Olivia Parizot
Résumé
Parmi les offices de bouche de l’hôtel royal, l’écuyer tranchant a la tâche délicate de découper et servir les aliments destinés au roi. A la fin du Moyen Âge, la publication de plusieurs traités de découpe témoigne de l’intérêt porté à la fonction. En 1423, Enrique de Villena, un noble castillan d’ascendance royale, rédige l’Arte Cisoria à la demande de Sancho de Jarava, écuyer tranchant du roi Jean II de Castille. L’auteur, qui a lui-même exercé en tant qu’écuyer tranchant lors du banquet de couronnement de son cousin Ferdinand de Antequera en 1414, offre un témoignage précieux sur les pratiques de cet office. L’analyse de l’ouvrage permet de comprendre l’importance dévolue à la fonction qui dépasse le simple cadre domestique et revêt un caractère honorifique.
Olivia Parizot : Doctorante en histoire médiévale à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (Laboratoire ESR), je prépare une thèse sous la direction de M. Bruno Laurioux sur le sujet « La découpe des aliments en Europe du XIIIe au XVe siècle : normes, pratiques et représentations ». Mes recherches portent principalement sur la personne de l’écuyer tranchant à qui incombe la tâche délicate de découper les aliments à la table du seigneur. Centrée sur les péninsules ibérique et italienne, lieux de publication des premiers traités de découpe, mon étude s’appuie sur l’analyse et la confrontation de sources prescriptive et normative – notamment les Ordinacions de Pierre IV d’Aragon – ainsi que sur les archives de la couronne d’Aragon et du royaume de Valence.
Sancho de Jarava amigo : yo, don Enrique de Villena, tío de nuestro señor el rey e uno de los del su consejo […] me fue nunçiado parte deseávades saber sy en el cortar de cuchillo ante rey o señor alguno oviese arte, syquiere çierta regla por donde mejor se feziese e que fuese demostrable…[1]
Dans son explicit, Enrique de Villena évoque en quelques mots les raisons qui l’ont conduit à rédiger un traité sur la découpe des aliments : il répond à la demande de Sancho de Jarava, écuyer tranchant du roi de Castille Jean II, désireux de savoir « s’il existait un art de la découpe et des règles à suivre pour s’améliorer [dans l’exercice d’une telle pratique] ».
Publié en 1423 en langue castillane, l’ouvrage d’Enrique de Villena est le plus ancien traité de découpe qui nous soit parvenu. Témoignage précieux sur l’art des écuyers tranchants, chargés de découper et servir les aliments à la table royale ou princière, l’ouvrage révèle également toute l’importance que revêtait la codification des repas solennels à la cour. Parce que le banquet doit magnifier celui qui l’organise, il repose non seulement sur l’abondance des mets mais aussi sur un service de qualité. À la table du roi ou du prince évoluent ainsi les « gentilshommes servants » qui assurent le service et participent à la dimension théâtrale du repas. En déployant sa dextérité dans la manière de découper les aliments, l’écuyer tranchant prenait pleinement part à la cérémonie du repas et offrait aux convives un véritable spectacle. Exercée ponctuellement par les grands du royaume, la fonction se professionnalise progressivement comme en témoigne la publication de traités de découpe en Espagne et en Italie[2] à la fin du Moyen Âge.
L’ancienneté de l’Arte Cisoria pose d’emblée la question du caractère novateur de l’œuvre – s’agit-il du premier traité en matière de découpe ? – et de la primauté de l’Espagne dans ce domaine, primauté d’autant plus surprenante qu’aucun autre ouvrage de ce genre n’est publié durant le Moyen Âge en Castille. Des préceptes de découpe sont bien mentionnés par la suite mais ces règles s’insèrent dans des livres de cuisine catalans et n’ont pas la même importance que le texte de l’Arte Cisoria[3].
Il existe deux manuscrits du traité d’Enrique de Villena, l’un conservé à la bibliothèque Menéndez Pelayo de Santander et l’autre à la bibliothèque royale de l’Escurial. L’édition la plus récente de l’Arte Cisoria publiée en 1984 par de Russell V. Brown s’appuie principalement sur le manuscrit de Santander, « indubitablement plus ancien » selon Russell V. Brown[4]. Acquis à la fin du xixe siècle par le philologue et historien espagnol Marcelino Menéndez Pelayo, le manuscrit de Santander compte quarante-quatre folios reliés en parchemin et portant une numérotation romaine. Le texte, écrit en lettres minuscules, est disposé en une seule colonne d’environ trente lignes par folio. L’explicit du manuscrit indique qu’il a été rédigé dans la villa d’Iniesta – résidence principale d’Enrique de Villena – par son secrétaire Graviel Gutiérrez de Bernido qui le termina le samedi 28 octobre 1424. Il s’agirait donc d’une copie de l’original qu’Enrique de Villena déclare avoir achevé treize mois auparavant, le lundi 6 septembre 1423 dans sa villa de Torralva en Castille[5]. Emilio Cotarelo y Mori, un des premiers à avoir étudié la vie et l’œuvre d’Enrique de Villena, en a déduit que cette copie devait appartenir à Gutiérrez de Bernido puisque l’original était destiné à Sancho de Jarava[6]. Ce constat relève cependant plus de l’hypothèse car aucun élément ne permet de confirmer que Gutiérrez de Bernido était en possession de la copie du traité. Les interrogations sont donc encore nombreuses quant à l’origine du manuscrit de Santander.
Le second manuscrit, qui est conservé à la bibliothèque royale de l’Escurial[7], figure dans l’Inventario de 1576 et provient peut-être de la bibliothèque du poète Diego Hurtado de Mendoza acquise par Philippe II d’Espagne comme noyau originel de la bibliothèque royale à la fin du xvie siècle[8]. Le codex est petit et comporte quatre vingt-sept folios numérotés en chiffres arabes. Le texte en lettres minuscules est présenté sur une seule colonne et comprend environ vingt-quatre lignes par folio. La reliure de luxe richement décorée et signée « BLUM PARIS » a sans doute été réalisée pour le roi. La signature illisible apposée au folio quatre vingt-quatre ne permet pas de connaître le nom du copiste. Comment comprendre la présence d’un tel manuscrit dans la bibliothèque royale ? S’agit-il simplement pour le roi de conserver une œuvre d’un auteur dont on sait qu’il fut un brillant homme de lettres, premier traducteur en castillan de l’Enéide de Virgile et de la Divine Comédie de Dante[9] ? Portait-il un réel intérêt au sujet ? Ou bien le traité était-il uniquement destiné à la formation des écuyers tranchants qui avait lieu à la cour ? Il est difficile de savoir dans quelle mesure l’ouvrage a pu être consulté par Philippe II et avant lui par Jean II de Castille à la cour duquel officiait Sancho de Jarava. Cependant, un passage du traité est révélateur de l’attention que pouvait susciter un tel sujet. Lorsqu’il recommande son ouvrage à Sancho de Jarava, Enrique de Villena lui demande de le montrer au roi « afin qu’il puisse le voir et se souvenir comment cet office doit être exercé et de quelle manière il doit traiter et recevoir ceux qui sont placés à son service ».[10] Il apparaît donc essentiel pour Enrique de Villena que le roi connaisse les rouages de l’office afin de mieux préparer et former les futurs écuyers tranchants.
Deux copies du manuscrit de l’Escurial ont été réalisées au xviiie siècle. La première, datée de 1763, est l’œuvre du bibliographe et paléographe tolédan Francisco Xavier de Santiago Palomares. Cette copie est conservée aujourd’hui à la Bibliothèque Nationale de Madrid[11]. La seconde copie est un manuscrit conservé à la bibliothèque royale de l’Escurial. Elle servit de brouillon à la première édition du traité en 1766 par le père Francisco Núñez qui intitula l’ouvrage « Arte Cisoria ». Ce titre apocryphe est par ailleurs absent du corps même du texte, l’auteur se référant au thème du traité par des expressions différentes comme « arte de cortar » ou « arte de trinchar ».
La présentation du sommaire en début d’ouvrage permet de souligner le caractère professionnel de l’œuvre. Après avoir rappelé la nécessité de la fonction d’écuyer tranchant, Enrique de Villena en dévoile les qualités indispensables. Les instruments de découpe – couteaux et fourchettes – font ensuite l’objet d’une présentation détaillé ainsi que l’ensemble des actes que doit accomplir l’écuyer tranchant durant le banquet. La description des techniques de découpe des volatiles, des quadrupèdes, des poissons, des légumes et des fruits correspond à la majeure partie du traité. L’ouvrage se termine par l’évocation des droits du cortador, des peines encourues en cas de faute et des distinctions éventuelles octroyées à l’officier.
L’Arte Cisoria est une source précieuse pour l’historien de l’alimentation. L’auteur y dépeint en effet non seulement l’office d’écuyer tranchant mais aussi les pratiques alimentaires de la société de cour.
Afin de saisir le sens d’un tel ouvrage, il est essentiel tout d’abord de replacer l’œuvre dans la vie de l’auteur et de rappeler l’importance accordée au cérémonial de cour ainsi qu’au caractère honorifique de l’office d’écuyer tranchant. La présentation des techniques de découpe permettra de souligner par la suite toute la complexité de la fonction qui nécessitait la maîtrise d’un véritable savoir-faire. Enfin, l’importance accordée aux bonnes manières de l’écuyer tranchant permet d’établir un parallèle avec les traités de civilité.
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I- L’œuvre dans la vie de l’auteur : la volonté de participer à la vie de cour
A) La genèse du traité
Né en 1384 de la branche aristocratique la plus élevée de Castille et d’Aragon – petit-fils du roi Henri II de Castille (1369-1379) par sa mère doña Juana et arrière-petit-fils de Pierre le Cérémonieux (1336-1387) par son père don Pedro – Enrique de Villena grandit à la cour de son grand-père Alphonse d’Aragon, dit Alphonse « le Vieux », marquis de Villena, duc de Gandie et comte de Dénia. Le rayonnement de la cour du duc de Gandie est exceptionnel à l’époque et attire de nombreux lettrés comme Antoni Canals, frère dominicain et traducteur d’œuvres classiques ou encore Francesc Eiximenis, moine franciscain qui dépeint dans son œuvre la Crestià les comportements de la société médiévale[12]. Enrique de Villena s’imprègne donc très jeune des codes et rites qui façonnent la culture protocolaire naissante. Très proche de son cousin Ferdinand de Antequera – roi d’Aragon de 1412 à 1416 – il devient un de ses principaux conseillers. À sa mort, il quitte l’Aragon pour la Castille et se place désormais au service du roi Jean II de Castille[13]. Désireux de s’intégrer à l’entourage du roi, il rédige dès 1417 des traités de forme épistolaire à la demande de certains courtisans[14]. En 1420, sa participation au complot pour destituer Alvaro de Luna, favori du roi Jean II entraîne son exclusion de la cour. Il se retire alors dans sa seigneurie d’Iniesta et se lance dans un intense travail intellectuel, cherchant à tout prix à regagner l’estime et la confiance du roi. Il tente ainsi d’établir des liens avec la bureaucratie royale et se place au service de mécène comme le Marquis de Santillane. L’Arte Cisoria est donc une œuvre plus personnelle qu’elle n’y paraît à première vue. L’ouvrage témoigne de la volonté de l’auteur de se rattacher à l’univers curial dont il a été exclu et auquel il pensait appartenir de droit[15].
Comment expliquer cependant le choix d’un tel sujet ? Pourquoi Enrique de Villena, qui fait figure d’érudit à son époque et dont l’influence fut considérable auprès du Marquis de Santillane ou encore du poète Jean de Mena, en est-il venu à s’intéresser à la découpe des aliments ? Il est primordial de prendre en compte l’aspect honorifique de l’office pour comprendre l’intérêt suscité par la fonction.
B) L’écuyer tranchant et le cérémonial de cour
Au Moyen Âge, le banquet s’apparente à un acte politique et revêt une symbolique particulière. La dimension ostentatoire de la table qui passe par une profusion des mets fait écho en effet à la puissance et à la largesse de celui qui l’offre. Les banquets bourguignons organisés dans les années 1430 à 1470 à la cour de Philippe le Bon, puis de Charles le Téméraire sont un célèbre exemple du faste déployé par le duc pour impressionner les convives[16]. Le service à table est assuré par un ensemble d’officiers faisant partie de l’Hôtel du roi[17]. Parmi les membres de l’Hôtel royal français, l’écuyer tranchant est rattaché à la paneterie, un des quatre départements avec l’échansonnerie, la cuisine et la fruiterie ayant trait à la préparation et au service des mets. Dans la péninsule Ibérique, et notamment à la cour d’Aragon, l’office d’écuyer tranchant est placé directement sous les ordres du majordome et existe indépendamment des autres départements de l’Hôtel du roi[18]. Comme la plupart des grands officiers, l’écuyer tranchant est un noble. En effet, l’acte de trancher les aliments n’est en rien une corvée mais plutôt une tâche honorifique qui place celui qui l’exécute en contact direct avec le roi ou le prince. Dans son traité, Enrique de Villena insiste ainsi sur l’ascendance noble de l’écuyer tranchant :
Que sean de buen linage e conosçido, de fidalguez non dubdosos[19].
Très tôt en contact avec le cérémonial de cour qu’il a tout loisir d’observer à la cour de son grand-père Alphonse d’Aragon, Enrique de Villena exerça lui-même comme écuyer tranchant en 1414 à Saragosse lors du banquet de couronnement de son cousin Ferdinand de Antequera[20]. Seuls les nobles proches de l’entourage royal en qui le roi a toute sa confiance peuvent prétendre un jour exercer l’office. L’entrée en fonction a lieu lors d’une cérémonie publique organisée en présence du roi à la cour. Comme pour la cérémonie de l’hommage, le jeune noble prête serment de fidélité et loyauté, jurant de veiller à la vie et à la santé du roi :
En fin tome juramento dél, açeptado el ofiçio, que bien e lealmente servirá el dicho ofiçio de cortar, guardando su vida e salud[21].
À l’écuyer tranchant incombe en effet la responsabilité de la comestibilité des mets ingérés par le roi. La peur constante de l’empoisonnement justifie le recours à la pratique de la salva qui consiste à goûter les aliments avant de les servir au roi. La corne de licorne – unicornio – en fait une dent de narval, était utilisée pour détecter la présence d’un poison :
De cada cosa que cortare faga salva comiendo un poco della[22].
Enrique de Villena conseille de porter des bagues serties de pierres précieuses ayant un pouvoir d’antidote comme les rubis, diamant ou émeraude :
[…] guarnidas sus manos de sortijas que tengan piedras o encastaduras valientes contra po[n]çoña e ayre infecto, ansí como robí, e diamante, e gironça, e esmeralda, e coral, e unicornio […][23]
Tous les actes du cortador se rattachent à un rituel précis et sont détaillés avec minutie par l’auteur. Avant d’être utilisés les instruments de découpe sont également soumis au test de la salva afin de s’assurer qu’ils n’aient pas été contaminés par un éventuel poison. Par la suite, l’écuyer tranchant doit veiller à nettoyer souvent les couteaux et à utiliser les fourchettes pour ne pas toucher les aliments avec ses mains. À proximité de la table, un récipient sert à déposer les épluchures et les restes sans que le roi puisse le voir afin de ne pas être dégoûté :
[…] porqu’el rey non vea ante sy e tan çerca la vianda despedaçada […] con muchedumbre de huesos, de que tomase asco[24].
L’empressement à agir de l’écuyer tranchant apparaît tout au long du traité. Il est impensable que le roi attende ou ait à demander quelque chose. Le cortador doit pouvoir anticiper le moindre de ses désirs, notamment lorsque les mets nécessitent ou non l’adjonction d’épices :
[…] E lançar espeçias molidas do conpliere: açúcar, vinagre o miel, segúnt los manjares lo requieren, e çumos de granada e naranja e de limón e tales cosas, fecha salva dellas. Esto saquen tan prestamente que non sea menester al rey demandarlo o esperarlo[25].
L’écuyer tranchant participe à la mise en scène du repas. Parce qu’il officie en public, il n’a pas droit à l’erreur et doit savoir non seulement découper prestement les aliments mais aussi connaître les bons morceaux à offrir au roi.
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II- Un traité technique
A) E para ello estrumentos son los cuchillos, brocas, pereros e punganes[26]
Les instruments de découpe font l’objet d’une présentation détaillée dans le quatrième chapitre. L’originalité du traité réside dans l’insertion de dessins techniques[27] que l’on retrouve par la suite au xvie siècle dans les traités de découpe italiens[28]. L’écuyer tranchant dispose de cinq couteaux généralement en fer et en acier, métaux préférés pour leur résistance. Enrique de Villena précise qu’il existe une grande diversité de couteaux selon les nations et donne un aperçu de l’usage qui en fait dans certains pays. Ainsi, il est de coutume en France d’utiliser des couteaux très fins destinés à une découpe délicate. En Italie et dans une grande partie de l’Allemagne et de l’Angleterre les manches des couteaux sont en ivoire et sertis d’or et d’argent. Les Maures, quant à eux, n’utilisent pas de grands couteaux car ils consomment la viande en daube et sans os. Enfin, l’auteur s’attarde sur les couteaux d’usage en estas partes d’España, c’est-à-dire en Castille. Ce sont des couteaux assez grossiers et lourds avec des manches dorés et cannelés, décorés de beaux filigranes[29]. Chaque couteau est destiné à la pratique d’une découpe spécifique.
Le premier couteau est destiné à la découpe des quadrupèdes, notamment le bœuf, le porc ou encore le mouton et sert à réaliser la première entame de l’animal. Les deuxième et troisième couteaux permettent de briser les os, tandis que le quatrième couteau est utilisé pour une découpe plus précise des morceaux. Le cinquième couteau est le plus petit. Il est appelé canif – cañivete – et sert le plus souvent à éplucher les fruits ou couper le pain. La mesure des couteaux est indiquée à l’intérieur de chaque dessin et s’effectue avec la paume de la main et les doigts. Les couteaux sont de taille décroissante : le premier couteau mesure une paume et demie de long tandis que la mesure du canif équivaut uniquement à la paume de la main. Les couteaux sont conservés dans un étui disposant de cinq compartiments. Il est indispensable de posséder un double exemplaire de cet étui au cas où un couteau viendrait à se briser. En plus de ces couteaux, l’écuyer tranchant disposait de deux fourchettes en or et en argent. La première fourchette était constituée de deux dents et mesurait environ quinze centimètres. Elle permettait de piquer les aliments et de les disposer dans le plat sans les toucher. La seconde fourchette, appelée trident, servait à maintenir la viande dans le plat pendant la découpe. Pour éplucher les fruits, l’écuyer tranchant avait recours au perero constitué d’une pointe séparée du manche par une pièce ronde afin d’éviter que les fruits n’entrent en contact avec la main. Enfin, les punganes, un instrument pointu aux deux extrémités, permettait de sortir les fruits de mer de leur coque. Comme pour les couteaux, ces instruments sont possédés en double exemplaire et conservés dans des étuis distincts. Les couteaux, fourchettes, pereros, punganes ainsi que les serviettes servant à essuyer les couteaux pendant la découpe et celles utilisées pour nettoyer la bouche et les mains du roi lorsqu’il mange étaient placés dans un coffre fermé à clé. Seul détenteur de cette clé, le cortador doit la porter en permanence sur lui. Une fois encore la peur de l’empoisonnement explique de telles mesures : aucun élément extérieur ne doit entrer en contact avec les instruments de découpe et les serviettes destinés au roi[30]. La confiance totale placée en l’écuyer tranchant est rappelée à plusieurs reprises dans le traité comme une des qualités essentielles du cortador. Toute introduction de poison peut mettre en danger la vie du roi et l’écuyer tranchant encourt alors la peine capitale :
Enpero sy alguno destos comitiese falsedat a sabiendas, asy […] el que corta cada día e el que a las fiestas, poniendo o consentiendo poner venenosos materiales e occisorios en la vianda, estonçes han lugar la pena capital […][31]
Si les couteaux sont également utilisés dans la découpe des poissons, des légumes et des fruits, ils servent avant tout à trancher la viande. La prééminence de la viande lors des banquets s’explique par l’image de force et de puissance qu’elle incarne, héritage des coutumes nobles du haut Moyen Âge[32].
B) De las cosas que se acostumbran cortar[33]
Enrique de Villena commence par présenter la découpe des volatiles puis des quadrupèdes, laissant entrevoir toute la complexité des techniques à maîtriser[34]. Les viandes nobles par excellence sont les volatiles car leur proximité avec le ciel les place en contact avec l’air qui est un élément supérieur. Allen J. Grieco a développé l’idée que la vision du monde au Moyen Âge s’apparentait à une « grande chaîne de l’être » constituée des quatre éléments – terre, eau, air, feu – auxquels se rattachaient l’ensemble des plantes et des animaux[35]. Les végétaux et les animaux s’inscrivaient dans cette « chaîne de l’être » et leur hiérarchisation dépendait de leur appartenance à l’un des éléments. En tant qu’animal aérien les volatiles étaient très appréciés et pour certains constituaient une pièce maîtresse du banquet. C’est le cas du paon, souvent présenté avec sa queue et dont le plumage disposé en éventail reflète la splendeur de celui qui reçoit : une étoffe d’or peinte des armes du roi pouvait ainsi orner le cou du paon[36]. Enrique de Villena détaille avec une grande précision les gestes et techniques pour la découpe du paon qui sert de modèle à la découpe des autres volatiles.
Après avoir enlevé la queue et le cou, le cortador détache les pattes et les ailes avec le quatrième couteau. La cuisse est ensuite maintenue avec la fourchette trident et découpée avec le premier et le deuxième couteau, puis la chair de la poitrine est dégagée avec la pointe du deuxième couteau, enfin le croupion est découpé avec le troisième couteau[37]. L’auteur préconise de réaliser le plus souvent des tranches fines et longues afin d’en faciliter la mastication :
[…] faziendo sus tajadas delgadas porque es ave grande e se puedan mejor mascar.[38]
La diversité des volatiles et quadrupèdes énoncés dans l’Arte Cisoria offre de précieuses informations sur la consommation des classes aisées. Plusieurs volatiles sont mentionnés comme le paon, la poule, la perdrix, le pigeon, le canard sauvage, la foulque, la mouette, la grive et la litorne. Si le paon était servi de manière exceptionnelle, les poules étaient les volatiles les plus consommées à la fin du Moyen Âge[39]. Le bœuf sert de modèle à la découpe des quadrupèdes tels que les porcs sauvages ou domestiques, les chevreuils, les moutons, le chevreau, le lapin et le lièvre. Parmi les quadrupèdes, le veau était la viande la plus prisée et pouvait être amené sur la table farci de chapons et « autres volailles appréciées » pour souligner la magnificence du banquet[40].
La hiérarchie des mets servis est calquée sur la hiérarchie sociale et l’auteur n’oublie pas de rappeler que la découpe varie en fonction des convives[41]. Les meilleurs morceaux sont réservés au roi et l’écuyer tranchant doit se garder de lui servir les extrémités – pattes, pieds, queues, têtes – et les abats – tripes, fressures, entrailles –, mets populaires par excellence. À propos des quadrupèdes, Enrique de Villena note ainsi que la langue, les tripes, le foie et les reins ne peuvent être donnés à des gens délicats[42].
L’auteur consacre de longs développements aux techniques de découpe afin d’en expliquer les moindres étapes. La volonté didactique de l’auteur transparaît à la lecture du traité. Il s’agit de fixer par écrit des règles jusqu’ici transmises oralement et de rédiger un manuel d’apprentissage destiné à être copié et diffusé. Enrique de Villena espère aussi susciter l’intérêt du roi afin qu’il puisse « bâtir et soutenir l’école de cet art »[43] qui participe à l’éducation des jeunes nobles.
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III- Un traité d’éducation
A) Cómo deven ser criados moços de buen linaje[44]
Durant le Moyen Âge, les nobles confiaient leur fils à un seigneur, un prince, ou au roi afin de parachever leur éducation[45]. L’Hôtel royal était le cadre le plus prestigieux pour ces jeunes nobles qui espéraient se faire remarquer afin de pénétrer le cercle restreint de l’entourage royal. Parmi les apprentissages suivis, savoir découper les aliments était considéré comme un gage de bonne éducation. Pour Enrique de Villena, l’office d’écuyer nécessitait une formation encadrée par des personnes qualifiées – des maîtres dans l’art de la découpe en quelque sorte – et devait avoir lieu dans une école créée à cet effet par le roi. Il évoque ainsi à titre d’exemple l’école de la découpe au temps des Romains dont la réputation n’était pas des moindres[46]. L’acquisition des techniques de découpe se fait en plusieurs étapes : le jeune noble doit s’entraîner d’abord à éplucher et couper les fruits puis les légumes. Il est même conseillé de les manger, notamment les fruits, afin que leur saveur incite plus facilement au plaisir de la découpe. Le fromage frais sert ensuite d’aliment pour pratiquer des découpes franches qui permettent de s’initier à la découpe des poissons. Avant de prétendre s’exercer sur la viande, le jeune noble coupe les racines de mandragore dont les formes sont comparables à celles des volatiles et permettent de se familiariser avec leur anatomie[47]. Pour finir, la courge sert à tester les coupes larges et fines qui seront pratiquées sur les quadrupèdes. Il est indispensable de montrer au futur cortador les découpes propres à chaque viande en détaillant le sens des gestes, expliquant « pourquoi cela est mieux, plus propre, beau, meilleur pour la santé, sain et plaisant »[48]. Il s’agit donc non seulement de connaître la pratique mais aussi la théorie de l’art de la découpe. Chaque geste est soigneusement pensé avant d’être exécuté et aucune place n’est laissée à l’improvisation. Enrique de Villena conçoit son traité comme un livre à étudier et il encourage sa circulation par la copie ou par le prêt, en ayant soin d’en conserver cependant toujours un exemplaire avec soi :
« Et ceci même pour que vous le communiquiez par des copies à beaucoup [de personnes], plaisant en ceci à vos amis, et ainsi pour un usage commun. Et que vous ayez soin d’en avoir deux originaux, un dont vous ne vous séparez pas, et un autre pour le prêter, parce que parfois les livres prêtés ne reviennent pas[49]. »
L’hypothèse d’une diffusion du traité est intéressante et soulève la question de l’espace de mise en circulation de l’ouvrage. Est-il possible de penser à une diffusion hors du royaume castillan ou même hors de la péninsule Ibérique ? L’Arte Cisoria a-t-il pu dans ce cas influencer les traités de découpe italiens publiés postérieurement[50] ?
Parallèlement à l’apprentissage des techniques de découpe, le jeune noble devait s’enquérir des bonnes manières afin de ne pas choquer le roi et les convives par une attitude déplacée.
B) Des bonnes manières de l’écuyer tranchant
Enrique de Villena rappelle les qualités indispensables à la pratique de l’office : « courtoisie, mesure, propreté, calme, bons gestes et ne pas parler lors de la découpe »[51] sont les éléments d’une conduite irréprochable. Le silence est primordial afin de rester concentré et la colère, la cupidité ou l’envie sont des sentiments à bannir car ils sont « à la racine de tous les maux »[52]. L’auteur insiste à plusieurs reprises sur l’importance de la propreté : l’écuyer tranchant doit avoir la barbe taillée, les cheveux coiffés, les ongles nettoyés et présenter un visage et des mains propres. Il convient d’éviter de cracher, de tousser, d’éructer, de bailler ou de se moucher afin de ne pas dégoûter le roi[53]. Il faut se garder également de manger des aulx, des oignons, des poireaux, de la coriandre, « toutes ses choses qui donnent une mauvaise haleine »[54]. Enrique de Villena s’inspire largement des Siete Partidas d’Alphonse X qu’il cite à plusieurs reprises :
« […] selon ce qui est démontré dans la deuxième Partie, titre neuf, loi onze, où il est question des offices de la table du roi. »[55]
Il y a un parallèle à établir entre l’Arte Cisoria et les traités de civilité conçus pour les jeunes nobles envoyés se former à la cour de quelque seigneur : l’élégance doit résider aussi bien dans la manière de servir que dans celle de se servir[56]. Les premiers traités réglementant les usages à table apparaissent au cours du Moyen Âge et cherchent à promouvoir un modèle de comportement « courtois », c’est-à-dire spécifiques à la cour. La promiscuité et l’exhibition des comportements physiques sont progressivement délaissés au profit de la modération. Si les manières de table sont si importantes, c’est qu’elles permettent avant tout de déterminer l’appartenance sociale de chacun[57]. Les plus anciens textes relatifs aux règles de bienséance à table proviennent du milieu clérical et plus particulièrement des écoles où les bonnes manières étaient considérées comme un enseignement à part entière. Parmi cette littérature consacrée au comportement à table, les cinquante « courtoisies de table » (De quinquaginta curialitatibus ad mensam) sont un exemple des plus significatifs. L’auteur, Bonvesin de La Riva, est un maître de grammaire qui enseigna à Milan au début du xive siècle. Ses « contenances de table » insistent sur la nécessité du contrôle de la parole et des gestes ainsi que sur la propreté[58].
Les recommandations s’adressent aussi bien aux convives qu’aux serviteurs, également sommés de respecter l’étiquette en règle à la cour. Francesc Eiximenis énumère ainsi l’attitude que doivent adopter les officiers en charge du service à table :
« Si tu dois servir à table, observe ce qui suit. Premièrement, tu dois être propre à l’intérieur et à l’extérieur […] Tu ne dois jamais parler en coupant le pain ou la viande, c’est une rustrerie […] Le serveur ne doit jamais parler, surtout quand il coupe ou il porte quelque chose. Il peut envoyer son haleine ou sa salive sur les mets… »[59]
Ce souci permanent d’allier la propreté « intérieure » à la propreté « extérieure » atteste du lien existant au Moyen Âge entre l’éthique et l’étiquette. Ce double aspect des bonnes manières se retrouve dans le traité d’Enrique de Villena qui rappelle combien les valeurs morales – honnêteté, loyauté, confiance, discrétion – et le contrôle du corps sont indissociables de l’office d’écuyer tranchant.
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Parmi l’abondante production littéraire d’Enrique de Villena, l’Arte Cisoria est sans doute son œuvre la plus personnelle dans laquelle l’auteur montre de manière novatrice son expérience en matière de service royal. Comme la plupart des autres grands officiers princiers ou royaux, l’écuyer tranchant est un noble exerçant une fonction honorifique. L’apprentissage de la découpe des aliments revêt cependant une place particulière dans l’éducation du jeune noble. Francesc Eiximenis déclare ainsi qu’il est honteux de ne pas savoir « tailler, ni servir »[60], laissant entendre que seul celui qui sait découper a reçu une complète et parfaite éducation. Savoir découper requiert la maîtrise d’un savoir-faire technique et une dextérité dans le maniement des instruments de découpe qui, au demeurant, peuvent s’avérer dangereux. L’écuyer tranchant est donc un homme de confiance qui doit veiller à ce qu’aucun élément ne vienne perturber le repas, ni mettre en danger la vie du prince ou du roi. La pratique de la découpe se mue à la fin du Moyen Âge en un véritable art destiné à magnifier le roi et à surprendre des convives émerveillés par la virtuosité de l’écuyer tranchant. La complexité atteinte par la fonction justifie l’élaboration d’un traité professionnel. Il s’agit de fixer par écrit des règles transmises jusqu’ici oralement. L’Arte Cisoria est un livre pluriel dispensant à la fois des conseils techniques mais aussi des recommandations de bonne conduite pour le jeune noble. Il permet également d’appréhender les pratiques alimentaires curiales, notamment l’importance dévolue à la viande dont les découpes sont largement détaillées dans le corps de l’ouvrage.
S’il est difficile de connaître la portée de ce traité et de savoir si les ouvrages postérieurs s’en inspirent – même si cela ne semble pas le cas pour les préceptes de découpe catalans publiés par la suite –, l’art de la découpe semble plonger ses racines en Espagne et plus précisément en Aragon : en rédigeant son traité en Castille, Enrique de Villena favorise incontestablement la diffusion des usages aragonais dans le royaume castillan.
[1] Enrique de Villena, Arte cisoria, édition et étude de Russell V. Brown, Barcelone, Editorial Humanitas, 1984, p. 143.
[2] Michele Chalefino, Taiare de cortello, ms. 11, 1466, Bibliothèque internationale de Gastronomie de Lugano, Description : Catalogo del fondo italiano e latino delle Opere di gastronomia, sec. xiv-xix, a cura di Orazio Bagnasco, vol. II, Opere a Stampa L/Z, Manoscritti, Sorengo, B.I.N.G, 1994, p. 1807. Il s’agit du plus ancien traité de découpe en langue italienne.
[3] Llibre de Sent Soví, Llibre de totes maneres de potatges de menjar, A cura de Rudolf Grewe, edició revisada per Amadeu-J. Soberanas i Joan Santanach, Llibre de totes maneres de confits, edició critica de Joan Santanach I Suñol, Barcelone, Editorial Barcino, 2003 et Mestre Robert, Libre del coch, Tractat de cuina medieval, édité par Veronika Leimgruber, Barcelone, 1977.
[4] Enrique de Villena, Arte cisoria, op. cit., p. 35 et p. 27-32 pour une description plus détaillée du manuscrit de Santander. Le manuscrit est consultable en ligne sur le site de la bibliothèque Menéndez Pelayo, consulté le 6/01/2014 : http://www.bibliotecademenendezpelayo.org/visor.aspx?op=6&IdLibro=57&codigo=M103.
[5] Enrique de Villena, Arte cisoria, op. cit., p. 144 : « Escripta en la mi villa de Torralva lunes, seys días de setienbre, año del nasçimiento del nuestro Salvador Ihesu Christo de mill e quatroçientos e veynte e tres años./ Escrivió este traslado Graviel Gutiérrez de Bernido, escrivano del dicho señor don Enrique, en la su villa de Yniesta. E acabólo sábado, veynte e ocho días del mes de otubre, año del nasçimiento de nuestro Salvador Ihesu Christo de mill e quatroçientos e veynte e quatro años. »
[6] Emilio cotarelo y mori, Don Enrique de Villena, su vida y obras, Madrid, 1896, p. 140.
[7] Manuscrit de la Real Biblioteca del Monasterio San Lorenzo del Escorial, f. IV. 1.
[8] Felipe Benicio navarro, Arte Cisoria de D. Enrique de Villena, con varios estudios sobre su vida y obras y muchas notas y apéndices, Madrid, Murillo, 1879, p. XI-XII.
[9] Enrique de villena, Obras Completas, edición y prólogo de Pedro M. Cátedra, Turner Libros, Madrid, 1994, coll. « Biblioteca Castro » (2 vol.).
[10]Ibid., p. 141 : « […] e lo mostredes al dicho señor rey porque vea e recuerde cómo ha de ser en este ofiçio servido, e de qué manera ha de tractar e resçibir a los que en él fueren por su merçed conlocados. »
[11] Sous la référence : Ms 7843.
[12] Voir notamment l’anthologie de chapitres tirés du Troisième Livre : François eiximenis, L’art de manger, boire et servir à table, traduit du catalan par P. Gifreu, Perpignan, Editions de la Merci, 2011.
[13] Enrique de Villena est l’oncle du roi de Castille Jean II. Pour la biographie d’Enrique de Villena se reporter à l’article de Pedro M. Cátedra, « Enrique de Villena », Diccionario filológico de literatura medieval española, Textos y transmisión, Carlos Alvar, José Manuel Lucía Megías, Madrid, Castalia, 2002, coll. « Nueva Biblioteca de erudición y crítica », p. 454-467.
[14] Il traduisit ainsi en castillan Los Dotze treballs de Hèrcules – sa première œuvre rédigée en 1417 – à la demande de Juan Fernández de Valera, secrétaire du roi.
[15] Ce refus d’une mise à l’écart de la cour est perceptible dans la manière dont Enrique de Villena se présente à la fin du traité. Il rappelle son lien de parenté avec le roi ainsi que son statut de conseiller royal : « […] yo, don Enrique de Villena, tío del señor rey e uno de los del su consejo…», dans Enrique de Villena, Arte cisoria, op. cit., p. 143.
[16] Voir notamment le récit d’Olivier de La Marche, maître d’hôtel du duc dans Mémoires d’Olivier de la Marche, maître d’Hôtel et capitaine des gardes de Charles le Téméraire, éd. par H. Beaune et J. d’Arbaumont, t.IV, Paris, 1888, p. 174. Sur la propagande politique des banquets bourguignons voir Bruno Laurioux, Manger au Moyen Age. Pratiques et discours alimentaires en Europe aux xive et xve siècles, Paris, Pluriel, 2013, p. 196-199 ; et aussi Yann MOREL, « “Et ce jour mondit seigneur fist fere ung banquet” : les banquets à la cour de Philippe le Bon et Charles le Téméraire », dans J.-M. Cauchies (dir.), Boire et manger en pays bourguignon (xive- xvie siècles), Rencontres de Boulogne-sur-Mer (21 au 24 septembre 2006), Publications du Centre Européen d’Études Bourguignonnes, n° 47, p. 55-72.
[17] L’Hôtel désigne l’ensemble des offices au service du roi ou du prince. Au sujet de la définition de l’Hôtel au Moyen Âge, voir Elizabeth gonzález, Un prince en son hôtel. Les serviteurs des ducs d’Orléans au XVème siècle, Paris, PSB, 2004, p. 19-52.
[18] Pour plus de précisions sur la place de l’écuyer tranchant au sein de l’Hôtel royal aragonais, voir notre article : « Un noble au service d’un art : l’écuyer tranchant en Espagne et en Italie à la fin du Moyen Âge », dans Pascal brioist et Florent quellier (dir.), Culture de table : échanges entre l’Italie et la France (xve siècle – mi xviie siècle). Actes du colloque international, Château royal de Blois, les 13 et 14 septembre 2012, Presses universitaires de Rennes et Presses de l’Université François Rabelais de Tours, à paraître en 2014.
[19] « Qu’ils soient de bon lignage et connus, de noblesse non douteuse », Enrique de Villena, Arte cisoria, op. cit., p. 121.
[20] Le parti inedite della « Crónica de Juan II » di Álvaro García de Santa María, édition critique, introduction et notes de Donatella Ferro, Venise, Consiglio nazionale delle Ricerche, 1972, p. 121.
[21] « Pour finir, il [le roi] reçoit le serment [du futur écuyer tranchant], l’office accepté, qu’il serve bien et loyalement le dit office de découpe, veillant à sa vie et à sa santé », Enrique de Villena, Arte cisoria, op. cit., p. 127.
[22] « De chaque chose que vous découpez, faites la salva en en mangeant un peu. », Ibid., p. 79.
[23] « […] les mains garnies de bagues avec des pierres ou des montures efficaces contre le venin et l’aire infecté, ainsi comme rubis, diamant, jacinthe, émeraude, corail, licorne […] », ibid. , p. 61-62.
[24] « […] pour que le roi ne voie pas devant lui et si près la viande dépecée […] avec plein d’os, dont il pourrait être dégoûté. », ibid., p. 79.
[25] « […] Et lancer des épices moulues qui plaisent : sucre, vinaigre ou miel selon les mets et du jus de grenade et d’orange, de citron et telles choses, en faisant la salva de celles-ci. Ceci faites-le très prestement afin que le roi n’ait pas besoin de le demander ou de l’attendre. », ibid. , p. 80.
[26] « Et pour cela les instruments sont les couteaux, fourchettes, pereros et punganes », ibid. , p. 65.
[27] Voir les dessins en ligne sur le site de la bibliothèque Menéndez Pelayo (pages 15 à 23 du manuscrit) consulté le 6/01/2014 : http://www.bibliotecademenendezpelayo.org/visor.aspx?op=6&IdLibro=57&codigo=M103
[28] Francesco colle, Refugio de povero gentilhuomo, Ferrare, L. di Russi, 1520 et Vincenzo Cervio, Il Trinciante, Venise, 1581. Parmi les ouvrages culinaires, le livre de Bartolomeo Scappi présente également des dessins d’instruments de découpe. Voir Bartolomeo scappi, Opera, Venise, Tramezzino, 1570.
[29] Enrique de Villena, Arte cisoria, op. cit., p. 65-66.
[30] Sur la peur du poison lors des banquets voir Franck collard, « Le banquet fatal : la table et le poison dans l’Occident médiéval », dans La sociabilité à table. Commensalité et convivialité à travers les âges, Actes du colloque de Rouen (novembre 1990), Textes réunis par M. Aurell, O. Dumoulin et F. Thélamon, Rouen, Presses Universitaires de Rouen, 1993, p. 335-342. Du même auteur, Le crime de poison au Moyen Âge, Paris, PUF, Le Nœud Gordien, 2003.
[31] « Cependant, si quelques uns commettaient des actes faux délibérément, comme […] celui qui découpe chaque jour et celui qui, lors des fêtes, mettant ou acceptant de mettre des instruments vénéneux et capables de donner la mort dans la nourriture, alors ils encourent la peine capitale […] », Enrique de Villena, Arte cisoria, op. cit., p. 132-133.
[32]Massimo Montanari, « Les paysans, les guerriers et les prêtres : image de la société et styles d’alimentation », dans Histoire de l’alimentation, J-L Flandrin et M. Montanari (dir.), Paris, Fayard, 1996,
p. 295-303, p. 295-298.
[33] « Des choses qui sont découpées habituellement », Enrique de Villena, Arte cisoria, op. cit., p. 83.
[34] Sur la définition de la viande voir notre article : « Techniques et préceptes de découpe de la viande en Espagne et en Italie, xive – xvie siècle », dans La viande : fabrique et représentations, (Actes du colloque de l’IEHCA, Tours, 29 novembre – 1er décembre 2012), Presses universitaires de Rennes, à paraître en 2014.
[35]Allen J. grieco, « Alimentation et classes sociales à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance », dans Histoire de l’alimentation, Jean-Louis Flandrin, Massimo montanari (dir.), Paris, Fayard, 1996, p. 479-490, p. 485.
[36] enrique de Villena, Arte cisoria, op. cit., p. 87.
[37] Ibid. , p. 87-89.
[38] « […] faisant ses découpes fines parce que c’est une grande volaille et on peut mieux mâcher. », ibid., p. 89.
[39] À la cour de Charles III de Navarre, les poules représentaient 60% des mentions de volatiles au sein de l’Hôtel royal de 1411 à 1425, voir Fernando serrano larrÁyoz, La mesa del rey. Cocina y régimen alimentario en la corte de Carlos III el Noble de Navarra (1411-1425), Pampelune, Gobierno de Navarra, Serie: Historia. n°107, 2002, p. 198.
[40] Enrique de Villena, Arte cisoria, op. cit., p. 98: « Quedan las terneras asadas enteras, e los vientres llenos de capones e otras aves preçiadas asadas o cochas, por magnifiçençia…». Pour plus de précision votre notre article « Techniques et préceptes de découpe de la viande en Espagne et en Italie, xive – xvie siècle », op. cit.
[41] Ibid. , p. 89: «… e ante las personas que se ha de cortar diferençiando…».
[42] Ibid. , p. 95.
[43] Ibid. , p. 141.
[44] « Comment doivent être élevés les jeunes hommes de bon lignage », ibid. , p. 121.
[45] Marie-Claude gerbet, Les noblesses espagnoles en Moyen Âge XIe-XVe siècle, Paris, Armand Colin, 1994, p. 207-208 : « Cette formation était essentiellement donnée au jeune garçon sous forme d’apprentissage, le plus souvent en exerçant les fonctions de page, généralement pendant huit ans, au cours desquels il perfectionnait ses connaissances militaires, mais aussi littéraires ou plus simplement administratives. Cette seconde étape visait à pourvoir le jeune homme d’un engagement éventuel au service de son maître ou d’une recommandation. C’est ainsi que l’on entrait tout naturellement dans une clientèle aux fonctions variées mais d’autant moins domestiques que l’on se hissait dans la hiérarchie de la noblesse. »
[46] Enrique de Villena, Arte cisoria, op. cit., p. 135 : « Virtuosamente los romanos, inçitando el pueblo suyo a buena dotrina e vida çivil, maestros posieron en escuelas departidas que leyesen las sçiençias çiento […] E la escuela del cortar non era en poca reputaçión. ».
[47] Ibid., p. 135-136. Au Moyen Âge, la racine de mandragore est surtout connue pour sa forme anthropomorphe qui lui confère des vertus thérapeutiques et aphrodisiaques. À ce sujet voir Hildegard von bingen, Physica, Liber subtilitatum diversarum naturarum creaturarum, éd. R. Hildebrandt, T. Gloning, Textkritische Ausgabe, Berlin-New York, De Gruyter, 2 vol., 2010, vol. 1, p. 88.
[48] Enrique de Villena, Arte cisoria, op. cit., p. 136: « […] e diziendo las razones porque asy era mejor, más linpio, fermoso, provechoso, sano e plazible […] ».
[49] Ibid. , p. 141 : « E eso mesmo para que lo comuniquedes a muchos por traslados, conplaziendo en ello a vuestros amigos, e asy en utilidat común redunde. E que tengades a cautela dél todavía dos oreginales, uno que de vos non partades, e otro para prestar, porque algunas vezes non tornan los libros prestados.»
[50] Notamment Francesco colle, Refugio de povero gentilhuomo, op. cit. , et Vincenzo Cervio, Il Trinciante, op. cit.
[51] Enrique de Villena, Arte cisoria, op. cit., p. 136: « cortesía, mesura, limpieza, sosiego, buenos gestos e non fablar quando cortasen…»
[52] Ibid., p. 122.
[53] Ibid., p. 62-63.
[54] Ibid., p. 63: « […] e tales cosas que fazen mal resollo. »
[55] Ibid., p. 123. Voir Alfonso X el Sabio, Las Siete Partidas, Valladolid, 1988, fac-similé de l’édition de 1491, tome II, titre 9, loi 11: « Cuáles deben ser los oficiales del rey que le han de servir en su comer y en su beber ». Il s’agit d’un corpus de lois rédigé en partie sous le règne d’Alphonse X, roi de Castille et Léon de 1252 à 1284.
[56] Bruno Laurioux, Manger au Moyen Age, op. cit, p. 226-227. Voir également Alain Montandon (dir.), Bibliographie des traités de savoir-vivre en Europe, du Moyen Âge à nos jours, 2 vol., Clermont-Ferrand, 1995.
[57] Une des histoires de Gentile Sermini, tirée de son recueil du début du XVe siècle intitulé Novelle en offre un exemple intéressant : Mattano, jeune Siennois de la campagne qui aspire à pénétrer les classes aisées de la ville, est trahi par son comportement grossier à table. Ses mauvaises manières – il trempe constamment son pain dans le bol ou le tranchoir pour le lécher, il s’essuie les mains sur la poitrine ou sur les hanches quand elles sont pleines de graisse – l’empêcheront toujours d’obtenir une charge communale à Sienne. Cf Gentile Sermini, nouvelle XXV, traduction Odile Redon, L’Espace d’une cité. Sienne et le pays siennois (xiiie– xve siècles), Rome, Ecole Française de Rome, 1994, p. 132. Et aussi Allen J. Grieco, « Les repas en Italie à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance », dans Tables d’hier, tables d’ailleurs. Histoire et ethnologie du repas, Jean-Louis Flandrin et Jane Cobbi (dir.), Paris, Odile Jacob, 1999, p. 115-149, p. 125-128.
[58] Bruno Laurioux, Introduction au Séminaire Patrimoines européens de l’alimentation « Alimentation de cour, alimentation à la cour – Sources et problèmes », Bruno Laurioux et Pascal Ory (dir.), Institut Européen d’Histoire de l’Alimentation-Laboratoire de Médiévistique Occidentale de Paris-Centre d’Histoire Sociale du XXe siècle, Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne 9 avril 2005, p. 8, en ligne consulté le 6/01/2014 : http://www.iehca.eu/IEHCA_v4/pdf/seminaire_comte-rendu_9_avril_2005.pdf. Voir également Daniela romagnoli, « Guarda no sii vilan : les bonnes manières à table », dans Histoire de l’alimentation, op. cit.,
p. 511-523, p. 519-521.
[59] François eiximenis, L’art de manger, boire et servir à table, op. cit., p. 154-159.
[60] Ibid., p. 171 : « Ne t’engage pas à découper des aliments si tu ne t’en sens pas capable. Tu n’en retirerais que de la honte. En effet, une grande honte atteint l’homme jeune qui ne sait ni tailler ni servir. Il ne mérite pas d’être servi à son tour. »