Portrait d’Anne-Claude Ambroise-Rendu, historienne de la presse et de la culture de masse

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Anne-Claude Ambroise-Rendu est professeure d’histoire contemporaine à l’Université Paris-Saclay (UVSQ) et directrice du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines (CHCSC). Spécialiste de la presse et de la culture de masse, elle travaille actuellement sur les discours (médicaux, juridiques et médiatiques) sur les abus sexuels sur enfants entre le XIXe et le XXe siècle.

Transcription du portrait d’Anne-Claude Ambroise-Rendu


Tout d’abord, pourquoi nous retrouvons-nous ici, au Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, aujourd’hui ? Que symbolise cet endroit pour vous ?

Parcours, sources et méthodologie

L’ouvrage Petits récits des désordres ordinaires. Les faits divers dans la presse française de la IIIe République à la Grande Guerre, adapté de votre thèse (NDLR : Les faits divers dans la presse française de la fin du XIXe siècle : étude de la mise en récit d’une réalité quotidienne (1870-1910)) soutenue en 1997 sous la direction d’Alain Corbin, propose un éclairage nouveau sur le fait divers, étudié au prisme de l’histoire des sensibilités. Comment s’est fait le choix de ce sujet ? D’où vous vient cette appétence pour l’histoire des médias ? Comment situez-vous votre positionnement entre histoire des médias et histoire des sensibilités dans ce travail, et plus généralement, dans votre parcours ?

Vos études s’appuient sur un travail de recherche très documenté, qui vous a mené à traiter des sources à la fois denses et variées. Vous avez par exemple recensé 16 000 faits divers dans deux quotidiens nationaux (Le Petit Journal et Le Figaro) et régionaux (La Dépêche de Toulouse et Le Courrier de la Montagne dans le Doubs) dans le cadre de votre travail de thèse. Plus récemment, votre Histoire de la pédophilie : XIXe-XXIe siècles s’est appuyée sur le dépouillement de deux titres de presse en continu sur l’ensemble de la période en plus de nombreuses sources statistiques, des arrêts de cours d’assises (près de 800 documents) et des dossiers de procédure (près de 200) de cinq villes françaises. Lorsqu’il s’agit d’étudier des sources journalistiques, vous n’hésitez pas non plus à user d’outils propres aux sciences de la communication voire à la littérature (analyse des procédés stylistiques et de ce qu’ils disent de la société dans laquelle vivent ceux qui les utilisent et les lisent). Comment avez-vous construit votre méthodologie historique ? A-t-elle subi des évolutions notables entre la publication de votre premier et de votre dernier ouvrage ? Quels conseils donneriez-vous à des jeunes chercheur.se.s qui débutent leur formation ?

Thématiques de recherche

Dans certains de vos travaux consacrés à la question environnementale, vous soulignez le fait que les médias se sont peu intéressés à l’écologie. Comment expliquez-vous ce manque d’intérêt ? La situation est-elle différente aujourd’hui ? Qu’en est-il des historien.ne.s ?

Dans Histoire de la pédophilie. XIXe-XXIe siècle et plusieurs autres articles, vous constatez que deux siècles ont été nécessaires afin que l’agression sexuelle sur enfant soit reconnue pénalement et convoquez notamment la figure de l’enfant-victime afin de retracer les évolutions sociojuridiques du XIXe siècle. Comment fait-on de la pédophilie un sujet d’histoire à part entière ? Pourriez-vous revenir plus en détail sur cette thèse de l’enfant-victime ? En quoi cette figure est-elle particulièrement éclairante ?

Depuis 2017, vous animez avec Stéphane Olivési un séminaire intitulé « Patrimoine et patrimonialisation. Les inventions du capital historique, XIXe – XXIe siècles », organisé par le CHCSC avec le soutien de la MSH Paris-Saclay et du comité d’histoire du ministère de la Culture. Qu’est-ce qui vous a conduit à vous intéresser à la question du patrimoine et à sa fabrique dans vos recherches ? Dans votre article intitulé « Du patrimoine à la patrimonialisation. Perspectives critiques », vous mettez tous deux au jour les stratégies mises en place dans le processus de patrimonialisation des objets et des pratiques culturels et évoquez notamment la nécessité de repenser les pratiques de patrimonialisation aujourd’hui. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur cette position ?

Une histoire du très contemporain

Les études que vous proposez s’inscrivent dans un temps long, allant du XIXe au XXIe siècle, et mettent en avant des débats très contemporains. La deuxième partie de votre ouvrage Crimes et délits. Une histoire de la violence de la Belle Epoque à nos jours, se concentre par exemple sur les représentations délinquantes de « l’immigré, du beur et du tsigane » en y apportant un éclairage historique. Pourriez-vous revenir sur la thèse que vous y présentez et la mettre en regard des événements plus récents qui ont eu lieu ces derniers mois, comme les manifestations contre les violences policières ou le racisme ?

La multiplication des témoignages de crimes sexuels dans les médias, la littérature, le cinéma ou sur les réseaux sociaux tend à prouver que la parole des victimes se libère progressivement. En 2018, François Ozon rendait hommage aux victimes de l’affaire Preynat. L’année suivante, Vanessa Springora publiait Le Consentement et levait le voile sur les pratiques pédophiles de l’écrivain Gabriel Matzneff tandis que certains reportages diffusés sur des plateformes de streaming permettaient aux victimes de Jeffrey Epstein de mettre des mots sur ce qu’elles avaient subi. Qu’est-ce que cela nous apprend sur le traitement du crime sexuel dans les médias aujourd’hui ? Comment les médias ont-ils joué un rôle crucial pour « briser le tabou » de l’abus sexuel (cf. « Briser le tabou. Du secret à la parole médiatique, le tournant des années 1970-1990 ») ?

Vous vous êtes également intéressée à ce qui différencie le XIXe et XXe siècle d’un point de vue médiatique : la profusion d’informations, et mettez en avant les problèmes que celle-ci engendre dans le traitement d’une crise politico-scientifico-sanitaire à échelle mondiale telle que la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. Il est donc aujourd’hui très tentant de vous poser cette question : quelles ont été vos impressions et vos premières constatations quant au traitement médiatique de la crise sanitaire que nous traversons actuellement ?

 

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