Stratigraphie et architecture dans la Mésopotamie du IIIe millénaire : la maison XXXIII-XXXIV à Khafaji

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Yoann Marques

Résumé
L’étude des établissements urbains de Mésopotamie commence à changer son regard et c’est dans cette optique que l’étude des anciennes publications trouve son intérêt. Ainsi le site de Khafaji peut apporter de nouveaux éléments sur l’architecture urbaine de la Mésopotamie du Dynastique Archaïque. Autour de l’étude d’une maison de la ville, les questions de l’urbanisme, des fondations, de l’organisation des maisons et de la question de l’étage seront abordées.

Yoann Marques, actuellement professeur d’Histoire-Géographie dans l’enseignement secondaire. Mes recherches ont abordé les questions de l’habitat urbain et de la ville aux quatrième et troisième millénaires. Yoann MARQUES, « L’habitat urbain en Mésopotamie, le cas de Khafaji (IIIe millénaire). Stratigraphie et architecture domestique », sous la direction de Pascal Butterlin, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 2010 (non publié). yoann.marques@gmail.com


Khafaji (Fig. 1) est un site fondamental pour la connaissance du fait urbain dans la Mésopotamie du troisième millénaire. Fouillé durant les années 1930 par une équipe menée par Henri Frankfort de l’Oriental Institute of Chicago, il offre une longue séquence stratigraphique allant du quatrième au troisième millénaire (fin du Dynastique Archaïque). De plus, l’extension des fouilles permet de nous renseigner sur les plans des bâtiments de cette époque. Les fouilleurs ont identifié douze niveaux de construction (sans compter les traces du Chalcolithique tardif) qui ont évolué au fil de l’usure des bâtiments qui étaient reconstruits après leurs destructions. D’après l’équipe américaine, les niveaux des rues « montent » avec le temps : elles sont sales et pleines de débris et on attend que les maisons s’écroulent pour reconstruire sur les ruines [1].

Aujourd’hui les recherches ont avancé et de nouvelles conceptions se font jour au fil des découvertes. Les rues sont de mieux en mieux connues, et l’idée même d’un urbanisme en Orient avant l’arrivée d’Alexandre ne fait plus de doutes. Encore faut-il s’attacher à modifier notre vision des sites déjà fouillés et publiés [2]. Jean-Claude Margueron proposa en 2009-2010, lors d’un séminaire à la IVe section de l’EPHE, de voir à Khafaji l’accumulation des niveaux d’une manière différente, dans laquelle certains d’entre eux sont notamment considérés comme niveaux de fondation.

Le but de cet article est de montrer qu’en effet, comme l’a proposé J.-C. Margueron, la stratigraphie de Khafaji est à revoir et que cela peut encore nous apporter des informations supplémentaires sur la connaissance de l’architecture du troisième millénaire. Les données de ces fouilles étant anciennes, les découvertes plus récentes, les nouvelles manières d’aborder certains points sont pris en considération, afin de contrebalancer les lacunes et les clichés sur l’archéologie orientale au moment des recherches [3]. Il ne sera pas ici question d’apporter une vue exhaustive du site, mais de s’intéresser à une maison en particulier, qui, par une nouvelle étude, montre que l’évolution du site est différente de ce qui a été proposé jusqu’ici [4]. C’est la maison XXXIII-XXXIV du niveau Houses 6, et ses rehaussements jusqu’au niveau Houses 3, qui est étudiée ici (Fig. 3 à 6).

Dans un premier temps nous nous intéresserons à sa stratigraphie, puis, nous étudierons son plan, car, malgré ce qui peut apparaître sur les documents dans un premier abord, il est établi sur le même modèle que les maisons du pays de Sumer au Dynastique Archaïque (2900-2350 environ) comme on peut l’observer à Abu Salabikh et à Fara.

Présentation.

Les maisons les mieux conservées à Khafaji correspondent, d’après l’estimation des fouilleurs, aux périodes des Dynastiques Archaïques I, II et III. Elles se trouvent majoritairement situées entre le Temple Ovale et le Temple de Sin. Celles du DA I sont relativement petites, composées de trois à huit pièces, entre 42 et 75 m2 habitables. D’après Pinhas Delougaz on retrouve cinq niveaux. Pour chacun de ces niveaux on remarque que les plans des maisons perdurent (Fig. 2). Les maisons du DA III sont de multiples formes et tailles : on compte de grandes maisons comme la maison XLVI et des bâtiments plus petits dont on peut se demander si ce sont bien des maisons [5] et qui se trouvent dans le Quartier Emmuré (Fig. 7). Ces constructions sont séparées des niveaux inférieurs par une couche de cendres (Fig. 9).

Les niveaux qui correspondent au DA II, Houses 6, 5, 4 et 3 [6], sont contemporains de la construction du Temple Ovale. Lors de la construction de ce temple, toutes les maisons des environs ont été arasées et une nouvelle génération de maisons au visage radicalement différent est construite. Elles sont plus grandes et les murs sont plus épais (une surface habitable d’environ 195 m2 en comptant la cour) contrairement aux maisons du DA I. Une maison est également construite dans le Temple Ovale. Entre ce dernier et le Temple de Sin les fouilleurs distinguent trois maisons et le Petit Temple (Fig. 3). Ces constructions sont rehaussées régulièrement ne modifiant que légèrement les plans. Les fouilleurs considèrent que le bloc architectural entre le Temple Ovale et le Petit Temple forme deux maisons, XXXIII et XXXIV, qui sont chacune rehaussées trois fois [7]. En réalité il faudrait plutôt voir les pièces qui forment la maison XXXIII comme une annexe de la maison XXXIV : il n’y a que deux pièces, le parti architectural rompt avec ses environs, et nous démontrerons plus loin que toutes les maisons fouillées entre le Temple Ovale et celui du Sin sont construites à partir du même modèle [8]. C’est cette maison qui nous intéresse.

Stratigraphie.

Nous allons essayer de démontrer en étudiant les éléments de stratigraphie de cette maison que les niveaux Houses 6 et 5 ne représentent qu’un seul et même niveau de fondations pour une première maison construite en même temps que le Temple Ovale. Ensuite, que cette maison fut arasée au niveau du sol d’occupation et qu’elle fut rehaussée une fois dans son histoire. C’est-à-dire que les niveaux Houses 4 et 3 forment ce rehaussement.

La question des fondations.

Lorsque le Temple Ovale fut construit il a été décidé d’araser les constructions existantes, et c’est donc sur un sol aplani que les premiers murs de la maison XXXIII-XXXIV furent bâtis. D’après la coupe A-A’ (Fig. 9), cette surface est établie à 38,10 m d’altitude (Fig. 14). Y sont élevés les murs Houses 6 qui, d’après Pinhas Delougaz, représentent les restes d’un niveau habité. Donc d’après les fouilleurs, la maison fut construite sans fondations, les murs sont directement posés sur le sol et aucun mur ne les soutient dans le sous-sol. On peut trouver étrange qu’une maison aussi grande, près de 290 m2 en comptant les murs, ne soit pas construite avec des fondations, d’autant plus que le Temple de Sin, par exemple, est lui reconstruit avec des fondations à chaque fois que son plan est modifié. De plus, comme le montre J.-C. Margueron, une maison, à cause de la masse de ses murs a besoin de fondations [9]. Notons le travail d’Emmanuelle Capet et de Bouchra Farah-Fougères sur des fondations à Mari [10]. Elles montrent comme particularité pour les murs de fondation un manque de soin dans leur création : faible régularité dans la disposition de l’appareillage, décrochements le long de certains murs.

L’épaisseur des murs des niveaux Houses 6 et 5 est très importante, en effet, elle atteint près d’1,40 m (Fig. 16) pour le mur entre les pièces N 43 : 22 et N43 : 21 par exemple. La plupart du temps les murs font environ 1,10m d’épaisseur comme dans le cas du mur entre N43 : 20 et N43 : 22 (Fig. 3 et 4). Cette épaisseur est d’autant plus remarquable qu’elle ne se retrouve pas aux niveaux Houses 4 et 3 où ils ne dépassent pas les 1m d’épaisseur. Ce phénomène est semblable pour la maison XXXII à l’est du Petit Temple. Pourquoi il y aurait-il fallu construire des murs si épais s’il était possible d’économiser des briques ?

Allant de pair avec l’épaisseur remarquable des murs des niveaux Houses 6 et 5, c’est la quasi absence de portes entre les différentes pièces qui plaide en faveur des fondations. Certaines portes sont indiscutables [11], ce sont celles entre N43 : 13 et N43 : 23, entre N43 : 20 et N44 : 6 pour le niveau Houses 6 et celle entre N43 : 20 et N44 : 6. Par contre, les autres portes proposées ne tiennent pas la critique. En effet, on peut remarquer deux groupes.

Le premier est celui des portes proposées sur les plans mais qui n’ont pas été retrouvées sur le terrain. Il y a le cas de celles proposées pour les pièces où tous les murs ont été retrouvés comme par exemple entre les pièces N43 : 20 et N43 : 22 : tous les murs sont pleins. L’autre cas est celui des portes proposées là où les murs ont été détruits : certes un espace existe mais il ne date pas de la construction de la maison. Ces portes sont au niveau Houses 6 entre la pièce N44 : 6 et l’extérieur de la maison au Sud, et entre les pièces N43 : 21 et O43 : 23. Au niveau Houses 5, elles se trouvent entre ces mêmes pièces ou espaces également. Le second groupe est celui de portes creusées lors de l’inhumation de plusieurs des tombes retrouvées entre les murs de cette maison depuis des niveaux d’occupation supérieurs aux murs de ces niveaux. C’est la tombe 110 qui est responsable du passage entre N43 : 27 et N44 : 6 aux niveaux Houses 6 et 5 et la tombe 106 est responsable du passage entre N43 : 19 et N43 : 27 au niveau Houses 5.

Il paraît difficile de croire que ces niveaux aient été occupés s’il n’y avait pas de portes entre les différentes pièces de la maison. Le plan de ces niveaux refuse la possibilité d’une circulation entre les différentes pièces : il faut plutôt en conclure que ces murs servent à offrir une base pour la stabilité de la maison [12]. Ce phénomène se répète également dans la maison XXXII.

Faut-il penser que ces deux niveaux de fondations sont indépendants l’un de l’autre ? Le premier aurait soutenu un niveau arasé où, à la place, on aurait installé de nouvelles fondations pour un autre niveau ? La séparation en deux niveaux faite par les auteurs pourrait le laisser penser. Il faut donc s’interroger sur de réelles différences entre ces deux niveaux qui rendraient incompatible leur unité. Tous les murs de Houses 5 se superposent avec ceux de Houses 6. Les quelques différences montrent un départ de mur (entre O43 : 23 et N43 : 21) en Houses 6 qui n’est pas reconduit en Houses 5, mais cela ne pose structurellement aucun problème. L’épaisseur du mur entre N43 : 21 et N43 : 22 se rétrécit du coté Est mais là encore aucun problème ne se pose.

Cependant on doit noter un trou dans le mur Nord de N43 : 13 en Houses 6, c’est la porte de la pièce, mais il est rempli au niveau Houses 5. Pour répondre à cette question il faut révéler ici brièvement un élément développé plus loin [13]. Les pièces N43 : 20 et 22 correspondent au sous-sol d’un seul et même espace : la cour de la maison au niveau d’habitation. Ce point prématurément révélé il est possible de proposer une explication à l’anomalie de l’absence de porte en Houses 5 pour la pièce N43 : 23. Quand on regarde où se situent les portes dans ces fondations, elles se situent à chaque fois dans un ou deux murs des espaces suivants : la cour (mur sud de N43 : 20, murs ouest et est de P43 : 27) et le vestibule (mur nord, vers l’extérieur, de N43 : 23 et mur est, vers une autre pièce, de P42 : 9). Pourquoi la cour et le vestibule ? Ces deux pièces sont plus facilement touchées par les écoulements d’eau que d’autres pièces de la maison : peut-être ce système permet-il de désengorger le sous-sol de l’eau qui s’infiltre dans ces pièces. Si cette hypothèse est juste, alors l’espace laissé pour que l’eau s’échappe est recouvert dans la hauteur de la fondation (au niveau de Houses 5) afin de servir de pas de porte pour le niveau réel d’occupation. De plus, que cette hypothèse soit à retenir ou non, il n’est pas impossible que pendant la construction des fondations, après avoir relevé la surface sur laquelle les ouvriers travaillaient pour monter les murs de la maison (ce qui permet de remplacer l’usage d’un échafaudage), il ait été décidé de fermer cet espace : il aurait été bouché par la terre dans la partie inférieure de la fondation et bouché par des briques dans la partie supérieure. Ce ne sont que des hypothèses, mais elles servent à montrer que cette situation n’est pas forcément un problème en essayant de montrer que Houses 6 et 5 n’étaient qu’un seul et même niveau de fondation.

En comparaison avec la maison XXXII, on remarque sur la coupe A-A’ que certains murs ne sont pas parfaitement alignés. Ils n’ont pas non plus été arasés à la même altitude, l’écart est de 0,15 m, mais on peut faire la même remarque pour la maison XXXIII-XXXIV. Mais les fondations pouvant révéler des décrochages comme l’ont montré E. Capet et B. Farah-Fougères [14] la situation peut tout à la fois être favorable aux deux positions, un seul et même niveau de fondation ou deux niveaux de fondations.

À la lecture des documents on se rend compte que les niveaux de Houses 6 et 5 sont des niveaux de fondation. La question est de savoir s’ils sont séparés ou s’ils ne font qu’un. Si on réfléchit en s’aidant de ce qui est connu (le manque de soin qui peut exister pour les fondations) et en réfléchissant à la fonction des fondations (est-ce qu’il est envisageable que les fondations des vestibules et cours puissent être construites de façon à désengorger en partie l’eau qui est accumulée dans le sous-sol de la maison ?) on ne peut exclure la possibilité d’un seul et même niveau de fondations. Malgré tout, ces hypothèses ne sont pas suffisantes.

D’après les fouilleurs, certains bâtiments sont construits avec des fondations. Les temples de Sin et Ovale en sont un bon exemple. Le niveau VII du Temple de Sin est arasé pour laisser place au niveau VIII, et ce dernier est accompagné de fondations (Fig. 11) Le niveau VIII est d’après les fouilleurs le premier temple du DA II (Fig. 13). Le passage à cette époque correspond à la construction du Temple Ovale et à l’arasement du quartier entre ce dernier temple et celui de Sin, pour autant que l’on sache. Après avoir purifié le sous-sol du Temple Ovale avec du sable [15], les constructeurs ont posé les fondations du temple sur le sol aplani, et ensuite ont construit le niveau habitable de ce temple.

Les fondations de la maison XXXIII-XXXIV ont leur base située à une altitude de 38,10 m, celles du Temple Ovale au niveau de cette maison (Fig. 10) à une altitude de 38-38,05 m, ce qui est très proche, et celles du Temple de Sin à environ 37,60 m. Les fondations de ce dernier sont plus basses car il est orienté vers l’Est, son entrée se trouve à une altitude bien inférieure car la rue qui passe au Nord-Ouest de la maison XXXIII-XXXIV descend vers l’entrée de ce temple (Fig. 11). De plus, les fondations du niveau VIII du Temple de Sin ne sont pas juste déposées sur les ruines arasées du niveau VII, elles s’y introduisent. Les constructeurs ne voulaient pas trop élever la base de cette construction car son entrée se trouvait plus bas sur le tell (Fig. 11).

La hauteur des fondations du Temple Ovale se situe, au niveau de la maison qui nous intéresse, entre 39,40 et 39,50 m. Celle du Temple de Sin environ 38,30 m mais on sait qu’il était plus bas sur le site. Si l’on ne compte qu’un ensemble de fondations pour la maison XXXIII-XXXIV, alors elles culminent à une hauteur oscillant entre 39,15 et 39,40 m. Il faut se demander si les niveaux de rue entre le Temple Ovale et la maison peuvent déterminer quelle solution est préférable. Une première surface (pour ne pas dire un sol) sur les coupes (Fig. 9 et 10) se trouve à environ 38,40 m, mais on se trouve en dessous du sommet des fondations Houses 6. Cela ne semble donc pas être un sol de rue. Ce que les fouilleurs ont relevé était peut-être une surface de chantier [16]. Une seconde se trouve à environ 38,90 m, au niveau des murs de Houses 5. Cela pourrait correspondre à un sol occupé par les piétons de Khafaji s’il y avait un niveau réellement occupé avant une reconstruction qui utiliserait les fondations Houses 5, mais cela n’est pas sûr. Enfin, on en trouve une troisième à une altitude de 39,50 m, juste au sommet des fondations du Temple Ovale et de la maison XXXIII-XXXIV. Mais ici, dans l’hypothèse où les fondations Houses 5 seraient indépendantes de Houses 6, ce serait le sol d’un second niveau de rue.

Pour départager les deux possibilités il faudrait déterminer le nombre de constructions, donc le nombre d’altitudes d’occupation du site entre la mise en place des premières fondations Houses 6 et le dépôt de la couche de cendre qui recouvre le niveau Houses 3 (Fig. 9). L’étude de la disposition des tombes creusées dans les sols des maisons par les habitants pourrait nous informer sur cette question.

La question des niveaux réels d’occupation et les tombes.

Khafaji est un bon exemple de site où les habitants enterraient leurs morts sous leurs maisons : 168 ont été retrouvées sur le site, 93 sous les maisons entre le Temple Ovale et le Temple de Sin et enfin 33 sous la maison XXXIII-XXXIV ou juste à coté. Dans les profondeurs du tell, avant la construction du Temple Ovale, ce sont des inhumations simples. Le corps est entouré d’une natte et simplement déposé en terre. À partir de la construction du Temple Ovale, donc pour les niveaux qui nous intéressent, les tombes peuvent être simples ou en dur, c’est-à-dire construites avec des briques.

Les tombes seront regroupées selon leur fréquence à une même altitude. Ces groupes seront rattachés à un niveau architectural par rapport à ce principe logique : les tombes seront toujours considérées comme postérieures à un niveau qui se trouve à la même altitude (par exemple si une tombe se trouve au même niveau que les murs de Houses 4 alors elles sont plus récentes que ce niveau). Les altitudes données pour les tombes simples dans la publication [17] n’indiquent que la base de la tombe. Pour retrouver l’amplitude nous considèrerons qu’elles devaient être hautes d’environ 0,40 m lors de l’inhumation. Cette valeur n’est pas prise au hasard : elle prend en compte le fait que les corps étaient déposés recroquevillés sur un coté, droit ou gauche, et que la distance entre chaque épaule d’un homme fait environ 0,40 m. Pour les tombes en dur, les auteurs ont proposé des reconstitutions des hauteurs originelles à partir des restes retrouvés.

A priori, les tombes qui nous intéressent sont les tombes 92, 94, 96, 99 à 107, 109 à 114, 116, 119a, 119b, 125, 131 à 133 et 137, car ce sont les plus proches en altitude, avec une amplitude verticale entre 37,30 m et 40,80 m. Cependant plusieurs de ces tombes ne sont pas contemporaines des niveaux Houses 6 à 3.

Un premier groupe à exclure contient les tombes 131 à 133 et 137 (pour les tombes toujours se référer aux Fig. 3 à 6 et 12). Les tombes 131 et 132 sont directement recouvertes par la couche de cendres. La tombe 133 dépasse de 30 cm la base des murs de Houses 3 et sa base est un peu plus élevée que celles de 131 et 132. La tombe 137, elle, traverse un four du niveau Houses 3. Donc on peut conclure que ces tombes sont postérieures à la phase architecturale étudiée.

Un deuxième groupe est à exclure : en effet, il correspond probablement au niveau d’habitation qui a été arasé pour l’aplanissement du quartier. Il est antérieur au niveau qui est représenté par les fondations Houses 6 (et peut-être Houses 5 ?) mais est postérieur au niveau Houses 7. Ce sont les tombes 92, 94, 96, 99 et 103. La tombe 94 est antérieure à Hss6 car elle se trouve juste sous un mur de ce niveau mais se retrouve déposée dans un four Hss7. La fosse de la tombe 96 fut sûrement dérangée par la mise en place de la tombe maçonnée 98 juste à côté, on peut supposer que la tombe 98 est postérieure à la fosse 96. On remarque également que la fosse 103 fut dérangée durant l’Antiquité [18] : le fut-elle lors de l’arasement lié à la construction du Temple Ovale ? On peut encore remarquer, à propos de la tombe maçonnée 99, qu’elle fut retrouvée arasée au niveau de la base des murs Hss6, donc arasée lors de l’aplanissement de la zone.

Parmi les tombes qui restent, deux groupes se détachent. Le premier regroupe les tombes 98, 100, 102, 104 à 107, 109 et 113. Ces tombes ont une amplitude verticale située entre 37,40 m et 39 m. Donc elles plongent plus bas que Houses 6 mais ne dépassent pas le sommet des restes de Houses 5. On observe une amplitude d’1,60 m, cela n’est pas choquant car les tombes en dur de ce groupe mesurent, d’après les restitutions proposées, entre 1 et 1,10 m de hauteur. Ce groupe de tombes appartient à une occupation dont les murs se situaient au-dessus des ruines de Houses 5.

Le deuxième groupe est celui des tombes 101, 110 à 112, 114, 116, 119a, 119b et 125. On remarque que la tombe 112 est postérieure à la tombe 114 car la 112 est une fosse retrouvée non dérangée sur le côté de la tombe maçonnée 114 [19] : on se retrouve dans un cas opposé au cas 96-98. La tombe 114 n’appartient pas au groupe précédent car, lors de sa construction, son sommet se trouvait au-dessus du sommet de Houses 5. Un autre cas semblable est celui des tombes 119a et 119b. Ensuite on observe que la tombe 111 est postérieure à la tombe 100 car elle attaque cette dernière par le dessus. La tombe 101 attaque également la tombe 100 mais se trouve quasiment à la même altitude, donc on peut considérer qu’elle est postérieure ; malgré tout, les fouilleurs n’ont pas retrouvé de corps dans la tombe 100 [20] : aurait-elle été remplacée par la 101 pour le même individu ? Peut-être que la tombe 101 est à placer dans le groupe précédent mais cela ne change rien à la démonstration. La tombe 125 est, elle, au dessus de la tombe 109. La tombe 116 est accolée à la tombe 111, surement construite après cette dernière [21]. La tombe 110 est postérieur aux fondations Houses 6 et 5 car elle les a en partie détruites dans le mur Sud de la pièce N43 : 27.

Ce groupe a une amplitude verticale située entre 37,75 m et 39,70 m, soit un écart de 2 m, ce qui est un peu supérieur au groupe précédent, mais ici, par exemple, la tombe 114 mesure 1,30 m de haut. Un tel groupe de tombes se trouve au même niveau que les niveaux Houses 7 à Houses 4, mais il se trouve surtout entre Houses 6 et 4. On peut donc en conclure que ce groupe correspond à une occupation supérieure à la base des ruines de Houses 4.

L’étude de ces tombes, mises en relation avec les ruines des maisons qui les accueillent, permet de conclure à l’existence de deux niveaux d’occupations principales. Le premier niveau d’occupation est représenté par les niveaux de fondations Houses 6 et 5 qui ne forment donc qu’un seul et même niveau de fondations (niveau 4a : Fig. 19 [22]). Le second est représenté par les niveaux Houses 4 et 3 (niveau 4b : Fig. 20). Il n’est pas crédible de croire que le niveau de fondations Houses 5 ait pu servir avec le niveau Houses 4 car le plan de la maison est légèrement mais clairement modifié ; de plus, l’orientation des murs extérieurs est également légèrement modifiée.

Un problème se fait jour malgré tout. En effet, certaines tombes du deuxième groupe dépassent la hauteur de la base de Houses 4. Donc il n’est pas possible de croire que ce niveau ait été occupé réellement. Plusieurs éléments laissent penser que lors du rehaussement de la maison, des fondations aient été rajoutées. Les murs ayant été légèrement désaxés et certaines pièces modifiées (Fig. 4 et 5), il a été décidé de poser sur les anciennes fondations, qui jouent donc toujours leur rôle dans la solidité du bâtiment, de nouvelles fondations qui guident les modifications (bien qu’un peu plus minces : entre 0,70 m et 1 m) [23]. De plus, les plans apportent des éléments pour étayer l’hypothèse que l’occupation réelle est un niveau Houses 3. C’est là qu’a été retrouvée une crapaudine, à l’entrée de la pièce N43 : 14. De plus, un four a été retrouvé dans la pièce O43 : 6.

Tous les éléments développés jusqu’ici permettent maintenant de conclure sur l’évolution de cette maison au Dynastique Archaïque II par rapport à son environnement proche. Lorsqu’il a été décidé de construire le Temple Ovale, tout le quartier à l’Est de celui-ci (c’est le seul quartier fouillé qui puisse lui être stratigraphiquement raccordé) fut rasé et le terrain aplani à 38,10 m d’altitude pour la maison. Les constructeurs ne construisirent pas des maisons sans fondations, bien au contraire. La maison XXXIII-XXXIV fut équipée de puissantes fondations : 1,30 m de hauteurs pour près d’1,40 m d’épaisseur pour beaucoup d’entre elles. C’est-à-dire que l’on a construit des fondations aussi solides que pour celles du Temple Ovale : le sommet des fondations de la maison atteint une altitude de 39,40 m et celui des fondations du Temple Ovale au niveau de la maison atteint 39,40 à 39,50 m (car son altitude varie selon les endroits). Le niveau d’occupation, qui a disparu pour la maison, devait se trouver autour de 39,50 m car un sol de rue se trouve à cette altitude entre le Temple Ovale et la maison. Ce phénomène touche tous les autres bâtiments vers l’Est, dont le Temple de Sin. D’un point de vue des techniques de constructions, les fondations sont posées à l’air libre, et non creusées, puis les espaces sont comblés avec de la terre. On retrouve ici ce que J.-C. Margueron essaye de montrer dans un article précédemment cité : on crée une infrastructure urbaine compartimentée [24].

L’histoire urbaine de Khafaji au Dynastique Archaïque II ne s’arrête pas là. Cette première maison, du niveau 4a, est rehaussée. Les murs d’occupation sont rasés jusqu’au sommet des fondations et des nouveaux murs sont posés. Mais l’altitude d’occupation n’est plus aux environs de 39,50 m car on met en place de nouvelles fondations qui permettent de rattraper les quelques modifications architecturales qui ont cours pour cette maison, notamment un décalage des murs extérieurs de la maison. Le sol de la rue se trouve maintenant à 40 m d’altitude, tout comme les sols à l’intérieur de la maison. Le sol de l’annexe à l’Est se trouve à 40,10 m. D’après la coupe A-A’, il semblerait qu’il y ait existé un rehaussement du sol de la maison à environ 40,40-40,60 m d’altitude. On ne retrouve pas de niveau de rue sur la coupe A-A’ car c’est à cette altitude que passe la couche de cendre sur les premiers niveaux du Temple Ovale.

Est-il envisageable de considérer que le rehaussement de la maison, son passage au niveau 4b, aurait été suivi par le Temple Ovale et celui de Sin ? Il semble bien que oui. Ce niveau 4, qui correspond au Dynastique Archaïque II est délimité par un arasement et un aplanissement du terrain pour sa construction quand on descend dans le tell et par la couche de cendre quand on monte vers la surface du tell (Fig. 18). Ces deux délimitations sont très bien marquées pour la maison ; pour le Temple Ovale, la couche de cendre passe entre les murs de deux niveaux différents ; et pour le Temple de Sin, la couche de cendre passe sous le mur Sud-Ouest du niveau X et va buter contre les fondations d’un mur à l’intérieur du temple niveau X. Ici, il faut comprendre que le niveau X du temple est postérieur à la couche de cendre dans le cas d’un incendie, ou contemporain d’un dépôt volontaire de la couche. Donc, pour l’époque du DA II, on compte pour le Temple de Sin deux niveaux, VIII et IX. Pour la maison on compte deux niveaux, 4a et 4b. Et enfin pour le Temple Ovale, les coupes montrent deux niveaux (Fig. 10). Régis Vallet, dans sa thèse, explique bien que l’on a affaire à deux niveaux d’occupation du Temple Ovale avant l’apparition de la couche de cendres [25]. Tous ces bâtiments ont fait l’objet une première fois d’une construction ou reconstruction commune. On sait qu’ils en ont connu également une deuxième. On remarque que le rehaussement à l’intérieur de la maison est le même que celui de la rue qui la sépare du Temple Ovale. Si cela avait été dû au hasard, l’accumulation de déchets, l’écroulement de la maison à l’origine du rehaussement, les traces de sols n’auraient pas été aussi nets, mais surtout n’auraient pas correspondu entre la rue et l’intérieur de la maison. De plus, cette concomitance a sûrement été motivée par une forme d’urbanisme (l’infrastructure urbaine compartimentée) qui exige une certaine rigueur dans la gestion de l’évolution du bâti. Il serait étonnant que l’on ait laissé par la suite les bâtiments évoluer différemment. Ce rehaussement est sans doute volontaire et étendu à tous les bâtiments entre le Temple Ovale et le Temple de Sin compris.

Architecture domestique.

Le modèle des maisons sumériennes à espace central au Dynastique Archaïque

Dans la série des plans de maisons entre le Temple Ovale, dont la maison D qui se trouve à l’intérieur de son mur d’enceinte, et le Temple de Sin, le plan que semblent révéler les fondations de la maison XXXIII-XXXIV sort du lot. Par contraste en effet, la maison D, le niveau 4b de la maison XXXIII-XXXIV et la maison entre le Temple de Sin et le Petit Temple, à tous les niveaux, ont un plan qui s’organise autour d’un espace central plus ou moins carré et qui possède dans l’angle sud les deux principales pièces de la maison en taille (Fig. 5, 8 et 18). Le plan des fondations de la maison XXXIII-XXXIV au niveau 4a n’a rien à voir avec une telle disposition. Il est étrange que le parti pris pour cette maison soit si original. D’autant plus qu’en Mésopotamie les plans sont assez conservateurs : le modèle architectural dont nous parlons pour Khafaji se retrouve à Abu Salabikh [26] et Fara, et, avant le troisième millénaire, c’est le plan tripartite qui détermine les habitats. Nous allons montrer dans les lignes suivantes qu’en réalité cette maison, dès son premier niveau de construction (4a), est bien construite sur ce modèle à plan centré si caractéristique du troisième millénaire. Cette situation particulière nous apporte des éléments supplémentaires sur le rôle des fondations et sur le volume de la maison.

Tout d’abord, commençons par spécifier quel est ce modèle, reconnaissable à Fara [27] et à Abu Salabikh (Fig. 17). Régis Vallet et Jean-Daniel Forest, dans leurs études sur Abu Salabikh, traitent la question du plan [28]. En effet, ils le définissent ainsi : une maison qui s’organise autour d’une cour carré [29], où les deux pièces principales, qui forment le cœur de l’habitat, se positionnent l’une par rapport à l’autre en équerre dans l’un des angles de la cour (Fig. 17). Ces deux pièces servent, d’après les deux chercheurs français, au couchage et au séjour. Les maisons d’Abu Salabikh ont des escaliers mais ils servent à monter sur la terrasse : cela signifie qu’ils considèrent qu’il n’existe pas d’étage mais seulement une terrasse au-dessus du rez-de-chaussée.

Sur le site de Fara, trois maisons reprennent cette organisation [30]. Un espace central, carré, est accompagné de deux grandes pièces rectangulaires sur ses cotés. À Fara ces pièces ne sont pas toujours d’équerre mais la plus grande de ces deux pièces est toujours du coté Sud-Ouest de la cour. C’est un élément important à noter car on le retrouve à Khafaji.

Plan et essai d’organisation intérieure de la maison XXXIII-XXXIV

Les fondations de la maison XXXIII-XXXIV, comme on l’a vu plus haut, n’ont pas le même plan que les autres maisons de Khafaji de la même époque ni de celles d’Abu Salabikh qui sont construites sur le même modèle. On peut distinguer trois parties, la première au Sud, est une grande pièce (N 44 : 6) accompagnée dans sa partie Est, d’après les fouilleurs, d’une petite pièce (N44 : 11) dont n’ont été retrouvés que des morceaux. L’un d’eux est collé au mur Nord-Est, un autre est collé au mur sud-est : tous deux ne sont pas plus long que 0,50 m ; un autre morceau, situé à une soixantaine de centimètres du premier, est épais de 0,60 m et large de 0,50 m. Ils ressemblent plus à des contreforts, pour ceux collés aux murs, et pour le dernier à un pilier, qu’à des morceaux d’un mur unique. De plus, la tombe 100 fut construite en travers du mur restitué par les fouilleurs (Fig. 4) alors qu’elle est contemporaine de ce niveau. Une autre partie se trouve à l’Est : elle correspond à la maison XXXIII que les fouilleurs identifient, elle est composée de deux pièces, N43 : 23 et N43 : 21-O43 : 23. Pour cette dernière, rien ne prouve qu’elle ait été séparée en deux pièces comme proposé par les fouilleurs. Cet ensemble de pièces est perpendiculaire aux deux autres parties de la maison. La dernière partie se trouve à l’Ouest, elle regroupe quatre pièces de taille moyenne, entre 10 et 21 m2. Ce choix est dicté par la disposition de deux murs qui forment deux axes perpendiculaires, celui qui sépare la partie Est des deux autres parties et celui qui sépare les parties Sud et Ouest. Puisque les pièces N43 : 19 et N43 : 27 sont perpendiculaires à la pièce N43 : 20, les fondations semblent montrer que toutes les pièces sont organisées autour des deux pièces N43 : 20 et 22.

Ces deux pièces ne sont pas les plus grandes (14 et 21m2) : la pièce N44 : 6 mesure 42 m2 environ et la pièce N43 : 21-O43 : 23 mesure elle près de 56,5 m2. Ce n’est pas individuellement qu’il faut essayer de déterminer leur importance mais bien comme un ensemble. Ces deux pièces vues ensembles forment un carré quasi parfait : les angles sont droits, les cotés opposés ont la même longueur, 6,40 m pour le mur Nord-Ouest et son opposé et 6,60 m pour les deux autres murs. Le tout pour une superficie de 42,40 m2.

Plusieurs indices portent à croire que ces deux pièces sont en réalité les fondations d’un espace central. Tout d’abord il y a la forme, carrée, et les dimensions. On aurait là un espace central de 42,40 m2. Cette surface correspond à celle des différents niveaux de l’espace central de la maison entre le Petit Temple et le Temple de Sin oscillants entre 46 et 49 m2. Les cotés des espaces centraux à Abu Salabikh peuvent aller jusqu’à 6 m de coté [31]. Ensuite on remarque que le rehaussement de ce niveau, le niveau 4b, est organisé autour d’un espace central, et que celui-ci se retrouve juste au-dessus de ces deux pièces. Le fait que le rehaussement conserve un plan assez proche, notamment en gardant la pièce qui guide toutes les circulations dans la maison, est, il faut le croire, une évidence. La maison entre le Petit Temple et le Temple de Sin ne change guère son plan (Fig. 20), la maison D non plus [32]. Les habitants de Khafaji se servaient comme fondations des murs des maisons arasés pour les rehaussements, ne changeant fondamentalement pas les plans. Pour cette maison c’est évidemment le parti pris.

On peut se demander, dès lors, pourquoi avoir noyé un mur de fondation sous le sol de l’espace central sans qu’il serve à supporter un mur au niveau de l’occupation de la maison. Avant de l’expliquer, nous allons voir qu’il existe une autre fondation noyée dans cette maison. C’est le mur entre les pièces N43 : 19 et N43 : 23. En effet, la tombe 106, du niveau 4a, a attaqué ce mur lorsqu’elle fut creusée. Pour pouvoir creuser à cet endroit, il n’est pas possible qu’un mur ait existé à la surface, il aurait gêné et aurait perdu de sa stabilité.

L’explication se trouve dans la volonté d’assurer une meilleure stabilité à l’édifice, et notamment aux murs qui entourent cet espace. En effet, dans ce système, les quatre murs de l’espace central reçoivent, surtout en fondation, un mur en butée et quasiment perpendiculaire. La fondation à l’intérieur de l’espace central soutient les deux murs contre lesquels elle entre en contact ; la fondation noyée dans la pièce à l’Ouest de l’espace central vient soutenir son mur Sud-Ouest ; et enfin le mur de séparation entre N43 : 12 et N43 : 21 vient buter contre le mur Nord-Est de l’espace central. Il faut rajouter que la fondation noyée en N43 : 19-27 permet de soutenir le mur extérieur Ouest à l’endroit où il forme l’angle obtus qui le caractérise.

On se rend donc compte que ces fondations sont celles d’une maison organisée sur le même modèle que les autres maisons de Khafaji, d’Abu Salabikh ou de Fara. On rentre par le vestibule au Nord (N43 : 23) pour déboucher sur l’espace central. Y avait-il un passage direct vers N43 : 21-O43 : 23 ? C’est possible mais on voit au niveau 4b qu’il n’y en a pas, que les pièces dans l’angle Est sont autonomes, ce qui est probablement le cas au niveau 4a également. Depuis l’espace central on peut se rendre dans deux pièces disposées en équerre sur ses cotés Sud-Ouest et Sud-Est, N43 : 19-27 et N44 : 6.

L’organisation du plan des fondations du niveau 4a ayant été définie (Fig. 19), il est maintenant intéressant de préciser le rôle de chacune des pièces. Tout d’abord, la pièce N43 : 21-O43 : 23 est probablement autonome par rapport au reste de l’habitat, et fut peut-être utilisée comme atelier, comme le propose Régis Vallet [33]. En tout cas son organisation et son emplacement parfaitement intégré dans l’îlot que forme l’ensemble des fondations laissent difficilement penser que ce puisse être une maison indépendante du reste du bâtiment. De plus, on peut également observer une pièce, plus petite, dans la maison à l’Est du Petit Temple qui donne exclusivement sur la rue (Fig. 5). Pour cette dernière il est difficile de croire qu’elle fut une maison indépendante, d’autant plus qu’elle partage une canalisation avec l’espace central qui aurait très bien pu passer par le vestibule de la maison.

Pour ce qui est de l’espace central, c’est la présence d’une couverture ou non qui pose problème : est-ce une cour ou non ? Quatre indices permettent de pencher pour une cour. Pour ce qui est du niveau 4b on retrouve bien un drain qui se trouve dans le mur extérieur de la pièce (Fig. 5), ce qui est un indice sur la nature de l’espace central, et on sait que la maison après rehaussement était construite en suivant, dans les grandes lignes, le plan précédent. Par comparaison les maisons Est et D (Fig. 5 et 8) possèdent également des drains qui s’échappent de l’espace central. La maison D possède également une installation bitumée dans l’espace central [34]. Un autre élément est la nécessité pour les constructeurs de renforcer les murs de la pièce, notamment celui qui donne sur l’extérieur. En effet, si la pièce n’était pas couverte alors aucune chape ne pouvait rendre les murs plus solidaires à leur sommet [35], donc il fallait les renforcer à la base. Troisième point, cette maison partageant le même modèle architectural que les maisons d’Abu Salabikh, la nature de l’espace central devrait être la même. Et d’après les fouilleurs, et l’étude du sol qu’ils en ont faite, cette pièce serait une cour [36]. Enfin, le dernier point est lié à la relation entre cet espace central et les deux pièces en équerre qui se trouvent le long de ses parois Sud-Ouest et Sud-Est. La majorité des maisons de ce type reprennent cette disposition : à Fara une des pièces ne se place différemment que quelques fois [37], à Abu Salabikh seuls quelques cas ne respectent pas cette disposition (Fig. 17), mais à Khafaji la disposition est constante. Ces espaces centraux étant toujours orientés vers le nord, il semble que les pièces disposées d’équerre dans l’angle Sud de l’espace central soient édifiées ainsi par rapport à deux hypothèses, qui suivent la même logique, liée aux températures extérieures. La première étant de se placer au mieux par rapport aux courants d’air venant du nord. La seconde étant de se placer par rapport à la course du soleil. Les pièces de la partie Sud de la cour seront moins chauffées par le soleil que celles de la partie Nord, bénéficiant d’un peu plus de fraîcheur [38] (dans l’hémisphère Nord le soleil est plutôt orienté vers le Sud donc ses rayons éclaireront plus aisément la façade intérieure Nord de la cour). Bien évidemment, pour que cela puisse fonctionner, l’espace central ne doit pas être couvert.

L’ensemble de ces indices pousse à envisager l’espace central comme une cour.

Si cette interprétation est la bonne, on accède depuis cette cour aux deux grandes pièces disposées en équerre, qui ont chacune une seule porte, comme on peut le voir avec les autres maisons de Khafaji (Fig. 5 et 8). Pour ces deux pièces on pourrait se précipiter et proposer comme interprétation qu’elles puissent être les lieux de couchage, de repas ou encore de réception, le « cœur de l’habitat » [39], mais c’est sans compter sur le fait que les fondations de cette maisons sont très puissantes, 1,30 m de profondeur au moins (Fig. 14), et au moins 1 m de largeur. De plus, les constructeurs ont choisi de renforcer, dans les fondations, les quatre cotés de la cour perpendiculairement, ce qui paraît superflu s’il n’y a pas d’étage. Le problème est qu’il est difficile de localiser un escalier. Il est possible que les morceaux de murs de la pièce N44 : 11 n’aient jamais délimité une pièce et qu’ils permirent plutôt à un escalier en bois de s’élever jusqu’à l’étage. Les marches s’élèveraient depuis l’angle Nord de N44 : 6 vers l’angle Est de N44 : 11 puis tourneraient vers le Sud-Ouest jusqu’au contrefort qui délimite la partie sud de N44 : 11. Une autre solution pourrait être une échelle en bois disposée à un autre endroit de la maison, peut-être toujours dans N44 : 6 ou dans N43 : 19-27.

Si l’hypothèse d’un étage dans cette maison est pertinente, alors c’est à l’étage qu’il faudrait situer les pièces réservées à la famille, au repas et peut-être à la réception pour les personnes proches de la famille. De plus, l’espace représenté par la pièce N43 : 21-O43 : 23 à l’étage pourrait être accessible depuis le reste de la maison et offrir un plus grand espace à vivre. Cette interprétation ferait des pièces du rez-de-chaussée des lieux de stockage, de travail et même de réception pour les personnes qui ne seraient pas autorisées à avoir accès aux parties domestiques. Pourraient également y dormir, si les propriétaires en possédaient, des animaux ou encore des esclaves, dont l’existence n’est pas à exclure. Si l’hypothèse d’un étage n’est pas la bonne, alors ces deux pièces qui se trouvent dans la partie Sud de la cour peuvent être les pièces de réception, de repas et de couchage, mais l’espace de stockage reviendrait à manquer.

Au niveau 4b, après rehaussement (Fig. 20), l’entrée se fait au Nord comme précédemment, dans la pièce N43 : 2. De là trois choix s’offrent à nous, on peut tout d’abord se rendre dans une pièce à gauche, O43 : 6 (Fig. 6), équipée d’un four. Ensuite on peut se rendre dans une pièce en face, N43 : 14, celle-ci ne débouche nulle part ailleurs. Enfin on peut s’engager à droite dans la cour. Depuis cette cour trois choix s’offrent à nous, ce sont les deux pièces en équerre qui ici ont changé de forme et une petite pièce dans l’angle Nord-Ouest, N43 : 19 : cette pièce doit probablement servir au stockage, elle mesure près de 11 m2. Pour les deux pièces en équerre se repose la question de l’étage et de l’emplacement du « cœur de l’habitat », au rez-de-chaussée ou à l’étage. La différence avec le niveau 4a, c’est la disposition et les dimensions des pièces. Celle qui se trouve au Sud-Ouest de la cour (33,83 m2) est prolongée vers le Sud et possède en enfilade, passant derrière N43 :12, deux petites pièces N44 :5 et 7 (respectivement 7,87 et 6,9 m2). Mais ses dimensions restent semblables, 30,32 m2 au niveau 4a. Enfin la pièce située dans la partie Sud-Est de la cour, N43 :12, a rétréci, elle a une superficie de 24,78 m2 alors que N44 :6 avait une superficie de 42 m2. Enfin, dans la partie Est de la maison, deux pièces autonomes (O43 :3 et 14) donnent directement sur la ruelle qui sépare la maison du Petit Temple.

Ici encore la question de la présence d’un étage pose le problème de l’utilisation des pièces au rez-de-chaussée : forment-elles le « cœur de l’habitat » ou alors est-ce que c’est leur reproduction, au moins partielle, à l’étage qui accueille les fonctions de vie de famille ?

Conclusion.

L’étude de cette maison, et surtout de son infrastructure, nous permet de revenir sur plusieurs problématiques importantes dans l’étude de l’urbanisme et de l’habit urbain en Mésopotamie.

La première est la question de la planification de l’habitat et de la création d’une infrastructure urbaine compartimentée [40], où la structure et la stabilité des constructions ne sont pas laissées au hasard. Les fouilleurs de Khafaji avaient bien fait remarquer que les temples étaient puissamment établis sur des fondations à part entière ; cependant, l’avis était que l’habitat domestique était bien moins considéré et construit à même le sol sans fondations. Nous avons pu montrer pour la maison XXXIII-XXXIV que ce n’était bien évidemment pas le cas. Dès sa construction elle était établie avec des fondations aussi hautes que celles du Temple Ovale, contrairement à l’avis des fouilleurs qui indiquaient que ses fondations étaient disposées à la surface et dominaient le sol de la rue de près de 1,40 m [41]. Cependant, l’étude étant limitée à une seule maison, certains aspects de l’urbanisme, comme, par exemple, les niveaux antérieurs au Temple Ovale, les rehaussements à l’échelle du quartier (au moins), la question de la nature des rues, celle de la couche de cendres, n’ont pas été abordés. Cette étude nous a plutôt dirigés vers la question du rôle des fondations pour la maison elle-même et sur celle du plan à espace central du Dynastique Archaïque au pays de Sumer.

Les fondations nous ont appris que leur rôle dans la structure du bâtiment pouvait être varié, mais le plus évident est celui de base solide qu’elles offrent aux murs de la maison en surface. Ensuite, c’est l’apport à la stabilité du bâtiment sans intervenir dans la disposition des murs comme pour la fondation noyée au milieu de la cour du niveau 4a. La puissance des fondations nous a également permis de nous interroger sur la question de l’étage qui est importante si l’on veut comprendre comment étaient réellement organisées ces maisons.

En espérant que cette étude aura montré qu’il est encore possible, et nécessaire, de critiquer les anciennes publications, où certains points n’étaient pas abordés, ne faisant pas partie des problématiques de l’époque, ici le rôle des fondations pour la maison. Et d’autres points étaient victimes de préjugés ou clichés, comme par exemple l’idée que les niveaux d’habitations s’élevaient tout seul, au gré des écroulements des maisons et des remplissages des rues par les déchets laissés sur place (par des habitants peu soigneux) et par le sable porté par les vents.

Bibliographie.

Abréviations :

M.O.M. : Maison de l’Orient et de la Méditerranée.

O.I.P. : Oriental Institute Publications.

O.I.C. : Oriental Institute Communications.

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  • Régis VALLET, « La formation de l’habitat urbain en Mésopotamie : Abu Salabikh, une ville neuve sumérienne » in Franck BRAEMER, Serge CLEUZIOU et Anick COUDART, Habitat et Société. XIXe Rencontres Internationales d’Archéologie et d’Histoire d’Antibes, Éditions APDCA, Antibes, 1999, pp. 151-165.
  • Régis VALLET, « Khafadjé ou les métamorphoses d’un quartier urbain au IIIe millénaire » in Catherine BRENIQUET, Christine KEPINSKI (dir.), Etudes mésopotamiennes : recueil de textes offert à Jean-Louis HUOT, Recherche sur les civilisations, Paris, 2001, pp. 449-461.

Annexes.

Figure 1 – Plan d’ensemble du site. Pinhas DELOUGAZ et alii., Private Houses and Graves…, planche 1. Avec l’aimable autorisation de l’Oriental Institute of Chicago.

 

Figure 2 – Niveaux Houses 11 et 7. Pinhas DELOUGAZ et alii., Private Houses and Graves…, planches 3 et 7. Les niveaux intermédiaires sont semblables. Avec l’aimable autorisation de l’Oriental Institute of Chicago.

Figure 3 – Niveau Houses 6. Pinhas DELOUGAZ et alii., Private Houses and Graves…, planche 8. Avec l’aimable autorisation de l’Oriental Institute of Chicago.

Figure 4 – Niveau Houses 5. Pinhas DELOUGAZ et alii., Private Houses and Graves…, planche 9. Avec l’aimable autorisation de l’Oriental Institute of Chicago.

Figure 5 – Niveau Houses 4. Pinhas DELOUGAZ et alii., Private Houses and Graves…, planche 10. Avec l’aimable autorisation de l’Oriental Institute of Chicago.

Figure 6 – Niveau Houses 3. Pinhas DELOUGAZ et alii., Private Houses and Graves…, planche 12. Avec l’aimable autorisation de l’Oriental Institute of Chicago.

Figure 7 – Niveaux Houses 2 et 1. Pinhas DELOUGAZ et alii., Private Houses and Graves..., planche 14. Avec l’aimable autorisation de l’Oriental Institute of Chicago.

Figure 7 – Niveaux Houses 2 et 1. Pinhas DELOUGAZ et alii., Private Houses and Graves…, planche 14. Avec l’aimable autorisation de l’Oriental Institute of Chicago.

 

Figure 8 – Le premier niveau du Temple Ovale avec la maison D dans l’angle nord. Pinhas DELOUGAZ, The Temple Oval at Khafajah…, planche III. Avec l’aimable autorisation de l’Oriental Institute of Chicago.

Figure 9 – La section A-A’ entre le Temple Ovale et le Temple de Sin. Pinhas DELOUGAZ et alii., Private Houses and Graves…, planche 15. Avec l’aimable autorisation de l’Oriental Institute of Chicago.

Figure 10 – Les sections 7-7’ et 8-8’ du Temple Ovale. Pinhas DELOUGAZ, The Temple Oval at Khafajah…, planches VIII et X. Avec l’aimable autorisation de l’Oriental Institute of Chicago.

Figure 11 – Section A-A’ passant par le Temple de Sin. Pinhas DELOUGAZ, Seton LLOYD, Pre-Sargonid Temples…, planche 14. Avec l’aimable autorisation de l’Oriental Institute of Chicago.

Figure 12 – Les sections des tombes dans les maisons de Khafaji. Pinhas DELOUGAZ et alii., Private Houses and Graves…, planches 21 et 22. Avec l’aimable autorisation de l’Oriental Institute of Chicago.

Figure 13 – Tableau chronologique des ruines de Khafaji et d’autres sites proches selon les fouilleurs. Pinhas DELOUGAZ, Seton LLOYD, Pre-Sargonid Temples…, toute dernière page de l’ouvrage. Avec l’aimable autorisation de l’Oriental Institute of Chicago.

Figure 14 – Tableau de mesures des élévations des ruines de la maison XXXIII-XXXIV entre les niveaux Houses 6 et 4 à partir de la section A-A’.

Figure 15 – Photo prise dans une ruelle à Erbil en Iraq. Henri FRANKFORT, Iraq Excavations of the Oriental Institute 1932/33. Third Preliminary Report of the Iraq Expedition, the University of Chicago Press, Oriental Institute Communications 17, 1934, p. 6, Fig. 2. Avec l’aimable autorisation de l’Oriental Institute of Chicago.

Figure 16 – Tableaux de mesures des pièces des maisons, mesurées à partir des plans. On retrouve les mesures des maisons XXXIII-XXXIV et XXXII aux niveaux 4a et 4b.

Figure 17 – Reconstitution de plans de maisons à Abu Salabikh. Avec l’aimable autorisation de Régis Vallet. Régis VALLET, « La formation de l’habitat urbain… », Fig. 2 p. 155.

Figure 18 – Section A-A’ de la maison XXXIII-XXXIV après étude de ses ruines à partir de la Fig. 9.

Figure 19 – Reconstitution des superstructures disposées sur les fondations de 4a, avec proposition de localisation d’un escalier éventuel. Les fondations sont en blanc.

Figure 20 – Reconstitution du niveau 4b.