L’antiféminisme de Churchill

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Corinne M. Belliard

Résumé

Homme d’Etat de stature internationale, Winston Churchill manifeste assez vite son adversité antiféministe.  La discussion ici est de savoir comment il développe, entretient et revient sur son antiféminisme. Quels sont les moments saillants de son existence qui marquent une alternance et où il tente de se faire défenseur des droits des femmes ? Il commence par des positions tranchées, puis ses certitudes sont bousculées et enfin il paraît comme un féministe contraint.


Corinne M. Belliard est docteure en histoire et civilisations de l’EHESS. Après avoir longtemps travaillé à l’université François-Rabelais de Tours, elle s’est investie dans les associations sur le genre, portant et coordonnant, entre autres, une équipe de recherche sur les femmes diplômées de l’EHESS, les Alumnea.


Introduction

Si les femmes britanniques se sont émancipées plus tôt que les françaises, en obtenant le droit de vote le 6 février 1918[1], elles ne se sont pas soustraites plus facilement de l’antiféminisme, entendu au sens de déséquilibre social et politique. L’antiféminisme, comme « le féminisme pose au centre de son analyse la notion de “genre “, de différence»[2] et rend vifs les débats sur la famille, la subordination, les partis politiques et la construction identitaire. L’antiféminisme britannique a ainsi divisé les genres, incitant tout particulièrement Winston Churchill (1874-1965), surnommé le « lion »[3] à afficher sans ambages ses opinions sur l’émancipation des femmes. Homme d’Etat de stature internationale, Churchill se révèle assez vite anti-femme et manifeste son adversité antiféministe. Cette tension va habiter l’aristocrate du château de Blenheim tout au long de sa vie en la modulant toutefois au regard des changements sociaux et politiques. La question ici sera d’évaluer comment il développe, entretient et revient sur son antiféminisme. Quels sont les moments saillants de son existence qui marquent une alternance et où il tente de se faire  défenseur des droits des femmes? Autrement dit, quand cessera-t-il d’œuvrer dans une société patriarcale pour repenser  le partage inégal du pouvoir ?

Des positions tranchées 

Il est plusieurs raisons pour lesquelles Winston Churchill s’avère être un adversaire de l’émancipation des femmes. La première est probablement due à son éducation. Il a été élevé dans la croyance selon laquelle les femmes s’occupent du foyer, de leur mari et portent, élèvent les enfants[4]. Une autre raison qui expliquerait l’antiféminisme de Churchill apparaît très tôt au cours de son séjour dans le sous continent (1896-1898). C’est en effet aux Indes, où il commence une carrière militaire dans les Queen’s Own Hussar et se construit politiquement, qu’il considère comme «contraire à la loi naturelle » de donner la parole aux femmes dans les affaires de gouvernance de la nation[5]. Il pense qu’elles serviraient mieux l’empire en se mariant et donnant naissance à des enfants.

Puis, c’est en tant que ministre du commerce dans le gouvernement libéral de Herbert Henry Asquith (avril 1908 – décembre 1916) que Churchill se montre paternaliste et exerce son autorité. En 1908, l’année de son mariage avec Clémentine Hozier (1885-1977), il repousse fermement tous changements dans la société et soutient que rien ne pourrait l’inciter à donner le droit de vote aux femmes. Il insiste surtout sur le fait « qu’il ne se laissera pas mener par le bout du nez (henpecked)» [6] sur une question d’aussi grande importance. Toutefois, sa jeune épouse pourrait, selon une suffragette de Manchester, le convertir et s’en réjouit d’avance dans un télégramme :

Toutes mes félicitations pour vos fiançailles j’ai bon espoir en votre rapide conversion mais vous avez prétendu que vous ne vous laisserez mener par le bout du nez. [7]

Envoyé de façon anonyme, le ton ce télégramme joue volontairement sur les mots pour marquer une protestation à l’encontre de Churchill. Loin de devenir un fervent féministe, Churchill prolonge la plaisanterie l’année suivante. Il tente en effet de reconnaître, sous forme de moquerie, que les femmes devraient en principe voter mais il leur oppose les pratiques extravagantes des suffragettes. Ainsi celle qui consiste à s’enchaîner aux grilles va l’amener à se désoler auprès de son ami le poète et aventurier, Wilfried Scawen Blunt (1840-1922), puis aussi à la railler en expliquant que lui même pourrait bien s’enchaîner aux portes de l’hôpital Saint-Thomas jusqu’à ce qu’il accouche[8]. Churchill « s’opposera toujours à ce qu’il considère comme un mouvement ridicule»[9]. Les actions violentes des suffragettes sont, selon lui, «trop détestables»[10]. Surtout lorsqu’il sera poussé sous un train en gare de Bristol par une suffragette du Women’s Social and Political Union (WSPU) brandissant une cravache et sauvé par son épouse, Churchill se montrera très hostile au mouvement des femmes[11]. Il refusera catégoriquement de s’engager pour le vote des femmes en les pressant de s’occuper exclusivement des affaires domestiques et familiales.

En 1911 Churchill, devenu ministre de la marine du gouvernement Asquith, se saisit à nouveau du concept de famille en se prononçant contre la représentation des femmes en politique. Pour lui, les pères, les frères et les maris s’expriment déjà pour les femmes. Elles n’ont pas, par conséquent, leur place dans la sphère politique et n’y sont pas les bienvenues. C’est un sentiment qu’il exprime ouvertement dans un long courrier personnel adressé à un autre antiféministe notoire, le Premier ministre Asquith en personne, le 21 décembre 1911 :

Je pressens un grand danger pour le gouvernement au sujet du suffrage des femmes. Il y a trois grandes questions auxquelles il faut répondre de façon convenable. 1/ Existe-t-il une réelle volonté de la part d’un bon nombre de femmes de prendre des responsabilités politiques? 2/ Est-ce qu’en ce moment l’augmentation du nombre d’électeurs importe pour le pays? 3/ Est-ce que le pays a déjà véritablement été consulté?

Votre propre position me semble-t-il, va être excessivement difficile à tenir dès lors que l’amendement du suffrage féminin s’inscrira dans le projet de loi du gouvernement, vous serez alors accusé d’utiliser le Parliament Act pour imposer au Souverain et aux circonscriptions, un vaste changement qu’aucun gouvernement ou parti oserait prendre et qui sera qualifié d’erreur politique désastreuse dans la mesure où les électeurs ne se seront jamais prononcés. En outre, si vos ministres s’emparent de la question et œuvrent personnellement, avec beaucoup d’enthousiasme, pour le suffrage des femmes, les autres membres du gouvernement qui ne partagent pas leur point de vue seront forcés d’exprimer leur opposition. Vous même serez pris dans la tourmente.

Cette situation anormale pourra éventuellement se justifier aussi longtemps que la question restera intellectuelle ou sans grand intérêt; mais si elle  devenait urgente ou importante et déterminante, le gouvernement sera complètement discrédité. Il est certain que si les questions deviennent plus prégnantes, les tensions pourront se transformer en fortes préoccupations. Quelle tragédie déplorable ce serait si ce courageux gouvernement sur lequel reposent tant d’espoirs était amené à périr dans la douleur tel Siséra d’une main de femme.

Qu’en sera-t-il du roi? Ne sera-t-il pas contraint d’utiliser le droit de dissolution en 1912 comme il a été invité à le faire pour créer des pairs en 1911? Je ne peux pas m’empêcher de penser que cette idée puisse courir dans tous les cercles et j’imagine qu’il en sortira plus fort. Il s’en est ouvert en se montrant peu disposé à une telle manœuvre. Si nous devons, dans la confusion, nous affronter entre nous, avec le Home Rule sur les bras et avec beaucoup d’électeurs toujours plus réactifs, nous serons battus de manière radicale; et avec nous tombera la cause irlandaise et tous les espoirs concentrés sur elle. Je suis totalement persuadé que la présence supplémentaire de 8 000 000 femmes sur les registres électoraux ne se fera jamais sans un quelconque appel à consultation de la nation. Du moins, ce devrait être ainsi.

J’ai tenu ces discours à la fois à Grey et à Lloyd George en soulignant ces dangers et en expliquant que je n’allais pas rester silencieux indéfiniment; hier soir, d’un commun accord, nous avons essayé ensemble, à trois de discuter du problème. Nous avons eu une discussion très importante, et tous les deux ont souhaité vivement que j’avance l’idée et que L.G. la développe. Autrement dit, si la cause de la femme était retenue, le registre électoral devrait s’allonger avec les électrices adultes et aussitôt fait, toutes les femmes suffragistes décideraient, par référendum ou de leur propre chef, de prendre ou pas leurs responsabilités. Pour qu’ils (les Grey et L G) adoptent cette position, j’ai dû les encourager sur le chemin de l’amendement démocratique de façon à ce que nous puissions travailler ensemble; et je dois avouer que mes réticences au changement seraient nettement moindres si les 3 ou 400 000 femmes représentantes de tous les foyers de ce pays, le demandaient officiellement. D’ailleurs, cela serait probablement retoqué ce qui constitue encore une autre solution. Le conciliabule s’est abstenu de relever tous les arguments conflictuels, mais nous nous sommes quittés avec le sentiment d’unité impossible sur ces lignes.

Si les conservateurs commencent à se demander pourquoi on ne procède pas à un référendum sur le Home Rule, de la même façon que sur la question du suffrage des femmes, notre réponse (à débattre) est claire. Nous n’avons aucune objection à appliquer le même principe en ce qui concerne l’Irlande et à lancer un référendum sur la question irlandaise pour le peuple irlandais.

J’espère, quoi qu’il advienne, que rien ne sera annoncé pour déjouer cette parade qui est la seule que je puisse entrevoir. [12]

On le voit, sur les bases de sa position d’antiféministe, Churchill esquisse, tout de même, l’idée d’un possible vote féminin. Mais, il ne semble pas vraiment vouloir porter la cause des femmes et suggère au Premier ministre Asquith de ne pas l’inclure dans son projet de gouvernement. Son refus de passer de l’antiféminisme au féminisme est motivé aussi par le fait qu’il considère qu’elles auraient tendance à voter pour les conservateurs. Les femmes desserviraient ainsi les rangs de son parti, les libéraux[13]. Churchill raisonne et calcule ici beaucoup plus en stratège politique qu’en avocat de l’émancipation des femmes.

Il ne facilitera pas plus leurs entrée sur la scène publique pendant la Grande guerre, période où pourtant les femmes se mobilisent massivement[14]. Infirmières ou FANYs (First Aid Nursing Yeomanry)[15], commerçantes, banquières, employées des administrations et des transports sont autant d’emplois qui s’ouvrent aux femmes mais qui vont étrangement renforcer l’antiféminisme du Premier Lord de l’Amirauté. Churchill « trouve la participation des femmes à l’effort de guerre révoltante et peu chevaleresque » [16]. Après une première réaction de colère, il se contient en utilisant toutefois un qualificatif masculin, digne des chevaliers, pour s’opposer à l’activité des femmes, quand bien même la nation est en danger et toutes les forces vives sont appréciées. La position antiféministe de Churchill ne semble pas se défaire.

Des certitudes bousculées

Si inflexions Churchilliennes il y a, elles adviennent au contact de ses proches et des parlementaires favorables aux suffragistes. Antiféministe repentie, qui défend après la Première Guerre mondiale le mouvement en faveur du vote des femmes, Jennie Churchill (1854-1921) a souvent été du côté de son fils, depuis la mort en 1895 de son mari Lord Randolph Churchill. Elle a notamment été :

… une précieuse ressource par ses conseils et son soutien adapté : « une alliée dévouée, prompt à porter [les] projets [de Winston] et à protéger [les] intérêts [de son fils] grâce à son influence et à son énergie débordante ».[17]

Churchill a ainsi en Jennie un soutien familial. Il se montre d’autant plus à l’écoute du féminisme de Jennie qu’en 1906 elle s’est âprement opposée au vote des femmes en se tenant à ses côtés pendant sa campagne à la députation à Manchester, alors que les suffragettes le fragilisaient en scandant : « Votes for Women »[18]. Il ne peut alors qu’être troublé par les nouvelles positions de Jennie, tout comme il est piqué par la posture de son épouse Clémentine.

Féministe de la première heure, Clémentine[19] trouble aussi de façon catégorique Churchill en argumentant, dès le début de son mariage, sur deux points récurrents[20]. Premièrement, elle lui fait remarquer que la nature vulnérable des femmes ne les rend pas incapables de voter. Deuxièmement, elle l’admoneste en raison de sa participation à un gouvernement dirigé par des hommes qui utilisent des méthodes violentes en gavant les suffragettes réduites à une grève de la faim à la prison de Holloway[21]. Quitte à influencer son mari, Clémentine n’hésite pas à prendre résolument position contre Churchill.

Ses objections s’ajoutent aux sollicitations pressantes de parlementaires suffragistes qui, après la chute en décembre 1916 du Premier ministre Asquith plutôt opposé au suffrage féminin[22], trouvent plus aisé de promouvoir la cause des femmes. Ainsi, en 1917 Churchill ne peut pas ignorer les députés et les lords qui de part et d’autres saisissent à quatre reprises[23] le Parlement sur la question du vote des femmes. Nommé au poste de ministre des munitions du gouvernement libéral de David Lloyd George (décembre 1916 – octobre 1922), il est ainsi témoin de la demande de discussion déposée par le député libéral Dickinson[24] le 8 juin 1917. Repoussée, cette question revient à l’agenda le 25 juin. Churchill n’est pas alors sans savoir que le député suffragiste Fell a interpellé le Secrétaire parlementaire au conseil de l’Administration locale à propos de l’augmentation du nombre d’électeurs si les femmes venaient à voter[25]. Il ne méconnait pas moins l’intervention du vicomte Peel qui le 11 décembre clame à la chambre des Lords qu’il y a « beaucoup de convertis au droit de vote des femmes »[26]. Surtout, le 17 décembre Churchill ne peut pas faire fi du long plaidoyer du Vicomte Bryce en faveur du suffrage des femmes, qui après une introduction commence ainsi :

On nous demande à travers ce projet de loi d’introduire une nouvelle règle, et comme mon honorable ami l’a fait remarquer, cela revient à affranchir six millions de femmes en une seule fois. En réalité, mes Lords, on nous demande de faire beaucoup plus… L’autre jour j’ai reçu, comme beaucoup de vos Seigneuries, je suppose, un billet signé d’un nom désormais bien connu dans le cadre de l’agitation autour du suffrage, et qui  protestait vivement contre la situation actuelle lamentable compromettante, imparfaite et qui insistait sur le fait que tout homme et toute femme devraient avoir le droit de voter. Nous savons parfaitement bien que cette protestation sera immédiatement reprise, et que l’arrêt de ces événements ne sera pas obtenu sans concession de la rue pour le suffrage féminin. J’ose croire en une paix et en une accalmie possibles qui a conduit tant de personnes en un autre lieu à changer d’opinions sur le sujet… 27]

Lord Bryce pense ici probablement à ses collègues libéraux de la Chambre des communes, en se gardant bien d’inclure et de nommer Churchill parmi ces suffragistes. Il a noté d’ailleurs que le « lion » ne prend jamais la parole au Parlement sur la question du suffrage des femmes. Churchill laisse faire les membres de son parti et préfère s’afficher « libéral en tout »[28] acceptant ainsi de mettre fin à  de nombreux privilèges, y compris par conséquent en matière de droits politiques.

Un féministe contraint ?

On pourrait alors croire que l’antiféminisme de Churchill disparaît en 1918, après le vote massif à la Chambre des communes de 364 voix pour et 23 contre le Representation of the People Act[29].  Or, il est des éléments qui trahissent son féminisme récent. Tout d’abord, il qualifie le suffrage des femmes de « déshonorant » et suggère un parallèle avec la mise en place de la prohibition aux Etats Unis[30], qui pose un interdit, en l’occurrence la vente de boissons alcoolisées. Puis, l’élection en novembre 1919 de la première femme, Nancy Astor (1879-1964)[31], à la Chambre des communes, amène Churchill à commenter l’événement :

Nancy, quand vous êtes entrée à la Chambre, j’ai eu l’impression que vous m’aviez surpris dans mon bain et que je n’avais que mon éponge pour me protéger. [32]

Sa réprobation est moins adressée à la lady députée de Plymouth-Sutton, élue dans les rangs du parti conservateur, qu’à la femme du vicomte Astor qui a osé reprendre le siège de son mari[33]. Elle se pose ainsi en rupture avec les qualités féminines attendues par Churchill. Il entretient également des relations peu agréables avec Bessie Braddock (1899-1970) présente au Parlement sous l’étiquette travailliste. Pour preuve, ce célèbre échange sarcastique :

« Winston, vous êtes soûl.

Madame, vous êtes moche. Mais moi demain je ne serai plus soûl. » [34]

Churchill ne tentera pas de défendre auprès de femmes parlementaires son appartenance au parti libéral, mais d’affirmer son antiféminisme, position qu’il manifeste en d’autres lieux et dans son quotidien. Ainsi sur le site Churchill Central : the Home of his Life and Legacy, l’historien David Cannadine présente l’homme d’Etat comme quelqu’un qui :

…n’a jamais su les noms de ses secrétaires et lorsqu’il en avait besoin d’une pour prendre des notes sous sa dictée, il disait : “allez me chercher une miss” . [35]

Pour Churchill, le genre féminin se doit d’être au service des hommes mais peut en de rares occasions se hisser et parvenir presque à leur niveau[36]. En 1921 par exemple, il se félicite, alors qu’il occupe le poste de Secrétaire d’Etat aux Colonies, de la présence et de l’avis de sa conseillère Gertrude Bell (1868-1926). Archéologue, aventurière, agent secret[37] et aussi anti-suffragiste, cette britannique a semble-t-il sa place sur la scène politique dans la mesure où sa connaissance exceptionnelle des tribus arabes lui permet de conseiller habilement Churchill au moment de nommer un roi en Irak[38]. Toutefois, le crédit de sa conseillère et spécialiste des Hachémites[39] au Moyen-Orient est à partager avec un homme, Thomas Edward Lawrence (1888-1935) plus connu sous le nom de Lawrence d’Arabie[40].

La présence des femmes sur le terrain est un atout que Churchill reconnaît aussi pendant la Seconde Guerre mondiale. Premier ministre, il confie, en 1941, à David Margesson (1890-1965), ministre de la guerre qu’il importe d’avoir un grand nombre de femmes engagées dans la défense antiaérienne[41]. Mais, au lendemain  de la guerre Churchill s’empresse de déclarer que:

les femmes ne devraient pas être traitées de la même manière que les hommes … plus vite elles rentreront dans leur foyer, mieux cela sera.[42]

En définitive, Churchill adhère de façon circonstancielle à la présence des femmes dans l’espace public[43]. Comme Premier ministre il va lui arriver de les nommer à des postes de direction, tout en regrettant de signer leur prise de fonction et s’exclamer : « Qu’il y ait donc des femmes ! »[44]. Plus que jamais pétri de contradictions, en 1960, il retournera la question d’un journaliste du London Evening Standard qui l’interrogeait sur la gouvernance des femmes dans le monde en l’an 2000,  par : «Mais, ils continueront à être là, les hommes, n’est-ce pas?»[45]

Conclusion

Churchill n’a pas clos le débat sur le genre et la différence, mais il l’a plutôt exacerbé à chaque tournant de sa vie. Pendant sa jeunesse et jusqu’à son mariage, il a porté les valeurs d’une société patriarcale qui ne voulait pas renoncer au pouvoir. Puis, ses fiançailles avec une féministe, raillés par le mouvement des suffragettes, ont pointé le déséquilibre politique qu’il défendait. A l’approche de la quarantaine, il a déconseillé à une des plus hautes autorités du royaume de céder à la charge des suffragistes. L’obtention du droit de vote des femmes n’a guère changé ses positions de jeunesse et d’homme mûr, pris entre les appréciations féministes d’une mère et de certains parlementaires. Jamais vraiment tenté d’embrasser la cause des femmes, le « lion » a préféré utiliser l’état de subordination des « miss » jusqu’à la fin de sa vie, sans imaginer possible la signature aux Nations Unies en 1979 de la Convention pour l’Elimination des Discriminations à l’Egard des Femmes (CEDEF)[46].



[1]http://hansard.millbanksystems.com/lords/1918/jan/14/representation-of-the-people-bill#column_529, consulté le 20 mars 2016. C’est la clause 4 du Representation of the People Act  qui accorde le droit de vote aux femmes de plus de 30 ans. Voir aussi Molly Housego et Neil R Storey, The Women’s Suffrage Movement, Oxford, Shire Publications Ltd, 2012 : 49. Ou encore Véronique Molinari, « Le droit de vote accordé aux femmes britanniques à l’issue de la Première Guerre mondiale : une récompense pour les services rendus ? » in Littératures, histoire des Idées, Images et Sociétés du monde Anglophone, vol VI, n° 4, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008.

[2]Karen Offen, Les féminismes en Europe 1700-1950, collection Archives du Féminisme, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2012 : 51. Voir aussi Françoise Barret-Ducrocq, Le mouvement féministe anglais d’hier à aujourd’hui, Ellipses, Paris, 2000.

[3]Surnom repris dans les 3 volumes de ses biographes William Manchester et Paul Reid, The Last Lion Winston Spencer Churchill, New York, Penguin Random House Company, 1983/2012. Sur les heures de gloire de l’homme d’Etat, voir aussi Paul Addison, Churchill : The Unexpected Hero, Oxford, Oxford University Press, 2005.

[4]Dominique Enright, The Wicked Wit of Winston Churchill, London, Michael O’Mara Books Limited, 2001 : 97.

[5]Joan Hardwick, Clementine Churchill : The Private Life of a Public Figure, London John Murray, 1997 : 70.

[6]https://www.churchillcentral.com/timeline/stories/votes-for-women, consulté le 16 mars 2016.

[7]Lettre anonyme d’une suffragette de Manchester (identifiée par certains comme Emmeline Pankhurst) à Winston Churchill (trad. fr : Corinne M. Belliard) http://www.churchillarchive.com/exhibitions/churchill-and-women, consulté le 16 mars 2016.

[8]Dominique Enright, 2001 : 108.

[9]Joan Hardwick, 1997 : 70.

[10]http://www.winstonchurchill.org/resources/geneaology/176-lady-randolph-and-winstons-political-career, consulté le 16 mars 2016. (trad. fr : Corinne M. Belliard)

[11]https://www.churchillcentral.com/timeline/stories/votes-for-women, consulté le 16 mars 2016. Voir aussi Dominique Enright, 2001 : 97.

[12]Lettre de Winston Churchill adressée au Premier Ministre libéral, Herbert Asquith, 21 Décembre 1911 (trad. fr : Corinne M. Belliard); cf.

 http://www.churchillarchive.com/exhibitions/churchill-and-women, consulté le 16 mars 2016.

[13]Sur les raisons de l’adhésion de Churchill au parti libéral, voir Jeremy Havardi, The Greatest Briton : Essays on Winston Churchill’s Life and Political Philosophy, London, Shepheard-Walwyn Ltd, 2009.

[14] Celia Lee and Paul Edward Strong (édi), Women in War : From Home Front to Front line, Barnsley, Pen and Sword Books, 2012. Voir aussi, Françoise Thébaud, La femme au temps de la guerre de 14, Paris, Stock, 1986.

[15]Janet Lee, War girls : The First Aid Nursing Yeomanry in the First World War, Manchester, Manchester University Press, 2012. Sur le modèle du « Nursing » britannique, voir aussi le chapitre premier de Evelyne Diebolt et Nicole Fouché, Devenir infirmière en France, une histoire atlantique ? (1854-1938), Paris, Edition Publibook Université, 2011.

[16]Manfred Weidhorn, A Harmony of Interest : Explorations in the Mind of Sir Winston Churchill, Cranbury, Associated University Presses Inc, 1992 : 54. (trad. fr : Corinne M. Belliard)

[17]http://www.winstonchurchill.org/resources/geneaology/176-lady-randolph-and-winstons-political-career, consulté le 16 mars 2016. (trad. fr : Corinne M. Belliard)

[18]Sur la démarche militante des femmes voir en particulier les membres de la Women’s Social and Political Union, http://www.historylearningsite.co.uk/the-role-of-british-women-in-the-twentieth-century/womens-social-and-political-union/consulté le 23 mars 2016. Voir aussi, Corinne M. Belliard, « Etre patriote ou devenir femme à la veille de 1914 » in Claire Laux, Le monde britannique de 1815 à 1931, Paris, Ellipses, 2009.

[19]Cf. sa biographie rédigée par sa fille, Mary Soames, Clementine Churchill : the Biography of a Marriage, Boston, Houghton Mifflin, 2003. Voir aussi, Philippe Alexandre et Beatrix de L’Aulnoit, Clémentine Churchill : la femme du lion, Paris, Tallandier, 2015.

[20]Joan Hardwick, 1997 : 72-73.

[21]Sur la vie des femmes emprisonnées à Holloway, voir notamment Schwan Anne, «  “Bless the Gods for my pencils and paper” : Katie Gliddon’s prison diary, Percy Bysshe Shelley and the suffragettes at Holloway», in Women’s history review, vol 22, n° 22, Abingdon, Taylor & Francis Group, 2013.

[22]Voir « Des changements de mentalités limités » in Véronique Molinari, 2008.

[23]Compté à partir du Hansard, le registre officiel de transcription des débats de la Chambre des Lords et de la Chambre des Communes.

[24]http://hansard.millbanksystems.com/commons/1917/jun/08/business-of-the-house#S5CV0094P0_19170608_HOC_228, consulté le 20 mars 2016.

[25]http://hansard.millbanksystems.com/commons/1917/jun/25/representation-of-the-people-bill#S5CV0095P0_19170625_HOC_44, consulté le 20 mars 2016.

[26]http://hansard.millbanksystems.com/lords/1917/dec/11/representation-of-the-people-bill#S5LV0027P0_19171211_HOL_7, consulté le 20 mars 2016. (trad. fr : Corinne M. Belliard)

[27]http://hansard.millbanksystems.com/lords/1917/dec/17/representation-of-the-people-bill, consulté le 20 mars 2016. (trad. fr : Corinne M. Belliard)

[28]Sous titre d’un article rédigé par Bernard Cassen, « Une grande biographie. Winston Churchill vu par son fils » in Le Monde des livres, 16 mars 1968.

[29]Sur cette évaluation chiffrée voir Molly Housego et Neil R Storey, 2012 : 49. Pour le texte législatif, https://archive.org/stream/representationof00frasrich#page/n13/mode/2up, consulté le 20 mars 2016.

[30]Manfred Weidhorn, A Harmony of Interest : Explorations in the Mind of Sir Winston Churchill, Cranbury, Associated University Presses Inc, 1992 : 51.

[31]http://www.historytoday.com/martin-pugh/womens-movement, consulté le 20 mars 2016.

[32]Dominique Enright, Les sautes d’humour de Winston Churchill, Paris, Payot, 2014 : 114.

[33]Appelé à la Chambre des Lords en temps qu’héritier d’une pairie (droit nobiliaire), il quitte son poste de représentant de la circonscription Plymouth-Sutton à la Chambre de communes et insiste auprès de sa femme Nancy pour qu’elle poursuive son œuvre. Sur l’histoire plus particulière de Nancy Astor, cf.

http://www.parliament.uk/business/publications/parliamentary-archives/archives-highlights/archives-the-suffragettes/archives-the-first-women-in-parliament-1919-1945/consulté le 28 mars 2016. Voir aussi Martine Monacelli-Faraut, « Lady Astor, the first woman MP : Subversion or reinforcement of women’s roles ? » symposium, Université François-Rabelais, Tours, 11 avril 2014.

[34]Dominique Enright, 2014 : 118.

[35]https://www.churchillcentral.com/timeline/audio/churchills-other-lives-episode-5-women, consulté le 20 mars 2016.

[36]Sur le rôle des femmes façonnant la politique britannique, cf Julie Gottlieb, ‘Guilty Women’, Foreign Policy, and Appeasement in Inter-War Britain, London, Palgrave Macmillan, 2015.

[37]Sous titre de l’ouvrage de Christel Mouchard, Gertrude Bell : Archéologue, Aventurière, Agent Secret, Paris, Tallandier, 2015.

[38]Sous mandat britannique de 1921 à 1922, ce territoire est confié à l’autorité politique du roi Fayçal. Sur l’influence de Gertrude Bell dans le choix de ce souverain, voir Christopher Catherwood, Churchill: The Treasures of Winston Churchill, the Greatest Briton, London, Andre Deutsch, 2012: 32.

[39]Dynastie de souverains, cf. en particulier Rosemary O ‘Brien (ed), Gertrude Bell : The Arabian Diaries, 1913-1914, New York, Syracuse University Press, 2000. Voir aussi Rémi Kauffer, La Saga des Hachémites : La tragédie du Moyen-Orient 1909-1999, Paris, Stock, 2009.

[40]Jeremy Wilson, Lawrence d’Arabie : la biographie autorisée de T.E. Lawrence, Paris, Denoël, 1994.

[41]Winston Churchill au Secretary for War, 29 October 1941, http://www.churchillarchive.com/exhibitions/churchill-and-women, consulté le 20 mars 2016.

[42]http://www.churchillarchive.com/exhibitions/churchill-and-women, consulté le 20 mars 2016. (trad. fr : Corinne M. Belliard)

[43]Sur le rapport entre la guerre et la masculinité voir Lucy Noakes invitée aux rencontres de la International Churchill Society à la London School of Economics http://www.winstonchurchill.org/publications/chartwell-bulletin/bulletin-71-may-2014/churchill-leadership-debate-at-lse, consulté le 20 novembre 2016. Consulter aussi Lucy Noakes and Juliette Pattinson, British Cultural Memory and the Second World War, London, Bloomsbury, 2013.

[44]Dominique Enright, 2001 : 104. (trad. fr : Corinne M. Belliard)

[45]Dominique Enright, 2001 : 107. (trad. fr : Corinne M. Belliard)

[46]Acronyme plus connu en anglais : CEDAW, Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination Against Women. Pour un texte en français, voir Diane Roman (dir), La Convention pour l’élimination des discriminations à l’égard des femmes, Paris, Pedone, 2014.