Diplômés des universités et service du prince : Les attentes déçues des ducs de Lorraine (1545–1633)

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Antoine Fersing

Résumé

A partir de 1572, le duc de Lorraine met progressivement en place dans ses États une université à Pont-à-Mousson, à qui il confie la double mission de défendre l’orthodoxie religieuse de la province et de former des diplômés pour l’État ducal, dont les institutions centrales se développent rapidement. Le nouvel établissement, qui est bon exemple des universités territoriales qui se multiplient à cette époque dans l’Empire, prospère grâce au soutien du pouvoir ducal et forme effectivement plusieurs centaines de diplômés en droit jusqu’à l’arrivée des troupes françaises en 1633. Malgré cela, la proportion des diplômés parmi les officiers ducaux stagne à un niveau bas, les diplômés mussipontains étant peu nombreux à entrer au service du duc – ce qui peut s’expliquer par l’inadaptation de la politique ducale en la matière, les offices ducaux apparaissant aux gradués en droit comme peu rémunérateurs et difficiles d’accès.

Antoine Fersing, doctorant en histoire moderne au sein du laboratoire ARCHE (EA3400, Université de Strasbourg), prépare depuis 2011 une thèse consacrée aux officiers d’État dans les duchés de Lorraine et de Bar durant la première modernité, sous la direction d’Antoine Follain. Dans le cadre de ses recherches, il a été amené à s’intéresser à l’histoire des universités à l’époque moderne, à l’histoire sociale des agents de l’État, à la prosopographie et aux méthodes d’analyse quantitatives en histoire. Il est actuellement ATER au sein de l’Université de Lorraine, sur le site de Nancy.


            L’historien qui s’intéresse aux universités de l’époque moderne ne peut manquer d’être confronté à la question de leur rôle de formation et de légitimation des futurs serviteurs de l’État ; symétriquement, l’étude de la robe conduit souvent aux universités, principales institutions de formation des officiers de justice. L’existence de ce lien organique entre le service du prince et l’université fait partie des interrogations classiques des historiens de l’enseignement supérieur et des serviteurs de l’État, au moins depuis l’article fondateur de Lawrence Stone, qui fait des besoins de l’État en diplômés l’un des facteurs expliquant la révolution éducative qu’il identifie dans l’Angleterre de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle[1]. Dans un article par ailleurs assez critique de la thèse de Stone, Roger Chartier et Jacques Revel reprennent cette idée et en étendent l’application à l’Europe entière, en avançant que

« la construction des états modernes a pour corollaire obligé l’expansion des bureaucraties d’état ou d’église qui en sont les supports. Dans l’Espagne de Philippe II comme dans l’Angleterre des premiers Stuarts, la dilatation du marché des offices multiplie les carrières ouvertes aux gradués et par là conduit à l’accroissement du nombre de ceux qui vont chercher à l’université un viatique pour la promotion sociale.[2] »

En retour, Jacques Paquet y voit l’origine d’une déformation du poids relatif des disciplines au sein du monde universitaire, liée à l’essor « des études de droit civil et utriusque juris qu’appellent la demande de l’État et la complexité d’administrations envahissantes.[3] »

            Une recherche plus attentive aux rythmes de cette évolution a pu dégager des temporalités différentes selon le type d’État et l’espace géographique, ce qui conduit Hilde de Ridder-Symoens à proposer un schéma en trois temps :

« On peut affirmer qu’à la fin du Moyen Age, les gouvernements centraux disposaient d’un personnel hautement qualifié et particulièrement compétent en matière de droit, composé d’officiers de tous niveaux, en majorité laïques. […] les princes territoriaux ne se décidèrent à s’entourer de conseillers et de juges qualifiés qu’au XVe siècle. Ces derniers partageaient avec les membres de la noblesse les sièges aux conseils et dans les cours territoriales. Toutefois, dans le Saint Empire romain, la véritable percée des fonctionnaires issus de l’université de ne produisit qu’au XVIe siècle[4] […] ».

Willem Frijhoff a repris ce schéma et a fait, en ce qui concerne l’Empire et les régions voisines, des besoins en juristes de l’État le principal moteur de la transformation du monde universitaire aux XVIe et  XVIIe siècles, dans un contexte de différenciation confessionnelle[5].

            Dans le cadre d’un travail doctoral en cours, nous avons eu l’occasion d’observer l’évolution des qualifications des officiers d’un petit État à la périphérie du Saint-Empire, le duché de Lorraine. En constituant une base de données réunissant l’ensemble des officiers ducaux entre 1545 et 1633[6] sur la base des lettres patentes de provision aux offices et des comptes depuis lesquels ces officiers sont payés de leurs gages[7], nous avons pu constater la difficulté d’appliquer le schéma précédemment présenté au cas lorrain.

            En effet, au XVIe siècle, les diplômés ne tiennent dans les duchés de Lorraine et de Bar qu’une place marginale parmi les officiers ducaux, y compris au sein des principales institutions judiciaires. Dans un contexte d’accroissement de ses besoins en magistrats qualifiés, le pouvoir ducal accepte de soutenir le projet de création d’une université dans ses États, qui jouerait également un rôle de défense de l’orthodoxie catholique contre la progression du protestantisme dans les pays voisins. L’université bénéficie d’un soutien important du prince, notamment en matière financière, et se trouve largement intégrée – en tout cas en ce qui concerne la faculté de droit – à l’État ducal, ce qui lui permet de produire à partir de 1583 des diplômés dans des proportions adaptées aux besoins du pouvoir ducal. Contre toute attente, cependant, ces diplômés ne s’engagent pas massivement dans le service du prince, malgré la promesse de belles carrières, en tout cas par comparaison avec celles des officiers non-diplômés. Cet écart de trajectoire par rapport au schéma généralement admis pour les gradués en droit semble pouvoir s’expliquer par la faible attractivité des offices ducaux autant que par les difficultés que les diplômés rencontrent lorsqu’ils souhaitent embrasser le service du souverain.

I. La volonté ducale de former des juristes pour son service

            Dans un contexte de renforcement rapide de l’autorité judiciaire qu’il exerce sur ses États, le pouvoir ducal accepte de s’associer à la création d’une université initialement destinée à lutter contre le protestantisme dans l’évêché de Metz, mais dont il attend qu’elle forme également des juristes pour son service – ressource dont il manque jusqu’alors cruellement. L’université ainsi créée, qui est le type même de ces « universités territoriales » qui se multiplient dans l’Empire à la même époque[8], se développe sous la protection de l’État ducal, auquel elle se trouve intégrée.

1. Le sous-équipement culturel des duchés de Lorraine et de Bar

            Jusque dans les années 1570 et la fondation de l’université de Pont-à-Mousson – et des collèges de Verdun en 1571 et Bar en 1574 – les duchés de Lorraine et de Bar ne disposent à proprement parler d’aucune institution de formation supérieure. Cette situation a des conséquences sur le niveau de qualification des serviteurs de l’État ducal : sur les 729 officiers étant à un moment ou à un autre au service du duc durant la période qui va de 1545 à 1582, on trouve 12 docteurs en droit et 60 licenciés, soit 9,9 % du total. Si un tel comptage n’a qu’un intérêt limité – dans la mesure où il agrège dans une mesure unique des offices extrêmement différents, dont un bon nombre pour lesquels un diplôme de droit ne serait d’aucune utilité – on peut en revanche remarquer la faible proportion des diplômés parmi les officiers de justice qui siègent dans les principales juridictions des États ducaux à la même époque[9] :

Tableau 1

            La documentation conservée, aussi bien que l’éclatement géographique des sources, rend singulièrement difficile l’identification exhaustive des lieux d’étude des quelques dizaines de diplômés entrés au service du duc de Lorraine. Pour le XVe siècle, Michel Parisse a montré que les lorrains désireux d’entreprendre des études choisissaient tantôt Paris, tantôt les universités les plus proches de l’espace impérial, telles que Louvain, Cologne, Heildelberg ou Bâle[10]. Pour le XVIe siècle, les quelques éléments dont nous disposons laissent penser que le comportement des étudiants lorrains n’a pas fondamentalement changé, en dehors de la désaffection pour Bâle et Heidelberg pour des motifs confessionnels[11].

            La nécessité pour les lorrains d’aller étudier hors des duchés limite nécessairement le nombre de ceux qui peuvent obtenir un diplôme, tant pour des raisons de coût des études que du fait du risque d’interruption des chemins de la peregrinatio academica, toujours menacés par les guerres, les épisodes de peste ou les options religieuses du pays d’accueil. Cette situation est d’autant plus préjudiciable au pouvoir ducal que le XVIe siècle voit un renforcement significatif de ses prérogatives en matière judiciaire, et donc de ses besoins en magistrats qualifiés. En effet, après 1542 et le traité de Nuremberg, le duché de Lorraine acquiert la souveraineté judiciaire, ce qui implique que les procès nés en Lorraine ne sont plus susceptibles d’appel devant la cour impériale de Spire[12] ; en 1571, le concordat de Boulogne, signé avec le roi de France, accroît les droits ducaux sur le Barrois mouvant en matière judiciaire, puisqu’il interdit aux sergents royaux d’exploiter dans le duché, réserve les appels des juges du fond aux baillis ducaux et limite la compétence des juges royaux à la seule dernière instance, réservée au parlement de Paris, privativement des présidiaux de Sens et de Chaumont[13] ; enfin, par un patient travail d’innovations judiciaires progressives, le pouvoir ducal parvient à circonvenir les privilèges traditionnels de la haute noblesse lorraine et à accroître ainsi le nombre de cas traités par les juges ducaux[14]. Ainsi, dans les années 1570, le pouvoir ducal est parvenu à affermir son autorité judiciaire sur les pays de son obéissance. La compétence conquise, il lui manque désormais les juges.

2.    Un projet initié par la maison de Lorraine

            L’origine de l’université de Pont-à-Mousson peut être trouvée dans la volonté du cardinal Charles de Lorraine, archevêque de Reims, évêque puis administrateur du temporel de Metz et frère du balafré, de mettre un coup d’arrêt aux progrès accomplis par le protestantisme messin au cours des années 1550. Dans un premier temps, le cardinal envisage la création d’un collège jésuite dans la ville mais il se heurte en 1560 à un refus du pape, qui lui reproche son soutien à l’idée d’un concile national ; une seconde tentative en 1570 échoue à cause de l’opposition du roi, qui ne souhaite pas froisser les protestants dans le contexte du rapprochement entre le pouvoir royal et le parti huguenot après la paix de Saint-Germain[15].

            Le cardinal se tourne alors vers son cousin Charles III de Lorraine et lui propose la création d’une université de plein exercice dans ses États, qui pourrait tout aussi bien former des théologiens à même de lutter contre les réformés messins que des juristes disposés à servir l’État ducal. Le soutien du duc étant acquis, une supplique est adressée au pape, qui y répond par la bulle In Super eminenti du 5 décembre 1572, autorisant la création de l’université de Pont-à-Mousson « pour dissiper le brouillard ténébreux de l’ignorance et la peste des hérésies[16] ». La nouvelle fondation est financée par la sécularisation de l’abbaye de Gorze ainsi que par des prélèvements sur les abbayes et les prieurés des trois diocèses lorrains[17]. Les facultés d’arts et de théologie sont confiées aux Jésuites, ainsi que la direction de l’ensemble de l’université ; ils s’installent en 1574 à Pont-à-Mousson et y commencent leur enseignement[18].

            L’existence de l’université résulte donc d’un compromis politique entre d’une part, le cardinal de Lorraine, la compagnie de Jésus et le pouvoir pontifical, soucieux de se donner les moyens d’entamer la reconquête catholique des terres voisines des duchés de Lorraine et de Bar, et d’autre part, le pouvoir ducal, désireux de développer la faculté de droit. La volonté ducale de former des juristes pour son service se devine dans les moyens alloués à l’université (cf. infra), mais elle est aussi affirmée explicitement dans les ordonnances prises par le pouvoir ducal pour organiser la mise en place de l’université : dans les considérants d’un règlement de juillet 1580, le duc énonce qu’« entre toutes les parties qui doivent reluire en la personne d’un Prince, les plus dignes & excellentes, consistent en la fonction de la Religion Chrestienne & administration de la justice, comme estant les deux vraies & plus fermes colonnes sur le fondement desquelles est appuyé le bien & gouvernement de la société humaine[19] » ; dans un règlement ultérieur donné à sa « chere et bien aimée fille l’Université du Pont-à-Mousson », le duc octroie de larges privilèges à la faculté de droit « afin que la Justice distributive & bien de la Police fussent tant plus sainctement conduicts & administres ez terres & pays de nostre obeissance, au soulagement & repos de nos subjects[20] » et « afin que durant nostre règne, puissions recevoir ce contentement, de veoir fleurir l’exercice des Loix en nostredicte université[21] ».

            Ce compromis politique entre les fondateurs de l’université se traduit par un compromis institutionnel qui donne aux Jésuites la direction de l’université tout en conservant aux facultés de droit et de médecine, qui se mettent en place respectivement en 1580 et 1598, un degré d’autonomie dans leur mode de fonctionnement, dont le périmètre est un enjeu de lutte entre les Jésuites et les juristes durant les décennies suivantes.          La phase la plus vive de ces conflits est la période 1582-1587 durant laquelle les juristes, estimant que les Jésuites s’immiscent trop dans les affaires de la faculté de droit et désirant pouvoir attribuer directement des grades sans en passer par le recteur jésuite, quittent Pont-à-Mousson et s’installent en une école de droit autonome à Saint-Mihiel. Le conflit est finalement résolu par un accord imposé par le duc, qui prévoit que la faculté de droit pourra effectivement délivrer elle-même des diplômes, mais que les professeurs devront au recteur jésuite un serment d’obéissance[22].

3.    Une université intégrée à l’État ducal

            L’issue trouvée par le pouvoir ducal aux conflits entre les Jésuites et les professeurs de droit fait de leur faculté une institution entièrement intégrée à l’État ducal. Cela se constate tout d’abord par le mode de sélection des professeurs, qui sont nommés à leurs fonctions par des lettres patentes de provision en tous points semblables, sur le plan diplomatique, aux lettres de provision à tous les autres offices ducaux : elles sont consignées par le registrateur du conseil ducal dans les volumes contenant toutes les autres patentes ducales, elles précisent la cause motivant la provision d’un nouvel officier (création de l’office ou vacation par mort ou démission de son prédécesseur), les qualités de l’impétrant, les modalités de sa rémunération, elles exigent un serment préalable à l’installation en offices et s’achèvent sur un mandement fait à tous les autres officiers ducaux de reconnaître le nouvel officier. Le paiement des gages des professeurs de droit s’opère depuis les comptes de l’État ducal ; dans un premier temps, ils sont payés par le trésorier général de Lorraine, jusqu’en 1598, puis – sans doute pour des raisons de commodité – par le gruyer de Pont-à-Mousson[23]. Le versement de leurs gages est d’ailleurs une occasion supplémentaire de constater l’attention marquée du pouvoir ducal à l’égard de la jeune université : en 1595, le doyen Grégoire touche 3325 francs et les professeurs Barclay, Elye et Hordal perçoivent respectivement 1800, 900 et 1000 francs, ce qui fait des deux premiers les deux officiers les mieux rémunérés des duchés, devant le trésorier général et le surintendant des finances (qui émargent tous deux à 1200 francs) – et des deux autres les quatrième et cinquième de la hiérarchie des gages, loin devant les principaux officiers de justice (cf. infra, tableau 5).

            L’intégration de l’université de Pont-à-Mousson à l’État ducal peut également s’observer lors des cérémonies de mise en scène du pouvoir ducal. Ainsi, à l’occasion de la pompe funèbre de Charles III en 1608, particulièrement bien connue grâce à la description qui en a été faite par Claude de La Ruelle, auditeur des comptes et secrétaire d’État, les professeurs des quatre facultés prennent place dans le défilé entre les chanoines de la primatiale Notre-Dame et de la collégiale Saint-Georges, d’une part, et les officiers de l’hôtel ducal, d’autre part[24]. L’oraison funèbre du duc est prononcée par un professeur de théologie de l’université, le jésuite Léonard Perin[25], qui prête au prince défunt « une beauté parfaite, une grace accomplie, une douceur de meurs, une naïveté de parolle, un cœur sans feintise, un œil sans dédain, une façon sans fard, un respect de tous, une crainte de Dieu, une humble grandeur, une dévotion d’une âme bien chrestienne[26] » ; le même avait déjà adressé à Charles III un panégyrique quelques années plus tôt[27] et ses collègues produisent régulièrement des textes à la gloire du pouvoir ducal[28]. L’université montre à cette occasion la troisième fonction qu’elle occupe dans les institutions ducales : outre la défense de l’orthodoxie religieuse et la formation des futurs officiers, la fondation participe à l’exaltation du prince et au cérémonial d’État.

            Ces quelques manifestations de déférence de l’université à l’égard du pouvoir ducal montrent aussi bien les largesses de celui-ci que la reconnaissance des jésuites à l’égard de l’autorité séculière qui les soutient dans leurs activités universitaires. Le père Abraham, jésuite mussipontain et auteur d’une histoire de l’université, rapporte une parole du duc Henri II qui illustre l’attitude du pouvoir ducal vis-à-vis de l’institution : à une requête des Jésuites portant sur la réfection de plusieurs salles de l’université, le duc aurait répondu « Notre langue n’a qu’un seul mot pour exprimer le refus, et cependant ma nourrice n’a jamais pu me l’apprendre.[29] »

II. La difficile insertion des diplômés dans le monde lorrain de l’office

            Les soins apportés par le pouvoir ducal à la nouvelle fondation permettent à l’université de Pont-à-Mousson dans son ensemble, et notamment à la faculté de droit, de fonctionner de façon régulière à partir de la décennie 1580 et de délivrer une dizaine de diplômes par an. Pourtant, la proportion de diplômés au service du pouvoir ducal n’évolue pas significativement, malgré les carrières enviables de diplômés mussipontains qui entrent au service du prince.

1.     Une université ajustée aux besoins des États ducaux

            Les professeurs de droit ayant obtenu au cours du conflit avec les Jésuites l’autorisation d’immatriculer séparément leurs étudiants, on dispose d’une matricule facultaire[30] qui permet de connaître la production effective de juristes par l’université ducale durant la période qui nous intéresse. Ce document enregistre, année après année, l’ensemble des actes d’attribution de grades pris par la faculté ; matériellement, il est composé d’articles qui rapportent pour chaque acte le nom du diplômé, sa ville et parfois son diocèse d’origine, le niveau du ou des diplômes obtenus, la discipline dans laquelle le ou les diplômes ont été obtenus, l’identité des témoins ayant assisté à la délivrance du diplôme ainsi que la date de délivrance du diplôme, dans une forme semblable à celle-ci :

« Claudius Marloratus Barroducens Bacchalaureatus gradu in facultate juris Pontificii & civilis hac in academia insignitus est die ultima mensis januarii anni 1583, Ioanne Thierieto & Henrico Habilonio testibus. Idem Marloratus tanquam optime meritus nemine discrepante Licentia & doctoratus gradu donatus est, die tertia Februarii, Nicolao Christophorino Sacra Theologiae Bacchalaureo & Desiderio Stephano iuris civilis Licenciato, viris optimus testibus fuerunt & die decima praedicti mensis Bacchalaureatus, Licentiatus & Doctoratus accepto gradu litterae expeditae[31] »

            Dans le cas présent, Claude Marlorat a obtenu son baccalauréat le 31 janvier et sa licence ainsi que son doctorat le 3 février[32]. Les trois diplômes ont donné lieu à l’inscription d’un seul paragraphe dans la matricule – c’est ce que nous appelons un acte, qui ne se confond donc pas avec un diplôme, puisque la délivrance simultanée de plusieurs diplômes de niveaux différents est extrêmement courante à Pont-à-Mousson. Ainsi, sur les 479 actes enregistrés durant la période qui va de 1583 à 1633[33], on trouve 32 actes d’attribution du baccalauréat (soit 7 % du total), 309 actes d’attribution simultanée du baccalauréat et de la licence (65 %), 115 actes d’attribution simultanée du baccalauréat, de la licence et du doctorat (24 %), 14 actes d’attribution de la licence (3 %), 3 actes d’attribution simultanée de la licence et du doctorat et 6 actes d’attribution du doctorat[34]. Le nombre des actes ne se confond pas non plus avec le nombre des étudiants, puisque rien n’empêche qu’un même individu donne lieu à deux actes distincts, séparés de quelques mois ou de quelques années. Il est cependant très rare qu’un diplômé poursuive ses études à l’université mussipontaine dans l’espoir d’obtenir un meilleur grade, attendu que les 479 actes de remise de diplômes enregistrés par la matricule concernent 476 individus.

            Ces quelques chiffres montrent néanmoins qu’après des débuts difficiles – notamment du fait du conflit entre juristes et Jésuites – l’université parvient à un fonctionnement plutôt régulier ; ainsi, entre 1592 et 1633, elle promeut à un grade universitaire 10,3 étudiants par an en moyenne.

Graphique-1

            Cette moyenne de 10,3 juristes diplômés par an place l’université mussipontaine au second plan dans la hiérarchie des facultés de droit : dans le dernier quart du XVIe siècle et le premier tiers du XVIIe siècle, pour les universités de l’espace francophone dont la matricule a été conservée, on voit se détacher nettement Poitiers et Caen, avec toutes deux 82 diplômés par an[35], ainsi que Cahors, avec 58,8 gradués annuels[36] ; Aix et Avignon se placent à un rang intermédiaire, avec respectivement 18 et 20,4 diplômés par an[37] ; on trouve ensuite les plus petites universités, comme Dole, avec 13 diplômés par an[38], ou Orange, qui admet au diplôme 10,3 étudiants par an en moyenne[39], avec qui Pont-à-Mousson fait jeu égal.

            L’université lorraine apparaît donc comme une petite université dans l’espace européen ; tout du moins se maintient-elle, à une époque où l’échec d’une fondation universitaire est une possibilité qui n’a rien de théorique : Rainer Christoph Schwinges rappelle que sur les 32 fondations universitaires qui ont lieu dans l’Empire du XIVe au XVIe siècle, 12 se concluent par la disparition de l’établissement après quelques années[40]. Du reste, on peut penser que la taille de l’université de Pont-à-Mousson est ajustée aux besoins des États ducaux et qu’en décernant un diplôme de droit à 476 étudiants en cinq décennies, l’Alma Mater lorraine répond aux attentes du pouvoir ducal, qui n’avait à son service au cours de la période précédente que 72 juristes titulaires d’un grade universitaire (Cf. supra).

2.    Le faible nombre des juristes mussipontains obtenant un office ducal

            Contre toute attente, la proportion de diplômés au service du pouvoir ducal reste stable après que les premiers grades aient été délivrés à Pont-à-Mousson. Sur les 1329 officiers ducaux pourvus entre 1583 et 1633, on trouve 31 titulaires d’un doctorat en droit et 131 titulaires d’une licence dans la même discipline, soit 12,2 % du total.            En procédant au comptage des magistrats des principales juridictions des duchés ayant un titre universitaire parmi ceux qui entrent en office à partir de 1583, on obtient les résultats suivants :

Tableau-2

             Si la proportion de diplômés progresse au tribunal du Change ainsi que, dans une moindre mesure, au sein du conseil ducal et des chambres des comptes, elle décline assez nettement dans les tribunaux de bailliage et aux Grands Jours de Barrois. Au-delà de ces variations particulières, la proportion de diplômés parmi les principaux officiers de justice recrutés après 1583 est en léger déclin, 35 % d’entre eux ayant un grade universitaire contre 39 % de ceux qui officiaient durant la période précédente.

            Cette évolution inattendue de la proportion des diplômés dans le service du prince ne s’explique pas par un désamour généralisé des gradués mussipontains pour les offices ducaux. En croisant les lettres patentes de provision aux offices et la matricule facultaire précédemment mentionnée, on peut en effet reconstituer des parcours individuels, des bancs de l’université à l’obtention d’une charge ducale. L’identification des diplômés parmi les officiers nouvellement pourvus est rendue possible par les informations qui figurent dans les deux sources : ainsi, lorsque l’on trouve dans la matricule la mention « Die mensis feb[ruarii] 29 D[ominus] Claudius Plumeret Bourmont[anus] fuit gradu baccal[aureatus] et licentiat[us] in utroque jure insignatus[41] », on peut sans grande audace la rapprocher de la patente de provision de l’office de procureur général du bailliage de Bassigny octroyée à « nostre cher et bien aimé Claude Plumeret, licencié ez droictz et advocat demeurant en nostre ville de Bourmont[42] ».

            Au total, on trouve parmi les 162 officiers ducaux disposant d’un titre universitaire 42 diplômés mussipontains, soit 26 % du total. En changeant de point d’observation, on peut dire que seuls 8,8 % des étudiants ayant obtenu un diplôme de droit à l’université de Pont-à-Mousson obtiennent par la suite un office ducal (ou 9,6 %, si l’on ne retient pour le calcul que les diplômés in jure civili et in utroque jure). Cette très faible proportion est d’autant plus surprenante que les diplômés mussipontains qui entrent au service du duc font par la suite des carrières enviables.

3.    De belles carrières au service du duc

            L’université de Pont-à-Mousson étant assez éloignée des premières places de la hiérarchie des universités européennes, on aurait pu faire l’hypothèse que ses diplômés pâtissaient, dans le champ de l’office lorrain, d’un titre moindrement prestigieux et qu’ils préféreraient en conséquence tenter de le valoriser ailleurs ou autrement. L’étude des carrières des anciens diplômés mussipontains entrés au service du duc montre qu’il n’en est rien, car ils obtiennent en moyenne des positions légèrement meilleures que celles des diplômés d’autres universités :

Tableau-3

            Par comparaison avec les officiers ayant obtenu leur diplôme dans une autre université, les anciens étudiants du studium mussipontain occupent davantage d’offices durant l’ensemble de leur carrière, sont plus nombreux (en proportion) à occuper des grands offices de justice, et, parmi ceux-ci, relativement moins nombreux à être lieutenants généraux ou procureurs généraux de bailliage, qui sont les grands offices de justice les moins rémunérateurs, aussi bien sur un plan matériel que symbolique. Certains des mussipontains font des carrières remarquables : Didier Dattel, licencié in utroque jure en 1594, fait ses armes comme avocat auprès des cours de Nancy avant de devenir secrétaire entrant au conseil ducal en 1601, greffier de l’institution en 1606, conseiller  en 1611 et de couronner sa carrière par l’obtention de l’office de maître-échevin du tribunal du Change en 1624[43] ; Charles de Girmont, licencié in utroque jure en 1597, devient ensuite secrétaire particulier du marquis de Pont-à-Mousson (fils du duc et futur Henri II) puis, la même année, secrétaire ordinaire, avant d’entrer à la chambre des comptes de Lorraine comme auditeur en 1604, puis de devenir secrétaire d’État en 1614, office qu’il cumule avec celui de conseiller au conseil ducal en 1616[44].

            On pourrait penser que les diplômés de l’université de Pont-à-Mousson doivent leurs carrières à d’autres facteurs que le seul titre universitaire : plus fréquemment lorrains que les autres gradués, ils seraient davantage liés au monde de l’office dans les États ducaux et pourraient faire jouer à leur avantage un entregent familial. Les données prosopographiques que nous avons collectées permettent de faire justice de cette hypothèse :

Tableau-4

            Les diplômés qui ont étudié sur les rives de la Moselle sont certes un peu plus fréquemment des enfants d’officiers ducaux que les autres diplômés et même, plus souvent des enfants de grands officiers de justice, mais dans des proportions dont on peut douter qu’elles jouent un rôle décisif (dans les deux cas, environ 10 %). Quant à leur condition juridique, ils ont un profil très voisin de celui des autres diplômés et sont même légèrement moins nombreux à être nobles.

            Enfin, les gradués de l’université de Pont-à-Mousson sont moins nombreux, en proportion, à pouvoir se prévaloir d’une expérience d’avocat : d’après les lettres patentes qui les pourvoient en office, 21 % d’entre eux ont ou ont eu une pratique d’avocat, contre 43 % des autres diplômés.

            Les diplômés de l’université de Pont-à-Mousson ne semblent donc devoir leurs belles carrières qu’à leur titre universitaire, ce qui s’accommode mal du constat que seule une petite minorité de leurs camarades d’étude optent pour le service du pouvoir ducal – a fortiori si l’on se souvient que celui-ci a fondé leur université (et la soutient activement) dans le but avoué de disposer de juristes pour son service.

III. Le service du prince : peu d’attrait et peu de places

            L’absence d’évolution significative dans la proportion des officiers ducaux disposant d’un titre universitaire peut s’expliquer de deux façons : ou bien les diplômés dédaignent le service du prince parce qu’ils peuvent (ou espèrent pouvoir) trouver mieux ailleurs, ou bien ils aspirent à obtenir un office mais n’y parviennent que difficilement. Du reste, ces deux explications – qui ne sont pas nécessairement incompatibles – concernent aussi bien les diplômés de l’université de Pont-à-Mousson que ceux qui ont obtenu ailleurs leurs grades.

1.     La faible attractivité des offices d’État lorrains

            En comparant la carrière des diplômés en droit entrés au service du duc de Lorraine avec celles des officiers qui ne jouissent d’aucun titre universitaire, on constate que ceux-ci obtiennent à la fois davantage d’offices et des offices plus prestigieux (Cf. supra, tableau 3). Cette comparaison ne fait toutefois qu’attester l’avantage relatif donné par les grades au sein de l’espace de l’office lorrain, sans rien dire de l’attrait que ces offices peuvent exercer sur des juristes fraîchement diplômés.

            Pour essayer de se faire une idée de l’intérêt que peuvent représenter les offices ducaux pour un gradué en droit, il est possible de les comparer avec leurs équivalents dans le royaume de France, sur le plan des gages versés annuellement :

Tableau-5

            Les rémunérations associées aux offices ducaux sont systématiquement inférieures à celles associées à des offices équivalents dans le royaume de France, parfois dans des proportions impressionnantes (jusqu’à 4,5 fois moins, dans le cas de l’office d’auditeur des comptes). En outre, et s’il est difficile de mesurer le volume des rémunérations matérielles annexes (épices, vacations, exonérations fiscales, etc.), il faut signaler qu’il n’existe pas, en Lorraine ducale, d’offices anoblissants. Cela ne signifie pas pour autant que les officiers ducaux n’aient pas des chances raisonnables d’accéder au second ordre, puisque le duc anoblit très régulièrement certains de ses serviteurs – sur les 455 personnes anoblies par les ducs de Lorraine entre 1583 et 1633, 160 sont des officiers[45] – mais cet accès se trouve de fait rendu plus incertain que dans l’organisation institutionnelle du royaume de France.

            Que ce soit sur le plan matériel ou sur le plan symbolique, les rémunérations associées aux offices ducaux lorrains les rendent donc bien moins désirables que des offices royaux. Dans ces conditions, on peut comprendre que des diplômés en droit, de Pont-à-Mousson ou d’ailleurs, ne portent qu’un intérêt limité au service du duc de Lorraine, a fortiori s’il leur est difficile d’y entrer.

2.    Le rôle prépondérant de l’hérédité dans l’accès aux offices

            Durant les décennies qui suivent la fondation de l’université de Pont-à-Mousson, un nombre croissant d’offices ducaux deviennent inaccessibles à tous ceux qui ne font pas partie de familles déjà au service du prince – ou qui ne parviennent pas à y entrer par le jeu d’alliances matrimoniales – du fait de l’introduction dans les duchés de la vénalité des offices en 1591[46].

            En 1585, après que les principaux chefs de la Ligue se soient entendus sur leurs objectifs politiques et militaires lors de la réunion de Nancy en septembre de l’année précédente, le duc de Lorraine Charles III entre en guerre contre le pouvoir royal au côté des troupes de la Ligue, dirigée par ses cousins. Jusqu’aux traités de Saint-Germain-en-Laye et de Folembray en 1594 et 1595, les troupes ducales occupent Verdun et Toul ainsi qu’une partie de la Champagne, ce qui occasionne des dépenses militaires considérables par comparaison avec les moyens dont dispose ordinairement le pouvoir ducal : entre le 15 mars 1589 et le 30 juin 1592, la guerre coûte 5,8 millions de francs barrois, tandis que les recettes totales du pouvoir ducal s’établissent, dans les années 1580, à 1,15 million de francs par an en moyenne. Le duc bénéficie de subsides espagnols, aliène de vastes parties de son domaine et lève des impôts dans des proportions inédites[47], mais face à l’insuffisance de ces moyens, il se résout à exiger de ses officiers des sommes déterminées en fonction de la charge occupée, sous peine de confiscation de leur office. Guy Cabourdin a fait l’hypothèse que cette introduction de la vénalité avait dans un premier temps été pensée comme provisoire[48] – mais on sait ce que vaut le provisoire dans les matières fiscales et financières et, à partir de cette date, tous les offices ducaux sont vendus jusqu’à la fin de la période nous intéressant (sauf les offices auliques et militaires).

            Le droit de la vénalité lorrain diffère peu de son équivalent français : pour obtenir un office, l’impétrant doit ou bien payer la totalité de la valeur de l’office, ou bien payer « le quart denier », c’est-à-dire 25 % de la valeur de l’office, s’il bénéficie de la résignation d’un parent – charge à celui-ci de payer un autre « quart denier » (ce qui fait donc des droits de mutations totaux de 50 %) et de survivre 20 jours. Le droit de résigner à un parent étant un des droits garantis aux officiers ayant régulièrement acquis leur charge, il leur est loisible de transmettre leur bien sans que celui ne revienne au duc, c’est-à-dire sans que le duc ne puisse choisir un autre titulaire pour l’office en question.

            Dans ces conditions, les diplômés désireux d’obtenir un office ducal qui ne peuvent pas bénéficier de la résignation d’un proche n’ont accès qu’aux offices nouvellement créés ou à ceux qui vaquent, généralement par infraction à la règle des vingt jours. Il a été possible de mesurer la part des héritiers – c’est-à-dire de ceux qui succèdent en office à leur père, leur beau-père, leur frère, leur oncle, leur beau-frère ou leur grand-père, par ordre décroissant de fréquence – dans l’ensemble des officiers ducaux : entre 1545 et 1591, 17 % des officiers ducaux sont des héritiers, au sens où ne venons de définir le terme ; entre 1592 et 1633, cette proportion s’élève à 30 % ; pour les grands offices de justice, elle atteint 36 %. Encore faut-il préciser que les effectifs des institutions centrales augmentent fortement durant la période étudiée[49], sans quoi la proportion des héritiers aurait très vraisemblablement dépassé les 50 %[50].

            En l’absence d’exigences spécifiques en matière de diplôme pour accéder aux offices (Cf. infra), cette configuration juridique ne peut que décourager les enfants d’officiers d’entreprendre des études, puisque l’accès à l’office leur est, quoi qu’il en soit, garanti. Cet effet peut s’observer dans les stratégies éducatives des familles d’officiers : parmi les 140 grands officiers de justice titulaires d’un diplôme de droit, 38 ont eu un ou plusieurs fils qui ont eux-mêmes obtenu un office ducal entre 1592 et 1633 ; sur les 52 fils devenus ainsi officiers ducaux, seuls 19 sont détenteurs d’un diplôme (soit 37 %). Cette majorité très nette montre que les enfants de ceux qui sont parvenus à obtenir un office ducal notamment grâce à leur diplôme ne ressentent pas, en régime de vénalité des offices, le besoin d’entreprendre des études pour reproduire la position sociale de leur père.

3.    L’absence d’exigences spécifiques en matière de diplôme

            Dans d’autres espaces politiques que les duchés de Lorraine et de Bar, l’instauration de la vénalité n’a pas produit les mêmes effets de découragement aux études, du fait de l’existence d’une législation faisant de la détention d’un diplôme en droit un prérequis à l’obtention de certains offices. Ainsi, le roi de France exige depuis 1498 que tous les officiers de justice des bailliages et sénéchaussées soient licenciés ou docteurs en droit[51] ; en Espagne, les corregidores, juges de première instance, doivent être bachelier en droit[52] ; dans les Pays-Bas, les membres des conseils provinciaux sont nécessairement gradués en droit[53].

            Ce type de législation n’apparaît dans les duchés de Lorraine et de Bar que tardivement et ne concerne qu’un petit nombre d’offices. En 1613, le pouvoir ducal prend un règlement pour la réception des officiers de la Cour de Saint-Mihiel, dans lequel, après avoir regretté que les membres de l’institution y soient nommés sans « donner autre preuve suffisante de leurs capacités pour exercer charges si importantes, que le peu de mention qui en est faicte sur le rapport d’aultrui en leurs lettres de provision, le tout différemment de ce qui se pratique & observe à bon droit en aultres semblables Cours souveraines bien ordonnées[54] », il dispose que tout nouveau conseiller devra être gradué en droit, en plus d’avoir au moins trente ans, cinq ans d’expérience comme avocat ou magistrat dans des juridictions inférieures et de se soumettre à un examen de capacité ; le règlement impose les mêmes exigences au lieutenant général du bailliage de Saint-Mihiel et au procureur général du duché de Barrois[55]. En 1627, le duc remplace le tribunal des Feurs-Assises de Vôge – une juridiction collégiale des neufs prévôts du bailliage – par une cour constituée autour du lieutenant général du bailliage et constituée de quatre juges assesseurs, dont l’édit de création de la nouvelle juridiction prévoit qu’ils devront être gradués en droit[56]. Les lettres patentes de provision des offices permettent de constater que sur les quatre nouveaux officiers, deux seulement sont titulaires d’un diplôme de droit[57].

            Ces deux réformes du début du XVIIe siècle sont les seules qui conditionnent l’obtention d’un office ducal à la détention préalable d’un diplôme universitaire de droit. Il ne faudrait pas pour autant en conclure que le pouvoir ducal se désintéresse de la compétence de ses officiers de justice. En janvier 1616, près de trois ans après le règlement relatif à l’admission de nouveaux conseillers à la Cour de Saint-Mihiel, le duc prend une ordonnance modifiant les conditions d’admission dans ses chambres des comptes de Lorraine et de Bar ; après des considérants très semblables à ceux du texte de 1613, le duc prévoit un âge minimum de 25 ans et un « examen de sa capacité sur les points tant de Finances & Domaine que de droit & practique », mais il n’est fait aucune mention d’une quelconque exigence en matière de diplôme, ce qui laisse penser que le duc n’accorde qu’une valeur limitée au diplôme – ou qu’il doute de sa capacité à attirer suffisamment de candidats gradués[58].

            Dans ces conditions, les titulaires d’un grade universitaire se trouvent placés en compétition avec d’autres candidats aux offices qui, pour n’être pas diplômés, n’en ont pas moins des connaissances juridiques leur permettant de réussir ces examens de capacité et, plus largement, de convaincre le pouvoir ducal de leur compétence. Il y a d’abord ceux, nombreux, qui ont fréquenté l’université mais qui l’ont quittée sans obtenir de titre. Leur passage sur les bancs de la faculté peut être connu, en l’absence d’un registre universitaire des immatriculations, par l’usage qu’ils en font lorsqu’ils sollicitent un office auprès du duc ;  parfois associées à d’autres expériences, ces études inachevées sont présentées comme un gage de compétence – et sont reconnues comme tel par le duc. Ainsi, lorsque le duc octroie à Didier Pariset ses lettres de provision à l’office d’auditeur à la chambre des comptes de Bar, il rappelle l’un des arguments mis en avant par le père de l’intéressé, Claude, qui a réclamé au duc le droit de résigner son office à « Didier Pariset, son filz, q[u]'[i]l a faict nourrir & estudier ez universitez fameuses et chancelleries d’Allemagne, pour le rendre digne et capable de nous faire service[59] » ; significativement, les lettres patentes n’évoquent aucun diplôme, non plus que celles qu’il obtient ultérieurement (Didier Pariset est pourvu de l’office de gouverneur des salines de Rosières en 1603[60] et de celui de secrétaire d’État en 1621[61]). Certains aspirants aux offices ont également reçu un apprentissage en droit et en pratique judiciaire en secondant leur père dans l’exercice d’un office ducal, comme on peut par exemple l’observer dans les lettres patentes de provision de l’office de lieutenant général du bailliage de Saint-Mihiel, dans les considérants desquelles on trouve l’argument mis en avant par Jean Rutant, qui « eu soin particulier d’eslever nostre amé & feal Jaicques Rutand son fils, lieutenant particulier audict bailliage a lestude des sciences necessaires a ceste profession et de le former a lexperience et practique dicelle en esperance de le rendre capable successeur de ladicte charge[62] ». Enfin, dans d’autres cas, la compétence de l’impétrant ne fait aucun doute en raison de son expérience en office : ainsi lorsque le duc nomme à la chambre des comptes de Lorraine Dominique Hatton, en 1604, c’est après avoir rappelé « les bons & aggreables services receuz depuis trente ans ença de n[ost]re trescher & feal con[seill]er d’Estat Dominique Hatton », et sur une simple déclaration de compétence de l’intéressé quant à « la congnoissance des affaires de nostre domaine, finances et autres qui se traictent en nostre chambre des comptes de Lorraine, esquels ledict Hatton se promect nous pouvoir servir utilement pour s’estre particulierement estudié de s’acquerir intelligence en ceste sorte d’affaires par longue exercice & maniemens de semblables[63] ».

            Ces quelques cas de figure permettent de se faire une idée de la formation reçue par les officiers ducaux qui ne disposent pas d’un titre universitaire. Comme on le voit, cette absence de diplôme ne signifie pas une absence de culture juridique, que celle-ci ait été acquise auprès du père, par l’exercice continu d’un ou plusieurs offices ducaux ou dans un cadre académique mais sans être sanctionnée par l’obtention d’un grade.

Conclusion

            L’université de Pont-à-Mousson, dont le pouvoir ducal a appuyé la fondation et qui a par la suite largement bénéficié de son soutien, n’a pas permis par son activité d’augmenter significativement la proportion des officiers ducaux titulaires d’un diplôme de droit. L’explication de cette stagnation de la part des diplômés dans le service du prince ne saurait être trouvée dans les propriétés de l’université, puisque le nombre de diplômes délivrés, bien que modeste, apparaît comme suffisant par comparaison avec les besoins de l’État ducal. C’est en aval que les choses se jouent, les diplômés mussipontains n’ayant visiblement pas voulu, ou pas pu, entrer au service du souverain.

            L’échec de l’entreprise ducale invite à reconsidérer le schéma généralement admis qui fait de l’augmentation de la proportion des gradués au service de l’État la conséquence mécanique de l’augmentation du nombre total de diplômés, lui-même résultant de la multiplication des universités en Europe entre le XIVe et le XVIIe siècle. La cohérence apparente de ce schéma tient largement à un effet d’évidence rétrospective qui occulte le fait que des conditions sont nécessaires à l’entrée massive des diplômés dans le service du prince.

            Il faut d’abord souligner que dans un contexte d’augmentation rapide des besoins en juristes des différents États[64], il n’y a rien d’évident à ce que la production de diplômés ait excédé les capacités d’absorption de ce qui apparaît comme un proto marché du travail des professions académiques[65], comme l’historiographie anglaise en a fait un temps l’hypothèse à travers le thème des frustrated intellectuals[66]. Il semblerait au contraire que, au moins dans certains espaces géographiques, les gradués en droit soient une ressource suffisamment rare pour donner lieu à une compétition entre les souverains, qui tourne à l’avantage des plus riches d’entre eux : le duc de Lorraine, incapable de payer ses officiers au niveau de ceux du roi de France – et il s’en faut de beaucoup – peut difficilement attirer des diplômés qui auraient le choix entre le service des deux princes.

            On peut ensuite faire le constat que l’augmentation de la proportion des diplômés dans les institutions d’État suppose l’adoption de mesures spécifiques leur permettant de rivaliser efficacement avec les porteurs d’autres types de capitaux. Ainsi, en l’absence d’exigences en matière de grade et en régime de vénalité des offices, les diplômés n’étant pas liés à une famille d’officiers ne peuvent espérer accéder qu’aux offices vacants ou de nouvelle création, tandis que les fils d’officiers n’ont aucune incitation à entreprendre des études pour accéder à un office qui leur est quoi qu’il en soit garanti. Dans cette configuration particulière, la vénalité des offices apparaît comme étant un puissant frein à la professionnalisation des agents de l’État.

            Enfin, l’historien qui scrute dans le service du prince la trace des diplômes de droit en les tenant pour un signe facilement repérable de la détention d’une solide culture juridique, par opposition à d’autres officiers qui aurait une façon plus rustique d’exercer leurs missions au service du souverain, constate nécessairement, par de multiples indices, que la détention d’un diplôme de droit et d’une culture juridique ne se recoupent que de façon très imparfaite. A Pont-à-Mousson comme ailleurs, certains diplômés obtiennent les trois niveaux de diplôme le même jour, tandis que d’autres sortent gradués en étant étonnamment jeunes[67] ; à l’inverse, on sait que les quatre cinquièmes des étudiants quittent l’université sans y avoir obtenu de diplôme[68] – ce qui ne signifie nullement qu’ils n’y ont rien appris – et que d’autres bénéficient de l’enseignement dispensé par leur père dans le cadre domestique, ou d’une connaissance pratique du droit accumulée durant leurs années d’exercice dans plusieurs juridictions. En rappelant cela, il n’est pas question pour nous de remettre en cause l’intérêt qu’il y a à connaître la proportion des diplômés dans les institutions d’État (et son évolution dans le temps), mais il peut être utile de garder à l’esprit que le diplôme est peut-être avant tout, durant la première modernité, un moyen de distinction sociale, et qu’en conséquence, tous ceux qui ont des diplômes ne savent pas le droit et que tous ceux qui savent le droit n’en ont pas.


Notes

[1] Lawrence STONE, « The Educational Revolution in England, 1560-1640 », Past & Present, 28, 1964, p. 41-80, p. 69‑70.

[2] Roger CHARTIER et Jacques REVEL, « Université et société dans l’Europe moderne : position des problèmes », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 25, 1978, p. 353-374, p. 360.

[3] Jacques PAQUET, Les matricules universitaires, Turnhout, 1992 (Brepols), 149 p., p. 137.

[4] Hilde DE RIDDER-SYMOENS, « Formation et professionnalisation », in Wolfgang REINHARD (dir.), Les élites du pouvoir et la construction de l’État en Europe, Paris, 1996 (PUF), p. 203‑235, p. 209.

[5] Willem FRIJHOFF, « L’université à l’époque moderne, XVIe-XVIIIe siècle. Réflexions sur son histoire et sur la façon de l’écrire », in Pierre HURTUBISE (dir.), Université, Église, Culture. L’université catholique à l’époque moderne de la Réforme à la Révolution, XVIe-XVIIIe siècles. Actes du Troisième Symposium Universidad Iberoamericana, Mexico, 30 avril-3 mai 2003, 2005, Paris (Fédération Internationale des Universités Catholiques), p. 11-35, p. 22.

[6] A l’exception des petits officiers, tels que les sergents, les messagers ou les forestiers, et des officiers auliques, comme les chambellans et les gentilshommes servants.

Les bornes chronologiques de l’étude correspondent, en amont, à l’avènement du duc Charles III, trois ans après la signature du traité de Nuremberg faisant du duché de Lorraine un État souverain (cf. infra) et, en aval, à l’invasion des duchés de Lorraine et de Bar par les troupes françaises au cours de la guerre de Trente Ans, qui met temporairement fin à l’indépendance lorraine.

[7] Ces documents sont conservés aux archives départementales de Meurthe-et-Moselle (ensuite désignées par l’abréviation « AD54 »), sous les cotes B23 à B109 et B1077 à B1499.

Il ne s’agit là que des principales sources utilisées ; d’autres, telles que la matricule de la faculté de droit de l’université de Pont-à-Mousson, sont présentées dans cet article.

[8] Willem FRIJHOFF, « L’université à l’époque moderne … », p. 22.

[9] L’architecture juridictionnelle du duché de Lorraine est toute entière construite autour du privilège reconnu aux « anciens chevaliers », c’est-à-dire à l’ensemble des familles lorraines dont la noblesse est immémoriale, de juger de tous les cas impliquant l’un des leurs ainsi que tous les appels des juridictions inférieures, ducales ou seigneuriales. Pour tenter de contourner ce privilège, les ducs ont multiplié les procédures exceptionnelles visant à dessaisir les Assises de la Chevalerie : au bénéfice de leur conseil, ils ont fait admettre les appels pour défaut de droit ou erreur manifeste de jugement ; ils ont reconnu au tribunal du Change, qui n’était à l’origine qu’une juridiction nancéienne municipale, une compétence d’appel au civil sur tout le bailliage de Nancy et au criminel, une compétence d’avis, obligeant les juges inférieurs à communiquer leurs sentences aux échevins de Nancy et à attendre leur réponse avant toute exécution ; ils ont confié à la chambre des comptes la connaissance des faits du domaine, l’ensemble des litiges liés au sel mais aussi la compétence d’appel en toutes matières pour les terres acquises aux XVIe et au XVIIe siècle ; ils sont également parvenu à faire des tribunaux de bailliage une juridiction d’appel pour certaines matières, et de première instance pour les causes nobles.

Sur toutes ces matières, voir Étienne DELCAMBRE, « Les ducs et la noblesse lorraine. La compétence civile en première instance des anciennes juridictions bailliagères lorraines », Annales de l’Est, 1952, p. 39‑60 ; « Les ducs et la noblesse lorraine. La compétence en appel des Assises de la Chevalerie », Annales de l’Est, 1952, p. 103‑119 ; « Les ducs et la noblesse lorraine. La compétence en matière criminelle de l’échevinage de Nancy », Annales de l’Est, 1952, p. 191‑209.

[10] Michel PARISSE, « Formation intellectuelle et universitaire en Lorraine avant la fondation de l’université de Pont-à-Mousson », in L’Université de Pont-à-Mousson et les problèmes de son temps. Actes du colloque organisé par l’Institut de recherche régionale en sciences sociales, humaines et économiques de l’Université de Nancy II, Nancy, 16-19 octobre 1972, Nancy, 1974 (Université de Nancy), p. 17‑44, p. 26-27.

[11] On trouve ainsi des étudiants lorrains à Cologne, comme Claude Lescarnelot, ultérieurement cellérier de Bar, à Dole, comme Nicolas Champenois, dit de Neuflotte, qui devient par la suite conseiller au conseil privé et président de la chambre des comptes de Lorraine, et même à Heidelberg et à Bâle, comme Jean de L’Escut, qui devient ensuite secrétaire ducal et auditeur à la chambre des comptes de Lorraine.

Michel PARISSE, « Formation intellectuelle … », p. 41 ; AM Besançon, Ms. 984 (année 1562, n°37) ; Christian PFISTER, Histoire de Nancy, tome II, Nancy, 1909 (Berger-Levrault), 1099 p., p. 168 et Christian PFISTER, « Liste des étudiants lorrains inscrits à l’Université de Bâle », Bulletin Mensuel de la Société d’Archéologie Lorraine et du Musée Historique Lorrain, 59, 1910, p. 124‑133, p. 130.

[12] Le texte du traité a été édité dans Augustin CALMET, Histoire de Lorraine qui comprend ce qui s’est passé de plus mémorable dans l’archevêché de Trèves & dans les Evêchés de Metz, Toul & Verdun, depuis l’entrée de Jules César dans les Gaules jusqu’à la cession de la Lorraine, arrivée en 1737, inclusivement, t. VI, Nancy, 1757 (Antoine Leseure), 1362 et CCCCXVI p., p. CCCXC-CCCXCV.

[13] Le texte du traité a été édité dans Pierre-Dominique-Guillaume DE ROGEVILLE, Dictionnaire historique des ordonnances et des tribunaux de la Lorraine et du Barrois, t. I, Nancy, 1777 (Leclerc), 642 p., p. 72-82.

[14] Outre les réformes présentées dans la note n°9, le duc parvient en 1571 à substituer aux Grands Jours de Barrois, une juridiction aristocratique de pairs, une cour composée d’officiers nommés et gagés par lui. Le tribunal est par la suite appelé tantôt « Grands Jours de Barrois », tantôt « Cour souveraine de Saint-Mihiel » et parfois même « parlement de Saint-Mihiel ».

[15] Michel PERNOT, « Le cardinal de Lorraine et la fondation de l’université de Pont-à-Mousson », in L’Université de Pont-à-Mousson et les problèmes de son temps. Actes du colloque organisé par l’Institut de recherche régionale en sciences sociales, humaines et économiques de l’Université de Nancy II, Nancy, 16-19 octobre 1972, Nancy, 1974 (Université de Nancy), p. 45‑66, p. 47-50.

[16] Henri TRIBOUT DE MOREMBERT, « L’université de Pont-à-Mousson et la controverse protestante », in L’Université de Pont-à-Mousson et les problèmes de son temps. Actes du colloque organisé par l’Institut de recherche régionale en sciences sociales, humaines et économiques de l’Université de Nancy II, Nancy, 16-19 octobre 1972, Nancy, 1974 (Université de Nancy), p. 121‑132, p. 121.

[17] Eugène MARTIN, L’université de Pont-à-Mousson, 1572-1768, Nancy, 1932 (Édition du syndicat d’initiatives de Pont‑à‑Mousson), 26 p., p. 4.

[18] Michel PERNOT « Le cardinal de Lorraine … », p. 54-60.

[19] Pierre-Dominique-Guillaume DE ROGEVILLE, Dictionnaire historique …, t. II, p. 500-508, p. 500.

[20] Ibidem, p. 509.

[21] Ibidem, p. 510.

[22] Ibidem, p. 509-540.

[23] AD54, B1265, f°261.

[24] Claude DE LA RUELLE, DISCOURS DES CEREMONIES HONNEURS ET POMPE funèbre faits à l’enterrement du Tres-Hault, Tres-Puissant & Serenissime Prince Charles 3. du Nom, par la grâce de Dieu Duc de Calabre, Lorraine, Bar, Gueldres, Marchis, &c.de glorieuse & perpétuelle mémoire, Clairlieu-les-Nancy, 1605 (Jean Savine), f°80.

[25] Fabienne HENRYOT, « Oraison pour un prince idéal », in Philippe MARTIN (dir.), La pompe funèbre de Charles III, 1608, Metz, 2008 (Éditions Serpenoise), p. 51‑62.

[26] Ibidem, p. 51.

[27] Ibidem, p. 57.

[28] Justin FAVIER, « Harangues des étudiants de Pont-à-Mousson au duc de Lorraine Henri II, 1614 », Mémoires de la Société d’Archéologie lorraine et du Musée Historique lorrain, 20, 1892, p. 248‑265.

[29] Ibidem, p. 249.

[30] Le règlement les y autorisant a été édité dans Pierre-Dominique-Guillaume DE ROGEVILLE, Dictionnaire historique…, t. II, p. 509-512.

La matricule de la faculté de droit est conservée aux archives départementales de Meurthe-et-Moselle : AD54, D1.

[31] « Claude Marlorat, de Bar-le-Duc, est fait bachelier de la faculté de droit canon et civil de cette université, le dernier jour du mois de janvier 1583, Jean Thieriet et Henri Habillon en étant témoins. Au même Marlorat est donné le troisième jour de février, en reconnaissance de ses excellents mérites, la licence et le doctorat, sans que personne ne s’y oppose. Nicolas Christophorin, bachelier en théologie sacrée & Didier Étienne, licencié en droit civil, hommes excellents, en furent témoins & le dixième jour dudit mois, les lettres de baccalauréat, de licence & de doctorat [lui] ont été délivrées. »

Ibidem, p. 8.

[32] Alain Cullière, bon connaisseur des études à Pont-à-Mousson, estime que ces diplômes obtenus en quelques jours sont bien davantage un marqueur de richesse que de maîtrise de la discipline : « En principe, il fallait trois ans pour passer du baccalauréat au doctorat, mais on pouvait fort bien, après vérification des niveaux requis, se faire conférer les trois grades à la suite, en l’espace de deux jours. Cette pratique, de plus en plus courante, revenait fort cher au candidat, soumis à des frais d’examen élevés. Par exemple, s’il acquittait dix francs pour devenir bachelier, il lui fallait verser trois fois plus pour accéder à la licence, et parfois dix fois plus pour être porté au rang de docteur dans les deux droits. »

Alain Cullière, « La première thèse de droit imprimée à Pont-à-Mousson (1596) », Le Pays lorrain, à paraître, p.3.

[33] Ces chiffres diffèrent fortement de ceux que l’on peut trouver dans l’annexe statistique de l’Histoire sociale des populations étudiantes dirigée par Dominique Julia et Jacques Revel. Pour l’université de Pont-à-Mousson, les deux auteurs ont repris les résultats d’un comptage réalisé par Henri Lepage en 1865 ; or, Lepage ne s’intéresse qu’aux diplômes et non à l’identité des diplômés – ce qui gonfle nécessairement les chiffres de façon un peu artificielle, puisque la majorité des diplômés de l’université de Pont-à-Mousson reçoivent simultanément plusieurs titres.

Dominique JULIA et Jacques REVEL, « Les étudiants et leurs études dans la France moderne », in Dominique JULIA et Jacques REVEL (dir.), Les universités européennes du XVIe au XVIIIe siècle. Histoire sociale des populations étudiants, t. II, Paris, 1989 (Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales), p. 25-486, p. 424.

[34] L’attribution simultanée de grades de niveaux différents n’est ni une spécificité mussipontaine ni une nouveauté du XVIe siècle. Jacques Verger note qu’« au XVe siècle, dans certaines universités, quelques-uns semblent même obtenir leurs grades en quelques mois, voire en quelques semaines ; on s’interroge sur ce que pouvait être alors leur formation effective » et Willem Frijhoff rapporte le mot acerbe de Gérard Vossius selon lequel s’il faut à un simple inscrit en faculté cinq jours pour devenir officier de justice au service du roi de France, c’est parce que la plupart doivent perdre le troisième à faire la route d’Orléans à Paris pour réclamer une dispense d’âge…

Jacques Verger, « Prosopographie des élites et montée des gradués : l’apport de la documentation universitaire médiévale », in Jean-Philippe GENET et Günther LOTTES (dir.), L’État moderne et les élites, XIIIe-XVIIIe siècles. Apports et limites de la méthode prosopographique, Paris, 1996 (Publications de la Sorbonne), p. 363‑372, p. 369 ; Willem FRIJHOFF, « Graduation and Careers », in Hilde DE RIDDER-SYMOENS (dir.), A History of the University in Europe, t. II, Universities in early modern Europe, 1500-1800, Cambridge, 1996 (Cambridge University Press), p. 355-415, p. 370.

[35] Dominique JULIA et Jacques REVEL, « Les étudiants … », p. 406 et 422. Dans le cas de l’université de Poitiers, nous avons divisé le nombre total de diplômes délivrés par deux, les séries d’attributions de baccalauréats et de licence étant si proches dans leurs mouvements qu’il y a lieu de suspecter un phénomène d’attributions simultanées quasi systématiques.

[36] Ibidem, p. 408.

[37] Ibidem, p. 398 et 401.

[38] AM Besançon, Ms. 982, 983 et 984.

[39] Dominique JULIA et Jacques REVEL, « Les étudiants … », p. 416.

[40] Rainer Christoph SCHWINGES, Studenten und Gelehrte, Studien zur Sozial- und Kulturgeschichte deutscher Universitäten im Mittelalter, Leiden/Boston, 2008 (Brill), 663 p., p. 195.

[41] AD54, D1, p. 200.

[42] AD54, B107, f°191 v-193, f°192.

[43] AD54, D1, p. 105 ; B72, f°70 ; B76, f°191 v – 193 v ; B1332, f°161 ; B96, f°62 v – 63 v.

[44] AD54, D1, p. 128 ; B69, f°29 ; f°144 v ; B74, f°111 v – 112 v ; B86, f°2 – 3 v ; B1371, f°188 v.

[45] Outre les registres rassemblant les lettres patentes des ducs de Lorraine, déjà signalés, et dans lesquels sont également conservées les lettres patentes d’anoblissement, une liste des anoblis faits par les ducs de Lorraine peut être trouvée, pour la période qui nous intéresse, dans un registre conservé aux archives nationales : AN, BNF Lorraine 500, f°90-137.

[46] Jusqu’alors, la vente des charges était interdite par une ordonnance du duc Ferry III prise en 1289 et globalement respectée, au moins au XVIe siècle. Cette ordonnance a été éditée dans Pierre-Dominique-Guillaume DE ROGEVILLE, Dictionnaire historique …, t. II, p. 192.

[47] Sur l’impact financier des guerres de la Ligue sur les duchés de Lorraine et de Bar et ses conséquences politiques, voir Antoine FERSING, « Une naissance de l’impôt. Les aides générales des duchés de Lorraine et de Bar (1580‑1608) », Annales de l’Est, 1, 2014, p. 305-339.

[48] Guy CABOURDIN, Terre et hommes en Lorraine : 1550-1635, 2 vol., Nancy, 1984 (Université Nancy II), 763 p., p. 494-495.

[49] Les effectifs de la section judiciaire du conseil ducal passe ainsi de 4 à 36 entre 1573 et 1623 et ceux de la chambre des comptes de Lorraine, de 12 à 39 durant la même période.

Antoine FERSING, « Carrières des officiers et influence politique d’une institution d’État : la chambre des comptes de Lorraine (milieu du XVIe siècle – 1633) », Comptabilité(S), 7, 2015, §17-20.

[50] Cette progression du principe héréditaire, contre des formes d’organisation sociale permettant une plus grande mobilité, a lieu simultanément dans le royaume de France, si l’on en croit Robert Descimon, pour qui « le compromis imposé par Henri IV en 1594 a triomphé parce qu’il a su entretenir l’analogie entre les droits du sang royal, l’hérédité civile des offices de justice et de finance, l’hérédité “naturelle” des privilèges nobiliaires ».

Robert DESCIMON, « La haute noblesse parlementaire parisienne : la production d’une aristocratie d’État aux XVIe et XVIIe siècles », in L’État et les aristocraties. XIIe-XVIIe siècle, France, Angleterre, Écosse, éd. Philippe CONTAMINE, Paris, 1989 (Presses de l’École normale supérieure), p. 357‑384, p.372.

[51] Articles 48 et 49 de l’ordonnance de Blois de mars 1498, éditée dans François-André ISAMBERT, Recueil général des anciennes lois françaises, depuis l’an 420 jusqu’à la révolution de 1789, t. XI, 1483-1514, Paris, 1827 (Belin-Leprieur), 686 p., p. 347.

[52] Jean-Pierre DEDIEU et Philippe LOUPES, « Pouvoir et vénalité des offices en Espagne. Corregidores et échevins, un groupe médian ? », in Michel CASSAN (dir.), Les officiers « moyens » à l’époque moderne : pouvoir, culture, identité. Actes du colloque de Limoges des 11 et 12 avril 1997, Limoges, 1998 (PULIM), p. 153‑180, p. 177.

[53] Le conseil provincial d’Artois est par exemple composé d’un président, de deux conseillers nobles, de six conseillers gradués, d’un procureur général et d’un avocat fiscal, en plus du personnel subalterne.

Archives départementales du Nord, B2358.

[54] Pierre-Dominique-Guillaume DE ROGEVILLE, Dictionnaire historique …, t. I, p. 405.

[55] Ibidem, p. 406.

[56] François DE NEUFCHATEAU, Recueil authentique des anciennes ordonnances de Lorraine et de quelques autres pièces importantes, tirées des registres du greffe du grand bailliage de Vosges, séant à Mirecourt, Nancy, 1784 (Dominique Mathieu), 279 et 248 p., première partie, p. 278-279.

[57] AD54, B100, f°82 à 85.

[58] Il faut cependant rappeler que les offices de magistrature financière se situent en règle générale aux marges du monde de la robe, en particulier sur le plan du capital culturel exigé. Robert Descimon observe ainsi que, dans la France du XVIe siècle, « la Chambre des comptes [de Paris] exigeait un investissement financier important, mais coûtait peu sur le plan éducatif ».

Robert DESCIMON, « Au XVIe siècle, l’office de la chambre des comptes de Paris comme investissement. Les marchands bourgeois face à la fonction publique », in Contrôler les finances sous l’Ancien Régime. Regards d’aujourd’hui sur les chambres des comptes ; colloque des 28, 29 et 30 novembre 2007, éd. Dominique LE PAGE, Paris, 2011 (Comité pour l’histoire économique et financière de la France), p. 305‑324, p. 323 ; voir aussi p. 305 et 307.

[59] AD54, B68, f°159 v.

[60] AD54, B73, f°40 v.

[61] AD54, B92, f°39-40.

[62] AD54, B92, f°20.

[63] AD54, B74, f°5-5 v.

[64] Si l’on s’en tient au royaume de France, l’évolution du nombre des officiers royaux peut s’observer grâce à quelques jalons : environ 2400 en 1483 ; 4000 en 1515 ; 19 000 en 1573 et 42 000 en 1665 – soit une multiplication par plus de 17 en moins de deux siècles.

Neithard Bulst, « Les officiers royaux en France dans la deuxième moitié du XVe siècle : bourgeois au service de l’État ? », in Jean-Philippe GENET et Günther LOTTES (dir.), L’État moderne et les élites, XIIIe-XVIIIe siècles. Apports et limites de la méthode prosopographique, Paris, 1996 (Publications de la Sorbonne), p. 111‑121, p. 112 ; Pierre Chaunu, « L’État », in Fernand BRAUDEL et Ernest LABROUSSE (dir.) Histoire économique et sociale de la France. Tome I, 1450‑1660, Paris, 1977 (PUF), p. 9‑228, p. 37 ; Jean Nagle, « Les officiers « moyens » dans les enquêtes sur les offices (XVIe-XVIIIe siècles) », in Michel CASSAN (dir.), Les officiers « moyens » à l’époque moderne : pouvoir, culture, identité. Actes du colloque de Limoges des 11 et 12 avril 1997, Limoges, 1998 (PULIM), p. 25‑41.

[65] Sur la pertinence de la notion de marché de l’emploi pour les professions académiques à l’époque moderne, voir Willem FRIJHOFF, « Université et marché de l’emploi dans la République des Provinces-Unies », in Dominique JULIA, Jacques REVEL et Roger CHARTIER (dir.), Les universités européennes du XVIe au XVIIIe siècle. Histoire sociale des populations étudiants, t. I, Paris, 1986 (Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales), p. 205-243.

[66] Mark H. CURTIS, « The alienated intellectuals of Early Stuart England », Past & Present, 23, 1962, p. 25-43.

Une mise au point sur ce thème peut être trouvée dans Roger CHARTIER, « Espace social et imaginaire social : les intellectuels frustrés au XVIIe siècle », Annales. Économie, Sociétés, Civilisations, 2, 1982, p. 389-400.

[67] Le 12 février 1629, Gaspard le Bègue, fils cadet de Vian Pistor, secrétaire d’État, auditeur des comptes et conseiller au conseil privé, obtient son baccalauréat et sa licence in utroque jure à Pont-à-Mousson. L’année suivante, sur une supplique de son père, le duc accepte de le pourvoir à l’office d’auditeur des comptes à la chambre de Lorraine, mais il réclame que son aîné occupe l’office quelques années, car Gaspard n’a pas « encor atteint l’aage de vingt ans complets ».

AD54, D1, p. 202 ; B106, f°115 v.

[68] Willem FRIJHOFF, « Graduation and Careers », p. 378-379.