La notion de uirtus sous les Julio-Claudiens dans les Annales de Tacite

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Christophe Burgeon

Résumé :

Les Annales n’hésitent pas à évoquer un certain nombre d’hommes vertueux qui ont fait la grandeur de Rome. Leur auteur s’est demandé, non sans amertume, quelle avait été la part de libre-arbitre des individus et de la dignitas humana sous les Julio-Claudiens. Sous la plume tacitéenne, durant le règne de Tibère et de Néron, les termes libertas et uirtus avaient changé de sens, même si le noyau dur de ces deux vocables subsistait. À tout le moins, le Romain devait les exercer de façon différente, car en l’absence de libertas politique, il n’était plus possible d’utiliser la uirtus républicaine. Le suicide vertueux sert donc, chez Tacite, à manifester une nouvelle forme de libertas intérieure. Selon nous, sous l’exposition de ces manifestations de courage, Tacite, nostalgique d’une époque révolue, a voulu exprimer le sentiment de la grandeur morale républicaine. D’aucuns seraient également tenté de penser qu’il a œuvré à la mise à jour des valeurs traditionnelles pour les adapter au régime politique de l’Empire.


Christophe Burgeon

Christophe Burgeon est doctorant et agrégé en Histoire, et titulaire d’un DEA en Relations internationales. Il est l’auteur d’un ouvrage consacré à la troisième guerre punique et à la destruction de Carthage, ainsi que d’un guide bibliographique en histoire gréco-romaine.


Introduction

La uirtus était l’une des trois vertus romaines par excellence du mos maiorum. Issue du terme « uir », elle représentait, durant les premiers siècles de l’histoire républicaine, la force physique masculine mobilisée par la volonté de vaincre son ennemi. C’est en ce sens que la Virtus fut divinisée et eut dans la Ville, à l’instar d’Honneur et de Victoire, son propre temple. Avec le développement de la pensée stoïcienne à Rome dès le IVe siècle avant J.-C., tout en conservant sa connotation martiale, cette valeur proprement romaine a pris une acception plus morale et philosophique pour désigner une forme de courage nécessaire à l’accès à la sapience et à l’apathie. Dans une société où la victoire n’était plus seulement d’ordre militaire puisque associée à la vertu au sens large, la uirtus alliait donc virilité et contrôle des mouvances passionnelles. Dès le début du principat, le terme était devenu synonyme de rectitude morale guidée par la raison ; il se trouvait aux antipodes de la fortuna, qui, jadis, lui avait pourtant été complémentaire et nécessaire sur le champ de bataille, et du uitium. La uirtus était intimement liée à la défense de la libertas à travers le courage et la vertu.

La uirtus constitue un concept-clé dans la compréhension de l’historiographie romaine. Nombre d’historiens antiques se sont proposé d’analyser – implicitement ou non – la transition entre la République et l’Empire sous l’angle de cette valeur. Salluste a notamment soutenu que le déclin politique – matérialisé par la saeuitia, la superbia et l’ambitio – de la république romaine était lié à un manque criant de uirtus, qu’il associait à une absence de dignitas. En étudiant une période plus longue et en se montrant plus optimiste, Tite-Live a insisté quant à lui sur l’importance de la préservation de la uirtus dans les coutumes nationales comme moyen de favoriser la libertas ; deux notions construites autour de la mémoire collective. La solution à la crise politique était à rechercher dans l’esprit glorieux de l’histoire de Rome. L’Histoire romaine de Velleius Paterculus a établi des corrélations entre cette forme de pouvoir personnel qu’était l’Empire et la uirtus. Pour lui, le rétablissement de la paix et le maintien de l’ordre sous Tibère étaient passés par un retour de la uirtus dans la voie romaine traditionnelle. Enfin, la perception de Tacite de la nature du changement politique que Rome a connu en l’an 27 avant J.-C. a été nourrie d’une interprétation liée aux valeurs traditionnelles de la Res publica.

Ces quatre auteurs ont rappelé que la uirtus semblait être le meilleur moyen de préserver l’identité et les valeurs romaines en cette période de troubles et de changement politico-institutionnel de la fin de la République et du début de l’Empire. Tacite, dans ses Annales[1], a surtout invité le lecteur à regarder sous la surface des événements[2] et a expliqué le déclin de la uirtus sous Tibère et Néron par l’annihilation de la libertas[3]. Malgré cette déperdition en matière de vertu et cette dégradation de la uirtus, il demeurait, pour l’historien, la possibilité d’être courageux comme l’avaient été Caton le Censeur et Caton d’Utique.

Comment étudier l’Antiquité romaine en négligeant les valeurs morales qui l’ont fondée ? Pourtant, si les historiens modernes ont accordé une place de choix à la libertas dans l’œuvre des auteurs antonins, il semble qu’ils n’aient pas pris en compte la dimension intérieure de la uirtus dans les Annales de Tacite.

Dans cet article, nous allons tenter de voir comment Tacite, dans ses Annales, a montré que, grâce à l’application d’une nouvelle forme de uirtus, on pouvait sauvegarder une certaine liberté intérieure, en dépit d’une liberté politique bafouée et volée par un Prince autoritaire, seul détenteur de la libertas au sens plein du terme.

La notion de libertas dans les Annales

Pour R. Mellor, c’est l’absence de droits individuels et l’impossibilité de garantir le mos maiorum qui a donné à l’œuvre de Tacite un caractère particulier[4]. Dans les Annales, Tacite était très pessimiste quant à l’avenir des citoyens romains[5] et à la préservation des valeurs romaines[6], même si le fait de se comporter en « vrai Romain » n’était l’apanage que de quelques « initiés » dont il convenait de s’inspirer. Il savait qu’en ces temps d’absence de libertas, la uirtus était en train de perdre de sa substance. Mais de quelle libertas s’agit-il vraiment ?

Pour les Romains républicains, la libertas, concept qui s’opposait au regnum, à la dominatio factionis et à la seruitus[7], était conçue comme l’ensemble des droits civils que les lois républicaines garantissaient : la possibilité de participer à la vie de la cité par le vote des lois et l’élection des magistrats, d’accéder à des magistratures ouvertes à tous[8]… Elle était liée au respect des leges et à l’équilibre des pouvoir entre le Sénat, les magistrats et le peuple[9]. Le principe de la libertas assurait l’application de la loi à tous les citoyens et défendait le fait que le droit de coercition du magistrat ne fût pas illimité[10]. En ce sens, le jus prouocationis, droit exercé par le tribun de la plèbe de faire appel contre les décisions arbitraires du magistrat, était une manifestation de la libertas[11]. Tacite, en ouverture des Annales[12], rappelait le lien qui existait entre la liberté et le consulat. La libertas, qui incluait la participation au pouvoir, la suprématie de la loi et la liberté d’expression, était donc liée à une forme particulière du pouvoir politique : la libera res publica[13].

Aux yeux de Cicéron déjà, la liberté était réservée au vainqueur, alors que le vaincu était destiné à mourir[14]. En outre, comme l’indique P. Brunt, les Romains considéraient le fait d’être esclave comme un manqué d’humanité. Or cet assujettissement permettait d’établir un lien presque naturel entre moralité et liberté[15]. Pour le populus Romanus, attaché à la securitas, la libertas consistait essentiellement en la protection de la loi contre les injustices de la nobilitas et des magistrats, mais elle prolongeait une législation axée sur la perpétuation des privilèges[16]. Nous voyons donc que le terme garantissait une liberté politico-civique avérée et un certain équilibre étatique, tout en défendant l’ordre établi.

Lors de la guerre civile opposant Marc-Antoine à Octave, ce dernier substitua à la libertas politique, qui ne mobilisait plus grand monde, la libertas nationale, menacée par le joug oriental[17]. Après son avènement en 27, Auguste tenta de convaincre le peuple qu’il pouvait à nouveau jouir d’une liberté politique tout en vivant en paix. Il apporta ainsi au concept quelques nuances qui, selon Tacite, finiraient par édulcorer le véritable sens républicain du terme libertas : « Quand il eut gagné les soldats par des largesses, la multitude par l’abondance des vivres, tous par les douceurs du repos, on le vit s’élever insensiblement et attirer à lui l’autorité du Sénat, des magistrats, des lois. Nul ne lui résistait : les plus fiers républicains avaient péri par la guerre ou la proscription[18]. »

On retrouve différentes acceptions du terme libertas dans les Annales : il sert aussi bien à l’auteur à désigner la liberté que reçoivent les affranchis[19], que l’indépendance des Barbares à l’égard de Rome[20]. Tacite insistait principalement sur la notion de libertas républicaine commune et indivise[21] et dénonçait l’élévation progressive d’un princeps qui a attiré à lui tous les pouvoirs[22] « dans une Rome qui ne différait plus de l’État monarchique »[23]. Le volet post-républicain augustéen de la libertas qui « donnait une apparence de République »[24] et qui était lié à l’élément populaire a été dénoncé par Tacite comme étant assimilé au regnum et à la dominatio[25]. Notre historien a particulièrement insisté sur la puissance tribunicienne, du fait que celle-ci a été considérée comme la garante par excellence de la libertas populi Romani[26]. Les fondements du pouvoir étant « dissimulés », l’empereur feignait de laisser au Sénat « l’apparence de son antique compétence[27] ». Seule la liberté politique exercée par la classe sénatoriale sous la République trouvait du crédit chez l’historien et ancien sénateur romain, selon lequel « tout se précipitait dans la servitude, consuls, sénateurs, chevaliers, plus faux et plus empressés à proportion de la splendeur des rangs[28]. » Pourtant, Auguste n’avait pas prétendu supprimer toute idée de liberté[29].

Les Annales, portant un regard très critique vis-à-vis des pleins pouvoirs dans les mains d’un seul sous le principat, déploraient de manière générale le changement de mentalités opéré dès le règne de Tibère et le manque de libertas durant la période julio-claudienne[30]. Mais Tacite était davantage désappointé de l’attitude de la classe sénatoriale qu’il accusait d’avoir perdu sa dignitas et sa libertas, car le règne de ces empereurs aurait sans doute été autre si celle-ci avait fait preuve de plus de courage politique et de moins de flagornerie[31]. L’historien ne se limitait pas à dresser la liste des vices des empereurs, il souhaitait montrer comment l’absence de libertas au sens républicain du terme, en tant que droit constitutionnel traditionnel, avait corrompu le système. M. Ducos, pour qui la liberté est une notion à la fois politique et morale, écrit : « Le peuple romain est incapable d’être libre et l’opposition n’est plus tant entre principatus et libertas qu’entre libertas et adulatio[32]. »

En recourant plusieurs fois aux termes de species libertatis ou d’imago libertatis, Tacite a voulu démontrer que la liberté n’était plus qu’une imposture apparentée en quelque sorte au seruitium[33]. Cette décadence de l’esprit de liberté était inséparable de celle des mœurs à ses yeux[34]. Mais il a également utilisé le terme libertas pour désigner une liberté personnelle – qu’il opposait à celle du peuple romain dans son ensemble – liée à un comportement humain et qui inclurait courage et virilité, autrement-dit une liberté empreinte de uirtus. Sa valeur politique étant mise de côté, la libertas intériorisée était née de la volonté de préserver une conduite individuelle digne des qualités morales des Anciens. Elle désignait surtout le refus de pratiquer l’adulatio du princeps qui apparaissait chez tant d’hommes.

Durant la République, le cursus honorum s’appuyait principalement sur une compétition entre citoyens liée à la valorisation de la uirtus. Mais dans un régime autoritaire tel que l’était l’Empire, la uirtus, isolée de plus en plus de la libertas, ne constituait plus le substrat principal à la valorisation politico-civique. La potestas de l’auctoritas principis l’avait remplacée. La uirtus avait-elle alors toujours un sens ? Avait-elle encore quelque pertinence dans la Rome impériale des Julio-Claudiens ?

Le rôle joué par la uirtus sous Tibère et Néron dans les Annales

Il ne faisait aucun doute que, comme l’a sous-entendu Tacite, uirtus et libertas étaient intimement liées sur le plan moral, car sans liberté, il ne pouvait y avoir de vertu et seul un être vertueux était capable de conserver sa liberté[35]. La présence de la véritable uirtus se marquait par une liberté d’action et de pensée, de surcroît en ces temps troublés après le règne d’Auguste. Période durant laquelle, selon Tacite, cette valeur consistait moins à défendre la nation face à l’ennemi en étant prêt à se sacrifier – même s’il se plait à rappeler quelques anecdotes historiques mettant en avant la pristina uirtus[36] –, qu’à la faculté de demeurer libre et de pouvoir exprimer sa voix. D’ailleurs, il est remarquable de noter que l’obsequium, qui était perçue positivement dans l’Agricola, était devenue préjudiciable dans les Annales[37]. L’ancienne libertas était en train de s’échapper du giron politique pour s’intégrer plus avant dans la sphère vertueuse personnelle.

Au même titre que la libertas, la uirtus avait reçu au début du principat un sens moins politique que moral[38]. Il semblerait en effet que la uirtus martiale républicaine, dont la bravoure et la gloire étaient des critères définitoires, soit passé au second plan pour s’inscrire principalement dans la sphère privée. Tout en s’inquiétant de cette décrépitude des valeurs traditionnelles, Tacite exhortait le lecteur des Annales à rester convaincu du bien-fondé de la manifestation de la vertu, même en ces temps difficiles. Il n’était pas question pour l’homme sage de remettre son sort aux mains d’un destin contraignant[39].

L’expression des sentiments de metus[40], de pauor, d’adulatio ou encore de simulatio était omniprésente chez les membres du Sénat romain sous le règne de Tibère. Selon Tacite, « les sénateurs, qui n’avaient qu’une crainte, celle de paraître le deviner [Tibère], se répandent en plaintes, en larmes, en vœux. » Il expliquait en des termes très explicites que les sénateurs craignaient pour leur vie : « Le Sénat, par ses murmures, semblait protester contre de pareils vœux mais la peur descendait au fond des âmes[41]. » Ils n’étaient toutefois pas les seuls à craindre l’empereur. L’ensemble des citoyens semblait être empreints de pauor internus[42] ou de priores metus[43]. Tacite poursuit : « Quelques-uns […] se montraient de nouveau, épouvantés de leur propre frayeur. On se demandait quel jour serait libre de tout supplice[44]. » Ce metus et cette seruitia créaient une atmosphère de panique. Les citoyens étaient si enclins à l’inquiétude qu’ils en oubliaient l’exercice des valeurs romaines traditionnelles[45].

Malgré cela, comme nous l’avons écrit précédemment, Tacite restait persuadé que l’expression de la uirtus, sous sa forme intime et modérée – sans se soucier d’une quelconque forme de gloria –, était à la fois possible et nécessaire. Mais qui pouvait se targuer de (re)concilier uirtus et libertas dans un régime autocrate ? Comment était-il possible de conserver sa propre liberté tout en faisant preuve de courage ? L’histoire qu’écrit Tacite est avant tout une compilation d’actes individuels. Il a par exemple vanté les mérites de M. Lepidus, qu’il qualifia d’homme de caractère et de sage, capable d’adoucir bien des arrêts qu’une adulation cruelle dictait à d’autres[46]. Mais dans la suite de cette étude, nous nous limiterons à explorer les principaux cas de citoyens romains qui, menacés à leurs yeux par quelque chose de pire que la mort, s’étaient suicidés en accord avec l’exercice de la uirtus. Nous verrons incidemment qu’à travers cette notion, c’était toute une conception des rapports entre l’individu et son destin que Tacite nous a fait découvrir.

Le suicide : une forme de uirtus tacitéenne ? 

Pour le stoïcisme tardif, représenté entre autres par Épictète et Sénèque, il existait plusieurs formes de contraintes qui pouvaient conduire légitimement au suicide[47] : l’assujettissement à autrui, la dépendance de l’homme à ses propres vices, le dénuement matériel total, ainsi que la dégradation de la vieillesse et la maladie[48]. La morale du portique consacrait la légitimité du suicide uniquement lorsque celui-ci provenait d’une décision rationnelle fondée sur l’utilisation du libre arbitre[49]. Ce qui permet à Y. Grisé de dire que : « doctrine de liberté, le stoïcisme prôna la possibilité de la mort libre et fit du suicide de l’homme heureux la réalisation supérieure du règne de la raison[50]. »

C’est principalement depuis le suicide de Caton d’Utique en 46 avant J.-C. que la tradition suicidaire héroïque s’est établie dans la conscience collective romaine. C’est en effet le cas paradigmatique de Caton qui a rendu le suicide estimé et estimable en cas d’absence de libertas[51]. Ce sénateur romain, comme plus tard Sénèque, Thraséa et d’autres[52], ont incarné des exempla moraux dans leur manière de faire face à la mort sans se soumettre aux dictats du pouvoir autoritaire des Julio-Claudiens antagoniste aux valeurs traditionnelles romaines. Comme l’indique Y. Grisé, historiens et auteurs latins ont, le plus souvent, évoqué avec respect les figures des suicidés, légendaires ou historiques, qu’ils ont abordées dans leurs écrits. La plupart du temps, ils les ont exaltées en leur donnant valeur d’exemples. « Ce souci d’exemplarité les pousse à ne retenir ou à n’élaborer que des cas de suicide qui se confondent avec les types justifiés ou conseillés par la conception stoïcienne, à savoir le suicide-refuge et le suicide-devoir[53]. » Les stoïciens considéraient en effet qu’appliqué dans certaines conditions, le suicide était l’acte ultime de liberté individuelle ou collective.

L’attachement de Tacite à la philosophie stoïcienne est particulièrement perceptible lorsque celui-ci établit implicitement – et uniquement dans ce cas[54] – des liens entre uirtus et libertas au moment de la mort[55]. Malgré les obstacles qui se dressaient devant les citoyens soucieux de mener une existence vertueuse, aucune figure autoritaire ne pouvait empêcher ceux-ci de se donner la mort en accord avec une nouvelle forme tacitéenne de uirtus intérieure. Face à l’absence de liberté individuelle de son vivant, la libertas dans la mort exigeait un degré élevé de uirtus qui allait permettre d’exercer une ultime fois sa liberté.

Voyons dès à présent comment Tacite a traduit en des tableaux saisissants quelques exemples de uirtus exprimés par la mort volontaire dans les Annales et comment il se plaisait à les détailler[56].

Épicharis, affranchie, était connue pour avoir joué un rôle actif dans la conjuration de Pison en 65. Elle avait notamment tenté de rallier Volusius Proculus, chiliarque de la flotte de Misène, à la cause des conjurés qui voulaient renverser Néron. Mais ce commandant la dénonça à l’empereur qui la fit jeter en prison. Persuadé qu’un corps de femme ne pouvait résister longtemps à la douleur, il ordonna de la battre à mort. Mais ni les coups, ni la rage de ses bourreaux, d’autant plus animés qu’ils se croyaient méprisés par une femme, ne purent la réduire à des aveux écrit Tacite[57]. Le lendemain, toujours selon l’historien, comme on la traîna de nouveau aux mêmes supplices, portée sur une chaise, car ses membres disloqués refusaient de la soutenir, elle réussit à détacher sa ceinture pour en faire un nœud coulant qu’elle fixa au sommet de sa chaise, y passa la tête et, se laissant aller de tout le poids de son corps, se donna la mort[58]. Tacite fait resplendir la uirtus et une certaine forme de fides d’Épicharis en comparant son geste exemplaire à celui de l’écrasante majorité des autres conjurés romains : « Courage admirable dans une affranchie, qui, soumise à une si redoutable épreuve, protégeait de sa fidélité des étrangers, presque des inconnus ; tandis que des hommes de naissance libre, d’un sexe fort, des chevaliers romains, des sénateurs, n’attendaient pas les tortures pour trahir à l’envi ce qu’ils avaient de plus cher[59]. »

À la même période, des dénonciations furent également portées contre le tribun Subrius Flavus. Celui-ci se fit toutefois gloire d’avouer sa participation au complot contre Néron, qu’il justifia par la nécessité de mettre un terme aux assassinats perpétrés par l’empereur[60]. Le supplice de Subrius Flavus fut confié à Veianus Niger, un de ses collègues tribuns. Le conjuré offrit courageusement son cou au bourreau en lançant : « Puisses-tu frapper aussi courageusement[61]. » Un autre exemple de libertas et de uirtus dans la mort est incarné par le centurion Sulpicius Asper qui, interrogé par Néron sur les motifs qui l’avaient incité à comploter contre lui, répliqua laconiquement qu’il n’avait rien pu faire de mieux pour venir en aide à quelqu’un d’aussi « souillé de tant de forfaits » que lui[62].

La liberté d’expression constituait ainsi une forme de uirtus. Selon nous, la mutation du concept se situait également dans le passage du collectif à l’individuel, de la responsabilité commune à la responsabilité propre. Cette évolution conceptuelle a constitué une transformation majeure dans la pensée vertueuse et la conscience morale romaines.

La mort de Sénèque constituait le stéréotype de l’union vertueuse de la uirtus et de la libertas telle que la définissait Tacite. À une époque où il était d’usage de flatter sans retenue l’ego de l’empereur si l’on voulait rester en vie, l’homme de Cordoue avait été l’une des rares personnes à ne pas succomber à l’adulatio. Il avait, entre autres, décrié le principat, qu’il définissait comme une monarchie absolue dans son De clementia[63]. Ce qui permet à Tacite d’écrire : « Néron le savait mieux que personne, ayant plus souvent trouvé en lui un homme libre qu’un esclave[64]. » Après l’assassinat d’Agrippine en 59 et voyant le tournant sanglant que prenait le règne de Néron, Sénèque, précepteur de l’empereur, préféra quitter son siège au Sénat et se retira progressivement de la vie politique pour se consacrer exclusivement à l’activité philosophique[65]. Ses détracteurs lui reprochaient de s’enrichir toujours davantage et de faire de l’ombre à l’empereur Julio-Claudien en s’arrogeant à lui seul la gloire de l’éloquence[66]. Après qu’il fut tombé en disgrâce, Néron lui dit avec clairvoyance : « Ce n’est pas ta modération, si tu renonces à tes biens, ni ton amour du repos, si tu quittes le prince, c’est mon avarice, c’est la crainte supposée de ma cruauté, qui seront dans toutes les bouches[67]. »

Le trépas de l’ancien tuteur de Néron nous est raconté avec force détails dans les Annales. Compromis dans la conjuration de Pison et poursuivit par le princeps, Sénèque fut arrêté. Durant ses derniers instants de libertas intime, il prit le soin d’affranchir tous ses esclaves, d’embrasser son épouse Pauline, qu’il conjura de modérer sa douleur et de dénoncer une fois encore la cruauté néronienne. Après quoi, il choisit de se donner la mort en s’ouvrant les veines[68]. Tacite ajoute : « Sénèque, dont le corps affaibli par les années et par l’abstinence laissait trop lentement échapper le sang, se fait aussi couper les veines des jambes et des jarrets. Bientôt, dompté par d’affreuses douleurs, il craignit que ses souffrances n’abattissent le courage de sa femme, et que lui-même, en voyant les tourments qu’elle endurait, ne se laissât aller à quelque faiblesse ; il la pria de passer dans une chambre voisine[69]. » Comme le sang coulait péniblement et que la mort était lente à venir, il pria Statius Annaeus, un de ses amis, de lui apporter le poison dont il s’était pourvu depuis longtemps, « le même que l’on emploie à Athènes contre ceux qu’un jugement public a condamnés à mourir ». Enfin, il entra dans un bain chaud et répandit de l’eau sur les anciens esclaves qui l’entouraient, en déclarant qu’il offrait cette libation à Jupiter Libérateur[70]. Ces actes ainsi décrits offrent un exemple paradigmatique de uirtus comme acte de libertas ultime.

Avec Caton[71], qu’il considérait comme un sage et un héros national, et Marcia, « femme de cœur et de tête » et dont le père Cremutius Cordus s’était donné la mort pour échapper à ses bourreaux[72], le suicide avait acquis, aux yeux de Sénèque, une valeur morale incontestable et faisait honneur à la victime dont les mobiles étaient raisonnables[73]. Il incluait ainsi le suicide dans un idéal moral, mais cet acte devant toutefois être réservé au seul sage et dans certains cas seulement[74] : à savoir lorsque l’on risquait de perdre la liberté, l’honneur ou la sagesse[75]. Pour Sénèque, même si la mort devait survenir à brève échéance, les hommes ne seraient pas dispensés de réfléchir sur le point de savoir s’il convient ou non de mettre fin à ses jours[76].

Le chapitre 21 du seizième livre des Annales précise la volonté de Néron d’ « exterminer la uirtus même » en la personne de Thrasea Paetus[77]. Les charges retenues contre cet homme avaient été construites de toutes pièces. Aux représentations des Juvenalia, celui-ci n’avait pas affiché un zèle assez empressé, offense d’autant plus sensible au poète Néron, qu’étant à Padoue pour les jeux des cétacés, le même Thrasea avait chanté sur la scène en costume tragique. En outre, le jour où le préteur Antistius allait être condamné à mort pour une satire composée contre le prince, il avait proposé et fait prévaloir un avis plus clément, préférant ainsi ne pas se ranger à l’avis de la majorité des sénateurs que de perdre sa libertas[78]. Enfin, Thrasea n’a pas daigné faire acte de présence lors de la remise des honneurs divins à Poppée. On lui adressa d’autres reproches, comme le fait d’avoir manqué un sacrifice destiné à favoriser le salut de Néron. Mais on ne lui trouva aucun crime. L’accusation prétexta la recherche d’une popularité jugée séditieuse[79]. Tacite estime néanmoins que la véritable raison de la condamnation de Thrasea reposait sur le fait que certaines vertus incitaient à la haine ; vertus que Néron ne pouvait supporter plus longtemps[80].

Pour protéger sa famille, Thrasea avait choisi de renoncer à se défendre[81]. À l’annonce de sa condamnation à mort, tout son entourage se mit à gémir, mais l’homme les pressa de s’éloigner afin de ne pas lier imprudemment leur fortune à celle d’un condamné[82]. Après avoir présenté au fer ses deux bras simultanément, sa dernière action fut, à l’instar de Sénèque, d’offrir une offrande à Jupiter Libérateur[83]. Tacite estimait qu’en agissant de la sorte, cette « figure vénérable »[84] avait permis qu’aucun affront n’eusse profané sa vertu[85].  Vertu qui avait été promue par le fait d’avoir voulu conserver son indépendance et d’adopter une attitude de franchise.

Le dernier cas de uirtus dans le suicide étudié ici concerne la mort de Cremutius Cordus, sénateur et historien romain qui vécut sous Auguste et Tibère. Très critique à l’égard du nouveau régime politique, son Histoire des guerres civiles de Rome rendait de Brutus et de Cassius – elle appelait ce dernier le « dernier des Romains » – une image aussi positive que valorisante. Deux clients du préfet du prétoire Séjan, attaché au maître du pouvoir, l’accusèrent alors devant le Sénat de crime de lèse-majesté. Après avoir prononcé devant les sénateurs un discours rappelant la clementia de César et d’Auguste, qui avaient tous deux toléré des attaques bien plus acerbes de la part de leurs opposants que celle de Cremutius envers Tibère, il devança la sentence en se laissant mourir de faim. Il préférait en finir avec la vie plutôt que de passer le reste de son existence sans libertas. Les écrits du sénateur furent brûlés et interdits, avant d’être réédités sous Caligula par Marcia, fille de l’historien, bien qu’expurgés de certains passages litigieux[86].

Une fois encore, un citoyen romain s’était vertueusement donné la mort. Privé de libertas politique, celui-ci avait voulu gagner sa propre libertas en se suicidant. Mais dans le dernier cas, c’était également son travail d’historien qui avait été incriminé. Cela revient à dire qu’en plus de la liberté d’action, c’était la liberté d’écrire qui se trouvait bafouée sous Tibère. Comme le souligne Tacite, Tite-Live, bien que soutenu par Auguste avec lequel il entretenait des liens d’amitié, était républicain et taxé de « pompéien »[87]. C’était pour lui une façon indirecte de rendre hommage à l’objectivité de son prédécesseur et surtout de comparer l’époque augustéenne à celle de Tibère. Tacite rappelait également que César ne s’était pas offusqué de la publication du Caton de Cicéron. Il lui avait juste répondu par un autre livre comme s’il avait plaidé devant des juges[88]. L’auteur des Annales écrit d’ailleurs : « Une satire méprisée tombe d’elle-même ; en témoigner de la colère, c’est accepter le reproche[89]. »

Tacite salue donc la modération de César et d’Auguste, tout en insistant sur le fait que, sous leur autorité, seuls les actes et non les mots étaient punis de crime. Comme le souligne K. Clarke, immortaliser les « mauvais exemples » du passé fut l’erreur de Cremutius Cordus, même si ce faisant, il arriva à se changer en modèle pour Tacite[90]. Lequel conclut ainsi l’affaire Cremutius : « Tant la tyrannie est insensée de croire que son pouvoir d’un moment étouffera jusque dans le devenir le cri de la vérité ! Persécuter le génie, c’est en augmenter l’influence[91]. »

Sous Tibère, user de la liberté d’expression et écrire l’histoire de Rome en émettant une quelconque critique indirecte du pouvoir en place pouvait tacitement conduire à la mort, surtout si l’accusation émanait d’un proche de Séjan. J. Mambwini écrit : « Chez Tacite, accepter de mourir est une expression philosophique de l’attachement de tout un chacun à se libérer du vice, du déshonneur et de l’injustice. Autrement-dit, l’exemple de Sénèque ou de Thraséa suppose que la mort exprime l’absolu des sentiments et transforme la vie en destin[92]. » Sous Tibère et Néron, l’homme condamné pour ses idées politiques et doté de uirtus devait mourir dans la libertas. Le fait de choisir le suicide pour faire vivre sa libertas intérieure était le fruit d’une certaine uirtus.

Au début du principat, et dans l’esprit de Tacite notamment, le suicide devenait une façon d’encourager sa propre uirtus et de favoriser une forme modérée de gloria, à défaut de pouvoir exercer pleinement sa libertas. L’historien extrait des exemples de suicide que nous avons rappelés plus haut une qualité : la uirtus. Celle-ci s’inscrivait essentiellement dans la sphère privée, car les témoins de l’acte définitif dépassaient rarement le cadre des intimes. Si Tacite a insisté sur le décorum entourant le suicide, il élève surtout celui-ci au rang de symbole phare de l’insoumission au regnum et à la seruitia du princeps, tout en incitant son lectorat à manifester sa propre uirtus inuicta, même si la façon de surpasser la peur de la mort prédominait la manière dont on allait mourir. Et ce, contrairement aux récits de Salluste, de César, de Tite-Live et de Suétone qui étaient rarement accompagnés de réflexions personnelles à l’égard du suicide[93].

Conclusion

Les Annales n’hésitent pas à évoquer un certain nombre d’hommes vertueux qui ont fait la grandeur de Rome. Leur auteur s’est demandé, non sans amertume, quelle avait été la part de libre-arbitre des individus et de la dignitas humana sous les Julio-Claudiens. L’electio uitae (VI, 22) supposait la décision et la volonté d’opérer un choix entre le Bien et le Mal, de concilier le libre arbitre et l’ordre défini[94]. Une responsabilité qui s’apparentait aux principes stoïciens. Mais le citoyen romain ordinaire avait moins agi selon une volonté (uoluntas) et une décision (consilium) propres que sous l’emprise du princeps.

Nous avons démontré que, sous la plume tacitéenne, durant le règne de Tibère et de Néron, les termes libertas et uirtus avaient changé de sens, même si le noyau dur de ces deux vocables subsistait. À tout le moins, le Romain devait les exercer de façon différente, car en l’absence de libertas politique, il n’était plus possible d’utiliser la uirtus républicaine. Le suicide vertueux sert donc, chez Tacite, à manifester une nouvelle forme de libertas intérieure. Là où la libertas politique était inexistante ou presque – la vie politique s’était elle-même étiolée –, il était possible d’en faire germer une forme plus intimiste, une manifestation de la franchise aux antipodes du seruitium, mais tout aussi encline à favoriser la uirtus. Cette dernière, nous l’avons vu, demeurait un acte puissant et dangereux, mais au lieu de servir l’intérêt collectif et la libera res publica, elle avait alors exercé un contrepoids moral à la toute-puissance princière. Elle se muait ainsi en un outil de résistance passive, indépendant des conflits que Rome pouvait avoir avec l’extérieur, et une manifestation de la libertas destinée à préserver sa propre dignité.

Tacite aimait à dire que le principal objet de l’Histoire était « de préserver les vertus de l’oubli, et d’attacher aux paroles et aux actions perverses la crainte de l’infamie et de la postérité[95]. » L’Histoire, ou la lutte de la memoria contre l’oubli, lui apparaissait donc indirectement comme la garante de la uirtus. Ce juste milieu entre fierté intransigeante et servilité déshonorante[96]. Et cette uirtus, par réciprocité, devait traverser le temps. L’individu ne pouvait exister, dans la pensée tacitéenne, qu’à la mesure de ses responsabilités dans l’histoire. Selon nous, sous l’exposition de ces manifestations de courage, Tacite, nostalgique d’une époque révolue, a voulu exprimer le sentiment de la grandeur morale républicaine. D’aucuns seraient également tenté de penser qu’il a œuvré à la mise à jour des valeurs traditionnelles pour les adapter au régime politique de l’Empire. Il avait en tout cas la conviction que la décadence des mœurs n’était ni totale ni définitive. L’Agricola montre d’ailleurs qu’il subsistait des hommes courageux – historiquement responsables au sens où R. Aron emploie cette expression[97] – sous de mauvais empereurs[98].

En célébrant une certaine forme de suicide comme un idéal d’héroïsme, de vertu et de liberté, Tacite rappelle que les préceptes stoïciens n’étaient pas si éloignés des idéaux de la noblesse romaine républicaine. En effet, loin du fatum[99] arbitraire, ce qui rendait l’homme sage et libre, c’était sa uirtus.


[1]Olivier Devillers, Tacite et les sources des Annales, Enquête sur la méthode historique, Louvain – Paris, Peeters, 2003.

[2]TAC., Ann., IV, 32, 2 : Introspicere illa primo aspectu leuia.

[3]TAC., Agr., II, 3 a appliqué un constat similaire au règne de Domitien. Seuls les règnes de Nerva et de Trajan semblaient trouver grâce à ses yeux.

[4]Ronald Mellor, Tacitus, New York, Routledge, 1993, p. 64.

[5]Chez Tacite, comme le mentionne José Mambwini, « Le ‘temps’ chez Tacite. Introduction à la réflexion sur ‘la dimension philosophique de la notion du temps’ dans l’œuvre historique de Tacite », dans Humanitas, 50, 1998, p. 103, la « victoire » de l’espoir sur la crainte n’est mentionnée qu’une seule fois. Nous la trouvons dans un passage des Histoires (II, 2, 4), dans lequel est évoqué un voyage de Titus. Voir aussi : Alain Michel, « Tacite : le pessimiste humaniste et le salut de l’Empire », dans François Chamoux (dir.), Histoire et historiographie dans l’Antiquité, Paris, Belles Lettres, 2001, p. 143-154.

[6]Pour une étude des vertus cardinales selon Tacite, voir : Jean-Marie André, « Tacite et la philosophie », dans VL, 121, 1991, p. 26-36.

[7]Cicéron (Rep., 2, 43) écrivait que la libertas ne consistait pas à avoir un maître juste, mais à n’en avoir aucun.

[8]Alice Dermience, « La notion de libertas dans les œuvres de Cicéron », dans LEC, 25, 1957, p. 158-159 ; Rodolfo Danieli, « A proposito di libertas », dans Salvatore Riccobono (éd.), Studi in onore di Pietro De Francisci, t. 1, Milan, Giuffre, 1956, p. 548.

[9]Chaim Wirszubski, Libertas as a Political Idea at Rome During the Late Republic and Early Principate, Cambridge, Cambridge University Press, 1950, p. 165-167.

[10]Anna Iacobini, « Le sens de la libertas au sein du mos maiorum chez Cicéron », dans Camenulae, octobre 2014, p. 4.

[11]Claude Nicolet, Le métier de citoyen dans la Rome Républicaine, Paris, Gallimard, 1976, p. 430. Cette notion revenait sans cesse dans les discours des populares comme l’a notamment rapporté SALL., Cat., XX, 14.

[12]TAC., Ann., I, 1, 1 : Libertatem et consulatum L. Brutus instituit.

[13]Sous la plume de Tite-Live, le terme de libertas était pratiquement devenu l’équivalent du régime républicain.

[14]CIC., Phil., 2, 29.

[15]Patrick Brunt, « Libertas in the Republic », dans The Fall of the Roman Republic and other Related Essays, Oxford, Clarendon Press, 1988, p. 281-350 ; J. Mambwini, « Destin, liberté, nécessité et causalité chez Tacite ou la philosophie tacitéenne de la dignitas humana », dans AC, 64, 1995, p. 123.

[16]Ronald Syme, The Roman revolution, Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 155.

[17]Paul-Marius Martin, L’idée de royauté à Rome. t. 2. Haines de la royauté et séductions monarchiques, Clermont-Ferrand, Adosa, 1994, p. 182.

[18]TAC., Ann., I, 2, 1 : Ubi militem donis, populum annona, cunctos dulcedine otii pellexit, insurgere paulatim, munia senatus magistratuum legum in se trahere, nullo adversante, cum ferocissimi per acies aut proscriptione cecidissent.

[19]TAC., Ann., XIII, 26, 1-3.

[20]TAC., Ann., I, 59, 6.

[21]TAC., Ann., XIII, 27, 2.

[22]TAC., Ann., I, 2, 1.

[23]TAC., Ann., IV, 33, 2. Tacite (Hist., I, 1, 2) avait pourtant écrit que l’Empire, après de longues guerres civiles, assurait l’ordre et représentait la paix. Ce n’était pas tant le principat qu’il critiquait que ce qu’il était devenu sous Tibère et Néron.

[24]TAC., Ann., XIII, 28, 1 : Manebat quaedam imago rei publicae.

[25]TAC., Ann., XII, 7, 1-3. TAC., Ann., XVI, 23, 1 utilisa l’appellation regium facinus pour relater la condamnation de Barea Soranus.

[26]TAC., Ann., III, 56, 1-3. Voir aussi : LIV., III, 37, 5.

[27]TAC., Ann., III, 60, 1.

[28]TAC., Ann., I, 7, 1.

[29]AUGUSTE, Mon. Anc., I, 1 écrivit dans les Res gestae diui Augusti : « Âgé de dix-neuf ans, j’ai levé une armée de mon propre chef et à mes propres frais, grâce à laquelle j’ai rendu sa liberté à l’État qui était écrasé par la domination d’un parti. »

[30]Alain Michel, Tacite et le destin de l’Empire, Paris, Arthaud, 1966, p. 48.

[31]Walter Jens, « Libertas bei Tacitus », dans Hermès, 84, 1956, p. 331-352.

[32]Michèle Ducos, « La liberté chez Tacite : droits de l’individu ou conduite individuelle », dans BAGB, 2, juin 1977, p. 205.

[33]TAC., Ann., I, 77, 3 ; I, 81, 1-2 ; III, 60, 1-2 ; XIII, 24, 1.

[34]TAC., Germ., XIX, 1-2 narre dans la Germanie que les Germains, par la pureté de leurs mœurs, offraient un exemple de uirtus comme on n’en pouvait plus trouver à Rome..

[35]Tacite écrit dans les Histoires (IV, 64, 3) : Haud facile libertas et domini miscentur.

[36]TAC., Ann., I, 41, 2 ; XII, 51, 1-2.

[37]W. Jens, op. cit. [n. 30]

[38]Michel Desroches, Vir et Virtus dans la tradition poétique latine, thèse de doctorat, Lille 3, Lille, 2012.

[39]Jean Cousin, « Rhétorique et psychologie chez Tacite », dans REL, 29, 1951, p. 232 et 233 précise que Tacite « admet pour l’homme une certaine liberté dans un monde que domine le fatum, où souffle le vent de la fortune, où surgit de l’urne aventureuse la sentence du sort. » Mais pour lui, l’agent romain du fatum, de cette fortuna et de cette sors, c’est l’homme lui-même. La libertas était donc reliée à la morale.

[40]L’homme tacitéen redoutait trois craintes : à celles de menaces, principalement lorsqu’elles provenaient de l’entourage de l’empereur, et d’une catastrophe imminente liée à la colère des dieux, s’ajoutait la suspicion ou la trahison. Notons que l’expression spes et metus, que l’on traduit généralement par « tourment », figurait à huit reprises dans les Annales (II, 12 ; II, 38 ; III, 69 ; IV, 50 ; V, 8 ; VII, 34 ; VIII, 9 ; XIV, 32).

[41]TAC., Ann., VI, 24, 3 : Obturbabant quidem patres specie detestandi : sed penetrabat pauor.

[42]TAC., Ann., IV, 74, 1.

[43]TAC., Ann., VI, 18, 1-2.

[44]TAC., Ann., IV, 70, 3 : Quem enim diem uacuum poena ubi inter sacra et uota, quo tempore uerbis etiam profanis abstineri mos esset, uincla et laqueus inducantur ?

[45]Il semblerait que, pour Tacite, la necessitas, définie comme la part d’inévitable dans l’existence humaine, ait joué un rôle important dans l’évolution de l’histoire romaine.

[46]TAC., Ann., IV, 20, 2.

[47]Selon V. d’Agostino, c’étaient les conquêtes de l’Orient, amenant le luxe à Rome et entraînant un bouleversement des consciences, qui créèrent une ambiance et un état d’âme favorables à l’expansion de la « manie du suicide ». V. D’Agostino, « Sénèque directeur d’âmes », dans REL, 30, 1953, p. 204-219.

[48]André Bodson, La morale sociale des derniers stoïciens, Paris, Les Belles Lettres, 1967, p. 100.

[49]Jean-Marie André, « Les écoles philosophiques aux deux premiers siècles de l’Empire », dans ANRW, II, 31, 1, 1987, p. 19-23.

[50]Yolande Grisé, Le suicide dans la Rome antique, Paris, Les Belles Lettres, 1982, p. 184. L’auteur rappelle que le mot suicidium n’appartenait pas à la langue ancienne, puisqu’il n’a été inventé qu’au XVIIIe  siècle, et que les Romains ont employé pour parler de cet acte meurtrier quantité d’expressions dont les plus fréquentes étaient mortem sibi consciscere et mors uoluntaria. Voir également : Yolande Grisé, « De la fréquence du suicide chez les Romains », dans Latomus, 39, 1, 1980, p. 17-46.

[51]Miriam Griffin, Seneca, a Philosopher in Politics, Oxford, Clarendon Press, 1992, p. 367-388 ; ID., « Philosophy, Cato and Roman Suicide », dans G&R, 33, 1986, p. 64-77.

[52]Cf.. p. 9.

[53]Yolande Grisé, Le suicide dans la Rome antique, Paris, Les Belles Lettres, 1982, p. 225.

[54]TAC., Agr., XLII, 6 condamnait catégoriquement le suicide.

[55]Étienne Aubrion, Rhétorique et Histoire chez Tacite, Metz, Presses de l’université de Metz, 1985, p. 388 soutient que le plus grand souci de Tacite était de savoir si ses héros sauvegardaient ou non leur dignité au moment où ils étaient abattus ou condamnés à mourir.

[56]Rien que sous Tibère, nous avons dénombré trente-quatre cas de suicide dans les Histoires et les Annales. Mais peu nombreux étaient ceux qui ne dépendaient pas d’une incapacité psychologique d’un Romain à supporter les pressions venant de l’extérieur, comme de l’intérieur. Sur le suicide de Lucain chez Tacite, voir : James Wilson, « The Death of Lucan : Suicide and Execution in Tacitus », dans Latomus, 49, 2, 1990, p. 458-463.

[57]TAC., Ann., XV, 57, 1.

[58]TAC., Ann., XV, 57, 2.

[59]TAC., Ann., XV, 57, 2 : Clariore exemplo libertina mulier in tanta necessitate alienos ac prope ignotos protegendo, cum ingenui et uiri et equites Romani senatoresque intacti tormentis carissima suorum quisque pignorum proderent.

[60]Tacite lui reprochait surtout l’assassinat de sa mère. Il expliquait que le peuple romain dans son ensemble avait acclamé Néron après le meurtre d’Agrippine comme s’il s’agissait d’un triomphe. TAC., Ann., XIV, 13, 1.

[61]TAC., Ann., XV, 67, 4 : Tu tam fortiter ferias.

[62]TAC., Ann., XV, 68, 1 : Tot flagitiis eius.

[63]Miriam Griffin, Seneca. A philosopher in politics, Oxford, Oxford University Press, 1976, p. 124.

[64]TAC., Ann., XV, 61, 1 : Idque nulli magis gnarum quam Neroni, qui saepius libertatem Senecae quam servitium expertus esset.

[65]Pour Jean-Michel Croisille, « Sénèque et Néron », dans VL, 140, 1995, p. 2-12, il est peu probable que Sénèque et Burrus aient trempé dans les préparatifs de l’assassinat de Néron. Ce n’est qu’après le meurtre d’Agrippine et la liaison entre l’empereur et Poppée que les relations entre le maître et son ancien précepteur stoïcien se sont envenimées.

[66]TAC., Ann., XIV, 52, 3.

[67]TAC., Ann., XIV, 56, 2 : Non tua moderatio si reddideris pecuniam, nec quies, si reliqueris principem, sed mea auaritia, meae crudelitatis metus in ore omnium uersabitur.

[68]TAC., Ann., XV, 63, 2-3.

[69]TAC., Ann., XV, 63, 3 : Seneca, quoniam senile corpus et parco uictu tenuatum lenta effugia sanguini praebebat, crurum quoque et poplitum uenas abrumpit ; saeuisque cruciatibus defessus, ne dolore suo animum uxoris infringeret atque ipse uisendo eius tormenta ad impatientiam delaberetur, suadet in aliud cubiculum abscedere.

[70]TAC., Ann., XV, 64, 4.

[71]SEN., De prouidentia, III, 14.

[72]Cf. p. 10

[73]SEN., Ad Marciam, XXII, 6 ; XXVI, 3. Voir aussi : SEN., De uita beata, XX, 3 ; XX, 5.

[74]SEN., Ad Marciam, XX, 2-3.

[75]SEN., Benef., I, 11 ; III, 23.

[76]SEN., Epist., LXX, 4-5. Ce qui permet à Nicole Tadic-Gilloteaux, « Sénèque, face au suicide », dans AC, 32, 2, 1963, p. 551 d’avancer ceci : « En déterminant les mobiles valables du suicide, Sénèque les a tellement réduits – ni la crainte, ni la souffrance, ni le dégoût de la vie, ni la passion ne sont des mobiles suffisants – que, finalement, seul le sage a le droit de se donner la mort. Et même dans les cas où il aurait de bons motifs de se suicider, il devrait encore se poser la question : ‘Ne puis-je plus être utile aux autres ni à moi-même ?’ »

[77]TAC., Ann., XVI, 21, 1 : uirtutem ipsam.

[78]TAC., Ann., XIV, 49, 1 : Libertas Thraseae seruitium aliorum rupit.

[79]TAC., Ann., XVI, 22, 2.

[80]TAC., Ann., XVI, 21-22.

[81]TAC., Ann., XVI, 26, 3.

[82]TAC., Ann., XVI, 34, 2.

[83]TAC., Ann., XVI, 35, 1.

[84]TAC., Ann., XVI, 29, 2 : uenerabilis species.

[85]TAC., Ann., XVI, 26, 3.

[86]Marie-Pierre Arnaud-Lindet, Histoire et politique à Rome : les historiens romains (IIIe siècle av. J.-C. – Ve siècle ap. J.-C.), Paris, Breal, 2001, p. 206.

[87]TAC., Ann., IV, 34, 3 ; Bernard Mineo, Tite-Live et l’histoire de Rome, Paris, Klincksieck, 2006, p. 112.

[88]TAC., Ann., IV, 34, 4.

[89]TAC., Ann., IV, 34, 5 : Namque spreta exolescunt.

[90]K.atherine Clarke, « In arto et inglorius labor : Tacitus’anti-history », dans Representations of Empire, Rome and the Mediterranean World, Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 98.

[91]TAC., Ann., IV, 35, 5 : Quo magis socordiam eorum inridere libet qui praesenti potentia credunt extingui posse etiam sequentis aevi memoriam.

[92]J. Mambwini, op. cit., p. 121. [n. 14]

[93]Y. Grisé, op. cit. [n. 52]

[94]TAC., Ann., VI, 22, 1-2.

[95]TAC., Ann., III, 65, 1 : Exequi sententias haud institui nisi insignis per honestum aut notabili dedecore, quod praecipuum munus annalium reor ne uirtutes sileantur utque prauis dictis factisque ex posteritate et infamia metus sit.

[96]TAC., Ann., IV, 20, 3 : Inter abrumptam contumaciam et obsequium deforme.

[97]Raymond Aron, Introduction à la philosophie de l’histoire : essai sur les limites de l’objectivité historique, Paris, Belles Lettres, 1948, p. 209.

[98]TAC., Agr., XLII, 6.

[99]Sur le fatum chez Tacite, voir : P. Beguin, « Le fatum dans l’œuvre de Tacite », dans AC, 20, 2, 1951, p. 315-334.