La patrimonialisation intergénérationnelle dans le commerce des vins languedociens. Un processus complexe (Années 1900- années 1960)

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Stéphane Le Bras

Résumé

L’objectif de notre étude vise, dans un cadre historique courant sur une soixantaine d’années, à mettre en lumière les logiques de patrimonialisation familiale en cours dans le commerce des vins languedociens et comment ceux qui en sont les destinataires les exploitent. Après avoir montré dans quelle mesure la famille est un élément structurant du négoce local, nous étudierons l’inscription dans une durée plus ou moins longue des maisons de commerce à travers les différents types de transmission patrimoniale. Nous chercherons ainsi à démontrer que si certains héritiers arrivent à assurer avantageusement la patrimonialisation de l’entreprise, d’autres, par malchance, déconvenue commerciale ou désintérêt, brisent un cycle commercial familial commencé plusieurs décennies auparavant. En conséquence, on se retrouve alors face à deux situations antagonistes dont nous proposons ici de mettre en évidence les mécanismes sur le moyen terme : une filiation positive et une autre négative.

Stéphane Le Bras, 07/08/1977, maître de conférences en histoire contemporaine, Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand. Mes recherches portent essentiellement sur deux thématiques. La première concerne le monde viticole et ses évolutions depuis la fin du xixe siècle et les mutations engendrées par l’épidémie du phylloxéra. Dans ce domaine, mes travaux portent particulièrement sur le Languedoc et l’Aquitaine, région pour laquelle je mène un projet de recherche en partenariat avec l’Université de Pau et des Pays de l’Adour sur les petits vignobles. La seconde décrypte les logiques de commercialisation dans le secteur de l’agro-alimentaire aux xixe et xxe siècles, notamment les épiceries, débits de boissons, coopératives alimentaires et autres formes de distribution à petite échelle. Adresse mail : stephane.lebras@yahoo.fr. Laboratoire : CHEC (CF2).


Les liens entre l’histoire des entreprises et l’histoire de la famille ont été depuis quelques années au cœur des travaux des chercheurs en sciences sociales. Ils s’inscrivent dans le renouveau de deux champs historiques particulièrement réinvestis depuis les années 1990. Loin de l’histoire des techniques et des conflits qui caractérisait l’histoire des entreprises jusqu’à il y a une vingtaine d’années, ces dernières sont désormais appréhendées comme des entités à part entières et non plus comme le simple cadre d’agissement d’évolution macro-économiques qui les dépassent. On y étudie la gestion organisationnelle, les performances commerciales, les mobilités et les stratégies[1]. C’est une histoire devenue plurielle et multiscalaire, qui rompt avec les stéréotypes longtemps véhiculés par les travaux historiques : PME rétrogrades, grand patronat imperméable et distant, fracture entre les employés et les chefs d’entreprises[2].

L’histoire de la famille a elle aussi connu de nombreuses mutations ces dernières décennies, sous l’influence de Ph. Ariès[3] ou A. Corbin[4] dont les travaux ont révolutionné l’histoire des mentalités. Aujourd’hui, les études sur les trajectoires familiales sont abondamment étudiées, notamment grâce aux travaux de N. Tadmor[5] ou C. Lemercier[6] sur les réseaux.

Au croisement de ces deux mutations épistémologiques récentes se trouve l’histoire des entreprises familiales. Elle aussi a connu un essor indéniable ces dernières années : depuis l’étude des stratégies entrepreneuriales qui lui sont propres[7] jusqu’à leur relation avec les employés[8], en passant par son inscription dans la vie politique[9]. C’est ici un champ d’étude nouveau et vaste qui s’ouvre aux historiens et autres chercheurs en sciences sociales. En effet, la multiplicité des structures, la divergence des trajectoires, la diversité des stratégies liant familles et entreprises permettent de nombreuses et avantageuses approches pour saisir ce que C. Zalc appelle « les atouts du flou »[10]. Dans les milieux viti-vinicoles, cette approche a été largement investie par la sociologue C. Bessière dans le Cognaçais pour la fin du xxe siècle[11].

C’est dans ce cadre, au carrefour de ces renouvellements historiographiques, que s’inscrit cette étude empirique d’un patronat méridional singulier : celui des négociants en vins languedociens. Ces derniers dominent le marché des vins dans la région depuis la fin de la crise phylloxérique[12]. Ils sont un rouage essentiel pour la région la plus productrice car ils permettent l’écoulement des millions d’hectolitres (hl) de vins produits dans la région chaque année. Interfaces entre les milliers de producteurs et une clientèle elle aussi très diverse (particuliers, restaurants, cafés, magasins à succursales multiples puis grande distribution) et éloignée (Région parisienne, Est de la France, Lyonnais, Massif Central), ils agissent sur un marché atomistique[13] comme les seuls intermédiaires capables d’investir des réseaux soumis à une vive concurrence sur la période.

Leur positionnement commercial et leur rôle sont d’autant plus importants que la filière est frappée par un ensemble de crises cycliques jusqu’au tournant des années 1930 puis permanentes par la suite[14]. Dès lors, ils apparaissent comme les ferments du marché des vins languedociens et disposent d’un pouvoir économique fort qui se double d’une prééminence sociale indéniable faisant d’eux une élite au capital symbolique marqué[15].

Or, leur réussite commercial et l’inscription de cette dernière dans la durée s’appuie essentiellement sur le socle familial. Si cette unité familiale est perceptible dans la gestion quotidienne d’une activité qui requiert une abondante main d’œuvre de qualité et de confiance à la fois dans et en dehors des chais, elle est également de mise dans la transmission des maisons de commerce où les descendants sont rapidement associés dans une logique de consolidation, de patrimonialisation et d’enracinement. Mais la trajectoire de certaines maisons démontre que cette transmission n’est pas aussi simple qu’il n’y parait : les échecs commerciaux, les faillites, les liquidations sont nombreux.

C’est cette patrimonialisation intergénérationnelle complexe que nous nous proposons d’étudier ici à travers l’observation des trajectoires familiales des maisons de commerce en vins languedociennes. Nous nous attacherons ainsi à étudier dans un premier temps la dimension familiale de cette activité primordiale dans la région, puis nous analyserons les différentes formes de transmission, leurs réussites comme leurs échecs. Pour ce faire, nous nous appuierons sur des sources inédites et variées : témoignages familiaux, archives notariales, archives fiscales et archives bancaires. Il s’agit là d’un ensemble de supports qui nous permettra de retracer la dimension familiale des maisons de commerce en vins languedociennes et les facteurs de leur inscription dans une temporalité plus ou moins longue.

1. Être négociant dans l’Hérault dans le premier xxe siècle, une histoire de famille

Afin de bien saisir les logiques de transmission et leur devenir, il est primordial de comprendre quels sont les contours de la dimension familiale dans les maisons de commerce languedociennes. Par leur caractère traditionnel et artisanal au début du siècle, ces dernières s’appuient, logiquement, largement sur la famille. Mais, même quand un vaste effort de modernisation s’opère entre les années 1910 et 1930, puis à nouveau dans les années 1950, le caractère familial reste important.

1.1. Le négoce des vins, une entreprise familiale

À divers titres, les maisons de négoce en vins conservent une orientation familiale multidimensionnelle. Élément structurant fort sur l’ensemble de la période, cela en fait des « entreprises familiales » pleines et entières. Mais, si la recherche historique, influencée par les sciences de la gestion a largement revu son approche des PME[16], il n’en demeure pas moins que cette inscription dans une logique familiale tend à perpétuer l’image d’entreprises en retard et dépassée. L’examen attentif de la réalité des faits prouve le contraire et conduit à démontrer que cette dynamique familiale renforce la domination commerciale des maisons de négoce languedociennes.

Le lien entre famille et patronat est un sujet qui a connu de nombreux débats discutant des limites de ce que l’on appelle la « famille » dans une entreprise familiale[17]. Pour notre étude, la conception de la famille n’est pas celle d’une famille nucléaire mais plutôt celle de la famille et ses alliés. Ainsi, les associations au sein d’une famille élargie aux ascendants-descendants directs et aux collatéraux sont nombreuses et touchent toutes les maisons de commerce, depuis les plus petites jusqu’aux plus importantes. Dans le négoce des vins, on travaille en famille de différentes manières.

Tout d’abord, les associations entre pères et fils sont importantes. Ainsi, au début du siècle, dans le petit village héraultais de Saint-Félix-de-Lodez, Maurice-Vincent Jeanjean, petit négociant barricailleur[18], associe à son activité son fils d’une vingtaine d’années, Maurice-François. Ce dernier, après la mort de son père en 1912, adopte la même stratégie avec son fils, Paul (né en 1904), à partir de 1925. Lui-même, assure la continuité familiale avec ses deux fils Hugues et Bernard qui, dans entrent dans la maison familiale dans les années 1950[19]. C’est ici une dynamique familiale particulièrement révélatrice car l’association des fils à leur père s’opère en dépit de l’accroissement majeur de la maison de commerce. En effet, du petit commerce de barricaille écoulant quelque milliers d’hectolitres au début du siècle à l’entreprise à dimension régionale des années 1960 qui expédie près de 250.000 hl par an, la maison de commerce garde un aspect familial qui lui sert de support. Cette stratégie d’intégration familiale verticale est perceptible également dans les grandes maisons de commerce comme la maison « Louis Huc » de Béziers. Ici, le père Louis travaille dès les années 1910 de concert avec ses fils qui prennent sa succession dans les années 1920[20]. Cette logique se retrouve pour d’autres maisons plus ou moins importantes (les Guy, Bühler ou Granaud à Béziers ; les Arnaud à Mèze ; les Warnery à Sète ; les Leenhardt ou les Bazille à Montpellier ; les Granier à Magalas pour ne citer que quelques exemples).

À ces intégrations verticales s’ajoutent des associations horizontales entre frères, beaux-frères ou cousins. Ici encore, ces stratégies se font dans des structures traditionnelles et artisanales, mais également dans le cadre d’entreprises modernes. Ainsi, au début du siècle, les frères Jullian mènent un commerce des vins à Béziers de second ordre, tout comme les frères Martin qui écoulent 20 à 25.000 hl[21] par an au début du siècle[22]. Mais même lors de la poussée modernisatrice des années 1920[23], les maisons de commerce gardent leur structure familiale. Quand la maison sétoise « J. Alby » devient une SARL en 1926, elle comprend comme actionnaires trois des plus grosses fortunes de la ville : Ernest Alby, Simon Gantet, son beau-frère et la sœur de ce dernier Elisabeth Schwartz. La société « Cazalis & Prats » qui devient une société anonyme en 1924 s’organise autour de deux beaux-frères, Jean Prats et Gaston Cazalis, du fils du premier et du beau-fils du second[24]. C’est ici un exemple particulièrement évocateur car c’est une des plus prestigieuses maisons sétoises et elle conserve cette coloration familiale jusqu’à sa disparition au tournant des années 1980.

Fort logiquement, pour des raisons essentiellement commerciales et visant à renforcer la légitimité, la respectabilité et l’inscription dans la durée des maisons de commerce, ces dernières jouent de la dimension familiale pour renforcer leur positionnement sur le marché des vins. Cela passe par l’instrumentalisation de la dynamique familiale dans le nom de la structure commerciale. Ainsi, de nombreuses maisons disposent d’attributs familiaux dans leur nom tant au début du siècle (« Astric fils » ou « Catalan Frère » à Montpellier ; « Astruc et ses fils » à Sète ; « Baudassé Frères » à Marseillan) que dans les années 1950-1960 (« P. Jeanjean et fils » à Saint-Félix-de-Lodez ; « les fils de Louis Huc » à Béziers ; « Clarac frère et Clauzel » à Sète). Cette dimension est renforcée lors du décès du fondateur et dans le cas où l’épouse de celui-ci conserve la direction de la maison. Le nom est conservé à des fins commerciales et on lui ajoute le mot « veuve » pour bien noter la continuité familiale. Ici encore, c’est le cas au début du siècle (« Benezech Paul veuve » en 1905 à Sète[25]) comme à la fin de la période (« Veuve Bonnet » à Lunel en 1961[26]).

Au-delà de ces associations somme toute classique dans les PME, la dimension familiale dans le négoce des vins languedocien est si importante que de véritables stratégies familiales sont identifiables au cours de cette période. Elles visent essentiellement à renforcer la mainmise de la maison de négoce sur ses réseaux de commercialisation.

1.2. Des stratégies familiales de consolidation entrepreneuriale

Ces stratégies de consolidation par l’entremise de la dynamique familiale ont trois objectifs : élargissement du socle familial par des unions matrimoniales, renforcement du patrimoine, affermissement des logiques commerciales réticulaires.

Comme nous l’avons relevé précédemment, la notion de famille est primordiale dans la logique de sédimentation entrepreneuriale des maisons de commerce. C’est pour cela qu’elles s’engagent dans des logiques matrimoniales visant à assurer le maintien de cette unité familiale. Il s’agit là de pratiques endogames et homogames bien connues par ailleurs[27]. Ainsi, les mariages entre familles de négociants sont fréquents. En 1921, Louis Thau, héritier de la maison sétoise « Banel et Thau » épouse Marie-Paulette Koester, héritière d’une des plus anciennes maisons allemandes de la ville[28]. S’il n’y a pas d’intégration commerciale liée à ce mariage, Thau bénéficie du soutien de son beau-père. Ce dernier le conseille largement et lui fait bénéficier de son expérience[29]. C’est important pour maintenir la bonne marche d’une maison de premier ordre dans la ville. Quelques années plus tard, Raphaël Tous, à la tête d’une maison sétoise de premier plan, épouse Geneviève Hubidos, dont le père est propriétaire d’une autre grande maison de négoce sétoise. Ici, à terme, il doit y avoir intégration commerciale, R. tous prenant la tête des deux maisons[30]. Parfois, ces unions dépassent le cadre de la région. Ainsi, en 1929, Jean-Honoré Prats, le fils de Jean Prats[31], épouse Arlette Ginestet, héritière de la grande famille du négoce bordelais[32]. C’est là un cas exceptionnel, tant par l’ampleur des fortunes qu’il unit que par l’extraversion de cette union. Enfin, ces unions consolidatrices peuvent se réaliser également en dehors du monde du commerce, notamment vers les professions de la finance (investisseurs, banquiers). Ainsi, à Montpellier, de nombreuses unions croisées permettent l’alliance des grandes familles protestantes du commerce des vins  (Parlier, Krüger, Warnery, Bazille, Leenhardt) autour de la famille Castelnau qui est à la tête de la plus grande banque locale du Midi[33]. À Sète, G. Cazalis s’allie à une famille d’investisseurs par le mariage de sa fille, Alice, à Maurice Péridier[34]. Ces alliances sont primordiales pour les intérêts des maisons de négoce car, dans leur grande majorité[35], ces dernières ont besoin de fonds importants pour financer leurs activités. Or, les mariages avec des banquiers ou des investisseurs leur assurent un accès à des crédits importants.

Ces stratégies permettent également de renforcer le patrimoine de la maison de commerce. Celui-ci est important à plusieurs titres. Tout d’abord, il participe à la constitution d’une crédibilité sur le marché des vins. Ainsi, en 1905, lorsque Louis Rassiguier, petit négociant d’Olonzac dans l’arrière pays héraultais, écrit à un client potentiel, il cherche à le rassurer et à lui prouver son honorabilité commerciale par son statut de propriétaire : « Je suis au courant du commerce des vins et je suis propriétaire de plusieurs immeubles et propriétés […] j’ai aussi plusieurs chevaux pour le camionnage ainsi qu’un attelage pour visiter les environs » écrit-il en décembre 1905[36].

Par ailleurs, le patrimoine est important car il sert de garantie pour les autorisations de crédit voire, à partir des années 1930, les autorisations de découvert. Les possessions familiales sont ainsi attentivement étudiées par les inspecteurs des succursales de la Banque de France (BDF) dans la région. De manière schématique, il se compose de biens mobiliers et de biens immobiliers. Ces derniers sont généralement : une habitation principale, une ou plusieurs habitations secondaires, des terrains, des vignes, des chais. À cela s’ajoute des biens mobiliers : rentes, actions, assurance-vie. Fort logiquement, en dépit des convergences de pratiques, le niveau des patrimoines familiaux est très hétérogène. On va par exemple au début du siècle de 100.000 F (ce qui est déjà important pour l’époque) à 10-12 M de F[37]. Dans les années 1950, ces patrimoines peuvent atteindre 100 M de F comme pour la famille Prats à Sète. Lors des unions matrimoniales, ces patrimoines s’accroissent et permettent donc aux maisons de commerce d’avoir une surface financière des plus conséquentes. À Béziers, Jean Pradal, l’ancien président du tribunal de commerce, est décrit au début du siècle comme n’ayant « aucune fortune personnelle » et étant soutenu par sa femme qui est « riche de 100.000 F en maison et vignes »[38]. À Marseillan, Benjamin Fayet qui est décrit comme « étant bien marié » obtient au début des années 1910, par le biais de sa femme, un héritage de 180.000 F qui viennent doubler le patrimoine originel de la famille, évalué entre 150 et 200.000 F au début du siècle[39]. Urbain Voisin, lui, reçoit 200.000 F de sa belle-mère qui complètent le financement d’une activité déjà florissante[40]. À Sète, Charles Warnery a reçu 1,5 M de F de sa belle-famille lors de son mariage. Cela lui permet d’avoir dans les années 1920 l’un des plus gros découverts à la banque Castelnau (900.000 F)[41].

Ainsi, il s’agit là d’un investissement dans des dynamiques réticulaires qui favorisent le croisement des intérêts commercialo-familiaux. Les négociants assurent ainsi l’unité familiale de leur maison de commerce tout comme la stabilité de cette dernière.

Outre l’association familiale au sein de la maison de commerce, cette dimension est renforcée par des stratégies matrimoniales dont l’objectif est d’assurer la puissance et la pérennité de la maison. Une fois la consolidation familiale assurée, il est temps de passer à l’étape suivante, qui est celle de la transmission.

Il faut dès lors s’intéresser aux stratégies de transmission qui sont mises en œuvre et à leurs inscription dans la longue durée.

2. Les « dignes héritiers » : exemples et logiques de transmissions réussies

Nous avons vu que le socle familial était prépondérant dans le négoce des vins languedocien et que ce dernier participait à la puissance commerciale et à la réputation des maisons de commerce. Cette dimension est renforcée lorsque la transmission intergénérationnelle est réussie et que la maison survit à la première génération. Nous nous intéresserons ici aux « dignes héritiers », ceux qui ont assuré la pérennité de la société familiale sur une période plus ou moins longue.

2.1. Différents types de transmissions

Il existe différents types de transmissions de la maison de commerce. La première concerne l’association juridique de partenaires commerciaux issus d’une même famille. Dans ce cas, les membres d’une même famille se retrouvent juridiquement associés dans une structure commerciale. C’est une démarche importante car elle sort du cadre informel de l’association officieuse – le « travailler en famille » – pour prendre le cadre officiel et légal d’un partenariat commercial familial. Ces structures juridiques ont comme objectif principal la transmission progressive du fonds de commerce à travers la notion de collaboration commerciale. Au début du siècle, ces transmissions se font le plus souvent dans le cadre de sociétés en nom collectif : il s’agit d’un partenariat au sein de la famille où chacun apporte un capital social à la hauteur de ses capacités. Ainsi, en 1912, Félix Michel, l’un des négociants montpelliérain les plus connus de la place[42], fonde avec son fils « Maurice Michel et Cie ». Le père apporte les deux tiers du capital de la société (matériel, marchandise, valeurs, chais à Sète), le fils le tiers restant (valeurs). Dans cet exemple, le père fait bénéficier le fils de ses réseaux, de son poids financier et de sa réputation, tandis que le fils est chargé de la gestion de l’entreprise[43]. Ce type de pratiques familiales est très courant dans le Languedoc au début du siècle. Il persiste dans le cas de structures juridiques plus avancées. À Béziers par exemple, en 1920 est fondée la société anonyme « J. Bouttes fils ». Cette dernière regroupe différents actionnaires dont Jean-Louis Bouttes et son beau-fils Paul Rouanet. Ce dernier est également appuyé financièrement par son oncle, avocat à Paris. Ce double soutien familial lui permet de reprendre la maison commerciale en 1933-1934 pour en faire l’une des plus importantes de la place dans les décennies qui suivent[44]. Chez les Jeanjean, la logique de patrimonialisation à travers cette officialisation de l’association familiale est la même : Maurice fonde la SARL « Maurice Jeanjean et fils » avec son fils Paul en 1930 avant que la maison ne devienne « Paul Jeanjean et fils » avec Hugues, Bernard, Paul (fils) et Maurice à la fin des années 1940[45]. Dans le cas où il n’y aurait pas de descendance directe et dans l’optique d’assurer la transmission de la maison de commerce dans le cadre familial, ce sont les neveux qui héritent du fond de commerce après avoir été associés. De la sorte, à Sète, dans les 1930, les frères Clarac qui sont à la tête de la puissante maison « Clarac frères et Chauvain » n’ont pas d’héritiers directs. Ils font alors le choix d’intégrer le fils de leur sœur, Fernand Clauzel, à leur SARL. En 1938, il dispose de la majorité des parts dans la société et il est présenté comme le futur héritier de la maison dans les rapports d’inspection de la BDF[46]. C’est là une démarche importante car elle permet, dans une situation de « stress familial » de ne pas dilapider la puissance familiale. En l’occurrence, F. Clauzel rachète la maison en 1943 et hérite de l’ensemble des biens de ses oncles (dont une partie des actions de la maison de commerce) à leur décès entre 1944 et 1955[47]. Il reste à la tête de la maison au-delà de notre période.

L’exemple de F. Clauzel permet d’aborder le second type de transmission : l’héritage. S’il s’agit d’une pratique qui peut se trouver être complémentaire de la transmission progressive par association comme nous venons de le voir avec F. Clauzel, elle scelle dans tous les cas la transmission du fondateur à ses héritiers. Ainsi, lorsque Dominique Chauvain décède en 1902, il laisse à ses neufs héritiers l’ensemble de ses biens immobiliers (1,1 M de F) ainsi que sa maison de commerce d’une valeur de 600.000 F. Les enfants de D. Chauvain héritent ainsi, selon le principe du pacte d’indivision, d’une des plus importantes maisons de la ville de Sète[48]. À Frontignan, à la mort du patron de la maison « Vivarès Jeune », l’une des plus prestigieuses de la place[49], la maison est également léguée en indivision à ses cinq enfants et à sa femme. L’indivision est une pratique relativement commune et elle permet d’assurer la stabilité de la maison de commerce dans la durée en évitant le démembrement qui pourrait résulter de querelles d’héritage. Elle se poursuit par la suite : dans les années 1920, Filliol à Marseillan reçoit avec sa mère et sa sœur le fonds de commerce qui était tenu par le père[50]. C’est également le cas pour les enfants de Louis Huc à Béziers à la fin des années 1920 ou ceux d’Urbain Voisin dans les années 1930, deux maisons des plus renommées durant cette période. Dans certaines situations, l’épouse survivante joue un rôle primordial, notamment dans le cas où les enfants sont encore mineurs. C’est elle qui assure alors le lien entre les générations et cette transmission indirecte est fondamentale dans les logiques de consolidation du patrimoine commercial. Ainsi, lorsque Jean-Honoré Prats décède en 1944, ses enfants sont encore mineurs. C’est alors Arlette Prats, l’épouse de Jean-Honoré, qui hérite de l’usufruit de la maison de commerce[51]. Dans les faits, elle continue à diriger la maison de commerce jusque dans les années 1960. Ces pratiques successorales ont également cours dans les petites maisons, bien que les héritiers y soient généralement moins nombreux et que la transmission du fonds de commerce ne se fasse en direction que d’une seule personne. Ainsi, à Saint-Félix-de-Lodez lorsque Maurice-Vincent Jeanjean décède en 1912, seul son fils Maurice-François lui succède[52]. À Magalas, quand Camille Granier disparaît au début des années 1930, c’est son fils Joseph qui prend sa suite[53]. À Mèze, en 1932, au moment du décès de François Bessière, ses nombreux biens sont partagés entre ses héritiers : son fils, Léon, reçoit seul la maison de commerce[54].

Enfin, il est nécessaire d’évoquer ici les « fausses transmissions ». Ces dernières visent à contourner ou éviter les très nombreuses condamnations qui frappent les maisons de commerce. En effet, l’action de plus en plus importante de la justice dans l’optique d’une régulation rigoureuse du marché[55] entame la crédibilité de certaines maisons. Afin de continuer à travailler et à poursuivre l’implication familiale dans le commerce des vins, les négociants mis en cause transmettent officiellement leur fonds de commerce à un membre de leur famille. Dans la réalité des faits, ils continuent à en assurer la gestion. En 1901, Allègre, négociant prospère et réputé[56] de la ville de Mèze doit laisser la société de négoce qu’il dirige à ses filles. Depuis quelques années, il est poursuivi par l’administration pour des questions de fraudes (aux impôts et sur la qualité des marchandises). Pour éviter que la maison ne soit condamnée et que cette dernière pâtisse d’une mauvaise réputation, il transmet la raison juridique à ses filles[57]. À Frontignan en 1925, la maison « V. Anthérieu » est transformée en SARL. Elle associe dorénavant V. Anthérieu, alors maire de la ville, et sa femme puis ses deux beau-fils, E. Orsetti et G. Soubrier, et son fils, Félix. Selon les rapports de la BDF, cette transmission à travers le changement de raison juridique s’explique par la volonté de la maison d’échapper aux poursuites du fisc[58]. En effet, la maison Anthérieu a réalisé de très gros bénéfices pendant la guerre et elle tombe sous le coup de la loi de 1916 encadrant les bénéfices de guerre. Elle cherche par le biais de cette transmission à éviter de tomber sous la loi des superbénéfices. D’ailleurs, les rapports d’inspection ne s’y trompent pas et ils soulignent que si Anthérieu n’est plus officiellement à la tête de la société depuis 1930, c’est lui qui en reste l’âme et l’instigateur. Dans le même ordre d’idées mais à une échelle moindre, à Bédarieux, Joseph Brun, qui a été mis en liquidation judiciaire pour défaut de paiement, continue le commerce sous le nom de sa femme dans la maison « Marie Brun »[59].

Ces logiques de transmissions permettent aux maisons de survivre à leur patron tout en valorisant le patrimoine familial entrepreneurial.

2.2. Stratégies d’intégration professionnelle et valorisation du patrimoine entrepreneurial

Nous avons vu que les processus d’association dans la raison sociale ou dans la raison juridique étaient importants dans le commerce des vins languedociens. En amont de ces stratégies administratives, dans une logique de transmission de la maison, s’effectue une transmission des savoirs. Cette dernière est fondamentale car le métier de négociant est un métier complexe comme le souligne en 1952 le journal le Moniteur Vinicole :

 « Chaque région a intérêt à disposer d’une organisation commerciale solide, prospère et puissante pour choisir, collecter, financer, vendre et expédier les produits de la viticulture. Le commerce des vins remplit ce rôle, efficacement et complètement. […] Mais, ne s’impose pas négociant qui veut. […] C’est un beau et difficile métier qui requiert des aptitudes intellectuelles et morales. [Les négociants] ont la formation que leur a donné une dure expérience ou qu’ils ont reçu de leurs parents. »[60]

Cette question de l’expérience est donc centrale dans le bon fonctionnement des maisons de commerce et c’est pour cela que très tôt, les potentiels successeurs sont associés professionnellement à leurs ainés. Ainsi, les rapports d’inspection de la BDF insistent sur la notion de transmission professionnelle en cours dans les maisons de commerce. Cette initiation peut se faire sur place, dans les chais, mais également à l’extérieur, auprès des fournisseurs ou des clients. Dans la maison « Astruc », l’un des fils travaille à Sète avec son père, pratiquant la sélection des marchandises, les traitements, les coupages, la gestion des stocks, tandis que l’autre fils représente la maison à Oran où il achète des vins algériens qui transitent alors en masse par le port sétois[61]. À Mèze, Paulin Arnaud initie ses fils au métier de négociant au début du siècle. Quand il décède en 1910, ses enfants reprennent la maison de commerce : Gabriel assure la transition à Mèze, Raoul représente les intérêts familiaux à Paris, Georges ouvre une succursale à Montpellier[62]. À Béziers, lorsque P. Rouanet rejoint son beau-père dans la maison « J. Bouttes fils » dans les années 1920, c’est dans un premier temps pour y « apprendre le métier »[63]. Quand il prend seul les rênes de la maison une dizaine d’années plus tard, il est doté d’une expérience qui fait de lui l’un des négociants les plus respectés de la place[64]. À Magalas, dans les années 1910, Camille Granier envoie son fils Joseph à Paris afin de prendre en main la succursale dont il dispose à Charenton[65]. C’est pour lui un moyen particulièrement profitable de connaitre les clients, leurs goûts et leurs exigences. À Saint-Félix-de-Lodez, dans les années 1950, Hugues et Bernard Jeanjean suivent exactement le même parcours que leur père. Dès leur plus jeune âge, ils sont impliqués dans le travail des chais puis la commercialisation des vins. Ils se rendent chez les fournisseurs pour récolter la marchandise, livrent la clientèle habituelle, prospectent de potentiels clients dans toute la France[66]. Ils acquièrent ainsi toute une gamme de responsabilités qui fait d’eux des négociants habiles et expérimentés dans les années 1960.

Dans cette même logique, les enfants sont soutenus par leur famille lorsqu’ils travaillent de manière autonome avant de reprendre l’activité familiale. Ainsi, à Sète, Maurice Taillan ouvre une maison indépendante de son père dans les années 1900. Mais pour cela, il reçoit une aide de son père. Cette dernière est double : financière (rente annuelle de 4.800 F par an ainsi que des garanties bancaires qui lui permettent de couvrir ses pertes) et commerciale (conseils, recommandations auprès des clients)[67]. Ainsi, de manière plus ou moins affranchie, Maurice acquiert de l’expérience. Celle-ci est mise à profit dans l’entreprise familiale en 1914 quand le père et le fils fondent une société en commun avec un troisième négociant puis au décès du père en 1916 quand il prend seul la tête de la maison familiale. La société « P. Taillan et Cie » qui nait en 1917 recouvre alors toutes les caractéristiques de la maison familiale : dirigée par l’ainé qui s’est formé auprès du père, elle s’appuie sur la fortune de la mère et des enfants, tandis que les dots des belles-filles servent de caution auprès des banques[68].

Enfin, dans le cadre d’une gestion de plus en plus rigoureuse et rationnelle des maisons de commerce face à l’ultra-compétitivité du marché, les négociants donnent à des membres de leur famille des postes à responsabilité qui préfigurent la transmission à venir. Il s’agit là de la valorisation du patrimoine entrepreneurial familial à travers une organisation administrative rationnelle et efficace.

À Sète, la maison de premier ordre « Cazalis & Prats » est dirigée dans les années 1930 par deux fondés de pouvoirs : Maurice Péridier et Jean-Honoré Prats[69]. Le premier est le beau-fils de G. Cazalis, le second le fils de J. Prats, tout deux sont cousins par alliance. La maison « Clarac Frères et Chauvain » est quant-à-elle dirigée par André Clauzel, le beau-frère de Victor et Joseph Clarac, père de Fernand Clauzel à qui doit revenir l’entreprise[70]. À Frontignan, c’est E. Orsetti et G. Soubrier, les deux beaux-fils de V. Anthérieu, qui prennent la direction effective des affaires commerciales à la mort du fondateur en 1932[71].

 À l’inverse, une fois qu’ils sont majeurs, les héritiers peuvent prendre la direction commerciale de la maison qui pendant un laps de temps était entre les mains d’un tiers (la mère le plus souvent ou un fondé de pouvoir). Ainsi, une fois ses études et son service militaire achevé, Jean-Marie Prats, le fils de Jean-Honoré, prend la tête de la maison « Cazalis & Prats » dans les années 1960. Il y opère un changement majeur dans l’orientation commerciale en changeant le nom de la société. En 1966, la maison devient « Les vermoutheries Jean Prats »[72]. S’il s’agit d’une évolution commerciale importante (la maison veut se recentrer sur les exportations de vermouths[73] qui sont ses produits phares), la logique de transmission familiale est conservée par le nom du fondateur, J. Prats. Seule a disparu la référence aux Cazalis qui se sont désengagés de l’affaire.

Cette problématique de l’association entre le nom de famille et la réussite commerciale est particulièrement sensible dans le commerce des vins où la gestion de l’informel (notamment la réputation qui structure les réseaux commerciaux) est centrale. Ainsi, dans les années 1920, les fils de Louis Huc prennent la suite de leur père qui, peu à peu, abandonne la gestion de l’entreprise. Ces derniers bénéficient d’un patrimoine conséquent, Louis Huc ayant fait fortune lors des périodes de prospérité des années 1900-1910 puis pendant la Première Guerre mondiale. Il bénéficie par ailleurs d’une grande réputation dans le commerce local[74]. Or, quand Pierre, l’ainé, prend la tête de la maison Huc en 1927, il abandonne le nom « Louis Huc » pour fonder la maison « Pierre Huc ». Mais, au début des années 1930, il reprend le nom « Louis Huc » pour fonder avec son frère « Les Fils de Louis Huc ». Cet exemple est particulièrement significatif car il démontre que le nom complet est un élément constitutif majeur de la réussite commerciale. Ainsi, Pierre Huc ne peut assurer la pérennité de la maison sur son seul nom et il est obligé de reprendre le nom de son père dont la maison jouit d’une réputation incontestable. C’est là un signe de transmission efficace pour une maison qui existe encore à la fin de notre période.

Au croisement de ces notions de professionnalisation de l’activité et de logique familiale se trouve également la question des marques. Si c’est une problématique qui est sous-jacente dans la gestion des raisons sociales comme on vient de le voir avec l’exemple de la maison « L. Huc », elle est particulièrement prégnante dans la transmission des marques déposées. En effet, de nombreuses maisons, notamment celles spécialisées dans les apéritifs sont propriétaires depuis la fin du xixe siècle de marques : « Vermouth Soleil » pour la maison « Cazalis & Prats » ; « Mignon » pour la maison « J. Voisin » ; « Fakir » pour la maison « P. Taillan » ; « COC » pour la maison « Clarac frères et Chauvain » pour n’en citer que quelques-unes des plus réputées. Fort logiquement, dans une dynamique de patrimonialisation de la maison de commerce, ces marques sont transmises aux héritiers. C’est le cas pour la marque « Vermouth Soleil » qui est déposée par H. Mounet, le beau-père de G. Cazalis et J. Prats et que ceux-ci récupèrent avant de la transmettre à leurs descendants à travers la maison de commerce[75]. D’ailleurs ces marques déposées font partie du patrimoine qui est légué dans les testaments. C’est le cas lors du décès de P. Taillan en 1916. Ses quatre héritiers reçoivent en indivision la vermoutherie ainsi que les marques qui y sont associées[76]. Dans les années 1930, lorsqu’Urbain Voisin décède, il lègue à ses héritiers l’ensemble de ses biens immobiliers, mais également ses marques les plus connues : Apéritifs « Mignon », « Mabrouk » et « Mader Kina »[77]. C’est là une stratégie de consolidation de la maison familiale à travers l’un des atouts principaux de celle-ci : une marque.

Ainsi, par diverses logiques de transmissions, les négociants assurent la pérennisation et la pérennité de leur maison de commerce. Celle-ci se déroule sur un minimum de deux générations, parfois plus dans les cas de maisons centenaires. Elle est le fait des fondateurs qui assurent la transmission juridique et professionnelle mais également le fait des successeurs qui prennent en main l’avenir de la structure commerciale pour la faire prospérer.

Ce sont là des « dignes héritiers » dont l’implication et la réussite tranche avec la trajectoire des « liquidateurs » qui, volontairement ou non, rompent la dynamique familiale.

3. Les « liquidateurs » ou rompre l’ordre familial

À l’opposé des réussites commerciales ci-dessus et de leur inscription dans la durée par la pérennisation de structures stables et plus ou moins performantes se trouvent un ensemble de maisons de négoce qui ne survivent pas à la transition intergénérationnelle. Les causes en sont multiples.

3.1. Les responsabilités paternelles

Dans l’échec des enfants, il faut, en partie, voir l’échec des parents, notamment des pères. Bien souvent, ces derniers n’adoptent pas les attitudes convenables à une bonne transmission du patrimoine commercial.

Tout d’abord, leur comportement commercial est particulièrement nuisible. En effet, le commerce des vins est une profession largement sujette à la spéculation. Les négociants sont dans leur immense majorité des spéculateurs sur un marché qui parfois peut faire et défaire les fortunes aussi rapidement qu’au Casino de Monaco comme l’écrivent certains observateurs[78]. Sur un marché des vins particulièrement impressionnables, certains négociants jouent leur année sur une ou deux ventes. Il existe alors deux stratégies. Soit ils achètent à de cours faibles en espérant revendre à des cours plus élevés (vente à la hausse), soit ils peuvent vendre à des cours élevés des vins qu’ils ne possèdent pas et qu’ils cherchent à obtenir à des cours plus faibles (vente à la baisse ou à découvert). Dans les deux cas, négociants haussiers ou négociants baissiers prennent de gros risques et agissent sur le marché des vins comme des parieurs, sans avoir de véritable visibilité sur les cours à venir. Cette recherche de ce que l’on appelle les « coups de fusil » peut être particulièrement bénéfique en cas de stratégie adéquate, notamment à la hausse. Certaines maisons peuvent réaliser au début du siècle des bénéfices allant jusqu’à 500.000 F sur une seule année comme la maison « A. Diot » à Béziers en 1903[79] ou « Luques P. » au tournant des années 1910[80]. Mais ces stratégies comportent de nombreux risques, ce que ne manquent pas de relever les rapports de la BDF. Ainsi, à propos de la maison « Royer frères et Cie » en 1905, le rapport de la BDF souligne : « Spéculateurs et très ardents, ont fait une mauvaise campagne en 1904. Ont beaucoup acheté cette année (80 – 100.000 hl). […] Émile, l’ainé des frères, vient de se suicider, il est probable que la chute de cette maison est prochaine. »[81]

Si les risques spéculatifs courus par les maisons de commerce n’ont que très rarement des conséquences aussi dramatiques, la critique ici présente est récurrente sur l’ensemble de la période. Bien que la pratique de la spéculation soit reconnue et acceptée par tous[82], l’ « ardeur » mise par les négociants est un reproche régulier. On le retrouve dans les plus grandes comme dans les plus petites maisons. Ainsi, V. Anthérieu, à la tête d’une des plus importantes maisons de la région, est dépeint en 1930 comme étant « ardent », puis « audacieux » en 1933[83]. D’autres négociants sont présentés comme « peu scrupuleux », « joueurs » ou « aventureux ». Ce manque de pondération chez les ainés ne peut avoir que des répercussions négatives chez leurs enfants alors que ceux-ci évoluent très souvent, après les années 1920, dans un contexte bien plus critique de crises cycliques et de concurrence renforcée. C’est un mauvais exemple qui a des conséquences nuisibles dans la génération suivante où ce type d’attitude est bien plus rédhibitoire comme nous le verrons plus loin.

Enfin, la responsabilité paternelle est également forte dans la non-implication des enfants. Nous avons vu que les familles qui réussissaient étaient celles qui impliquaient le plus tôt possible leurs enfants. Or, l’ensemble des témoignages soulignent que les négociants restent à la tête de leur maison le plus longtemps possible, le plus souvent jusqu’à leur décès. Cela se fait parfois au détriment de leurs enfants qui n’acquièrent pas, notamment dans la gestion quotidienne, l’expérience nécessaire à la bonne marche d’une maison de commerce. Ainsi, lors de la transmission de la maison familiale, les enfants, habitués à vivre dans la facilité et le luxe offerts par la prospérité paternelle, font preuve d’un manque de compétences notable. À Montpellier, à la fin des années 1930, quand la maison « L. Prade » (fondée en 1880) est reprise par le fils de famille, elle connaît des difficultés, ce dernier étant réputé ne « pas [être] très compétent »[84].

Ce désinvestissement lors des jeunes années peut également pousser les enfants à ne pas poursuivre l’œuvre familiale.

3.2. Désinvestissement et ascension sociale

C’est en grande partie l’ascension sociale des familles de négociants qui explique ce désinvestissement massif. En effet, dans certains cas, les parents qui ont fait fortune installent leurs enfants dans une situation personnelle confortable. Ces derniers choisissent alors de vivre de leur rente plutôt que poursuivre l’œuvre familiale. C’est le cas de la famille sétoise Chauvain dont le désinvestissement s’effectue en deux temps. Lorsque Dominique Chauvain décède en 1902, il laisse à sa famille une fortune confortable de plus d’un million de F, ainsi qu’une maison prospère, dont le capital s’élève à 600.000 F. Dans les premières années, la grande majorité des héritiers revendent leurs parts à deux des frères, Louis et Gustave, qui sont seuls à la tête des « Héritiers de D. Chauvain » en 1907. Les deux frères font prospérer la maison familiale jusqu’aux années 1920 où ils lèguent une grande partie des responsabilités commerciales et administratives à leurs fondés de pouvoir, les frères Clarac, dans la nouvelle maison « Chauvain Frères et Clarac ». Dans les années 1930, les Chauvain n’ont plus aucune responsabilité commerciale, leur participation s’élevant seulement à quelques dizaines d’actions symboliques qu’ils vendent à F. Clauzel, le neveu des Clarac, en 1938. Durant toute cette période de désinvestissement commercial progressif, les Chauvain vivent des rentes que leur procure la maison de commerce qui garde leur nom et d’investissements divers (comme dans une compagnie d’autobus au milieu des années 1930).

Ainsi, en quelques décennies, une des familles les plus prestigieuses de la ville abandonne le commerce des vins pour vivre d’autres revenus. En réalité, cet abandon est momentané car l’un des frères reprend un fond de commerce de vins dans les années 1940. Mais signe que la rupture intergénérationnelle est néfaste aux intérêts commerciaux, son entreprise (« G. Chauvain et Cie ») ne connaît pas de véritable succès et sa surface commerciale reste très limitée[85]. Le cas de la famille Chauvain est paradoxal. En effet, il est unique dans le sens où le retour dans le commerce des vins après l’avoir abandonné est très rare dans ce milieu où la continuité des réseaux est d’une importance capitale. Mais il est caractéristique de ces grandes familles qui refusent de s’investir une fois leur fortune faite dans le commerce des vins (les nièces Alby à Sète ; les héritiers Guy ou Meyer à Béziers ; les enfants d’U. Voisin à Marseillan). D’ailleurs, lorsque R. Dugrand étudie la bourgeoisie locale dans les années 1960, il relève la disparition de ces grandes familles qui avaient fait fortune dans le premier xxe siècle[86].

La seconde raison de ce désengagement est un corolaire de cette ascension sociale. En effet, grâce à un niveau de vie confortable et aux nouveaux standards sociaux qui façonnent les familles de négociants, la question de l’éducation des enfants prend une nouvelle dimension. Ceux-ci bénéficient ainsi d’une éducation bien plus poussée et peuvent dès lors s’orienter vers des carrières libérales. Ces dernières ont un double avantage. Elles sont beaucoup plus prestigieuses que le métier de négociant qui reste un « boutiquier » et un « intermédiaire ». Surtout, elles offrent une stabilité et un confort professionnel que le commerce des vins ne connaît pas, surtout dans une période marquée par des crises cycliques et plus ou moins permanentes. C’est pourquoi les négociants offrent à leurs enfants la possibilité de faire des études universitaires et d’embrasser de nouvelles carrières.

Ainsi, à Montpellier, le fils de Paul Bret, fondateur du syndicat régional, devient avocat. À Sète, le fils ainé d’Adolphe Herber profite des études payées par son père pour devenir docteur en médecine dans les années 1920[87]. À la même période, le fils du négociant mézois Eugène Thomas devient professeur en médecine à Toulouse et rompt avec la tradition commerciale familiale, vendant d’ailleurs l’ensemble des nombreuses possessions de son père[88]. Chez les Jeanjean, dans la période suivante, seuls deux des frères, Bernard et Hugues, participent à la nouvelle dynamique entrepreneuriale. Maurice, le troisième frère, devenant un cadre haut placé chez Péchiney. Chez les Prats, l’ainé des petits-fils de Jean Prats, Yves devient docteur en droit[89]. On le voit, en dépit de la forte connotation familiale que l’on retrouve dans le commerce des vins, l’ascension sociale dont bénéficient certaines familles engage leur descendance, au moins en partie, vers d’autres voies que le commerce et souvent dans des métiers qui sont plus prestigieux socialement et plus sereins professionnellement que celui de négociant.

Mais ce ne sont pas les seules raisons qui expliquent la rupture intergénérationnelle. Celle-ci est parfois liée également aux déboires commerciaux des héritiers.

3.3. Mauvaise fortune, médiocrité et avidité : trois facteurs de rupture

La déchéance commerciale d’une maison que son fondateur avait essayé d’installé dans la durée peut s’expliquer par plusieurs facteurs.

Tout d’abord, le facteur le plus classique est celui du revers commercial. Nous avons évoqué l’habitude des négociants à spéculer et à prendre des risques. C’est le cas avec la maison « B. Tous » dont le fondateur Barthelémy est un espagnol installé à Sète dans les années 1880. Sa carrière professionnelle est particulièrement heurtée car B. Tous est « ardent » en affaire et car il fait de mauvais placement. Sa maison est placée en liquidation judiciaire en 1905 après avoir perdu des sommes considérables à la bourse[90]. Néanmoins, bien que décrit comme joueur et peu scrupuleux, il rétablit sa situation et fait prospérer sa maison jusqu’à sa mort en 1930. Son fils, Raphaël, qui prend sa succession, hérite dans le même temps, par son mariage avec G. Hubidos, de la maison « J. Hubidos ». Or, il se lance comme son père dans des spéculations hasardeuses et doit déposer son bilan en 1934. Après avoir acheté à des prix trop élevés, il ne peut assurer la livraison de ses clients en raison de l’effondrement des cours. Contrairement à son père qui évoluait dans une période de cycles alternant dépression et prospérité, la chute de R. Tous s’effectue à un moment de crise aiguë, profonde et durable. Il ne peut se relever et les maisons « B. Tous » et « J. Hubidos » disparaissent alors.

À Montpellier, dans le même ordre d’idées, la puissante maison Leenhardt-Bazille s’effondre au début des années 1920. À sa tête se trouve Louis qui vient de succéder à quatre générations de négociants. Par des alliances croisées, il est apparenté aux puissants banquiers Castelnau et aux riches négociants Warnery ou Cazalis. Sa mère, Albertine Bazille, est l’héritière d’une des plus grosses fortunes de la région. Ses frères et sœurs ont abandonné la profession et vivent de leur rente, tout en garantissant auprès des banques les crédits de la maison. Or, Louis est décrit comme n’ayant « ni la moindre personnalité, ni la moindre intelligence ». Il n’a pas non plus l’expérience nécessaire pour gérer une maison qui traite jusqu’à 200.000 hl par an. Il décide alors de s’associer à deux négociants locaux, Sicard et Vigoureux. Mais ces derniers font des placements douteux avec l’argent des Leenhardt, dépensent sans compter, cachent les engagements aux différentes banques auprès desquelles ils font des crédits, multiplient les frais généraux. Lorsque la situation est découverte, la maison a un passif de plus de 6 M de F. En conséquence, la maison chute en 1923 après avoir été soutenue quelque temps par les alliés familiaux et la vente de la galerie privée de Mme Bazille (1 M de F)[91]. Ici, c’est le mauvais entourage et le mauvais jugement de l’héritier qui ont rompu la transmission d’une des maisons les plus puissantes et les plus renommées de la ville.

Parfois, c’est le contexte macro-économique qui explique cette rupture. En 1934, la banque montpelliéraine Castelnau disparait sous les effets de la crise bancaire mondiale[92]. Or, cette banque soutenait, de manière active, les négociants sétois et montpelliérains essentiellement, en leur offrant des facilités bancaires de premier ordre. Mais depuis 1930, la banque souffre, notamment en raison de la crise mondiale, mais aussi d’opérations hasardeuses et des difficultés à assurer un assainissement de la situation[93]. En outre, la crise viticole généralisée, dans une région où l’économie locale est étroitement liée à l’économie viticole, assombrit la situation de la banque dont les comptes créditeurs sont insuffisants. En dépit des efforts (réduction des salaires, pression sur les débiteurs, concordats avec les créanciers), la banque chute en 1934. Cela a comme conséquence la disparition de la plus puissante maison de la place : la maison « Cazalis et Delord » qui écoule plus de 500.000 hl par an. Son patron, Lionel Cazalis, est un cousin des Castelnau et il s’engage personnellement dans le remboursement des créances de la banque. Or, en 1935, il ne peut plus faire face aux remboursements et à la chute continue des cours sur le marché des vins. La maison, héritière de plusieurs générations de négociants, fait défaillance en 1936. À une autre échelle, mais atout aussi dramatique pour les familles touchées, cette crise généralisée frappe des maisons de moindre mesure qui ne peuvent plus faire face aux frais : c’est le cas pour la maison « Veuve Combarel et fils » qui se met en liquidation volontaire en 1935[94].

Enfin, à l’instar de L. Leenhardt et pour des raisons que nous avons évoqués plus haut, de nombreux fils de négociants ne sont tout simplement pas assez compétents pour faire fructifier le patrimoine paternel. Soit ils font preuve de médiocrité commerciale comme Bonnaventure qui dilapide en quelques années une fortune familiale héritée de ses parents et de ses beaux-parents (le négociant Louis Estève, président de la Chambre de commerce de Sète)[95] ou alors ils mènent un train de vie trop onéreux et ne s’impliquent pas réellement dans les affaires de la maison de commerce comme Louis Thau[96]. Le premier liquide sa maison de commerce au tournant des années 1910, le second vend son fond de commerce à V. Anthérieu à la fin des années 1920.

Conclusion

Au terme de cette étude, nous pouvons tirer plusieurs enseignements.

Le premier est que la famille est primordiale dans le commerce des vins. Elle permet d’assurer la stabilité de l’activité, de l’accroitre, mais également de lui procurer crédibilité et honorabilité, deux facteurs fondamentaux dans le négoce. En effet, c’est à travers des stratégies familiales réfléchies que la maison de commerce peut espérer s’imposer sur un marché des plus concurrentiels. En dépit de la dimension traditionnelle qui caractérise ces logiques familiales, celles-ci sont poursuivies jusque dans les années 1960 alors que les maisons de commerce se sont largement modernisées depuis le début du siècle. Ces stratégies muldimensionnelles permettent ainsi d’assurer l’inscription de la maison de négoce dans la durée, en s’appuyant sur un socle familial solide (patrimoine, alliances, réputation). La famille participe ainsi pleinement à la consolidation entrepreneuriale qui permet au patron de la maison de commerce d’envisager la transmission du fonds de commerce à son ou ses héritiers.

Le second enseignement est la multiplicité de ces transmissions intergénérationnelles et de leur degré de réussite. Ces transmissions peuvent prendre des formes très diverses : depuis les transmissions du père au fils aux transmissions indirectes par le biais de la mère, de l’épouse, de la fratrie, en passant par les « fausses transmissions » qui permettent de continuer à pratiquer une activité pourtant interdite. Juridiquement et professionnellement, ces transmissions s’opèrent également dans des champs divers : sociétés en nom collectif, sociétés anonymes, SARL, intégration professionnelle précoce ou tardive, dans les chais ou auprès des clients, etc. Il en résulte schématiquement deux types de transmissions : les transmissions réussies et les transmissions ratées. Dans le premier cas, les « dignes héritiers » assurent la pérennisation et la perpétuation de la maison familiale, en valorisant les patrimoines familial et commercial légués par les parents (père, mère, oncles). Dans le second cas, les « liquidateurs », pour des raisons diverses (médiocrité, infortune, contexte économique global), échouent à inscrire la maison familiale dans la durée, dilapidant tout ou partie du patrimoine familial.

Enfin, dans tous les cas, la grande complexité de ces phénomènes est particulièrement remarquable. Ce sont des phénomènes complexes par la nature des éléments (psychologique, économique, temporelle) qui entrent en ligne de compte dans la réussite ou l’échec d’une transmission intergénérationnelle. Ce sont également des phénomènes complexes car ils ne sont pas linéaires et subissent des inflexions : certaines transmissions sont difficiles mais perdurent, d’autres au contraire se passent très bien avant d’échouer. Ce sont des phénomènes complexes enfin car ils décrivent la trajectoire de plusieurs centaines d’entreprises singulières et uniques qui, dans un emboitement d’échelles, participent à la pérennisation d’une seule et même profession.

Or, entre 1900 et 1960, les maisons de commerce languedociennes disparaissent du paysage commercial régional, démontrant ainsi les difficultés à assurer cette transmission sur le long terme.


Notes

[1] Voir à ce sujet : Jean-Claude Daumas, « Regards sur l’histoire du patronat », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2012/2, n° 114, 2012, p. 3-14 et Sylvie Lefranc, « L’histoire d’entreprise : l’état de lieux », Communication et organisation, n°7, 1995. [En ligne].

[2] Ces éléments sont mis en évidence par Patrick Fridenson, « Business History and History », Geoffrey Jones and Jonathan Zeitlin, The Oxford Handbook of Business History, Oxford, Oxford University Press, 2008, p. 9-36 ou Michel Lescure, « L’efficacité des PME », Entreprises et histoire, 2001/2, n° 28, 2001, p. 89-98.

[3] Philippe Ariès, L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Plon, 1960.

[4] Alain Corbin, Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d’un inconnu (1798-1876), Paris, Flammarion, 1998.

[5] Naomi Tadmor, Family and Friends in Eighteenth-Century England: Household, Kinship, and Patronage,  New  York,  Cambridge  University  Press, 2001.

[6] Claire Lemercier, « Analyse de réseaux et histoire de la famille : une rencontre encore à venir ? », Annales de démographie historique, 2005/1, no 109, 2005, p. 7-31.

[7] Jean-Claude Daumas, « Les dirigeants des entreprises familiales en France, 1970-2010 », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2012/2, n°114, 2012, p. 33-51.

[8] Françoise De Barros,  Claire Zalc, « Faire parler les archives, historiciser un terrain : les salariés d’une entreprise familiale (Lens, 1945-1975) », Anne-Marie Arborio et alii (dir.), Observer le travail. Histoire, ethnographie, approches combinées, Paris, La Découverte, 2008 p. 45-59.

[9] Nicolas Renahy, « Une lignée patronale à la mairie », Politix, 2008/3, n° 83, 2008, p. 75-103.

[10] Claire Zalc, « Les petits patrons en France au 20e siècle ou les atouts du flou », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2012/2, n° 114, 2012, p. 53-66.

[11] Céline Bessière, De génération en génération. Arrangements de famille dans les entreprises viticoles de Cognac, Paris, Ed. d’agir, 2010.

[12] Le phylloxéra est une maladie qui a ravagé les vignes languedociennes entre les années 1860 et 1880. À la suite de l’épidémie, il a fallu « reconstruire » le vignoble, ce qui a particulièrement désorganisé le marché. À ce sujet, voir Gilbert Garrier, Le Phylloxéra, une guerre de trente ans, Paris, Albin Michel. 1989.

[13] Jules Milhau, « L’avenir de la viticulture française », Revue économique, vol 4, n°5, 1953, p 700-738.

[14] Geneviève Gavignaud-Fontaine, Le Languedoc viticole, la Méditerranée et l’Europe au siècle dernier (xxe s.), Montpellier, PUM, 2000.

[15] Pierre Bourdieu, Choses dites, Minuit, Paris, 1987.

[16] Souvent perçues à tort comme effectuant des activités routinières, peu enclines à la modernisation et subissant les évolutions de l’économie générale (cf. Alain Lescure, « L’efficacité des PME… »). Les études récentes tendent à démontrer au contraire la modernité des PME (cf. Jean-Claude Daumas, « Les dirigeants des entreprises… »).

[17] Fontaine, Laurence (1995), « Rôle économique de la parenté », Annales de démographie historique, p. 5-16.

[18] Les « barricailleurs » sont des négociants qui expédient les vins en petite quantité vers ce que l’on appelle la clientèle bourgeoise : cafetiers, restaurateurs, particuliers.

[19] Maurice Jeanjean, Vigne et vin en Languedoc-Roussillon : l’histoire de la famille Jeanjean, 1850-2006, Toulouse, Privat, p. 193, 2007.

[20] Archives de la Banque de France [ABDF désormais] : inspection de la succursale de Béziers, 1931.

[21] Ce qui est assez peu. Au début du siècle, c’est une maison de troisième ordre, derrière les maisons de second ordre (50.000-100.000 hl) et les maisons de premier ordre (plus de 100.000 hl par an).

[22] ABDF : Béziers, 1899, 1901 et 1913.

[23] Notamment à travers de nouvelles raisons juridiques qui étaient jusque-là absente dans le commerce des vins : Société à responsabilité limitée (SARL) et société anonyme (SA).

[24] ABDF : Sète, 1924-1938.

[25] ABDF : Sète, 1905.

[26] ABDF : Montpellier, 1961.

[27] Sur d’autres vignobles, voir Céline Bessière, De génération en génération… ou Claire Desbois-Thibault, L’extraordinaire aventure du champagne: Moë̈t & Chandon, une affaire de famille, 1792-1914, Paris, PUF, 2003 et Christophe Lucand, Les négociants en vins de Bourgogne : de la fin du xixe s. à nos jours, Bordeaux, Féret, 2011.

[28] Archives départementales de l’Hérault [Désormais ADH] : 3 Q 15403, Enregistrement, Sommier du répertoire général, Sète, 30-67/1881, Thau Louis.

[29] ABDF : Sète, 1923.

[30] ABDF : Montpellier, 1934.

[31] Jean Prats est l’un des négociants les plus illustres de la période. À la tête d’une des plus grandes maisons de la région, la maison « Cazalis & Prats » qui fabrique l’apéritif « Saint-Raphaël », il est également président du syndicat des vins local, président de la Chambre de commerce, président de la Xe région économique, président du syndicat régional puis du syndicat national. C’est un personnage d’envergure nationale, peut-être le seul de cette époque.

[32] ADH : 3 Q 15410, Enregistrement, Sommier du répertoire général, Sète, 37-327bis/1891, Jean Prats.

[33] Pour une mise en contexte plus générale, voir  Anne-Marie Ramès, Milieux dirigeants et intérêts locaux à Montpellier, 1870-1914, Thèse de doctorat, histoire du droit, Montpellier, 1983.

[34] ADH : 3 Q 15418, Enregistrement, Sommier du répertoire général, Sète, 45-1448/1908, Alice Cazalis.

[35] La majorité des négociants sont encore dans la première moitié du xxe siècle des négociants-forfaitaires : ils stockent, manipulent, soignent, coupent les vins. Au contraire, les commissionnaires, eux, ne font qu’expédier les vins qu’ils achètent pour d’autres négociants des régions de consommation.

[36] ADH : 3 U 981, Faillite Rassiguier, Lettre à Ségoussin, épicier à Toulouse, 15/12/1905.

[37] La famille Bühler à Béziers qui s’appuie sur une fortune de près de 12 M de F.

[38] ABDF : Béziers, 1903.

[39] ABDF : Sète, 1900-1914.

[40] ABDF : Sète, 1912.

[41] ABDF : Montpellier, 1903-1924

[42] Né en 1849, c’est un syndicaliste de premier plan, ancien juge du Tribunal de commerce, membre de la chambre de commerce, administrateur de la Banque de France, conseilleur du commerce extérieur de la France,  chevalier de la légion d’honneur et impliqué dans de nombreuses associations philanthropiques de la ville.

[43] ADH : 131 J 5-1, Fonds notaire Doumergue, Statuts, «  Maurice Michel et Cie », 1912.

[44] ABDF : Béziers, 1920-1938.

[45] Maurice Jeanjean M., Vigne et vin en…, chap. 4.

[46] ABDF : Sète, 1938.

[47] ADH : 3 Q 15406, Enregistrement, Sommier du répertoire général, Sète, 33-272/1884, Clauzel Fernand.

[48] ADH : 3 Q 15374, Enregistrement, Sommier du répertoire général, Sète, 1-21/1865, Dominique Chauvain ; ADH : 3 Q 15416, op. cit., Sète, 43-530/1901, Pierre Chauvain.

[49] ABDF : Sète, 1905-1910.

[50] ABDF : Béziers, 1924.

[51] ADH : 3 Q 15410, Enregistrement, Sommier du répertoire général, Sète, 37-328/1891, Arlette Ginestet.

[52] Maurice Jeanjean M., Vigne et vin en…, p. 62.

[53] Entretien avec la famille Granier, nov. 2012.

[54] ADH : 3 Q 7868, Enregistrement, Sommier du répertoire général, Mèze, 30-2013/1898, Léon Bessière.

[55] A ce sujet, voir Alessandro Stanziani, Histoire de la qualité alimentaire, xixe-xxe siècles, Paris, Seuil, 2005.

[56] Propriétaire de plusieurs immeubles, il est le frère du gouverneur de la Martinique.

[57] ABDF : Sète, 1901.

[58] ABDF : Montpellier, 1926 ; Sète, 1930-1931.

[59] ABDF : Béziers, 1933.

[60] Le Moniteur Vinicole, n° spécial, 1952.

[61] ABDF : Sète, 1903.

[62] ABDF : Sète, 1908-1910.

[63] ABDF : Béziers, 1924.

[64] Entrepreneur prospère, sa réussite commerciale est régulièrement soulignée par les rapports de la BDF. Il devient président de la chambre de commerce dans les années 1950.

[65] Entretien avec la famille Granier, nov. 2012.

[66] Entretien avec Hugues Jeanjean, avril 2011.

[67] ABDF : Sète, 1909-1912 ; ADH : 3 Q 15417, Enregistrement, Sommier du répertoire général, Sète, 44-112/1905, Maurice Taillan.

[68] ADH : 131 J 5-4, Fonds Doumergue, notaire, « G. Cabanes, P. Taillan et Cie », 1914-1926.

[69] ABDF : Sète, 1930

[70] Id.

[71] ABDF : Montpellier, 1933.

[72] Midi Vinicole, 06/05/1967.

[73] Il s’agit d’un apéritif à base de vins blancs, d’alcool et de sucre, le plus souvent aromatisé par des plantes aromatiques.

[74] La maison dispose de chais à Béziers, Oran, d’un château dans la région de Montpellier et d’une fortune conséquente, en constante progression sur la période, tout comme leurs expéditions.

[75] La marque existe encore dans les années 1970.

[76] ADH : 131 J 5-4, Fonds Doumergue, notaire, « G. Cabanes, P. Taillan et Cie », 1914-1926.

[77] ADH : 3 Q 128, Enregistrement, Sommier du répertoire général, Sète, 38-137/1893, Urbain Voisin.

[78] Louis Vivarès, « Les grands marchés vinicoles du Midi », Bulletin de la Société languedocienne de géographie, Montpellier, 1918, p. 22 à 36.

[79] ABDF : Béziers, 1904

[80] ABDF : Béziers, 1911.

[81] ABDF : Béziers, 1905.

[82] Dans les années 1960, un rapport de la Banque de France sur le commerce des vins indique que c’est là l’activité première du négoce. L’auteur souligne que le terme de spéculation n’est pas à prendre dans son sens péjoratif et que, depuis le début du siècle, cette activité permet de réguler le marché des vins, notamment entre l’offre et la demande.

[83] ABDF : Sète, 1930-1933.

[84] ABDF : Sète, 1938.

[85] ADH : 3 Q 15406, Enregistrement, Sommier du répertoire général, Sète, 33-268 et 269/1884, André Louis et Gustave Chauvain.

[86] Dugrand, Raymond, Villes et Campagnes en Bas-Languedoc, Paris, PUF, 1963, p. 174 et sq.

[87] ABDF : Sète, 1937.

[88] Jean-Denis Bergasse, L’Eldorado du vin : les châteaux de Béziers en Languedoc, Montpellier, Les Presses du Languedoc, 1994, p. 145.

[89] Entretien avec J.-M. Prats, juillet 2012.

[90] ABDF : Sète, 1905.

[91] ABDF : Montpellier, 1921.

[92] ABDF : Montpellier, 1934.

[93] ABDF : Montpellier, 1933.

[94] ABDF : Sète, 1935.

[95] ABDF : Sète, 1909.

[96] ABDF : Sète, 1926.