Culture du secret et Chiffres dans la Grande Guerre

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Agathe Couderc

 


Résumé : Le secret est une nécessité évidente pour les services de renseignement dont la vocation est d’œuvrer dans l’ombre : la culture du secret, elle, se traduit par des pratiques et un état d’esprit adaptés. On se propose ici d’étudier l’apparition et l’évolution de cette culture dans les services de renseignement technique nés au cours de la Grande Guerre, à savoir les Chiffres français et britanniques, chargés de protéger les communications alliées et de percer les messages ennemis. De septembre 1914 où certains soldats en parlent ouvertement dans leurs lettres, à l’après-guerre où il est admis que les exploits du Chiffre doivent être tenus secrets pour en garantir l’efficacité future, la culture du secret s’est profondément ancrée dans ces services et plus largement encore dans les Armées et les Marines concernées.

Mot-clés : renseignement, cryptographie, confidentialité, Première Guerre mondiale, communications.


Agathe Couderc est née le 30 mai 1991. Diplômée d’un Master recherche en histoire militaire à Paris-Sorbonne (2014), puis agrégée d’histoire (2017), elle est actuellement doctorante contractuelle à Sorbonne Université au sein du laboratoire SIRICE, et chargée de TD de Licence 1 et Licence 2 en histoire contemporaine. Ses recherches portent sur l’histoire du renseignement, les relations internationales et l’histoire des techniques. Elle effectue une thèse sous la direction d’Olivier Forcade (Sorbonne Université) intitulée : « Sous le sceau du secret : les coopérations internationales des Chiffres britannique et français, militaires et navals pendant la Première Guerre mondiale ».

agathecouderc@icloud.com


Introduction

Si le renseignement seul ne permet pas de remporter une guerre ni de vaincre un adversaire, il peut néanmoins faire pencher la balance dans un sens et hâter la victoire. Conscients de cela, les chefs de guerre y ont souvent recours, soit par le biais d’espions, soit par celui d’interceptions. Pour garantir leur réussite, les activités des services de renseignement doivent toutefois rester inconnues de l’adversaire, au risque de le voir se prémunir contre leurs indiscrétions et anéantir leurs efforts.

À la fin du XIXe siècle, les réseaux de communication s’affranchissent des câbles et passent par les ondes : la Télégraphie Sans Fil (TSF) voit ainsi le jour. Armées et flottes en saisissent l’utilité presqu’immédiatement et la placent sous leur coupe en temps de guerre. C’est que si cette invention permet de communiquer par tous les temps et ce, sans voir le destinataire, elle nécessite tout de même d’être contrôlée et les communications par ce biais doivent être sécurisées. En effet, les messages transmis par les ondes peuvent être captés de toute part : par conséquent, un adversaire indiscret pourrait les lire et découvrir les plans de l’émetteur sans que ce dernier n’en ait conscience. Dès lors, il faut faire en sorte que le contenu des messages soit incompréhensible pour toute personne étrangère aux échanges : la cryptographie, science des écritures secrètes remise au goût du jour dès la fin du XIXe siècle[1], attire logiquement l’attention des militaires et des marins, qui créent des services dont la mission évidente est de protéger leurs communications, mais dont le but moins avoué est de connaître les échanges des autres nations. Le Chiffre[2] voit ainsi le jour au sein des unités militaires et navales.

Les puissances européennes sont les plus avancées dans cette marche vers la sécurisation des communications non-civiles. Parmi elles, la France fait figure de pionnière car elle met sur pied un service du Chiffre dès 1912[3]. Ces services sont chargés du service courant de la correspondance ministérielle et militaire, mais relèvent également d’une branche émergente du renseignement, le renseignement technique, en coopération avec la radiogoniométrie[4] et les écoutes. Si la constitution de pareils services au début de la Grande Guerre est un secret de polichinelle, leurs travaux et leurs réussites dans l’attaque des systèmes de chiffrement ennemis sont des sujets hautement sensibles, placés dès lors sous le sceau du secret.

Ce qu’on qualifie de secret ici renvoie à quelque chose qui est volontairement caché à l’autre, et plus particulièrement à celui qu’on identifie comme un adversaire. On peut partager ce secret entre unités d’un même pays, et avec ses alliés, moyennant quelques précautions, mais le secret est indispensable pour ne point voir tarir la source de renseignements, à laquelle on peut puiser tant que l’ennemi reste inconscient qu’il est lu. Il s’impose dans différents champs : des aspects linguistiques doivent le protéger, des pratiques permettent de le maintenir, et une forme de représentation (ou plutôt un effacement du Chiffre de la scène publique) contribue à garantir le secret des activités de ces services spéciaux, pendant et après la Première Guerre mondiale. Tous ces éléments font système et imprègnent les mentalités des hommes et des femmes du Chiffre[5], à tel point qu’on peut parler de culture du secret au sein de ces services, en considérant que le terme « culture » renvoie ici à un ensemble de connaissances et de comportements partagés par les membres du Chiffre.

Nous nous proposons d’étudier cette culture du secret indissociable du renseignement technique, ou Signals Intelligence en anglais, dans ses prémices, dans sa mise en place en pleine guerre, ainsi que dans ses conséquences au lendemain de la Première Guerre mondiale. Les services étudiés sont français et britanniques : nous nous intéresserons à la section du Chiffre du cabinet du ministre de la guerre et à celle du Grand Quartier Général français (GQG), au Chiffre de l’Etat-Major Général de la Marine (EMG) française, à celui de l’Amirauté britannique, plus connu sous le nom de Room 40[6], ainsi qu’au Chiffre du Département de la Guerre britannique (ou War Office), dit M.I.1(b) (pour Military Intelligence, renseignement militaire) et à son extension au sein du Grand Quartier Général de la Force Expéditionnaire Britannique (GHQ). Les premiers voient le jour, à l’exception de celui du GQG, avant la Grande Guerre, tandis que les Chiffres britanniques apparaissent dans les premières semaines du conflit.

Les sources permettant l’étude proposée sont issues des archives du Service Historique de la Défense à Vincennes, ainsi que des archives conservées à l’Espace Ferrié – Musée des Transmissions de Cesson-Sévigné, en banlieue de Rennes, pour ce qui est des documents français[7] ; le reste des documents est conservé aux Archives Nationales britanniques de Kew, en banlieue de Londres[8], à l’exception de quelques documents reproduits dans l’ouvrage de John Ferris, The British Army and Signals Intelligence during the First World War[9]. La plupart de ces documents est d’ailleurs marquée d’un tampon « secret » qui n’est plus vraiment d’actualité ; pour autant, cette marque évidente du secret nous permet d’interroger d’une part l’ampleur prise par ce principe de discrétion dans des services tout juste constitués et d’autre part son respect et sa progression dans d’autres unités des armées et flottes alliées.

S’intéresser à la culture du secret dans les services du Chiffre nous amènera d’abord à étudier les contournements linguistiques visant à dissimuler les résultats des déchiffreurs. Il faudra ensuite se pencher sur les pratiques propres à assurer le secret des communications alliées, ainsi que le silence sur les activités de renseignement des Chiffres. Enfin, nous pourrons interroger la pérennité de cette culture du secret après guerre, à travers les représentations et la mémoire de ces services et de leurs membres.

Le secret par le langage

La culture du secret par les termes techniques

La cryptographie, dite aussi « science du secret[10] » est un domaine qui existe depuis l’Antiquité et qui connaît un regain d’intérêt en Europe au cours du XIXe siècle, en lien avec l’évolution des télécommunications désormais vulnérables à l’interception. Cette discipline comporte un vocabulaire technique qui n’a de cesse de souligner le caractère secret de sa spécialité[11]. En effet, rien que le terme « cryptographie » (de kryptos « caché » et graphein « écrire » en grec ancien) renvoie au fait de dissimuler le contenu d’un message, en transformant le texte lisible et compréhensible, dit « en clair » en un enchaînement de caractères littéraux ou numériques, dit aussi « cryptogramme », n’ayant aucun sens pour qui n’en détient pas la clef (key en anglais)[12]. Selon qu’on le transforme mot à mot ou lettre à lettre, on dit qu’on le « code » à l’aide d’un dictionnaire ou qu’on le « chiffre » (cipher). Celui qui réalise ces opérations est un chiffreur (cipherer), tandis que celui qui fait l’inverse, du chiffré vers le clair, est un déchiffreur (decipherer). Ce dernier terme a deux acceptions au début du XXe siècle : un déchiffreur peut avoir déjà la clé et la connaissance du système employé en tant que destinataire authentique du message, mais le terme peut aussi désigner celui qui veut attaquer les communications adverses et doit chercher ces éléments[13].

Tous ces termes, familiers pour les spécialistes, sont plutôt étranges pour le grand public : à ce titre, ils sont presque systématiquement définis. Les milieux militaires et navals doivent se familiariser avec ces nouveaux mots, alors que le Chiffre y devient tout juste une entité propre, à la différence des cabinets noirs diplomatiques qui sont chose courante depuis le XVIIe siècle. Les membres du Chiffre sont ainsi initiés aux arcanes de la cryptographie et à ses expressions particulières dès lors qu’ils sont formés au chiffrement et au déchiffrement des messages, soit au sein d’un comité éphémère, soit au sein d’un service plus pérenne. En cela, la culture du secret du Chiffre réside d’abord dans le vocabulaire qui lui est propre.

Rendre évident le caractère secret des documents du Chiffre

Les activités du Chiffre ont trait à la correspondance secrète, qu’elle soit propre au pays tutélaire du service ou interceptée. Ce faisant, les documents qui organisent les services entérinent par le verbe le caractère secret de tout ce qui émane du Chiffre. La note secrète du 11 mars 1914, relative à l’organisation du service de la correspondance chiffrée dans l’Armée, souligne par exemple les principes de discrétion qui doivent être suivis vis-à-vis des systèmes de chiffrement conçus pour l’Armée française[14]. Ainsi, les dictionnaires chiffrés comme le système cryptographique S.D. (pour « sans dictionnaire »), prévus pour la communication en temps de guerre, « doivent être conservés en temps de paix sous pli cacheté[15] » soit au centre de mobilisation des autorités, soit dans les archives secrètes. De même, les clefs utilisées pour chiffrer les messages doivent être faciles à retenir car elles ne doivent être écrites nulle part. On rappelle plus loin que « [l]a sécurité de la correspondance chiffrée avec un dictionnaire reposant sur le secret de ce document, le détenteur doit prendre les plus grandes précautions pour éviter de laisser […] surprendre par l’ennemi, soit un dictionnaire chiffré, soit un texte chiffré accompagné de sa traduction en clair[16]. » La nécessité du secret du Chiffre est ainsi martelée avant et pendant la guerre dans de nombreux documents[17]. En temps de paix comme en temps de guerre, il est indispensable de faire preuve de discrétion vis-à-vis des documents du Chiffre, mais graver l’injonction dans les mémoires et les pratiques nécessite un peu de pédagogie. Comme à d’autres occasions, une note secrète de février 1917, émanant du 2e Bureau de l’Etat-Major du Grand Quartier Général des Armées du Nord et du Nord-Est, rappelle l’importance du secret des déchiffrements, mais ne s’étend pas sur les raisons d’un tel ordre[18] :

Une armée a récemment reproduit dans son bulletin de renseignements le texte d’un radio chiffré allemand intercepté et traduit.

Il est nécessaire de ne jamais faire une allusion indiscrète aux documents de ce genre, surtout dans des textes répandus à de nombreux exemplaires, jusqu’au front, sous peine de tarir une source précieuse de renseignements.

Il convient, en conséquence, de se conformer strictement aux prescriptions de la note secrète du 21 octobre 1914 de la Section du Chiffre.

Le fond du problème est assez clair, à savoir le risque de ne plus pouvoir lire les messages transmis par les Allemands. Néanmoins, il faut une note de juin 1917 pour expliciter le risque qu’il y a à parler sans prudence des exploits du Chiffre[19] :

L’ennemi sait parfaitement que nous captons ses messages et, s’il n’a eu recours jusqu’ici à des précautions sommaires et peu nombreuses, c’est qu’il ignore tout le parti qu’il a été possible de tirer de l’étude de ces documents. La moindre indiscrétion peut l’amener à adopter certaines mesures […] qui rendraient nos investigations très difficiles, voire impossibles.

Tous les belligérants sont conscients d’être interceptés par leurs ennemis. Néanmoins, ce que précise cette note, c’est que l’Allemagne n’a pas conscience d’être lue avec régularité par les services de renseignements français : une indiscrétion côté français pourrait provoquer une prise de conscience allemande et un changement de chiffres et de codes par l’armée du Kaiser, réduisant alors à néant les efforts du Chiffre français.

D’une façon moins pédagogique et plus péremptoire, le caractère secret des documents du chiffre est également martelé par la mention « secret » voire « très secret » qui est tamponnée généralement en haut des notes, ou précède le texte d’un télégramme traduit. Ainsi, il est d’usage de marquer de façon évidente les documents à caractère secret[20]. Ces papiers sont autant de notes, rapports, circulaires organisant les services du Chiffre que de déchiffrements de messages interceptés, relevés d’écoute ou bulletins de renseignement. Le tampon aisément repérable a deux buts primordiaux : d’abord, séparer les documents secrets, c’est-à-dire à diffusion restreinte, de la masse de notes que s’échangent les services militaires et navals ; ensuite, en cas d’avancée de l’ennemi et de risque de saisie de ces documents par un intrus, identifier rapidement ce qui doit être détruit en urgence.

Le secret par la dénomination détournée

Au cours de la guerre, les services du Chiffre compilent et transmettent des informations issues de déchiffrements de messages ennemis interceptés aux services de renseignement. Ce faisant, le secret de leurs découvertes permet de conserver ces sources. La culture du secret du Chiffre tient donc également au fait de ne pas mentionner l’origine de ses renseignements, conformément à la note citée ci-dessus, où il est exigé que soit bannie toute allusion au travail de déchiffrement des messages interceptés[21]. Cette exigence s’applique à la fois à des documents administratifs militaires, à la correspondance des soldats[22] et aux articles de presse[23]. L’interdiction de mentionner de façon claire la source du renseignement rejoint les principes du renseignement humain (ou espionnage) où l’identité d’une source est dissimulée par un nom de code. Pour ce qui est des sources du renseignement technique, on préfère des périphrases telles que « renseignements spéciaux » ou « secrets » au terme « interceptions ». Suivant la même logique, l’Attaché Naval britannique à Copenhague s’entend avec l’Amirauté pour systématiser la mention d’un certain Carl dans ses radiotélégrammes lorsqu’il faut confirmer discrètement la réception de comptes rendus de mouvements de navires envoyés par l’Amirauté, informations elles-mêmes obtenues par renseignement technique[24]. À l’inverse, en termes de provenances d’informations assumées, nous pouvons compter les interrogatoires de prisonniers, l’étude de la presse étrangère et celle des bulletins radios officiels transmis par les hauts-commandements : ces sources en partie ouvertes risquent moins de tarir, donc on s’inquiète peu de les compromettre.

De même, les noms courants des services du Chiffre britannique, Room 40 et M.I.1(b), sont obscurs pour qui n’est pas conscient de ce qu’ils abritent : rien n’indique dans ces appellations que ces bureaux s’occupent de déchiffrement. D’ailleurs, si Room 40 garde ce nom d’usage au long de la guerre, le Chiffre du War Office en porte trois différents avant d’obtenir le nom qui passe à la postérité : il s’appelle ainsi M.O.5(e) (pour Military Operations) puis M.O.5(b) entre septembre 1914 et mars 1915, puis M.O.6(b) courant 1915, avant de devenir M.I.1(b) en 1916[25]. De tels changements de noms ont pu également participer à la confusion des services de contre-espionnage ennemis.

Les pratiques de la culture du secret

Un petit monde compartimenté d’initiés

Le monde du Chiffre est une petite communauté. Ces hommes sont d’abord dans les bureaux des ministères, avant que des services annexes soient créés dans des unités plus proches du front. La section du Chiffre du GQG voit le jour le 5 août 1914, avant d’essaimer dans les Armées françaises en septembre 1914, tandis que le GHQ accueille une section du Chiffre dès que la Force Expéditionnaire Britannique touche le sol français. Ces sections débutent souvent à 4 ou 5 hommes et comptent au maximum quelques dizaines de membres à la fin de la guerre, répartis en sous-sections spécialisées dans l’étude des cryptogrammes d’une nation particulière, ou d’interceptions d’une région spécifique. Certes, les officiers français de cavalerie et brevetés d’État-Major sont censés être familiarisés au système de chiffrement S.D. dès le début des hostilités, mais peu sont conscients des capacités réelles des Chiffres français et britanniques. Deux mondes coexistent alors : d’une part, celui du chiffrement, connu des officiers pour assurer le bon fonctionnement des communications des forces armées et navales ; d’autre part, celui du déchiffrement des communications ennemies, maintenu dans l’ombre, loin des oreilles de l’ennemi. Une chape de plomb sépare ainsi les hommes de ce second monde du reste des officiers, en France comme au Royaume-Uni. Les membres du Chiffre jurent également de garder secrets leurs travaux, soit par un serment écrit pour les commissaires auxiliaires du Chiffre de la Marine française[26], soit par la signature de l’Official Secrets Act britannique de 1911. Leur commandement est intransigeant tout au long du conflit, n’hésitant pas à renvoyer ceux coupables d’errements ou d’indiscrétions[27].

À l’époque, Room 40 est le secret le mieux gardé de l’Amirauté : les résultats de ce service ne sont connus que d’une poignée de gradés britanniques, et Reginald « Blinker » Hall, le directeur du renseignement naval de 1914 à 1919, défend fermement ce secret[28]. Cela crée parfois des accrocs dans le bon fonctionnement de l’alliance franco-britannique en termes de renseignement technique, comme lorsqu’en 1916 les Français cherchent à savoir si les Anglais décryptent les télégrammes allemands échangés entre Berlin et Madrid. Ces télégrammes sont cruciaux pour suivre les intrigues que les Allemands mènent au Maroc français et en Algérie, où ils veulent provoquer un soulèvement des tribus locales pour ouvrir un nouveau front[29]. Le général MacDonough, directeur du renseignement militaire au War Office, leur répond que ce n’est pas le cas, alors que l’Amirauté intercepte et traduit déjà aisément les messages allemands de ce type[30]. Cet exemple illustre le secret jalousement gardé de Hall, mais également le caractère hermétique des services du Chiffre d’un même pays, puisque Room 40, dépendant de la direction du renseignement naval de l’Amirauté, ne communique ses résultats ni à M.I.1(b), son homologue terrestre, ni à la direction du renseignement militaire[31].

La compartimentation de ces services vis-à-vis du renseignement militaire ou naval se ressent également dans la séparation physique des locaux du Chiffre, question qui se pose à chaque déménagement, à cause de l’avancée de la ligne de front ou d’une augmentation des effectifs des services. Henry Olivari, bras droit du chef de la section du Chiffre du cabinet du ministre de la guerre de 1914 à 1916, doit participer à la « foire d’empoigne » qui se produit lors du déménagement des ministères de Paris vers Bordeaux début septembre 1914, face à l’avancée allemande : il réussit à obtenir tout le deuxième étage de l’Hôtel des postes de Bordeaux pour le Chiffre[32]. La séparation physique des locaux du Chiffre semble être acquise dès le début de la guerre, eût égard au caractère secret de ses travaux. Room 40 tient par exemple son nom du bureau n°40 des vieux bâtiments de l’Amirauté, où la section du Chiffre naval est installée à ses débuts, et le conserve même après s’être étendu dans d’autres locaux. Les locaux de M.I.1(b) sont installés, eux, à quelques pas de Whitehall (cœur du War Office à Londres), sur Cork Street à Londres[33]. Enfin, les services du Chiffre de l’État-Major Général de la Marine sont divisés : deux bureaux sont consacrés aux déchiffreurs de la 1re section de l’EMG, chargée du renseignement naval, et deux autres bureaux accueillent les chiffreurs de la 3e section de l’EMG, chargée du chiffrement des messages français[34].

Des principes de chiffrement garants du secret

Cette culture du secret passe aussi par des pratiques de chiffrement conformes aux principes énoncés dès 1883 par Kerckhoffs[35]. Pour les appliquer et fluidifier le chiffrement des dépêches, des officiers spécialistes du chiffre sont détachés dans les armées et missions françaises dès septembre 1914. Une difficulté persiste néanmoins dans le fait que ces principes soient intégrés par le commandement, ou qu’au moins les commandants d’unité, sur le front comme à l’arrière, y soient sensibilisés.

Le premier principe est le suivant : on doit tout chiffrer dans un message, et pas seulement une partie qui pourrait paraître sensible. Chiffrer intégralement renforce la sécurité du chiffre en empêchant que l’ennemi ne procède par tâtonnements dès l’identification du type de mot dissimulé. Ce principe de base peine à être respecté totalement, puisque nous en trouvons un rappel dans une note britannique d’octobre 1918[36]. Pour réduire le temps de chiffrement de façon raisonnable (entre vingt minutes et deux heures, selon la longueur et la complexité du système), il faut également rédiger les messages les plus succincts possibles et éviter les formes stéréotypées qui permettraient à l’ennemi de reconstituer les clefs utilisées[37].

Le deuxième principe proscrit de réexpédier en clair un message d’abord transmis chiffré, même si c’est pour obtenir une réponse pressante. Nombreuses sont les notes françaises qui déplorent cette pratique calamiteuse dès 1914. Le chef du cabinet du ministre de la guerre rappelle ainsi que confirmer en clair des télégrammes envoyés chiffrés « a pour conséquence de livrer le secret de plusieurs de nos chiffres confidentiels[38] », puisqu’il suffit à l’ennemi de comparer un message chiffré intercepté avec le message en clair comportant le même en-tête indicatif et le même nombre de caractères pour percer le secret d’un système de chiffrement français.

Un troisième principe veut que la clef utilisée soit aisée à retenir sans avoir besoin de l’écrire, pour éviter qu’elle tombe entre de mauvaises mains si l’on vient à être fait prisonnier par l’ennemi. En suivant la même logique, il est indispensable de détruire les brouillons de chiffrement et de déchiffrement, pour ne pas trahir le secret des systèmes employés[39]. Pour ce qui est de la destruction des dictionnaires chiffrés et des carnets de chiffrement sans dictionnaire, il faut de plus consigner leur incinération dans un procès-verbal[40]. Progressivement, et à force de répétitions nombreuses, les gestes énumérés plus haut deviennent des réflexes du personnel du Chiffre comme du personnel des transmissions, français comme anglais.

La culture du secret du Chiffre relative au chiffrement des communications part également du postulat suivant : un système de chiffrement ne peut être infaillible ad vitam æternam. La conscience de la non-pérennité des codes et chiffres se développe à force de briser les systèmes ennemis et de lire des messages interceptés contenant des renseignements ne pouvant provenir que des communications de l’Entente[41]. Une dynamique de remplacement des chiffres et des codes alliés se met en place dès le début des hostilités et s’accentue au cours du conflit. Avec le temps, les chiffreurs deviennent plus critiques à l’égard de la pérennité des systèmes instaurés. En lien avec le remplacement des systèmes de chiffrement, émerge ainsi un service particulier côté britannique : l’Intelligence E(c) du GHQ, chargé de vérifier la résistance des systèmes avant leur validation pour l’emploi par les forces armées[42].

La paraphrase au service du secret

Pour communiquer secrètement les messages interceptés qu’on a déchiffrés, il faut les chiffrer avant de les transmettre, car la transmission par l’Entente de messages ennemis en clair serait suspecte. On reformule alors le message en réduisant sa taille ou en changeant l’ordre des phrases avant de le chiffrer par un système allié avant l’envoi[43]. Cette pratique de la paraphrase est obligatoire autant pour la transmission entre les services d’une même nation, qu’entre alliés[44]. Elle empêche l’ennemi d’identifier immédiatement la source de l’information et le pousse à mettre la fuite sur le compte d’un interrogatoire ou d’espionnage humain, plutôt que de soupçonner directement qu’on puisse le lire. Cela dit, certains messages interceptés trahissent une suspicion ponctuelle de la part de l’Allemagne en 1916 par exemple[45]. Le cas du télégramme Zimmermann est une exception à cette règle : en janvier 1917, Room 40 déchiffre un message allemand qui peut faire l’effet d’une bombe diplomatique. Pour éviter d’éventer la source, à savoir un câble sous-marin neutre que l’Allemagne utilise sans se douter d’y être surveillée par l’Angleterre, la paraphrase semble la plus adéquate, or elle desservirait l’objectif du directeur du renseignement naval, Hall, qui veut que le texte soit exactement celui qui a été envoyé par Zimmermann. Hall fait donc en sorte d’obtenir un autre chiffrement de ce même télégramme, pour faire croire à un acte d’espionnage plutôt qu’à une interception[46].

Les silences du Chiffre après la guerre

Silence, secret et mépris extérieur

Lorsque la Première Guerre mondiale s’achève, on pourrait s’attendre à ce que le secret du Chiffre soit levé. Néanmoins, le spectre d’une revanche amène à retarder les révélations des actions des services du Chiffre. Cela n’empêche pas les Allemands d’apprendre des erreurs commises puisque, comme le signale R.E. Priestley dans un ouvrage de l’immédiate après-guerre, Hindenburg affirme que la victoire de Tannenberg d’août 1914 est due en partie au renseignement technique allemand et au manque de précautions des transmissions russes[47]. L’expérience acquise au cours de la Grande Guerre et la prise de conscience de l’importance de la cryptographie poussent probablement les Allemands à se tourner vers le chiffre mécanisé par la suite.

Le secret est toutefois maintenu côté allié dès l’armistice, pendant la Conférence de la Paix de Versailles et encore après : même en temps de paix, on s’observe et on intercepte les communications des anciens adversaires comme celles des alliés. Ce secret maintenu empêche les chiffreurs de briller dans leur cercle privé comme dans la vie publique, eux dont l’image est ternie par le mépris qu’on témoigne aux « embusqués », terme péjoratif désignant ceux qui ont agi à l’abri des bureaux des ministères. Certes, ils reçoivent des lettres de félicitations de leur hiérarchie, mais ont pour consigne de rester discrets[48]. Certains créent de nouveaux espaces, comme les chiffreurs français qui se réunissent dès la fin des années 1920 dans des amicales de réservistes[49] : cette communauté participe en quelque sorte à faire perdurer la culture du secret du Chiffre dans un entre-soi où les réservistes se retrouvent pour des exercices de chiffrement et de déchiffrement et se remémorent des événements de la guerre[50].

Mémoires, histoires et conférences sur le Chiffre pendant l’Entre-Deux-Guerres

De nombreux historiques, souvenirs, histoires non-officielles, ou chapitres solitaires occupent les différents fonds d’archives. Si ces documents sont désormais accessibles sans dérogation, nous pouvons nous intéresser à leur statut à la sortie de la guerre, au prisme de la culture du secret du Chiffre. La plupart de ces souvenirs n’atteint pas le stade de la publication, soit par réserve de leur auteur, conscient de risque pour le Chiffre si l’ouvrage devenait accessible au grand public, soit par intervention des autorités militaires ou navales qui en interdisent la parution. Le premier cas de figure semble être assez courant en France : ainsi, ni l’Historique du Chiffre, de l’Origine au 28 mai 1921 signé par Manusia, pseudonyme pris par Marcel Givierge, chef de la section du Chiffre du GQG français de 1914 à 1917[51], ni ses souvenirs[52], ni ceux d’Olivari, envoyé en mission en Russie puis en Italie entre 1916 et 1918[53], ne sont publiés. Pour ceux qui paraissent, soit la censure est passée par là, soit le devoir de réserve a muselé l’auteur qui reste laconique sur les activités du Chiffre pendant la guerre. C’est le cas du Traité de cryptographie de Lange et Soudart[54], tous deux anciens du Chiffre du GQG, se bornent à un exposé très théorique sur les principes de la cryptographie et passent brièvement sur la période de la Grande Guerre. De même, les conférences de Givierge, quoique données dans un cadre militaire, ne mentionnent pas les exploits du Chiffre français[55]. Les souvenirs de François Cartier, chef du Chiffre du cabinet du ministre de la guerre tout au long de la Grande Guerre, sont publiés dans la revue Radio-électricité en 1923 et 1924, mais contiennent également fort peu d’informations sur les travaux du Chiffre français à cette période[56]. Certes, un article paru dans la Revue des Deux Mondes en 1935, intitulé « La guerre des Chiffres »[57], laisse présager des révélations tonitruantes sur les activités du Chiffre mais, bien peu renseigné sur les cas français et anglais, il ne reprend que des informations contenues dans l’ouvrage de Herbert O. Yardley, Le Cabinet noir américain[58].

Côté britannique, on trouve également de nombreux manuscrits historiques à Kew, mais les documents les plus courants sont des souvenirs rédigés après la Seconde Guerre mondiale, une fois que la pression du secret et de l’Official Secrets Act est moins prégnante. En effet, pendant l’Entre-Deux-Guerres, les autorités navales et militaires, ainsi que des chiffreurs œuvrant au sein de la Government Code & Cypher School (GC&CS), émanation née de la fusion entre Room 40 et M.I.1(b) en 1919, veillent au grain en guettant les conférences et publications au sujet du Chiffre. Le premier volume du récit de la guerre menée par la Marine allemande, écrit par Frank Birch et William Clarke[59], deux anciens de Room 40, aurait pu être publié dans les années 1920, mais l’Amirauté intervient pour empêcher cette parution, sous prétexte que cela causerait un embarras considérable à la Marine britannique. Un autre article de Birch, rédigé en 1919, reste à l’état de manuscrit[60]. On trouve également un tapuscrit intitulé History of M.I.1(b), dont l’auteur anonyme est peut-être le Major Brooke-Hunt, chef de la section militaire de GC&CS de 1919 à 1922, et qui reste à l’état d’étude historique non publiée[61]. En 1927, à la suite d’une conférence donnée par Sir Alfred Ewing, premier chef de Room 40, une lettre est envoyée à l’ensemble des anciens déchiffreurs de ce service par le secrétaire permanent de l’Amirauté, Sir Oswyn Murray. Murray affirme, au sujet des projecteurs soudainement tournés sur Room 40 par la conférence d’Ewing, donnée à Edinburgh et diffusée par la presse : « Il va sans dire que les responsables de l’Amirauté s’inquiètent sérieusement de la révélation d’informations qu’ils ont toujours considérées comme extrêmement secrètes.[62] » Il rappelle également les principes des Official Secrets Act de 1911 et 1920 et encourage les anciens de Room 40 à maintenir la même discrétion qu’ils ont observée jusque là : la conférence d’Ewing est une erreur à ne pas reproduire.

Cette nécessité du secret quant aux réussites de Room 40 et de son homologue militaire se retrouve dans la plupart des documents du carton TNA, HW 3/13, avec parfois plus d’explications que les critiques lapidaires citées ci-dessus. La censure agit bel et bien puisqu’en réponse à une lettre de 1930 de Clarke, chef de la section navale de GC&CS depuis 1924, qui émet des réserves quant à la publication d’articles sur le Chiffre dans le Weekly Dispatch par un homme n’y ayant jamais pris part, alors même que ceux qui ont travaillé dans ce service en gardent encore fidèlement les secrets (c’est Clarke qui insiste sur ce point), Oswyn Murray signale que la direction du renseignement naval elle-même a censuré les passages gênants et a finalement validé la publication de ces articles, qu’il dit sans risque et absolument sans saveur[63]. Pendant l’Entre-Deux-Guerres, on peut donc considérer qu’un verrou est resserré sur les secrets du Chiffre, en France comme en Angleterre.

Une redécouverte tardive

Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que les langues se délient au sujet du renseignement technique de la Grande Guerre. L’injonction du secret porte désormais sur d’autres exploits, bien plus proches chronologiquement parlant : ceux réalisés par Bletchley Park contre les machines chiffrantes des puissances de l’Axe.

Ainsi, on parle plus aisément de la période antérieure : une note historique sur le télégramme Zimmermann est écrite par Nigel de Grey en octobre 1945[64] et, dès 1950, Clarke réunit ses souvenirs sur le Chiffre de 1914-1918 pour les compiler dans une History of Room 40 O.B.[65]. Côté français, les années 1950 sont marquées par la publication des souvenirs de Cartier, d’abord dans le Bulletin de l’ARC (Amicale des Réservistes du Chiffre)[66], puis dans la Revue des transmissions[67], où il précise le rôle du Chiffre entre 1914 et 1918. Dans les années 1960, Marcel Guitard et Georges-Jean Painvin, un des meilleurs déchiffreurs de la Grande Guerre, font de même[68]. À l’occasion d’un dîner de l’ARC, Painvin est même confronté à son homologue allemand, Fritz Nebel, et lui apprend ce que ce dernier ignorait encore : les déchiffreurs français sont venus à bout d’un système de chiffrement allemand très complexe de la fin de la guerre, le GeDeFu 18 (ou ADFGVX en version française), allant jusqu’à qualifier un radiotélégramme intercepté chiffré de cette façon de « radiogramme de la victoire »[69] !

Conclusion

La culture du secret au sein du Chiffre est une évidence partagée par tous ses membres pendant la guerre : le langage technique et la périphrase deviennent familiers, les gestes et pratiques se diffusent, quoique nécessitant parfois la répétition régulière d’ordres et de circulaires, et l’injonction du secret est comprise par tous. Pareille culture est similaire pour les officiers de renseignement qui coopèrent avec les déchiffreurs, mais reste moins naturelle pour les transmetteurs qui envoient et reçoivent des messages chiffrés à longueur de journée, à l’exception des postes spéciaux d’écoutes dont l’activité est tout aussi sensible. Le secret du Chiffre est néanmoins respecté à la longue par ceux qui y sont sensibilisés. Pendant la durée de la guerre, les commandants d’unité ont certes besoin d’un temps d’adaptation pour intégrer ce besoin de secret qui doit parfois avoir la priorité en situation d’urgence, pour ne pas compromettre le système ou la clé en usage, mais, à partir de 1916, ils deviennent nombreux à demander des carnets pour sécuriser leurs échanges par des moyens de communication que le Chiffre ne croyait pas pouvoir protéger sur le long terme, tels le téléphone.

Secret jalousement gardé pendant la Grande Guerre, les activités des Chiffres britanniques et français restent inconnues du grand public pendant l’Entre-Deux-Guerres, au nom du secret d’État et de la sécurité de la nation[70], tandis que les contemporains redoutent que la « der des ders » ne soit pas le dernier des conflits armés sur le sol européen. Les services cryptographiques protègent ainsi leurs mystères et veillent à ce que les échos de leurs exploits ne parviennent pas aux oreilles des anciens adversaires. Ce n’est qu’après le choc de la Seconde Guerre mondiale, qui marque l’avènement des machines chiffrantes telles la célèbre Enigma, que les récits de la période du chiffre manuel foisonnent, d’abord dans les archives, puis bientôt dans les revues à faible tirage, avant de faire l’objet d’études historiques de plus en plus nombreuses, parmi lesquelles les ouvrages pionniers de Barbara W. Tuchman[71] et de David Kahn[72]. Les Chiffres de la Première Guerre mondiale ont désormais plus de cent ans : l’heure n’est plus à la culture du secret, mais à l’histoire de cette culture.


[1] Parmi lesquels : Auguste Kerckhoffs, « La Cryptographie militaire », Journal des Sciences militaires, Janvier 1883, p. 5-38, Février 1883, p. 161-191.

[2] En termes de graphie du mot « chiffre », une majuscule en initiale désigne le service tandis qu’une minuscule renvoie à un principe de transformation d’un texte compréhensible en un message illisible.

[3] La France fonde la section du Chiffre du cabinet du ministre de la guerre le 27 juillet 1912.

[4] Spécialité visant à identifier et localiser des postes émetteurs de TSF.

[5] Même si le terme « homme » est utilisé dans cet article, quelques femmes ont été identifiées dans les listes de personnel du Chiffre britannique de la Première Guerre mondiale. Ce sont essentiellement des secrétaires qui ne prennent part ni au chiffrement des communications alliées ni au déchiffrement des messages interceptés, mais elles ont le secret du Chiffre à cœur et partagent cette culture.

[6] En français : le bureau 40.

[7] Les archives du Service Historique de la Défense (par la suite SHD) qui nous intéressent sont les séries GR 5 N (Cabinet du Ministre), GR 7 N (Etat-Major de l’Armée et Attachés Militaires), GR 16 N (Grand Quartier Général) et MV SS (Marine française pendant la Grande Guerre). Celles de l’Espace Ferrié (par la suite EF) viennent surtout de la série G (Fonds de l’ARCSI, Association des Réservistes du Chiffre et de la Sécurité de l’Information).

[8] Nous utilisons les séries ADM 137 (Amirauté, section historique), ADM 223 (Amirauté, Division du renseignement naval), HW 3 (Government Code and Cypher School et prédécesseurs, histoires non-officielles, documents personnels), HW 7 (Room 40 et successeurs, histoires officielles de la Première Guerre mondiale) et WO 106 (War Office, correspondance du renseignement militaire).

[9] John Ferris (ed.), The British Army and Signals Intelligence during the First World War, (Publications of the Army Records Society, Vol. 8), Wolfeboro Falls, N.H., Alan Sutton Publishing Inc., 1992.

[10] Olivier Brun, « Cryptologie », in Hugues Montouh, Jérôme Poirot (dir.), Dictionnaire du renseignement, Paris, Perrin, 2018, p. 231-233.

[11] Le vocabulaire technique de ce domaine est ici établi d’après les documents suivants : Auguste Kerckhoffs, « La Cryptographie militaire », op. cit. ; J. Anizan, « La Télégraphie et la Cryptographie », Journal télégraphique, volume XVII, n°10, Octobre 1893, p. 221-223 et n°11, Novembre 1893, p. 245-249 ; Etienne Bazeries, Les Chiffres secrets dévoilés, Paris, Librairie Charpentier et Fasquelle, 1901 ; J. Anizan, « La cryptographie et la télégraphie sans fil », Journal télégraphique, volume XXXIII, n°2, Février 1909, p. 25-29 ; F. Edward Hulme, Cryptography. The History, Principles, and Practice of Cipher-Writing, Londres, Ward, Lock and Co. Limited, 1898 ; E.-C. Clifton et Adrian Grimaux, A new dictionary of the French and English languages, Paris/Londres, Garnier Brothers/Hachette and Co, 1905.

[12] La cryptographie assume ouvertement le caractère brouillé de son contenu : à l’inverse, la stéganographie dissimule un texte sous un autre à l’apparence innocente, notamment par encre sympathique.

[13] De nos jours, on dit qu’on « déchiffre » lorsqu’on dispose à l’origine de la clef, mais qu’on « décrypte » un message intercepté.

[14] SHD, GR 5 N 7, Note secrète du 11 mars 1914 relative à l’organisation et au fonctionnement du service de la correspondance chiffrée dans l’Armée ; SHD, GR 7 N 10, Note secrète du 27 juillet 1912.

[15] SHD, GR 5 N 7, Note secrète du 11 mars 1914, p. 2-3.

[16] Ibidem, p. 9-10.

[17] SHD, GR 5 N 7, Note secrète de 1913 qui rappelle que « le système cryptographique S.D. doit rester secret en temps de paix » ; SHD, GR 16 NN 215, Note secrète n°22 632 où est écrit : « Il est rappelé que tout ce qui a trait à la TSF allemande et aux déductions que l’on peut tirer de l’étude de ses transmissions a un caractère rigoureusement secret. » Les passages soulignés le sont dans les documents d’origine.

[18] SHD, GR 16 NN 215, Note secrète n°8156 du 09/02/1917, pour les 2e Bureaux (Renseignement) des Etats-Majors des différentes armées françaises. Elle est reproduite ici intégralement.

[19] SHD, GR 16 NN 215, Note secrète n°22632 du 25/06/1917 (extraits).

[20] Cette pratique se calque sur celle des services de renseignement et n’est pas l’apanage du Chiffre.

[21] SHD, GR 16 NN 215, Note secrète n°22632 du 25/06/1917.

[22] L’article intitulé « Les combats autour de Reims – Lettre d’un mobilisé parisien à son Patron » (in Le Petit Parisien, n°13870, 21/10/1914, p. 2), reproduit une lettre qui a échappé à la Censure malgré ce passage portant atteinte au secret du Chiffre : « On nous avait dit dans la journée qu’on avait intercepté un radiotélégramme du Kaiser, qui ordonnait à toutes ses armées de reprendre l’offensive. » Le même jour, une note rappelle l’importance du secret des découvertes du Chiffre (SHD, GR 19 N 1417, note du 21/10/1914, relative à la diffusion de la clef allemande).

[23] SHD, GR 7 N 1257, Télégramme du 17/12/1914 de Delcassé.

[24] The National Archives (par la suite TNA), ADM 223/759, télégramme du 08/10/1918 envoyé de Copenhague pour la Direction du Renseignement Naval de l’Amirauté ; TNA, ADM 223/759, télégramme du 09/10/1918 de Copenhague pour Amirauté : « Carl reports nothing passed during night. » [Trad : Carl rapporte qu’il ne s’est rien passé pendant la nuit.]

[25] TNA, HW 3/184, le premier onglet du carton porte les quatre noms successifs du service.

[26] SHD, MV SS Ea 209bis, Reconnaissance du secret du Chiffre datée du 10/09/1916 par Jules Aubry, Reconnaissance du secret du Chiffre datée du 25/02/1918 par Marius Auzière.

[27] SHD, MV SS Ea 204, Note n°845 du 26/01/1918 pour l’EMG, au sujet de Forest, renvoyé pour bavardage imprudents, Note du 31/05/1918, rapport au Ministre au sujet de Terrenoir, licencié pour mœurs incompatibles avec sa charge.

[28] James Wyllie et Michael McKinley, The Codebreakers. The True Story of the Secret Intelligence Team That Changed the First World War, Londres, Ebury Press, 2015. L’Amiral Hall y est décrit comme un gardien du secret féroce tout au long du premier chapitre.

[29] Harry Richards, « Room 40 and German intrigues in Morocco : re-assessing the operational impact of diplomatic cryptanalysis during World War I », Intelligence and National Security, Volume 32, n°6, p. 833-848.

[30] SHD, GR 7 N 1267, Télégramme n°809CH. du 03/04/1916 de Cartier, chef de la section du Chiffre du cabinet du ministre de la guerre, pour l’Attaché militaire français à Londres ; SHD, GR 7 N 1267, Réponse du 04/04/1916 de l’Attaché militaire pour Cartier. Les déchiffrements de l’Amirauté des télégrammes allemands sont dans les cartons TNA, ADM 223/736 à TNA, ADM 223/741.

[31] Cette compartimentation semble s’amenuiser au cours de la guerre puisqu’entre 1917 et 1918, des officiers du renseignement militaire sont détachés auprès de Room 40, d’après Frank Birch, A History of British Sigint, 1914-1945. Vol. I – British Sigint, 1914-1942, p. 7. (TNA, HW 43/1)

[32] Henry Olivari, Souvenirs (I) du Colonel Olivari. Service de renseignements – Cryptographie militaire, écrits en décembre 1953, p. 13. (EF, 4A23)

[33] David Kahn, The Codebreakers. The Story of Secret Writing, New York, Scribner, 1996, p. 310.

[34] SHD, MV SS F 1, Note du 16/07/1917, répartition des locaux attribués à l’Etat-Major Général de la Marine, p. 2, et Note du 22/11/1917, officiers de l’EMG, avec indication du numéro des pièces occupées, p. 1-2.

[35] Auguste Kerckhoffs, « La Cryptographie militaire », op. cit.

[36] TNA, ADM 137/4701, Note Int.E(c) 3030/1 du 05/10/1918 rappelant les précautions à suivre lorsque l’on chiffre.

[37] TNA, ADM 137/4701, Note Int.E(c) 3030/4 du 12/10/1918 : « Be as concise as possible. The shorter the message, the less material the enemy will have to work upon. » [Trad. : Soyez aussi concis que possible. Plus le message sera court, moins l’ennemi aura de prise pour le percer.]

[38] SHD, GR 6 N 10, Notification n°3300 D du 04/10/1914 sur les télégrammes chiffrés confirmés en clair.

[39] SHD, GR 16 N 25, Système Cryptographique simplifié n°1 Modèle 1912, p. 4 ; TNA, ADM 137/4701, Note du 11/05/1918 au sujet de la perte et de la destruction de documents relatifs au chiffre.

[40] SHD, GR 19 N 1736, Note n°8093/M du 22/08/1916 du Chiffre du GQG et Procès-verbal n°728/2 du 11/04/1917, rendant compte de l’incinération de 524 carnets de chiffre pour le téléphone.

[41] John Ferris, op. cit., p.117 : extrait d’une note secrète n°O.B/2032 du 30/04/1917 envoyée par la Troisième Armée britannique au GHQ britannique. : « Information has been received that wireless messages sent in Playfair Cipher have been deciphered by the enemy. » [Trad : On nous a informé que les messages radio chiffrés en Playfair ont été déchiffrés par l’ennemi.] La note propose de changer de chiffre pour les communications par TSF.

[42] TNA, ADM 137/4701, Ensemble de lettres secrètes rangées dans l’onglet « 3010 – Criticisms », au sujet de la pertinence ou non de différents systèmes proposés.

[43] TNA, ADM 137/4699, Lettres secrètes du 16/07/1917 et du 22/12/1917, où l’Amirauté rappelle au poste de Malte qu’il faut transmettre les interceptions en les chiffrant.

[44] TNA, HW 7/24, Lettre secrète de French à Hall du 12/12/1915 où l’on peut lire « I propose telling […] that you have agreed to give me paraphrases of all intercepted Zeppelin messages. » [Trad. : je propose de signaler que vous avez accepté de me donner les paraphrases des messages [TSF] des Zeppelins interceptés.]

[45] SHD, GR 5 N 82, Télégrammes allemands interceptés datés du 3, 14 et 16/05/1916, entre l’Ambassadeur allemand à Madrid et les Affaires Étrangères de Berlin. On peut y lire : « Il est maintenant absolument hors de doute que le chiffre et la clef sont connus à Paris. » (03/05/1916).

[46] Voir Barbara W. Tuchman, The Zimmermann Telegram, New York, Viking Press, 1958, pour plus d’informations.

[47] Raymond Edward Priestley, The Signal Service in the European War of 1914 to 1918 (France), Londres, W. & J. Mackay & Co., 1921, p. 151.

[48] EF, 39G, Lettre de félicitations du 05/07/1921 adressée au capitaine Painvin.

[49] Créées en 1928, ce sont l’A.O.R.S.C. (pour Amicale des officiers de réserve des sections du Chiffre de l’Armée de Terre) et l’A.O.R.I.C. (pour Amicale des officiers de réserve interprètes et du chiffre de la Marine).

[50] Assemblée Générale Constitutive, « Statuts de l’Amicale des Réservistes du Chiffre », Bulletin de l’ARC, décembre 1954.

[51] Marcel Givierge, Historique du Chiffre, de l’Origine au 28 mai 1921, 5 tomes. (SHD, GR 1 K 842/1)

[52] Marcel Givierge, Au service du chiffre. 18 ans de Souvenirs, 1907-1925, 1930. (Paris, BnF, fonds NAF 17573-17575)

[53] Henry Olivari, Souvenirs (I) du Colonel Olivari. Service de renseignements – Cryptographie militaire, décembre 1953. (EF, 4A23) Une autre partie des souvenirs d’Olivari, Souvenirs (II) du Colonel Olivari. Une mission cryptographique française en Russie (avril-novembre 1916), décembre 1953 (EF, 39G) a été éditée et publiée par Gilbert Eudes sous le titre Mission d’un cryptologue français en Russie, Paris, L’Harmattan, 2009 (Histoire de la défense).

[54] André Lange et É.-A. Soudart, Traité de cryptographie, Paris, Librairie Félix Alcan, 1925.

[55] Conférences données par Marcel Givierge en 1921 et 1927.

[56] François Cartier, « Le service d’écoute pendant la guerre », Radio-électricité, 1er et 15 novembre 1923 ; François Cartier, « Généralité sur la cryptographie », Radio-électricité, avril 1924.

[57] Albert Pingaud, « La guerre des Chiffres », Revue des Deux Mondes, Vol. XXVII, 1er mai 1935, p. 897-909.

[58] Herbert O. Yardley, The American Black Chamber, Bobbs-Merrill, 1931. La traduction française paraît en 1935 aux Editions de la Nouvelle Revue Critique.

[59] Frank Birch et William Francis Clarke, Contribution to the History of German Naval Warfare, 1914-1918, trois volumes, circa 1919. (TNA, HW 7/1, HW 7/2, HW 7/3 et HW 7/4)

[60] Frank Birch, « Intelligence », 1919 (TNA, HW 3/8)

[61] Anonyme (Godfrey Leveson Brooke-Hunt ?), History of M.I.1(b), 1919-1923. (TNA, HW 7/35)

[62] TNA, HW 3/13, Lettre de O. Murray du 16/12/1927 au sujet de la conférence de Sir Alfred Ewing de la veille. [Texte original: Needless to say, the Lords of the Admiralty view with grave concern this disclosure of information which has at all times been regarded by them as of the utmost secrecy.]

[63] TNA, HW 3/13, Lettre de W.F. Clarke du 01/02/1930 ; Réponse de Sir Oswyn A.R. Murray du 19/02/1930.

[64] TNA, HW 3/177, brouillon d’une note du 31/10/1945 de Nigel de Grey.

[65] William Francis Clarke, History of Room 40 O.B., 1951-1959. (TNA, HW 3/3) ; Id., « Intelligence and its use », 1951. (TNA, HW 3/8)

[66] François Cartier, « Souvenirs du Général Cartier », Bulletin de l’A.R.C, n°1-2, Mai-Juillet 1958, p. 13-22 ; n°3-4, Décembre 1958, p. 25-61.

[67] François Cartier, « Souvenirs du Général Cartier », Revue des Transmissions, n°85, juillet-août 1959, p. 23-39 ; n°87, novembre-décembre 1959, p. 13-51.

[68] Georges-Jean Painvin, « Conférence de M. Georges-Jean Painvin », Bulletin de l’A.R.C., n°7, Mai 1961 : p. 5-47 ; Marcel Guitard, « Conférence de Marcel Guitard », Bulletin de l’ARC, n°7, Mai 1961 : p. 47-52.

[69] Collectif, « Le Face à face du Cinquantenaire », Bulletin de l’ARC., décembre 1968, p. 2-39.

[70] Olivier Forcade, Sébastien Laurent, Secrets d’État. Pouvoirs et renseignement dans le monde contemporain, Paris, Armand Colin, 2005.

[71] Barbara W. Tuchman, The Zimmermann Telegram, New York, Viking Press, 1958.

[72] David Kahn, The Codebreakers. The Story of Secret Writing, New York, Scribner, 1967.

 

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