Elodie Matricon-Thomas
Résumé
La cité athénienne a accueilli de nombreux cultes étrangers au fil des siècles. Or, Ammon occupe une place particulière parmi eux, en raison de la chronologie originale de son intégration, rythmée en trois étapes. Après un premier temps au cours duquel les Athéniens prennent contact avec Ammon dans son sanctuaire de Siwah (Ve siècle avant J.-C.), le dieu est ensuite introduit sur le territoire de la cité athénienne, où il reçoit un culte public (durant le deuxième quart du IVe siècle avant J.-C.). Au tournant des IVe – IIIe siècles avant J.-C., celui-ci disparaît au moment même où se développe un culte associatif privé au Pirée, attesté jusqu’à la fin du IIIe siècle. Cette disparition prématurée, signe de l’échec de l’intégration du dieu, pose question.
Plusieurs éléments de réponse peuvent être avancés : l’absence de substrat ethnique, l’incapacité d’Ammon à assumer les nouvelles fonctions que lui ont attribué les Athéniens et enfin, un contexte politique devenu défavorable.
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Elodie Matricon-Thomas
Agrégée d’histoire au lycée Jean Monnet (Saint-Étienne)
Docteur en Histoire ancienne
HiSoMA ( Histoire et sources des mondes antiques) – UMR 5189
elodie.matricon@yahoo.fr
Thèmes de recherche
– Histoire des religions du monde méditerranéen antique
– Épigraphie grecque
– Histoire de la cité d’Athènes, de l’époque classique à l’époque impériale
– Religions dans l’Athènes romaine
– Identités religieuses et interactions culturelles dans le monde antique
Publication récente :
« Adonis à Athènes : le culte en milieu chyprio-phénicien », Rivista di Studi Fenici xxxix – 1, 2011, p. 23-35.
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Introduction
La cité athénienne a accueilli de nombreux cultes étrangers au fil des siècles, parmi lesquels celui d’Ammon, un dieu libyen, honoré à Siwah, dont l’origine exacte pose question : divinité indigène selon certains auteurs anciens[1] – qui considèrent qu’il aurait reçu ce théonyme parce qu’il était né dans les sables de Libye[2] – , ou avatar de l’Amon thébain de Karnak[3], dont il aurait hérité les cornes de bélier et la fonction oraculaire selon d’autres[4]. Quelles que soient ses origines exactes, Ammon acquiert une réputation internationale dès l’époque classique : à partir de l’oasis de Siwah, son culte se diffuse à Cyrène, où il subit une métamorphose, du fait de son hellénisation et de son assimilation à Zeus comme maître de l’Olympe[5]. Dès le VIe siècle avant J.-C., le dieu de l’oasis de Siwa est devenu le dieu national de Cyrène et des Grecs de Cyrénaïque, exprimant leur rapport au territoire[6].
C’est sous cette forme hellénisée de Zeus Ammon qu’il se répand ensuite en Grèce, par le biais des échanges commerciaux, et notamment des importations de poteries : dès le début du Ve siècle, Ammon est un dieu bien connu des Grecs, puisque Pindare compose un hymne en son honneur, hymne dont Pausanias nous dit qu’il l’envoya aux Ammoniens[7]. Il aurait été gravé sur une stèle triangulaire, érigée par Ptolémée I devant l’autel de Zeus-Ammon en Libye. Une des premières lignes préservées démontre que Pindare identifie complètement Ammon à Zeus puisqu’il s’adresse à lui comme au « seigneur de l’Olympe »[8].
Ammon occupe une place particulière parmi tous les cultes venus de « l’Orient » introduits à Athènes, en raison de la chronologie originale de son intégration, rythmée en trois étapes nettement distinctes. Présentant dès le départ, un visage très fortement hellénisé, en dépit de son origine égyptienne ou libyenne, il est introduit à Athènes de façon précoce, dès le Ve siècle avant J.-C. et disparaît des sources au moment même où apparaissent la plupart des autres dieux orientaux, dans le courant du IIIe siècle avant J.-C. On se propose ici de s’interroger sur les raisons et les circonstances pouvant expliquer cette apparition et cette disparition prématurées.
I. Un développement conjoncturel, lié à l’oracle de Siwah (Ve siècle avant J.-C.)
1. Une divinité oraculaire
Ammon est un dieu connu très tôt des Grecs et son culte est adopté de façon précoce à Athènes – par rapport aux autres cultes venus de l’Orient –, en raison de sa fonction oraculaire[9].
Cimon, fils de Miltiade, est le premier Athénien à avoir consulté l’oracle d’Ammon à Siwah, durant sa dernière campagne à Chypre, en 451 avant J.-C. [10] :
Quant à Cimon, qui se préparait pour un grand conflit et tenait sa flotte rassemblée à Chypre, il envoya au sanctuaire d’Ammon des hommes chargés de consulter ce dieu sur une question secrète ; personne en effet ne connaît l’objet précis de leur mission. Le dieu ne leur rendit pas d’oracle, mais, dès que les envoyés se présentèrent, il leur ordonna de s’en retourner, « car Cimon, dit-il, est déjà auprès de moi ». Sur ces mots, les envoyés descendirent vers la mer, et en arrivant au camp des Grecs, qui se trouvait alors près de l’Egypte, ils apprirent que Cimon était mort et, en comptant les jours écoulés depuis leur visite à l’oracle, ils reconnurent qu’Ammon leur avait annoncé de façon énigmatique la mort de leur chef, en disant qu’il était déjà auprès des dieux.
Plutarque, Cimon, 18, 7-8 (ét. et trad. Robert Flacelière et Emile Chambry, CUF, 1972)
Les Athéniens rencontrent donc Ammon à Chypre, et non en Egypte ou en Lybie dans son sanctuaire même de Siwah. En effet, Zeus Ammon est attesté à Chypre dès la seconde moitié du VIe siècle avant J.-C. : plusieurs monnaies chypriotes de la fin du VIe siècle – début du Ve siècle avant J.-C. montrent ainsi un dieu anthropomorphe, portant les cornes de bélier, qui ne peut être qu’Ammon[11]. L’introduction de son culte dans l’île s’explique en raison des liens étroits qui unissent à cette époque le roi Evathon de Salamine et Cyrène. Les fouilles de plusieurs sanctuaires chypriotes (Athienou – Malloura, Golgoi – Ayios Photios, Idalion, Potamia, Tamassos…) ont permis de mettre au jour plusieurs représentations iconographiques du dieu à tête de bélier, qui témoignent clairement de l’intégration de Zeus-Ammon au panthéon local chypriote dès le VIe siècle avant J.-C.[12].
Dans la deuxième moitié du Ve siècle avant J.-C., les relations d’Athènes avec l’oracle du dieu, à Siwah, s’intensifient, avec l’envoi des premières théories, ambassades chargées de consacrer des offrandes au dieu dans son sanctuaire libyen. Les témoignages des relations entre Athènes et Ammon se multiplient alors dans les sources littéraires[13] : en 414, Aristophane, rappelant dans la parabase des Oiseaux le goût des Athéniens pour la divination, cite l’oracle d’Ammon avant ceux de Delphes et de Dodone : « « Nous sommes pour vous Ammon, Delphes, Dodone, Phoibos Apollon. » (Oiseaux, 716)[14]. L’oracle d’Ammon joue notamment un rôle important à Athènes durant la Guerre du Péloponnèse : au moment de l’expédition de Sicile, en 415 avant J.-C, les Athéniens consultent ainsi les oracles de Zeus à Dodone et d’Ammon à Siwah[15]. L’histoire, rapportée par Plutarque, relate que Zeus Ammon renvoie l’ambassade sacrée athénienne en lui faisant dire à Alcibiade qu’il capturerait tous les Syracusains[16]. Les contacts entre Athènes et Ammon sont d’autant plus étonnants qu’au cours de cette période de la Guerre du Péloponnèse, le dieu et son oracle de Siwah soutiennent plutôt les Lacédémoniens que les Athéniens, en raison des relations ancestrales qui unissent Cyrène et Sparte[17]. Sparte paraît avoir joui d’une réputation particulière pour sa ferveur, comme en témoigne un oracle d’Ammon en Libye, qui aurait déclaré : « Ammon parle ainsi : la réserve respectueuse des Spartiates vaux mieux que tous les rites des Grecs réunis »[18]. Cet oracle de Siwah était fréquenté par les Spartiates de façon notoire, puisque Pausanias affirme : « Depuis le début, les Lacédémoniens sont connus pour consulter l’oracle de Libye plus que tous les autres Grecs »[19]. Une autre anecdote témoigne clairement de l’importance du culte de Zeus-Ammon pour les Spartiates : l’épisode célèbre du rêve de Lysandre, rapporté à la fois par Pausanias et Plutarque [20]. En 403 avant J.-C., au moment du siège d’Aphytis, en Chalcidique, le général spartiate aurait vu le dieu Ammon lui apparaître en songe et lui demander d’épargner la cité. Lysandre accède à la requête divine puis se rend en Lybie pour sacrifier à Ammon. Ce serait d’ailleurs à la suite de cet événement que le culte de Zeus Ammon aurait été introduit à Aphytis, où un sanctuaire (attesté archéologiquement) est bâti dès les premières années du IVe siècle avant J.-C.[21]
2. Des acteurs officiels: les théores
Avant même l’introduction de son culte sur le sol attique, les Athéniens avaient donc pris l’habitude d’envoyer des offrandes à Ammon, dans son sanctuaire oraculaire de Siwah, par l’intermédiaire de théores ou ambassadeurs sacrés. La date de ces théories n’est pas connue avec certitude, mais les premières remontent au Ve siècle avant J.-C., si l’on en croit les sources littéraires[22].
La première mention épigraphique concernant des théores, envoyés par la cité pour consulter le sanctuaire oraculaire d’Ammon à Siwah, est plus tardive : elle date de la première moitié du IVe siècle avant J.-C.[23]. Ces ambassadeurs sacrés, qui consacrent à Ammon une série d’objets en or et en argent, sont tous citoyens et plusieurs d’entre eux peuvent être identifiés avec précision. Certains sont de grands aristocrates, appartenant aux familles nobles d’Athènes, tel Kallias, fils de Tèloklès, de la tribu Pandionis : il a épousé la sœur d’Andocide, membre de la famille des Kérykes, un des génos les plus anciens et les plus illustres d’Athènes [24] ; il s’agit d’un aristocrate, connu par ailleurs pour avoir occupé une charge de gymnasiarque au début du IVe siècle avant J.-C[25].
D’autres théores appartiennent aux classes dirigeantes athéniennes, de par leur richesse et leurs activités, mais sans être issus des grands génè aristocratiques : il en va ainsi de Chabrias, fils de Ktésippos, du dème d’Aixonè, dont le père a été triérarque en 377/6 avant J.-C[26]. En tant que commandant de la flotte athénienne, il a lui-même mené des campagnes maritimes, puis a servi en Egypte sous les ordres du roi Tachos, vers 360 avant J.-C., avant d’être élu stratège en 357/6 avant J.-C[27]. Il est apparenté, par mariage, à un certain Eryximaque, le beau-frère de Cléon : ils ont épousé deux sœurs, les filles du riche Polyaratos, du dème de Cholarges[28]. Chabrias a assumé de nombreuses liturgies et a même remporté les concours Pythiques de 374[29] : il s’agit donc d’un personnage appartenant aux familles dirigeantes athéniennes, qui assume un rôle public de premier plan.
Enfin, certains théores appartiennent à des couches sociales moins aisées : leur niveau de fortune étant moindre, ils sont moins actifs dans la vie civique, et par conséquent moins connus. Eupolémos, du dème de Probalinthos peut éventuellement être identifié avec le personnage du même nom mentionné dans un discours de Démosthène[30] ; Hiéronymos, fils de Xénophantos, pourrait être le descendant du poète dithyrambique du même nom[31] ; Chairécratès, fils de Sôtélès, peut sans doute être identifié au frère de Chairéphon, l’associé de Socrate et le souffre-douleur d’Aristophane[32] ; Chion, du dème des Keiriades, est également connu comme clérouque à Imbros en 352/1 avant J.-C [33]; enfin, Charinos, fils de Charônidès, est mentionné par ailleurs, dans un décret de la Boulè, qui l’honore d’une couronne[34]. Son identification au frère de Charias, fils de Charônidès, du dème d’Euonymon, soutenue par Lewis, doit sans doute être rejetée, en raison de la différence chronologique – un écart de plus de 30 ans – entre les deux inscriptions[35]. Tous ces personnages sont des Athéniens appartenant à des familles suffisamment aisées pour leur permettre de participer à la théorie.
Au cours du Ve siècle avant J.-C., les contacts entre le dieu et Athènes se font exclusivement en dehors du sol attique : attirés par sa fonction oraculaire, les Athéniens envoient des théories dans son sanctuaire de Siwah. Par le biais de ces ambassades, ils se familiarisent avec le dieu et son culte. Ce n’est que dans un second temps que l’intérêt d’Athènes pour l’oracle de Siwah conduit à l’implantation du culte d’Ammon dans la cité même, probablement durant le deuxième quart du IVe siècle avant J.-C.
II. L’introduction du culte public d’Ammon à Athènes (IVe siècle avant J.-C.)
Au cours de cette deuxième phase, toute une série d’inscriptions atteste du succès rencontré par le culte à Athènes même. A partir de 375 avant J.-C., des offrandes sont consacrées à Ammon et placées sur l’Acropole[36]. Un inventaire des Trésoriers d’Athéna mentionne en effet « une phiale d’argent (dédiée à) [Amm]on, d’un poids de 802 drachmes », attestée une première fois en 375 avant J.-C.[37], puis de façon régulière jusqu’en 363[38]. A la même date, en 363, un décret est proposé, qui prescrit une liste d’offrandes à consacrer au nom du peuple athénien dont les six premières doivent être dédiées à Ammon[39].
1. Contexte et vecteurs d’introduction
L’introduction du culte d’Ammon à Athènes résulte manifestement de la volonté de la cité elle-même, soucieuse de s’attirer les faveurs de ce dieu, et surtout de son oracle, dans un contexte marqué par des relations difficiles entre Athènes et Delphes[40]. Au cours de cette période troublée qu’est la première moitié du IVe siècle avant J.-C., marquée par la montée en puissance de la menace macédonienne, quand la cité a besoin d’être guidée par des oracles, l’amphictionie de Delphes est souvent contrôlée par des partis qui lui sont politiquement étrangers, sinon hostiles, qui rendent l’accès à l’oracle difficile aux Athéniens : Démosthène estimait ainsi que la Pythie avait rejoint le camp de Philippe [41]. Même si tous les hommes politiques athéniens n’adoptent pas des positions aussi tranchées que Démosthène, Athènes a clairement dû trouver avantage à maintenir des relations avec Dodone et surtout Siwah, qui pouvaient lui fournir des centres de consultations oraculaires alternatifs[42].
C’est dans cette optique que l’on peut comprendre la mise en place d’une dévotion officielle à Ammon : en 363 avant J.-C., un citoyen, dont le nom est malheureusement mutilé, propose à l’Assemblée d’établir une liste d’offrandes pour Ammon[43]. En dépit des lacunes de l’inscription, le nom de ce personnage peut probablement être restitué comme Cratinos, sur la base des quelques lettres préservées et d’un rapprochement avec une autre inscription de la même année, dans laquelle un Athénien du même nom propose un décret conférant un privilège exceptionnel, l’octroi de la citoyenneté athénienne, à un Delphien du nom d’Astycratès, exilé de sa cité natale avec dix autres compatriotes, qui reçoivent eux aussi des honneurs secondaires[44]. La concomitance de ces deux décisions laisse penser qu’elles faisaient partie d’une seule et même politique menée par Cratinos, dans le cadre d’un contexte international marqué par les relations difficiles entre Athènes et Delphes[45].
C’est dans ces mêmes années 360, qu’un sanctuaire est érigé en Attique pour célébrer le culte d’Ammon, d’après les indices fournis par les données épigraphiques. En effet, en 363 avant J.-C, une phiale d’argent, dédiée à Ammon, « disparaît » de l’opisthodome du Parthénon, dans lequel elle était conservée depuis plus d’une douzaine d’années[46] : Arthur M. Woodward supposait que cette phiale avait été retirée de l’Acropole pour être transférée dans le propre sanctuaire d’Ammon, faisant ainsi remonter la construction de celui-ci à la fin des années 360. En fait, la phiale a sans doute été refondue, puisqu’il est d’usage de recycler les offrandes à Athènes. Si l’idée d’un « retrait » de la phiale telle quelle ne correspond pas aux pratiques grecques de l’époque, rien n’autorise cependant à exclure totalement l’hypothèse de Woodward concernant la date de la construction du sanctuaire d’Ammon. La refonte de la phiale peut très bien s’inscrire dans ce contexte : Ammon disposant désormais d’un sanctuaire particulier, la phiale qui lui avait été consacrée dans l’opisthodome a pu être refondue, afin de libérer de l’espace pour d’autres offrandes.
La construction de ce sanctuaire d’Ammon a sans doute été financée par la cité : en effet, en 333/2 avant J.-C., Pythéas d’Alopéké, le responsable du service des fontaines, est récompensé, entre autres, pour avoir « fait édifier une fontaine neuve près du temple d’Ammon » durant l’exercice de sa charge[47]. Dans la mesure où il agit en tant qu’officiel élu par la cité, il est cohérent de penser que la construction de cette fontaine a été prise en charge par la communauté civique, et que celle-ci avait également soutenu la fondation du sanctuaire public d’Ammon. Cette subvention publique constitue un fait exceptionnel pour un culte non-grec, qui démontre le caractère particulier de la dévotion athénienne pour Ammon : il s’agit en effet du seul exemple de financement public d’un culte égyptien, anatolien ou syrien par la cité.
2. Un culte populaire dans les années 330 avant J.-C.
Les années 330 avant J.-C marquent l’apogée de la popularité d’Ammon à Athènes. Outre la rénovation de la fontaine près de son sanctuaire (évoquée plus haut), l’année 333/332 est également marquée par un sacrifice en l’honneur d’Ammon – qui semble exceptionnel –, réalisé par les stratèges sous l’archontat de Nicocratos[48].
« […] Sous l’archontat de Nicocratos,
Produit de la vente des peaux suite au sacrifice pour Eirèné par les stratèges : 874 drachmes
Produit de la vente des peaux suite au sacrifice pour Ammon par les stratèges : 44 drachmes et 4 oboles
Produit de la vente des peaux suite au sacrifice pour les Panathénées, par les hiéropes : 61 drachmes, 3 oboles
Produit de la vente des peaux suite au sacrifice pour les Panathénées en Hécatombéion : 34 drachmes, 3 oboles […] »
Ce sacrifice public offert à Ammon par les stratèges est un indicateur sûr de la reconnaissance officielle du culte dans les années 330. Il faut cependant s’interroger sur le sens à donner à cette cérémonie unique : il ne s’agit pas, en effet, d’une fête célébrée annuellement en l’honneur d’Ammon, puisqu’elle n’est pas attestée pour les années précédentes, ni suivantes. En raison de son caractère exceptionnel, le sacrifice offert en 333/2 avant J.-C. devait avoir une fonction bien définie, commémorant ou marquant un événement précis. Paul Foucart suggérait qu’il avait été célébré à l’occasion de l’inauguration du sanctuaire d’Ammon, mentionné dans une autre inscription attique[49]. En réalité, le sanctuaire ayant été bâti trente ans plus tôt, le sacrifice de 333/2 avant J.-C. ne peut guère revêtir une fonction inaugurale. Une deuxième hypothèse, plus probable, consiste à penser que ce sacrifice, célébré au milieu de l’été 333, commémorait en fait la dédicace de la nouvelle trirème Ammonias, dont une des fonctions était d’emmener les théories au sanctuaire oraculaire de Siwah[50]. Au Ve siècle, Athènes possédait deux trirèmes sacrées, la Paralienne et la Salaminienne, dont la fonction spéciale était de conduire les ambassades religieuses. Or dans le dernier tiers du IVe siècle, le nom de Salaminienne disparaît et, à la place, la seconde des deux trirèmes sacrées est baptisée Ammonias[51]. Malheureusement, aucune indication claire ne permet de fixer la date et les circonstances de cette innovation remarquable et certains historiens ont pensé que ce changement de nom pouvait s’expliquer par la visite d’Alexandre à l’oracle d’Ammon en 331 avant J.-C[52]. En réalité, cela semble douteux car Alexandre était peu populaire à Athènes à cette période[53] : il est davantage probable que le changement soit survenu quelques années plus tôt, et que ce soit précisément à cette occasion que les stratèges offrent un sacrifice public à Ammon en 333/2 avant J.-C.[54].
3. Une figure divine qui se transforme et se dote de nouvelles fonctions
Entre la fin du Ve siècle et le début du IVe siècle avant J.-C., Ammon est introduit à Athènes, en sa qualité de divinité oraculaire. Mais une fois son culte implanté à Athènes, le dieu acquiert une nouvelle fonction de dieu protecteur de la cité, au même titre que les dieux traditionnels d’Athènes comme Dionysos, et dans une moindre mesure, Poséidon Pélagios et Zeus Sôter[55]. En effet, dans les années 330, un décret honorifique émanant de la Boulè honore les hiéropes et les prêtres Pausiadès de Phalère, Meixigénès du dème de Cholléides, Himéraios de Phalère et Nicoclès d’Hagnonte, respectivement prêtres d’Ammon, de Dionysos, de Poséidon Pélagios, et de Zeus Sôter, pour avoir offert les sacrifices à Dionysos et aux autres dieux pour le salut et la sécurité de la communauté des Athéniens :
[ – – -] Polyeuktos, du dème des Kydantides a fait la proposition ; au sujet du rapport que le prêtre de Dionysos … et les hiéropes désignés par le Conseil ont présenté sur les sacrifices qu’ils ont accomplis pour Dionysos et les autres dieux auxquels il convient de sacrificer au nom du Conseil et du peuple des Athéniens ; à la bonne Fortune ; que le Conseil vote pour que les proèdres qui seront désignés pour présider la prochaine assemblée devant le peuple introduisent le prêtre et les hiéropes devant le peuple et ouvrent une délibération sur leur rapport ; qu’ils transmettent au peuple l’avis du Conseil, comme quoi il plaît au Conseil que le peuple agrée les bonnes nouvelles qui, selon le rapport du prêtre et des hiéropes, ont eu lieu lors des sacrifices qu’ils ont offerts à Dionysos et aux autres dieux, pour la santé et la sauvegarde du Conseil et du peuple des Athéniens, des enfants, des femmes et des autres biens des Athéniens ; d’accorder l’éloge au prêtre de Dionysos Meixigénès du dème de Cholléides, au prêtre de Poséidon Pélagios Himéraios de Phalère, au prêtre de Zeus Sôter Nicoclès d’Hagnonte et au prêtre d’Ammon Pausiadès de Phalère pour leur zèle envers le Conseil et leur piété envers les dieux, et de leur décerner à chacun une couronne d’or de cinq cents drachmes après qu’ils aient fait leur reddition de compte ; attendu que les hiéropes désignés par le Conseil ont pris soin de bonne manière et avec zèle de l’assistance aux sacrifices, […]qu’ils ont pris soin avec justice et zèle ; d’accorder l’éloge aux hiéropes Eunomos du dème d’Euonymon, Sybaritès du dème de Gargettos, Gnôsias du dème de Kydathènaion, Philéas du dème de Péonides, Chairephanès du dème de Sphettos, Apollodôros du dème de Ptéléa, Autosthénès du dème de Xypétè, Amiantos du dème d’Aurides, Epikratès du dème d’Aphidna, Philostatros du dème de Pallène, pour leur valeur et leur justice envers le Conseil et le peuple des Athéniens et pour le soin qu’ils ont pris des choses sacrées, et de leur décerner à chacun une couronne d’or de cinq cents drachmes après leur reddition de comptes. Que le trésorier du peuple leur verse X drachmes (pour cela) homme par homme, lors du sacrifice, sur les fonds alloués par le peuple pour les décisions par décret ; que le secrétaire du Conseil fasse transcrire ce décret sur une stèle de marbre et l’élève dans le théâtre de Dionysos et que pour la transcription de la stèle, le trésorier du peuple prélève quarante drachmes sur les fonds alloués par le peuple pour les dépenses par décret [56].
La datation de cette inscription est problématique en raison de la mutilation de l’en-tête, qui nous prive du préambule et prête donc à discussion. La seule certitude porte sur le terminus ante quem, l’année 322/1, date à laquelle un des personnages honorés, Himéraios de Phalère, prêtre de Poséidon Pélagios, est exécuté. L’historiographie a longtemps fixé ce décret à l’année 330 avant J.-C. ou tout au moins à une fourchette chronologique comprise entre 330 et 322 avant J.-C [57]. Plus récemment, et de façon assez probante, d’autres historiens ont proposé de reporter le terminus post quem de ce décret de quelques années en arrière : S. D. Lambert propose ainsi la date de 338 avant J.-C. pour ce décret, qu’il replace dans le contexte de l’immédiat après-guerre contre Philippe de Macédoine, après la défaite d’Athènes et de ses alliés à Chéronée[58]. L’anxiété défensive qui transparaît dans le texte peut être considérée comme une des séquelles immédiates de la défaite d’Athènes, à un moment où les Athéniens craignent que Philippe n’exploite sa victoire en envahissant l’Attique ; et la gratitude et le soulagement, qui sont également visibles dans ce décret, peuvent se comprendre à la lumière de la décision de Philippe de ne pas agir ainsi. En effet, si les sacrifices publics sont souvent accompagnés d’une prière pour la « santé et le salut » (ὑγίεια καὶ σωτερία) du peuple des Athéniens[59], l’extension de cette protection aux femmes, aux enfants et aux biens matériels reste cependant exceptionnelle[60] : elle constitue un indice de l’angoisse qui étreint les Athéniens, et l’impression de menace imminente qui plane sur la cité et qui peut directement être mise en relation avec la défaite de Chéronée. S. D. Lambert utilise également ce contexte pour éclairer d’une lumière nouvelle la rasura de la ligne 39 du décret. D’après la lecture qui en a été faite, la stèle devait avoir été érigée près du théâtre de Dionysos à Athènes ; et de fait, c’est à proximité du théâtre de Dionysos qu’elle a été découverte au XIXe siècle. Cependant, immédiatement après les mots « théâtre de Dionysos », une partie du texte est effacée : selon Lambert, le décret n’aurait pas été érigé à Athènes à l’origine, mais au Pirée, où il existait aussi un Théâtre de Dionysos, situé sur le versant nord-ouest de la colline de Mounychie. En effet, après Chéronée, le Pirée se trouve au centre des attentions des Athéniens, car il apparaît plus protégé que la cité elle-même. Par la suite, lorsqu’il est certain que Philippe n’envahira pas l’Attique, et quand la stèle est ramenée dans le théâtre de Dionysos à Athènes, la localisation est changée par une simple rasura.
Ce décret doit donc être daté de l’immédiat après-Chéronée, c’est-à-dire de 338/7 avant J.-C., sur la double base de cette rasura et de la formulation particulière de la prière qui accompagne le sacrifice.
La célébration de ces sacrifices est le signe d’une nouvelle orientation dans la pratique de la religiosité athénienne[61], marquée par un glissement des cultes de l’Acropole en l’honneur d’Athéna Polias et de Poséidon Erechteus vers des divinités nouvelles : Zeus Sôter et Ammon, deux divinités manifestement conçues comme protectrices et salvatrices en cas de périls extrêmes. C’est là le signe d’un changement dans les attentes et les besoins des Athéniens, en regard du contexte international de l’époque, et notamment l’établissement de la domination macédonienne : face aux incertitudes liées à leur situation politique et militaire, les Athéniens attendent des dieux une protection renforcée. Conformément à la logique cumulative du polythéisme grec, la cité se tourne alors, en plus des divinités poliades traditionnelles telle Athéna Polias, vers les dieux guérisseurs Asclépios et Amphiaraos, dont il est naturel d’attendre « la santé et le salut », et qui connaissent un succès très important au IVe siècle[62]. Dans le même temps, elle étend aussi les compétences de certains autres dieux pour en faire des dieux « sauveurs »[63].
Ce nouvel aspect de la personnalité d’Ammon constitue donc une spécificité athénienne, qui ne s’explique que par les circonstances particulières qui affectent le contexte local : c’est uniquement sous la pression des événements que les Athéniens se tournent vers de nouveaux protecteurs, parmi lesquels Ammon et Zeus Sôter. Toutefois, dans cette fonction protectrice, Ammon ne semble pas avoir satisfait les attentes des Athéniens, qui lui préfèrent Zeus Sôter : en effet, les deux divinités connaissent une évolution opposée, Ammon sombrant progressivement dans l’oubli au cours du IIIe siècle avant J.-C., tandis que Zeus Sôter acquiert une popularité importante[64].
On peut s’interroger sur les raisons qui ont motivé le choix d’Ammon par les Athéniens : il me semble que le développement de sa fonction de protecteur et « sauveur » peut être mise en rapport avec la relation qu’il entretient avec Amphiaraos[65]. En 333/2, un décret athénien honore Pythéas d’Alopéké, le magistrat responsable du service des eaux, pour la manière dont il s’est acquitté de sa charge, au sanctuaire d’Ammon et à l’Amphiaraion : « […] attendu que Pythéas, choisi pour être responsable du service des fontaines, s’occupe parfaitement bien et avec zèle de l’ensemble des devoirs de sa charge, et que maintenant il a fait édifier une fontaine neuve près du temple d’Ammon et mis en état la fontaine du sanctuaire d’Amphiaraos, et qu’il s’est occupé, en cet endroit, de l’adduction d’eau et des canalisations »[66]. Bien que l’on ne puisse pas envisager un voisinage cultuel – le sanctuaire d’Ammon étant localisé au Pirée, et l’Amphiaraion à Oropos[67] –, le fait qu’en ces deux endroits, Pythéas ait été amené à diriger les mêmes travaux tend à indiquer que des rites semblables y étaient pratiqués. Or, l’eau, à la fois lustrale, fortifiante et génératrice, est un attribut cardinal pour une divinité guérisseuse[68]. La construction de cette fontaine près du sanctuaire d’Ammon paraît donc coïncider avec le développement de la fonction protectrice du dieu, attestée par le décret de 338/7. Cependant, la présence de cette fontaine ne doit pas être considérée comme une spécificité proprement athénienne, liée au seul rapprochement local avec Amphiaraos. En effet, l’eau apparaît essentielle dans le culte d’Ammon même en dehors de l’Attique : le travail de Pythéas d’Alopéké se comprend ainsi mieux au regard des éléments que nous ont fourni les fouilles récentes du sanctuaire d’Ammon à Kallithéa, en Chalcidique[69]. A Kallithéa, le sanctuaire était également alimenté en eau par des sources et des cascades. Comme à Athènes, la construction des premiers bâtiments en l’honneur d’Ammon s’est accompagnée de la mise en place d’un système d’adduction d’eau, permettant d’alimenter en eau le temple d’Ammon. L’exemple du sanctuaire de Kallithéa offre un bon parallèle et permet d’expliquer le travail fourni par Pythéas d’Alopéké, alors responsable des fontaines à Athènes. Il témoigne aussi du fait que l’eau (et la fontaine) n’a pas nécessairement ou seulement une fonction guérisseuse (puisque ce n’est visiblement pas le cas à Kallithéa). Dans certains sanctuaires côtiers, elle peut notamment servir aux navires et aux marins, en leur permettant de se ravitailler avant de faire la traversée[70]. La localisation du sanctuaire d’Ammon au Pirée peut d’ailleurs aller dans le sens de cette dernière hypothèse, qui n’exclut pas pour autant la précédente, celle d’une fonction guérisseuse.
Le rapprochement des cultes d’Ammon et d’Amphiaraos a gagné en importance un siècle plus tard : en 262/1, les thiasotes d’Ammon honorent certains de leurs membres[71], qui ont participé financièrement à la construction d’une annexe au temple d’Ammon, et dont la couronne doit être proclamée publiquement « à l’occasion des sacrifices pour Amphiaraos, après les libations »[72]. Cette précision indique clairement que, dans le cadre d’une association vouée à Ammon, des sacrifices à Amphiaraos étaient célébrés par les dévots : à cette date, Oropos est membre de la Confédération béotienne[73] ; il est donc probable que le sacrifice en question n’a pas lieu à Oropos, mais bien en Attique même, et probablement au Pirée, où le culte d’Amphiaraos a pu se développer, durant les phases où Oropos était passée hors du contrôle athénien[74] . Ce rapprochement entre le dieu d’origine libyenne et le héros anti-thébain se fait sans doute sur la base de leur fonction oraculaire : Hérodote (I. 46) rapporte en effet comment le roi lydien Crésus, confronté à la menace perse incarnée par le Grand Roi Cyrus, envoie des messagers consulter divers oracles du monde grec dans le but de les éprouver avant de leur poser la question décisive. Dans une liste qui comprend notamment les oracles de Delphes, Dodone et celui d’Ammon à Siwa, figure aussi Amphiaraos, dont l’oracle paraît être d’une grande fiabilité aux dires d’Hérodote :
Aussitôt occupé de cette pensée, il mit à l’épreuve les oracles de la Grèce et celui de Libye ; il envoya des messagers en divers lieux, les uns à Delphes, les autres à Abes (Abai) en Phocide et les autres à Dodone ; d’autres furent envoyés aux oracles d’Amphiaraos et de Trophonios, d’autres aux Bracnhides, sur le territoire de Milet. Voilà les oracles grecs que Crésus fit consulter ; en Libye, il envoya d’autres consultants interrogés l’oracle d’Ammon. Ces consultations avaient pour seul but d’éprouver la science des oracles ; son idée était, s’il constatait qu’ils savaient la vérité, de leur faire demander par de seconds envoyés s’il entreprendrait la guerre contre les Perses.
Hérodote I. 46
Même si à Athènes, Amphiaraos est surtout honoré comme une divinité guérisseuse, sa fonction oraculaire initiale est également attestée à une occasion, rapportée par Hypéride, à propos d’un litige territorial entre le sanctuaire d’Amphiaraos et les tribus Akamantis et Hippothontis[75]. Même si dans la cité athénienne la fonction oraculaire d’Amphiaraos n’aura jamais le crédit de l’oracle de Delphes, qui reste la référence obligée[76], l’exercice de cette fonction prophétique permet de comprendre le rapprochement entre Amphiaraos et Ammon, rapprochement conforté par la nature des sacrifices en leur honneur, puisque Pausanias (I, 34, 5) rapporte qu’on sacrifiait à Amphiaraos un bélier.
4. Localisation du sanctuaire
La situation du sanctuaire d’Ammon a été discutée[77]. Traditionnellement Le Pirée constitue le point d’entrée le plus fréquent pour les divinités étrangères introduites en Attique, en raison du caractère cosmopolite du port. Cependant Ammon n’ayant pas été introduit à l’initiative d’Egyptiens et de Libyens, mais suite à une décision civique, le substrat ethnique importe peu, et la question de la localisation de son sanctuaire peut se poser, d’autant que quatre des sept inscriptions relatives à son culte ont été retrouvées dans la ville même d’Athènes, contre une seule au Pirée[78]. Parmi les facteurs d’hésitation se trouve la mention du travail de Pythéas d’Alopéké, responsable de la construction d’une fontaine près du sanctuaire d’Ammon (IG II² 338): en l’état actuel de nos connaissances, cet architecte-hydraulicien n’a jamais travaillé au Pirée, alors que son action est, au contraire, bien attestée dans la cité – ainsi qu’à Eleusis et Oropos – dans le cadre de la politique de grands travaux lancée sous l’impulsion de Lycurgue[79]. Quant à l’inscription sur les revenus de la vente des peaux des victimes sacrificielles du sacrifice des stratèges pour Ammon (IG II² 1496), elle ne permet pas de trancher dans un sens ou dans l’autre, dans la mesure où les cultes publics mentionnés concernent autant la ville même d’Athènes (avec les Panathénées, les Dionysies urbaines et les Lénéennes) que son port du Pirée (avec les sacrifices pour Zeus Sôter, Bendis et les Dionysies du Pirée).
Pourtant plusieurs éléments font pencher la balance en faveur d’une localisation dans le port. Stephen Lambert donne ainsi de forts arguments pour que le sanctuaire d’Ammon soit effectivement au Pirée, en s’appuyant notamment sur l’inscription mentionnant les sacrifices effectués « pour le salut et la sécurité du peuple des Athéniens » (IG II² 410). Selon lui, les quatre divinités invoquées au secours de la cité après la défaite de Chéronée – lorsque les autorités civiques se replient au Pirée où stationne l’importante flotte de guerre athénienne – sont le plus vraisemblablement toutes du Pirée : Ammon et Poséidon Pélagios ont des prêtres dont les démotiques témoignent qu’ils sont originaires du voisinage immédiat du port (Pausiadès de Phalère pour le premier, Himéraios de Phalère pour le second) ; Zeus Sôter est la plus grande divinité du port ; quand à Dionysos, son prêtre Meixigénès de Cholléides est connu par ailleurs par une autre inscription, qui le place aussi dans les environs immédiats du Pirée, peut-être comme commandant de la Paralienne, l’une des deux trières sacrées athéniennes, chargées de conduire les théories vers les centres oraculaires de Delphes, Délos ou Siwah[80].
Or, cette inscription honorifique pour Meixigénès de Cholléides a été découverte en 1909 à Mahdia, dans l’épave d’un bateau ancien, chargé d’une soixantaine de colonnes de marbre, d’objets mobiliers, d’œuvres d’art et de quatre autres inscriptions, parmi lesquelles l’une provient du sanctuaire de Paralos, tandis qu’une autre présente une liste des offrandes offertes par les Athéniens à Ammon[81]. Il s’agit d’un décret, datant de l’archontat de Charikleidès, suivi de l’énumération des dons faits par le peuple athénien au sanctuaire d’Ammon en Libye[82] : l’Assemblée règle l’envoi des présents à Ammon et à d’autres dieux (Athéna, Héra et Paralos), puis énumère ensuite les diverses offrandes. Le bateau dans lequel ont été trouvées ces stèles était sans doute celui de pirates qui, après le sac et l’incendie du Pirée par les troupes de Sylla en 86 avant J.-C., auraient pillé les décombres, puis auraient fait voile vers l’Italie, avant de couler dans une tempête au large des côtes tunisiennes. Si l’on suit cette hypothèse, les stèles concernant Paralos et Ammon auraient été prises au même moment – peut-être pour caler des objets plus précieux de la cargaison du navire – dans deux sanctuaires voisins ou parallèles d’une des bases navales du Pirée, celui du héros Paralos et celui d’Ammon, correspondant sans doute aux deux mouillages des trières sacrées, la Paralienne et l’Ammonienne.
Dans ces conditions, la localisation du sanctuaire d’Ammon au Pirée ne fait plus guère de doute. Elle est confortée, par ailleurs, par le décret postérieur, dans lequel des thiasotes honorent certains d’entre eux pour la construction d’une annexe au sanctuaire d’Ammon (IG II² 1282) : la pierre a été retrouvée au Pirée et il semble très vraisemblable que l’association de thiasotes rendent un culte à Ammon dans le sanctuaire public qui lui avait été construit aux frais de la cité dans les années 360 avant J.-C., sanctuaire qu’elle aurait contribué à entretenir une fois le culte public tombé en désuétude. Le sanctuaire public aurait ainsi été utilisé dans le cadre d’une association cultuelle privée.
III. Une disparition prématurée
1. La disparition du culte public et l’apparition d’un culte associatif privé (tournant du IVe – IIIe siècle avant J.-C.)
Jusqu’en 330 avant J.-C., les inscriptions étudiées émanent directement des autorités civiques : ce sont toujours des officiels en charge (stratèges, théores, prêtres…) qui rendent un culte à Ammon. Or, ce culte public disparaît des sources dans le dernier tiers du IVe siècle. En revanche, au cours de la première moitié du IIIe siècle, apparaît pour la première fois à Athènes une forme de dévotion plus personnelle pour le dieu libyen : en 262/1, un décret émanant d’une association de thiasotes honore certains de ses membres pour avoir construit « une annexe au sanctuaire d’Ammon »[83].
Dieux.
Sous l’archontat d’Antipatros, le 18 de Hécatombéion, assemblée principale ; Aristodèmos, fils de Dionysios, a fait la proposition ; attendu que ceux qui ont été désignés avec l’épimélète Aphrodisios pour la construction d’une annexe au sanctuaire d’Ammon, ont accompli cette tâche belle et digne du dieu et ont présidé à celle-ci de belle manière, avec zèle et qu’ils ont rendu compte de la dépense ; [il a été décidé ] de leur accorder l’éloge et de leur décerner à chacun une couronne de feuillage légale, et de proclamer publiquement leurs couronnes lors du sacrifice pour Amphiaraos, après les libations ….en raison de leur piété envers les dieux et de leur empressement envers les thiasotes.
Les deux personnages mentionnés ne portent pas de démotique, ni d’ethnique, mais l’un d’eux, Aristodémos, fils de Dionysios, peut, vraisemblablement à mon sens, être identifié au personnage du même nom, attesté dans une épitaphe de Cyrénaïque, datée du IIIe siècle avant J.-C.[84]. Dans ces conditions, il est tentant de penser que cette association, vouée à Ammon, est constituée d’étrangers, probablement de Cyrénéens[85] – peut-être des marchands ou importateurs de grains –, pour lesquels le culte d’Ammon est considéré comme un culte ancestral[86]. On sait en effet qu’Athènes et Cyrène ont entretenu des relations commerciales dans le dernier tiers du IVe siècle. Entre 331 et 324, Athènes est touchée par une durable pénurie de blé, qui l’oblige à trouver d’autres sources d’approvisionnement. Or, on a retrouvé à Cyrène, en 1925, un document qui dresse la liste de « ceux à qui la ville livra des céréales pendant la période de pénurie en Grèce »[87] : parmi la cinquantaine d’Etats énumérés, Athènes se trouve en première position, avec 100 000 médimnes fournis.
La présence de ces commerçants cyrénéens explique le changement de profil du culte entre le IVe siècle et le IIIe siècle avant J.-C. : la pratique publique qui prévalait jusqu’alors se voit remplacée par une pratique privée, certes toujours collective, mais résultant cette fois-ci d’une initiative personnelle de la part d’étrangers de passage, qui peuvent, de ce fait, être considérés comme de réels dévots.
Le développement d’une forme associative – caractéristique de l’époque hellénistique[88] –, permet de faire le lien entre le culte d’Ammon et les autres cultes venus d’Egypte, notamment ceux d’Isis et de Sarapis, qui se développent à Athènes au cours du IIIe siècle avant J.-C., en s’appuyant sur ce même phénomène associatif. Pourtant, le devenir du premier va être bien différent de celui des seconds.
2. Les raisons de cette disparition prématurée
Alors que la cité athénienne s’est montrée particulièrement hospitalière à l’égard de certaines divinités étrangères (surtout les divinités égyptiennes d’ailleurs), qui vont connaître une postérité très longue sur le sol attique, Ammon ne parvient visiblement jamais à s’intégrer réellement ni à toucher les Athéniens. Plusieurs éléments peuvent être avancés pour essayer d’expliquer les raisons de cet échec.
a. L’absence de substrat ethnique et de dévotion personnelle: étude sociologique et prosopographique
Une étude prosopographique montre d’abord que les Egyptiens ou les Libyens n’ont joué aucun rôle dans l’implantation du culte à Athènes. Tous les dévots d’Ammon connus en Attique au IVe siècle sont des citoyens athéniens : le dieu, bien qu’étranger, était considéré comme un dieu hellénisé, assimilable à Zeus[89], en qui les Egyptiens ne reconnaissaient pas leur propre dieu Amon[90]. Quant aux Libyens, ils ne sont pas attestés à Athènes pour cette période : contrairement aux cultes phéniciens par exemple, le culte d’Ammon ne peut donc pas s’appuyer sur un substrat ethnique fort pour son introduction dans la cité.
D’autre part, durant tout le IVe siècle avant J.-C., les Athéniens impliqués dans le culte d’Ammon agissent toujours pour le compte de la cité, dans le cadre de démarches officielles[91], si bien que l’on peut s’interroger sur la réalité d’une dévotion populaire à Ammon. Alors qu’Arthur M. Woodward évoquait la dévotion grandissante dont le dieu faisait l’objet à Athènes, au cours du IVe siècle avant J.-C, dévotion qui se manifestait, disait-il, dans l’abondance des preuves épigraphiques[92], il convient en réalité de se montrer plus mesuré. En effet, du fait de la reconnaissance publique du culte, les sources qui nous renseignent sur Ammon émanent presque toujours des institutions officielles (assemblée du peuple, Conseil, magistrats…) : ce sont des décrets honorifiques, des listes de sacrifices ou d’offrandes, qui ne témoignent pas d’une dévotion réelle, surtout si l’on s’en tient à la définition moderne du mot, donnée par Le Grand Larousse encyclopédique de 1961 : « un zèle pour la religion et les pratiques religieuses » ou un attachement fervent à la religion. Même si le nombre d’inscriptions concernant Ammon augmente effectivement au cours du IVe siècle avant J.-C., l’absence de dédicaces privées – révélatrices d’un attachement sincère et d’un sentiment religieux personnel – démontre que son culte n’était pas réellement populaire, que ce soit auprès des Athéniens, des Egyptiens émigrés ou des autres étrangers résidant à Athènes. Ce n’est que dans un deuxième temps qu’un culte associatif est attesté au Pirée pour Ammon, mais il est sans doute le fait de marchands de passage et son implantation n’est donc pas durable.
Il faut alors se tourner vers l’étude onomastique afin de voir si elle peut contrebalancer cette opinion et offrir un autre éclairage : le nom théophore Ammônios est bien attesté à Athènes – avec 53 occurrences[93] –, ce qui tendrait, à première vue, à prouver la popularité du dieu en Attique. Cependant, si on analyse les différentes occurrences dans le détail, on constate que les Athéniens commencent à appeler leurs enfants du nom d’Ammon au plus tôt au IIe siècle avant J.-C., c’est-à-dire plus d’un siècle après la disparition de toute trace de son culte (privé comme public) : dans ces conditions, il est difficile de voir dans tous ces Ammônios de réels dévots. Le développement de ce nom théophore s’explique plutôt en lien avec le succès remporté par les cultes isiaques, dont la popularité finit par englober par contagion, les plus grandes divinités venues d’Egypte ou considérées comme telles. Ammon fait ainsi une nouvelle entrée dans la conscience athénienne au moment de l’éveil de Sarapis et d’Isis, dans le contexte de l’ « égyptomania » de la fin de la période hellénistique[94]. Cette « égyptomania » est d’abord limitée à un nombre restreint de familles, qui ont souvent des liens avec Délos. L’étude prosopographique d’une famille athénienne, du dème des Pambotides, installée à Délos, est en ce sens très révélatrice[95] : dans cette famille, le théophore Ammônios se transmet de père en fils sur au moins quatre générations. Un autre élément intéressant est le nom de Sarapion donné au deuxième fils d’Ammônios I : cela révèle clairement une certaine sensibilité égyptienne, un engouement pour les cultes isiaques de la part de la première génération[96] (ce qui s’explique d’autant plus facilement dans le contexte très cosmopolite de Délos). Au vu de ces quelques exemples, la popularité du nom théophore Ammônios ne doit pas être vue comme le signe d’une dévotion personnelle, d’un attachement réel des Athéniens au dieu libyco-égyptien, mais plutôt comme une forme de tradition familiale, le nom étant entré dans le patrimoine patronymique de certaines familles.
b. Un contexte politique défavorable qui empêche le dieu de répondre aux nouvelles fonctions que lui ont attribué les Athéniens
L’introduction du culte d’Ammon à Athènes se fait sous l’influence d’un contexte international particulier, entre la fin du Ve siècle et le début du IVe siècle avant J.-C. : au cours de cette période, Athènes se trouve souvent en butte à l’hostilité de la faction dirigeante de l’amphictionie de Delphes, qui lui rend l’accès à l’oracle difficile[97], si bien que la cité se tourne vers le culte d’Ammon, y trouvant sans doute une alternative, une autre source de prophéties.
Le temps fort du culte d’Ammon à Athènes correspond ainsi aux années 330[98], c’est-à-dire à une période où Athènes se trouve directement menacée par la puissance macédonienne. A ce moment-là, la prise en charge du culte par la cité apparaît nettement et se matérialise par un financement public des sacrifices et par la construction d’équipements annexes à son sanctuaire[99]. Les sacrifices offerts à Ammon et d’autres dieux pour le salut et la sécurité du peuple, juste après la bataille de Chéronée, en 338, montrent qu’Ammon apparaît alors comme un dieu capable de protéger la cité de la menace macédonienne[100]. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que le déclin de son culte public à Athènes coïncide avec la visite d’Alexandre à Siwah en 331. D’après les biographes d’Alexandre, celui-ci est en effet allé consulter Ammon dans son sanctuaire libyen où le dieu l’aurait proclamé son fils[101] . Par cette affirmation, le dieu témoigne de son soutien à Alexandre : or celui-ci est considéré comme une menace par la cité athénienne[102]. Dans ces conditions, Ammon ne peut plus être assimilé à un protecteur pour les Athéniens, ce qui explique le déclin de son culte public : tout comme l’oracle de Delphes avait été accusé de « laconiser » pendant la Guerre du Péloponnèse, puis de « philippiser », au temps de Philippe de Macédoine, l’oracle de Siwah apparaît désormais favorable à Alexandre, et par conséquent hostile à la cité athénienne. Au delà de la consultation d’Alexandre, le centre oraculaire de Siwah semble avoir perdu de son rayonnement et de son importance : peut-être continue-t-il à être consulté à l’époque hellénistique, mais il n’en demeure aucune trace[103].
Conclusion
Contrairement au culte initial d’Isis ou aux cultes phéniciens d’Astarté ou du Ba’al de Sidon, le culte d’Ammon n’a pas été importé à Athènes par des étrangers – Libyens ou Egyptiens – désireux de témoigner de leur dévotion ancestrale, ni même pour l’usage des citoyens : Ammon est, avant tout, consulté comme dieu oraculaire et son culte est un culte d’Etat, un culte « politique » pourrait-on dire, ce qui explique le faible nombre de dévots. A quelques exceptions près, seuls les officiels en charge, acteurs de la vie religieuse athénienne, interviennent dans ce culte, pour offrir des sacrifices et des dédicaces au nom de l’ensemble de la communauté civique, et non pour manifester une quelconque piété personnelle. Tant qu’Ammon remplit ses fonctions de divinité oraculaire, un culte public est célébré en son honneur dans son sanctuaire; mais dès lors que le dieu bascule dans le camp politique rival, son culte perd tout son intérêt pour la cité athénienne. Le déclin du culte public d’Ammon à Athènes coïncide ainsi indéniablement avec la visite d’Alexandre à Siwah en 331 avant J.-C.: à dater de ce moment, non seulement la valeur de ses oracles est remise en question (puisqu’il va être accusé d’être « pro-macédonien »), mais surtout, il échoue à assumer sa nouvelle fonction de dieu sauveur, chargé de protéger la cité athénienne contre la menace de celui qui se revendique pour son fils.
Le culte d’Ammon connaît ensuite une résurgence temporaire, sous une forme différente, lorsque qu’une association d’étrangers vouée au dieu se constitue au IIIe siècle avant J.-C. Ce passage d’un culte public à un culte privé coïncide avec un changement de nature du dieu, qui n’est plus honoré pour sa fonction oraculaire, mais comme une divinité ancestrale. Mais ce culte associatif, visiblement étroitement lié à la présence de marchands cyrénéens sur le sol attique, ne survit pas non plus au-delà du IIIe siècle avant J.-C.
Contrairement à Isis ou surtout à Cybèle, dont la popularité est grandissante tout au long de l’époque hellénistique puis impériale, Ammon ne parvient pas à exploiter ses atouts initiaux pour gagner les faveurs des Athéniens. Faute d’avoir réussi à combler les attentes des citoyens, Ammon disparaît ainsi rapidement du paysage religieux athénien, ayant échoué à assumé le rôle qui lui avait été confié.
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Stemma
[1]Servius, Sur l’Enéide, 4, 196 ; Eustathe, Commentaire sur Denys le Périégète., 211 ; Eudoxia, Violarium, 75. Selon une autre version, rapportée par Pausanias, IV, 23, 10 et Eustathe, Commentaire sur Denys le Périégète, 211, c’est un berger, nommé Ammon, qui aurait fondé l’oracle de Siwah et lui aurait donné son nom.
[2] Le mot « sable » se traduit ἄμμος en grec.
[3] A l’origine, Amon est honoré comme le dieu local de Thèbes, un dieu solaire et porteur de fertilité, représenté sous les traits d’un bélier. Au cours du IIe millénaire, il acquiert une position prédominante au sein du panthéon égyptien et est assimilé à Râ, le dieu solaire suprême. C’est à cette époque que son culte développe une fonction oraculaire qui va assurer son succès auprès des Grecs
[4] Michel Malaise, Pour une terminologie des cultes isiaques, Académie royale de Belgique, Bruxelles, 2005, p. 80.
[5] Hérodote, II, 42 et IV 181. Avant la fin du VIe siècle avant J.-C., la cité de Cyrène fait frapper des monnaies portant la tête de Zeus-Ammon, ornée de cornes de bélier et un grand temple est construit en son honneur. Voir Irak Malkin, La Méditerranée spartiate. Mythe et territoire, Les Belles Lettres, Paris, 2009 (titre original : Myth and Territory in the Spartan Mediterranean, Cambridge University Press, 1994), p. 191.
[6] Irak Malkin, La Méditerranée spartiate, p. 189-190.
[7] Pausanias, IX, 16, 1 : « Un peu plus loin est un temple d’Ammon. La statue du dieu est un ouvrage de Calamis, consacré par Pindare. Ce poète envoya aux Ammoniens, en Libye, des hymnes faites en l’honneur d’Ammon, et de mon temps on voyait encore une de ces hymnes gravée sur une colonne de figure triangulaire, près d’un autel élevé à Jupiter Ammon, par Ptolémée, fils de Lagos. » Pausanias désigne par le nom « Ammoniens » les habitants de l’oasis de Siwah.
[8] Schol. Pindare, Pythiques IX, 89. : « Ô Ammon, seigneur de l’Olympe ».
[9] Les témoignages littéraires athéniens soulignent qu’il est honoré au même rang que les grandes divinités oraculaires du monde grec, tels l’Apollon de Delphes ou le Zeus de Dodone. Cf. Aristophane, Oiseaux, 618-620 (ét. Victor Coulon, trad. Hilaire Van Daele, CUF, 1958) : « Et nous n’irons pas à Delphes ni à Ammon pour y sacrifier… » ; 716 : « Nous sommes pour vous Ammon, Delphes, Dodone, Phoibos Apollon. »
[10] Herbert William Parke, The Oracles of Zeus, Dodona, Olympia, Ammon, Blackwell, Oxford, 1967, p. 215 ; C. Joachim Classen, « The Lybian God Ammon in Greece before 331 B.C », p. 349-355. Cimon est un homme politique et général athénien, grand rival de Thémistocle. Elu stratège à différentes reprises, il mène une politique extérieure agressive à l’égard des Perses, qui finit par lui valoir d’être ostracisé en 461. Rappelé dix ans plus tard à Athènes, il dirige une dernière campagne contre les Perses à Chypre, où il meurt lors du siège de Kition.
[11] Dereck B. Counts, « From Siwa to Cyprus : The Assimilation of Zeus Ammon in the Cypriote Pantheon », dans Demetrios Michealides, Vasilliki Kassianadou, Robert Merrillees (éds.), Egypt and Cyprus in Antiquity, Oxford, 2009, p. 104-117.
[12] Il y est rapproché d’Héraclès, dans sa fonction de « maître des animaux », de potnios thérôn. Voir Derek. B. Counts, « From Siwa to Cyprus : The Assimilation of Zeus Ammon in the Cypriote Pantheon », p. 110.
[13] Euripide, Alceste, 112-118 (ét. et trad. Louis Méridier, CUF, 1961): « Ce n’est pas en dépêchant un navire vers la Lycie ou l’aride séjour d’Ammon qu’on sauverait la vie de cette infortunée » ; Pseudo-Platon, Alcibiade, II, 148 d-e. : « Dans un différend survenu entre Athéniens et Lacédémoniens, il arriva que, sur terre et sur mer, notre ville fut malheureuse dans les combats et ne pouvait plus prendre le dessus. Alors, les Athéniens, irrités de la chose, et ne sachant quel moyen imaginer pour détourner les calamités présentes, délibérèrent et jugèrent bon d’envoyer quelqu’un interroger Ammon. Ils lui firent demander, entre autres choses, pourquoi les dieux accordaient la victoire aux Lacédémoniens de préférence à eux […] Quand ils eurent ainsi parlé et demandé ce qu’ils devaient faire pour détourner les maux présents, l’interprète, pour toute réponse (le dieu n’en permettait évidemment pas d’autre) appela l’envoyé et prononça : « Voici ce qu’Ammon dit aux Athéniens : les louanges des Lacédémoniens lui plaisent beaucoup plus que tous les sacrifices des Grecs ».
[14] Aristophane, Oiseaux, 618-620 (ét. Victor Coulon, trad. Hilaire Van Daele, CUF, 1958) : « Et nous n’irons pas à Delphes ni à Ammon pour y sacrifier… » ; 716 : « Nous sommes pour vous Ammon, Delphes, Dodone, Phoibos Apollon. »
[15] Herbert William Parke, The Oracles of Zeus, p. 216.
[16] Plutarque, Nicias, 13, 2 (ét. et trad. Robert Flacelière et Emile Chambry, CUF, 1972) : « Et des consultants qu’il avait envoyés auprès d’Ammon lui rapportèrent un oracle disant que les Athéniens s’empareraient de tous les Syracusains ».
[17] Le culte de Zeus Ammon était clairement attesté à Cyrène comme à Sparte, dans les cités qui pensaient appartenir à la même chaîne de fondations : Sparte – Théra – Cyrène. Voir. Irad Malkin, La Méditerranée spartiate, p. 190.
[18] Plutarque, Alcibiade, 149 d.
[19] Pausanias, III, 18, 3.
[20] Pausanias, III, 18, 3 ; Plutarque, Lysandre, 20, 5.
[21] Sur ce sanctuaire de Zeus Ammon à Aphytis, voir Elisavet Bettina Tsigarida, « The Sanctuary of Zeus Ammon at Kallithea (Chalcidice) », Kernos 24 ( 2011), p. 165-181.
[22] Aristophane, Oiseaux, 618-620 ; Euripide, Alceste, 112 (ét. et trad. Louis Méridier, CUF, 1961) : « Il n’est point de lieu sur terre où dépêcher un navire, ni la Lycie, ni l’aride séjour d’Ammon, pour délivrer la vie de l’infortunée » ; Plutarque, Cimon, 18, 7 ; Nicias, 13, 2.
[23] IG II2 1642, l. 14-15.
[24] Andocide, Sur les Mystères, 42 (ét. et trad. Georges Dalmeyda, CUF, 1960) : « Nous l’invitons à se rendre chez Callias, fils de Téloclès, pour que celui-ci soit aussi présent à l’accord. – Voilà comment il perdait aussi mon beau-frère » ; Arthur M. Woodward, « Athens and the Oracle of Ammon », BSA 57, 1962, p. 5-13: l’identification est permise en raison de la rareté du patronyme Τηλοκλῆς. Un génos est une grande famille aristocratique d’Athènes, parmi les plus anciennes de la cité.
[25] La tâche du gymnasiarque consiste à sélectionner des athlètes de sa tribu et un entraîneur, à les entretenir pendant leur entraînement et à leur fournir le matériel. Si son équipe remporte le concours, il doit dédier un monument aux dieux. La gymnasiarchie requiert donc des fonds non négligeables, ce qui explique qu’elle ne puisse être assumée que par les membres des familles dirigeantes aisées, tels, au Ve siècle avant J.-C., les riches Alcibiade, Nicias et Andocide. Cf. Isocrate, Sur l’attelage, XVI, 35 ; Plutarque, Nicias, 3 ; Andocide, Sur les mystères, 132.
[26] Un triérarque est un riche citoyen athénien qui prend à sa charge l’entretien annuel d’une trière et en assure le commandement militaire.
[27] IG II² 21, 2, 21 ; IG III 18 ; 124, 20 ; 404, 12 ; 1606, 79 ; 1607, 20, 115, 126, 145; 1609, 95, 116 ; 1623, 73; 3040, 2.
[28] Claude Mossé, « La classe politique à Athènes au IVe siècle », dans Walter Eder (éd.), Die athenische Demokratie im 4. Jahrhundert v. Chr., Franz Steiner Verlag, Stuttgart, 1995, p. 67-77.
[29] John Kenyon Davies, Athenian Propertied Families, 600-300 B.C, Oxford, 1971, n. 22, n°15086, 560-561.
[30] Démosthène, Plaidoyers Civils, XLIII : Contre Macartatos, Sur la succession d’Hagnias.
[31] Jan Kirchner, Prosopographia Attica, I, Berlin, 1901, n°7556, suggère ainsi qu’il s’agit du petit-fils du poète, en se basant sur Aristophane, Acharniens, 386, et Schol. Aristoph. Nuées, 348.
[32] Arthur M. Woodward, « Athens and the Oracle of Ammon », p. 12.
[33] Id., p. 12 ; PA 15554.
[34] IG II² 2829.
[35] Arthur M. Woodward, « Athens and the Oracle of Ammon », p. 5-13.
[36] IG II2 1415, 1421, 1423, 1424 et 1428. Voir Alphonse Dain, Inscriptions Grecques du Musée du Bardo, Paris, 1936, p. 21.
[37] IG II² 1415, l. 8-9 : [Ἂμμω]ν|ος φιάλη ἀργυρᾶ, κτλ. HHH[].
[38] C. Joachim Classen, « The Lybian God Ammon in Greece before 331 B.C », Historia 8 (1959), p. 349-355 ; IG II² 1421, 63 ; IG II² 1424a, 176 ; IG II² 1428, 73.
[39] Alphonse Dain, Inscriptions grecques du Musée du Bardo, fig. p. 17 (SEG XXI, 241).
[40] C’était déjà l’hypothèse de Sterling Dow, « The Egyptian Cults in Athens », HthR, 30, 1937, p. 183-232, qui avait attiré l’attention sur le fait qu’Ammon s’était installé en Attique avant tous les autres dieux égyptiens, et proposait sans doute la bonne explication : « Il possédait un oracle et avait des intermédiaires grecs ».
[41] Eschine, Contre Ctéphison, 130 (ét. et trad. Victor Martin et Guy De Budé, CUF, 1952) : « Aminiadès ne nous avait-il pas avertis de prendre garde et d’envoyer à Delphes pour demander au dieu ce qu’il fallait faire ? Et Démosthène ne s’y était-il pas opposé en disant que la Pythie « philippisait » […] » ; Cicéron, De la divination, II, 57 (trad. John Scheid et Gérard Freyburger, Les Belles Lettres, 1992) : « Déjà, Démosthène, qui vécut il y a trois siècles, disait que la Pythie « philippisait », c’est-à-dire se rangeait pour ainsi dire aux côtés de Philippe. Il voulait dire par là qu’elle avait été corrompue par Philippe ».
[42] Herbert William Parke, The Oracles of Zeus, p. 218.
[43] SEG XXI 241 : [Κρατ]ῖνο[ς].
[44] IG II² 54. Cf. Alphonse Dain, Inscriptions grecques du Musée du Bardo, p. 17.
[45] Ibidem, p. 21.
[46] La première attestation remonte à 375 avant J.-C. (IG II² 1415,6) ; puis régulièrement attestée dans IG II² 1421, 63 ; IG II² 1421 ; IG II² 1423 ; IG II² 1424a, 176 ; IG II² 1428, 73. Arthur M. Woodward, « Athens and the oracle of Ammon », p. 5-6.
[47] IG II² 338, l. 13-15 : […] καὶ νῦν τήν τε πρὸς τῶι τοῦ | Ἄμμωνος ἱερῶι κρὴνηγ καινὴν ἐξικοδόμηκ|εν…
[48] IG II² 1496, 95-97 : ἐπὶ Νικοκράτους ἄρχοντος | […] || ἐκ τῆς θυσίας τῶι Ἄμμωνι παρὰ | στρατηγῶν: ΔΔΔΔΙΙΙΙC.
[49] Paul Foucart, Des associations religieuses chez les grecs : Thiases, Eranes, Orgéons, Arno Press, New York, 1975 (1ère éd. 1873).
[50] Arthur M. Woodward, « Athens and the oracle of Ammon », p. 219.
[51] Aristote, Constitution d’Athènes, 61,7 (ét. et trad. Georges Mathieu et Bernard Haussoulier, CUF, 1962): « Sont encore élus à main levée : un trésorier de la galère paralienne, et, en outre, un trésorier de la galère d’Ammon » ; Dinarque, fragm.14, 2. D’après ses deux auteurs, on peut fixer le terminus ante quem peu après 330 avant J.-C.
[52] Lucien Cerfaux et Julien Tondriau, Le culte des souverains dans la civilisation gréco-romaine. Un concurrent du christianisme, Desclées, Tournai, 1956, p. 143 ; Pierre Jouguet, L’impérialisme macédonien et l’hellénisation de l’Orient, Albin Michel, Paris, 1972 (1e éd. 1926), p. 125.
[53] A l’été 331, les Spartiates, sous le commandement du roi Agis, entrent en guerre contre la Macédoine. Si les Athéniens ne soutiennent pas l’action des Lacédémoniens, Démade étant habilement parvenu à s’y opposer, les sources révèlent cependant l’existence d’un fort parti anti-macédonien dans la cité à cette époque : c’est notamment à cette époque qu’appartient probablement le discours Sur les traités avec Alexandre, œuvre d’un orateur inconnu, conservée dans le corpus démosthénien, qui stigmatise les violations du traité et les ruptures de la paix provoquées par Alexandre et incite à déclarer la guerre à celui-ci. Un discours contemporain d’Hypéride contient des griefs semblables : il se plaint de ce qu’Alexandre et Olympias font parfois des revendications illégales ou déraisonnables et demande que l’on se défende face à de telles exigences au sein du Synédrion de la Ligue de Corinthe (cf. Christian Habicht, Athènes hellénistique. Histoire de la cité d’Alexandre le Grand à Marc Antoine, Les Belles Lettres, Paris, 2000, p. 40). Ce contexte rend donc hautement improbable l’hypothèse selon laquelle les Athéniens auraient rebaptisé leur trirème Ammonias, pour honorer le dieu qui se proclame le « père d’Alexandre » après la venue de ce dernier à son oracle de Siwah.
[54] Herbert William Parke, The Oracles of Zeus, op. cit., p. 218-219.
[55] On peut établir un parallèle entre ce développement du culte d’Ammon et celui du héros guérisseur Asclépios. Introduit à Athènes dès 420/19 avant J.-C., celui-ci ne devient cependant public que vers 350 avant J.-C., c’est-à-dire probablement au même moment que le culte d’Ammon. Cette simultanéité montre que les Athéniens sont alors à la recherche de nouveaux protecteurs divins, ce qui les pousse à accueillir à la fois un culte grec voisin, celui du héros épidaurien, et un culte étranger, celui du dieu égypto-libyen Ammon. Cf. Robert Parker, Athenian Religion : a History, Clarendon Press, 1997, p. 175-187.
[56] IG II² 410.
[57] Jan Kirchner, suivi par Arthur M. Woodward, « Athens an the oracle of Ammon », p. 7, attribue ce décret à l’année 330 avant J.-C. ; Jon D. Mikalson, Religion in Hellenistic Athens, p. 43, propose pour sa part une fourchette chronologique plus large, de 330 à 322 avant J.-C.,
[58] Stephen D. Lambert, « IG II² 410 : An Erasure Reconsidered », dans David Jordan et John Traill (éds.), Lettered Attica. A Day of Attic Epigraphy, Publications de l’Institut Canadien d’Archéologie d’Athènes, 2003, p.57-67
[59] Robert Parker, Polytheism and Society at Athens, Oxford University Press, 2005, p. 413. La première attestation d’un sacrifice offert pour « le salut et la sécurité du Conseil et du Peuple » remonte à 343/2 (IG II² 223b, 1-6) ; on en trouve ensuite des occurrences en 332/1 avant J.-C., lorsqu’Amphiaraos reçoit des offrandes pour la santé et le salut du peuple athénien (IG VII 4252), puis en 328/7 (IG II² 354), en 307/6 (IG II² 456b) et, encore au IIIe siècle avant J.-C., en 281/0 (Benjamin Dean Merritt, Hesperia 4 (1935), p. 562-565).
[60] Cette insistance révèle bien l’angoisse qui étreint la communauté civique quant à son avenir, et justifie la datation de ce texte dans le contexte de l’immédiat après-Chéronée, comme le suggérait Stephen D. Lambert, « IG II² 410 : An Erasure Reconsidered », p.57-67
[61] Jon D. Mikalson, Religion in Hellenistic Athens, p. 43.
[62] Pierre Sineux, Amphiaraos. Guerrier, devin et guérisseur, Les Belles Lettres, Paris, 2007, p. 208-214.
[63] Ibid., p. 44.
[64] Si Zeus Sôter est déjà attesté chez Eschyle, Oreste, 1386-1387, il semble qu’il ne possède alors ni fête ni sanctuaire, avec seulement un autel sur l’Agora. Ce n’est qu’au début du IVe siècle que son culte s’installe au Pirée, comme l’atteste le témoignage d’Aristophane, Ploutos, 1171, qui évoque la fête des Diisoteria, marquée par une procession à travers le port jusqu’au grand sanctuaire de Zeus Sôter et Athéna Soteira. Ce sanctuaire constitue, selon Pausanias, I, 1, 3, l’élément du paysage le plus frappant et le plus visible du port. Dès ce moment, le culte conjoint de Zeus Sôter et de sa parèdre, Athéna Sôteira, rencontre un immense succès et se répand ensuite du Pirée dans tout l’Attique. cf. Robert Parker Athenian Religion : a History, p. 239-240. Le développement du culte de Zeus Sôter peut être mis en relation avec la libération de la menace macédonienne, puisqu’il est introduit à Rhamnonte en 229, après le départ des troupes antigonides, quand Athènes retrouve son indépendance (cf. Basiléiou C. Petrakos, PAAH 1992, p. 20-21).
[65] Sur Amphiaraos, voir Pierre Sineux, Amphiaraos. Guerrier, devin et guérisseur et, plus récemment, Richard Stoneman, The Ancient Oracles. Making the Gods speak, New Haven – London, Yale University Press, 2011, p. 116-118.
[66] IG II² 338, l. 11-17 : ἐπειδὴ Πυθέας αἱρεθεὶς ἐπὶ τὰς κρήνας τῶ|ν τε ἄλλων τῶν ἐν τῆι ἀρχῆι ἐπιμελεῖται καλ|ῶς καὶ φιλοτίμως καὶ νῦν τήν τε πρὸς τῶι τοῦ | Ἄμμωνος ἱερῶι κρὴνηγ καινὴν ἐξωικοδόμηκ|εν καὶ τὴν ἐν Ἀμφιαράου κρήνην κατεσκεύακ|εν καί τῆς τοῦ ὕδατος ἀγωγῆς καὶ τῶν ὑπονόμ|ων ἐπιμεμέληται αὐτόθι.
[67] Il n’est pas envisageable que le décret fasse référence à un autre sanctuaire d’Amphiaraos, qui aurait pu être bâti à Athènes, près de celui d’Ammon : le sanctuaire en question est déjà ancien, puisque la fontaine doit être réparée (et non pas construite), et les travaux qu’y dirige Pythéas correspondent exactement aux travaux décrits dans deux inscriptions provenant d’Oropos et datant de cette période (IG VII 4255 et AE 1923, p. 36, n°123). Pour la traduction complète, cf. Gilbert Argoud, « Installations hydrauliques de l’Amphiaraion d’Oropos », dans John M. Fossey et Hubert Giroux (éds.), Actes du IIIe Congrès international sur la Béotie antique, J.C. Gieben, Amsterdam, 1985, p. 9-24.
[68] Annie Verbanck-Piérard, « Les héros guérisseurs : des dieux comme les autres ! », dans Vinciane Pirenne Delforge et Emilio Suarez de la Torre (éds.), Héros et Héroïnes dans les mythes et les cultes grecs, Kernos Suppl. 10 (2000), p. 300.
[69] Elisavet Bettina Tsigarida, « The Sanctuary of Zeus Ammon at Kallithea (Chalcidice) », Kernos 24 (2011), p. 165-181. Il s’agit en fait du sanctuaire que les Aphytiens auraient fait construire pour Ammon au début du IVe siècle avant J.-C., après que le dieu ait convaincu Lysandre, le général spartiate, d’épargner leur cité.
[70] Yvette Morizot, « Artémis, l’eau et la vie humaine », dans René Ginouvès, Anne-Marie Guimier-Sorbets, Jacques Jouanna et Laurence Villard (éds.), L’eau, la santé et la maladie dans le monde grec, Actes du colloque organisé à Paris du 25 au 27 novembre 1992, BCH Suppl. 28, Paris, 1994, p. 203 et 206-207, renvoyant au travail de G. Panessa, « Le ricoche hydrique dei sanctuari greci », ASNP 13 (1983), p. 259-387. Certains sanctuaires vendaient même cette eau.
[71] Les thiasotes sont les membres d’une association culturelle, souvent vouée à une divinité étrangère.
[72] IG II² 1282, l. 12-14 : […] [κα]ὶ ἀναγορεῦσαι τοῦ[ς σ]τεφ[ά|νους τῆι θυσίαι τ]οῦ Ἀμφιαράου μετὰ τὰς | σπονδὰς – – –
[73] Paul Roesch, « L’Amphiaraion d’Oropos », dans Georges Roux (dir.), Temples et sanctuaires. Séminaire de recherche 1981-1983, GIS- Maison de l’Orient, Lyon, 1984, p. 175.
[74] Robert Parker, Athenian Religion : A History, p. 148, n. 105; Annie Verbanck-Piérard, « Les héros guérisseurs : des dieux comme les autres ! », p. 324. La présence d’un petit sanctuaire d’Amphiaraos au Pirée est également soutenue par Emily Kearns, The Heroes of Attica, University of London, Institute of Classical Studies, 1989, p. 147.
[75] Hypéride, Pour Euxénippos, 16. cf. Pierre Sineux, Amphiaraos, p. 104-105 ; William W. Harris, Dreams and Experience in Classical Antiquity, Berkeley, University of California Press, 2009, p. 157; Richard Stoneman, The Ancient Oracles, p. 116.
[76] Pierre Sineux, Amphiaraos. Guerrier, devin et guérisseur, p. 105.
[77] Herbert William Parke, The Oracles of Zeus, op. cit., p. 217, situe le sanctuaire d’Ammon dans le port du Pirée, sans présenter d’argumentation construite en ce sens ; Jon D. Mikalson, Religion in Hellenistic Athens, University of California Press, Berkeley – Los Angeles – Londres, 1998, p. 43, admet également la localisation du sanctuaire d’Ammon au Pirée, sur la base du démotique des prêtres et surtout des autres cultes associés (particulièrement Zeus Sôter et Poséidon Pélagios). Pourtant, rien ne prouve que les quatre divinités honorées à l’occasion des sacrifices reçoivent toutes un culte au Pirée : si le culte de Poséidon Pélagios, en raison de la fonction de divinité marine suggérée par son épiclèse, doit sans doute bien être célébré en milieu portuaire, et donc au Pirée, en revanche, Zeus Sôter comme Dionysos, sont également honorés à Athènes même, ce qui peut tout aussi bien être le cas d’Ammon.
[78]Inscriptions retrouvées à Athènes : IG II² 1415 (375 avant J.-C.), IG II² 1642 (milieu du IVe siècle), IG II² 410 (338 avant J.-C.) et IG II² 1496 (333/2) ; inscription du Pirée : IG II² 1282 (262/1). En ce qui concerne les deux dernières inscriptions, l’une a été retrouvée à Oropos (IG II² 338), dans l’Amphiaraion, tandis que la dernière a été découverte hors contexte, dans une épave de Mahdia, sans indication précise concernant sa localisation d’origine (IG II² 1642). Cependant, un petit sanctuaire associatif privé a sans doute existé au Pirée au IIIe siècle, pour permettre la célébration du culte par les thiasotes.
[79] Christian Habicht, ZPE 77, 1989, p. 83-87; Gilbert Argoud, « Inscriptions de Béotie relatives à l’eau », Boeotia Antiqua 3, 1993, p. 39-41, n°2.
[80] IG II² 1254.
[81] G. Petzl, Das Wrack. Der antike Schiffsfund von Mahdia,éd. G. Hellenkemper Salies et alii, Cologne, 1994, 1 p. 381-3997 (SEG 46, 28 ; 46, 122 ; 46, 162-163)
[82] A. Dain, Inscriptions grecques du Musée du Bardo, 1936, I, fig. p. 17. (SEG XXI, 241), reprise dans SEG 46, 122. Dans la partie supérieure de la stèle, un bas relief très corrodé, du fait de l’action de l’eau salée, on devine à gauche la silhouette d’Ammon ; à droite, deux suppliantes sont debout de l’autre côté d’une masse cubique (peut être un autel ?).
[83] IG II2 1282, l. 6-7 : […] τῆς προσοικοδομίας τοῦ | ἱερ[οῦ τοῦ] Ἄμμωνος
[84] Evaristo Breccia, Catalogue Général des antiquités égyptiennes du Musée d’Alexandrie n°1-568, Iscrizioni greche et latine, Le Caire, 1911, n°228.
[85] Une dizaine de Cyrénéens sont attestés à Athènes au IIIe siècle avant J.-C. (cf. RE s.v. Lakydes ; AD 43 (1988) Chron. p. 31; SEG XII 192 ; IG II² 2942, 9131 et 9132 ; Ag. XVII 527).
[86] Selon François Chamoux, Cyrène sous la monarchie des Battiades, De Boccard, Paris, 1953, p. 331-339, le culte d’Ammon occupe une place considérable dans la dévotion des Cyrénéens dès son introduction à la fin du VIe siècle. Sur la vigueur du culte d’Ammon comme culte civique à Cyrène, à l’époque lagide, cf. André Laronde, Cyrène et la Libye hellénistique. Libykai Historiai, Ed. du CNRS, Paris, 1987, p. 425-427. De fait, on constate que la diffusion du culte de Zeus-Ammon (si l’on excepte la consultation de son oracle), suivait les relations commerciales de Cyrène, principalement ses exportations de grains, et passait donc principalement par les ports (Gythion, Aphytis, Cyzique, Le Pirée…). Sur cette question voir C. Joachim Classen, « The Lybian God Ammon in Greece before 331 B.C », Historia 8 (1959), p. 349-355.
[87] Abh. Akad. Berlin V, p. 24-26, n°3 (SEG 9,2). Texte révisé et commenté par André Laronde, Cyrène et la Libye hellénistique, p. 30-34 ; voir aussi Gabriele Marasco, « Sui problemo dell’ approvvigionamento di cereali in Atene nell’ età dei Diadochi », Athenaeum 62, 1984, p. 286-294 ; Patrice Brun, « La stèle des céréales de Cyrène et le commerce des grains en Egée au IVe siècle avant J.-C. », ZPE 99 (1993), p. 185-196.
[88] Anna Swiderek, « La cité grecque et l’évolution de la mentalité religieuse dans les premiers temps de l’époque hellénistique », Eos LXXVIII (1990), p. 259-271.
[89] Françoise Dunand, « Cultes égyptiens hors d’Egypte. Essai d’analyse des conditions de leur diffusion », dans Religions, pouvoir, rapports sociaux, Centre de Recherches d’histoire ancienne, vol. 32, Annales littéraires de l’Université de Besançon, Les Belles Lettres, Paris, 1980, p. 83, estime qu’Ammon constitue un cas particulier parmi les autres dieux égyptiens ; Michel Malaise, Pour une terminologie et une analyse des cultes isiaques, p. 82.
[90] Ibidem, p. 82, indique ainsi que « les Egyptiens de l’époque hellénistique paraissent l’avoir considéré comme un dieu grec, étranger à leur vieux panthéon ». L’oasis de Siwah est, par ailleurs, situé à la frontière de l’Egypte et de la Cyrénaïque : le caractère égyptien du dieu honoré là est donc déjà altéré.
[91] On voit ainsi intervenir des théores (SEG XXI 241. IG II2 1642), des stratèges (IG II² 1496), un responsable du service des fontaines (IG II² 338) et un prêtre public d’Ammon (IG II² 410).
[92] Arthur M. Woodward, « Athens and the Oracle of Ammon », p. 5 : « That its influence and repute continued throughout the fourth century is attested not only by Alexander’s attitude to it, but by the increasing devotion to the cult of Ammon at Athens, for which we have abundant epigraphical evidence » .
[93] Le nom théophore Ammônios est donc bien attesté en Attique alors que le féminin Ammônia n’apparaît qu’à deux reprises (IG II² 1943 et 2358), au IIe siècle avant J.-C. Cette proportion (55 occurrences au total) fait de l’Attique la deuxième région la plus représentée concernant les noms théophores dérivés de celui d’Ammon, derrière les quelques 113 noms attestés en Cyrénaïque (la région d’origine du dieu), bien loin devant les 12 occurrences du Péloponnèse ou les 25 d’Asie Mineure.
[94] Robert Parker, « Theophoric Names and the History of Greek Religion », dans Simon Hornblower et Elaine Matthews (éds.), Greek Personal Names. Their Value as Evidence, Oxford University Press, 2000, pp. 53-79. Sur la popularité d’Isis et Sarapis à Athènes au cours des IIe – Ie siècle avant J.-C., voir Elodie Matricon-Thomas, « Le culte d’Isis à Athènes: entre aspect “universel” et “spécificités” locales », Mythos. Rivista di Storia delle Religioni 3 (2011), p. 41-65.
[95] Voir stemma.
[96] D’autres exemples de ce type peuvent être recensés en Attique : on retrouve facilement le nom théophore Ammônios au sein d’une même famille sur une, deux voire trois générations (comme par exemple, Ammônios I, père d’Ammônios II, père d’Ammônios III, du dème de Cholleidai) ou associé à d’autres noms théophores isiaques (comme par exemple Ammônios, père d’Isias, du dème d’Erchia)
[97] Durant la Guerre du Péloponnèse, les relations entre Athènes et Delphes s’enveniment, le centre oraculaire ayant pris le parti de Sparte. Par la suite, et surtout après 346, l’Amphictionie et le sanctuaire de Delphes tombent entre les mains de Philippe de Macédoine, et se trouvent donc à nouveau dans le camp opposé à Athènes. Cf. Herbert William Parke et Donald Ernest Wilson Wormwell, The Delphic Oracle, Blackwell, Oxford, 1956, p. 193-194, 233-243.
[98] Trois inscriptions attestent de la vitalité du culte d’Ammon sur le sol attique au cours de ce laps de temps, entre 338 et 332 (IG II² 338, 410 et 1496).
[99] Financement public des sacrifices : IG II² 410 (sacrifices offerts par les prêtres publics, notamment Pausiadès de Phalère, à Ammon et d’autres dieux au Pirée, en 338/7 avant J.-C.) ; IG II² 1496 (sacrifices à Ammon financés et offerts par les stratèges au Pirée, en 333/2 avant J.-C). Prise en charge par la cité de la construction d’une fontaine devant le temple d’Ammon : IG II² 338.
[100] IG II² 410.
[101] Diodore, XVII, 51, 1-2 ; Plutarque, Vie d’Alexandre, 27 ; Arrien, Anabase, IV, 9, 9 ; Pseudo-Callisthène, dans son Roman d’Alexandre, relate différemment les faits : alors que les autres textes présentent cette déclaration de paternité comme un oracle transmis par les prêtres du sanctuaire, Callisthène fait voir à Alexandre, en songe, Olympias et Ammon tendrement enlacés. Cf. Claire Muckensturm-Poulle, « Les signes du pouvoir dans la recensio vetusta du Roman d’Alexandre », dans Michel Fartzoff et alii (éd.), Pouvoir des hommes, signes des dieux dans le monde antique, Besançon, Presses Universitaires de Franche Comté, 2002, p. 157-171.
[102] Christian Habicht, Athènes hellénistique, p. 33-38.
[103] Herbert Willliam Parke, The Oracles of Zeus, op. cit., p. 221.