Enquête sur le film pornographique : mythologies et représentations d’un certain cinéma d’exploitation

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Nicolas Lahaye

Résumé
Mythologies et réalités du cinéma pornographique depuis 1975, à travers un travail sur des usuels comme le Film Français, des entretiens avec des professionnels, mais aussi des visites de salles de projection.

Nicolas Lahaye, doctorant en histoire contemporaine et culturelle au CHCSC depuis 2009 sous la direction de Christian Delporte, Nicolas Lahaye a auparavant fait sa maîtrise à l’Université Paris 7 – Denis Diderot. Son sujet portait alors sur le logement cheminot, plus précisément les évolutions sociales et architecturales de la Cité du Nord de Drancy depuis 1884. Ses domaines de recherches portent sur l’histoire culturelle du xxe siècle, l’histoire sociale des représentations, mais aussi la culture de masse, l’histoire du cinéma de genre et l’histoire de la ville à travers ses lieux de culture.
Né à Paris le 3 août 1985, il pratique également le théâtre avec assiduité, ce qui lui vaut d’être prenante de la collaboration entre l’association Stud’en Scène et le Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, scène nationale.


Précision concernant l’iconographie : toutes les photographies utilisées dans l’article ont été prises par Benjamin Auriche ou moi-même au cours de nos visites des dernières salles de projection pour adultes, en France, Belgique et Suisse. Une recherche plus poussée aurait dû se poursuivre en Angleterre, Allemagne et Italie – sans parler du continent américain – où sont encore concentrées quelques salles diffusant majoritairement de la vidéo.

Il sera bon de remarquer à quel point les images de salles de cinéma et leurs façades sont peu nombreuses, d’autant plus en ce qui concerne les celles pornographiques. Dans le cadre de cet article mais aussi de notre thèse, il a donc été logique d’avoir recours à notre propre iconographie ou d’aller contacter des cinéphiles ainsi que des photographes. Les seules photographies présentant l’intérieur d’une salle – le Beverley à Paris (Image 1) – ont été faites au cours de l’entretien que nous avons eu en avril 2010 avec son gérant.

Avant-propos

Cette intervention [1] a connu de nécessaires évolutions depuis plus d’un an. Premièrement, des sources nouvelles ont été amassées dans le cadre de notre travail de thèse sur le cinéma de genre et populaire [2]. Celles-ci nous ont permis de mieux situer le cinéma pornographique dans une nébuleuse englobant l’exploitation, le bis et le cinéma de quartier. De plus, les entretiens menés auprès de professionnels nous ont permis de mieux analyser leur positionnement par rapport aux films d’amour non simulés.

Deuxièmement, le fait d’aller dans les salles de projection consacrées aux réalisations pornographiques a été rendu important par la nécessité de se libérer des mythologies concernant ces lieux à l’accès limité [3]. Face à ces façades borgnes, l’imagination ne peut que travailler : qui étaient les individus fréquentant ces salles [4], quelles histoires se cachaient derrière des titres souvent très racoleurs, dans quel état de salubrité se trouvaient ces lieux ?

Concernant les ouvrages de références, l’intérêt que nous portons aux mythologies cinéphiles nous a incité à consulter en priorité des livres d’anciens spectateurs devenus depuis journalistes, théoriciens et critiques comme Gérard Lenne et Jacques Zimmer [5] plutôt que – faute de temps – les ouvrages issus du courant des porn studies comme ceux de Linda Williams. Croisés avec les entretiens menés par nos soins [6], les premiers revêtaient en effet un intérêt double, faisant à la fois parler des témoins mais également des cinéphages ayant décidé d’exprimer leur passion de manière plus théorique.

Introduction : Comment se définit la pornographie [7] ?

Si l’on conçoit les choses en termes de dichotomie, nous disposons déjà de plusieurs angles d’analyse : on peut en effet opposer pornographie et érotisme, mais aussi hard et soft, ainsi que les films simulés ou non. Dans notre cas nous traiterons des films classés X selon la loi de finance du 30 décembre 1975. Avant 1975, nous nous sentirons également concernés par certains films classés en catégorie 5 selon les Fiches du cinéma, c’est-à-dire ceux au sujet desquels il est question de « s’abstenir par discipline chrétienne » [8].

Quel intérêt y-a-t-il à s’intéresser au cinéma pornographique ? Du point de vue de l’histoire culturelle, cela revient à refaire l’histoire de mythes, que ceux-ci concernent les films ou les pratiques qui y sont liés. Premièrement, nous verrons en effet que les salles diffusant des programmes pour adultes ont quasiment toutes disparu ou existent sous une forme différente, à savoir la projection vidéo [9]. Un jeune cinéphile ou un universitaire peut donc être amené à fantasmer les pratiques liées à ces salles. Deuxièmement, hors du domaine du cinéma pornographique, les cinémas de quartier ont aussi majoritairement disparu – hors cinéma de répertoire – de même que les fréquentions et pratiques associées. Pour ne prendre que l’exemple de Paris, le Brady – dernière salle parisienne à diffuser des doubles programmes jusqu’en janvier 2009 – est désormais une salle de troisième semaine, malgré la programmation ponctuelle de films turcs. L’Espace Cinéma Pantin a lui aussi connu une programmation de films indiens dans un quartier à forte population immigrée, mais nous n’avons trouvé que peu de documents à son sujet [10].

Le cinéma pornographique nous amène obligatoirement à évoquer la loi de 1975. Celle-ci peut se résumer de manière succincte. Dans les faits elle implique une ghettoïsation du genre et des salles effective, en ce sens où une fiscalité plus contraignante touche les salles diffusant des films de sexualité explicite. Un cordon tout autant judiciaire que financier est donc dressé autour de ces lieux marqués de la lettre X, et les autres. La TVA sur les services est ainsi augmentée. En plus des salles, les films sont aussi directement touchés : l’avance sur recettes est supprimée pour eux, de nouvelles taxes sont créées à leur égard, tandis que les films étrangers sont interdits de toute exploitation dûment rémunératrice. Ceci est résumé par les propos de Michel Guy – secrétaire d’État à l’origine de la loi en question – dans le Film Français du 5 septembre 1975 : « l’aide que les pouvoirs publics apportent à l’industrie cinématographique par le fonds de soutien sera supprimé pour les films de violence ou de pornographie de la plus médiocre qualité. Les économies ainsi réalisées iront – ou plutôt iraient – aux autres types de subvention du fonds de soutien. » [11] Cela ne va pas empêcher l’interdiction d’être contournée, comme nous allons le voir.

Dans une dernière perspective plus large, le X apparaît aussi comme une ramification logique du cinéma d’exploitation, la représentation explicite d’actes sexuels étant ici le principal tabou monnayé auprès du spectateur. Nous nous retrouvons donc face à un phénomène fort complexe : comment le film pornographique dans la réalité du cinéma d’aujourd’hui ?

Une diffusion dans les salles obscures qui ne laisse personne indifférent.

En premier lieu, nous aborderons donc le traitement médiatique de ces films à l’époque de leur exploitation en salles, nous demandant alors quelle a pu être la portée de la reconnaissance du cinéma pornographique durant l’année 1975 [13]. Quatre décennies plus tard, nous ne pouvons observer qu’un paysage dévasté : de la même manière que le cinéma-bis n’existe plus, le cinéma pornographique tel que nous allons vous le décrire n’existe plus non plus, comme le montre le tableau suivant (dans les années 1990, on trouve cependant mention d’un drive-in spécialisé dans le genre) [14] :

Tableau 1
Tab. 1. Répartition des salles de cinéma en France.

Via notre travail de thèse, nous avons été amenés à lire nombre de magazines de cinéma comme le Film Français et les Fiches du cinéma : c’est majoritairement sur eux que nous allons baser notre démonstration.

Premièrement, on peut remarquer que les films pornographiques sont relégués dans des pages spécialisées, qu’elles concernent les films ’’cotés 5’’, les fiches ’’rapides’’ ou ’’pornographiques’’. Ces dernières laissent peu de place à la critique pour se développer et se contentent le plus souvent de résumer chaque scénario en deux lignes [15]. Lorsque ces films sont plus longuement abordés, les introductions des usuels ont valeur de mise en garde. Prenons pour exemple l’éditorial des Fiches du cinéma de 1975 : celui-ci traite des films considérés comme pervers et d’extrême violence. A la lecture de cet énoncé, la position de Michel Luneau ne fait aucun doute : « dans le respect même de la liberté des spectateurs, Chrétiens-Médias sait bien qu’il est au service du cinéma en France et a besoin d’un public rebuté par les films cultivant la violence ou la pornographie. Il souhaite cultiver la promotion des films de détente et de délassement, et faire mieux connaître ceux qui aident à l’enrichissement de l’esprit et du cœur. »

Dans le numéro 546 de la première quinzaine de janvier 1976, le président Georges Rosetti parle de plus d’une « impuissance créatrice » au sujet de cette « convalescence du cinéma français », même s’il reconnaît que la loi est trop rigide sur certains aspects, et qu’elle n’envisage que peu d’encouragements directs aux films de qualité.

Deuxièmement, la confusion entre érotisme et pornographie demeure, quand bien même les films en question sont apparentés à une production de meilleure qualité et non de série B. La subtilité de la dichotomie est plus généralement passée sous silence, le terme érotique regroupant alors les réalisations considérées plus ou moins grivoises, mais aussi celles plus explicites. La production érotique et pornographique est alors le plus souvent considérée de manière unilatérale par un appareil critique avant tout désireux de ne légitimer qu’un faible nombre d’élus. De plus, celle-ci [16] apparaît très vite victime de sa quantité. Prenons pour exemple un article de Robert Chazal dans le Film Français du 31 mai 1974 : « en ce qui concerne la porno, on n’est guère allé plus loin dans l’audace, mais on a progressé en quantité. Plus d’un tiers des films présentés cette année dans le cadre du marché du film étaient classés ’’érotiques’’. »

Tant que ce cinéma reste un phénomène de société ainsi qu’un phénomène économique, il est évoqué, tout du moins toléré [17]. Jusqu’en 1981 – voire même jusqu’à la disparition de son exploitation en salles – beaucoup d’articles prennent pour objet l’érotisme au sens large, que ce soit pour s’alarmer de sa prédominance dans la production française, ou par ricochets dans le domaine de la vidéo [18]. Ces films sont souvent stigmatisés comme de petits budgets, néanmoins leur succès leur ouvre les pages des usuels, voire même en fait un sujet de société comme nous venons de l’écrire.

Sur ce point, nous pourrons mettre en avant trois numéros importants pour ce qui est du Film Français : celui de décembre 1974 fait sa couverture sur Emmanuelle [19], celui de septembre 1975 est un ’’Spécial porno’’ et mentionne sans détour les 6 497 687 entrées que le genre fait en salles de juillet 1974 à juillet 1975, sur la seule Ile-de-France. Enfin, celui de juillet 1977 dresse le bilan d’un an de loi X. A travers ces numéros spéciaux, le Film Français met en avant un genre de cinéma – pour ne pas dire cinéma de genre ! – qui à un moment donné aurait rendu service à l’économie du cinéma français. Pour la saison 1974-1975, le chiffre donné dans le numéro 1550 équivaut à plus de 20% des entrées. Ces numéros spéciaux permettent aussi d’observer des points de vue nuancés – mais aussi souvent à charge – de certains professionnels du cinéma.

Ils sont aussi l’occasion de lire les témoignages de personnages politiques ; ces interventions permettent d’observer à quel point la dichotomie noble/ignoble se cristallise autour de l’érotisme et de la pornographie. C’est le cas pour Françoise Giroud, qui en septembre 1975 est secrétaire d’État de la Condition féminine – elle sera ensuite fin 1976 secrétaire d’État à la Culture [20], à la suite de Michel Guy. Elle déclare alors dans le numéro 1592 du Film Français :

« Je suis beaucoup plus sensible à l’escalade sur le plan de la violence que sur celui de l’érotisme, encore qu’il faudrait plutôt parler de pornographie. Mais je trouve le film pornographique écœurant…
[…] L’érotisme peut être chaste, cérébral. Quoi de plus chaste qu’Histoire d’O ?
[…] En revanche, j’ai vu, par hasard [21], un film hard aux États-Unis : c’est déprimant, et au-delà. »

Depuis les années 1973-1975, on constaterait donc l’existence d’une sorte d’âge d’or qui se poursuivrait bon gré mal gré jusqu’en 1981, année durant laquelle une part notable des réalisateurs français se détachent du genre : Francis Leroi, Gérard Kikoïne, Claude Mulot en font partie. Durant cette période, la présence de ces films au box-office est quasi hebdomadaire [22]. Ceci leur permet d’obtenir des pages de publicité dans les usuels sus-cités. C’est le cas d’une des maisons de production française les plus connues – aujourd’hui à l’origine de Blue One : Alpha-France. Celle-ci se permet même en septembre 1974 de faire une promotion intensive pour l’ouverture de son multiplexe rue de la Boétie : l’événement est rappelé dans chaque numéro du Film Français, et ce sur quatre pages successives. Les trois numéros cités plus haut se permettent également de faire le box-office complet de ces films ainsi que de dresser une liste exhaustive de ces derniers par numéro de visa, et ce depuis 1974. Même pour un précédent phénomène comme le cinéma d’arts martiaux, la situation n’est pas comparable : celui-ci se contente d’un seul dossier [23], sans pour autant avoir accès à la couverture.

Dans leur majorité, ces usuels font la promotion d’un cinéma qu’ils qualifient souvent d’érotique, le terme étant souvent utilisé en opposition avec le film pornographique et de sexe explicite, souvent considéré comme indigne d’attention. Certains cinéphiles-bis ne manquent pas de stigmatiser ces films comme Histoire d’O et Emmanuelle, qui proposent une représentation très chaste de la réalité [24]. Prenons pour exemple Michel Caen en septembre 1975 : dans le second numéro de sa revue L’Organe, celui-ci écrit de manière virulente et provocante qu’on ne peut pas considérer comme pornographiques des « films érotiques pompidoliens que sans honte on pourrait assimiler à de la merde de chez Guerlain » [25]. De tels propos s’inscrivent dans une défense déjà ancienne de genres cinématographiques considérés comme ignobles, bataille que le même Michel Caen a entamée dès 1962 pour le fantastique avec la création de la revue Midi-Minuit fantastique.

Dans un second point, les témoignages que nous avons recueillis nous confirment que la loi X n’est pas respectée au moins jusqu’en 1981. Que ce soient des réalisateurs comme Gérard Kikoïne, Michel Barny, Jean-François Davy ou de producteurs comme Francis Mischkind [26], tous confirment l’existence de versions alternatives, probablement destinées à être diffusées en Province d’abord mais ayant avant tout pour but de tromper la censure. Le procédé est simple à expliquer : en présentant à la commission des copies expurgées des scènes explicites et licencieuses, les producteurs/distributeurs/réalisateurs espéraient ainsi échapper à la classification X, pour n’obtenir que l’interdiction aux moins de dix-huit ans. Cette dernière étant moins restrictive financièrement parlant, l’entre-deux perdura donc plus ou moins jusqu’en 1981 [27]. L’arrivée de Jacques Lang au ministère de la Culture coïncide en effet avec une augmentation des moyens logistiques destinés à la surveillance du ghetto des salles X. Ce sont alors deux catégories nouvelles de population qui y entrent : la police et surtout les membres de la commission avec eux, le tout pour vérifier si le long métrage diffusé dans la salle était bien celui visionné en commission [28].

A cette époque, les salles et le cinéma pornographiques sont donc des lieux de fantasme, plus facilement mis en lumière de par leur importance économique. De toute évidence, il s’agit aussi d’un domaine qui suscite tout autant la curiosité que la polémique. Jusqu’au milieu des années 1980, les usuels publient régulièrement des articles s’affolant de l’importance de la pornographie sur les écrans, et même lorsque les salles passent de la pellicule à la vidéo. D’autres articles se réjouissent également lorsque certains cinémas sortent du giron du X. C’est le cas de La Bastille – qui depuis existe toujours avec une autre forme de programmation – à sa réouverture en 1984 [29].

Le Beverley, un survivant bien mal en point.

Nous nous interrogerons ensuite sur ce qu’il reste des pratiques relatives aux salles de projection spécialisées dans le film pour adultes. Nous prendrons naturellement pour exemple le dernier cinéma de France spécialisé dans la pellicule 35 mm, à savoir le Beverley à Paris.

Afin de parler de cette salle située à deux rues du Grand Rex [31], commençons par un rapide historique. Celle-ci ouvre en 1952 sous le nom de Bikini et prend le nom que nous connaissons actuellement en 1962. Depuis sa création, l’endroit peut être considéré comme une salle de quartier à part entière. En 1972, alors que la mode – après le nudie, le film de médecin allemand, puis plus tard la sexy-comédie italienne [32] – est au développement du film érotique en tant que genre autonome, la salle oriente clairement sa programmation sur l’érotisme et le soft. Elle suit alors la trajectoire de salles voisines comme l’actuel théâtre le Comoedia, mais aussi le Far-West, le Strasbourg, ainsi que le Midi-Minuit en face du Rex, salle de référence des cinéphiles fantastiques. Toutes ces salles n’ont d’ailleurs pas voulu devenir Xées après 75 [33].

Aujourd’hui, la salle est donc le dernier cinéma pornographique de France à proprement parler. Néanmoins, pour des raisons liées au support même des œuvres, plusieurs contraintes demeurent. Tout d’abord, du fait d’un stock de films n’évoluant plus et surtout s’abîmant, la salle ne passe plus qu’une semaine sur deux de la pellicule, et seulement en théorie comme nous allons le voir. Le reste du temps, le Beverley se contente de projeter des DVDs, adoptant de fait une logique de niche comme nous l’a dit son gérant en avril 2010. Maurice Laroche développait son propos en ajoutant :

« Il y a une clientèle qui demande ça, par contre il y a une autre clientèle de cinéphiles qui adorent et qui viennent voir uniquement les films 35.
[…] Plus le film est rayé, plus ça plait aux gens parce que ça fait antiquité.
[…] D’autres viennent pour prendre du plaisir, juste voir parce qu’ils ne peuvent plus, ou juste une petite branlette de cinq minutes. »

Monsieur Laroche ajoute également que son public demeure constitué majoritairement de personnes d’un certain âge, tout du moins de clients ayant connu cette âge d’or de l’exploitation pornographique que nous avons évoqué plus haut.

De plus, nous ferons remarquer que l’exploitation cinématographique n’est plus nécessairement l’unique forme de publicité du lieu [34]. L’activité en tant que telle passe alors derrière la recherche de plaisir, mais aussi l’échangisme lorsque sont évoquées les soirées consacrées aux couples [35]. Toujours selon le gérant, ceci perpétue une des fonctions originelles de sa salle (Image 2), qui est celle d’un lieu de rencontre. Le lieu est donc vu comme un espace libertin certes, mais aussi vintage : elle témoigne d’une période de l’exploitation cinématographique. Elle symbolise également un lieu destiné à disparaître à terme, dans un commerce du sexe privilégiant désormais l’espace intime et individualisé.

Dans une seconde citation [36], monsieur Laroche se souvient d’une période plus florissante pour le cinéma, évoquant d’une manière explicite un cinéma proche de son hallali :

« On est au disque ce que le vinyl est au CD.
[…] C’est-à-dire que les 35 heures je les fais en deux jours et puis…voilà disons que le bateau prend l’eau et quand il n’y aura plus de plancher on jettera la clé.
[…] Alors qu’on devrait le sauver ce cinéma, ça fait partie du patrimoine cinématographique. Vous me voyez défiler sur les Grands Boulevards avec une pancarte ? ’’Sauvez le Beverley !’’ ? »

Il reste par ailleurs extrêmement difficile d’en savoir plus sur la fréquentation réelle de la salle, que ce soit pour sa composition ou son affluence : le Beverley n’en demeure pas moins le dernier représentant français d’une époque révolue et qui aujourd’hui s’éloigne progressivement de la seule exploitation cinématographique [37]. Nous ne pouvons cependant passer sous silence l’aspect à double tranchant de cette politique ’’vintage’’. Si la salle a pour elle l’avantage de continuer à diffuser des films en pellicule, il semble bien difficile d’attester d’une réelle alternance à l’écran entre la vidéo et la pellicule. Précisons notre propos : le programme indiqué dans l’ancienne version du site n’était en aucun cas fiable, la seule manière de le vérifier étant… de payer son ticket pour découvrir son erreur – ou non [38] – une fois dans la salle. Sur ce point, le Beverley permet d’observer tout autant des films d’un autre temps qu’une pratique datant de la même époque, celle où les visuels et les titres n’hésitaient pas à tromper le chaland pour mieux l’inciter à dépenser les quelques pièces équivalant au prix d’un ticket.

Ensuite, les pratiques observées au Beverley peuvent être mises en parallèle avec celles observées dans certains films appropriés. Leurs actions se déroulant en effet en partie ou totalement dans l’univers d’une salle pour adultes, Simone Barbès ou la vertu et La chatte à deux têtes [39] apparaissent alors comme des documents extrêmement importants pour notre travail, pas tant pour leur supposée véracité mais pour le sujet qu’ils abordent, à savoir la vie d’une salle X. Que ce soit dans l’ancien Cinévog Montparnasse [40] rue de la Gaîté ou dans l’actuel théâtre le Méry place de Clichy, le média cinématographique nous donne alors à observer des pratiques jusque-là plus ou moins fantasmées et doublement clandestines : en premier lieu car ils prennent place dans une salle de quartier – lieu disparu –, en second car ils présentent des programmes destinés à une catégorie plus réduite de la population. Dans une moindre mesure, on pourra également mentionner une séquence extraite du Sexe qui parle se passant dans une salle de projection de Pigalle toujours en activité mais à la réputation déplorable [41], l’Atlas boulevard de Clichy (Image 3).

Que constate-t-on au travers de ces films ? Tout d’abord – et ceci est propre à n’importe quelle salle de projection – deux sortes d’espaces cohabitent : celui de socialisation et celui de consommation. Le premier englobe la rue, le hall et la caisse du cinéma, tandis que le second concerne la salle obscure et les convenances, où se déroulent des relations plus ou moins poussées [42], le fond sonore et visuel étant assuré par le film lui-même. De telles observations valent également pour des salles situées dans les quartiers usuels de commerce du sexe ou des quartiers populaires. Pour ne parler que des lieux devenus des endroits de sociabilité et de séduction homosexuels, on citera à Paris le Mexico – avant même sa conversion au hard – mais aussi le dernier balcon du Louxor à Barbès-Rochechouart et le Bosphore [43] non loin de Strasbourg Saint-Denis. De telles lieux prouvent également que, plus que les salles passant des films érotiques puis pornographiques, certains cinémas de quartier attiraient une faune particulière, le tout favorisé par leur programmation et leur implantation géographique, que ce soient des quartiers usuels de commerce du sexe et/ou proches des gares. Pour la capitale, on citera la rue de la Gaîté, le boulevard de Strasbourg, l’axe Clichy-Barbès ou les rues autour de la gare Saint-Lazare.

Deuxièmement, les témoignages consultés – ainsi qu’un travail de terrain mené dans les derniers reliquats de ces salles pour adultes – nous amènent à formuler quelques remarques générales. A travers eux, nous y constatons en effet l’existence d’une forme de sociabilité et de voyeurisme silencieux, le tout se doublant d’une solitude propre au cinéma de quartier. La plupart du temps, ces lieux ne sont pas des endroits de discussion, l’objet de l’attention étant lui-même dans un état technique douteux [44]. Le support projeté est aussi naturellement masturbatoire et objet de fétichisme, en même temps que susceptible d’interpeller les plus jeunes spectateurs [45] : lorsque l’on connait la vod, à quoi rime la possibilité de visionner des actes sexuels sur des copies à moitié teintées et vitreuses ? De même, pourquoi aller les regarder dans un lieu clos en présence d’inconnus?

Interrogé sur son ancienne expérience de projectionniste dans une salle spécialisée, le programmateur du Katorza à Nantes assimile d’une manière métaphorique les mouvements du public pendant une séance à une sorte de « nuit des morts-vivants ». Chaque nouveau spectateur entrant dans la salle possède des chances de devenir le nouveau centre des attentions – ne serait-ce que provisoirement –, l’intérêt étant augmenté si celui-ci se livre à des actes exhibitionnistes [46]. Une séquence du film de Jacques Naulleau représente plus clairement cette comparaison : lorsqu’une activité sexuelle – extrêmement rare en heure creuse concernant le Beverley [47] – se développe entre certains spectateurs, les autres personnes se rapprochent alors du lieu de l’action. Le spectateur reste en alerte de ce qui se passe dans la salle, demeurant alors avide d’une faveur intime, ou tout simplement satisfait de son voyeurisme qui vient combler ce que le film ne lui permet que par procuration.

Pour paraphraser le personnage de Jacques Naulleau dans le même film, nous pourrions constater que « les couples ne viennent plus, ils vont au sauna ». Toutes ces observations concernent les lieux disposant encore d’une salle de projection : à la seule échelle d’une ville comme Paris, ceux-ci subsistent en faible quantité. En plus du Beverley et de l’Atlas, on citera le Ciné-Sex [48] en face de la gare du Nord (Image 4), accolé à d’autres activités complémentaires, comme les cabines de projection et un sex-shop. Pour témoigner de l’existence d’autres salles projetant encore de la pellicule, il nous faut aller jusqu’à Bruxelles. Situé sur le boulevard Adolphe Max non loin de la place De Bruckheere [49], l’ABC (Image 5) perpétue la tradition du strip-tease entre les films. Pour toutes ces salles, il y a donc obligation de se diversifier et de ne pas se concentrer sur la projection de films en salles, l’acte de vision étant devenu majoritairement individuel.

Dans la partie suivante, en reprenant des canons de la cinéphilie traditionnelle, nous nous demanderons si le genre a vocation à produire des auteurs ou atteindre une certaine noblesse.

Légitimations du genre pornographique.

Considérons tout d’abord la forme festivalière : via un livre de François Jouffa et Tony Crawley [51], nous avons en effet appris l’existence d’un festival du film érotique et pornographique qui a eu lieu du 6 au 12 août 1975. Sur l’instigation du comédien-réalisateur Michel Lemoine et de Gérard Thum, « Au mois d’août 1975, à Paris, quelques milliers de fans du film porno ont eu la joyeuse et fatigante idée de s’enfermer dans une des trois salles Haussman, sur les Grands Boulevards. »

Cet événement a d’ailleurs sacré ex-aequo du Phallus d’or Screw On Screen d’Al Goldstein et Le sexe qui parle de Claude Mulot/Frédéric Lansac. Il semblera utile de rappeler le passé de pornocrate du dernier, d’autant plus que sa nécrologie dans Film Français ne le fait pas en 1986.

Un aspect très intéressant de ce festival tient à la composition de son jury [52]. Tous les membres sont bien sûr désireux de faire reconnaître le genre de manière ludique. Nous pouvons cependant distinguer ceux qui se sont engouffrés dans l’espace de liberté créé en 1975 – faisant de la pornographie presque une mode, même si l’expression est réductrice – et les cinéphiles de l’ignoble. Pour ce qui est du premier cas, nous nous situons donc dans la période de l’après-68 [53], de l’après-pilule, etc. 1975 correspond aussi à la libéralisation du droit à l’avortement entre autres choses. Jean-François Davy appartient pleinement à cette catégorie, même si le prétexte documentaire de son Exhibition peut lui permettre de se parer d’un alibi sociologique et de ne pas en faire un simple jouisseur [54].

Dans ce jury nous retrouvons aussi d’authentiques défenseurs d’un cinéma autre et bis. Nous pouvons naturellement citer Rémo Forlani [55], et bien sur les fondateurs de la revue Midi-Minuit Fantastique – publiée par Éric Losfeld, éditeur des surréalistes – Jean-Claude Romer et Michel Caen. Bien que novatrice, cette expérience n’en a pas moins été unique, limitée en publicité par la loi de 1975 et aussi la difficulté d’importer des films X. Nous n’avons d’ailleurs trouvé qu’un seul article sur le sujet : il s’agit d’un texte d’Alain Rioux dans L’Aurore du 12 août 1975. Celui-ci s’avère d’ailleurs sarcastique dans ces lignes, écrivant : « J’ai enfin de quoi fouetter un chat par la grâce du premier festival français, dont je précise l’adresse, pour ceux que l’effort de découverte ne rebute pas. »

Parallèlement, pourrions-nous considérer un réalisateur de films pornographiques comme un auteur au sens premier du terme ? Dans les entretiens que nous avons menés, cette question a été abordée de deux manières : premièrement à travers la vacuité de la dichotomie érotisme/pornographie, deuxièmement par la noblesse des sources inspirant le film. Selon les tenants de la noblesse à l’écran, il est évident que les textes d’Emmanuelle Arsan ou Pauline Réage [56] constituent de biens meilleures références que Tourne ton cul je te marque un but ou Couche-moi dans le sable et fais jaillir ton pétrole [57], réminiscences d’une époque où les distributeurs ne pouvaient plus promouvoir leurs films qu’avec des titres racoleurs.

De ces problèmes découlent deux enjeux évidents : en premier lieu la censure ainsi que ses rapports avec un cinéma pornographique ramené à de la gynécologie de bas étage. Dans un entretien accordé au Film Français numéro 1548, daté du 20 septembre 1974 [58], Francis Mischkind interroge l’artificialité et le prétexte de telles distinctions. Les critères de la censure sont souvent déterminés par la morale dominante, ce que sous-entend clairement le producteur-distributeur :

« Je m’étonne qu’on fasse avec tant d’aisance, pour séparer le bon grain de l’ivraie, la distinction entre « érotisme » et « pornographie ». D’une part, les films projetés en France actuellement appartiennent tous à la catégorie dite « soft », considérée comme anodine dans de nombreux pays comme les pays scandinaves, ou les États-Unis. D’autre part, cette distinction me paraît extrêmement discutable, parce que subjective, et souvent arbitraire. La valeur esthétique, nous dit-on, fait la différence. Mais de quel « esthétisme » s’agit-il ? »

Toujours en parallèle avec notre travail de thèse mené sur le cinéma-bis, le second enjeu serait le suivant : la reconnaissance du cinéma pornographique et du cinéma de genre engage un même combat critique et cinéphilique autour d’une étiquette définie de manière flottante. Nous ne pouvons alors que considérer le cinéma de sexploitation [59] comme l’ultime excroissance en salles d’une production basée sur le commerce explicite des pulsions du spectateur.

Réceptions à l’époque actuelle.

Enfin, nous mettrons en avant les apports plus récents de notre travail de thèse. Ceux-ci peuvent être regroupés en deux pôles principaux : l’étude des ouvrages du journaliste-critique Christophe Bier – ceci s’ajoutant à la discussion réalisée avec lui le 2 juillet 2010 – et les entretiens réalisés avec des cinéphiles ainsi que des professionnels du cinéma pornographique de l’avant 1981.

Portons tout d’abord notre attention sur le travail de Christophe Bier : celui-ci est avant tout un défenseur d’un pan du cinéma jugé comme étant différent et méprisé, et c’est à ce titre qu’il ne réserve pas ses analyses au seul cinéma pornographique [60]. L’intégralité de son travail relève donc d’un but cinéphile et le X – bien qu’il ne reconnaisse pas lui-même cette dernière expression – apparaît donc comme un terrain d’expression idéal selon lui. Commencée avec des ouvrages sur la censure et la loi de 1975, sa bibliographie se concrétise pleinement en 2011 avec la sortie d’un projet longuement mûri – plus d’une décennie de visionnages et de rédactions : Le Dictionnaire des films français pornographiques et érotiques en 16 et 35 mm, dont il dirige la fabrication [61].

L’objet est volumineux puisqu’il consigne plus de mille films. Deplus, chacune des réalisations se trouve dans la mesure du possible liée une fiche descriptive comprenant le titre le plus connu du film, ses versions alternatives, sa fiche technique, un résumé et même un bref dossier de presse. Dans l’idéal, cette ’bible’ revêt donc un intérêt double, tant pour le cinéphile que le chercheur. Pour le premier, il s’agit en effet d’une œuvre complétiste et aussi ludique de par l’aspect racoleur de certains titres : dans les derniers films exploités dans les salles françaises, nous noterons par exemple un très délicat La grosse cramouille de la garagiste… Pour le second, outre les aspects déjà évoqués, nous mettrons en évidence l’aspect éminemment légitimateur de l’entreprise, bien que celle-ci arrive à une période où ce cinéma n’existe plus [62]. Ajoutons à cela que la sortie du dictionnaire s’est accompagnée d’événements promotionnels comme la Nuit de la grande chaleur à la Cinémathèque française le 11 juin 2011 [63], et nous comprendrons que la défense de la sexploitation constitue un cheval de bataille pour Christophe Bier.

Nous reviendrons de manière plus lapidaire sur les entretiens menés pour notre thèse [64], et ce sur deux points : la perception que les réalisateurs ont de leur propre film, puis de leur mode de vie. Dans le premier cas, les termes utilisés sont : film d’amour, film de sexe explicite et film pornographique. La liste n’est pas exhaustive, mais de manière générale les personnes interrogées considèrent qu’elles ont avec sincérité « fait tourner la machine » [65] du cinéma français à une période donnée, tout en travaillant avec plaisir dans un milieu qui les fascinait depuis leur naissance en tant que cinéphiles. Nous le rappellerons en effet au paragraphe suivant, mais ces réalisateurs doivent être avant tout considérés comme d’authentiques passionnés de Cinéma avant d’être érotomanes, bien que leur mode de vie hédoniste et flambeur ait été très en phase avec une époque considérée comme étant celle de la liberté sexuelle. Le stéréotype peut sembler usé mais s’applique parfaitement dans leur cas, tous l’assumant en partie. Les intervenants ne renient pas pour autant leur attachement aux autres catégories du cinéma, que celui-ci ait été concrétisé – en réalisant des films de série B ou d’autres considérés comme plus respectables – ou non.

Nous conclurons cette partie en reprenant les propos du réalisateur Michel Barny, qui dans les entretiens qu’il accorde se plaît à dire qu’ « avant les films de cul étaient faits par des gens venant de la carrière cinématographique, maintenant cela provient des gens du cul » [66]. C’est le cas de Gérard Kikoïne dans le doublage, de Pierre Reinhard dans le montage, ainsi que de Barny et Lansac dans l’assistanat. Ces réalisateurs de la première vague constituent en effet d’authentiques techniciens de cinéma, de même que Claude Bernard-Aubert possède déjà une expérience de réalisateur dans le cinéma traditionnel avant d’entamer une carrière sous le pseudonyme [67] de Burd Tranbaree. On ne peut donc réduire la plupart de ces réalisateurs à leur production pornographique.

Parallèlement, le fait d’être un réalisateur se définissant lui-même comme érotomane ne constitue pour autant pas un critère efficace permettant d’aboutir à la réalisation de ’’bons’’ films de sexe explicite. La place nous manque ici pour revenir sur le statut alimentaire de certaines réalisations dans le monde du cinéma d’exploitation. On se contentera de rappeler qu’un Alain Payet – formé à la double école de Lucien Hustaix et de Eurociné [68] – a tourné une grande partie de ses films pour rembourser ses dettes de paris hippiques et que Jess Franco ne tournait des films pornographiques que pour satisfaire sa propre frénésie de caméra ainsi que sa passion pour sa muse Lina Romay [69].

Conclusion : Le cinéma pornographique et l’art cinématographique.

À la lumière de ce que nous venons d’écrire sur le cinéma de sexe implicite puis explicite, nous pouvons remarquer que son histoire se doit d’être replacée à la lumière de deux phénomènes, à savoir ’’l’exploitation des genres’’ au cinéma – les films concernés relevant des exploitation movies au sens large du terme – et la question de l’hyper-réalisme en tant qu’argument promotionnel du film. De cette manière, ce cinéma peut à la fois être considéré comme l’aboutissement d’une représentation de la sexualité à l’écran, mais aussi comme l’expression des limites du spectacle cinématographique ainsi que son renouvellement [71]. Il peut donc être vu à la fois comme un sous-genre de ce cinéma-bis mais également comme un genre suffisamment fort [72] pour avoir justifié la création de son propre réseau de salles.

Le développement du cinéma pornographique se produit également à une période où celui du gore est effectif [73]. Nous sommes dès lors en présence des deux mamelles du cinéma-bis que sont le sexe et la violence. D’une autre manière et plus tôt dans le vingtième siècle, Roland Barthes associe d’ailleurs le sexe à l’effroi lorsqu’il décrit le mécanisme de l’effeuillage dans les spectacles de cabaret. Au final, ce n’est plus tant le corps dénudé seul qui choque que son exposition crue, et par-là même la concrétisation du fantasme du spectateur :

« Le strip-tease – du moins le strip-tease parisien – est fondé sur une contradiction : désexualiser la femme dans le moment même où on la dénude. On peut donc dire qu’il s’agit en un sens d’un spectacle de la peur, ou plutôt du ’’Fais-moi peur’’, comme si l’érotisme restait ici une sorte de terreur délicieuse, dont il suffit d’annoncer les signes rituels pour provoquer à la fois l’idée de sexe et sa conjuration.[…] on affiche le mal pour mieux l’embarrasser et l’exorciser. » [74]

Parallèlement, nous pourrions alors ouvrir la discussion en nous demandant si la décadence de ces deux genres ne correspond pas à un double mouvement, à savoir :

la reconnaissance du cinéma fantastique et sa récupération par le cinéma du blockbuster ;
par ricochet la perte d’influence du cinéma-bis [75].
Dans le cinéma, mais aussi au-delà, on constate donc que la dichotomie qualitative entre érotisme et pornographie existe toujours alors que la distribution du film de sexe n’a plus rien à voir, l’exploitation de films X étant réduite à la portion congrue. La fascination qu’exerce le film pornographique existe cependant toujours, renforçant le statut cultuel de ces films que l’on voit le plus souvent seul. La salle de cinéma apparaît comme un lieu de fantasme et de rencontre.

D’autre part, nous pourrions ajouter que l’âge d’or de ce cinéma a précédé de très près son hallali, pour ne durer au final qu’une poignée de mois durant l’année 1975. Irions-nous jusqu’à dire que son affirmation en tant que genre à part entière aurait pu être possible ? La question reste ouverte, de même que celle concernant la place des femmes – hors actrices – dans l’industrie du cinéma pornographique [76].

Pour conclure cet article, laissons la parole à Rémo Forlani. Dans le premier numéro de la revue L’Organe, prend un ton volontairement provocateur pour défendre ce qu’il considère comme étant la véritable pornographie, tout en étant conscient que la censure dominante lui préférera une fausse idée de l’érotisme :

« Histoire d’O, le livre, est un produit typique de ce que les branleurs de salon nomment l’érotisme. Produit cousu main, façon sellier, qu’il convient d’opposer en toutes circonstances à un article vulgaire, popu, nommé pornographie. […] L’érotomane écrit (chez Pauvert, ou même à la NRF) des textes généralement brefs, imités de Madame de Lafayette. Le pornographe écrit sur les cloisons des chiottes des choses malséantes – le genre « pine au cul,… J’aime qu’on me chie sur la gueule, »…et pire encore. […] Réage (ce chieur ou cette chieuse) fait – comme Bataille, Vadim et la quasi totalité des natifs du 16e – dans l’érotisme. Ce sont des prétentieux (ce qui est déjà un poil irritant) et des tartuffes du cul. […] La pire, la plus fasciste des censures, ce n’est pas celle de Michel Guy ou des derniers curés en soutane, c’est celle des enculeurs bien élevés, des faiseurs de tasses ayant lu Mandiargues, des pédales façon Proust. » [77]

Nous laissons donc le lecteur sur cette question qui taraude tous les cinéphiles du monde : qu’est-ce qu’un bon film, et plus encore, qu’est-ce qu’est un bon film pornographique ?

Annexe 1 : remarques sur les projections dans les salles obscures.

Il y aurait beaucoup à dire sur le « cauchemar cinéphilique » [78] – que ce soit en vidéo ou en pellicule – qu’ont constitué les séances dans les salles de projections pour adulte, néanmoins cela relèverait plutôt du journalisme que d’une analyse scientifique. Nous nous contenterons alors de dresser une liste de nos principales observations :

la projection se fait dans des conditions le plus souvent douteuses, que ce soit au niveau du support visuel ou sonore. Le son a pu être trop faible ou l’image projetée de manière partielle
la projection peut même être secondaire face aux autres animations proposées par la salle, comme lorsqu’un strip-tease d’une professionnelle – prévue au programme – commence alors que le film n’est même pas terminée
l’œuvre projetée possède souvent un titre anonyme ou quasi mensonger [79]
la population semble exclusivement masculine et d’un certain âge
pour cause de pratique du cinéma permanent (plus de deux films au même programme) [80], les tarifs des tickets dépassent souvent les dix euros. Ceci peut paraître cher au premier abord, mais au final tout à fait comparable avec le plein tarif d’une salle traditionnelle.
Certaines de ces remarques pourraient laisser à penser que l’atmosphère des projections est anxiogène. Lorsqu’on l’a décidé d’être un spectateur cinéphile, il n’est en effet pas forcément agréable d’y venir seul, la crainte étant plus provoquée par le regard des spectateurs se posant sur nous que les images explicites défilant sur l’écran. A nos yeux, une autre explication fait sens : le spectateur moderne n’est plus habitué à de tels lieux, où le public circule beaucoup plus [81] parce que l’on peut y rentrer à tout moment, où la salle se remplit brusquement au moment de l’effeuillage. Retourner dans une salle de projection pour adultes revient ainsi à renouer avec un mode d’appropriation du lieu de projection désormais marginal. Le décalage produit avec nos habitudes est d’autant plus lorsque l’on y entre avec une perspective anthropologique, c’est-à-dire pour observer ses spectateurs.

Annexe 2 : adresses [82] .

à Bruxelles, 1 000 :
ABC, 147 boulevard Adolphe Max (une salle).

Le Paris, 62 boulevard Adolphe Max (deux salles).

à Genève, 1 201 :
Le Splendid, 3 place de Grenus (une salle avec balcon, et deux écrans [83] ! Sex-shop et cabines).

à Bordeaux, 33 800 :
Cinéma Aquitain (Image 6), 229 cours de la Marne [84] (trois salles, cabines, sex-shop).

à Grenoble, 38 000 :
Vox, 15 rue Thiers (une salle).

à Marseille, 13 001 :
Cinéma Étoile, 19 boulevard Dugommier (trois salles, cabines, sex-shop).

à Metz, 57 000
Cinéma Royal, 23 avenue Foch (une salle, cabines, sex-shop [85]).

à Paris :
Beverley, 14 rue de la Ville Neuve, 75 002 (une salle, sex-shop).

Atlas, 20 boulevard de Clichy, 75 018 (deux salles).

Ciné-Sex/Ciné-Nord, 27 rue de Dunkerque, 75 010 (une salle, cabines, sex-shop).

Toutes sont d’anciennes salles de projection pour des films en pellicule. La mention ’’sex-shop’’ recouvre à la fois l’existence de rayonnages proposant des DVDs ou une vente plus limitée à la caisse, ce qui concerne le Beverley pour le dernier cas. La salle propose en effet quelques titres au comptoir, ainsi que de petits paquets de mouchoirs, sans bien sûr avoir une offre comparable aux plus grands magasins parisiens, comme le Sexodrome de Pigalle ou le Club 88 de la rue de Saint-Denis.

Images  

Image 1 – Intérieur de la cabine de projection du Beverley, avril 2010 (Cop. : N.L.) [12].

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Image 2 – Salle du Beverley avant l’ouverture, avril 2010 (Cop. : N.L.).

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Image 3 – Façade de l’Atlas, février 2012 (Cop. : B.A.).

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Image 4 – Façade du Ciné-sexe [30], Paris, février 2012 (Cop. : B.A.).

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Image 5 – Façade de l’ABC à Bruxelles [50], avril 2012 (Cop. : N.L.).

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Image 6 – Façade lumineuse [70] du Cinéma l’Aquitain à Bordeaux, mars 2012 (Cop. : B.A.).

Notes

[1] La dite intervention s’étant déroulée le mercredi 18 mai 2011 à l’auditorium de la bibliothèque de l’Université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, à l’occasion de la journée d’études des doctorants du Centre d’Histoire Culturelle des Sociétés Contemporaines. Christophe Bier, principal instigateur du Dictionnaire des films érotiques et pornographiques en 16 et 35 mm (Paris : Serious Publishing, 2011), était également présent à cette table ronde. Pour plus de précisions, se référer au lien sur la page du laboratoire : http://www.chcsc.uvsq.fr/la-pornogr….

[2] Titre provisoire : « Des années 1960 à nos jours : le ’’nanar’’, Cinéma populaire et Cinéma de genre. »

[3] L’article 227-24 du Nouveau Code Pénal, ou amendement Jolibois de 1994, parlant de « message susceptible d’être vu ou perçu par un mineur », c’est dans cette optique que doit être compris l’accès limité.

[4] Hormis les entretiens recueillis, nous n’avons trouvé que peu de témoignages sérieux – par opposition aux commentaires sur des forums dédiés au sexe – sur la fréquentation de ces lieux. On signalera le lien ci-dessous, où le spectateur parle de l’Atlas de Pigalle en ces termes : « Les deux salles de l’Atlas, un cinéma X encore en activité sur le boulevard de Clichy, sont aujourd’hui plus « hot », cela dépend des jours et des heures. Les films sont ici un prétexte. Mais cela rappelle des souvenirs, en dépit des films DVD récents programmés, inaudibles et plutôt indigents. » (http://www.salles-cinema.com/actual…)

[5] Pour le premier : Érotisme et cinéma, Paris, La Musardine, 2009 (même si une analyse de la charge érotique des films de la Hammer est également présente dans ses ouvrages sur le fantastique). Pour le second (par ailleurs ancien rédacteur en chef de La revue du cinéma) : Le cinéma érotique, Paris, J’ai Lu Éditions, 1988 ; Sade et le cinéma, Paris, La Musardine, 2010 ; Histoires du cinéma X Par celles et ceux qui l’ont conçu, produit, interprété ou commenté, Paris, Nouveau Monde éditions, 2011.

[6] Enregistrés et retranscrits dans le cadre de notre travail de thèse sur le cinéma populaire et de genre, ces derniers nous ont permis de constater que les frontières du du divertissement sur grand écran englobaient tout autant le sang que le sexe, tant du point de vue des thématiques traitées par les réalisateurs que celles abordées par les cinéphiles.

[7] Source : entretien avec Jean-Pierre Bouyxou ; Paris, le 26 avril 2010 ; « Si le soft est porno, où commencerait le porno ? (égrène) Cela commencerait quand on voit du sein, du poil, de la fesse, de la fente, de la bite, des couilles, que ces choses là entrent en contact ou qu’on les voit en action ? Je me garderai bien de désigner le point précis où l’érotisme s’arrête et la pornographie commence. »

[8] L’intitulé est on ne peut plus parlant.

[9] Cette projection vidéo se doublant de gay cruisin la plupart du temps.

[10] A part une visite ponctuelle dans cette salle en 2008, nous ne pouvons nous prononcer plus avant. Restent cependant les souvenirs d’une projection de trois heures, en VO non sous-titrée, avec une population majoritairement tamoule… très réceptive au film (à signaler par ailleurs cet article du Parisien daté d’un an : http://www.leparisien.fr/seine-sain… ).

[11] La phrase est si parlante qu’elle est citée deux fois en quatrième de couverture de ce numéro 1590, puis du 1591, annonçant avec d’autres (José Bénazéraf, Françoise Giroud, Jacques Chambaz et Dominique Taddei étant eux aussi cités) le ’’spécial porno’’ qui va suivre la semaine suivante.

[12] La présente photographie revêt avant tout un intérêt esthétique et informatif, montrant de manière indirecte la salle durant ses œuvres d’ouverture (pour des raisons bien compréhensibles, nous n’avons pu photographier directement la salle).

[13] Soit entre les mois de février et décembre de la même année, correspondant à une autorisation de fait des films pornographiques en salles.

[14] Données établies grâce à une chemise marquée ’’Salles ’porno’ ’’ contenant des listes de salles X établies par le CNC et fournie par celui-ci. Le terme de salles est à entendre ici au sens de : nombre d’écrans. De cette manière, seulement moins d’une dizaine de salles X fonctionnent réellement au milieu des années 1990. Les chiffres ne prennent pas en compte les projections en format vidéo, certains multiplexes ne passant de la pellicule que sur une partie de leurs écrans.

[15] Ceci concerne principalement les Fiches du cinéma. Un résumé de scénario compressé en deux lignes et ponctué par une remarque acerbe reste d’ailleurs pour le critique une arme appréciable pour ne pas accorder trop de crédibilité à une œuvre. Cette présentation des réalisations n’est pourtant pas immuable : dans le recueil 79 (correspondant aux films de 1978), les titres sont écrits les uns à la suite des autres, par ordre alphabétique et sans autre mention que leur réalisateur.

[16] Qu’il s’agisse d’une production d’images explicites ou non.

[17] La qualité douteuse des scénarii de ces films n’étant pas le moindre des griefs leur étant adressés.

[18] On citera de manière non exhaustive : – Robert Chazal parlant d’une sortie du « ghetto du porno » au sujet d’Emmanuelle (numéro 1543, vendredi 16 août 1974) – les sex-cassettes (numéro 1549, vendredi 27 septembre 1974) – à chaque dossier annuel sur la production, des appels devant la prédominance des films pornographiques dans les plus petits budgets – des basques espagnols contre les films pornographiques (numéro 1800, 22 février 1980) – un dossier sur la société d’édition vidéo Proserpine, spécialisée dans ce segment (numéro 1870, 2 octobre 1981).

[19] Références des numéros correspondants du Film Français : – numéro 1560, vendredi 27 décembre 1974 (’’Emmanuelle vous présente ses meilleurs vœux’’). Auparavant, on ne comptera le nombre conséquent d’articles consacrés au succès du film – numéro 1592, vendredi 19 septembre 1975 – numéro 1685, vendredi 15 juillet 1977

[20] Elle occupe le premier poste du 16 juillet 1974 au 24 août 1976, puis le second du 24 août 1976 au 30 mars 1977.

[21] Le fait d’aller voir un film étant un acte choisi et non subi – plus encore dans le cas d’un film pour adultes – on peut douter de la véracité de cette affirmation. Par curiosité serait plus juste.

[22] Le box-office Paris-province du Film Français l’atteste de 1975 à 1981, voire même un peu plus tard, ne se privant pas à l’occasion de faire un commentaire sur le ’’porno de la semaine’’.

[23] De seulement quelques pages, celui-ci peut être consulté dans le numéro 1541 du Film Français, daté du vendredi 12 juillet 1974.

[24] Comprendre par là : non explicite et le plus souvent hors-champ.

[25] Situé à la page 13, l’article est intitulé ’’La gerbe’’ et signé de son vrai nom. Dans le même numéro, le magazine ne se prive pas d’ironiser sur les unes du Film Français citées plus haut, ajoutant que « Le cul semble ne pas déplaire tant que ça à bien des électeurs ! ».

[26] Auparavant spécialisé dans le court métrage et étant lui-même réalisateur d’œuvres non érotiques, il fonde en 1970 Alpha-France, principal distributeur, puis producteur et exploitant de films érotiques/pornographiques français.

[27] Des témoignages nous confirment également que des distributeurs de films gore remontaient leurs réalisations.

[28] Pour plus de précisions, on consultera le livre suivant de Christophe Bier : Censure-moi : Histoire du classement X en France, Paris, L’Esprit frappeur, 2000.

[29] Film Français numéro 1955, 26 août 1983, page 14.

[30] Il sera judicieux de remarquer que les néons ont toujours fonctionné de manière intermittente dans notre souvenir, de même que le Ciné-Nord ne reste marqué que sur la marquise rue de Dunkerque.

Depuis avril 2012, les premiers semblent avoir disparus.

[31] Plus grand cinéma de Paris et d’Europe, le Grand Rex demeure le survivant d’une autre époque, celle des palaces cinématographiques. Jusqu’à la fin des années 1980, il est demeuré bien encerclé par les cinémas roses (certains comme le Brooklyn ou le Midi-Minuit étant même de l’autre côté du boulevard Poissonnière), de par sa situation proche d’un quartier usuel de commerce du sexe, à savoir la rue de Saint-Denis et le boulevard de Strasbourg.

[32] Genre particulièrement productif dans la période 73-82, et toujours actif en Italie via la sortie annuelle de films durant la période de Noël, les sexy-comédies se résument à un scénario immuable : une ’’belle plante’’ tient le premier rôle ; elle se trouve être policière/infirmière/médecin/etc et se voit entouré d’acteurs masculins ayant l’âge de ses parents. Ceux-ci, cabotins professionnels, n’ont qu’un seul but : coucher avec, et pour cela tous les moyens sont bons. Après moults péripéties scatologiques reliées entre elles par un Mc Guffin, la belle jeune femme finira le film avec un bellâtre, plus jeune et falôt que ses compères de jeux. Pour plus de piquant, il sera nécessaire de rajouter deux ou trois jolies actrices dans des rôles secondaires : leur plastique passe avant le scénario, il est vrai totalement accessoire dans ce type de films ne visant que le divertissement le plus ’’tripal’’ du public.

[33] C’est d’ailleurs le cas de l’Eldorado (actuel théâtre Comedia) ou du Lord Byron (désormais le Quick des Champs-Elysées).

[34] Le site de la salle étant géré par une société distincte de la direction du cinéma, cette dernière n’est cependant pas directement responsable des annonces de soirées échangistes ainsi que des castings.

[35] Les soirées en question se déroulent les jeudis et vendredis soirs, le tarif montant alors à une trentaine d’euros par couple.

[36] Que nous ne pouvons cependant pas appuyer avec des arguments tangibles, l’accès aux comptes de la salle semblant fort difficile, de même que des discussions sur les rapports avec le CNC.

[37] L’échangisme – ou plus récemment le théâtre érotique, ou tout public – font partie des alternatives proposées.

[38] Un de nos collègues, voulant aller voir une réalisation avec Béatrice Harnois, s’est in fine retrouvé à regarder des séries de gonzos en double-programme, et ceci à au moins deux reprises. Depuis le premier semestre 2012, la nouvelle version du site se contente de mentionner que le cinéma est permanent de 12h à 21h : pour en savoir plus sur le programme, il faut désormais contacter la salle.

[39] Le premier a été réalisé en 1978 par Marie-Claude Treilhou, le second en 1975 par Claude Mulot sous son pseudonyme de Frédéric Lansac.

[40] La chaine Cinevog appartenait alors à un exploitant renommé, Boris Gourévitch (constructeur par ailleurs de l’actuel MK2 Hautefeuille), les Cinq Caumartin – et ancien premier Cinevog du nom – constituant un des derniers témoignages de son existence.

[41] Sur les groupes de discussion appropriés, le lieu semble fort prisé des personnes recherchant des pratiques sexuelles à risque, certains n’hésitant pas à mentionner un « nid à MST »…

[42] L’obscurité pouvant favoriser le rapprochement.

[43] Alors dotée d’à peu près mille sièges, la première se situe toujours au 170 boulevard Magenta dans le dixième arrondissement, et sera à terme réouverte en tant que salle municipale. De taille plus modeste, la seconde se trouvait au 37 boulevard Saint-Martin, dans le troisième arrondissement.

[44] On parlerait alors d’une copie en ’’état 4’’, c’est-à-dire parsemée de rayures et autre usures dues au temps. Certains films exploités de manière intensive se trouvent le plus souvent dans cet état.

[45] A savoir ceux n’ayant pas connu les salles de quartier.

[46] L’intérêt des spectateurs étant naturellement augmenté lorsque le nouvel entrant se trouve être un jeune homme, et non plus quelqu’un d’âge très mur comme cela arrive désormais très régulièrement.

[47] Le projectionniste du Brady de l’époque ayant fait quelques piges au Beverley nous a cependant fait le récit d’un couple n’attendant pas le début du film pour commencer ses ébats sexuels. On peut en déduire que certains spectateurs se trouvent tout autant excités par la salle que par le film.

[48] Anciennement Ciné-Nord, petite salle – initialement trois cents places, puis divisée en deux – construite à la fin des années 1930.

[49] Quartier comprenant certains des grands hôtels de la capitale, ce qui produit une opposition des styles certaine.

[50] Nous remarquerons que la façade en question est peinte, ce qui s’avère très rare de nos jours.

[51] Tony Crawley, François Jouffa (lui-même réalisateur de l’érotique La Bonzesse en 1974), L’Âge d’or du cinéma érotique et pornographique : 1973-1976 ; Paris : Ramsay, 2003. L’extrait qui suit se trouve à la page 125 de ce livre.

[52] Dans l’ordre alphabétique, on trouve donc Michel Caen, François Chatelet, Jean-François Davy, Régine Deforges, Rémo Forlani, François Jouffa, André Halimi, et Jean-Claude Romer (pour une sélection de quarante-quatre films).

[53] Entretien avec Jean-François Davy, 7 octobre 2011 : « À l’époque il est évident que cela avait un côté subversif pour les raisons déjà évoquées tout à l’heure. Que ce soit pour le puritanisme ou autre, je crois que le sexe met mal à l’aise. […] On est dans le domaine du ressenti, de l’émotion ; le sexe dérange. Il dérangeait beaucoup dans les années soixante-dix. L’épanouissement du cinéma érotique et pornographique coïncide avec 68, et cette période libératoire (de sexe peace and love, etc). Il y a eu comme ça une évolution très rapide des moeurs qui a été très mal perçue par l’intelligentsia, les politiques, les associations, la défense de la famille… »

[54] Son plus grand succès Exhibition (3,5 millions d’entrées depuis 1975) se présente d’ailleurs comme tel, à savoir un entretien illustré avec une des vedettes de l’époque, Claudine Beccarie. Avec une personnalité plus extrême et aussi plus de tracas, Davy renouvellera d’ailleurs l’expérience dans un deuxième volet en 1978 avec Sylvia Bourdon.

[55] Ecrivain et critique de cinéma (1927-2009), collaborateur à RTL pendant plus de cinquante ans.

[56] Respectivement auteuses de Emmanuelle, L’anti-vierge et de Histoire d’O (la dernière sous le nom de Dominique Aury). Les deux premiers textes ont inspiré la série de films avec Sylvia Kristel, le dernier celui avec Corinne Cléry.

[57] De tels titres faisant les délices de Robert Chazal dans le Film Français, que ce soit de manière ludique ou sarcastique.

[58] Tenant sur la page 9 du numéro, l’article se compose d’un paragraphe central présentant brièvement Francis Mischkind, lui laissant la charge de rédiger lui-même un article intitulé ’’Francis Mischkind : Le cinéma érotique’’. Les thématiques abordées sous forme de petits titres sont les suivantes : Emmanuelle, le ghetto, les Valseuses, l’affichage, le sondage auprès des spectateurs.

[59] Le terme étant un néologisme formé à partir de la rencontre des termes sexe et exploitation movie : la réalisation d’actes sexuels non simulés constitue à cet effet un argument promotionnel à part entière.

[60] On notera des fanzines et ouvrages sur les nains au cinéma mais aussi Eurociné, firme française spécialisée dans la série Z.

[61] Parmi les 28 rédacteurs et collaborateurs, en plus de Christophe Bier lui-même, on pourra citer le programmateur de la Cinémathèque française Jean-François Rauger, les critiques Frédéric Thibaut, Jacques Zimmer, Gilles Esposito, Alain Minard, Francis Moury ou François Cognard.

[62] Face à la durée de sa gestation, on peut cependant se demander si un tel ouvrage aurait seulement été envisageable dès la fin des années 1980.

[63] Entrecoupés de bandes-annonces de plus en plus explicites, ont été projetés les films suivants : Sexuellement vôtre, comédie grivoise de Max Pécas narrant la vie amoureuse de Gérard Casanova (1974), L’essayeuse de Serge Korber, le seul film français à avoir été brûlé sur la place publique (1975), et enfin Maléfices pornos de l’énigmatique Michel de Winter, déjà offert aux acheteurs du dictionnaire (1977).

[64] Les personnes interrogées ont été les suivantes : Gérard Kikoïne, Michel Barny, Pierre B. Reinhard et Jean-François Davy pour les réalisateurs et Maurice Laroche pour les exploitants de salles (sans compter les quelques employés ponctuellement entendus). La liste des passionnés de cinéma ayant ponctuellement travaillé dans ce milieu ou manipulé ces films est trop longue pour faire l’objet d’une note.

[65] Source : entretien avec Michel Barny, réalisé le 12 mai 2011.

[66] Ibid (il reprend cependant la même formule à l’occasion d’un reportage sur La nuit de la grande chaleur, diffusé sur Arte dans l’émission Tracks du samedi 7 janvier 2012).

[67] Dans le cinéma pornographique comme dans le bis, l’emploi de pseudonymes, que ce soit pour maquiller les génériques ou seulement pour le style, n’était pas rare. Nous laissons au lecteur le soin de trouver les noms réels de Claude Mulot, Michel Barny, Ken Warren, John Love ou autres Job Blough.

[68] Très actif au box-office jusqu’à sa mort en 1975, le premier peut être rapproché de Max Pécas pour sa grivoiserie. De 1957 jusqu’à aujourd’hui, les seconds représentent un cas unique de maison de production et de distribution française au service du cinéma le plus bis – ou même Z ! – qui soit.

[69] Stéphane du Mesnildot, Jess Franco, Énergies du fantasme ; Pertuis, Rouge Profond, 2004, page 117 : « Dans les années soixante-dix, lorsque Lina Romay devient l’actrice privilégiée de Franco, le mouvement représentatif de son cinéma est un zoom sur le sexe de son modèle. »

[70] Il est mentionné deux salles sur l’éclairage, mais le cinéma semble comprendre trois salles ainsi que des cabines.

[71] C’est d’ailleurs pour cette raison que les insérés concernaient principalement les séquences ’’anatomiques’’, ces dernières pouvant se révéler interchangeables au gré des réalisations.

[72] Avec le cinéma de sexe explicite, on ne triche pas sur les pénétrations, même si il est possible de fabriquer du faux sperme pour les besoins de certaines scènes.

[73] Les prémisses de ce dernier peuvent certes être remarqués dès les années 1960 avec les réalisations d’Herschell Gordon Lewis (elles-mêmes inspirées par le Grand-Guignol de la rue Chaptal, dixit leur producteur David Friedman). Leur exploitation durable intervient néanmoins dès la décennie suivante, au cinéma La Clef pour 2000 Maniacs entre autres. Les premiers slashers/splatters interviennent eux à partir de 1975 environ.

[74] Mythologies ; Éditions du Seuil : Paris, 2010 (1957 originellement) ; page 175. L’article en question a pour sujet de réflexion le strip-tease.

[75] Jacques Lévy, Cinémaction 59, ’’ Du nu au sexy, et du soft au hard : glissements progressifs ’’ ; page 52 : « Ces détournements mercantiles sauvages marqueront la fin d’un cinéma de genre populaire soutenu par une charpente narrative solide. Ce dernier se trouve remplacé par des films qui portent à leur paroxysme certaines de leurs tendances sans ménager le récit, du moins en général (tandis que le hard supplante le soft, le gore chasse l’horreur style Hammer Films). A vrai dire, à l’orée des années 70, le cinéma bis n’a plus le rôle de locomotive qu’il a exercé un moment par rapport au cinéma ’’régulier’’. Ce refoulé du cinéma ’’légitime’’ a fini par miner peu à peu le légalisme, le puritanisme, la pruderie dominants, et une étape supérieure est atteinte, »

[76] Au niveau de la production-réalisation, Anne-Marie Tensi se situe à un stade assez avancé du petit budget.

[77] Situé à la page 27 du numéro, le titre de l’article est ’’Pauline Réage est un con’’ (un double sens est-il envisageable ?).

[78] Source : entretien avec Francis Moury, décembre-janvier 2012 (par courriel) ; « Oui, visionner en salle était rétrospectivement un cauchemar cinéphilique, à présent qu’on peut jouir des parfaites conditions esthétiques procurées par la vidéo numérique. En ce temps-là, nous n’en avions pas l’idée car la définition de la salle de cinéma était supérieure à tout ce qui existait et les programmes des salles étaient captifs : […] (concernant le cinéma pornographique), les conditions de projection étaient toujours lamentables mais la nouveauté provenait de la nature du genre et des réactions inédites qu’il provoquait. On pouvait l’assimiler à une sorte d’extase collective : »

[79] C’est le cas pour un mystérieux Safari vu à l’ABC, les scènes visionnées ne correspondant pas à la description qui est en faite dans le dictionnaire de Christophe Bier.

[80] Pratique semblant tout à fait désuète à une époque où les employés des multiplexes viennent signifier durant le générique de fin qu’il est temps pour les spectateurs de quitter la salle.

[81] Pour l’anecdote, le sol de la salle du Ciné-Nord est recouvert de carrelage, ce qui fait d’autant plus raisonner les pas des spectateurs.

[82] Mis à part le Beverley et l’ABC, toutes les autres salles ne projettent que de la vidéo ou du DVD, majoritairement dans le domaine du gonzo.

[83] Précisons : le premier écran est à la place de l’écran d’origine, tandis que les spectateurs du balcon peuvent voir un plus petit écran situé légèrement au-dessus du précédent. Ceci ne va pas sans occasionner quelques contorsions.

[84] La salle est d’ailleurs attenante à un club échangiste : s’agit-il d’une ancienne partie du complexe ?

[85] Le balcon a été privatisé pour les couples, et la grande salle ne passe que très rarement des films, étant réservée à des occasions exceptionnelles comme la venue d’actrices ou des tournages.