dans ce qui apparaît comme un théâtre politique.

Une autre dimension préoccupante de cette stratégie est la facilité avec laquelle les adversaires de la veille peuvent passer l’éponge sur des semaines d’attaques ad hominem visant à détruire la crédibilité, en l’occurrence, de Barack Obama. On peut donc s’étonner de voir un Joe Biden devenir son colistier et Obama pardonner promptement à Hillary Clinton en la nommant au poste de Secrétaire d’État – un poste à responsabilités où, ironie de l’histoire, elle peut faire valoir son expérience tant vantée pendant les primaires. Le «pardon » d’Obama évoqué à l’instant tend à montrer non pas tant les immenses qualités humaines du nouveau président que son acceptation, le temps de la campagne – et sûrement un peu malgré lui – de méthodes d’habitude considérées comme indignes par les Démocrates. Faut-il donc voir dans cette stratégie une forme de jeu politique dont les joueurs savent qu’il n’y a aucune sincérité derrière les arguments ? N’est-ce pas alors potentiellement un jeu de massacre politique ?

Autre exemple : quelques semaines avant les élections, la représentante Michele Bachmann du Minnesota, avait confié à Chris Matthews (MSNBC) son inquiétude quant aux « opinions antiaméricaines » que pourrait avoir Obama. Quelques jours après l’élection (et sa propre réélection), elle se réjouissait de la victoire d’Obama pour les États-Unis, non pas en tant que candidat démocrate, mais comme candidat noir[32]. Il semble qu’une règle implicite de ce jeu soit une certaine forme de traçabilité qui permet de faire la part de l’attaque légitime et documentée (mettre en avant un revirement, par exemple) et de la calomnie (attaque sans preuve). Entre les deux se trouvent la manipulation des citations, l’extraction de leur contexte, qui peuvent induire les électeurs à avoir peur de contre-vérités. La tâche du candidat victime est de répondre aussi vite que possible pour rétablir la vérité, et de préserver ainsi son indispensable capital de crédibilité.

Perspectives : au-delà des États-Unis

 La « politique de la peur » est un phénomène qui dépasse les frontières américaines, ne serait-ce que parce que le Royaume-Uni de Tony Blair a été activement impliqué dans la « guerre contre le terrorisme »[33]. Bien avant cela, avant même de devenir premier ministre, Margaret Thatcher agitait régulièrement le chiffon rouge du spectre communiste pour protester contre l’étatisme rampant des gouvernements travaillistes d’Harold Wilson et James Callaghan qui transformait, à ses yeux, le Royaume-Uni en satellite de l’URSS. La virulence de son anticommunisme lui a d’ailleurs valu son surnom de « Dame de fer » dès 1976. Dans l’extrait de discours qui suit, il apparaît que l’entrisme des éléments d’extrême gauche faisait peur jusque dans les rangs travaillistes puisque Mme Thatcher utilise les propos de son adversaire de l’époque, le Premier ministre Wilson :

Les problèmes économiques ne trouvent pas leur origine dans l’économie. Ils ont des racines plus profondes, dans la nature humaine et dans la politique. Ils ne se bornent pas non plus à l’économie. L’incapacité des travaillistes à aborder, à regarder les problèmes du pays du point de vue du pays dans son ensemble, pas de celui d’une fraction de celui-ci, a entraîné une perte de confiance et un sentiment de désarroi. A cela s’ajoute l’impression que le Parlement, qui est censé être aux commandes, ne l’est pas, que les décisions sont prises ailleurs. Et cela va plus loin. Certaines voix semblent très réticentes à vouloir venir à bout de nos problèmes économiques, et souhaiteraient plutôt les exploiter afin de détruire notre société de libre entreprise et de lui substituer un système marxiste.

Ces voix forment aujourd’hui un chœur non négligeable dans le groupe travailliste au Parlement. Un chœur qui semble s’étoffer avec le concours des antennes locales du parti travailliste dans les circonscriptions. Quiconque fait cette observation à haute voix est accusé de voir des « communistes jusque sous le lit » [« Reds under the Bed »]. Mais regardez donc qui en voit à présent ! De son propre aveu, M. Wilson a enfin découvert que son propre parti a été infiltré par des extrémistes de gauche – ou plutôt « infesté » pour reprendre son propre terme. Quand M. Wilson lui-même prend peur de leur capacité à s’octroyer des postes clés au sein du parti travailliste, ne sommes-nous pas en droit, nous autres, de prendre peur également ? Et ne devrions-nous pas lui demander « Où étiez-vous pendant que cela se produisait, et qu’allez-vous y faire ? » (Applaudissements) La réponse est rien. Je me dis parfois que le parti travailliste est un peu comme un pub où la bière douce [mild] vient à manquer. Si personne ne fait rien, tout ce qui restera c’est de la bière amère [« All that’s left will be bitter »]. (Rires) Et il ne restera plus que de l’amertume. [« And all that’s bitter will be Left. »] (Rires)[34].

Thatcher, dont Reagan disait qu’elle était « the best man in England », n’était donc pas exempte, en tant que femme, de l’utilisation de la peur à des fins politiques, tout comme Hillary Clinton, nouvelle preuve que le « genre » n’est pas ici un point de fracture[35].

Plus près de nous, dans le contexte de crise économique auquel le Royaume-Uni est aussi confronté, Gordon Brown a défendu son autorité lors de la conférence du Parti travailliste en attaquant l’inexpérience du leader conservateur David Cameron en annonçant que ce n’était pas le moment pour qu’un « novice » soit aux commandes du pays (« No time for a novice »)[36].

Son autorité et sa crédibilité ont pourtant été largement mises à mal, au printemps 2009, dans ce qu’on a appelé outre-Manche le « smeargate », une campagne de calomnies sans fondement visant les principaux dirigeants du Parti conservateur, et orchestrée par des collaborateurs très proches de Brown. Dans cette position de faiblesse, au plus bas dans les sondages, et à quelques semaines d’élections locales et européennes qui s’annonçaient alors catastrophiques, les travaillistes décidèrent de contre-attaquer avec un spot de campagne de 2’40 dont la particularité était de ne pas mentionner une seule fois Brown ou même (un comble) l’Europe. Le spot fut immédiatement reçu par les Conservateurs avec une incrédulité amusée : non seulement cette litanie visait uniquement David Cameron (et son parti), mais elle présentait également une bien piètre image de la vie sous un gouvernement travailliste (et tout ce que les Britanniques les plus fragiles auraient à subir sous un gouvernement conservateur, ce qui n’était pas le sujet de l’élection en question). La position très inconfortable des travaillistes dans l’opinion, surtout quelques semaines seulement après le smeargate, donnait à cette stratégie de diabolisation une dimension factice, forcée et manquant complètement de sincérité. A défaut d’un leader convaincant et d’une politique efficace, la seule arme qui reste est le dénigrement de l’adversaire, en faisant vibrer la corde phobique[37]. L’efficacité des campagnes négatives, dont le ressort favori est la peur, dépend intimement du contexte : elles ne fonctionneront que dans le cadre d’une campagne serrée et indécise et seront totalement inefficaces dans deux cas : 1) quand elles proviennent d’un gouvernement aux abois ; 2) quand elles sont le fait d’une opposition en butte à un gouvernement (très) populaire dans l’opinion.

Enfin, une étude complémentaire pourrait être menée sur les affiches de campagne au Royaume-Uni, avec leur dimension visuelle évocatrice, souvent destinées à présenter l’adversaire comme une menace ou comme des incompétents[38]. Ainsi, en 1992, la campagne conservatrice dénonçait la « bombe fiscale travailliste » (et les Conservateurs l’emportèrent à la surprise générale) et en 1996, une affiche de campagne restée célèbre sous le nom de « Devil’s eyes » (les yeux du démon) représentant Tony Blair avec des yeux démoniaques dénonçait les dangers d’un parti travailliste rénové (« New Labour, New Danger »). [IMAGE 3 et IMAGE 4] Les Conservateurs subirent une déroute historique (annoncée de longue date). Le gouvernement Major, acculé par des affaires de corruption et en très net déficit de crédibilité et d’autorité ne faisait que trahir le désespoir d’une défaite inévitable – les néotravaillistes, revigorés par un Tony Blair encore porteur d’espoir, n’était alors un danger que pour les Conservateurs : la situation de Brown en 2009 était donc un miroir assez troublant de celle de Major en 1996-1997. En 2001, les Travaillistes, alors au pouvoir avaient représenté le leader conservateur de l’époque, William Hague, avec une perruque évoquant immédiatement le spectre de Margaret Thatcher, avec pour slogan « Be very afraid ». [IMAGE 5] Les Conservateurs étaient toujours tellement impopulaires, du fait de leur dérive droitière de l’époque, que les Travaillistes ne les craignaient pas réellement. Ici, le message de l’affiche témoigne plus de la formule, du rituel de campagne, que de l’expression d’un réel enjeu pour les citoyens.

En France, les stratégies phobiques se manifestent autrement, dans la mesure où la « publicité comparative » est interdite dans le domaine politique. Elles apparaissent donc dans d’autres compartiments de l’espace public, mais elles n’en sont pas moins présentes. Et elles sont utilisées au moins autant par la gauche que par la droite. A droite, l’année 2002 semble à première vue constituer un point de référence en matière sécuritaire, et on a vite fait d’accuser les chaînes de télévision de surjouer la thématique sécuritaire au profit des candidats de droite (Jacques Chirac) et d’extrême droite (Jean-Marie Le Pen). Or, il a été établi depuis que la forte abstention combinée à l’éparpillement des voix de gauche vers de trop nombreux candidats ont contribué à priver le candidat socialiste (pourtant sortant) de second tour.

A gauche, et de façon plus prononcée à la gauche de la gauche, on a tendance à agiter le spectre d’une droite liberticide, ultra-libérale (l’épouvantail américain issu d’une longue tradition antiaméricaine[39]), xénophobe, intolérante – la droite de l’état-policier, voire de Vichy, des listes et des « heures les plus sombres ». De telles dénonciations atteignirent leur paroxysme à la fin de la campagne des présidentielles de 2007, quand Ségolène Royal s’employait à peindre Nicolas Sarkozy comme un tyran en puissance. Le candidat UMP était explicitement comparé à Silvio Berlusconi et George W. Bush, deux figures abhorrées des progressistes (mais plébiscitées par leur électorat, au moins un temps). Un des paradoxes à l’œuvre ici est celui d’une gauche qui veut faire peur aux indécis pour les attirer à elle en stigmatisant une « droite de la peur » donc de l’intolérance et de la haine[40].

La dénonciation désormais classique de la « casse sociale », voire du « chaos social », ou encore du « K.O. social », évoquent paradoxalement le discours de la droite de la loi et de l’ordre, dans un retournement habile[41]. Or, l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007 et la large confirmation de sa majorité aux législatives de juin ont montré les limites de la communication anxiogène, même largement relayée dans les médias avec force intellectuels et artistes (comme aux États-Unis, du reste, où le tout-Hollywood est à quelques exceptions près acquis au parti démocrate) professant leur peur. Cette communication, dans le cas de Ségolène Royal en 2007 comme de John Kerry en 2004, Hillary Clinton et John McCain en 2008, John Major en 1996-1997 ou Gordon Brown en 2009, ne suffit pas pour déstabiliser le candidat visé quand on n’est pas soi-même regroupé dans son propre camp avec un projet convaincant[42]. Si elle peut avoir un effet mobilisateur auprès de l’électorat en catalysant la recherche d’information, son efficacité dans les urnes est loin d’être à la hauteur de son emploi et, dans le cas des Etats-Unis, des sommes astronomiques qui lui sont consacrées.

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IMAGE 1 - New Yorker Obama Black Panther
Image 1 : The New Yorker, 21 juillet 2008

 

IMAGE 2 - Labour Still isnt working
Image 2 : Labour Still isn’t Working, affiche de campagne du Parti conservateur, 2009 (http://conservativehome.blogs.com/torydiary/2009/03/labour-still-isnt-working.html consulté le 10/03/2015)
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Image 3 : Affiche de campagne, Parti conservateur, 1992
IMAGE 3 - Major_1992_tax bombshell
Image 4 : Affiche de campagne, Parti conservateur, 1992
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Image 5 : Affiche de campagne, Parti conservateur, 1997
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Image 6 : Affiche de campagne, Parti travailliste, 2001

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[1] « A Brief History of the United States », URL: http://www.youtube.com/watch?v=zEVPSfJIQ84 (consulté le 10/03/2015). Voir également Barry Glassner, The Culture of Fear: Why Americans are Afraid of the Wrong Things, New York, Basic Books, 2004. L’auteur tient à remercier chaleureusement ses collègues Thierry Leterre, Denis Lacorne, Julien Fragnon, François Vergniolle de Chantal et François-Xavier Ajavon d’avoir relu cet article à différents niveaux d’avancement et de m’avoir adressé leurs suggestions et leurs conseils, ainsi que les participants à l’atelier du congrès de l’Association Française d’Etudes Américaines de mai 2009 où une version abrégée de cet article a été présentée.

[2] Jean Delumeau, La peur en Occident (XIVe-XVIIIe siècles), Paris, Fayard, 1978 (rééd., Hachette Pluriel, 2003) ; Le Péché et la Peur : La culpabilisation en Occident (XIIIe-XVIIIe siècles), Paris, Fayard, 1983 ; Rassurer et protéger : le sentiment de sécurité dans l’Occident d’autrefois, Paris, Fayard, 1989 ; Lauric Henneton, Liberté, inégalité, autorité: Politique, société et construction identitaire du Massachusetts au XVIIe siècle, 2 volumes, Paris, Honoré Champion, 2009, p. 102-123 ; William G. Naphy et Penny Roberts (dir.), Fear in Early Modern Society, Manchester, Manchester University Press, 1997. Voir également Anne-Marie Dillens (dir.), La peur : émotion, passion, raison, Bruxelles, Facultés universitaires de Saint-Louis, 2006, et Lauric Henneton et L.H. Roper (dir.), Fear and the Shaping of Early American Societies, Boston et Leyde, Brill, 2015 (à paraître).

[3] J. Delumeau, La peur en Occident, introduction. En matière de terminologie, une certaine tolérance est de mise : nombre de politologues, sociologues et psychologues (notamment américains) utilisent consciemment « fear » et « anxiety » ou encore « emotion » et « affect » de manière interchangeable.

[4] En plus de l’ouvrage majeur de Corey Robin, Fear : the history of a political idea, Oxford et New York, Oxford University Press, 2004, rapidement traduit en français (La peur, histoire d’une idée politique, Armand Colin, 2006 puis Hachette Littérature, 2008), voir W. Russell Neuman, George E. Marcus, Ann N. Crigler et Michael MacKuen (dir.), The Affect Effect: Dynamics of Emotion in Political Thinking and Behavior, Chicago, The University of Chicago Press, 2007 et Drew Westen, The Political Brain: The Role of Emotion in Deciding the Fate of the Nation, New York, Public Affairs, 2007. Voir également, Donald Granberg et Thad A. Brown, « On Affect and Cognition in Politics », Social Psychology Quarterly, vol. 52, n°3 (1989), p. 171-182. Plus généralement, voir Philippe Braud, L’émotion en politique: Problèmes d’analyse, Paris, Presses de Science Po, 1996 et George E. Marcus, Le citoyen sentimental : émotion et politique en démocratie, Paris, Presses de Science Po, 2008, chap. 5.

[5] George E. Marcus et Michael B. MacKuen, « Anxiety, Enthusiasm, and the Vote : The Emotional Underpinnings of Learning and Involvement During Presidential Campaigns », The American Political Science Review, vol. 87, n°3 (1993), p. 672-685 : « L’enthousiasme (généré par un candidat) stimule l’activisme (involvement) et l’angoisse (anxiety) stimule la curiosité (learning) » (p. 680). Les conclusions de Marcus et MacKuen ont récemment été confirmées par Nicholas A. Valentino, Vincent L. Hutchings, Antoine J. Banks and Anne K. Davis, « Is a Worried Citizen a Good Citizen? Emotions, Political Information Seeking, and Learning via the Internet », Political Psychology, Vol. 29, n°2 (2008), p. 247-273 et Joanne M. Miller et Jon A. Krosnick, « Threat as a Motivator of Political Activism : A Field Experiment », Political Psychology, vol. 25, n°4 (2004), p. 507-523.

[6] Paul S. Martin, « Inside the Black Box of Negative Campaign Effects : Three Reasons why Negative Campaigns Mobilize », Political Psychology, vol. 25, n°4 (2004), p. 545-562. Voir également, plus réservés, Lee Sigelman et Mark Kugler, « Why is Research on the Effects of Negative Campaigning so Inconclusive ? Understanding Citizens’ Perceptions of Negativity », The Journal of Politics, vol. 65, n°1 (2003), p. 142-160. La plupart des études sur le sujet portent non pas sur les élections présidentielles mais sur les élections au Sénat. Voir enfin l’article provocateur (au bon sens du terme) de William G. Mayer, « In Defense of Negative Campaigning », Political Science Quarterly, vol. 111, n°3 (1996), p. 437-455.

[7] Douglas R. Oxley, Kevin B. Smith, John R. Alford, Matthew V. Hibbing, Jennifer L. Miller, Mario Scalora, Peter K. Hatemi, et John R. Hibbing, « Political Attitudes Vary with Physiological Traits », Science, n° 321, 19 septembre 2008, p. 1667. Constance Holden, « The politics of fear », Science Now Daily News, 18 septembre 2008, URL: http://news.sciencemag.org/plants-animals/2008/09/politics-fear (Consulté le 10/03/2015); Matt McGrath, « Political Views ‘all in the mind’ », BBC World Service, 18 septembre 2008, URL : http://news.bbc.co.uk/2/hi/science/nature/7623256.stm (Consulté le 10/03/2015).

[8] Woo-Young Ahn, Kenneth T. Kishida, Xiaosi Gu, Terry Lohrenz, Ann Harvey, John R. Alford, Kevin B. Smith, Gideon Yaffe, John R. Hibbing, Peter Dayan, P. Read Montague, « Nonpolitical Images Evoke Neural Predictors of Political Ideology », Current Biology, Volume 24, No. 22, p. 2693–2699, 17 Nov. 2014

[9] Devenu premier ministre à la suite de la démission de Tony Blair en juin 2007, Gordon Brown avait laissé entendre qu’il pourrait provoquer une élection législative anticipée dès octobre. Alors que l’ensemble des observateurs politiques s’attendait à une déclaration dans ce sens, le premier weekend d’octobre, Brown décida finalement de ne rien faire.

[10] « In politics, the emotions that really sway voters are hate, hope and fear or anxiety », Drew Westen, cité dans Sharon Begley, « The roots of fear », Newsweek, 24 décembre 2007. Pour George Marcus, il s’agit plutôt de l’enthousiasme (qui inclut la colère), l’anxiété et l’aversion. Le citoyen sentimental, passim. Plus largement, voir l’essai stimulant de Dominique Moïsi, La géopolitique de l’émotion, Paris, Flammarion, 2008, qui lit le monde actuel à travers un triple prisme émotionnel (peur en Occident, humiliation dans le monde arabe, culture de l’espoir en Asie).

[11] Douglas Sosnik, Matthew Dowd et Ron Fournier, Applebee’s America : How Successful Political Business and Religious Leaders Connect with the New American Community, New York, Simon & Schuster, 2006, ch. 1 notamment p. 33-34 et 57 pour des témoignages d’électrices sur leur décision de voter pour Bush en 2004.

[12] Ce n’est pas vrai avec la crise économique parce que c’est une crise d’une nature différente : « Losing wealth, finding God ? », Pew Forum on Religion and Public Life, 13 mars 2009, URL : http://pewresearch.org/pubs/1150/economy-church-attendance (Consulté le 10/03/2015).

[13] Cf. Sharon Begley, « The roots of fear », Newsweek, 24 décembre 2007. « When we’re insecure, we want our leaders to have what’s called an ‘unconflicted personality’,’ says political psychologist Jeff Greenberg of the University of Arizona. « Bush was very clear in his beliefs and had no doubts, but Kerry was painted as a flip-flopper. Bush had another key advantage: he emphasized the greatness of the nation. » Voters whose fears of terrorism were reignited by the bin Laden tape, and who reacted by seeking solace in an entity that would survive their own inevitable demise, found it in the idea of a strong, enduring America as promised by Bush. »

[14] John Judis, « Death Grip », The New Republic, 27 août 2007.

[15] Voir l’éditorial du New York Times, 18 juillet 2007.

[16] John Judis, « Death Grip », The New Republic, 27 août 2007; Sharon Bigley, « The Roots of Fear », Newsweek, 24 décembre 2007.

[17] Sosnik, Dowd et Fournier, op. cit., passim ; David Brooks, « Take a ride to Exurbia », The New York Times, 9 novembre 2004; Haya el Nasser, « For Political Trends, think Micropolitan », USA Today, 23 novembre 2004 qui s’appuie sur R. E. Lang et al., « Micro Politics : The 2004 Presidential Vote in Small-Town America », Metropolitan Institute at Virginia Tech Census Note 04:03, novembre 2004.

[18] Arnaud Mercier (coord.), La communication politique, Paris, Les essentiels d’Hermès, CNRS Éditions, 2008, p. 23-24.

[19] Les spots de campagne de John McCain peuvent être visionnés sur sa chaîne YouTube (URL : http://www.youtube.com/user/JohnMcCaindotcom). Consulté le 15/03/2015.

[20] Michael Falcone, « New McCain Ad : ‘Summer of Love’ », The Caucus, blog du New York Times, 8 juillet 2008.

[21] Contrairement à Ségolène Royal puisque Laurent Fabius et Jean-Luc Mélenchon s’étaient illustrés en expliquant qu’une élection n’était pas « un concours de beauté » et en demandant « qui allait garder les enfants », renvoyant la candidate, en tant que femme, à un rôle de potiche enfermée dans sa condition de mère au foyer – ce dont les Chiennes de garde se sont dûment émues. « Royal dénonce le sexisme au sein du PS », Le Nouvel Observateur, 27 septembre 2005 (URL : http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20050926.OBS0197/royal-denonce-le-sexisme-au-sein-du-ps.html Consulté le 10/03/2015).

[22] URL: https://www.youtube.com/watch?v=1XBbLX3TSpo (Consulté le 10/03/2015)

[23] Timothy Garton Ash, « America is Gripped by the Politics of Fear: bad news for the prophet of hope », The Gardian, 18 septembre 2008, URL: http://www.theguardian.com/commentisfree/2008/sep/18/wallstreet.barackobama (Consulté le 10/03/2015)

[24] Jim VandeHei et Howard Kurtz, « Kerry adopts Bush Strategy of Stressing Dangers », Washington Post, 29 septembre 2004, page A1. La parution de cet article à la Une en augmente largement la visibilité.

[25] Cf. http://www.livingroomcandidate.org/commercials/1964/peace-little-girl-daisy (Consulté le 10/03/2015)

[26] Diffusé dans l’émission Countdown (MSNBC) le 3 mars 2008 (vidéo supprimée depuis le dernier visionnage de l’auteur).

[27] http://www.youtube.com/watch?v=Tgm8BrmzgLM (consulté le 10/03/2015)

[28] Alexander Belenky, « Iowa minus seven », Deadline USA (blog du Guardian), 27 décembre 2007, URL: http://www.guardian.co.uk/world/deadlineusa/2007/dec/27/iowaminus7 (consulté le 10/03/2015)

[29] https://www.youtube.com/watch?v=Mt6W3rVTLhw pour le spot « Kitchen » et http://transcripts.cnn.com/TRANSCRIPTS/0804/21/sitroom.02.html pour l’entretien de Jan Schakowsky sur CNN. Consultés le 10/03/2015.

[30] Le spot de Clinton et la réponse d’Obama furent diffusés et discutés dans l’émission Countdown de MSNBC le 3 mars.

[31] Cité par Sharon Bigley, « The Roots of Fear », Newsweek (24 déc. 2007): « We have been operating under a politics of fear: fear of terrorists, fear of immigrants, fear of people of different religious beliefs, fears of gays that they might get married and that somehow that would affect us, » he declared. « We have to break that fever of fear … Unfortunately what I’ve been seeing from the Republican debates is that they are going to perpetuate this fearmongering … Rudy gets up and says, ‘They are trying to kill you’ … It’s absolutely true there are 30,000, 40,000 hard-core jihadists who would be happy to strap on a bomb right now, walk in here and blow us all up. You can’t negotiate with those folks. All we can do is capture them, kill them, imprison them. And that is one of my pre-eminent jobs as president of the United States. Keep nuclear weapons out of their hands. »

[32] Jim Rutenberg, « Harsh words about Obama ? Never mind now », Washington Memo (blog du New York Times), 8 novembre 2008.

[33] Voir notamment Peter Oborne, « The Politics of Fear (or how Tony Blair misled us over the war on terror) », The Independent, 15 février 2006.

[34] Jeu de mot difficilement traduisible entre l’amertume de la bière (notamment brune) et la polysémie de « left » (la gauche et ce qui reste). Margaret Thatcher, discours au Congrès du Parti conservateur, 10 octobre 1975. http://www.margaretthatcher.org/speeches/displaydocument.asp?docid=102777 (Consulté le 10/03/2015)

[35] Sarah Palin, arrivée plus tard sur dans le théâtre de la campagne, fut finalement plus un objet de dérision qu’un objet de peur. C’est son inexpérience qui alimenta le plus l’argumentaire à son encontre, suivie par ses positions très conservatrices dans le domaine moral – ce qui ne dut faire peur qu’aux sympathisants démocrates par ailleurs déjà acquis à la cause d’Obama, et certaines de ses décisions controversées en tant que gouverneur d’Alaska. Son identité de femme fut utilisée comme un atout identificatoire par les Républicains (l’image de la « Hockey mom » et l’ancienne reine de beauté devenue gouverneur) qu’une cible délicate en raison des accusations évidentes de sexisme si c’était le cas.

[36] Philip Webster, « Gordon Brown hits back: this is no time for a novice », The Times, 24 septembre 2008; Andrew Grice, « Brown : ‘This is no time for a novice’ », The Independent, 24 septembre 2008. Le jour de l’élection américaine, Rachel Sylvester avait répondu que si les Américains élisaient Obama, ils anéantiraient l’argumentaire de Gordon Brown : « This is no time for a novice : Oh yes it is », The Times, 4 novembre 2008.

[37] Le spot « Cameron’s Conservatives » est consultable sur YouTube : http://www.youtube.com/watch?v=6b3MvXFpgwE (Consulté le 10/03/2015). Voir les réactions des chroniqueurs Fraser Nelson, « Brown resorts to Bully Tactics », The Coffee House (blog du Spectator), 14 mai 2009 (URL : http://blogs.spectator.co.uk/coffeehouse/2009/05/brown-resorts-to-bully-tactics/) et Iain Martin, « MP’s Expenses : Gordon Brown’s politics of fear looks silly, not scary », ThreeLineWhip (blog du Daily Telegraph), 14 mai 2009 (URL : http://blogs.telegraph.co.uk/iain_martin/blog/2009/05/14/mps_expenses_gordon_browns_politics_of_fear_film_looks_silly_not_scary – le lien ne semble plus fonctionner). Martin tourne l’argumentaire du spot à la dérision tant il le trouve exagéré. Il explique que l’on aurait même pu y voir un enfant sangloter à côté de la cage de son lapin, prétendant que David Cameron ferait augmenter le prix des carottes et que son lapin mourrait de faim… La dérision est le signe de l’inefficacité du spot.

[38] On pense notamment à l’affiche de 1979 clamant que « Labour isn’t working » (avec un jeu de mots en prime) et repris récemment par les Conservateurs avec l’adjonction de « still ». [IMAGE2]

[39] Jean-François Revel, L’Obsession anti-américaine : son fonctionnement, ses causes, ses inconséquences, Paris, Plon, 2002 ; Philippe Roger, L’ennemi américain : généalogie de l’antiaméricanisme français, Paris, Seuil, 2002 ; André Kaspi, Les États-Unis d’aujourd’hui : mal connus, mal aimés, mal compris, Paris, Perrin, collection « Tempus », 2004.

[40] Voir notamment Charles Bremner, « The Demonisation of Sarkozy », The Times, 1er mai 2007. Bremner est le correspondant permanent du Times à Paris depuis 1999.

[41] Je remercie mon collègue Thierry Leterre de m’avoir rappelé ces usages, ainsi que pour ses conseils et remarques à différents stades de la rédaction de cet article.

[42] Serge Berstein et Michel Winock, La République recommencée, de 1914 à nos jours, Histoire de la France politique, tome 4, Paris, Seuil, 2008, p. 572-576.

Editorial n°5

La publication d’un nouveau numéro est toujours l’aboutissement d’un travail de longue haleine. Les collaborateurs de Circé, tous étudiants bénévoles, savent bien le temps et l’investissement que demande la préparation d’un numéro. Notre souci d’exigence scientifique ajoute à notre charge, mais nous pensons qu’il est nécessaire pour proposer des articles de qualité. Nous remercions une fois encore les enseignants-chercheurs compétents et disponibles qui ont relu avec intérêt les articles que vous vous apprêtez à lire.

Depuis les origines du projet, Circé a souhaité s’inscrire dans le champ restreint des revues généralistes d’histoires et sciences sociales. Et si des nouveautés sont à prévoir dès le prochain numéro, Circé restera fidèle à cette identité première. C’est donc, une fois encore, un numéro offrant des varia d’articles couvrant les grandes périodes historiques, de l’antiquité au contemporain, que nous publions aujourd’hui.

Pour la première fois, l’archéologie s’invite dans un numéro avec l’article d’Olivier Blin, de même que la philosophie avec celui de Thibault Barrier, quant à l’histoire de l’art, c’est l’article d’Alexandre Page qui la représente. Cette diversité disciplinaire rappelle notre ouverture affirmée aux sciences humaines et sociales, inscrite dès les origines dans le projet de la revue. Toutefois, Circé n’oublie pas que l’histoire culturelle fait partie de son identité, les articles d’Olivia Parizot et d’Aurore Chéry notamment l’illustrent cette fois encore.

Plusieurs lignes de force traversent ce numéro. La mémoire, vaste chantier des études historiques, est approchée à deux reprises avec la question de l’identité de communautés religieuses de la fin du Haut Moyen Âge et d’une construction mémorielle par l’écrit ; également à travers les lieux de mémoire que sont les maisons d’écrivains, mémoire des auteurs et de leurs œuvres. Le lecteur pourra relier les articles d’Olivier Blin et de Nathalie Blais qui tous les deux permettent de réfléchir à la trace, archéologique pour le premier, monumentale pour la seconde. Tantôt source et tantôt projet, la trace est une question de regard porté. Le spectacle des passions, enfin, rapproche les articles de Thibault Barrier et Nicolas Picard. Thibault Barrier propose de considérer l’admiration comme passion emblématique du théâtre du XVIIe, dont l’expérience se fait autant sur la scène que chez le spectateur. Nicolas Picard, sur les articles journalistiques consacrés aux condamnés à mort, décrit des récits mettant en spectacle de la vie des détenus, à visée tantôt cathartique, tantôt divertissante, et tantôt pour indigner le lecteur. Il est toujours surprenant de voir des liens apparaître entre des articles, même dans le cas de varia.

Nous sommes enfin heureux de l’opportunité qui nous a été offerte de réaliser le portrait d’un brillant jeune chercheur, Philippe Charlier, médecin-légiste, anthropologue et historien. Ce « médecin des morts » tel qu’il s’est décrit dans un ouvrage, revient pour nous sur la nature de son travail et de ses enquêtes, entre laboratoire et étude de terrain, et sur le croisement disciplinaire qui est au cœur de sa carrière. Ses réponses apporteront un éclairage sur des questionnements récurrents de la science, tel que le respect des restes humains ou encore la diffusion du savoir dans l’espace public et sa réception par l’opinion.

Nous espérons que vous trouverez satisfaction à lire ce cinquième numéro de notre revue. Circé arrive ici à la fin d’un cycle puisque dès le prochain numéro, vous trouverez pour la première fois un dossier thématique articulant les articles et le portrait. Mais pour cela, il faudra attendre mars 2015.

Le comité de rédaction de Circé. Histoires, Cultures & Sociétés.

Formation, objets d’études, insertion et pratique d’un médecin légiste et archéo-anthropologue, avec Philippe Charlier

Philippe Charlier, Médecin légiste et archéo-anthropologue. APHP-UVSQ

Portrait de Philippe Charlier tourné à son laboratoire de l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Il revient sur sa formation et ce qui fait sa vie de chercheur : ses objets d’études, l’accueil du public et de ses collègues, ses passions, son insertion dans le monde de la recherche. Bref, Philippe Charlier sous toutes les coutures !

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Le site de la Ferme d’Ithe et l’agglomération antique de Diodurum (Le Tremblay-sur-Mauldre / Jouars-Pontchartrain, 78, Yvelines). Sources historiques, sources archéologiques et données architecturales pour un projet d’étude et de mise en valeur

Olivier Blin

Résumé
À 30 kilomètres de Paris, la ferme d’Ithe est située sur le territoire de la commune du Tremblay-sur-Mauldre, dans les Yvelines en limite avec celle de Jouars-Pontchartrain. Ses vastes bâtiments sont abandonnés depuis les années soixante. Leur origine est une grange ayant appartenu, au moins depuis le milieu du xiie siècle, à l’abbaye Notre-Dame des Vaux-de-Cernay. Mais son histoire remonte aussi à l’Antiquité puisqu’elle est installée sur les vestiges de l’agglomération gallo-romaine de Diodurum en partie fouillée lors des travaux de construction de la RN12.

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