Ni vaine ni plaisante ? La matière de Bretagne et les chroniqueurs

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Pierre Courroux

Résumé

La matière de Bretagne a souvent été présentée comme le lieu d’émergence d’un roman indépendant de l’historiographie, entre la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe. Elle devient synonyme de mensonge pour bien des auteurs du Moyen Âge. Cela signifie-t-il pour autant que la matière de Bretagne puisse être considérée comme un marqueur fictionnel évident ? Nous voudrions montrer que l’assimilation entre matière de Bretagne, fabula, et conte plaisant, qui existe dès le Moyen Âge, n’est pas la seule position possible face à la matière de Bretagne : il existe une matière de Bretagne historique, contenue dans les chroniques, de Wace à Jean de Wavrin. Or, le premier topos de tout écrit historique médiéval est la quête d’une vérité de fait, qui semble s’opposer à l’utilisation traditionnelle de la matière de Bretagne. Quelle sélection les historiens font-ils dans la matière de Bretagne ? Par quels procédés insistent-ils sur la véracité d’une matière ailleurs considérée comme mensonge ?

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Pierre Courroux

Agrégé d’histoire, il a soutenu à l’Université de Poitiers en 2013 sa thèse sur « L’écriture de l’histoire dans les chroniques de langue française (XIIe-XVe siècles). Les critères de l’historicité médiévale », qui sera prochainement publiée aux éditions Classiques Garnier. Il poursuit ses recherches sur les chroniques des XIIIe-XVe siècles, notamment sur l’usage du vers et leur utilisation de la fiction historique. Il est actuellement ATER à l’Université d’Amiens, et est rattaché au Centre d’Études Supérieures de Civilisation Médiévale de Poitiers (UMR 7302).

Contact : pierrecourroux@hotmail.fr

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Introduction

Pour les moralistes de la fin du Moyen Âge, la matière de Bretagne1 est l’exemple même de la fable mensongère. Ainsi, Philippe de Mézières, qui écrit son Songe du Vieil Pèlerin peu avant 1389, met-il en garde le jeune Charles VI par l’intermédiaire des conseils de Riche Précieuse, reine de Vérité, qui présente l’instruction idéale d’un roi :

(…) il convient, cher fils, pour ta gouverne, de renoncer au plaisir de lire les ouvrages non authentiques, et principalement les livres et les récits qui sont pleins de mensonges, qui conduisent le lecteur à imaginer des choses impossibles, folles, sources de vanité et de péché, comme le récit des mensonges de Lancelot et d’autres semblables (…)2

On comprend aisément que les romans de chevalerie se déroulant dans l’univers arthurien sont ici directement visés. Mais, par ricochet, l’auteur condamne aussi toute la matière de Bretagne, y compris les ouvrages se présentant comme des chroniques. En effet, Riche précieuse recommande ensuite au jeune prince d’étudier la Bible, les traités politiques, et pour l’histoire, l’Historia Scholastica, Flavius Josèphe, et :

Quant aux histoires des chrétiens, tu peux entendre ou lire les grands exploits des empereurs chrétiens, de Constantin, d’Héraclius et du grand Théodose, de Justinien, et surtout les grandes batailles et les exploits et les vertus extraordinaires de ton grand prédécesseur, le très saint Charlemagne, qui dépassa en vaillance, en vertu et en bon gouvernement, pour le bien de la diffusion de la foi chrétienne, tous les empereurs et les rois qui ont été chrétiens jusqu’à aujourd’hui. La vaillance en ce monde du roi Arthur fut très grande, mais son histoire et celle des siens est si pleine de mensonges qu’elle est suspecte3.

Si Charlemagne n’est pas décrédibilisé par les exploits merveilleux narrés dans les chansons de geste, l’Arthur des chroniques est lui touché par la défiance que prône l’auteur envers les romans bretons.

La défiance envers l’ennemi anglais explique bien sûr en partie une telle position de la part d’un auteur français, pour qui la matière de Bretagne ne représente pas l’antiquité nationale, et qui peut y lire une histoire où la France n’est qu’une simple terre de conquête du roi Arthur4. Cependant, plusieurs historiens britanniques du XIVe siècle partagent une même défiance envers Arthur : celle-ci tire ses racines de la double nature de la matière de Bretagne. Au même moment où les récits romanesques5 sur les exploits des chevaliers de la Table Ronde se répandent dans tout l’Occident, au début du XIIe siècle, Geoffrey de Monmouth (v. 1100 – v. 1155), clerc britannique qui fut probablement chanoine au collège Saint-George d’Oxford, façonne et répand la figure de l’Arthur historique6 grâce au succès de son Historia Regum Britanniae une histoire des rois de Bretagne insulaire depuis la chute de Troie jusqu’au triomphe des Saxons. Le règne d’Arthur y occupe une place majeure. Les deux matières de Bretagne, celle des romans de chevalerie et celle dérivée de l’œuvre de Geoffrey, entretiennent des rapports complexes. Elles ne s’ignorent que partiellement, l’action des romans s’inscrivant dans les années de paix du règne de l’Arthur historique, et les chroniqueurs mentionnent fréquemment, nous allons le voir, quelques éléments romanesques non présents dans le récit fondateur de Monmouth. Dès lors, puisque les médiévaux autant que nous connaissent l’opposition antique entre fabula et historia, rappelée par Cicéron, Isidore de Séville Gautier Map et bien d’autres, les historiens qui souhaitent parler de la matière de Bretagne historique doivent expliquer pourquoi leur récit n’est pas à ranger parmi les mensonges tant critiqués par les moralistes.

Nous voudrions voir quelles stratégies les chroniqueurs7 développent pour détacher clairement leur récit de tout soupçon d’affabulation. Le sujet a déjà été abordé, notamment en ce qui concerne les chroniques anglaises, qui ont un rapport bien particulier à ce passé « national »8. Cependant, nous souhaiterions élargir notre champ de réflexion en y incluant les chroniques continentales, qui livrent aussi des réflexions tout à fait intéressantes. Ce faisant, nous déplaçons l’interrogation de la réécriture d’un passé national à celle du rapport générique de la matière de Bretagne à l’histoire9. Nous verrons tout d’abord que l’historicité de la matière de Bretagne est acceptée comme une évidence par la quasi-totalité des chroniqueurs médiévaux. Puis nous verrons que si la plupart des historiens choisissent de critiquer en bloc les œuvres romanesques pour mieux les couper de leur récit, d’autres les perçoivent comme charriant une part de vérité qu’ils intègrent dans leurs travaux. Enfin, nous verrons qu’à partir du XIVe siècle, des objections de plus en plus fortes apparaissent quant aux incohérences du récit de Geoffrey de Monmouth, et à l’énormité des exploits du roi légendaire.

I. Une matière à l’historicité indiscutable

 Quiconque cherche à estimer l’historicité de la matière de Bretagne aux yeux des historiens médiévaux doit commencer par peser l’autorité de l’œuvre de Geoffrey de Monmouth. En effet, le chroniqueur qui entame sa relation de l’histoire de la Bretagne antique ne pèse pas les arguments pouvant affirmer ou réfuter l’existence d’un Arthur, comme nous le faisons. Il ne se demande pas dans quelle mesure l’Historia Regum Britanniae transforme les matériaux de Gildas et de Nennius, à quel point les éléments qu’on ne trouve que dans cette œuvre sont dus à l’imagination de Monmouth. Il pèse l’autorité des témoins10, et choisit souvent entièrement celui qu’il juge le plus fiable.

Geoffrey de Monmouth crut-il en ses inventions ? Sans doute en partie, comme avant lui Hésiode put considérer comme véridique les noms de dieux sortis de son imagination féconde, ainsi que l’a montré Paul Veyne11. Mais la question est ici secondaire, car il est certain que ses copistes comme les historiens qui utilisèrent son travail y crurent massivement. Il faut dire que l’Historia Regum Britanniae rassemble tous les critères nécessaires pour constituer une autorité incontestable à cette époque12. Certes, quelques-uns parmi ses contemporains doutèrent de ses inventions, le plus virulent étant Guillaume de Newburgh :

Au contraire de ces pratiques, une écrivain est apparu qui, souhaitant enlever ces taches du caractère des Bretons, fabrique les plus ridicules fictions à leur propos, les élève avec une impudente vanité bien au-dessus des vertus des Macédoniens et des Romains. Il est nommé Geoffrey, et a le surnom d’Arthur, pour avoir repris les fables d’Arthur issues d’antiques fictions bretonnes et d’additions de son cru, et les avoir habillées de l’honorable nom d’histoire en les présentant sous les ornements de la langue latine13.

Ce qu’il manquait d’autorité à l’auteur de son vivant vint après sa mort. Bien vite, les voix dissonantes furent étouffées par le succès sans précédent de l’oeuvre de Geoffrey. Peu d’œuvres médiévales connurent un tel succès dans leur diffusion manuscrite, que ce soit sous sa forme originale (plus de 200 manuscrits), ou bien dans ses diverses traductions et réécritures (27 manuscrits pour le Brut de Wace, plus de 240 manuscrits pour les différentes versions du Brut en prose14). Nul érudit médiéval ne pouvait ignorer les grandes lignes de cette matière de Bretagne historique, centrée sur les conquêtes d’Arthur et l’histoire de Merlin15. Bien des historiens se contentèrent de recopier Monmouth sans rien ajouter. Au XIIIe siècle, les historiens continuèrent à critiquer les fables des romans Bretons, mais ils ne critiquèrent plus la fiabilité du récit de Monmouth.

Le succès de Monmouth ne se dément pas dans les deux derniers siècles du Moyen Âge, même si, nous le verrons, des critiques se font jour sur certains points de son œuvre : aucune d’elles n’a suffisamment de portée pour lui enlever le statut d’autorité16. Au début du XVe siècle, Thomas Elmham, dans son Historia Monasterii Sancti Augustini Cantuariensis, se rend compte que ses trois sources principales (Monmouth, Bède et William de Malmesbury) donnent des versions substantiellement différentes des mêmes épisodes. Il pèse l’autorité de chaque auteur, et considère que Montmouth est le plus fiable, alors même que Bède et Malmesbury s’accordent souvent contre sa version17. À la fin du XVe siècle encore, Pierre le Baud, serviteur des ducs de Bretagne, put bien critiquer plusieurs incohérences chronologiques entre le récit de Monmouth et les Grandes Chroniques de France, mais il n’hésite pas un instant à expliquer qu’il racontera l’histoire ancienne dans ses trois premiers livres de ses Cronicques et ystoires des Bretons : « scelon ce que Geffroy Artur de Monemitense, noble orateur en latin, l’a descript, sans ce que je y adiouste ne diminue, fors bien peu, non pas que je m’efforce tenir ordre de translacion, mais prendroy l’effect de la matere seullement18. » La fidélité au texte de Montmouth est encore mise en avant comme un gage de fiabilité historique. En Angleterre comme en Bretagne continentale, rares sont les auteurs qui, comme Richard de Circenster dans son Speculum historiale, écrit lui aussi au début du XVe siècle, se permettent de purger Monmouth de certains éléments magiques et prophétiques (histoire de Merlin, fin à Avallon) pour ne conserver d’Arthur que la figure du conquérant19.

Au contraire, sur le continent (hors de la Bretagne Armorique), il était bien moins nécessaire de fournir un récit suivi et dense de l’histoire ancienne de Bretagne, ou de glorifier un roi dont se réclamaient les souverains Anglais. Dans bien des cas, c’est sous une forme très brève que l’histoire arthurienne y est représentée. Et Geoffrey de Monmouth n’est souvent qu’une source indirecte. Les chroniqueurs se servent par commodité du résumé de l’Historia regum Britanniae qu’ils peuvent trouver dans les principales chroniques universelles de l’époque. Ils ont ainsi accès à une matière déjà reliée chronologiquement avec le reste de l’histoire de l’Europe et (sans doute à cause des problèmes soulevés par les parallèles historiques) fortement condensée.

Le principal abréviateur de la matière arthurienne est Martin le Polonais dans son Chronicon pontificum et imperatorum, conservé dans plus de 400 manuscrits. Cet ouvrage, conçu comme un manuel pratique fournissant surtout des concordances chronologiques, tire de l’histoire de Monmouth une maigre sève, qu’il insère sous deux pontificats. En l’an 465, sous le pontificat d’Hylarius, on peut lire l’entrée suivante :

Per idem tempus, ut legitur in historia Britonum, in Britannia regnabat Arturus, qui benignitate et probitate sua Franciam, Flandriam, Norvegiam, Daciam ceterasque marinas insulas sibi servire coegit. In proelio quoque letaliter vulneratus, secedens ad curandum vulnera in quandam insulam [un ms. ajoute : scilicet Avalonie], deinceps Britonibus de vita eius usque hodie nulla certitudo remansit20.

Puis, sous le pontificat de Simplicius, qui s’étend de 471 à 486, il note l’histoire de Merlin et de Vortigern. Il est intéressant de noter que sa chronologie ne respecte pas du tout la seule date fournie par Geoffrey, qui place en 542 la blessure mortelle d’Arthur, et qu’il inverse même l’ordre de la narration, puisque l’histoire de Merlin suit celle d’Arthur au lieu de la précéder. Pour beaucoup d’historiens continentaux postérieurs, les quelques lignes de ce manuel constituèrent le fondement de la matière de Bretagne historique21. Tout au plus certains purent ajouter un ou deux détails tirés directement de la tradition galfridienne, comme le traducteur français de Martin de Troppau, Sébastien Mamerot dans ses Chroniques Martiniennes, écrites dans les années 1460, et qui écrit à propos d’Arthur :

Par celuy temps regnoit en Bretaigne le noble roy Artus qui passa deseus par richesses et chevalerie tous ses predecesseurs. Et comme il se list es histoires des Bretons, il soubzmist a sa dominacion et subjuga moult de roy armés ; et envoya a Romme le chief de Lucius, consul rommain, en lieu de tribut. Et estoit celuy Lucius en trés grant ost envoyé par les Rommains contre luy pour le soubzmectre a l’empire de Romme, et lui demandoit tribut. Mais il conquesta en bataille et desconfit tout [f. 120r] son grant ost. Aprés ce il fut navré a mort en une autre bataille, pour quoy il s’en alla pour saner ses playes en l’isle d’Avalon. Et depuis la on ne sceut qu’il devint22.

Il existe d’autres résumés de l’histoire arthurienne insérés dans d’autres chroniques universelles du XIIIe siècle. Aubri de Troisfontaines respecte mieux l’ordre chronologique de Monmouth, puisqu’il place l’histoire de Vortigern en 434, avant celle du roi Arthur. Mais il ne respecte pas plus la seule datation absolue de sa source, puisqu’il place le règne d’Arthur entre 459 et 47523. D’où tire-t-il ces dates ? Sans doute de quelques savants calculs combinés à une dose d’imagination personnelle. Autre célèbre auteur dominicain, Vincent de Beauvais résume à son tour l’histoire arthurienne dans son Speculum Historiale (238 manuscrits conservés), mais il se montre plus méfiant vis-à-vis des quelques informations qu’il délivre24.

Si l’ampleur des exploits de l’Arthur historique varie grandement entre ces deux traditions, elles ont en commun de considérer l’existence même de ce roi comme une évidence. Il semble qu’il ait été quasiment impossible d’en douter alors : Arthur avait laissé des traces dans le monde contemporain, des preuves « archéologiques » pouvaient témoigner de son passage, comme les ruines de Troie témoignaient pour César de l’historicité de la Guerre de Troie dans le célèbre passage de Lucain. Ces débris du monde arthurien, on les retrouve sans surprise principalement en Bretagne insulaire : la découverte du tombeau d’Arthur à Glastonbury sous Richard Coeur-de-Lion n’est que le plus célèbre des cas où l’histoire arthurienne affleure dans le monde contemporain. Lorsque Froissart, qui a visité personnellement l’Écosse, raconte la campagne d’Edouard III dans cette contrée, il explique que son armée séjourne proche du : « chastiaus que on claimme Carduel en Galles, qui fu jadis au roy Artus, et où il se tenoit moult volentiers25. » Un peu plus loin, le roi anglais campe à la Blanche Lande :

Tantost que li rois entendi ces nouvelles, il fist toute l’ost la endroit arrester en uns blés, pour leurs chevaus paistre et recengler, d’encoste une blanche abbeye, qui estoit toute arse, que on clamoit dou temps le roy Artus le Blace Lande26.

Ces références ne sont pas isolées, et se retrouvent dans la plupart de la littérature historique anglaise de l’époque et jusqu’aux lettres qu’Edouard Ier envoya au pape Boniface VIII27. En Bretagne continentale aussi, des traces arthuriennes subsistent. Dans sa Chanson de Du Guesclin, Cuvelier présente ainsi le château de Grand Fougeray :

Et se tint es forestz, et par nuyt chevaucha,
Et tant que dire oÿ et c’on li recorda
Qu’il avoit un chastel moult fort bien pres de la ;
En Bretaigne Galo roy Artus le fonda,
Fougeray ot a nom, ainsi on l’appela28.

Mais l’ampleur des traces arthuriennes dépasse les pays bretons. Adam Usk qui vient de conter la bataille de Tannenberg, précise que les Teutons tiennent de grandes fêtes printanières pour honorer Arthur qui les a libérés des Romains29.

II. Les renvois à la matière romanesque

Si une matière de Bretagne historique fondée sur l’oeuvre de Monmouth et ses résumés se distingue clairement de la matière de Bretagne romanesque30, les historiens n’ignorent pas les liens qui peuvent exister entre les deux. Si certains chroniqueurs préfèrent garder le silence, d’autres donnent leur avis sur cette matière romanesque. La position fondatrice fut celle de Wace, premier traducteur de Monmouth en français dans son Brut. Lorsqu’il évoque les 12 années de paix que connut le règne d’Arthur, il mentionne la création de la table ronde, mais évoque immédiatement les fables des Bretons à son sujet (« Fist Artur la Runde Table / Dunt Bretun dient mainte fable31 »). Il sait que l’époque dont il parle est le cadre supposé de l’action des contes bretons, aussi affine-t-il sa position. Selon lui, les merveilles arthuriennes ne sont ni pleinement fausses, ni véridiques : si elles ont un fond historique, les fables des conteurs les ont tant déformées qu’elles ont l’apparence de mensonges :

Ne sai si vus l’avez oï,
Furent les merveilles
pruvees
E les aventures truvees
Ki d’Artur sunt tant recunte
es
Ke a fable sunt aturnees :
Ne tut mençunge, ne tut veir,
Ne tut folie ne tut saveir.
Tant unt li cunteür cunté
E li fableür tant fablé
Pur lur cuntes enbeleter,
Que tut unt fait fable sembler
32.

Dans son Rou, écrit quelques années plus tard, il se montre plus dur encore face aux contes des Bretons, lorsqu’il raconte son pèlerinage déçu dans la forêt de Brocéliande, où il ne vit nulle merveille33.

À la suite de Wace, les chroniqueurs postérieurs donneront brièvement leur avis sur les fables des conteurs (souvent d’ailleurs au même moment du récit), en mentionnant parfois nommément des romans comme l’Estoire del Saint Graal. La position la plus fréquente est la critique directe, sans l’hésitation que conservait Wace (ni tout vrai, ni tout faux), des récits mensongers qui n’auraient aucune valeur historique. Ainsi, un manuscrit du XVe siècle contenant la Chronique métrique de Robert de Gloucester (College of Arms. Arundel 58), explique à son lecteur, au moment des 12 années de paix que connut Arthur :

In this ilke xij yer of his restynge
Wondres fele ther byfelle and many selcouth thynge
[Which] in the boke of seint Graal one may rede and se
But that [thes] clerkis holdeth noght as for auctoryte
for much fel by sorcerie and enchauntement also
thurgh Merlyn so that lettrede men take non hede ther to
34.

La critique la plus rude mais aussi la plus détaillée nous vient d’une chronique en vers flamands, le Spiegel Historiael de Jacob Van Maerlant, traduction de Vincent de Beauvais, composée dans les années 1280 pour Floris V, comte de Hollande et Zélande35. L’auteur connaît bien la tradition romanesque, car il a traduit vingt ans plus tôt une grande part de la Vulgate de l’histoire du Graal sous le titre de Die Historie van den Grale. Pour Gerritson, qui a analysé ce texte, la rudesse avec laquelle il s’attaque aux personnages de romans est liée à la désillusion du chroniqueur qui découvre un Arthur historique bien différent de celui de son travail de jeunesse36. Dans son prologue, il pose clairement son œuvre comme supérieure à celles des romans, tant sur le plan de la vérité que sur celui de la qualité du divertissement, car ses merveilles à lui sont « prouvées » et morales :

Dien dan dei boerde vanden Grale,
Die loghene van Perchevale,
End andere vele valscher saghen
Vernoyen ende neit en behaghen,
Houde desen Spiegle Ystoriale
Over die truffen van Lenvale;
Want hier vintmen al besonder
Waerheit ende menech wonder,
Wijsheit ende scone leringhe,
Ende reine dachcortinghe
37

Lorsqu’il en vient aux temps d’Arthur, il constate que certains personnages n’apparaissent que dans la tradition romanesque tandis que d’autres sont présents dans les chroniques :

Van Lancelote canic niet scriven,
Van Perchevale, van Eggraveine ;
Maer den goeden Waleweine
Vindic in sine jeesten geset,
Ende sinen broeder den valseen Mordret.
Ende van Eniau den hertoge Keyen,
Daer hem die Walen mede meyen
38.

Au cas où son lecteur aurait le moindre doute sur l’existence historique de ces personnages, il s’explique plus loin de manière plus claire encore :

Van Perchevale, van Galyote,
Van Egraveine, van Lancelote,
Vanden conine Ban van Benowijc
Ende Behoerde dies ghelijc.
Ende van vele geveinseder namen,
Sone vandic altesamen
Cleene no groot inden Latine:
Dies docht mi verlorne pine,
Dat ict hier ontbinden soude
39.

D’autres attitudes, moins critiques, existent chez les chroniqueurs. Thomas Gray, chevalier Northumbrien auteur de la Scalachronica en anglo-normand, au milieu du XIVe siècle, se contente de noter de manière neutre les discordances entre ce qu’il nomme les « gestes d’Arthur » (les romans) et les chroniques quant à sa disparition40. Une position plus étonnante est celle de John Hardyng, au milieu du XVe siècle. Dans sa Chronique rimée anglaise, il reprend, au même moment que Wace, la réflexion sur les aventures des chevaliers de la Table Ronde. Cependant, s’il explique qu’il ne peut les intégrer à son récit, ce n’est pas à cause d’un problème de véracité, mais pour des raisons stylistiques :

Whiche knyghtes so / had many auentur’
Whiche in this boke / I may not now compile
Whiche by thayn selff / in many grete scriptur
Bene tytled wele / and berter’ than I thys while
Can thaym pronounse / or’ write thaym with my style
Whose makynge so / by me that was not fayred
Thurgh my symplesse / I wold noght wer’ enpayred
For alle thare actes / I haue not herde ne sene
Bot wele I wote / thay wolde all comprehende
More than the Byble / thrise wryten dothe contene
Bot who that wyll/ labour’ on itte expende
In the grete boke / of all the auentures
Of the Seynte Grale / he may fynde fele scriptures
41

Qu’ils se positionnent clairement ou non par rapport à la matière romanesque, les historiens intègrent parfois des éléments issus de cette matière, sans toujours mentionner leur provenance. C’est le cas notamment de Jean de Wavrin, dans son Recueil des Croniques et Anchiennes Istories de la Grant Bretaigne, écrit à la cour de Bourgogne au milieu du XVe siècle. Son récit se fonde sur Monmouth et la tradition des Brut, mais il ne perd pas une occasion d’ajouter de la matière, détails, discours, etc. Le plus souvent, cette amplification est tirée de son imagination. Mais par moments, il se sert d’oeuvres romanesques. À la fin de la bataille qui l’oppose à Mordred, Arthur, blessé, reste seul avec neuf chevaliers, dont Gifflet et Constantin son neveu. Ils partent passer la nuit dans un ermitage, mais au milieu de la nuit, tandis que les chevaliers dorment :

(…) le noble roy Artus sesvanuy, sicque on ne sceut oncques quil devint mais les aulcuns dient quil fut transportez en lisle de Avalon pour garir ses plaies, sy comme Merlin lavoit prophetisie, ou il est en joye et en repos, et sera jusques au jour du jugement42.

On voit qu’il évoque l’histoire du retirement d’Arthur en Avallon comme s’il s’agissait d’une rumeur populaire, avec plus de circonspection que Monmouth, donc. Puis il mentionne l’Histoire du Saint-Graal, qui renvoie indistinctement à la tradition romanesque, en expliquant qu’il n’en parlera pas.

Lhistoire du Saint Graal en parle aultrement, dont je me passe den parler, mais bien vous dy que ce fut grant doulleur de perdre un sy noble, sy grant, sy puissant, sy large, sy honnourable, sy vertueux, et sy renomme, comme fut et est ancores le roy Artus-le-Preu, par la dampnee trayson du desloyal Mordreth.

Jusqu’ici, il a suivi une posture tout à fait prudente, mais c’est alors qu’il revient avec plus de détails sur la mort d’Arthur, commençant par un « Aucuns veullent dire que », derrière lequel on retrouve aisément la Mort Artu :

Aulcuns veullent dire que quant le roy Artus apercheut que tous ses compaignons estoient mors exepte Gifflet, quil lappella, et sen alerent tous deux sur le rivage de la mer, puis baisa Artus Gifflet et lui bailla Caliburne sa bonne espee, sy sen entra en une nef quil trouva illec toute preste, laquelle sy tost comme le roy Artus fut dedens entres sy se esquippa parmy la mer sy impétueusement que Gifflet ne sceut quelle devint en petit espace. Hellas par la maulditte trayson de ce desloyal Mordreth failli la Table Ronde des chevaliers errans la faillerent les questes, les emprinses des nobles chevaliers, et les honneurs et proesses darmes qui tant avoient este honnoures et exauchees par cestui noble roy Artus.

John de Glastonbury, dans sa Cronica sive Antiquitates Glastoniensis (milieu du XIVe siècle), renvoie pour sa part directement à sa source pour les voyages de Joseph d’Arimathie, l’Estoire del Saint-Graal43. Il intègre aussi un épisode du Perlesvaus, qui se trouvait déjà dans la version de l’Historia Regum Brittaniae copiée à Glastonbury. Cependant, s’il connaît l’histoire du Graal, il n’en intègre aucun élément précis (Joseph ne ramène pas le Graal en Angleterre, mais seulement une fiole contenant le sang et la sueur du Christ)44. Dans le cas de John de Glastonbury, les intérêts de l’abbaye, qui s’enorgueillissait d’accueillir le tombeau d’Arthur, ont sans doute poussé les moines à utiliser avec moins de retenue la matière romanesque. Mais là encore, c’est avec parcimonie qu’il intègre les éléments qui ne sont pas présents chez Monmouth.

Aucune chronique ne dépasse le simple clin d’oeil aux éléments romanesques. Celles qui s’éloignent le plus du récit de Monmouth s’éloignent aussi des romans arthuriens : c’est alors l’imagination féconde des chroniqueurs qui prend le dessus. Dans le Petit Bruit, texte anglo-normand du XIVe siècle, on voit ainsi Uther et Arthur comme des rois anglo-saxons, et il mentionne « la testmoinaunce Seint Graal » et « la testmoynaunce Launcelet du Lake » sans se référer à des épisodes précis que l’on pourrait retrouver dans les romans portant ce nom : ces références camouflent surtout les inventions de l’auteur45. On trouve de même dans un manuscrit d’une courte chronique métrique anonyme en moyen-anglais une version tout à fait curieuse de l’histoire arthurienne, dans laquelle Arthur n’est pas le fils d’Uther, mais est appelé pour libérer les Bretons de Vortigern, qui a usurpé la couronne. Lors du règne d’Arthur, une guerre civile ravage la Bretagne, dans laquelle Lancelot capture la reine Guenièvre, construit le château de Nottingham pour la loger, ainsi qu’un réseau de souterrains sous le château en cas d’attaque d’Arthur. Les deux hommes finissent par négocier à Glastonbury, et tiennent une table ronde. On ne sait ce qui est décidé pour la reine, mais alors Caradoc arrive avec une cape magique. Le texte mentionne ensuite la mort d’Arthur et passe au roi suivant. Si l’influence romanesque est évidente, elle reste très limitée, et difficilement identifiable46. Reste enfin le cas de Jean d’Outremeuse qui expose longuement l’histoire de Bretagne dans sa chronique universelle, le Myreur des Histors, écrite à l’extrême fin du XIVe siècle à Liège47. Son projet est d’intégrer le plus d’éléments, quels que soient leur provenance, aussi puise-t-il aussi bien dans la tradition des Brut que dans la matière romanesque. Cependant, comme ses prédécesseurs, il estime que seules les batailles et les conquêtes sont dignes d’être intégrées à une chronique. Les éléments purement romanesques, notamment l’histoire d’amour entre Tristan et Iseult, entre Lancelot et Guenièvre, ne sont évoqués que très brièvement, l’auteur montrant seulement sa connaissance de ces épisodes sans entrer dans les détails. Lancelot et Tristan sont bien plus occupés à intervenir comme chefs de guerre sur le continent, impliqués dans les querelles entre rois Francs qu’Outremeuse reprend à Grégoire de Tours. De même, si plusieurs éléments se réfèrent à l’histoire du Graal, jamais il n’en parle ouvertement. L’essentiel du travail de recréation historique ne consiste pas en l’intégration des éléments romanesques, mais dans l’essai de fusion de deux traditions difficilement conciliables sur l’histoire de cette époque, celles de Grégoire de Tours et des Grandes Chroniques de France, et celle de Monmouth et des Brut. À notre connaissance, Jean d’Outremeuse est le seul chroniqueur à avoir tenté une véritable fusion de ces deux traditions : il doit pour cela manipuler profondément la chronologie, et inventer des personnages qui font le lien entre les deux mondes : ce sera Paris, bâtard de Clotaire, qui fuit la cour de France et se met au service d’Uther Pendragon, avant de demander l’aide d’Arthur pour récupérer le trône mérovingien48.

III. Les doutes sur l’historicité du récit de Geoffrey de Monmouth

Si Jean d’Outremeuse tente le difficile exercice de raccorder la tradition galfridienne à celle de l’histoire des Francs, d’autres historiens plus scrupuleux ou moins imaginatifs furent plus troublés que lui face aux incohérences chronologiques et thématiques entre ces deux récits pourtant acceptés de chaque côté de la Manche comme des autorités incontestables. Les historiens ne s’intéressant qu’à l’histoire « nationale » de la France ou de l’Angleterre choisissaient sans souci leur tradition nationale, mais d’autres ne purent esquiver le problème. Ce fut le cas des historiens de Bretagne Armorique, dont l’histoire ancienne était partagée entre la glorieuse tradition celtique et des relations suivies avec le royaume Franc dès les origines.

Le premier à poser ouvertement le problème de coïncidence des deux histoires est Pierre Le Baud, dont nous avons déjà parlé. Son récit de l’histoire du roi d’Hoël d’Armorique, allié d’Arthur lors de la conquête de la Gaule, suit Geoffrey de Monmouth jusque dans le détail, même s’il insiste naturellement plus sur le rôle des Armoricains49. Cependant, peu après la mort d’Arthur, lorsque l’Historia Regum Britanniae se tait, il ne peut suivre la tradition des Brut anglo-normands, qui enchaîne sur l’histoire des rois anglo-saxons. Il se tourne donc vers les Grandes chroniques de France et Grégoire de Tours. La transition entre les deux pose problème, car Conobert, fils du comte Hoël de Cornouailles, y est présenté comme un contemporain de Clotaire Ier, et non de l’Empire romain. L’auteur choisit d’exposer le problème à son lecteur :

Au devantnommé Allain, roy de Bretaigne armoricque, qui deceda environ l’an de Nostre Seigneur VicIIIIxxI, succeda Conober, autrement nommé Conoberte scelon ce que en une brefve istoire des princes bretons armoricques est contenu. Mais Grigoire, archevesque de Tours, en sa cronicque qu’il fist des roys de France et en laquelle il parle incidentellement d’aucuns princes de Bretaigne, dit icelui Conober avoir regné au temps du premier Clotaire, roy de France, lequel scelon l’acteur des Croniques françoises commencza regner en celui royaume l’an de l’Incarnacion Nostre Seigneur cinq cens et quinze et regna cinquante ans. Si ne se peut bonnement acorder que ledit Conobert regnast lors en laditte Bretaigne armoricque comme prince universel, car en celui temps y regnoit Hoel le Grant, et Artur le preux son cousin regnoit en la grant Bretaigne, scelon ce que Geffroy Artur et l’acteur de la dessusditte cronicque de Bretaigne armoricque en leurs escripts tesmoignent : et en les ensuivant le ay escript cy devant en ceste compillacion et ne se concordent pas les istoires des Bretons à celles des Françoys en cest endroit ; car scelon le dessusdit acteur Geffroy Artur, Gildas et pluseurs autres nobles ystorians, au temps que lesdittz roys Artur et Hoel son cousin entrerent en Gaulle pour la subjuguer, qui fut environ l’an de l’Incarnacion Nostre Seigneur cinq cens et XXX, estoit Gaulle gouvernée par Frolo connestable y comis de par Leon, empereur de Rome, qui en celui temps regnoit scelon les istoires romaines ; et le recite Martin en sa cronique ; et n’est nule doubte que Artur ne combatist Frollo à Paris, lequel il vainqui et moiennant l’aide du roy Hoel, son cousin, fist toutes les provinces de Gaule tributaires (…) ; ne n’est fait en leur ystoire aucune mencion des François et toutesfois, comme dit est scelon leurs cronicques, y regnoit ledit Dagobert qui subjugua pluseurs provinces et, come ilz afferment, celle de Bretaigne armoricque, qui n’est pas à croire que legierement il le peust faire en celui temps, considéré la puissance desdits Artur et Hoel, roys bretons qui ensemble estoient uniz ;

Il conclut cette remarque par : « mais je me rapporte aux ystorians de en discerner la verité, car mon oppinion est que, si les deux istoires sont veritables, que il y a deffault ou dabte du temps50 », puis passe deux chapitres à détailler l’histoire de Bretagne telle qu’il la trouve chez Grégoire de Tours. Il semble donc renoncer à choisir laquelle des deux versions est la bonne, mais il a lui-même choisi sans l’affirmer la version de Monmouth, car il montre une certaine défiance envers les informations de Grégoire de Tours qui donnent un portrait moins glorieux de la Bretagne. Une fois le récit de l’histoire de Bretagne selon les sources franques terminé, il choisit clairement de reprendre la trame galfridienne. Tandis que Grégoire de Tours explique qu’à Conobert a succédé Budic, qui s’est entendu avec les rois francs, il fait mourir Conobert sans successeur, et place les invasions barbares à ce moment de l’histoire. Il insiste sur le fait qu’il suit les sources qu’il juge les plus crédibles :

Mais comme il est trouvé es Cronicques de Bretaigne et en est la sentence approuvée par le plus des ystorians, apres la mort Conober dessusdit demoura Bretaigne sans aucun bon deffenseur51.

Le parti-pris breton de Pierre Le Baud l’empêche de mettre en doute l’existence d’Arthur et de ses exploits, mais il ne peut cacher son trouble devant la discordance chronologique. Son successeur dans l’écriture des chroniques de Bretagne, Alain Bouchard, va reprendre sa position. Dans ses Grandes Chroniques de Bretaigne, qu’il publie pour la première fois en 151452, il se heurte à son tour à la discordance des traditions. Il suit lui aussi le récit de Monmouth comme trame principale, mais remarque à l’occasion de la conquête de la Gaule par le roi Arthur une discordance que n’avait pas relevée son prédécesseur concernant l’origine des 12 pairs de France :

Gervasisus Tilesberius recite que le roy Artur erigea premierement les douze pers de France. Toutesfoys j’ay leu ailleurs que ce fut Charlemaine qui les crea, quant il entreprint aller faire la guerre aux Espaignez contre les Sarrasins. Mais il peult estre que l’un et l’autre soit vray. Et ne desplaise au cronicqueur moderne qui a escript en l’hystoire Char[le]maine, disant qu’il attribue à fable la descense d’Artur es Gaulles et fonde sa raisonc pource qu’i n’en trouve riens en l’hystoire des Françoys : ceste raison n’est valable ne suffisante, car lors les Françoys n’estoient habitans en ce royaulme, comme il sera dit cy aprés en l’endroit que Artur fut blessé. Aussi d’aultres cronicqueurs moult approuvez ont au long couché l’hystoire d’Artur, comme recite Vincent ou .LXXIIIIe. chapitre du .XXIIe. livre de ses Hystoires53.

Il vise en fait Robert Gaguin54, qui avait, dans son Compendium de Francorum origine et gestis, réfuté la position de Gervais de Tilbury, arguant du fait qu’elle était fondée sur l’idée d’une conquête de la France par Arthur en 540, et qu’il n’en trouvait aucune trace dans les chroniques françaises. Alain Bouchart peut reconnaître que les deux traditions s’opposent quant à la fondation des pairs de France, et qu’elles sont d’égale valeur ; mais il refuse de remettre en question la conquête même de la Gaule par Arthur. Pour ce faire, il cite Vincent de Beauvais, avec une certaine mauvaise foi, puisque le dominicain racontait certes les exploits d’Arthur, mais avec de grandes précautions55. Il ajoute aussi un nouvel argument qui permet d’expliquer la discordance : les Francs n’habitaient pas encore en Gaule à l’époque d’Arthur, c’est pour cela qu’ils n’ont pas laissé mémoire de ses exploits. Cependant, il élude ainsi tout le problème chronologique soulevé par son prédécesseur…

D’autres historiens ont remarqué les problèmes chronologiques posés par l’Historia Regum Brittaniae. Ainsi, l’auteur de Flores historiarum allant jusqu’en 1326 se permet de changer le nom du Pape Sulpicius, auprès duquel est envoyé Gauvain selon Monmouth, en Vigilius, afin que l’invasion de la Norvège par Arthur puisse être datée de 533 sans contre-indication du catalogue des papes qu’il suit par ailleurs56. Cependant, l’auteur reste muet sur les incohérences dont il a pourtant dû se rendre compte : sa croyance en la fiabilité de Monmouth est telle qu’il préfère truquer les faits que de mettre en doute sa version de l’histoire. Certains vont plus loin, comme Thomas Rudborne, moine de St Swithin’s, qui écrit vers 1454 une Historia Maior, centrée autour de son monastère57. Il reproche à Arthur l’inutilité de ses conquêtes, puisque celles-ci n’ont mené qu’à la perte de la Bretagne, puis il s’attaque frontalement aux faiblesses chronologiques du récit galfridien. Il remarque qu’aucun empereur romain de cette époque ne se nommait Lucius comme celui qu’Arthur est censé avoir vaincu. Poussant plus loin son raisonnement, il affirme que si Arthur est mort en 542, comme l’affirme Monmouth, il lui serait impossible d’avoir défait l’armée de l’empereur Léon, qui a commencé son règne, d’après le De Romanorum Imperatorum d’Yves de Chartres, en 468, soit avant la naissance d’Arthur. Pourtant, s’il pointe les erreurs chronologiques de Geoffrey de Monmouth, jamais il ne remet en question le fond de l’histoire que celui-ci raconte, ni sa crédibilité comme historien58. À la même époque, Jean de Wavrin attaque lui aussi Geoffrey de Monmouth, mais seulement pour sa partialité, l’accusant d’épargner Mordred car il serait de son lignage59 !

On peut dès lors se poser la question de savoir s’il était concevable pour un historien médiéval de considérer l’existence même d’Arthur comme étant le seul fruit d’inventions romanesques, et de considérer le travail de Monmouth comme un travail fictionnel ? Force est de constater que la fameuse attaque de William de Newburgh contre Geoffrey ne fut guère suivie. Il faut attendre le XIVe siècle pour voir de nouveau un historien s’attaquer aussi directement à l’œuvre de Monmouth dans son ensemble. Ranulph Higden, moine de Chester, réserve un long développement à Geoffrey dans son Polychronicon. Il convient de le citer in extenso tant il est détaillé et original pour un historien médiéval :

Ceterum de isto Arthuro, quem inter omnes chronographos solus Gaufridus sic extollit, mirantur multi quomodo veritatem sapere possint quæ de eo prædicantur, pro eo quod si Arthurus, sicut scribit Gaufridus, terdena regna acquisivit, si regem Francorum subjugavit, si Lucium procuratorem reipublicæ apud Italiam interfecit, cur omnes historici Romani, Franci, Saxonici tot insignia de tanto viro omiserunt, qui de minoribus viris tot minora retulerunt. Ad hæc dicit Gaufridus suum Arthurum regem Francorum Frollonem vicisse, cum tamen de Frollonis nomine nusquam reperiatur apud Francos. Item dicit Arthurum tempore Leonis imperatoris Lucium Hiberium, reipublicæ procuratorem, extinxisse, cum tamen juxta omnes historias Romanas constet nullum Lucium eo tempore rempublicam procurasse, neque illum Arthurum ullatenus tempore Leonis regnasse, neque etiam tunc natum fuisse, sed tempore Justiniani, qui quintus fuit a Leone. Denique Gaufridus dicit se mirari quod Gildas et Beda nullam de Arthuro in suis scriptis fecerunt mentionem ; immo magis mirandum puto cur ille Gaufridus tantum extulerit, quem omnes antiqui veraces et famosi historici poene intactum reliquerunt; sed fortassis mos est cuique nationi aliquem de suis laudibus attollere excessivis, ut quemadmodum Græci suum Alexandrum, Romani suum Octavianum, Angli suum Ricardum, Franci suum Karolum, sic Britones suum Arthurum præconantur. Quod sæpe contingit, sicut dicit Josephus, aut propter historiæ decorem, aut propter legentium delectationem, aut ad proprii sanguinis exaltationem. Nam dicit Augustinus De Civitate, libro octavodecimo, capitulo primo, quod Atheniensium gesta majora fuerunt fama quam re ipsa, et hoc propter scriptorum ibidem [florentium] præclara ingenia, qui sensum suum ad ardua et linguam suam ad laudisona laxare sunt gavisi60.

Pour la première fois, un historien médiéval, comparant les autorités sur l’histoire antique de la Bretagne, affirme clairement qu’il faut préférer Bède et Gildas à Monmouth. Il ne s’agit plus seulement de relever des incohérences, mais d’un développement visant à retirer à Geoffrey toute crédibilité comme historien. Notons cependant que Ranulph Higden ne remet pas en question l’existence même d’un Arthur historique : le comparant à l’Alexandre des Grecs et au Charlemagne des Français, il conforte son existence. Son argumentation ne cherche donc pas à assimiler toute matière de Bretagne à une matière romanesque et fictionnelle.

Le succès considérable du Polychronicon (plus de 100 manuscrits conservés) explique que cette critique de Geoffrey eut une portée bien plus grande que celle de William de Newburgh. Des voix s’élevèrent pour défendre l’autorité de l’oeuvre de Geoffrey de Monmouth, à commencer par celle de John Trevisa, clerc d’Oxford qui traduisit le Polychronicon en anglais dans les années 138061. Lorsqu’il en vient au passage susmentionné, il le traduit, mais ne peut s’empêcher d’ajouter une rubrique personnelle dans laquelle il s’adresse à son lecteur62. Ses arguments peuvent être résumés ainsi : on ne peut utiliser les discordances entre les sources, car dans ce cas on pourrait remettre en question jusqu’aux évangiles qui ne concordent pas tous sur plusieurs détails. Certains historiens ont pu passer sous silence le règne d’Arthur car ils étaient ses ennemis. Par ailleurs, « It is wonder þat he seiþ þat no Frollo was kyng of Fraunce, noþer Lucius procurator of þe comynte, noþer Leo emperour in Arthur his tyme, seþþe þat ofte an officer, kyng, oþer emperour haþ many dyvers names, and is diverseliche i-nempned in meny dyvers londes63. » Enfin, il conclut en remarquant :

(…) and ȝit þey Gaufridus had nevere i-spoke of Arthur, meny noble naciouns spekeþ of Arthur and of his nobil dedes. But it may wel be þat Arthur is ofte overpreysed, and so beeþ meny oþere. Soþ sawes beeþ nevere þe wors þey madde men telle magel tales, and som mad men wil mene þat Arthur schal come aȝe, and be eft kyng here of Britayne, but þat is a ful magel tale, and so beeþ meny oþere þat beeþ i-tolde of hym and of oþere64.

En quelques lignes, Trevisa a résumé le rapport des chroniqueurs médiévaux à l’histoire : il est d’abord question de foi accordée à l’autorité d’une source. Si l’on considère que Geoffrey a été suivi par la plupart des historiens, quels que soit leur nation et leur pays, s’il a fourni la base de l’histoire nationale de l’Angleterre au travers des Brut, c’est que son texte jouit d’une autorité suffisante pour être cru. Dès lors, il n’est plus question de critique de détail, mais d’accepter en bloc sa leçon avec foi. Lorsqu’une source diffère de son histoire, il suffit d’évaluer l’autorité respective de chaque source, et à ce jeu, pour Trevisa, Monmouth l’a emporté65. La fin de sa défense montre bien qu’il sépare très clairement l’Arthur historique de l’Arthur des « conteurs de fausses histoires », c’est à dire qu’il sépare sans hésiter matière de Bretagne historique et romanesque.

Un autre historien du XIVe siècle a jugé bon de défendre le travail de Monmouth, et à travers lui l’existence d’un Arthur historique. Il s’agit de Thomas Gray, auteur de la Scalachronica. Il commence par remarquer que :

Ascuns cronicles ne fount mensioun de Arthur, et pur ceo les vus dez grauntz clerkes de diuinite pensent qe ceo ne soit de Arthur. fors chos controuez & paginez pur ceo qe Bede ly venerent doctour et autres puscedy qi de soun dit enount pris ensaumple de lour tretice com le historia aurea & le polecraton nen parlent rien de ly nen touchent memoir66

Il rappelle que Bède et d’autres refusent de : « rementovier sez gestez. pur ceo qe tauntz estoient vayns fayes & meruaillous, qe autres nen prissent ensaumple ne creascent tiels fantasies, qe plus cheierent en soun temps, qe nule autre foitz. » Le saint homme aurait dédaigné les fantaisies mondaines d’Arthur, et d’autres à sa suite, douteux notamment envers sa fin merveilleuse. Cependant, affirme Thomas Gray, il existe des preuves indiscutables de l’existence d’Arthur : la chaussée des Géants et Stonehenge67. Il utilise ensuite le même argument que Trevisa : des chroniques de tous pays, certaines pleines d’autorité, mentionnent son règne :

(…) mes toutes gestez de france Espayne. Germain et de Allemain en fount meruaillous mencioun de sez contenementz. par quoi meutz est a nous privez a croir sa noblesce. pusque lez estraungers le rementivent en lour gestes mernonales auctentiqement. Et puisque lez greignours partys de cronicles lez tesmoignount. Qe ou est la greignour partye. la doit meutz estre cru la vente par resoun.

Viennent ensuite d’autres arguments plus curieux : Bède n’avait peut-être pas le talent de conter les exploits sans précédents d’Arthur, ou plutôt, suggère l’auteur, son statut de Saxon l’a poussé à taire les exploits de ce roi celte, car « Entre queux ny out vnqes graunt amour ». Quand bien même Bède n’aurait pas voulu taire l’histoire d’un héros celte, il n’a sans doute pas pu avoir connaissance de l’histoire du roi Arthur, car celui-ci vécut longtemps avant lui, et ses exploits n’étaient alors consignés qu’en langue celte, que Bède ne comprenait pas68. Ce qu’il faut retenir de cette longue défense de l’existence d’Arthur, qui n’était pas fondamentalement remise en cause même par les plus critiques comme Higden c’est que les historiens médiévaux n’avaient pas renoncé à se servir de la matière de Bretagne comme d’une matière pleinement historique.

Conclusion

Les historiens médiévaux ont longtemps recopié une histoire arthurienne qui apparaît évidemment fausse à la lumière de notre histoire érudite. Cependant, ils n’étaient pas des naïfs, ne confondaient pas les fables des romanciers bretons et leur matière de Bretagne. Tout au plus considéraient-ils que les contes avaient un fond historique auquel ils pouvaient se référer avec beaucoup de précautions. Ils ont aussi perçu les incohérences du récit galfridien, les comblant par leur imagination historique (chez Jean d’Outremeuse par exemple) ou bien les relevant sans les résoudre. Cependant, le raisonnement logique, utilisé par Trevisa, Higden, ou Gray, ne venait chez eux que conforter une estimation générale de l’autorité des sources. Et à ce jeu, Geoffrey fut longtemps inattaquable, mais pas indétrônable, comme le montre Ranulph Higden. À la question que nous nous posions, de savoir s’il était possible pour un historien médiéval de considérer l’existence même d’Arthur comme étant le seul fruit d’invention romanesques, et de considérer le travail de Monmouth comme un travail fictionnel, il faut donc apporter deux réponses distinctes. Il était apparemment impossible pour un historien médiéval, même aussi sérieux et sans concessions que Higden, de nier l’historicité d’Arthur. Tout au plus pouvait-il se plaindre des nombreuses fables qui couraient à son sujet. En revanche, les chroniqueurs purent peu à peu mettre en question le récit de Geoffrey de Monmouth : plus l’histoire érudite progresse, mieux les concordances temporelles sont connues, plus son œuvre dévoile ses faiblesses. Cependant, son immense autorité, liée à son succès inégalé pour un historien médiéval, explique que l’Historia regum Brittaniae soit longtemps resté la référence obligatoire pour traiter de l’histoire de Bretagne antique, malgré les incohérences que constataient mêmes les historiens les plus enclins à lui faire confiance. Malgré les attaques des moralistes, malgré les doutes qui assaillent certains historiens, ce n’est que lorsque le système de l’autorité s’effondra peu à peu pour laisser place à une conception moderne de l’histoire que la matière de Bretagne devint définitivement synonyme d’affabulation.

1 On nomme « matière de Bretagne » l’ensemble des œuvres qui se rapportent à des légendes et histoires, souvent fortement teintées de merveilleux, se déroulant dans un passé mythique en Bretagne continentale ou insulaire. La principale figure de cette matière est le roi Arthur.

2 Philippe de Mézières, Songe du Vieil Pèlerin, III, 229, éd. Joël Blanchard, Paris, 2008, Pocket, (Agora), p. 686.

3 Ibidem, p. 686.

4 Cela peut être confirmé par les mots durs que Riche précieuse destine aux Anglais lorsqu’elle s’adresse à eux : « … imbus des belles sottises inventées et incarnées par le courage physique de Lancelot et de Gauvain, ainsi que d’autres personnages de votre doctrine excessive, vous attribuez à votre courage et à votre chevalerie des victoires que mon père vous a octroyées. » cf. Ibidem, I, 76, p. 358. Notons que les projets de croisade de Philippe de Mézières ont aussi pu l’inciter à privilégier ainsi Charlemagne.

5 Le mot de roman n’a pas eu dès son origine une acceptation clairement fictionnelle, puisqu’il désignait tout récit de langue française. Ce n’est qu’à partir du XIVe siècle qu’il prit plus clairement un sens générique, se rapportant aux œuvres de fiction à narration longue (sur le sujet, voir Francis Gingras, Le bâtard conquérant. Essor et expansion du genre romanesque au Moyen Âge, Paris, Honoré Champion éditeur, 2011, Nouvelle bibliothèque du Moyen Âge, 106). Dans cet article, nous utilisons par commodité ce mot dans son acceptation anachronique, c’est-à-dire en considérant la postérité des œuvres que l’on pourrait qualifier de proto-romanesques, comme le fit P. Zumthor,  Langue, texte, énigme, Paris, Éditions du Seuil, 1975, p. 238, lorsqu’il parlait de la naissance conjointe au XIIe siècle, dans la littérature de langue française, des jumeaux que sont le roman et l’histoire. Sur le sujet de la frontière générique entre roman et histoire, nous nous permettons de renvoyer le lecteur à notre ouvrage à paraître : Pierre COURROUX, L’écriture de l’histoire dans les chroniques françaises (XIIe-XVe s.). Les critères de l’historicité médiévale de Benoît de Sainte-Maure à Monstrelet, Paris, Classiques Garnier, (Bibliothèque d’histoire culturelle).

6 Même si l’Arthur « littéraire » et « historique » ont cohabité depuis déjà plusieurs siècles pour les peuples celtes de la Grande-Bretagne, ce qui explique en partie l’aspect légendaire de l’Arthur historique, et les réminiscences historiques de la matière de Bretagne.

7 Nous avons choisi ce mot pour désigner de manière générique les auteurs de récits à valeur historique au Moyen Âge. Il était à la période qui nous intéresse de loin le plus répandu tant en langue latine qu’en langue française, cf. Bernard Guenée, « Histoire et chronique, nouvelles réflexions sur les genres historiques au Moyen Âge », in Daniel Poirion (dir.), La chronique et l’histoire au Moyen Âge, colloque des 24 et 25 mai 1982, Paris, Presses de l’Université de Paris Sorbonne, 1986, p. 3-12, notamment p. 7 et 11 ; et Peter F. Ainsworth, « Conscience littéraire de l’histoire au Moyen Âge », in Michel Zink et Franck Lestringant (dir.), Histoire de la France littéraire : naissances, renaissances (Moyen Âge-XVIe siècle), Paris, PUF, 2006, (Quadrige), p. 349-419, plus spécialement p. 358.

8 Lister M. Matheson, « King Arthur and the medieval English chronicles », in Valerie M. Lagorio et Mildred Leake Day, King Arthur Through the Ages, New York, Garland Publications, 1990, p. 248-274. Le travail de Robert Huntingdon Fletcher, Arthurian material in chronicles, especially those of Great Britain and France, Boston, Ginn and Company, 1906, (Studies and notes in philology and literature, vol. X) dépasse le simple cadre de la littérature anglaise, mais il est désormais vieilli, même si sa lecture reste indispensable pour qui souhaite aborder le sujet.

9 Là encore, une telle approche a déjà été poursuivie, mais seulement en ce qui concerne les chroniques anglaises, dans Richard James Moll, Facts and fictions: Chronicle, romance and Arthurian narrative in England, 1300-1470, thèse de Doctorat soutenue à l’Université de Toronto en 1999, un travail qui nous a beaucoup servi.

10 Voir notamment les réflexions de Bernard Guenée, Histoire et culture historique dans l’occident médiéval, Paris, Aubier, 1980, p. 129 sqq.

11 Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? Essai sur l’imagination constituante, Paris, Éditions du seuil, 1983, (coll. Des travaux).

12 Peter Damian-Grint et Françoise H. M. Le Saulx, « The Arthur of the Chronicles », in G. S. Burgess (dir.), The Arthur of the French. The Arthurian legend in medieval French and Occitan literature, Cardiff, University of Wales Press, 2006, p. 93-111 ; p. 93-94 : « There are a number of reasons for the ease with which the Historia was granted the authoritative status it so quickly achieved. First, Geoffrey of Monmouth himself was not without credentials. (…) Moreover, the Historia is not pure fabrication. It draws from a range of sources, both oral and written, including all the historical sources available at the time, from the classics to the Historia Britonum and the works of Gildas and Bede. Even if we cannot accept the claim made by Geoffrey in his introduction that his putative source was « attractively composed to form a consecutive and orderly narrative » he certainly made extensive use of Welsh genealogies and king-lists. The stories relating to different kings and their parentage might well be due to Geoffrey’s imagination, but the names at least were genuine, and their order of succession was roughly based on the authority of Welsh documents ».

13 Guillaume de Newburgh, Historia Rerum Anglicarum, Livre I, prologue, éd. P. G. Walsh et M. J. Kennedy, Warminster, Aris and Phillips, 1988, p. 28 : « At contra quidam nostris temporibus, pro expiandis his Britonum maculis, scriptor emersit, ridicula de eisdem figmenta contexens, eosque longe supra virtutem Macedonum et Romanorum impudenti vanitate attollens. Gaufridus hie dictus est, agnomen habens Arturi, pro eo quod fabulas de Arturo, ex priscis Britonum figmentis sumptas et ex proprio auctas, per superductum Latini sermonis colorem honesto historiae nomine palliavit ; » traduction personnelle.

14 Lister M. Matheson, The Prose Brut. The Development of a Middle English Chronicle, Tempe (Arizona), Medieval and Renaissance Texts and Studies, 1998, p. 1. Les œuvres historiques médiévales dépassant les 100 manuscrits conservés sont très peu nombreuses et sont toutes des succès très importants (sur le sujet, cf. B. Guenée, Histoire et culture historique dans l’occident médiéval, p. 248-274). Trois autres œuvres que nous mentionnons peu après, la Chronique de Martin de Troppau, le Speculum Historiale de Vincent de Beauvais et le Polychronicon de Ranulph Higden, font partie des principaux succès historiques du Moyen Âge : nous avons volontairement étudié ces œuvres très recopiées pour avoir une vue représentative de ce que pensaient les hommes d’alors.

15 Bien sûr, la matière de Bretagne chez Geoffrey dépasse largement le simple moment Arthurien. Mais le « moment arthurien » pose bien plus problème, en raison de ses liens à des œuvres clairement associées à la fabula.

16 Sur la réception de Monmouth à la fin du Moyen Âge, voir notamment Laura Keeler, Geoffrey of Monmouth and the late latin chroniclers: 1300 – 1500, Berkeley, University of California Press, 1946 ; voir aussi John Spence, Reimagining History in Anglo-Norman Prose Chronicles, York, York Medieval Press, 2013, p. 40 sqq.

17Laura Keeler, Geoffrey of Monmouth…, p. 40-42.

18 Pierre Le Baud, Cronicques et ystoires des Bretons, éd. Charles de La Lande de Calan, Société des bibliophiles Bretons, 1910, prologue, vol. I, p. 4. Notons que le chroniqueur distingue soigneusement la matière des Bretons continentaux de la matière des Bretons insulaires (cf. vol. 2, p. 116), développée par Geoffrey, bien qu’il y puise largement.

19Ibidem, p. 38.

20 Martini Oppaviensis chronicon pontificum et imperatorum, ed. Ludwig Weiland, Monumenta Germaniae Historica, Scriptores, vol. XXII, Hanovre, 1872, p. 377-475. La citation se trouve p. 419 : « En ce même temps, comme il se lit dans l’histoire des Bretons, Arthur régna en Bretagne, qui par sa générosité et sa droiture ajouta à ses possessions la France, la Flandre, la Norvège, la Dacie et les autres îles de la mer. Blessé à mort lors d’un combat, il se retira pour soigner ses plaies dans une certaine île [un ms. ajoute : à savoir Avalon] ; par la suite, les Bretons n’eurent aucune certitude quant à sa vie jusqu’à nos jours. » Traduction personnelle.

21 William Matthews, « Martinus Polonus and Some Later Chronicles », Medieval Literature and Civilisation. Studies in honor of G. N. Garmonway, éd. D. A. Pearsall and R. A. Waldron, London, The Athlone Press, 1969, p. 275-288.

22 Texte d’après le ms. BnF, fr. 6360, f°119v-120r.

23 Aubri de Troisfontaines, Chronica Albrici monachi trium fontium, a monacho novi monasterii Hoiensis interpolata, éd. Paulus Scheffer-Boichorst, dans Monumenta Germaniae Hicstorica. Scriptores, vol. XXIII, Hanovre, 1874, p. 631-950 ; ici p. 689 : « In hystoria Britonum de Vortegirno rege et de turri quam edificavit, et de hiis que absconsa erant sub fundamento turris, et quomodo per Merlinum prophetam interpretata sunt. » et p. 690-691 : « Anno 459 : Britonum Arturus famosissimus regnat annis 16. (…) Anno 475. Rex Arturus letaliter vulneratus ad insulam Avallonis secessit. » Sur le sujet, voir André Moisan, « Aubri de Trois-Fontaines et la Matière de Bretagne », Cahiers de civilisation médiévale, 31e année, n°121, Janvier-mars 1988, p. 37-42.

24 Vincent de Beauvais, Bibliotheca Mundi seu Speculi maioris Vincentii Burgundi, Douai, Balthazaris Belleri, 1624, Speculum Historiale, XVII, 7 : « Denique post annos XLV ab anno prenotato, ponunt quidam initium regni Anglorum. Nam in hac re multum dissonant hystorie. (…) Ab hinc autem regnum Anglorum annotare supersedeo, quia maiorum hystorias quas sequar non habeo » Traduction personnelle : « Par la suite, 45 années après l’an susmentionné, certains placent le début du royaume d’Angleterre. En effet, les historiens divergent grandement sur ce sujet. (…) Cependant, je me suis abstenu de noter l’histoire du royaume d’Angleterre à partir de ce point, car la plupart des histoires que je suis ne le font pas. »

25Froissart, Chroniques, édition Siméon Luce, Paris, Société de l’Histoire de France, vol. I, 1869, p. 50.

26Ibid., p. 63.

27 Voir notamment Thea Summerfield, « The Arthurian references in Pierre de Langtoft’s Chronicle », in N. J. Lacy (éd.), Text and Intertext in Medieval Arthurian Literature, New York, Routledge, 1996, p. 187-208, et plus spécialement p. 199 : « References to Arthurian legends or prophecies uttered by Merlin were taken extremely seriously, and their use was not limited to historiographical or literary works : they are also featured in official documents, such as the exchange of letter between Pope Boniface VIII and Edward I on the subject of the overlordship of Scotland. »

28 Cuvelier, La chanson de Bertrand du Guesclin, édition Jean-Claude Faucon, Toulouse, Éditions universitaires du Sud, 1990-1991, 3 vol., v. 908-912.

29L. Keeler, Geoffrey of Monmouth…, p. 73-74.

30 Une telle distinction entre l’Arthur des romans et l’Arthur des chroniques a déjà été faite, voir notamment Peter Damian-Grint et Françoise H. M. Le Saulx, « The Arthur of the Chronicles ».

31 Wace, Roman de Brut, édition et traduction Judith Weiss, Exeter, 1999, v. 9 751-52.

32 Ibidem, v. 9 788-9 798. Traduction personnelle : « Je ne sais si vous en avez entendu parler, [c’est alors que] se produisirent les merveilles et advinrent les aventures dont on parle tant au sujet d’Arthur, si bien qu’elles semblent être des fables. Ni tout mensonge, ni vérité entière, ni pleine folie, ni chose tout à fait raisonnable. Les conteurs ont tant conté et les affabulateurs tant affabulé pour embellir leurs contes, qu’ils ont donné à tout l’apparence de la fable. » Notons que la fameuse expression « Ne tut mençunge, ne tut veir » ne s’applique pas, contrairement à ce que certains commentaires abusifs ont pu laisser entendre, à l’œuvre de Wace, qui réclame pour son Brut une véracité pleinement historique, mais aux contes Arthuriens.

33 Wace, Le roman de Rou, édition A. J. Holden, Paris, Picard, 1970-73, (Société des anciens textes français), 3 vol., III, v. 6 373-6 398.

34 « Durant ces mêmes douze années de paix / de nombreuses merveilles se produisirent et bien des choses remarquables / [que] l’on peut lire et voir dans le livre du saint Graal. / Mais les clercs n’en rapportent rien comme les autorités / car beaucoup relève de la sorcellerie et aussi des enchantements / à cause de Merlin, aussi les hommes lettrés n’y prêtent pas attention. » Traduction personnelle. Texte et analyse dans R. J. Moll, Facts and fictions…, p. 28.

35 L’intérêt de texte a été développé par Willem P. Gerritson. « Jacob van Maerlant and Geoffrey of Monmouth » in Kenneth Varty (éd.), Arthurian Tapestry. Essays in Memory of Lewis Thorpe, Glasgow, British Branch of the international Arthurian Society, 1981, p. 368-388.

36Ibidem, p. 376.

37 Jacob van Maerlant, Spiegel Historiael, éd. M. De Vries et E. Verwijs, Leiden, Brill, 1863-1879, 3 vol., livre I, ch. 1, v. 55-64 : « Ceux qui sont enervés et mécontents des fables absurdes sur le Graal, des mensonges sur Perceval, et de nombreuses autres fausses histoires, auront de l’intérêt à préférer ce Spiegel Historiael aux historiettes de Lanval ; car l’on y trouvera plus de vérité, mais aussi de nombreuses merveilles, aussi bien des connaissances que des principes purs, ainsi qu’un passe-temps moral. » (traduction personnelle).

38 Ibidem, livre V. ch. 49, v. 18-24 : « Je ne peux pas écrire à propos de Lancelot, ni de Perceval ni d’Agravain ; mais je trouve consignés les faits de Gauvain le bon, et de son mauvais frère Mordred, et du duc de Hainaut, Keu, dont les Français se moquent. » (traduction personnelle).

39 Ibidem, livre V, ch. 55, v. 51-59 : « De Perceval, de Galaad, d’Agravain, de Lancelot, des rois Ban de Benoïc et son égal Bohors, et de nombreux autres noms inventés, je n’ai trouvé ni courte ni longue mention dans les textes latins. Malgré tout, cela me coûte de les perdre, de devoir les séparer de la tradition. » (traduction personnelle).

40 « Ascuns cronicles tesmoignount qe Huweyn recorda en cest maner le departisoun de Arthur. Ascuns gestez de Arthur recordount qe ceo estoit Morgu la fay, sore Arthur. qe plain esoit de enchauntementez. Mais touz lez cronicles recordount qe Merlin prophetiza de Arthur qe sa morte serroit doutous. » Texte et analyse du passage dans R. J. Moll, Facts and fictions…, p. 119 sqq.

41 John Hardyng, première version, f° 70v-71, texte et commentaire dans R. J. Moll, Facts and fictions…, p. 240 sqq. : « Ces chevaliers eurent de nombreuses aventures, que je ne me permettrai pas de compiler dans ce livre ; elles sont bien racontées dans de nombreux écrits de qualité, et mieux que ce que je pourrais dire ou écrire à leur sujet avec mon style. Je ne me suis pas avancé à en faire le récit à cause de la simplicité de ma plume, je ne ferais rien que rendre cela moins bon ; car je n’ai ni vu ni entendu leurs actes, mais je suis bien certain que ces écrits contiennent plus [de matière] que la Bible. Celui qui souhaite d’attaquer à cette tâche, il pourra trouver beaucoup d’écrits dans le grand livre de toutes les aventures du saint Graal. »

42 Jean de Wavrin, Recueil des croniques et anchiennes istories de la Grant Bretaigne, a present nomme Engleterre, éd. W. Hardy et E. L. C. P. Hardy, London, Longman, Trübner, etc. (Rerum Britannicarum medii aevi scriptores, Chronicles and Memorials of Great Britain and Ireland During the Middle Ages, 39), 1864-1891, 5 t. Toutes les citations qui suivent se trouvent vol. 1, p. 447-448.

43 John of Glastonbury, The Chronicle of Glastonbury Abbey: An Edition, Translation, and Study of John of Glastonbury’s Cronica sive Antiquitates Glastoniensis Ecclesie, éd. James P. Carley, tr. D. Townsend, Woodbridge. Boydell, 1985, 52 : « Ioseph ab Arimathia nobilem decurionem cum filio suo Iosephes dicto et aliis pluribus in maiorem Britanniarn que nunc Anglia dicta est venisse et ibidem vitam finisse testatur liber de gestis incliti regis Arthuri. »

44R. J. Moll, Facts and fictions…, p. 75-76.

45 Rauf de Boun, Le Petit Bruit, Diana B. Tyson (éd.), London, Anglo-Norman Text Society [Plain text series, 16], 1987, p. 6 et 13. Sur cette chronique, voir John Spence, Reimagining history…, p. 58-62.

46 E. Zettl (éd.), An Anonymus Short Metrical Chronicle, London, Oxford University Press, 1935. Pour une analyse de cet épisode, qui se trouve dans le ms. Auchinleck (National Library of Scotland, Adv. MS. 19.2.1, no. 155), cf. R. J. Moll, Facts and fictions…, p. 31 sqq.

47 Jean D’Outremeuse, Ly myreur des histors, chronique de Jean des Preis dit d’Outremeuse, éd. Adolphe Borgnet et Stanislas Bormans, Bruxelles, Hayez pour l’Académie royale de Belgique, 1864-1880, 7 vol. L’histoire arthurienne occupe une grande part du second volume. Elle a déjà été étudiée par Omer Jodogne, « Le Règne d’Arthur conté par Jean d’Outremeuse », Romance Philology, Vol. 9, n°1, Los Angeles, University of California press, 1955, p. 144-156 ; Richard Trachsler, Clôtures du cycle arthurien, Étude et textes, Genève, Droz (Publications Romanes et françaises, vol. 215), 1996 ; Madeleine Tyssens, « Jean d’Outremeuse et la matière de Bretagne », in Studia in honorem M. de Riquer, Tome 4, Barcelone, Quaderns crema, 1991, p. 593-609.

48Ibidem, II, 182 sqq. Pour une analyse de cet épisode, voir notre travail à paraître : COURROUX, L’écriture de l’histoire…

49Pierre Le Baud, Cronicques et ystoires des Bretons, livre III, chap. 10-30.

50Ibidem, livre III, chap. 37.

51Ibidem, livre III, chap. 41.

52 Alain Bouchart, Grandes croniques de Bretaigne, éd. Marie-Louise Auger et Gustave Jeanneau sous la direction de Bernard Guenée, Paris, éditions du CNRS, 1986, 2 vol.

53Ibidem, vol. 1, p. 259.

54 Marie-Louise Auger, « Instruction d’un faux procès. Alain Bouchart contre Robert Gaguin », in Saint-Denis et la royauté. Mélanges offerts à B. Guenée, Actes du Colloque international en l’honneur de B. Guenée, éd. C. Gauvard, F. Autrand et J.-M. Moeglin, Paris, Publications de La Sorbonne, 1999, p. 583-591.

55 Cf. Vincent de Beauvais, Bibliotheca Mundi seu Speculi maioris…, XXI, 56 : « Cuius mirabiles actus etiam lingue personant populorum, licet plura esse fabulosa videantur ». Notons que Bouchart : « cherche à établir par tous les moyens la supériorité des Bretons sur les Français » et qu’il n’hésite pas pour cela à faire preuve d’une grande dose de mauvaise foi (M.-L. Auger, « Instruction d’un faux procès… », p. 591).

56L. Keeler, Geoffrey of Monmouth and the late latin chroniclers…, p. 7.

57Sur ce qui suit, ibidem, p. 44-45.

58 Ibidem, p. 45 : « Yet it is to be noted that Rudborne questions neither the authenticity of the HRB nor the reliability of Geoffrey as a historian in general, but only the possibility of certain exploits attributed to Arthur. He finds that there was no emperor of the Romans named Lucius, but has no doubt that there was a king of the Britons called Arthur. »

59 Jean de Wavrin, Recueil des croniques et anchiennes istories…, p. 436-438 : « De ceste trayson et de la bataille qui sensieult dyst lacteur de ce livre que le consul Gauffroy Monemutensis escripsy en Breston presques toutes les histoires dessus recitees, mais ceste-cy laissa il en silence pour deux causes lune pour ce quil estoit du lingnage au pere du traitre Mordreth (…) ; je extime que ce fut la cause pour quoy cest acteur Gauffroy le trespassa sans en parler, car véritablement labhomination delle le rent intraictable et la coaadition du traytre indycible mais lacteur de ce present livre traitte ceste bataille de Artus et Mordreth qui sensieult de Gaultier de Oxenee, qui lavoit pourtraitee en langue brete, lequel fut homme scientifficque et tres expert en histoires, mais toutesfois sen passa il, moult briefment recitant en somme et grossement les batailles que ot cellui noble roy Artus, depuis quil fut retournez en Bretaigne, contre Mordreth son nepveu, apres la victoire eue des Rommains. »

60 Polychronicon Ranulphi Higden Monachi Cestrensis together with the English Translations of John Trevisa and of an Unknown Writer of the Fifteenth Century éd. C. Babington & J.R. Lumby, London, Longman, 1865-68, vol. 5, livre V, chap. 6, p. 332-338 : « Du reste, à propos de cet Arthur, que seul Geoffrey exalte ainsi parmi tous les chronographes, nombreux sont ceux qui se demandent comment il est possible de savoir la vérité à propos de ce qu’on raconte à son sujet, car si Arthur, comme l’écrit Geoffrey, acquit trente royaumes, s’il soumit le royaume des Francs, s’il tua Lucius, gouverneur de la république en Italie, pourquoi donc tous les historiens romains, francs, saxons, tous remarquables au sujet de tant d’hommes l’omirent, eux qui rapportent tant de détails au sujet d’hommes de peu d’importance. À ce propos, Geoffrey dit que son Arthur vainquit Frollon, roi des Francs, alors que le nom de Frollon n’est ne se retrouve nulle part chez les Francs. Il dit de même qu’au temps de l’empereur Léon, Arthur causa la mort de Lucius Hiberius, gouverneur de la république, tandis que selon toutes les histoires de Rome, il apparaît clairement qu’aucun Lucius ne défendit la république en ce temps, que cet Arthur ne régna d’aucune manière à l’époque de Léon, et qu’il n’était pas même né avant l’époque de Justinien, qui fut le cinquième empereur après Léon. En somme, Geoffrey dit qu’il s’étonne que Gildas et Bède n’aient fait aucune mention d’Arthur dans leurs écrits ; mais j’estime au contraire qu’il faut plutôt se demander pourquoi ce Geoffrey le loua tant, lui que tous les historiens anciens, véridiques et célèbres laissèrent presque sous silence ; mais peut-être est-il de coutume pour chaque nation de porter l’un des siens à des louanges excessives, de même que les Grecs pour leur Alexandre, les Romains pour leur Octave, les Anglais pour leur Richard, les Français pour leur Charles, ainsi les Bretons se font les hérauts de leur Arthur. Ce qui arrive souvent, comme le dit [Flavius] Josèphe, soit pour l’ornementation de l’histoire, soit pour le plaisir de ceux qui lisent, soit pour l’exaltation de son propre sang. En effet, Augustin dit dans De Civitate, livre 18, chapitre premier, que les actes des Athéniens furent plus grands dans leur réputation que dans les faits eux-mêmes, et ceci à cause de leurs écrivains talentueux à l’esprit brillant, qui prirent plaisir à étendre leurs sens jusqu’aux sommets et leur langue jusqu’aux louanges ». Traduction personnelle.

61 Sur Trevisa, voir D. C. Fowler, Life and Times of Joht, Trevisa. Mediaeval Scholar, Seattle, University of Washington Press, 1995.

62Polychronicon Ranulphi Higden…, p. 332-338.

63 Id . : « Il est étonnant qu’il (Ranulph Higden) dise que Frollo ne fut pas roi de France, ni Lucius administrateur du bien commun, ni Léon empereur au temps d’Arthur, étant donné que souvent, les officiers, rois, et autres empereurs avaient plusieurs noms différents, et étaient nommés de manière variée dans les divers pays » traduction personnelle.

64 Id. : « (…) de plus, quand bien même Geoffrey n’aurait jamais parlé d’Arthur, de nombreuses et nobles nations parlent de lui et de ses nobles faits. Il se peut qu’on exagère souvent les exploits d’Arthur, mais il en va de même pour bien d’autres. Ces dires ne seront jamais les pires des conteurs de fausses histoires, et quelques hommes fous diront qu’Arthur doit revenir et redevenir roi de Bretagne, mais c’est une histoire entièrement farfelue, ainsi que bien d’autres qui sont racontées par eux et par d’autres. » Traduction personnelle.

65 Pour certains commentateurs, sa défense de Geoffrey serait d’abord due à un certain « celticisme », cf. D. C. Fowler, Life and Times…, p. 187 ; pour Ronald Waldron, « Trevisa’s « Celtic complex » revisited », Notes and Queries, 234, 1989, p. 303-307, Trevisa se montre juste précautionneux sur les discordances de l’histoire qu’il faut juger avec prudence. Nous sommes plutôt de l’avis de R. J. Moll, Facts and fictions…, p. 62-63, pour qui Trevisa juge simplement l’autorité de Monmouth et des Brut plus grande que celle de l’œuvre de Higden.

66 Le texte de la Scalachronica, qui n’est pas encore édité pour la partie arthurienne, est une transcription qui se trouve dans les annexes de R. J. Moll, Facts and fictions…, p.351-354. Il analyse le rapport de la Scalachronica au règne Arthurien dans le même ouvrage, p. 74 sqq.

67 « la graunt meruail qe a iour de huy dure du karote dez Geaunz, qe hom appele le stonhinge. meruaillous peres de graundour qe sount sur lez playns de Salisberis. qe Merlin fist aporter par sez enchauntementz hors de Ireland en le temps Aurilius et de Uter le pier Arthur »

68 « Mes tout soient lez ditz de Bede autentiqes: vncor dez chos preteriz deuaunt soun temps ne poait naturelement auoir entendement, mes par enseismement dez ditz des autres sez predecessours entrepretours en lour estoirs lez queux com sassouns est a supposer a bretouns. qe ben purroint en cas desporter par la Caus susdit la loenge dez bretouns, de quel nacioun Arthur estoit Roys, qe plus auaunt ne pooit Bede tesmoigner de gestes al hour pretenz ; qe lez estoires ne firent qe ensaumples estoient de sez ditz, lez qels bien est supposables, estoint ditz en latin ou la gest bretoun estoit dit en breton, tanqes Gauter Archedeken de Oxenfordre le traunslata en latin, com est troue en sez ditez. Par quoi le manir a meruailler, si bede ne en fist mencioun, pusqe du dit langage nauoit Conisaunce ne cure en cas de soi entremettre (…) »