Une source froide pour écrire des histoires : Les registres de comptes des La Rochefoucauld au XVIIIe siècle

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Jean-Charles Daumy

 


Résumé : Souvent exploités, rarement mis en valeur, les livres de comptes de la haute noblesse constituent une source historique riche et protéiforme, ouvrant de multiples pistes de recherches. Ceux de la famille de La Rochefoucauld au XVIIIe siècle en sont un exemple tout à fait remarquable. Emanant des deux branches principales de la Maison, ils autorisent une approche à la fois historique et méthodologique. En effet, les différentes politiques archivistiques mises en œuvre au fil des siècles ont dispersé ces précieux documents dans différents dépôts privés et départementaux et leur redécouverte ne peut se faire qu’en déterminant les domaines qui furent les sièges symboliques et économiques de la famille. La personnalité du comptable importe aussi car un éventuel manque de compétence entrainait un défaut de construction des registres compensé par un amoncellement de factures, de quittances et de mémoires qui permettent à l’historien de reconstruire de manière plus fine les différentes orientations des recettes et des dépenses et, dans le cas des La Rochefoucauld, de mieux comprendre les manifestations domaniales d’une pensée sociale éclairée.

Mots-clés : Comptes – Haute noblesse – Méthodologie – Gestion domaniale – Pensée sociale


Né le 1er novembre 1992, ATER en histoire moderne à l’Université Bordeaux-Montaigne sous la direction de Michel Figeac et agrégé d’histoire, Jean-Charles Daumy travaille sur les représentations sociales et les réflexions socio-économiques de la famille de La Rochefoucauld au XVIIIe siècle. Il est notamment l’auteur d’une biographie du duc de La Rochefoucauld-Liancourt parue en 2019 : François XII de La Rochefoucauld-Liancourt. L’imaginaire nobiliaire dans la vie quotidienne d’un grand seigneur éclairé, de la fin du siècle des Lumière à la Restauration.

jeancharlesdaumy@hotmail.fr


Introduction

« Nous soussigné, dame Louise-Elisabeth de La Rochefoucauld, duchesse d’Enville et de La Roche Guyon, ayant donné pouvoir spécial à Monsieur Perreau de vérifier, apurer et arrêter les comptes de M. Ermenault, ci-devant notre régisseur à La Roche Guyon, et notamment celui de l’année 1786 et partie de 1787 ; promettant avoir pour agréable tout ce qui sera fait par ledit sieur procureur constitué à La Roche-Guyon »[1]

À la fin de l’année 1787, la duchesse d’Enville, Louise-Elisabeth de La Rochefoucauld, mène une poursuite judiciaire, contre Louis Ermenault, régisseur et receveur de sa terre principale, le duché de La Roche-Guyon, de 1779 à 1786. Elle mandate en septembre 1787 un homme de confiance, qui devient son procureur et qui est chargé de vérifier, d’examiner et finalement d’éplucher les comptes du domaine tenus par Ermenault. La procédure est exceptionnelle et tout à fait originale : elle signale l’intérêt que les maîtres des lieux pouvaient porter à la gestion économique de leurs terres dont la dispersion géographique empêchait toute gestion directe sur place. L’ubiquité nobiliaire, théorisée par Roger Baury[2], passait par le choix plus ou moins éclairé d’un fidèle, le plus souvent du cru, qui occupait le poste de régisseur, permettant au duc d’exercer un mode de faire-valoir direct par l’intermédiaire de cet homme qui réalisait sur place les vues du propriétaire. Les ducs plaçaient donc une confiance considérable dans leurs agents gestionnaires qui avaient pour obligation, portée dans leur contrat, de rendre des comptes annuels récapitulant les recettes et dépenses à la fois de la vie courante du château et des différentes cultures voire proto-industries installées sur le territoire domanial. Rendus annuellement pour chaque domaine, ces comptes, assemblés en registres et particulièrement complexes, constituent une source historique monumentale qui peut parfois susciter, même chez un public des plus avertis, un sentiment de désespoir. Leur vocation économique et leur aspect répétitif en font une source considérée comme « froide » dans le sens où elle revêt une apparence purement numérique et abstraite. Ils sont pourtant une source incontournable pour tout historien qui veut approcher la haute noblesse aux XVIIe et XVIIIe siècles. La plupart des études du second ordre passe par la fouille de ces monuments archivistiques. Au-delà de l’analyse globale des comptes, de la balance des finances et des observations que l’on peut en tirer sur la gestion économique des biens de la haute noblesse, ces registres permettent des approches multiples et autorisent l’historien à investiguer plusieurs champs de recherche au sein desquels il peut débusquer des éléments d’histoire des idées ou encore d’histoire des mentalités.

En effet, les registres de comptes, globalement, peuvent faire l’objet de deux types d’approches méthodologiques qui permettent d’écrire différents types d’histoire selon l’angle adopté. La première grande approche est celle d’une histoire économique des familles curiales et terriennes[3]. Par la succession des années et des récapitulations comptables, il est possible d’observer les fluctuations économiques sur un temps plus ou moins long, d’apprécier la corrélation ou non des deux courbes, celle des dépenses et celle des recettes. L’observation des comptes permet de tirer des conclusions sur le mode général de gestion économique des vieilles familles terriennes. Les mécanismes de cette gestion reposent en grande partie sur le prestige social des propriétaires et sur la nécessité d’assurer un train de vie élitaire. Ce dernier est assuré par les revenus des domaines et par des emprunts réalisés auprès de particuliers et remboursés sous forme de rentes perpétuelles ou viagères. Un second type d’approche repose sur une analyse plus fine de ces comptes et des articles de recettes ou de dépenses. Dans ce cas de figure, il s’agit moins d’observer les modalités de la gestion que de chercher minutieusement dans les registres les articles de dépenses qui permettent de reconstituer l’imaginaire social de la haute noblesse. Il n’est plus question ici d’apprécier de grandes évolutions purement économiques mais de détricoter les comptes jusqu’au moindre détail afin de lever le voile sur certains aspects des systèmes de pensée aristocratiques. Le comptable, quand il réalisait ses registres avec sérieux, distribuait les différents articles en chapitres. Ces derniers correspondaient à un élément nécessitant en particulier un mouvement d’argent : par exemple les revenus des fermes du duché de La Roche Guyon, ou les dépenses engendrées par le paiement des gages aux agents du duché. À l’intérieur de ces chapitres étaient indiqués les dates des débits et parfois leur objet plus ou moins précisé. L’analyse peut alors prendre les chemins de l’histoire sociale, de l’histoire des idées, de l’histoire du genre ou encore de l’histoire de la culture matérielle et de l’histoire des techniques. L’aspect visuel des registres, s’il peut sembler superflu pour ce type d’approche, est pourtant une caractéristique décisive. Habituellement, les comptes sont organisés en registres reliés et parfois brochés, avec une couverture rigide recouverte de cuir, le plus souvent ils sont reliés sous forme de cahiers portant en titre « Comptes de l’année… ». Mais il arrive qu’au gré des cartons d’archives apparaissent des comptes non reliés et constitués d’une agrégation monumentale de papiers dans laquelle s’enchevêtrent des nuées de quittances, de factures et de mémoires de travaux. Cet enchevêtrement est le signe d’un défaut de saine gestion de la part du comptable. En revanche, l’historien y trouve son compte car ce désordre originel fourmille d’informations beaucoup plus précises qui permettent une entrée facilitée au cœur des stratégies de gestion aristocratiques. Lorsque les comptes sont bien gérés, la multitude de ces documents originels (factures, quittances, mémoires) fait l’objet d’un classement parallèle qui a parfois été, au gré des politiques archivistiques familiales, mis de côté ou plus simplement supprimé par souci de clarté ou de place. L’incompétence du comptable et ses abus supposés, qui sont le plus grave délit reproché à Louis Ermenault entre 1779 et 1786, deviennent donc les alliés de l’historien. L’étude de ces documents, précieux et rarement totalement complets, s’inscrit donc dans un champ historiographique ouvert sur plusieurs pistes. De l’histoire socio économique de la haute noblesse, elle-même constituée d’une multitude de branches, à l’histoire des formes des écrits comptables, cette réflexion sur un type de source historique particulier peut aussi bien s’apparenter aux analyses socio-économiques de Jean-François Labourdette ou de Jean Duma qu’aux études sur les formes et les mécaniques de la Revue d’histoire des comptabilités. Cette histoire d’un type de source croise ici celle de la maison de La Rochefoucauld, dont les orientations idéologiques, tout à fait dignes de constituer en elles-mêmes un objet d’étude, constituent le cœur de la réflexion qui structure ma thèse de doctorat et ont donné lieu à des publications récentes[4] mais ciblant certains points en particulier et qui méritent d’être mis en relief dans une étude globale de la famille au XVIIIe siècle. En somme, les livres de comptes de la haute noblesse ne doivent pas être considérés uniquement comme des sources froides, mais comme des portes ouvertes sur le fonctionnement du monde aristocratique jusque dans ses détails les plus intimes et intellectuels. C’est cette réflexion qu’il convient de développer pour mieux les connaitre et les approcher plus efficacement.

Noyés au milieu d’un archipel archivistique scindé entre fonds privés et fonds nationaux et départementaux, les registres de comptes permettent ainsi de multiples approches qui peuvent être mises en corrélation avec l’état matériel de ce type de source et surtout avec la rigueur plus ou moins observée par le comptable dans l’exercice de son art. La personnalité même d’un homme peut alors influencer le travail du chercheur des décennies voire des siècles plus tard, en rendant très visibles les différentes inflexions, ruptures ou évolutions dans la ventilation des dépenses qui trahissent le système de pensée de ces élites nobiliaires.

Des archives aristocratiques et comptables dispersées

Le fonds privé des La Rochefoucauld, une collection muséifiée

Les siècles et les administrations domaniales des grandes familles aristocratiques ont construit des couches d’archives monumentales qui prenaient pleinement part à la renommée et au prestige de la Maison. Les domaines produisaient des masses de papiers de natures diverses, de même que les activités parisiennes et versaillaises des La Rochefoucauld. Il n’y a donc pas un fonds familial mais des fonds pour une même famille, répartis selon les domaines où étaient produits les papiers. Aujourd’hui, alors que la famille de La Rochefoucauld fait partie de la haute noblesse subsistante, elle met en avant son ancrage territorial charentais en son château éponyme. Cette vitrine à la fois familiale et touristique est associée étroitement à la présence en son sein d’un fonds d’archives privé composé de 240 cartons. Ce fonds est une reconstitution faite à partir de pièces tirées des différents grands fonds domaniaux, une collection muséifiée qui participe de la reconstruction touristique d’un cadre de vie nobiliaire.

Cinq grands fonds composent cette collection qui présente un véritable intérêt historique : Montmirail, Liancourt/Estissac, La Roche Guyon, Charente, et le fonds Edmée de La Rochefoucauld[5] .

Figure 1. Le mur d’archives du château de La Rochefoucauld, riche de 240 cartons classés en cinq grands fonds.

L’une des plus grandes originalités de ce fonds, si ce n’est la plus importante, réside dans la multiplicité des lieux de production des pièces d’archives et dans son histoire générale. En effet, les papiers ne proviennent pas, pour leur très large majorité, du château de La Rochefoucauld dont le propre fonds d’archives a disparu dans la tourmente révolutionnaire. La grande majorité des archives a été produite dans les multiples domaines de la famille dont Verteuil dans l’actuel département de la Charente, La Roche-Guyon dans le département du Val d’Oise, Liancourt dans le département de l’Oise, et Montmirail en Seine-et-Marne[6]. Initialement, ces pièces se trouvaient dans les châteaux de ces différents domaines, mais se sont retrouvées à La Rochefoucauld après un long processus, par le biais de mariages, de partages, ou encore d’héritages. C’est ainsi que le trésor du château de Verteuil, qui fut la demeure privilégiée des ducs de La Rochefoucauld au XVIIe siècle, a été déplacé au château de La Roche-Guyon qui fut quant à lui le siège des ducs du XVIIIe siècle : Alexandre (1690-1761) et Louis Alexandre (1743-1792).Avec l’émergence, après la mort en 1761 du duc Alexandre sans hoir mâle, de la branche de La Rochefoucauld de Roye puis de Liancourt[7], un grand fonds d’archives s’est constitué au château de Liancourt dans l’Oise, comme l’atteste l’inventaire des « papiers » trouvé dans l’inventaire après décès du duc de La Rochefoucauld Liancourt[8] (1747-1827). Plusieurs catalogues d’archives à l’instar de l’inventaire des « titres et papiers de Monsieur de Liancourt mis dans leur ordre de dépendance et de rapport tels qu’ils existent dans les cartons[9] », daté de 1803 et abritant les papiers domaniaux, la succession du duc d’Estissac et les comptes de Liancourt, se trouvent aujourd’hui dans les archives du château de La Rochefoucauld et montrent que le château de François XII a été le réceptacle de la mémoire écrite de la famille. Le dépôt constitué a été transporté, avec le trésor de Liancourt, au château de Montmirail au XIXe siècle. Au fil des siècles, la famille a épuré scrupuleusement ses archives en conservant les actes notariés importants pour leur histoire, les grands inventaires après décès, les inventaires de bibliothèques et états des lieux des hôtels parisiens, les registres de comptes, les papiers produits par les pouvoirs successifs, que ce soit la monarchie, le Directoire ou l’Empire, ainsi que les correspondances d’affaires. Le critère d’utilité entre bien en compte dans la construction des archives qui prennent ici l’aspect du cœur du lignage tel qu’on pouvait le trouver dans les cabinets des châteaux du XVIIIe siècle, c’est-à-dire les actes précieux, les livres de compte et de raison, ainsi que les documents professionnels [10]. À La Rochefoucauld, ces derniers sont représentés par les livres de comptes généraux du couple formé par le duc et la duchesse de Liancourt (Félicité-Sophie de Lannion). Les autres grands registres comptables sont dispersés dans les archives départementales des territoires sur lesquels se trouvaient leurs domaines principaux.

Les comptes domaniaux dans les fonds départementaux

La politique archivistique familiale s’organisait selon la hiérarchie, établie par l’importance économique, sociale et sentimentale, accordée par les membres de la maison à leurs différents ensembles fonciers. La Roche-Guyon (Val d’Oise) et Liancourt (Oise) sont les deux pôles organisateurs de l’administration domaniale générale, c’est dans ces deux châteaux que les archives sont stockées et régulièrement aérées et classées[11] tout au long du XVIIIe siècle. Certains documents, considérés comme précieux ou particulièrement représentatifs du prestige, de l’éclat ou de l’imaginaire que l’on s’est fait de cette famille, ont été conservés par les descendants qui les ont réinstallés dans le berceau familial à La Rochefoucauld. Mais la très large majorité de ces papiers peut aujourd’hui être retrouvée, presque dans l’organisation originelle dans laquelle ils ont été déposés, aux archives départementales du Val d’Oise à Cergy-Pontoise et de l’Oise à Beauvais. Ces dépôts sont classés dans la série J, celle des archives privées que les services des archives départementales décrivent d’ailleurs comme des « documents entrés par voie extraordinaire », c’est-à-dire qu’il s’agit de dons, plus ou moins consentis, ayant pour objectif de rendre ces papiers publics, de les ouvrir au regard des chercheurs, et surtout, pour la famille, de se délester d’un trésor dont les exigences de la conservation sont souvent coûteuses et rebutantes. C’est en particulier le cas du chartrier de La Roche-Guyon. En 1964, à la mort de Gilbert de La Rochefoucauld, duc de La Roche-Guyon, s’ouvre sur une succession rendue difficile par une indivision des biens. Une partie des héritiers se tourne alors vers les archives départementales des Yvelines pour réclamer une procédure de conservation du chartrier dont la dégradation était accélérée par des infiltrations d’eau de pluie. En mars 1970, un expert conclut que les archives sont en grand danger de destruction[12], il est alors nommé séquestre et a mandat pour mettre en œuvre toute négociation pouvant sauver les archives. Plusieurs projets de dons volontaires ayant échoué et la dégradation s’aggravant, l’ordonnance de séquestre est mise en œuvre en 1973 et une partie du chartrier intègre les archives départementales en 1975, tandis que le reste y est déposé en 1988 après l’accord d’Alfred de La Rochefoucauld avec la société Transurba qui venait d’acquérir un ensemble de meubles du château parmi lesquels les armoires à archives dont certaines étaient encore pleines. Le chartrier a été ouvert, nettoyé, séché, restauré et réorganisé sous les cotes 10 J 1 à 10 J 2018, il constitue un fonds cohérent de 103 mètres linéaires qui couvre une vaste période qui court du XIIIe au XXe siècle. De son côté, le chartrier de Liancourt (1327-1907) est bien plus réduit puisqu’il ne couvre que 12 mètres linéaires et comprend 209 articles, et a été acheté par les archives départementales de l’Oise à la Société Archéologique et Historique de Clermont (Oise) en 1950[13], alors que le domaine de Liancourt n’appartenait plus aux descendants et que le château éponyme avait été rasé. C’est un fonds qui comprend surtout des documents personnels et relatifs aux fonctions du duc de La Rochefoucauld-Liancourt (1747-1827) et de ses fils, mais aussi des comptes domaniaux de Liancourt, Halluin et des biens bretons de cette branche de la famille. À ce titre, ce chartrier de Liancourt, coté 6 J 1 à 6 J 209, est parfaitement complémentaire du fonds Liancourt du dépôt privé de La Rochefoucauld où l’on trouve d’autres registres de comptes, mais ceux-ci sont généraux et non propres au seul domaine de Liancourt où le duc centralisait ses activités agronomiques, philanthropiques et industrielles.

Pour une histoire économique d’une grande famille

Participer à l’élaboration d’une typologie des comportements économiques

Les comptes sont, pour une première approche, un observatoire excellent pour apprécier l’évolution générale des comportements économiques d’une famille dont l’assise repose sur la possession d’une multitude de fiefs constitués à chaque fois de centaines d’hectares de terres labourables, de vignes et de bois. La proportion des rentes et des emprunts dans les revenus est éloquente pour comprendre à quel niveau de la hiérarchie de la haute noblesse foncière se situe, par exemple, une unité conjugale. Ces systèmes de crédit, d’emprunts, sont d’autant plus incontournables qu’ils sont bien connus et constituent une part non négligeable du fonctionnement des sociabilités aristocratiques[14]. La stratégie de l’emprunt peut être vue comme le moyen d’un type particulier de sociabilité, la sociabilité de l’argent qui révèle un peu du rayonnement, de l’influence et des liens sociaux du gentilhomme. Le système des « liens de fidélité » est typique des sociétés d’ordres[15] et les relations sociales de Liancourt, qui s’observent dans les comptes mais également dans les actes de fondations de rentes perpétuelles ou viagères, à travers le prétexte de l’argent semblent être au cœur de deux appareils différents. Pour assurer leur train de vie, le duc et la duchesse de Liancourt, dont les comptes ont été analysés pour les dernières décennies du XVIIIe siècle[16], empruntent des sommes parfois considérables et remboursent leurs dettes par des versements qui se font généralement de façon semestrielle dans le cas du remboursement par rente perpétuelle ou viagère. Un premier système se dessine, qui semble devoir être un réseau horizontal et endogamique, composé de représentants du même rang social. De façon générale, pour la noblesse, deux grands types de sociabilités existent, le lien de clientèle et le lien amical[17]. Le réseau horizontal qui transparaît dans les archives du duc de Liancourt se rapproche fortement de la deuxième catégorie, d’abord de par sa typicité sociale, puis par le caractère moins formel ou plus indépendant du lien unissant les deux personnes. De grands noms de la noblesse se dressent sur le papier et décrivent deux veines financières nobiliaires. D’abord la veine familiale représentée en grande partie par la vicomtesse de Pons, Pulcherie Eléonore de Lannion, sœur de la duchesse de Liancourt, mais aussi en 1782 par le cardinal Dominique de La Rochefoucauld, archevêque de Rouen[18]. Puis une artère socio-financière plus large, qui englobe un plus grand nombre de personnes, à la fois donatrices et créancières, et dont les noms résonnent dans le paysage nobiliaire français. La toile tissée par le réseau lie les grands comme Paul Etienne Auguste de Beauvilliers, duc de Saint-Aignan, le duc Louis Antoine de Gontaut-Biron, Madame de Caumont La Force, le duc Armand Joseph de Béthune-Chârost, le Prince de Chalais Hélie-Charles de Talleyrand-Périgord, ou encore la vicomtesse de Sarsfield[19]. L’emploi de la rente et de l’emprunt apparaît de façon systématique dans les comptes. Dès lors, l’emprunt et la rente, deviennent un revenu à part entière. Ils semblent être perçus comme un moyen de subvenir aux besoins ou aux dépenses, mais également comme une entrée de fonds normale pour un grand gentilhomme. Si l’on considère que la haute noblesse a pour caractéristique de faire des dépenses somptuaires pour assurer son train de vie et son « paraître » nobles, il faut aussi accepter le fait que cette élite aristocratique puisse vivre au-dessus de ses moyens. La nécessité de dépenser pour faire preuve aux autres ou à soi-même de sa noblesse, de son rang social, impose de disposer d’un capital important et constant et c’est bien là l’intérêt des emprunts et rentes qui fournissent des liquidités immédiates[20]. Les comptes du duc de Liancourt montrent que cette stratégie occupe énormément de place, aussi bien dans les recettes sous la forme de l’emprunt, que dans les dépenses sous la forme de la rente perpétuelle ou du remboursement par billet à souscrire.

De manière plus globale, si l’on analyse d’un côté les recettes et de l’autre les dépenses de l’ensemble des domaines et actifs du couple ducal pour la période, le recours massif et systématique à l’emprunt semble participer de la gestion et de l’équilibre des comptes.

Figure 2. Courbes comparées des recettes et des dépenses du duc de Liancourt de 1775 à 1785.

En effet, la juxtaposition des courbes est révélatrice. Le graphique des recettes et dépenses du duc de Liancourt est riche d’enseignements, il permet en premier lieu d’observer l’évolution générale des revenus du couple qui oscillent entre 358 588 livres en 1775 et 139 752 livres en 1785[21]. Ces oscillations révèlent un fonctionnement par pics qui correspondent aux années où la recette est particulièrement forte. Les années de très fortes recettes sont aussi celles qui ont vu le duc et la duchesse réaliser des emprunts massifs. Globalement, il apparaît que le revenu annuel de Liancourt se compose de deux grandes entrées, d’un côté les rentes et emprunts qui représentent 47,5% du revenu annuel et de l’autre les domaines dont le revenu moyen correspond à 51,6% par an. Les deux participent chacun quasiment pour moitié du total annuel. C’est là un constat qui marque une différence sensible avec les revenus des La Trémoille dont les entrées provenant des biens fonciers représentent 83,7% du total de la recette de 1779[22].

Trois grands moments reflètent parfaitement cette stratégie de politique d’emprunts massifs cycliques, d’abord les années 1775-1776, puis 1778 et enfin 1782-1783. Ces trois moments soulignent la nécessité d’emprunter afin de consolider un capital qui est ensuite redistribué les années suivantes dans tous les postes de dépenses et qui est renfloué régulièrement. Il faut ajouter que si le couple Liancourt recourt à des emprunts aussi importants, c’est pour assurer un train de vie équivalent celui de la branche aînée de la famille La Rochefoucauld, qui est, dans son cas, à la tête de domaines bien plus vastes qui lui fournissent des revenus substantiels et lui permettent de se passer d’emprunts aussi massifs. Il est donc possible de voir ici un fonctionnement économique qui repose sur des entrées d’argent massives et ponctuelles assurées par les emprunts et pour compenser les manques des revenus domaniaux. Ces derniers sont toutefois renforcés entre 1780 et 1783, années au cours desquelles se concluent les ventes des bois de Bretagne au roi pour plus de 300 000 livres et qui sont encore abordées par l’intendant général du couple dans la correspondance qu’il entretient avec le duc en 1785[23].

La courbe des recettes décrit une courbe descendante à partir de 1782 et cela se maintient jusqu’en 1785. Néanmoins, le couple bénéficie d’une fortune supplémentaire et nouvelle grâce à la succession du duc d’Estissac dont Liancourt devient le « donataire universel » par acte du 22 mai 1784 et suite à la renonciation de sa sœur et de son beau-frère, le prince et la princesse de Montmorency-Robecq[24]. La succession du duc d’Estissac profite largement à son fils et notamment en ce qui concerne les grandes charges honorifiques. Jean-Pierre Labatut a montré qu’elles sont des sources de revenus considérables pour les ducs-pairs du royaume, à l’instar du duc de Beauvilliers dont les rémunérations pour son office de premier gentilhomme de la chambre, pour son ministère et pour son rôle de commandeur des ordres royaux s’élèvent à 86 000 livres annuelles[25]. À partir de 1783, le duc de Liancourt reçoit en moyenne 30 000 livres d’émoluments pour le grand office de la garde-robe et 5 000 livres pour le gouvernement de Bapaume[26]. Cette charge est d’autant plus avantageuse qu’il l’obtient de son père après y avoir été adjoint par celui ci et avec accord du roi en 1768 à titre de grand maître en survivance[27]. Plus largement, l’héritage du duc d’Estissac représente un apport financier considérable qui peut expliquer la baisse continue des emprunts à partir de 1782.

L’autre grand aspect qui ressort de la juxtaposition des courbes de la recette et de la dépense, c’est le resserrement et la proximité des deux courbes qui montrent une véritable gestion financière visant une sorte d’équilibre déficitaire. Les comptes font montre d’un déficit systématique mais néanmoins contrôlé et qui, surtout, reste globalement acceptable car ne représentant pas plus de 10% des revenus en moyenne[28] (à l’exception de l’année 1784 qui constitue une anomalie). La dépense excède toujours la recette dans une proportion qui demeure acceptable tout au long de la période, avec une moyenne de 9,47%. Cet endettement n’est pas choquant, il est au contraire plutôt habituel comme l’a expliqué Jean-Pierre Labatut pour les ducs-pairs de France du XVIIe siècle[29]. Dans le cas du duc de Liancourt, la perte annuelle reste du domaine de l’acceptable.

Figure 3. Evolution du déficit en livres et en pourcentage des
revenus de 1775 à 1785.

Le tableau de l’évolution de la dette, qui se transmet d’année en année, montre qu’elle augmente de façon croissante quand on s’éloigne des moments d’emprunts. Le recours aux emprunts permet de réguler les déficits annuels, de les limiter tout en fondant des rentes et en prévoyant des remboursements par billets ce qui crée une dette passive bien plus ennuyeuse à long terme. Ainsi en 1792, la dette passive engendrée par ce système s’élève à 508 860 livres pour les seules rentes créées et constituées par le duc de Liancourt[30]. Si l’on y ajoute la dette passive héritée des rentes fondées par le duc d’Estissac, la somme devient vertigineuse et atteint 1 546 212 livres en 1789. Toutefois, tant qu’aucun événement ne vient perturber le système, qui repose essentiellement sur les hiérarchies sociales de l’Ancien Régime et sur le prestige et le crédit de la haute noblesse, les sommes sont empruntées et sont remises de manière très étalée. La mécanique est bien rodée, le duc dépense, reçoit ses revenus, emprunte pour se permettre de dépenser plus, échelonne ses remboursements de façon à ce que la dette ne dépasse pas un seuil critique qui pourrait le forcer à vendre des biens comme ce fut le cas en 1685 pour le duc de Chaulnes, Charles d’Albert, forcé de vendre pour 1 511 000 livres de terres[31].

La situation est inversée pour la plupart des aristocrates des deuxième et troisième niveaux de fortune élaborés par Jean Duma. Plus la fortune est importante, plus les revenus sont grands et plus le risque d’endettement diminue. À ce titre, les comptes de la branche aînée des La Rochefoucauld, organisée autour des figures d’autorité que sont le duc Alexandre (1690-1762), sa fille la duchesse d’Enville (1716-1797) et son petit-fils le duc Louis-Alexandre (1743-1792), opposent un contraste saisissant. Dans les années 1740, les recettes s’élèvent en moyenne à 330 000 livres pour le duc Alexandre, tandis que ses dépenses sont limitées à 280 000 livres[32]. La balance positive des comptes s’établit donc à 50 000 livres en moyenne, et monte jusqu’à 100 000 livres lorsque le duc bénéficie des entrées d’argent de l’héritage des marquis de Longueval : la recette s’élève alors à plus de 700 000 livres en 1737, et la dépense à plus de 600 000 livres car il faut éteindre les dettes contractées par les Longueval. À un échelon encore supérieur le cas des Bourbon-Penthièvre est intéressant car leurs comptes sont très largement excédentaires[33]. Leur patrimoine foncier et leurs charges leur assurent des revenus plus que confortables leur évitant de devoir s’endetter. En 1781, ils perçoivent 4 055 526 livres tandis que leurs dépenses s’élèvent à 3 575 180 livres. Le niveau de revenu est tel qu’il dépasse le besoin en argent destiné à la dépense. Les comptes de la lignée issue des bâtards de Louis XIV affichent une stabilité remarquable et marquée par l’excédent. Les comptes du duc de Liancourt, quant à eux, sont symboliques de la gestion financière d’un grand gentilhomme aux revenus importants mais devant recourir à une politique d’emprunts pour assurer à la fois leur stabilité et son propre train de vie aristocratique. Une stratégie fondée, finalement, sur un équilibre incertain et dont le fonctionnement est assuré par la réalité sociale du pays, par la société d’ordres et ses réseaux, le moindre grain de sable venant enrayer la machine serait synonyme de chute du système et de redoutables soucis financiers.

Les richesses de la terre

Dans la somme historiographique Faire de l’histoire moderne, dirigée par Nicolas Le Roux, Elie Haddad s’attaque à la question de la nouveauté historiographique autour des problématiques nobiliaires. Si les aspects sociaux sont très présents dans les travaux qu’il cite, les dynamiques économiques attachées aux domaines nobiliaires semblent être encore un champ à mettre en avant[34]. En effet, derrière les analyses purement économiques des comptes se cachent les portes des études socio-économiques qui permettent d’écrire l’histoire idéologique mouvante de la haute noblesse au temps des Lumières. Mais avant cela, l’observation pragmatique des registres s’impose. Plusieurs types de livres de comptes étaient réalisés pour assurer au chef de famille la bonne connaissance des finances de chacun de ses ensembles domaniaux et de sa maison. Dans sa thèse sur la maison de La Trémoille au XVIIIe siècle, Jean-François Labourdette a largement investi les livres de comptes, les érigeant en source pivot, à partir de laquelle il a étendu ses analyses en les croisant avec les correspondances d’intendance des ducs de La Trémoille[35]. Ses travaux constituent une expérience très poussée, si ce n’est la plus aboutie en termes d’analyse économique de la haute noblesse. Chez les La Trémoille comme chez les La Rochefoucauld ou chez les Bourbon-Penthièvre étudiés par Jean Duma, chaque domaine a à sa tête un régisseur, quand il est placé en régie directe, ou un fermier lorsque le seigneur-propriétaire fait appel au système de la ferme. Chaque année, le régisseur ou le fermier présente un livre de comptes dont le corps est organisé en deux grandes parties : les recettes et les dépenses. Chacune de ces deux parties est subdivisée en différents chapitres qui sont en réalité les différentes orientations économiques du domaine. Approuvés par le duc, ces livres sont généralement conservés dans le chartrier domanial, ou dans le fonds personnel du duc quand il s’agit du domaine de préférence et d’excellence sur lequel s’établit le noyau familial. C’est le cas par exemple du duc de La Rochefoucauld Liancourt qui a fait du duché de Liancourt son point d’attache privilégié, véritable laboratoire agronomique et industriel et dont les comptes sont aujourd’hui dans le fonds privé du château de La Rochefoucauld car ils étaient intégrés aux papiers personnels de l’aristocrate. Le fonds du domaine de Liancourt a été étroitement lié, dans l’organisation archivistique, à la personne de François XII de La Rochefoucauld Liancourt. Au-delà de cela, les comptes généraux de la Maison nobiliaire se retrouvent généralement dans le fonds du domaine principal. Ainsi, le chartrier de La Roche-Guyon, centralité domaniale des ducs de La Rochefoucauld au XVIIIe siècle, abrite les comptes généraux de la branche aînée de la famille.

Ces divers livres de comptes permettent d’établir un premier constat qui est aujourd’hui un lieu commun de la haute noblesse d’épée : son assise économique repose en grande partie sur le revenu de ses biens fonciers[36]. Les comptes généraux, qu’il s’agisse ce ceux de la branche aînée ou de ceux de la branche d’Estissac-Liancourt, montrent bien à quel point les revenus domaniaux, les revenus de la terre, sont au cœur de la puissance économique nobiliaire. Plus de 50% des bénéfices viennent des différentes exploitations de la terre : ce sont en majorité les rentrées d’argent des fermes, dans les domaines éloignés, qui renflouent la caisse centrale parisienne. Le reste des recettes, 41% chez le duc de Liancourt, correspond à des recettes extraordinaires dont au moins la moitié sont des emprunts réalisés auprès de nobles du même rang, ou de représentants de la noblesse de robe, voire de la haute bourgeoisie, ce qui dessine les réseaux de l’argent de la haute noblesse ancienne[37].

Dans le flot des revenus des fermes et des droits seigneuriaux, l’article de recette le plus éclatant est celui des bois. Le dépouillement des articles souligne la relation très particulière et privilégiée que la haute noblesse entretient avec le bois, l’arbre et la forêt. En 1743, à La Roche-Guyon, année la plus faible en ce qui concerne les coupes forestières, les revenus de ces dernières représentent tout de même 7% du total. Cette proportion s’élève à 24% en 1750, 36.5% en 1788 et culmine à 42.5% en 1764. Plus que tout autre fruit, le bois est intimement attaché à l’imaginaire nobiliaire. Dans son histoire de l’Arbre en Occident, Andrée Corvol a bien entrevu la place centrale des forêts dans les patrimoines nobiliaires et dans leur système de représentation, surtout au XVIIIe siècle alors que certaines de ces familles entament une évolution idéologique et sociale. L’étude plus poussée des comptes révèle les politiques de plantation et de création forestière. Dans le duché de La Roche-Guyon, la forêt de Moisson est une création du duc Alexandre de La Rochefoucauld (1690-1761). Les années 1720 à 1740 sont consacrées à des achats massifs, il s’agit ici de plusieurs dizaines de milliers de plants par an[38], de pousses de différentes essences qui composent un tableau forestier diversifié que l’on peut encore admirer dans cette forêt de plusieurs centaines d’hectares. La diversité des essences qui coexistent les unes avec les autres crée un peuplement multiple que l’on pourrait presque concevoir comme une retranscription dans le paysage naturel de la tolérance et de réflexions philosophiques de la noblesse « éclairée ». Nous souhaiterions ici sortir la relation noblesse-forêt des sentiers habituels de l’histoire économique. Certes, le bois représente un poste de revenus considérable, mais l’aspect économique n’exclut en rien la symbolique vivace qui entoure l’arbre et la forêt, toujours étroitement liés à la vie quotidienne de l’homme. La forêt nourrit, la forêt chauffe, la forêt crée de l’emploi, la forêt participe à l’effort patriotique maritime auquel les La Rochefoucauld prennent pleinement part en ce second XVIIIe siècle[39]. Cette approche forestière trahit l’adhésion des La Rochefoucauld à un idéal patriotique selon l’acception du XVIIIe siècle du terme. Les La Rochefoucauld entendent par patriotisme tout ce qui peut contribuer à faire progresser la société, tant du point de vue des connaissances et de l’éducation que du confort de vie. Serait donc patriotique tout ce qui vise à prendre en compte le corps social et son bien-être : la recherche du bien public et de l’intérêt général. À ce titre, la gestion forestière apparait bien chez eux comme un objet patriotique. Les diverses essences participent à la bonne tenue de la forêt tout entière, comme les différentes catégories sociales doivent contribuer au bien commun, à la croissance tant économique que sociale, du corps social dans son intégralité[40].

De la bienheureuse incompétence du régisseur Ermenault

À la fois régisseur et comptable : les spécificités du service éco-domanial de la haute noblesse

Au-delà de l’aspect général des comptes, qui livre son lot d’informations quant à la gestion globale de l’argent par une famille aristocratique dont l’assise économique est foncière, la personnalité même de celui qui les tient apporte un prisme par lequel appréhender et analyser les différents articles portés principalement dans les chapitres de dépense. Il faut d’abord bien spécifier la nature de cette fonction de régisseur, que ce terme générique ne reflète que partiellement. La nécessité impérieuse d’administrer à la fois les terres et leurs comptes impose de dissocier le rôle de régisseur, qui implique la gouvernance des opérations agricoles et commerciales du domaine, et celui de receveur/comptable qui gère les finances du duché. À l’échelle du duché, les deux rôles sont réunis dans les mains d’une même personne :le régisseur et receveur du domaine. En revanche, à l’échelle de la maison, de la gestion globale des biens fonds, les deux rôles sont assurés par deux personnes différentes : l’intendant général qui est à la tête des différents régisseurs-receveurs domaniaux, et le caissier qui assure la gestion globale des finances de la famille. La fonction de régisseur prend plus d’importance concrète dans les domaines éloignés où l’influence directe du seigneur propriétaire est si lointaine qu’elle ne passe justement que par les registres de comptes et les quelques instructions transmises par les correspondances[41]. À l’inverse, dans les domaines principaux ou proches de Paris et Versailles où les La Rochefoucauld ont leur assise sociale et aristocratique (fonction de grand-maître de la Garde-robe du roi, titre de duc et pair de France, présence attendue à la cour), le régisseur est en fait un agent qui ne fait qu’exécuter les vues agraires, sociales et parfois industrielles de ses employeurs. Quand l’influence du duc, ou de la duchesse, est si grande, seule ne reste que la fonction de comptable qui demeure l’apanage du receveur. Chez les La Rochefoucauld, qu’il s’agisse d’Alexandre, de la duchesse d’Enville ou de Louis-Alexandre, tous laissent au comptable sa marge de manœuvre personnelle pour la tenue des comptes. Seule est obligatoire la présentation tous les ans d’un livre de comptes avec une récapitulation des recettes, des dépenses et l’indication de la balance et de l’avance due par le comptable. La personnalité de ces agents domaniaux est en elle même intéressante car ils doivent obligatoirement être des personnes de confiance. Attachés à la famille, ils en sont la plupart du temps des protégés depuis des générations, comme l’a remarqué Jean-François Labourdette chez les La Trémoille[42]. Ce sont des locaux, issus de familles de la bourgeoisie du pays ou des descendants de grands fermiers qui ont consacré une ascension sociale permise par leur proximité avec les seigneurs-propriétaires en investissant le monde des affaires ou de la justice. Un point intéressant et fondamental réside dans le choix des intendants généraux de Maison : chez le duc de Liancourt, Jacques Asseline est avocat en parlement ; chez le duc Alexandre, Mésangeau et Moullé sont également des hommes de loi. Les régisseurs des domaines, s’ils ne sont pas des avocats comme les intendants, ont toutefois des connaissances étendues en matière de loi puisqu’ils sont souvent aussi détenteurs d’un office seigneurial : procureur fiscal, lieutenant de justice en particulier. Il y a donc une véritable politique administrative de la part des ducs qui choisissent leurs hommes pour leur fidélité, leurs capacités et éventuellement pour la stabilité qui pourrait être permise par leur longévité en poste. Mathieu Gouttard, régisseur de La Roche-Guyon, en est l’exemple parfait puisqu’il rend les comptes successivement pour ce duché à la duchesse douairière de La Rochefoucauld, Marie-Charlotte Le Tellier, au duc Alexandre, puis à la duchesse d’Enville : il reste donc 40 ans en poste de 1729 à 1769. Sa mort instaure une période d’instabilité comptable, trois personnages lui succèdent. Leurs « mandats » sont marqués par leur brièveté : cinq ans pour Louis-Nicolas Charpentier, deux ans pour Jean-Charles Journé et sept ans pour Louis Ermenault dont la chute est précipitée par la duchesse d’Enville elle-même.

La surveillance seigneuriale. Débusquer l’incompétence comptable

Les régisseurs des terres provinciales, plus que ceux des domaines sur lesquels l’autorité seigneuriale s’exerce de manière directe et régulière tout au long de l’année, sont choisis en partie pour leurs compétences de gestionnaires et de comptables. La distance des propriétaires explique l’instauration d’une surveillance qui passe d’abord par la vérification des comptes par le duc ou la duchesse avec l’appui et l’expertise de l’intendant général et du caissier principal (François chez les Liancourt, de La Place chez le duc Alexandre). Cette surveillance peut parfois s’exprimer de façon éclatante jusque dans les domaines d’excellence où vivent pourtant régulièrement les La Rochefoucauld. C’est le cas du duché de La Roche-Guyon où la mort du régisseur Gouttard en 1769 entraîne une instabilité à la tête du domaine[43]. Charpentier et Journé, qui lui succèdent, meurent rapidement en exercice, puis Louis Ermenault, révèle rapidement une incompétence manifeste qui aboutit en 1787 à une enquête dans ses papiers de gestion. Dès le mois de mai 1787, la duchesse d’Enville mandate sur place, depuis Paris, le sieur Perreau pour effectuer des vacations dans les archives d’Ermenault et vérifier la tenue des comptes[44]. Cette première vérification est due à l’alarme de la duchesse, étonnée de voir arriver pour subir son examen des comptes dont la tenue se dégrade à mesure que les années passent. En effet, pour l’historien, avant même d’avoir pris connaissance de l’affaire Ermenault que les archivistes qui ont classé le fonds ont jugé suffisamment éloquente pour en faire un dossier à part entière, l’aspect visuel des comptes change radicalement avec l’arrivée du nouveau régisseur-comptable. Aux beaux livres de comptes de Matthieu Gouttard succèdent des amas informes et volumineux constitués par les masses de quittances et de mémoires de travaux qui n’apparaissent normalement pas dans les livres de comptes. Les livres reliés apparaissent encore, mais sont extrêmement lacunaires et pour tenter de reconstituer les recettes et les dépenses, il faut plonger dans les pièces de comptes, documents secondaires qui servent de sources au comptable pour faire ses bilans. Là, étant donné le manque et l’anarchie qui caractérisent le travail de Louis Ermenault, les La Rochefoucauld ont été contraints de maintenir dans leurs archives des milliers de petites pièces qui pour les années de bonne gestion, ont le plus souvent été écartées du chartrier. Alertée par les premières observations du sieur Perreau en mai 1787, la duchesse d’Enville porte l’affaire au cours de l’été devant le président-lieutenant général et particulier du bailliage royal de Magny qui ordonne à ses hommes d’investir la maison, appartenant à la duchesse, occupée par Ermenault qui refuse de rendre à la propriétaire les titres et documents qui relèvent de sa gestion :

« Disant que le sieur Ermenault, ci-devant régisseur du duché de La Roche-Guyon et de la Tour au Begue sise à Chaumont en Vexin, révoqué par la suppliante, lui a, pour clôturer les comptes qu’il lui doit de sa régie, communiqué un registre journal qui est absolument informe et sans ordre de dates et où il n’a porté en dépense à chaque mois qu’un total sans détails journaliers, les recettes et dépenses sur ce compte ne s’accordant nullement avec celles du compte qu’il a présenté pour les années 1786 et partie de 1787, en sorte qu’il y a lieu de présumer que ce registre est inexact et fait même d’après coup. Tous les anciens journaux de dépenses pendant les années antérieures de sa gestion qui a commencé vers le mois d’août 1778 sont restés entre ses mains et il refuse de les remettre au de les communiquer à la suppliante. Cependant, elle a le plus grand intérêt d’en empêcher la soustraction et le divertissement[45] […] »

La requête de la duchesse obtient donc de la part du président de la justice du bailliage un soutien et une réponse rapide pour débusquer et apposer les scellés sur les papiers retenus chez Ermenault. L’affaire va donc plus loin qu’une simple négligence dans les comptes. Sa mauvaise gestion lui est reprochée, certes, et surtout son défaut d’honnêteté et d’honneur dans sa chute qui le pousse à se retrancher dans une maison de fonction qui appartient au domaine et qui doit être mise à disposition du nouveau régisseur. L’enquête permet également de découvrir des ventes de bois non répertoriés en coupes réglées et relevant de la futaie réservée au bon vouloir seigneurial[46]. Cette atteinte aux biens forestiers est perçue comme une fourberie criminelle et une infidélité inavouable. Il s’agit donc bien d’un cas particulier qui remet en cause la personnalité même du régisseur et son attachement pour la Maison à laquelle il est attaché. Au-delà encore, s’il est possible, de son « peu de capacité », le bailliage lui reproche des abus et notamment ses ventes présumées de bois qui n’étaient pas en coupe réglée. Les raisons de sa révocation sont donc multiples de par ses manquements aux trois qualités qui doivent être celles du régisseur : capacité, honnêteté et fidélité.

Les voies de la pensée sociale éclairée

L’incompétence coupable du régisseur Ermenault, si elle fut pour lui l’origine d’ennuis judiciaires, revêt pour le chercheur les atours de l’ouverture facilitée vers d’autres champs de recherche. En effet, si les comptes peuvent de prime abord passer pour une source froide et déshumanisée, le désordre créateur qui caractérise les registres du régisseur révoqué trace de multiples pistes qui vont bien au-delà des considérations économiques qui ont été développées ci-dessus. Pour cacher son absence d’organisation, Ermenault a multiplié les chapitres de dépenses en accumulant les quittances et listes de biens et produits achetés ou vendus. Deux exemples de ces domaines de dépenses ressortent particulièrement du lot et donnent à voir des dépenses qui apparaissaient déjà bien avant son arrivée aux affaires, mais dont la quantité et la multiplicité des pièces relatives qu’il a laissées pour former ses comptes désordonnés permet une analyse plus fine. Le premier de ces articles de dépenses est celui qui est appelé « Charités de Madame », ou « Aumônes de Madame », qui sont les dépenses charitables de la duchesse d’Enville dans le duché de La Roche-Guyon. Cette charité seigneuriale est un phénomène classique que l’on retrouve dans presque toutes les grandes familles qui pratiquent cette aide salutaire[47], généralement aux portes du château. Dans le cas de la duchesse d’Enville, sa philanthropie et sa recherche de la lutte contre la pauvreté et la mendicité sont connues[48], mais il faut signaler qu’elles s’inscrivent dans une succession partie de son père, le duc Alexandre dont les réflexions conservées au château de La Rochefoucauld laissent entrevoir cette pensée socio-économique et patriotique propre aux Lumières et qui vise le bien public[49]. Ce qui est surprenant dans le cas de la duchesse d’Enville, c’est la multiplicité des produits fournis, non pas à quelques mendiants des paroisses du duché, mais à plus d’une centaine d’indigents connus par l’élaboration de listes pour chaque paroisse. Par l’intermédiaire des gestionnaires des pauvres, il y en a un dans chacune des paroisses, elle distribue du pain, de la viande, du vin, du coton, de la laine, du chanvre, du bois de chauffage. Ces produits sont destinés à la subsistance quotidienne, ils sont fournis largement et tout au long de l’année. De manière encore plus intéressante, la duchesse d’Enville institutionnalise dans son domaine un système qui pare à toutes les possibles catastrophes pouvant menacer ses sujets-protégés. Ses comptes abritent ainsi des centaines de quittances et autres mémoires de travaux pour réparation de maisons endommagées par le vent, la grêle, mais aussi des frais de travaux agricoles dans les terres ou vignes des paysans infirmes ou qui ne seraient plus en mesure de travailler eux-mêmes leurs biens. De la même manière, la duchesse prend en charge les frais d’apprentissage de certains enfants pauvres du duché et les place auprès de maîtres où ils peuvent apprendre un métier les mettant à l’abri du besoin, c’est toute l’idéologie qui anime la fondation de l’Ecole des Enfants de l’Armée, devenue Ecole des Arts et Métiers sous l’Empire, par le duc de Liancourt en 1780[50]. La duchesse assure aussi l’inhumation des pauvres des bourgades du domaine seigneurial. En d’autres termes, il serait presque possible de voir ici se mettre en place, sous l’égide de la duchesse d’Enville, dans le cadre des mécanismes de clientèle et de prestige social de l’Ancien Régime, une forme de soutien organisé et multiple précurseur de la sécurité sociale. À la charité chrétienne pratiquée à la porte du château succède une philanthropie chrétienne mise en pratique par un système organisé à l’échelle du duché et qui englobe tous les types de besoins que peuvent ressentir les pauvres des 17 paroisses du duché.

Un autre article de dépenses, classé de manière très intéressante dans les « charités de Madame », réside dans tout ce qui concerne l’élevage des vers à soie. La duchesse et son fils Louis-Alexandre, semblent avoir un intérêt pour cette pratique, la sériciculture, qui se manifeste encore une fois par le recours à des femmes, le plus souvent pauvres et locales, qui sont rémunérées pour « l’éducation des vers à soie », c’est-à-dire le nourrissage constant de ces insectes avec un seul type de végétal : la feuille de mûriers blancs. Une fois établi ce fait, une replongée dans les comptes plus anciens, à partir des années 1740, a montré que le duc Alexandre avait lui-même commencé, en 1741 exactement, à acheter et faire planter le long des allées du domaine des mûriers blancs[51]. Ces plantations massives, de 200 à 1000 arbres, sont le premier indice d’un intérêt philosophique et social proto-industriel qui remonte en réalité au duc Alexandre et qui a été récupéré par sa fille et son petit-fils. Les pièces de comptes laissées par Ermenault permettent de dessiner précisément les contours de cette pratique, des journées d’hommes employées à tailler les mûriers et au ramassage des feuilles, au tirage de la soie sur les cocons par les femmes et jusqu’à la construction en 1787, dans la ferme de la Vacherie, en face du château de La Roche Guyon, d’un bâtiment prévu pour accueillir « la manufacture de soie[52]». D’une longueur d’environ 40 mètres de long, comportant deux étages, ce bâtiment témoigne du nouvel élan que le duc Louis-Alexandre, puisque c’est lui qui commande la construction, a voulu donner à cette proto industrie domaniale. Soulignons à quel point il serait réducteur d’évoquer la duchesse d’Enville sans la replacer dans le système familial dont elle est la figure pivot puisque c’est elle qui a hérité des réflexions modernes de son père et qui les a inculquées à son fils le duc Louis-Alexandre de La Rochefoucauld et à son neveu le duc de Liancourt. Par son amitié avec Turgot[53], elle a permis aux deux cousins de se doter d’une solide formation intellectuelle qui les a intégrés au mouvement physiocratique. Cette relation avec l’intendant de Limoges puis contrôleur général des Finances est d’ailleurs révélatrice de la façon dont les La Rochefoucauld créent à ce moment-là leur réflexion socio-économique globale. Turgot est érigé en modèle dans les correspondances de la duchesse et de Louis Alexandre[54], c’est de lui qu’ils tirent leurs idées avant de les assimiler et de les mettre en œuvre dans leurs domaines. Ce n’est pas dans le cadre d’un salon réglé, comme l’a analysé Antoine Lilti[55], que la duchesse, son fils et son neveu, développaient leurs idées et les confrontaient à celles de leurs brillants interlocuteurs, mais dans le cadre de vastes réseaux multidirectionnels fondés sur des rencontres ponctuelles et surtout sur des correspondances suivies et riches. La terre, ultime et suprême richesse est au centre de leurs actions domaniales et de leurs entreprises proto-industrielles, on le voit ici avec la sériciculture qui permet de conjuguer les idées physiocratiques, l’intérêt pour les activités préindustrielles et la recherche du bien public par la création d’emplois et la lutte contre la pauvreté. À nouveau, les habitants du duché sont pleinement intégrés au volontarisme manufacturier des La Rochefoucauld qui, par ce biais, créent des emplois et luttent contre ce qu’ils considèrent comme la racine de la précarité : l’absence d’emploi due à un manque de formation professionnelle.

Conclusion

Loin de n’être que d’interminables listes de chiffres obscurs, les livres de comptes de la haute noblesse, et en particulier ici de la famille de La Rochefoucauld, sont des portes ouvertes sur une multitude de directions historiographiques. Souvent exploités mais laissés en arrière plan, il était important de leur rendre leurs lettres de noblesse en les ramenant sur le devant de la scène. Dispersés dans des dépôts d’archives très différents, tant du point de vue institutionnel que du point de vue géographique, ils permettent une histoire diversifiée de la haute noblesse. En passant d’abord par une approche purement économique et sociale, l’historien peut reconstruire les stratégies économiques familiales, observer le poids des revenus de la terre, qui indiquent la plupart du temps la capacité pour le noyau familial à subvenir à ses besoins sans avoir à recourir à des emprunts qui ne font que perpétuer le déficit tout en le maintenant dans des proportions tolérables. En explorant plus en avant les comptes, en requérant le secours des liasses annexes de pièces de comptes et en capitalisant sur l’incompétence d’un régisseur malheureux, il peut également entrevoir des dynamiques, des inflexions, des ruptures intellectuelles et idéologiques qui sont, dans le cas de la seconde moitié du XVIIIe siècle, liées à des phénomènes de mutations idéologiques aussi nombreuses et variées que les ramifications des Lumières[56]. Ils permettent de toucher du doigt les orientations de ces élites sociales dont certaines, comme les La Rochefoucauld, participaient, plus ou moins consciemment, à l’élaboration de réflexions socio économiques réformatrices. Au-delà de ces aspects qui sont au cœur de notre thèse de doctorat, l’étude des comptes est aussi un puissant soutien à l’histoire de la culture matérielle, en particulier aux histoires de l’alimentation et des habitudes vestimentaires.


[1]Archives départementales du Val d’Oise [désormais ADVO], Chartrier de La Roche-Guyon, 10 J 542, dossier de l’affaire Louis Ermenault.

[2]Roger BAURY, « L’ubiquité nobiliaire aux XVIIe et XVIIIe siècles », in Marie BOISSON, Michel FIGEAC, Josette PONTET (dir.), La noblesse de la fin du XVIe au début du XXe siècle, un modèle social ?, tome I, Anglet, Atlantica, 2002, p. 133.

[3]Voir à ce sujet les grandes études socio-économiques domaniales menées par Jean DUMA, Les Bourbon-Penthièvre (1678-1793) : une nébuleuse aristocratique au XVIIIe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1995 ; Marguerite FIGEAC-MONTHUS, Les Lur Saluces d’Yquem de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XIXe siècle, Bordeaux, FHSO Mollat, 2000 ; Jean-François LABOURDETTE, La Maison de La Trémoille au XVIIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 2021 ; ou encore François-Charles MOUGEL, « La fortune des princes de Bourbon-Conti : revenus et gestion, 1655-1791 », in Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, tome XVIII, 1971, p. 30-49, mais aussi sur le duché de La Roche-Guyon, Michel HAMARD, La  famille La Rochefoucauld et le duché-pairie de La Roche-Guyon au XVIIIe siècle, Paris, L’Harmattan, 2008.

[4]Voir à ce propos Michèle CROGIEZ-LABARTHE, Correspondance de la duchesse d’Enville, Montreuil, Les éditions de l’œil, 2016 ; Jean-Charles DAUMY, François XII de La Rochefoucauld-Liancourt. L’imaginaire nobiliaire dans la vie quotidienne d’un grand seigneur éclairé, Paris, Editions de l’Epargne, 2019 ; Gilles de LA ROCHEFOUCAULD, Louis-Alexandre de La Rochefoucauld ou la Révolution vertueuse, Paris, Clément Juglar, 2019 ; Daniel VAUGELADE, Le salon physiocratique des La Rochefoucauld animé par Louise-Elisabeth de La Rochefoucauld, duchesse d’Enville (1716 1797), Paris, Publibook, 2007.

[5]Sur l’organisation du fonds d’archives du château de La Rochefoucauld, voir Marie VALLÉE, Le fonds Liancourt aux archives du château de La Rochefoucauld, Paris, Editions de l’Epargne, 2006.

[6]Concernant l’histoire du fonds privé voir Jean-Charles DAUMY, « Les archives privées du château de la Rochefoucauld ou le destin d’une famille au travers de ses papiers », in Caroline LE MAO (dir.), Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde, Archives, manuscrits et imprimés : confection, diffusion, conservation, Bordeaux, n°24, 2018, p. 14-27.

[7]Alexandre duc de La Rochefoucauld (1690-1761) a obtenu de Louis XV en 1732 de pouvoir faire transiter le duché-pairie de La Rochefoucauld par sa fille aînée jusqu’à son petit-fils Louis-Alexandre (1743-1792), tandis qu’en 1758 il cédait sa charge de grand maître de la Garde-robe du roi à son second gendre le duc d’Estissac (1691-1783), époux de sa fille cadette Marie. Il créait de fait une branche principale collatérale en séparant le titre ducal de la charge la plus prestigieuse de la Maison.

[8]AP Château de La Rochefoucauld, Fonds Liancourt, carton F5b, Inventaire des « papiers » présents au château de Liancourt, 1827.

[9]AP Château de La Rochefoucauld, Fonds Liancourt, carton E7c, Inventaires d’archives, Papiers de M. le duc de Liancourt, 1803.

[10]Michel FIGEAC, Châteaux et vie quotidienne de la noblesse. De la Renaissance à la douceur des Lumières, Paris, Armand Colin, 2006, p. 245.

[11]Les livres de comptes établis par le régisseur Louis Ermenault (1779 1786) permettent de signaler les travaux menés dans la salle des archives.

[12]Description du chartrier de La Roche-Guyon, Geneviève DAUFRESNE, Marie-Hélène PELTIER, Patrick LAPALU, Chartrier de La Roche-Guyon, Cergy-Pontoise, 2011, révisé en 2019.

[13]Description du chartrier de Liancourt, Christophe LEBLANC, Vincent WEBER, Chartrier de Liancourt, Beauvais, 2013, révisé en 2020.

[14]Voir Katia BÉGUIN, Les Princes de Condé, Rebelles, courtisans et mécènes dans la France du Grand Siècle, Seyssel, Champ Vallon, 1999, p. 278.

[15]Michel FIGEAC, Les noblesses en France. Du XVIe siècle au milieu du XIXe siècle, Paris, Armand Colin, 2013, p. 44-45.

[16]Jean-Charles DAUMY, François XII de La Rochefoucauld-Liancourt, op. cit., p. 44-57.

[17]Michel FIGEAC, op. cit., p. 45-50.

[18]AP Château de La Rochefoucauld, Fonds Liancourt, Carton E10c, Comptes que rend Jacques Asseline au duc et à la duchesse de Liancourt, 1782, non paginé.

[19]AP Château de La Rochefoucauld, Fonds Liancourt, carton E10c, Comptes que rend Jacques Asseline au duc et à la duchesse de Liancourt, 1775-1785, non paginé. Les noms de ces grands aristocrates n’apparaissent pas de cette façon dans les comptes, mais d’une manière simplifiée, dans la marge « duc de Gontaut », « duc de Chârost », « duc de Beauvilliers », par exemples.

[20]Natacha COQUERY, L’hôtel aristocratique. Le marché du luxe à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, p. 214.

[21]AP Château de La Rochefoucauld, Fonds Liancourt, carton E10c, Comptes que ren Monsieur Jacques Asseline, avocat, à Monseigneur le duc et à Madame la duchesse de Liancourt, 1785, non paginé.

[22]Jean-François LABOURDETTE, « Fortune et administration des biens des La Trémoille […] », art. cit, p. 166.

[23]Archives départementales de l’Oise, Chartrier de Liancourt, 6J28, Correspondances de l’intendant général Jacques Asseline avec le duc de Liancourt à propos des ventes des bois de bretagne, 1782-1785.

[24]AP Château de La Rochefoucauld, Fonds Liancourt, Carton F5a, Résumé de la succession du duc d’Estissac avec dates des actes, non paginé.

[25]Jean-Pierre LABATUT, Les ducs et pairs de France au XVIIe siècle : étude sociale, Paris, PUF, 1972, p. 271.

[26]AP Château de La Rochefoucauld, Fonds Liancourt, Carton E10b, Comptes des biens de la succession du duc d’Estissac, non paginés.

[27]Sur le duc de Liancourt et la Garde-Robe du roi, voir Jean-Charles DAUMY, « Les parures du monarque : le duc de Liancourt et le grand office de la Garde-Robe sous Louis XV et Louis XVI », in Versalia. Revue de la Société des Amis de Versailles, n°25, 2022, p. 115-128.

[28]Michel FIGEAC, op. cit., p. 201.

[29]Jean-Pierre LABATUT, op.cit., p. 269.

[30]AP Château de La Rochefoucauld, Fonds Liancourt, carton E10c, « Tableau des rentes perpétuelles des successions de Madame la duchesse et de Monsieur le duc d’Estissac », 25 septembre 1789, non paginé.

[31]Jean-Pierre LABATUT, op. cit., p. 269.

[32]ADVO, Chartrier de La Roche-Guyon, 10 J 637, Comptes de la Maison de La Rochefoucauld rendus par Sébastien de La Place, 1737.

[33]Jean DUMA, op. cit., p. 91-92.

[34]Elie HADDAD, « L’histoire de la noblesse. Quelques perspectives récentes », in Nicolas LE ROUX (dir.), Faire de l’histoire moderne, Paris, Classiques Garnier, 2020, p. 65-94.

[35]Jean-François LABOURDETTE, op.cit., p. 225-261 sur l’administration des biens fonciers, par exemple. Voir aussi, Jean-François Labourdette, « Fortune et administration des biens des La Trémoille au XVIIIe siècle », in Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, tome 82, numéro 2, 1975, p. 163-177, p. 166.

[36]Michel FIGEAC, Les noblesses en France, op.cit., p. 198-199.

[37]Jean-Charles DAUMY, op.cit., p. 50-52.

[38]ADVO, Chartrier de La Roche-Guyon, 10 J 640, Comptes de la maison de La Rochefoucauld rendus par Sébastien de La Place, 1740.

[39]Archives nationales, T//575/2, État des terres de l’Ariège. Ce document contient un long passage sur la forêt de Bélesta de laquelle le duc tire des sapins propres à alimenter la Marine. ADVO, Chartrier de La Roche-Guyon, 10J534, l’état des bois de la forêt de Boixe en Angoumois précise qu’ils contiennent de « beaux chênes propres pour la Marine royale principalement ».

[40]Voir les premières ébauches de cette interprétation chez Andrée CORVOL, L’arbre en Occident, Paris, Fayard, 2009, p. 231.

[41]Jean-François LABOURDETTE, op. cit., p. 241.

[42]Ibid, p. 229.

[43]Les années 1729 à 1769 sont marquées par la grande régularité des comptes, tant visuelle qu’organisationnelle. Tout au long de la période Gouttard se succèdent les mêmes chapitres de recettes et de dépenses, avec des récapitulations claires et toujours justifiées. Les comptes sont reliés et brochés.

[44]ADVO, Chartrier de La Roche-Guyon, 10 J 542, dossier de l’affaire Louis Ermenault.

[45]ADVO, Chartrier de La Roche-Guyon, 10 J 542, dossier de l’affaire Louis Ermenault.

[46]ADVO, Chartrier de La Roche-Guyon, 10 J 542, dossier de l’affaire Ermenault, récapitulatif de la procédure judiciaire par le président lieutenant général du bailliage de Magny, décembre 1787.

[47]Voir Jean-François LABOURDETTE, op. cit., p. 429-434 ; ainsi que Yukako SORA, La charité et les élites bordelaises. 1750-1830, Bordeaux, Fédération Historique du Sud Ouest, 2019, l’historienne a bien mis en avant la mutation idéologique de la conception et de la pratique de la charité à l’œuvre dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, passant d’une charité chrétienne voyant dans le pauvre un alter Christus, à une philanthropie militante et pensée d’un point de vue national et patriotique.

[48]Daniel VAUGELADE, Tricentenaire de la duchesse d’Enville, Montreuil, Editions de l’œil, 2020.

[49]AP Château de La Rochefoucauld, Fonds La Roche-Guyon, carton E9a, Réflexions, notes et maximes d’Alexandre de La Rochefoucauld.

[50]Jean-Charles DAUMY, op. cit., p. 165-179.

[51]ADVO, Chartrier de La Roche-Guyon, 10 J 337, comptes du duché de La Roche-Guyon pour l’année 1740-1741.

[52]ADVO, Chartrier de La Roche-Guyon, 10 J 541, mémoire et plan de construction d’un bâtiment à la ferme de la Vacherie pour servir de manufacture de soie, 1786-1787.

[53]La correspondance entre Turgot et la duchesse d’Enville a été éditée en 1976, Josep RUWET (dir.), Lettres de Turgot à la duchesse d’Enville (1764-74 et 1777-80), Edition critique préparée par les étudiants en histoire de l’Université catholique de Louvain, Louvain/Leiden, 1976.

[54]Archives municipales de Mantes-la-Jolie, Fonds Clerc de Landresse, lettre de Richard Price au duc Louis Alexandre de La Rochefoucauld, 6 juillet 1790.

[55]Antoine LILTI, Le monde des salons. Sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 2005.

[56]Sur la diversité des « Lumières » et leur existence non pas comme mouvement philosophique univoque mais comme nouvel élan de réflexions utiles à tous aussi bien philosophiques que sociales, économiques ou politiques, voir Antoine LILTI, L’héritage des Lumières. Ambivalences de la modernité, Paris, Seuil, Gallimard, 2019, p. 21.

 

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