Le droit du peuple à la révolution : la contribution du cas corse. Enjeux politiques et dynamiques intellectuelles (1729-1769)

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Erick Miceli

 


Résumé : Entre 1729 et 1769, le Royaume de Corse s’embrase contre la République de Gênes qui domine l’île depuis plusieurs siècles. En quelques mois, le soulèvement populaire se mue en révolte, puis en Révolution. Les Corses explorent les archives et bibliothèques afin de justifier leur prise d’armes contre la République qui serait devenue tyrannique : ainsi, ce serait une « guerre juste ». Les Génois, eux, ne voient parmi les insulaires que des rebelles enclins par nature à la sédition contre leur « prince naturel ». Durant ces quatre décennies, la crise politique provoque une large émulation de l’espace public animé tant par les révolutionnaires que par les Loyalistes qui réfléchissent, écrivent et publient sur les droits et devoirs des sujets et souverains, les passions et vertus humaines, la quête du bonheur qui rythme l’existence. Face à un prince qui désire le rester en toutes circonstances, les lettrés corses inventent un droit du peuple à la Révolution.

Mot-clés : Corse, Lumières, Révolution, contractualisme, guerre juste.


Erick Miceli est doctorant en histoire moderne en codirection à l’Université de Corse et à l’Université de Gênes, et chercheur associé au Laboratorio di Storia Marittima e Navale (NavLab).

miceli-erick@live.fr


Introduction

On peut être tenté de regarder la Corse comme une « périphérie » ou une « marge » de l’Europe afin d’y rechercher la centralité qui caractérise l’émulation intellectuelle et politique européenne. À ce titre, Fernand Ettori remarquait que la Révolution corse était la première, mais également la plus méconnue des révolutions des Lumières[1]. Partant de ce fait, il paraît légitime de questionner l’influence des insurrections corses contre la Sérénissime République de Gênes sur les théories européennes. Dans l’œuvre de l’éminent historien italien Franco Venturi, les Révolutions corses tiennent une place considérable et plusieurs centaines de pages y sont ainsi consacrées dans son Settecento riformatore[2]. Pour être précis, ce n’est pas réellement l’ensemble de la période révolutionnaire qui s’étend sur quatre décennies (de 1729 à 1769) mais plus spécifiquement ce qu’il convient de désigner comme le « moment paolien » (1755-1769), lorsque Pascal Paoli[3] (1725-1807), fils de Giacinto l’un des principaux généraux insurgés ayant trouvé exil à Naples, retourne sur l’île pour prendre la direction de la rébellion afin d’y établir un gouvernement indépendant. Le 14 juillet 1755, il est élu général de la nation et président du Conseil d’État nouvellement formé.

À cette période, la contestation prend une tournure nouvelle. En effet, le jeune Paoli, formé auprès du napolitain Antonio Genovesi, est sensible à la littérature et aux idées du temps, aux idées de tolérance religieuse et porte un intérêt spécifique aux Quakers. Pour Paoli, mieux vaut trouver son bonheur dans la bienfaisance que dans le massacre de milliers d’hommes ; en somme, il affirmé préférer le modèle d’un William Penn[4] législateur que celui d’un Alexandre le grand conquérant. De plus, le jeune homme est un républicain et sa prise de pouvoir entraîne sur l’île un renouvèlement générationnel des révolutionnaires. Sa république[5] naissante entre en opposition avec les familles de notables qui structurent l’espace politique. Suite à son élection, on assiste, entre 1758 et 1761, à un renouvèlement de la pensée politique. En portant plus spécifiquement un intérêt à ce phénomène, émerge sur l’île un nouveau droit du peuple à la Révolution. Dans cet article, je propose d’examiner à l’aune de plusieurs documents inédits la construction de la théorie révolutionnaire locale ainsi que de mettre en relief le lexique et les théories politiques avec les littératures contestataires de l’Italie Moderne. À l’image d’autres révolutionnaires contre l’Ancien Régime, les Corses vont eux-aussi questionner l’inégal rapport entre les « sujets » et le « prince ». Pour eux, la réponse à cette interrogation fondamentale se dessine dans une reconstruction historique adossée à l’idée de l’Histoire chargée de justifier l’indépendance de la nation.

Les influences du contractualisme contestataire

Les passerelles entre les Révolutions corses et les contestations italiennes jaillissent à différentes échelles. L’Italie étant, comme Patrick Boucheron la désignait, une « terre de contrats »[6], il s’y trouve durant l’époque moderne des mouvements contestataires développés sur le motif de la transgression des termes d’une convention originelle. Les cas les plus courants concernent les conflits du « sel » comme en 1540 à Pérouse[7] où l’élite bourgeoise justifie un privilège par un traité ancien et confirmé de par l’intégration de jure de la cité dans les États pontificaux en 1370. Cette prérogative est d’abord acceptée par Paul III lors de son accession à la chaire pontificale puis reniée quelques années plus tard, entraînant un conflit qui se solde par la défaite militaire de la ville. Autre exemple à la fin du XVIIe siècle : Modovi s’oppose à la Savoie pour une affaire semblable. Même pendant la période révolutionnaire corse, l’argument de l’arbitraire hausse du prix du sel[8] est présent dans la littérature contestataire. Il s’agit là, ni plus ni moins, que d’un lieu commun dans le lexique contestataire[9].

L’actualité politique du Genovesato ou Domaine génois et plus particulièrement la contestation qui se développe à Sanremo influencent les écrits politiques corses ; en fait, il faut parler d’une véritable inspiration. En juin 1729, la riche bourgade de Sanremo sur la Rivière du Ponant se révolte contre la République car elle souhaite uniformiser son système fiscal sur l’ensemble du Domaine et supprimer les privilèges que la cité possède depuis plusieurs siècles sur le commerce de l’eau-de-vie, du savon, du tabac et de la poudre. Ces avantages sont revendiqués par des conventions liées à la présence de l’Empire dans le nord de l’Italie aux temps médiévaux. De plus, selon les Sanremesi, les Génois ne peuvent pas revenir sur ces privilèges sans avoir consulté le parlement local[10]. L’assemblée représentative locale joue ici un rôle de protecteur des privilèges communautaires. L’ancienne convention justifie une protection contre l’actualité politique.

Un schéma quelque peu semblable est visible en Corse. En 1715, les due seini, une taxe supplémentaire d’environ 15% de la somme fiscale totale payée est instaurée pour une durée de dix années. En 1729 toutefois, celle-ci est toujours perçue et en décembre de cette même année, une pieve[11] de l’intérieur des terres se soulève contre les autorités génoises qui continuent de prélever cette taxe maintenue quatre années après le terme prévu. Antoine-Marie Graziani observait que la République rend une multitude de contributions contextuelles ponctuelles, pérennes ; c’est là une tradition « toute génoise »[12]. Les révoltés arguent ainsi que la République n’a guère consulté au sujet du prolongement de cette taxe les représentants élus des populations de l’intérieur de l’île, les Nobles XII et VI[13]. Ce serait l’absence de concertation – pourtant exigée par le système de conventions qui intègre la Corse dans le Domaine – qui consacre comme illégitime et arbitraire la pratique génoise. L’incident mineur de décembre provoque une émotion populaire qui, rapidement, se diffuse et se métamorphose en une véritable révolte[14], puis en une Révolution. « Les lignes ordinaires de clivage entre le privé et le public […] se brouillent. L’espace public dans lequel circulent informations et opinions, où les hommes se parlent sans se connaître, se développe de manière extraordinaire. On voit au cours de cette période des hommes que nulle compétence particulière ne semble préparer à intervenir dans le débat politique, écrire des déclarations, des pétitions et des requêtes dont l’objet n’est rien de moins que la nature du pouvoir et du droit ou de la souveraineté du peuple, ou bien les causes de la corruption dans laquelle finissent par s’abîmer tous les États. L’île est bien en révolution »[15].

En l’espace de quelques mois, les revendications des populations, d’abord concentrées contre les notables[16], s’agrègent et se structurent autour d’eux. Dès 1730, ces mêmes notables prennent la tête du mouvement des révoltés. L’on assiste à une « guerre des communiqués »[17] et une émulation de l’espace public[18]. En mars 1731, une assemblée de théologiens corses se réunit pour déclarer la guerre juste contre la République. Le chamboulement de l’ordre social et politique donne l’occasion à l’élite rurale de gravir des échelons qui étaient verrouillés par la République. En effet, l’absence de consentement des populations laisse rapidement place au sentiment de non-considération de l’élite insulaire. Ces familles de notables se sont accaparé les titres de représentants des populations, fonctions desquelles elles retirent un privilège social. La Sérénissime République refusant d’offrir la reconnaissance de noblesse aux Corses, la fonction élective de « Nobles » (pour une durée de dix-huit mois) est le stade statutaire maximal de reconnaissance accessible aux grandes familles. Entre les décennies 1670 et 1730, au moins trois projets de Livres d’or de la noblesse corse sont mis sur la table puis abandonnés et, même durant la Révolution, ce point est le seul sur lequel la République ne transigera jamais. Cette thématique est, dans les premiers feux de la révolte, un leitmotiv et l’on n’hésite pas à écrire que la République a confondu nobile e ignobile[19].

Les Nobles XII, de faux nobles mais de véritables prétentions politiques ?

Dans cette affaire, apparaît la prégnance de l’institution représentative des « Nobles » XII et VI. Cette structure atypique n’est pas un parlement ni même une véritable structure consultative constituée puisque les élus se relaient chaque mois auprès du gouverneur à Bastia, on les désigne comme le « noble du mois » (nobile del mese). Leur rôle se dessine plutôt dans leurs communautés d’origine dans lesquelles ils sont chargés de quelques missions de justice mais plus essentiellement de l’entretien des routes et ponts. En bref, cette investiture confère davantage un rôle social provisoire plutôt que durablement politique. L’institution ne fait d’ailleurs pas consensus puisque. Tous les membres de la société ne conçoivent pas son rôle de la même manière. Pour les habitants de l’intérieur de l’île, ce sont bien des représentants tandis que pour les notables, c’est une structure qui leur revient de droit. Elle est presque compensatoire au regard de l’absence de noblesse. L’érudit Pietro Morati les décrit ainsi comme le « gouvernement des peuples »[20] et ces « Nobles » agissent à l’image d’une véritable noblesse. Lors des premiers temps de la révolte, ils n’hésitent pas prétexter leur rôle régulateur face à la « nécessité »[21] publique afin de s’accaparer le rôle de la justice[22]. On trouve ainsi les principaux éléments rhétoriques de la noblesse et de l’aristocratie européenne : la noblesse a pour charge le Royaume[23]. D’ailleurs, lorsqu’en 1728, le gouverneur Felice Pinelli suggère une réforme du système électoral[24] et propose aux « Nobles » de désigner ceux qui participeront à l’élections des XII et VI, les notables ne s’en offusquent pas et, bien au contraire, puisque parmi les premiers à répondre se trouvent ceux qui seront les principaux révolutionnaires (Andrea Ceccaldi, Don Luigi Giafferi et Giacinto Paoli). L’élite insulaire désire donc une structuration pérenne et hiérarchisée de la société tandis que les communautés demandent un organe « réellement représentatif pour contrebalancer le pouvoir génois »[25]. En effet, les populations considèrent les « Nobles » comme une institution chargée de porter leur voix. Cette vision apparaît notamment par le biais de critiques dans les suppliques de communautés qui contestent des élections comme en 1712[26] lorsque le riche bastiais Giovan Camillo Cardi est élu dans le collège des caporaux d’Aleria alors que selon les dénonciations, il ne détient aucune attache familiale ni affaires dans cette région. Ils remarquent alors qu’il n’a aucune raison de se rendre dans la communauté où les procurateurs réunis à Bastia l’ont élu ; il ne pourra donc ni les représenter ni jouer son rôle de régulateur dans les conflits locaux. Son cas est toutefois loin d’être isolé et l’on trouve une multitude de bourgeois dans ce cas. La période révolutionnaire est structurée par l’émergence progressive de structures représentatives qui mettent en avant le « bien commun » aux opposition groupes familiaux.

De la nature du prince, de la nature des sujets

Dès les premiers feux de la révolte, deux perceptions du prince animent l’espace public insulaire. Certains, habitant plutôt les espaces urbains ou les Loyalistes de l’intérieur de l’île, considèrent la Sérénissime comme le « prince naturel » (Il principe/prencipe naturale) qui impose ses volontés sur les sujets que sont les Corses (per ordine del Principe[27]). D’autres arguent le fait que les insulaires ne sont pas des « sujets naturels », mais des « sujets conventionnés » (Popoli convenzionati[28]). Les quatre décennies de la période révolutionnaire sont jalonnées par la tentative de la part des insurgés de convaincre leurs compatriotes insulaires mais aussi ceux de « Terre-ferme » de la véracité et de l’historicité d’un contrat liant le Royaume de Corse à la République. Ce débat se diffuse même à Gênes, au cœur du Domaine. Le 15 décembre 1759, un pamphlet rédigé par un génois certifiant que « Les peuples de Corse étaient des sujets conventionnés de la Sérénissime République de Gênes »[29] et qu’ils ont « soufferts plusieurs siècles durant du manquement du respect des conventions »[30] est brûlé sur la place Banchi à Gênes, lieu où se trouvent de nombreux libraires.

L’affirmation du conventionnement du Regno di Corsica avec la République est une revendication politique qui s’oppose à l’idée du droit de conquête prétendue par les Génois ; c’est là une querelle ancienne. Depuis la période médiévale, les chroniqueurs italiens discutent de la véracité du comte Adhémar de Gênes qui, en 806, aurait chassé les Sarrasins de l’île sur demande de Charlemagne. Bien que sa mission soit un succès, le comte meurt à la fin de la bataille et une question reste en suspens : Adhémar touche-t-il terre en Corse ou la flotte reste-t-elle en mer ? Eginhard ne le précise guère, les autres chroniqueurs du temps non plus. Aussi anecdotique que la question puisse paraître, elle détient en réalité une place fondamentale dans la réflexion sur la souveraineté génoise sur l’île. Gênes peut-elle prétendre à revendiquer la Corse par droit de conquête ? Et donc à faire des Corses des « sujets naturels » ? Pour les révolutionnaires, cela n’importe finalement que peu dans la mesure où même l’humaniste génois Agostino Giustiniani affirme que Gênes est par la suite gouvernée pendant au moins un siècle par des comtes impériaux. Pour les insurgés, même si les Génois avaient fait la conquête de l’île, celle-ci n’aurait pas été pour son compte mais pour celui de l’Empire. Toutefois, pour les Génois, cette question fonde leur légitimité sur l’île et, à plus forte raison, métamorphose les Corses en rebelles séditieux contre leur prince naturel. Par-là, les Génois souhaitent surtout à empêcher le développement d’une éventuelle légitimité de la part des rebelles qui multiplient leurs empressements notamment auprès du roi de France[31]. Dès 1732, l’évêque pro-génois Pier Maria Giustiniani met en place la ligne directrice de la défense de la République[32] : les évènements ne sont qu’une simple rébellion contre un prince légitime.

Conscients de la faiblesse de cette assise historique, la République et les Génois présents dans les Cours européennes et actifs dans les cercles lettrés martèlent leurs revendications sur la Corse, et ce même avant le début de la Révolution. En 1723, le poète arcade Giambattista Merea (Tendasco Doliano) fait publier l’Ademaro ovvero la Corsica liberata[33] un poème héroïque mettant en scène la bataille qui mène à la conquête de l’île du mythique Adhémar. La Corse apparaît comme une récompense divine suite à la guerre contre l’ennemi de la chrétienté. Pensons également à Agostino Lomellini et de Gian Francesco Pallavicini à Paris et Versailles à la fin de la décennie 1740 qui n’hésitent à multiplier les lettres auprès d’auteurs qui auraient glissé dans leurs œuvres des remarques négatives sur le gouvernement génois de la Corse ; Montesquieu fait l’objet de critiques pour une référence indirecte à l’île et au malgoverno génois[34]. Pour la République, malgré le potentiel de développement économique de la Corse[35] c’est la couronne immatérielle du Royaume qui détient le plus d’importance. Celle-ci s’inscrit dans le cadre de la politique d’émancipation de la République de Gênes vis-à-vis de la couronne espagnole et la valeur immatérielle[36] de la Corse élève en 1637 la cité ligure au rang royal[37]. De même, sur un autre support, les nombreuses cartes chorographiques manuscrites génoise qui circulent à destination des officiers de l’Empire ou de la France chargés de pacifier l’île mettent toutes en exergue la libération contre la tyrannie sarrasine[38] comme pierre angulaire de la légitimité génoise. Ce phénomène est d’ailleurs observé par Guillaume Calafat au sujet de l’imperium des mers[39].

Face à une telle vision, les révolutionnaires corses développent rapidement un contre-argumentaire. Dès les premiers pamphlets anonymes de juin 1730, la part la plus essentielle se trouve mise en place et reste fixe pour les quatre décennies qui suivent. Les Corses plongent dans ce que Bernard Plongeron désignait comme le « guêpier »[40] de la théorie tyrannique d’inspiration thomiste. Les lettrés s’enlisent dans la production de longues démonstrations dans lesquelles ils cherchent à convaincre l’opinion publique que les Corses désirent largement comme le « Public »[41] que la République serait coupable de tyrannie. Le plus célèbre pamphlet révolutionnaire, la Giustificazione della rivoluzione di Corsica[42] (la Justification de la révolution de Corse, ici désignée comme la Giustificazione ou la Justification) est publié en 1758 (puis republiée en 1764) du temps du généralat de Pascal Paoli (1755-1769). C’est un mémoire juridico-historique d’inspiration sanrémoise en ce qui concerne la réflexion du conventionnement. L’auteur Don Gregorio Salvini, un philo-français de notoriété publique, décrit huit « propositions »[43] qui documentent le malgoverno génois ou, plus précisément, sa « tyrannie d’exercice ». En plus de cet exercice tyrannique, Salvini cherche également à prouver l’absence des titres de souveraineté des Génois sur l’île. Cette argumentation provoque une « tyrannie d’usurpation » de la Corse à d’autres puissances, notamment l’Espagne et le Saint-Siège. À Rome, le pape et son secrétaire d’État Torrigiani songent même à s’approprier l’île pour la laisser jouir d’une certaine autonomie ; en effet, plus qu’une volonté charitable, la Corse devient dans la péninsule italique la matérialisation des conflits juridictionnels[44] entre la papauté et les États. La Curie romaine y mande un Visiteur apostolique et cet acte est perçu comme une violation de l’intégrité territoriale génoise. Même les soutiens napolitains des Corses se montrent sceptiques face à cette politique. Les Révolutionnaires jouent toutefois de la portée la portée juridictionnelle de la crise et leurs écrits se remplissent de preuves de la reconnaissance de l’île par diverses puissances. Ils justifient la Corse dans le domaine pontifical par l’attestation d’au moins treize souverains pontifes parmi lesquels saint Grégoire VII, Urbain II, Honorius III, Boniface VII, Benoît XII, Innocent VI, Urbain V, Grégoire VI, Martin V et Eugène IV[45] mais également cinq empereurs qui confirment cet état de fait (Charlemagne, Louis le Pieux, Othon III, Frédéric II, Rodolphe Ier et Charles IV[46]).

Le conventionnement du Royaume : un levier insurrectionnel ?

Le levier tyrannique induit une « guerre juste »[47] pour s’extirper du Domaine. L’originalité et l’innovation de la pensée révolutionnaire corse du temps de Pascal Paoli tient justement dans l’abandon de la primauté de la guerre juste et de l’absence de rupture formelle ou symbolique de la convention. En effet, les révolutionnaires prétextent plutôt que le non-respect des Génois provoque un effondrement placide de la convention. Pour les lettrés du « moment paolien », c’est la République elle-même qui déclenche la crise politique et c’est en ce sens que doit être interprété le terme Rivoluzione présent dans le titre de l’œuvre de Salvini (La Justification de la révolution de Corse). La « révolution » désigne le retour au point de départ[48] et fait écho à la liberté « reconquise » évoquée dans le préambule de la Constitution de novembre 1755[49] fixant le nouvel État (Avendo riacquistata la propria libertà). La phase politique initiée par Pascal Paoli sous-entend ainsi une révolution restauratrice de la condition politique antérieure lorsque le Regno di Corsica était libre et non lié avec la République. La révolution est à la fois une restauration ainsi qu’une refondation de l’ordre politique. Pour les contemporains, cette guerre est d’ailleurs à la fois une guerre et une révolution (Questa guerra o sia rivoluzione de Cirnesi[50]), le sens moderne du mot affleure.

Cette conception doit être mise en lien avec un autre pamphlet paoliste dans lequel les Corses se désignent comme « conprinces » [51] et « conseigneurs »[52] de l’île avec la République. Pascal Paoli opère par-là une lecture inspirée de Montesquieu offrant une nouvelle conception de l’argumentaire révolutionnaire. Cette vision est assurément anachronique, mais il impulse par-là une reconstruction historique et politique où l’on découvre une distribution des pouvoirs[53] entres Corses et Génois. Pour Paoli, l’île était gouvernée par un système de « coprincipat » voire de « cogestion » qui répartissait le pouvoir « exécutif » les mains des Génois par le biais du gouverneur général de l’île tandis que les Corses demeuraient responsables du « législatif » via les Nobles XII et VI. La République ne pouvait en rien innover sans leur accord. Cette vision erronée des choses induit une dégradation, d’un âge d’or vers un temps de décadence[54] , et c’est là la stratégie rhétorique de Paoli.

Les Paolistes cherchent à fabriquer le récit de l’avilissement des Corses, non pas au rang de sujet mais en-deçà. Ironisant sur la capacité des Génois à outrepasser les termes du contrat, Don Gregorio Salvini écrit : « Voilà toute convention abolie, nous voilà esclaves pour l’éternité »[55] ! D’ailleurs, derrière cette dénonciation se cache un autre fait politique de l’actualité du Domaine : en 1753, lorsque la ville de Sanremo s’était une nouvelle fois soulevée contre la République, le sénateur Agostino Pinelli (fils de Felice, ancien gouverneur de l’île) avait été chargé de ramener l’ordre et pour sanctionner la communauté, il avait fait signer au parlement local une lettre adressée au Sérénissime Sénat dans laquelle il substituait l’habituelle formule de « humbles serviteurs » en « humbles sujets ». C’est donc la réduction des « partenaires » de convention en « sujets » qui apparaît comme un thème classique parmi les contestations politiques. Pour les révolutionnaires corses, rabaisser un protagoniste à un rang inférieur est un justificatif de la rupture des liens avec l’autorité de la République, et ce même si les Génois le font d’une manière indirecte[56].

Toutefois, en avril-juin 1761, les Nationaux s’affirment contre la République de Gênes qui admet partiellement sa défaite et désire parvenir à un compromis avec des conditions « extrêmement avantageuses »[57]. Le nouveau doge Agostino Pallavicini mande sur l’île une délégation de six sénateurs (dont Gian Francesco Pallavicini, voir supra) qui font face à un refus catégorique des populations refusant de les rencontrer. En effet, Pascal Paoli pèse de tout son poids sur les notables et ferme la porte à toutes discussions lors de la consulta tenue le 10 mai 1761 en Casinca[58]. L’indépendance de la république corse est consacrée et la République génoise, incapable de prolonger la guerre, est tenue en échec. Un statu quo s’établit. C’est donc ce changement politique qui motive la rédaction de l’histoire institutionnelle de 1761. Les Révolutionnaires n’ont plus besoin de justifier le droit à la révolution (car accomplie) mais plutôt de consolider le corpus juridique de la Nation.

Ce renouvellement de la pensée politique fait l’objet d’un projet éditorial. La république corse émet le besoin d’un nouveau récit historique accompagnant sa nouvelle justification politique. À l’occasion d’une lettre du 13 juillet 1761, Pascal Paoli répond à son ami Salvini et lui fait savoir que l’œuvre qu’il lui a envoyée (le manuscrit de la continuation à l’Histoire de la Corse d’Anton Pietro Filippini imprimée en 1594) ressemble trop à un « compendium de la Giustificazione »[59] alors que ce n’est pas « un morceau pareil qui peut servir de manifeste au gouvernement dans les présentes circonstances »[60]. Dans ce manuscrit, lorsque Salvini évoque la convention et Paoli juge que le « texte de Filippini ne prouve pas suffisamment l’existence d’une convention »[61] (avec la République) et qu’il voudrait mieux utiliser la « constitution »[62] de 1558 avec le roi de France qui explicitait clairement le fait que le Royaume dispose de dix-huit représentants (les Nobles XII et VI). De plus, sans eux, l’on « ne pouvait faire ni des lois, ni imposer des contributions, parce que toutes les lois et les créations de suppléments à la taglia étaient arrêtés, aux dires même de la République, [à] l’assentiment et à la requête de ces députés »[63].

Quelques semaines plus tard, en août 1761, la gazette nationale des Ragguagli dell’Isola di Corsica annonce que va être publiée une continuation à l’histoire d’Anton Pietro Filippini jusqu’aux présentes révolutions[64]. Avec cette annonce, sont imprimées une souscription mais également une Introduzione alla continuazione dell’Isola di Corsica, ed al supplemento alla medesima[65] de 45 pages. À cette période, la littérature révolutionnaire connaît une évolution drastique. L’argument tyrannique passe au second plan tandis qu’en premier apparaît la lecture institutionnelle de la crise politique. Cette mutation est une spécificité de la pensée politique des Paolistes et se nourrit de l’influence de la révolution de Sanremo. L’objet de la controverse est alors de montrer que le Royaume de Corse et la République, comme l’on peut le lire à Sanremo et Gênes, sont « deux États libres étroitement liés par des liens respectables […] L’inégalité de leurs puissances ou forces n’emporte aucune inégalité d’État et de liberté »[66]. Dans la conclusion du rarissime imprimé de la Continuazione dell’Isola di Corsica, on peut découvrir la dimension institutionnelle de la prochaine histoire de la Corse. Don Gregorio Salvini réinvente une institution des XII et VI qui aurait été un parlement à l’image des « États de Provence, de Languedoc, de Béarn, de Bourgogne et de l’Artois sous le plus puissant de tous les rois » [67], c’est-à-dire le roi Très Chrétien. De plus, les « Douze et les Six » auraient été comme des « pères de la patrie veill[ant] au bien commun » par le biais d’une « position intermédiaire, ils […] veillaient à ce que rien ne soit innové contre eux »[68]. Selon Salvini, les « Libri rossi[69] […] font clairement voir que l’altération de ces privilèges ont fait naître les désordres… » [70] C’est donc là l’invention d’un droit de révolte, la crise institutionnelle ouvre la possibilité à la Révolution.

Une tension croissante entre Salvini et Paoli fait que l’on ne connaîtra jamais cette œuvre entièrement imprimée. Finalement, l’État abandonne le projet et fait rééditer la Giustificazione della rivoluzione di Corsica en 1764. L’objectif des rebelles devenus entité politique légitime tient alors dans une autre volonté. L’on cherche à convaincre l’opinion publique de la valeur et du courage des insulaires. Pour ce faire, il faut une plume et un certain talent littéraire, et aucun insulaire ne possède la capacité de rédiger une telle œuvre[71]. Pascal Paoli aurait alors songé à une personnalité en vue dans l’espace public européen qui, suite à de nombreuses pérégrinations, cherche un refuge où paisiblement écrire. C’est ainsi que Paoli pense offrir ce rôle à Jean-Jacques Rousseau. Plutôt que de véritablement rédiger une Constitution pour la Corse, le voyageur écossais James Boswell[72] comprend le projet réel de Paoli. Dans le récit de son voyage en Corse, il écrit que : « ce qu’il avait principalement en vue, c’était d’employer la plume de Rousseau à écrire les actions héroïques de ces braves insulaires, & il est fâcheux que ce projet n’ait pu être exécuté […] Tout cela embelli par l’esprit & le style de Rousseau, eut été un des plus beaux monuments d’histoire moderne. »[73] Toutefois, ce projet non plus ne parvient à la réalisation car, même si Rousseau songe un temps s’établir en Corse[74], il décide plutôt d’aller en Angleterre.

Quelle diffusion pour la littérature insurrectionnelle ?

La diffusion des ouvrages révolutionnaires corse est très modérée. En effet, la publicité des Révolutions corses est essentiellement (et tardivement) assurée par les réseaux républicains radicaux transnationaux animés par des Hollandais, Écossais et Anglais[75]. Les personnalités les plus importantes de ce dispositif sont Jean Rousset de Missy[76], James Oglethorpe puis James Boswell. Parmi les Américains, Paoli devient le modèle des Sons of Liberty et les Corses sont a popular symbol of heroic liberty[77]. Dès avril 1765, George Washington suit les affaires de Corse grâce à Andrew Burnaby, un de ses correspondants à Livourne, qui lui écrit que « les braves corses restent inflexibles dans leur résolution de libérer leur pays de la tyrannie génoise »[78]. De même, Benjamin Franklin reconnaissait l’apport des Corses à la pensée révolutionnaire[79] ; durant la Guerre d’Indépendance, on les vit même discuter des plans de bataille des Corses contre les Français à Borgo en 1768 ! Il y a donc, indéniablement, une publicité des « guerres de Corse ».

La postérité des révolutionnaires corses se fait par la vision idéalisée et déformée des gazettes, mais surtout du succès de librairie de James Boswell (An Account of Corsica). L’Écossais ne retient deux choses de son voyage en Corse : la prégnante figure de Pascal Paoli qui semble surgir des œuvres morales de Plutarque, puis le courage hautement idéalisé des insulaires qui se battent contre la République de Gênes. Dans tous les cas, la lourde et encombrante littérature est expurgée[80] et James Boswell ramène les ouvrages politiques à de simples exercices rhétoriques dont l’on ne retire que l’idéal de la lutte contre la tyrannie génoise : tout au plus quelques bons mots, de bonnes maximes et des tableaux héroïques. Voilà qu’avec Boswell, les quarante années de guerre se trouvent rendues abstraites et idéalisées. La diffusion de la vision boswellienne continue de structurer la culture populaire en ce qui concerne les Révolutions ainsi que le « moment paolien ». De fait, en excluant la littérature politique de son sens et de ses significations sociales et politiques, ce sont les véritables dynamiques de la pensée révolutionnaire corse qui s’en trouvent expurgées.


[1] Cité dans Evelyne Luciani et Dominique Taddei, La pensée politique des révolutionnaires corses, Ajaccio, Albiana, 2016, p. 7.

[2] Franco Venturi, Settecento riformatore, La rivoluzione di Corsica, le grandi carestie degli anni sessanta, la Lombardia delle riforme, vol. V, Turin, Einaudi, 1987.

[3] La littérature sur Pascal Paoli est très dense. Cf. essentiellement à Antoine-Marie Graziani, Pascal Paoli, Père de la patrie corse, Tallandier, 2016 ; Fernand Ettori, « La formation intellectuelle de Pascal Paoli (1725-1755) », dans Annales historiques de la Révolution française, n° 218, La Corse des Lumières à la Révolution (octobre-décembre 1974), pp. 583-507 ; Michel Vergé-Franceschi, Paoli, un corse des Lumières, Paris, Fayard, 2005. Dans ce travail, nous nous référons à l’édition critique de La correspondance générale de Pascal Paoli éditée par Antoine-Marie Graziani et Carlo Bitossi, Éditions Alain Piazzola/Istituto Storico Italiano per l’Età Moderna e Contemporanea, Ajaccio-Rome, 7 volumes, 2003-2019. La numérotation des lettres renvoie à cette édition critique. Plus globalement, sur les révolutions corses, cf. Antoine Franzini, Un siècle de Révolutions Corses, Paris, Vendémiaire, 2017 ; Jean-Marie Arrighi et Olivier Jehasse, Histoire de la Corse et des Corses, Paris, Tempus, 2013 ; Antoine-Marie Graziani (dir.), Histoire de la Corse, Des Révolutions à nos jours. Permanences et évolutions, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2018 ; Michel Vergé-Franceschi, Histoire de Corse : Le pays de la grandeur, Préface d’Emmanuel Le Roy Ladurie, Éditions du Félin, 2013 ; Pasquale de’Paoli (1725-1807), La Corse au cœur de l’Europe des Lumières, Catalogue d’exposition du Musée de la Corse, Ajaccio Albiana, 2007. Plus globalement, se cf. au Dictionnaire historique de la Corse, sous la direction de Antoine Laurent Serpentini, Ajaccio, Albiana, 2006.

[4] James Boswell, Etat de la Corse suivi d’un Journal d’un voyage dans l’isle et des Mémoires de Pascal Paoli, traduit de l’italien par Mr. S.D.C, seconde édition, Londres, 1769, p. 250 ; Fernand Ettori, « La formation intellectuelle de Pascal Paoli (1725-1755) », art. cit.

[5] Je désigne ici par « République » la Sérénissime République de Gênes et par « république » l’État corse fondé par Pascal Paoli.

[6] Patrick Boucheron, « L’Italie, terre de contrats », dans Avant le contrat social : Le contrat politique dans l’Occident médiéval, XIIIe-XVe siècle, sous la direction de François Foronda, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2011, pp. 17-23.

[7] Cf. notamment Alessandro Monti, La guerra del sale (1540) Paolo III e la sottomissione de Perugia, Turin, Morlachi editore U.P., 2017.

[8] Sur l’argument de l’augmentation du sel, cf. Don Gregorio Salvini, Justification de la révolution de Corse combattue par les réflexions d’un génois, l’évêque Pier Maria Giustiniani, et défendue par les observations d’un corse, Buonfigliolo Guelfucci, présentation, traduction et notes par Evelyne Luciani, Albiana, Ajaccio, Albiana, 2013, p. 129. D’une manière plus générale, sur le sel en Corse : Antoine-Marie Graziani et Alain Gauthier, Sel et salines en Corse, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2000.

[9] Voir notamment Yves-Marie Bercé, Révoltes et révolutions dans l’Europe moderne, Biblis, CNRS éditions, 2013.

[10] Vittorio Tigrino, Sudditi e confederati. Sanremo, Genova e una storia particolare del Settecento europeo, Edizioni dell’Orso, 2009 ; « Localités et historiographie. Le débat sur l’histoire de Sanremo au XVIIIe siècle », Les Dossiers du Grihl, 2008 (en ligne) ; « Castelli di Carte. Giurisdizione e storia locale nel settecento in una disputa fra Sanremo et Genova (1729-1733) » ; Matthias Schnettger, « Le Saint-Empire et ses périphéries : l’exemple de l’Italie », dans « Histoire, Economie & Société », 2004, pp. 7-23 ; Nilo Calvini, La rivoluzione del 1753 a Sanremo, Istituto Internazionale di Studi Liguri, Museo Bicknell / Bordighera, 1953, vol I et II.

[11] La pieve (pluriel pievi) est une division administrative qui trouve ses racines dans l’organisation religieuse de l’île, chaque communauté étant associée à une église piévane (chiesa matrice). Il faut compter une soixantaine de pievi dans le Royaume de Corse.

[12] Antoine-Marie Graziani, « Aux origines des révolutions de Corse (1729-1769), le régime fiscal génois dans l’île », dans Seize études sur la Corse génoise, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2020, pp. 235-239.

[13] Antoine-Marie Graziani, « Représentation symbolique ou cogestion : Nobles XII et Nobles VI dans la Corse à l’époque moderne », dans Consensus et représentation. Le pouvoir symbolique en occident (1300-1640), sous la direction de Jean-Philippe Genet, Dominique Le Page et Olivier Mattéoni, Presses Universitaires de la Sorbonne/École française de Rome, 2017, pp. 213-229 ; « Le Prince demande les élections des XII, la Corse ne veut plus des XII », contrôle du territoire, représentation et liberté politique aux origines des Révolutions de Corse (1729-1769 », dans Per una ricognizione degli « stati d’eccezione ». Emergenze, ordine pubblico e apparati di polizia in Europa : le esperienze nazionali (secc. XVII-XX), Enza Pelleretti (dir.), Seminario internazionale di studi, Messina, 15-17 luglio 2015, Sovera Mannelli, Rubbettino, 2016, pp. 81-93 ; « De la pieve à la communauté : essai sur l’évolution des structures administratives de la Corse au XVIe siècle », dans Agostino Giustiniani, Description de la Corse, Préface, notes et traduction de Antoine-Marie Graziani, Sources de l’histoire de la Corse, Textes et documents, Éditions Alain Piazzola, Ajaccio, 1993, pp. XL-CXVIII.

[14] Antoine-Marie Graziani, « Aux origines des révolutions de Corse (1729-1769), le régime fiscal génois dans l’île », dans Seize études sur la Corse génoise, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2020, pp. 235-239.

[15] Antoine-Marie Graziani, « La fin de la Corse génoise », dans Lorsque la Corse s’est éveillée, Ajaccio, Albiana, 2011, pp. 9-17.

[16] Francis Pomponi, « Les notables (pincipali) en amont et au cours de la première insurrection anti-génoise », dans Lorsque la Corse s’est éveillée, Actes des premières rencontres historiques d’Île-Rousse, Ajaccio, Albiana, 2011, pp. 62-73.

[17] Pour reprendre une expression d’Antoine-Marie Graziani (dans Le roi Théodore, Paris, Tallandier, 2005, pp. 143-145) utilisée pour de la période suivante.

[18] À l’intérieur des communautés de l’intérieur de l’île, l’information circule essentiellement grâce à l’oral mais également à travers la circulation d’avis manuscrits voire d’écrits imprimés en Italie. Les archives témoignent d’un certain nombre d’affaires dans lesquelles des individus font « placarder » des critiques ou d’accusations sur la porte de l’église villageoise, de la confrérie ou d’autres lieux publics. À partir de 1760, Pascal Paoli instaure une gazette nationale qui restructure considérablement le fonctionnement de l’espace public insulaire. Dès lors, l’information devient verticale, produite par un organe politique qui agrège des avis remontant d’un territoire avant de les redistribuer. Sur la construction des traditions orales des révoltes, cf. Éva Guillorel et David Hopkin, Traditions orales et mémoires sociales des révoltes en Europe, XVe-XIXe siècles, Presses universitaires de Rennes, 2020.

[19] Ragguagli degl’ultimi tumulti seguiti nell’Isola di Corsica sino al presente compilati dal caporal Orazio Buttafuoco, Lucca, 1731.

[20] Pietro Morati, Prattica Manuale, Abrégé de Droit coutumier corse, Particularités de l’histoire, des institutions, des mœurs et des usages dans la Corse génoise, traduction par Evelyne Luciani, Ajaccio, Albiana, 2016.

[21] Sur le rôle de la nécessité, cf. le passionnant essai de Julien Le Mauff, « Un cas d’appropriation temporelle d’une doctrine canonique : l’argument de la necessitas comme justification de l’exception en matière fiscale », dans Le Moyen Âge, 2021, 1, t. CXXVI, pp. 83-98. Pour le reste, se référer au texte de la Consulta du 31 janvier 1731 dont on ne trouve aucune référence dans Evelyne Luciani et de Dominique Taddei, Les Pères fondateurs de la Nation corse, Albiana, Ajaccio, 2009. L’exemplaire que nous avons analysé lors de cette étude est une copie issue des fogliazzi e scritti dalla comunità d’Evisa, e collazionata per me Saverio Antonio Colonna Ceccaldi notaro d’Evisa.

[22] Cf. le texte de la consulta du 31 janvier 1731.

[23] Cf. Arlette Jouanna, Le devoir de révolte. La noblesse française et la gestation de l’État moderne, 1559-1661, Paris, Fayard, 1989.

[24] Archives de la Collectivité de Corse, Ajaccio, 1 FG 774, avril 1728.

[25] Antoine-Marie Graziani, Le roi Théodore, Paris, Tallandier, 2005, p. 42.

[26] Cf. Archivio di Stato di Genova, Corsica, 120, lettre du 7 mars 1712. Cité dans Antoine-Marie Graziani, La Corse vue de Gênes, Éditions Alain Piazzola, Ajaccio, 1998, pp. 89-91. Et pour cause, les populations Hanno bisogno della presenza del medesemo [le représentant], massime nelle discordie che giornalemente seguono…

[27] Ibidem, liasse 2, lettre du 26 mai 1735.

[28] [Giulio Matteo Natali], Lettera d’un corso ad un suo amico nazionale abitante in Terraferma, Colonia, 1732, p. 3.

[29] On retrouve une copie manuscrite du texte dans Archivio di Stato di Genova, 1368. I popoli di Corsica erano sudditi convenzionati della Serenissima Repubblica…

[30] Ibidem. Per molti secoli hanno sofferta la mancanza dell’adempimento delle conventioni…

[31] Se cf. notamment à la lettre d’Erasmo Orticoni et Gian Pietro Gaffori au roi de France (10 août 1738 reproduite dans Evelyne Luciani et Dominique Taddei, La pensée politique des révolutionnaires corses, Émergence et permanence (1730-1764), Ajaccio, Albiana, 2016 ; ou encore à la lettre d’une dame anonyme adressée au roi de France vers 1739 qui lui assure d’une multitude de fidèles en Corse ! (Gia de fedeli a Vostra Maestà ne mancano), voir Bibliothèque patrimoniale Tommaso Prelà.

[32] [Pier Maria Giustiniani], Lettera d’incerto autore in cui si espongo, e si confutano le pretese ragioni di Corsica, con le quali si studiano di ricoprire appresso il mondo l’atto detestabile della loro ribellione verso la Sereniss. Repubblica di Genova loro legittima Sovrana, Colonia, 1732, 12 p.

[33] Lucca, chez Salvatore et Giandom. Marescandoli, 333 p.

[34] Cf. notamment la lettre d’Agostino Lomellini reproduite dans Claire Bustarret et Catherine Volphilac-Auger, L’atelier de Montesquieu. Manuscrits inédits de La Brède, Napoli, Liguori Editore, Voltaire Foundation, Oxford, 2001 pp. 158-159.

[35] Cf. Antoine-Marie Graziani, La Corse génoise, Economie, Société, Culture, période moderne 1453-1768, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 1997 ; du même auteur, Seize études sur la Corse génoise, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2020.

[36] Carlo Bitossi, « Les révolutions de Corse du début des années 1730 : le point de vue génois », dans De l’affirmation de la nation à la première déclaration d’indépendance (1731-1735), Actes des deuxièmes rencontres historiques d’Île-Rousse, Juin 2011, La Corse au siècle des Lumières, Albiana, 2012, pp. 21-36 ; Géraud Poumarède, « Deux têtes pour une couronne : La rivalité entre la Savoie et Venise pour le titre royal de Chypre au temps de Christine de France», dans Dix-septième siècle, 2014, n°262, pp. 53-64.

[37] Antoine-Marie Graziani, Histoire de Gênes, Paris, Fayard, 2009, pp. 414-415.

[38] Sur une carte manuscrite de 1737 inspirée par Francesco Maria Accinelli destinée à des officiers français, on peut lire dans l’encadré que : Fù questo Regno conquistato dà Genovesi l’anno 806 nel tempo di Carlo Magno, sotto Ademaro Capitano della loro armata e fù con la presa di 13 navi nemiche tolto à Saraceni che per los patio di 166 anni sotto 5 Rè l’avevano tirannegiata e fù posto sotto il felicissimo Commando della Repubblica…

[39] Guillaume Calafat, Une mer jalousée. Contribution à l’histoire de la souveraineté (Méditerranée, XVIIe siècle), Seuil, 2019.

[40] Bernard Plongeron, Théologie et politique au siècle des Lumières 1770-1820, Droz, Genève, 1983, p. 82.

[41] Cf. notamment « l’avant-propos » (All’amatori della verità) de [Don Gregorio Salvini], Giustificazione della rivoluzione di Corsica e della ferma risoluzione presa da’ Corsi di non sottomersi mai più al dominio di Genova, Oletta, 1758 ; ou encore le Mémoire apologétique au sujet de la dernière révolution de l’île de Corse, 1760.

[42] [Don Gregorio Salvini], Giustificazione della rivoluzione di Corsica e della ferma risoluzione presa da’ Corsi di non sottomersi mai più al dominio di Genova, Oletta, 1758. Dans le cadre de cet article, nous utilisons l’édition traduite de Don Gregorio Salvini, Justification de la révolution de Corse combattue par les réflexions d’un génois, l’évêque Pier Maria Giustiniani, et défendue par les observations d’un corse, Buonfigliolo Guelfucci, présentation, traduction et notes par Evelyne Luciani, Albiana, Ajaccio, Albiana, 2013. Toutes les références à la Giustificazione en sont issues.

[43] Les huit axes du malgoverno sont les suivants : 1°. « Les grâces que la République se vante d’avoir dispensées en Corse sont insignifiantes ou constituent des augmentations d’impôts, des violations de privilèges ou des manquements aux serments » ; 2°. « La Sérénissime République s’est efforcée d’anéantir tous les fiefs, de dépouiller les feudataires de leurs droits, privilèges et prérogatives, d’abaisser, d’avilir et de confondre avec le vulgaire, les familles corses de première importance » ; 3°. « La Sérénissime a exclu et mis tous les nationaux de Corse dans l’incapacité de tenir tous les honneurs, tous les offices et emplois de leur propre patrie » ; 4°. « Conduite criminelle des ministres de Gênes imputable à la Sérénissime République » ; 5°. « La République a maintenu la Corse dans la pauvreté » ; 6°. « La République a alourdi les impôts des Corses en dépit de la Convention établie avec eux » ; 7°. « La République a maintenu les Corses dans l’inculture et dans l’ignorance » ; 8°. « La Sérénissime République a fomenté en Corse les discordes civiles. »

[44] Antoine-Marie Graziani, Histoire de la Corse, Des Révolutions à nos jours. Permanences et évolutions, op. cit., p. 83 ; du même auteur, « Pascal Paoli et le Visiteur apostolique », dans Pascal Paoli, Correspondance (1758-1760), vol. III, édition critique établie par Antoine-Marie Graziani et Carlo Bitossi, traduction d’Antoine-Marie Graziani, Éditions Alain Piazzola et Istituto Storico Italiano per l’Età Moderna e contemporanea, Ajaccio-Rome, 2007, pp. XII-XLIX ; Carlo Bordini, Rivoluzione corse e Illuminismo italiano, Rome, 1979.

[45] Don Gregorio Salvini, Justification de la révolution de Corse…, op. cit., p. 368.

[46] Ibidem.

[47] Disinganno intorno alla guerra di Corsica scoperto da Tulliano Corso ad un suo amico dimorante nell’Isola, Seconda edizione, édition, traduction, notes et commentaires par Jean-Marie Arrighi et Philippe Castellin, Ajaccio, La Marge, 1983.

[48] Hannah Arendt, De la Révolution [1963], Paris, Folio, Essai, 2013, p. 17. Dans le lexique politique moderne, la révolution est un bouleversement soudain, avec violence et sans respect des formes légales (CRNTL) ou encore un mutamento radicale di un ordine statuale… in un senso stretto, il processo rapido, e per lo più violento… (Treccani).

[49] Lettre n° 97 en date du 16-18 novembre 1755, Constitution de la Corse.

[50] Bibliothèque patrimoniale de Bastia, Ms. Analisi di fatti storici del Regno di Corsica, Ab origin. Ultimi belli Cyrnen cum Ligur. anno 1729…

[51] Cité dans Antoine-Marie Graziani, « Révolution corse, révolution américaine », dans Paoli, la Révolution Corse et les Lumières : Actes du colloque international organisé à Genève, le 7 décembre 2007, sous la direction de François Quastana et de Victor Monnier, Genève, Droit et histoire, Faculté de droit de Genève, Éditions Alain Piazzola/Schulthess éditions romandes, 2008, pp. 121-132. On retrouve l’idée de cette partition dans la lettre de Pascal Paoli du 13 juillet 1761 à don Gregorio Salvini (n° 1055).

[52] Ibidem.

[53] Michel Troper, « Séparation des pouvoirs », dans Dictionnaire Montesquieu, sous la direction de Catherine Volpilhac-Auger, École normale supérieure de Lyon, 2013.

[54] Antoine-Marie Graziani, « Marc’Antonio Ceccaldi, un historien humaniste corse », dans Seize études sur la Corse génoise, Éditions Alain Piazzola, 2020, pp. 111-123 ; du même auteur, « Ruptures et continuités dans la politique de Saint-Georges en Corse (1453-1562) », dans La Casa di San Giorgio: il potere del credito, Atti del convegno, Genova, 11 e 12 novembre 2004, A cura di Giuseppe Felloni, Atti della società ligure di storia patria, Nuova seria, vol. XLVI (CXX), fasc. II, pp. 75-90.

[55] Don Gregorio Salvini, Justification de la révolution de Corse…, op. cit., p. 380.

[56] Don Gregorio Salvini utilise les expressions « dégradés » et « avilis » pour désigner la condition des Corses après l’action génoise.

[57] Voir note 274, dans Lettre n°1013, à un inconnu

[58] Cf. Lettre n°1021, Manifeste du 24 mai 1761.

[59] Lettre du 13 juillet 1761, de Paoli à Salvini (n° 1055). Don Gregorio Salvini avait déjà répondu à une lettre le 10 juillet précédent (cf. Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, Fonds du gouvernement, liasse 3, lettre du 10 juillet 1761) dans laquelle il présentait un mémoire (manquant) et demandait deux semaines supplémentaires pour le terminer. Si Paoli est mécontent, écrit-il, c’est de sa faute puisqu’il demande toujours de réaliser des choses avec des délais trop courts.

[60] Ibidem.

[61] Ibidem.

[62] Ibidem.

[63] Ibidem.

[64] Ragguagli dell’Isola di Corsica / Échos de l’île de Corse, 1760-1768, Première époque, Édition critique établie par Antoine-Marie Graziani et Carlo Bitossi, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2010, pour le mois d’août 1761.

[65] Ibidem. pp. 42-44.

[66] Essais sur les démêlez de la République de Gênes et de l’Etat impérial de S. Remo, Bâle, 1755, pp. 220-221.

[67] Descrizione geografica, Epilogo dell’antica, e continuazione della moderna Istoria dell’Isola, e Regno di Corsica, Campoloro, 1761, pp. 42-44.

[68] Ibidem.

[69] Les « Livres rouges » sont les ouvrages dans lesquels sont consignés les décrets des autorités génoises ainsi que les demandes des procurateurs corses.

[70] Descrizione geografica, Epilogo dell’antica, e continuazione della moderna Istoria dell’Isola, e Regno di Corsica, Campoloro, 1761, pp. 42-44.

[71] James Boswell, État de la Corse, op. cit., p. 260.

[72] James Boswell se rend en Corse à la fin de l’année 1764 sur recommandation de Rousseau. Sur ce personnage, cf. Francis Beretti, Pascal Paoli et l’image de la Corse du Dix-huitième siècle : Le témoignage des voyageurs britanniques, Voltaire Foundation, Oxford University Studies in the Enlightenment, Oxford, 1988.

[73] Ibidem.

[74] Cf. notamment à la correspondance de Jean-Jacques Rousseau et du capitaine Matteo Buttafoco dans Jean-Jacques Rousseau, Affaires de Corse. Textes et commentaires, Paris, Vrin, 2018.

[75] Richard C. Cole, « James Oglethorpe as Revolutionary Propagandist : The Case of Corsica, 1768 », dans The Georgia Historical Quarterly, vol. 74, n° 3 (fall 1990), pp. 463-474.

[76] Jean Rousset de Missy traduit notamment le Disinganno de Giulio Matteo Natali dans Recueil historique d’actes, négociations, mémoires et traités depuis la paix d’Utrecht jusqu’à présent, t. XIX, Amsterdam, 1748, pp. 155-277. On retrouve de nombreuses mentions à la Corse dans sa correspondance éditée par Christiane Berkvens-Stevelinck et Jeroom Vercruysse, Le Métier de journalisme au dix-huitième siècle, Correspondance entre Prosper Marchand, Jean Rousset de Missy et Lambert Ignace Douxfils, Oxford, The Voltaire Foundation, 2003. Plus globalement, sur ce personnage et sur l’essor de la presse politique en Hollande, cf. Marion Brétéché, Les compagnons de Mercure, Journalisme et politique dans l’Europe de Louis XIV, Champ Vallon, 2015, plus particulièrement pp. 67-71.

[77] Dan Robinson, The Idea of Europe and the Origins of the American Revolution, Oxford University Press, 2020, p. 274. Cf. également à George Anderson, « Pascal Paoli: An Inspiration to the Sons of Liberty », dans Publications of the Colonial Society of Massachusetts, vol. 26, 1924, pp. 180-210 ; voir également Rhona Brown, « “Rebellious Highlanders”: The Receptions of Corsican in the Edinburgh Periodical Press, 1730-1800 », dans Studies in Scottish Literature, vol. 41, 2016, pp. 108-128.

[78] Lettre d’Andrew Burnaby à George Washington, de Livourne le 29 avril 1765. Cité dans Dan Robinson, The Idea of Europe and the Origins of the American Revolution, op. cit.

[79] Antoine-Marie Graziani, Histoire de la Corse, Des Révolutions à nos jours. Permanences et évolutions, op. cit, p. 88.

[80] James Boswell, Etat de la Corse, op. cit, p. 135. « Les auteurs s’efforcent à prouver jusqu’à la démonstration, que les Corses doivent être libres […] On entasse autorités sur autorités pour établir les propositions les plus évidentes. Les prérogatives naturelles et divines de la liberté, n’ont pas besoin du secours de la logique, qui a été employée par tant de succès par les avocats de l’esclavage ».

 

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