Qu’est-ce qu’un bureau ? Le dépôt des Affaires étrangères dans un long XVIIIe siècle

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Juliette Deloye

 


Résumé : L’historiographie a volontiers qualifié le dépôt des archives des Affaires étrangères de « bureau » du ministère prenant place dans la constitution de la monarchie administrative à la fin du règne de Louis XIV et de forteresse bien gardée, protégeant les secrets d’État, suscitant fantasmes et tentatives d’intrusion. Or, cette historiographie est tributaire de l’histoire du dépôt écrite par ses commis dès le XVIIIe siècle. En situant ces témoignages de la construction de l’État moderne dans leur contexte précis d’écriture, on les fait apparaître comme une ressource pour les acteurs du temps dans des rapports de pouvoir internes au ministère, et entre le ministère et l’extérieur. En étudiant les pratiques d’archives au sein du ministère, cet article modifie notre compréhension de ce qui constitue un service administratif ou un bureau, et contribue à plus large échelle à l’histoire des Affaires étrangères, de l’État et de l’administration.

Mot-clés : ministère des Affaires étrangères, archives, bureau, secret, lieu.


Juliette DELOYE, née le 22/11/1991, est doctorante en histoire moderne à l’université de Strasbourg, EA 3400 ARCHE /GRIHL et ATER à l’université Paul Valéry – Montpellier 3. Sa thèse, sous la direction d’Isabelle Laboulais (université de Strasbourg) et Nicolas Schapira (Université Paris Nanterre), s’intitule « L’écriture d’un ministère. Les Affaires étrangères, de la Monarchie absolue à la Restauration ». Publication récente : Deloye Juliette et Schapira Nicolas, « L’histoire au dépôt. Archivage et histoire au sein du ministère des Affaires étrangères (1720-1804) », in Pratiques d’archives à l’époque moderne. Europe, mondes coloniaux., Classiques Garnier, Paris, 2019, p. 159‑181.


Introduction

Soit une scène d’archives. À la recherche des sources qui lui permettront d’écrire l’histoire du dépôt des Affaires étrangères, un historien se rend aux archives diplomatiques de La Courneuve. La salle des inventaires l’oriente vers la série Direction des archives – les archives des archives –, dont la première cote désigne un volume relié qui renferme une dizaine d’histoires du dépôt écrites par ses commis entre 1720, une décennie après sa création, et 1804. Ces histoires, restées manuscrites, ont été conservées dans ce volume confectionné sous l’Empire au milieu des documents qui avaient servi à les écrire : états des bureaux, règlements et autres mémoires sur les archives. Des phénomènes de reprises d’une histoire à l’autre accentuent l’autoréférentialité du volume et distinguent les écrits du dépôt par leur forte continuité : produits dans des moments habituellement opposés – le premier XVIIIe siècle, la Révolution, l’Empire –, ils contiennent des discours comparables par-delà l’événement qui surgit fortement au moment de la Révolution. Dans cette scène, là où l’historien cherchait de l’archive, il trouve, déjà écrite, une histoire du dépôt du ministère. Cette forte naturalisation de l’histoire archivée a conduit les historiens à considérer comme une source ce qui était un fragment d’une histoire de l’État par lui-même[1]. C’est ainsi que l’historiographie a vu dans ce dépôt un bureau fortement institutionnalisé[2] et une forteresse destinée à protéger les secrets diplomatiques[3] – autant de représentations véhiculées à travers les écrits produits par les commis des archives au XVIIIe siècle.

Voilà longtemps toutefois, « c’est une évidence », que les historiens ne conçoivent plus « les archives comme des gisements de données vierges », affirment M. P. Donato et A. Saada[4]. Dans un article récent, elles retracent le chemin par lequel les historiens en sont venus à interroger les opérations culturelles, sociales et politiques qui constituent la mise en archive. Les travaux qui en ont découlé rappellent ce qui pourrait tenir là aussi de l’évidence mais qui a plutôt pris la forme d’une prise de conscience réflexive : les archives n’ont pas été écrites pour les historiens, elles ont une histoire qui influe en retour sur nos manières de faire de l’histoire[5]. Bien plus, ces travaux restituent les enjeux de pouvoir qui suscitent, accompagnent, constituent la production d’écrits et leur mise en archive[6]. Les écrits qui nous parviennent comme de l’archive procèdent en effet d’un usage propre dans le temps de leur production. Les archives ne sont pas le support du récit des événements, elles en sont des éléments intrinsèques, qui le travaillent autant qu’elles en découlent[7]. Les actions menées avec des archives constituent donc des moyens d’agir dans le cadre de luttes au sein des institutions[8].

S’intéresser aux pratiques d’archives au sein du ministère des Affaires étrangères permet de considérer les histoires endogènes du dépôt non comme de pures descriptions, d’autant plus susceptibles d’infuser nos représentations qu’elles ont été elles-mêmes mise en archives ; mais à nouveau comme de l’archive, comme l’archive d’une pratique d’écriture historienne. Le rapport entre la pratique historiographique et le lieu de sa production, mis en valeur par M. de Certeau, a été appliqué à l’histoire des lieux par des historiens proches de la micro-histoire : le savoir historiographique – les histoires en tant qu’elles constituent une historiographie – est une production du lieu, il dépend de son lieu d’énonciation[9] ; l’histoire des lieux dépend donc non seulement de son lieu d’énonciation – elle est un produit du lieu, mais elle est aussi localisatrice, productrice d’assignations à des lieux [10]. Pour être compris, les écrits sur le dépôt gagnent à être rattachés à leur lieu de production, ce qui revient à prendre en compte le fait qu’ils ont été produits dans le lieu-même dont ils parlent. Les pratiques d’archives permettent ainsi d’appréhender la manière dont le dépôt s’est construit matériellement en même temps qu’il s’est construit comme un lieu d’écriture de sa propre histoire ; et réciproquement, comment l’écriture de l’histoire qui en découle a été productrice de ce lieu, établissant sa première historiographie. Notre compréhension de ce qui constitue un bureau – à la fois subdivision administrative et espace de travail – ou une administration s’en trouve modifiée. À partir de l’observation des usages des archives du ministère, on contribue en effet à plus large échelle à l’histoire des Affaires étrangères, de l’État et de l’administration.

L’institution du dépôt : une opération d’écriture

État des lieux

Dans un mémoire écrit par le garde des archives des Affaires étrangères Claude Gérard Sémonin (1772-1792) en 1787, on peut lire :

La collection du département des affaires étrangères, commencée à Versailles par M. de Croissy, déposée sous le ministère de M. de Torcy dans le couvent des Petits Pères, placée peu après au Louvre dans le Donjon qui est au-dessus de la Chapelle, a été transportée à Versailles au mois de mars 1763 dans les salles de l’hôtel des Affaires étrangères[11].

Le dépôt des Affaires étrangères a déménagé trois fois dans la première moitié du XVIIIe siècle. Sémonin fait remonter l’origine des archives à l’existence d’une collection – les recueils faits par le secrétaire d’État Croissy (1679-1696) de ses papiers et de ceux de ses prédécesseurs, Lionne (1633-1671) et Pomponne (1672-1679) – et non à l’existence d’un dépôt, c’est-à-dire d’un lieu où conserver cette collection. C’est en 1710, sous Torcy (1696-1715), qu’un lieu propre est affecté aux archives des Affaires étrangères à Paris, alors que le ministère est à Versailles. Le dépôt se trouve ainsi dissocié du ministère et ce jusqu’à la fin de la construction de l’hôtel de la Guerre et des Affaires Étrangères à Versailles en 1760[12]. Après l’écriture du mémoire de Sémonin en 1787, les archives ont encore déménagé. À la suite du retour du roi à Paris en octobre 1789, les ministères quittent Versailles. Le ministre Montmorin (1787-1789) loue deux hôtels particuliers faubourg Saint-Germain[13]. Deux ans plus tard, Delessart (1791-1792) fait déménager le ministère dans un hôtel de l’actuelle rue Laffitte, qui déménage à nouveau le 6 mai 1795, dans l’hôtel Gallifet rue de Grenelle[14]. En ce qui concerne les archives, depuis 1789, elles étaient demeurées à Versailles. Le 16 décembre 1795, à la suite d’une décision de Delacroix (1795-1797), elles commencent à être transférées vers l’hôtel Gallifet et donc à rejoindre le ministère, ce qui est chose faite au mois de mars suivant. La place manquant, elles déménagent en 1798 dans l’hôtel Maurepas, qui communique par le jardin avec l’hôtel Gallifet. Mais ce dernier avait été affecté aux Affaires étrangères en tant que bien d’émigré et, en 1822, se trouve restitué aux héritiers du marquis de Gallifet[15]. Le ministère s’installe alors dans l’hôtel de Wagram, boulevard des capucines, tandis que les archives s’établissent rue des capucines, dans un hôtel qui communiquait avec le ministère par un jardin[16].

Date Lieu du dépôt Lieu du ministère
1710 Couvent des Petits Pères puis Louvre, Paris Versailles
1763 Hôtel de la Guerre et des Affaires étrangères, Versailles Hôtel de la Guerre et des Affaires étrangères, Versailles
1789 Hôtel de la Guerre et des Affaires étrangères, Versailles Faubourg Saint-Germain, Paris
1792 Hôtel de la Guerre et des Affaires étrangères, Versailles Rue Laffitte, Paris
6 mai 1795 Hôtel de la Guerre et des Affaires étrangères, Versailles Hôtel Gallifet, rue de Grenelle, Paris
Mars 1796 Hôtel Gallifet, rue de Grenelle, Paris Hôtel Gallifet, rue de Grenelle, Paris
1798 Hôtel Maurepas, rue du Bac, Paris

(l’hôtel Maurepas communique par le jardin avec l’hôtel Gallifet)

Hôtel Gallifet, rue de Grenelle, Paris

Tableau 1 Lieux successivement occupés par le dépôt et le ministère des Affaires étrangères

Pour situer les lieux occupés par les archives, il a fallu examiner ce que les commis du dépôt en avaient écrit. Selon Sémonin en 1787, l’histoire du dépôt commence au « couvent des Petits Pères » – les Augustins déchaussés–, à proximité du Palais Royal et de la place des Victoires. Bien avant lui, en 1720, le garde du dépôt Nicolas Le Dran (1711-1762)[17] en retraçait l’origine, sans évoquer le couvent des Augustins :

[L]es volumes […] se trouvèrent en 1710 multipliés considérablement, Mr le M[ar]quis de Torci […] après avoir obtenu du roi, Louis 14 le Cabinet dans le dongeon au dessus de la chappelle du Louvre a Paris, pour les y deposer et conserver soigneusement, le soin en fut alors confié au Sr de St Prêt […][18].

Selon Le Dran, témoin de la création du dépôt, les archives sont passées directement de Versailles au Louvre. Les écrits de la première moitié du XVIIIe siècle ne mentionnent pas le couvent des Petits Pères et l’historiographie sur le couvent non plus[19]. Le premier document du ministère à évoquer ce lieu est un mémoire de 1761 – 50 ans après les faits relatés –, écrit par Le Dran et dans lequel il recopie successivement un extrait du journal du marquis de Dangeau et « une note écrite de la main du Duc de St Simon vers l’année 1736 », qui retracent tous deux la naissance du dépôt[20]. C’est dans la note du duc Saint-Simon que le couvent est évoqué, sous la forme d’une addition au journal de Dangeau qui, lui, ne le mentionnait pas[21]. Or en 1761, les papiers du célèbre mémorialiste viennent justement d’être déposés aux archives des Affaires étrangères, Le Dran les a sous les yeux en écrivant.

Le Dran recopie Saint-Simon mais cela ne vaut pas adhésion, car une note dans la marge nuance son propos : « L’hotel du M[arqu]is de Croissi occupée par le M[arqu]is de Torci son fils etait dans la rue Vivienne sur le jardin des Petits peres, et avait une porte dans ce jardin »[22]. Il ne contredit pas le duc mais, sous la forme bienséante d’une précision, laisse ouvert un champ d’interprétations. L’hôtel de Torcy communiquait en effet avec le couvent. Soit les archives des Affaires étrangères ont été entreposées un court moment dans cet hôtel, que Saint-Simon confondrait avec le couvent, avant de rejoindre le Louvre ; soit la confusion du duc serait à chercher du côté de la Marine, puisqu’au début du XVIIIe siècle on trouve en effet dans le pavillon du jardin des Augustins déchaussés, le dépôt du secrétariat d’État à la Marine. L’hôtel de Pierre Clairambault, le généalogiste du roi, est à deux pas, ainsi que le lieu de résidence d’Eusèbe Renaudot, propriétaire de la Gazette[23]. Des papiers ayant à voir avec les relations internationales de la France circulent sans aucun doute à cette époque dans cet espace. Le Dran, dans son mémoire historique en 1761, se pose en historien continuateur de Saint-Simon et le mobilise pour légitimer sa propre écriture du dépôt. Il ne le contredit pas, mais insinue poliment une nuance dans la marge, ce qui témoigne des difficultés à situer l’origine du dépôt et de l’enjeu que cela représente pour les commis. Après lui, les gardes ont situé la naissance du dépôt au couvent des Petits Pères, dans ce qui constitue sa première et durable historiographie, et dont Saint-Simon est donc, semble-t-il, à l’origine[24].

Les archives, un bureau ?

Le récit de la topographie des archives des Affaires étrangères révèle deux éléments : les nombreux déménagements du dépôt et donc la multiplicité des lieux qu’il a occupés au cours du temps ; une dissociation entre les lieux occupés par le dépôt et ceux occupés par le ministère. De la naissance du dépôt à son emménagement au Quai d’Orsay en 1850, les années 1763-1789 et 1796-1798 sont les seuls moments où il occupe réellement le même bâtiment que le ministère. Alors qu’une institution est communément identifiable par son lieu – on parle aujourd’hui du « Quai d’Orsay » pour désigner, par métonymie, le ministère – le dépôt a occupé des bâtiments variés dans le premier demi-siècle de son existence[27]. Ces éléments nous éloignent de l’identification forte entre lieu, institution et autorité politique et pourtant, ce dépôt comme ceux des autres secrétariats d’État créés au tournant du XVIIIe siècle – de la Marine en 1699, de la Guerre en 1701 – est souvent considéré comme un élément déterminant dans la mise en place d’une bureaucratie ministérielle au temps de la monarchie administrative[28].

Que serait un bureau auquel on confierait les documents transformés en archives parce qu’ils ne sont plus utiles aux affaires ? La distinction spatiale entre dépôt et ministère implique en effet un tri entre les papiers, qui recouvre une séparation fonctionnelle entre ceux jugés utiles au service du ministère – les papiers récents – et ceux qui ne le sont plus – les papiers anciens, selon une distinction entre documents et archives[29]. À la fin de la Régence, le Cardinal Dubois, principal ministre, demande à Le Dran de faire revenir à Versailles – c’est-à-dire au ministère – les papiers « nécessaires ». Le Dran le raconte ainsi à Choiseul, qui vient de prendre la tête du ministère, en 1759 :

Lorsqu’en 1722 Sa M[ajes]té ayant resolu d’etablir a l’exemple du Roy Louis son bisayeul, la residence de sa Cour a Versailles, le C[ardin]al du Bois voulut que j’y fisse transporter dans un bureau qu’il m’avait destiné, ceux des volumes du depost qui pouraient estre les plus necessaires pour le courant des affaires[30].

Toutefois, dans le même mémoire, Le Dran revendique pour le garde des archives – lui-même –un logement au Louvre où sont les archives « pour estre à portée d’envoyer promptem[ent] les volumes ou pieces qui seraient demandées de Versailles » – au ministère. Au moment de demander davantage de personnel pour son dépôt, il décrit aussi les travaux que le ministère demande aux archives : « et cependant nous n’avons que deux commis apointés du Roy pour nous aider dans la confection des tables, extraits et copies à faire pour subvenir a ce qui est souvent demandé des bureaux de Versailles ». Le ministère a besoin des papiers restés à Paris. Dans ce mémoire à l’attention de Choiseul, la séparation entre les papiers nécessaires et les autres n’est pas évidente, elle est flottante ; elle est aussi transcendée par la mise en scène par Le Dran de sa propre nécessité, dans un récit à la première personne où celui qui dit « je » tient la plume : plus que certains papiers, c’est lui-même qui est nécessaire au ministère. On voit que l’écriture du dépôt comme bureau est prise dans les rapports sociaux entre commis et ministre.

En juin 1797, alors que les archives et le ministère viennent d’être réunis, un commis du dépôt écrit au ministre :

[On] ne craint point d’avancer que le nombre des employés attachés aux Archives n’est point proportionné au travail actuel. Il est manifeste que, depuis leur translation à Paris, elles sont devenues une division politique si active par les demandes de tout genre des chefs des autres divisions et du public, que, pour y satisfaire ponctuellement, il a fallu abandonner la confection des tables analytiques des diverses correspondances […][31].

Selon ce commis, c’est la réunion des archives et du ministère dans un même lieu (« Paris », à l’hôtel Gallifet) qui fait des archives une « division » – équivalent de « bureau ». Qualifier les archives de division politique les place en haut de la hiérarchie des bureaux – les divisions politiques s’occupent de la correspondance entre le ministère et les ambassadeurs–, alors que les commis des archives semblent pâtir d’un manque de reconnaissance par rapport à ceux des autres bureaux. Le dépôt aurait, en rejoignant le ministère, changé de fonctions et ses employés auraient changé de travail. Mais cette description s’inscrit dans une demande de moyens financiers et humains faite au ministre pour le service des archives, dans un manuscrit à la présentation particulièrement soignée – il comporte une page de garde par exemple. L’intégration du dépôt au travail proprement diplomatique est mise en valeur pour justifier la nécessité d’augmenter son personnel. L’association du dépôt à un bureau, dans laquelle on lit souvent un élément important de la construction de l’État moderne, est donc d’abord le fait des acteurs, dans le cadre d’une revendication écrite. À suivre l’auteur de ce mémoire, le dépôt lorsqu’il n’est pas au ministère est éloigné du travail des bureaux, ce qui déplace l’association courante entre la création des dépôts et la bureaucratisation des administrations. En 1759 comme en 1797, la représentation du dépôt en bureau à travers la description des tâches effectuées pour le ministère par les commis des archives est prise dans une revendication de privilège – un logement –, de place, de personnel ou d’appointements. Pour le dépôt, essayer d’exister comme bureau est une ressource pour obtenir les mêmes moyens qu’un bureau.

Bureau et patriotisme : le moment 1789-1795

Entre temps, l’histoire du dépôt avait été marquée par une rupture importante. En 1789, le dépôt n’a pas suivi le roi et le ministère à Paris, ce qui a valu au ministère d’être soupçonné d’avoir laissé ses papiers à l’abandon[32]. Selon F. Masson, les raisons pour lesquelles le dépôt serait resté à Versailles sont matérielles : on attendait de trouver les bonnes conditions pour l’accueillir à Paris. L’emménagement du ministère à l’hôtel Gallifet ne suffit cependant pas à expliquer que le dépôt l’y ait rejoint en 1795, comme l’indiquent les alertes du garde Nicolas Geoffroy sur l’insuffisance du local destiné à accueillir les archives[33]. A. Baschet, dont l’ouvrage est contemporain de celui de F. Masson[34], n’en disait pas plus et depuis, la période 1789-1795 fait figure d’ellipse dans les travaux[35].

On pourrait relier le déménagement de 1795 à un mouvement plus large de réorganisation des archives suite à la loi du 25 juin 1794. Mais cette « charte constitutive des archives de France »[36], ne paraît pas avoir concerné le dépôt des Affaires étrangères. Un rapport du commissaire[37] des Relations extérieures Philibert Buchot en 1794 affirme :

[Le dépôt] est actuellement à Versailles parfaitement établi quant à la localité, mais un décret ordonne la translation à Paris ; peut être sera-t-il difficile de trouver un emplacement aussi convenable et la depense qu’entraine ce changement sera sans doute considérable, mais il n’en faut pas moins conserver l’établissement en lui-même et continuer à l’entretenir avec le même soin[38].

Il est possible qu’on ait laissé le dépôt à Versailles pour le préserver. La commission revendique à nouveau le transfert du dépôt à Paris en novembre[39], mais le commissaire André-François Miot (1794-1795) se voit opposer la résistance du garde Geoffroy, qui insiste sur l’importance de fixer les archives à l’abri du feu et de l’humidité, dans un local d’une seule grande pièce de plein pied, pour éviter aux commis des pertes de temps ; ce que l’hôtel Gallifet où se tient le ministère, ne peut offrir. Le garde conclut ainsi son mémoire :

On observera encore que pendant 53 ans, depuis 1710 époque de la formation du dépôt à Paris, jusqu’au moment de sa translation à Versailles en 1763, le service des bureaux ministériels n’a point souffert, quoique éloigne alors, comme aujourd’hui, de 4 lieues, et de 15 à 20 lieues pendant les voyages de Fontainebleau et de Compiègne[40].

Par ces lignes, seul exemple à notre connaissance d’écriture de la distance qui sépare le dépôt du ministère au XVIIIe siècle, Geoffroy affirme que cette distance ne nuit pas au service. En sollicitant le maintien du dépôt à Versailles, il revendique aussi l’autonomie du dépôt vis-à-vis du ministère. Finalement, le ministre Delacroix ordonne la translation du dépôt à Paris le 14 décembre[41]. Or on sait d’après F. Masson que Geoffroy fut peu après chassé du dépôt comme complice de l’insurrection royaliste du 5 octobre 1795[42]. L’autonomie du dépôt versaillais serait-elle à chercher dans sa constitution en bastion royaliste ? En mars 1792, le garde Sémonin avait fait l’objet d’une dénonciation de la part d’un citoyen de Versailles dénommé Genton, qui écrivait au ministre Dumouriez (1792) :

Monsieur, il y a un de vos burau sur lequel vous n’avez pas porté vos regards ou il regne la plus affreuse aristocratie, […] l’on socupe plus souvent au dépôt des affaires etrangeres, a faire des extraits pour le Journal de la cour et de la ville, la gazette de paris et l’amie du Roi, que des affaires de la nasion. je vous dénonce sur tout le chef de ce bureau comme le plus enragé de tous les aristocrate. la preuve de ce que javance c’est que rien na pu encore le forcer a prendre la cocard nasionale […]. il a eu peu de tem le moniteur, mais la lecture de ce journal lui donnait des convultions. il y a quelque chose de pire que tout cela c’est que monsieur simonin qui coute 24 à 30 mille livre par an a la nation ne fait pas dans le courant de son année pour 24 livre de travail à payer très généreusement, il necrit surement pas pour le service de son bureau la valeur d’un cahier de paier [sic] à lettre, il socupe mais cest a sa campagne a planter […] des arbres et à chasser dans son parc. […] il vient a versailles tout les huit jours des foit tout les trois semains quelque fois un mois. […] débarassez vous monsieur d’un de nos grands ennemit et mettez en leur place des hommes patriotes que la nation payera avec plaisir et qui la serviront bien […][43].

On le lit entre les dernières lignes, la dénonciation de Genton est peut-être aussi de sa part une demande d’emploi au dépôt, ce qui sème un peu plus de trouble sur un écrit produit dans l’ère du soupçon[44], ou les écrits de suspicion peuvent eux-mêmes faire l’objet d’une suspicion. Le dépôt est assimilé à un bureau, dans une opération d’écriture qui vise à prémunir le service du ministère d’un mauvais fonctionnaire : comme bureau, le dépôt se doit d’être peuplé d’agents républicains et patriotes. La dénonciation passe par la description du travail effectué au dépôt pour la presse royaliste et contre-révolutionnaire, de l’oisiveté du garde absent et du coût qui en découle pour la nation, mais aussi de son refus de porter la cocarde en un temps où les vêtements sont, comme le langage employé ou le travail, un critère de patriotisme[45]. L’hypothèse du dépôt comme bastion royaliste est à nuancer car, outre la singularité du témoignage, si le dépôt est d’abord accusé dans son ensemble, la dénonciation se resserre finalement sur Sémonin, qu’il faut remplacer, et pourquoi pas, par l’auteur de la lettre[46]. Même si le Comité de Salut Public a pu vouloir neutraliser le dépôt en le ramenant de Versailles à Paris en 1794, ces dénonciations ayant eu lieu en 1792 n’expliquent pas pourquoi le déménagement n’a pas été réalisé avant fin 1795. La résistance des gardes conjointement à la recherche d’un bâtiment convenable peuvent l’expliquer ; et si finalement, le transfert a lieu dans un bâtiment inadapté, c’est peut-être qu’il fut mis un terme brutal à la résistance de Geoffroy en réaction aux dénonciations qui l’acculaient.

Les écritures variées du dépôt comme bureaux déplacent le questionnement qui consisterait à étudier les usages du dépôt-rouage de l’administration, vers celui de l’institution du dépôt comme bureau à travers des pratiques d’écriture. On se donne ainsi les moyens d’observer ce qui « fait lieu » au dépôt des Affaires étrangères, si ce n’est un bâtiment dédié de manière pérenne : une pratique continue d’écriture du lieu.

La construction d’une fiction : le dépôt des Affaires étrangères, lieu du secret

La communication des archives : anatomie d’un volume

En produisant des histoires, les commis font aussi du dépôt une ressource pour l’écriture de l’histoire. Dès le XVIIIe siècle, des historiens extérieurs au ministère ont ainsi sollicité la communication de ses archives. En témoigne le volume relié « Communication des pièces des archives 1752-1830 » conservé dans la série des archives du ministère[47]. Une première partie de ce volume rassemble des écrits normatifs qui rappellent l’interdiction de communiquer des archives à toute personne étrangère au dépôt, agents du ministère compris, sans autorisation du ministre. Ils ont été produits entre 1808 et 1830, principalement par Maurice d’Hauterive, garde des archives de 1807 à sa mort en 1830. Une seconde partie rassemble des dossiers qui portent le nom des individus ayant sollicité la communication d’archives. Ils contiennent parfois leurs demandes et de manière plus systématique, les réponses du garde du dépôt, signifiant presque toujours un refus de communiquer les archives. Ces dossiers s’échelonnent de 1752 à 1830 mais 33 dossiers sur 41 datent de la période où d’Hauterive est garde des archives. On peut voir dans la mise en volume de ces refus de communication la construction d’un savoir historiographique par d’Hauterive, pré-écrivant l’histoire du ministère ; en effet, c’est sur ce volume que s’est appuyée l’historiographie du ministère depuis la seconde moitié du XIXe siècle pour construire l’image d’un dépôt-forteresse[48].

Or, à y regarder de plus près, la construction du dépôt des Affaires étrangères comme un lieu dont rien ne sort est une fiction. Les demandes de communication ont beau être refusées, cela ne signifie pas que les archives ne sortent pas du dépôt d’une manière ou d’une autre : prêt, consultation, réalisation d’extraits ou de copies – le sens du terme « communication » fait précisément l’objet de conflits entre les gardes et les visiteurs. Cette contradiction apparente entre des lettres et des règlements qui refusent de communiquer et une communication effective peut être résolue en prenant en considération la proposition de M. de Certeau, selon laquelle le savoir historiographique dépende de son lieu d’énonciation[49]. La délocalisation de ces écrits, l’oubli de leur lieu d’énonciation dans l’étude qui en a été faite et qui est consécutive de leur mise en archives (la mise en archives – en lieu – paradoxalement, produit là de la délocalisation), a favorisé la mise en valeur du dépôt comme un lieu une forteresse dans l’historiographie[50].

Parmi les dossiers nominatifs, le volume relié conserve celui de Pierre Édouard Lemontey, historien à qui Napoléon confie en 1808 l’écriture de l’histoire de France sous les règnes de Louis XV et Louis XVI. La commande de l’Empereur ne rend pas la communication des archives évidente, et d’Hauterive est chargé par le ministre Champagny (1807-1811) d’un rapport sur les enjeux de cette communication[51]. Fort de son expérience au ministère et produisant par ailleurs tous les règlements de l’institution à cette période – il était auparavant chef de division politique et siégeait au Conseil d’État depuis 1805 –, d’Hauterive ne se contente pas de répondre à Lemontey, il institue[52] : « je prie Votre Excellence de me permettre de lier la décision que je dois lui demander sur le fait particulier de la réclamation qu’elle m’a renvoyée, à la discussion de la règle générale qu’il est dans l’intérêt de mes devoirs de chercher à faire établir », écrit-il à Champagny en décembre 1808[53]. Son rapport contient un refus de communiquer les archives en général, mais aussi une autorisation de communiquer à Lemontey ce qu’il demande. Après trois pages d’écriture du refus, d’Hauterive précise : à condition que Lemontey ne cherche pas lui-même dans les volumes, mais qu’on lui transmette sur place les pièces précisément demandées, si elles ne sont pas directement en lien avec les affaires du temps, la communication peut être accordée.

La carrière de d’Hauterive est longue (23 ans aux archives) et il a produit un volume entier de règlements et de rapports sur l’interdiction de communiquer des archives, arguant de la protection du secret des affaires, ce qui tend à occulter le fait que ces écrits s’inscrivaient souvent dans le cadre d’une communication. Le repérer permet de déplacer les questionnements sur la protection effective ou non du secret, sur les modalités de rétention de l’information dans les monarchies modernes[54], vers les usages sociaux du secret : à quoi cela sert-il de construire par l’écriture le dépôt des archives des Affaires étrangères comme le lieu de la protection du secret diplomatique si ce n’est pas, ou pas seulement, à le protéger ? À travers l’écriture du refus de communiquer les archives, le garde publie le dépôt comme lieu où est gardé le secret diplomatique. Ces écrits circulent dans l’entourage du ministre des Affaires étrangères, du chef de l’État, et bien sûr auprès des historiens qui sollicitent la consultation d’archives.

La publication du secret comme principe de gouvernement

La démarche de Lemontey indique qu’en 1808, lorsqu’un individu veut écrire de l’histoire, il se rend aux archives. La singulière richesse du dépôt des Affaires étrangères est mise en avant comme un argument dans la lettre que Fouché, ministre de la police, écrit à Champagny pour recommander Lemontey – ce dernier travaillait en effet au service de la censure, dans le ministère de Fouché :

Il a paru convenable, Monsieur le Comte, aux vues de Sa Majesté, de faire continuer l’histoire de France commencée par Vely. S. M. a daigné en charger Mr Lemontey, et m’a expressément autorisé à lui faire ouvrir les dépôts et archives du gouvernement. Votre Excellence sentira que sans un tel secours, une histoire moderne, abandonnée aux fausses lueurs des gazettes, et d’un trop petit nombre de mémoires particuliers, ne saurait jamais être classique et digne des hautes pensées de S. M. La source la plus indispensable pour un historien est le dépôt des relations extérieures […].[55]

De son côté, d’Hauterive retourne terme à terme ces arguments pour défendre un usage des archives interne au ministère :

J’ai toujours pensé, Monseigneur, que les archives n’étaient point un dépôt commun pour les travaux de l’histoire. Les journaux, les rapports officiels, les actes publics, les mémoires mis au jour par les contemporains sont les seules sources où les hommes qui s’imposent volontairement la tâche de consigner les évènements de leur temps ou ceux des temps passés, doivent puiser. […] Les moyens particuliers d’instructions que le gouvernement possède lui appartiennent en propre […] [56] .

Pour d’Hauterive, le dépôt n’est pas public et les archives des Affaires étrangères ne peuvent servir de sources qu’aux travaux d’histoire réalisés par les commis du ministère pour le ministère. Les archives sont à usage interne, contrairement aux gazettes où Lemontey peut puiser. C’est la réponse qu’avait fait en son temps Colbert à François Charpentier chargé par Louis XIV d’écrire l’histoire de son règne, et les historiens que sont d’Hauterive et Lemontey le savent sans doute, l’épisode étant raconté par Charles Perrault[57]. C. Jouhaud a identifié dans ce point de blocage – l’accès aux sources – une des causes de l’impasse dans laquelle se sont trouvés les historiographes du règne de Louis XIV. Un siècle et demi plus tard, on voit encore s’affronter deux conceptions des archives : les archives comme sources de l’histoire et les archives comme ressource pour l’action des ministres, qui sont aussi un secret que l’on garde. Cette tension entre usage externe et interne est révélatrice d’une contradiction inhérente aux archives, mise en valeur par F. de Vivo à propos des archives de Venise : elles sont secrètes et pourtant, leur conservation suggère leur exploitation[58].

La protection du secret est le principal argument utilisé par d’Hauterive pour exprimer son refus de communiquer des archives. Il répète craindre la « publicité » des papiers à la fois pour la réputation des agents diplomatiques et pour celle des grandes familles liées aux événements politiques. Les archives communiquées pourraient « fournir dans la période la plus épineuse d’une négociation […] des armes dangereuses aux puissants ennemis […] de la politique du gouvernement » écrit-il[59]. L’association des écrits à des « armes » signifie à la fois le pouvoir de l’écrit et son statut quasi-juridique – c’est l’écrit comme preuve. D’Hauterive a conscience qu’ils peuvent être retournés contre le dépôt :

Il ne peut être sans danger dans aucune circonstance de donner à qui que ce soit un accès indéterminé à toutes les espèces de collections qui peuvent se trouver au dépôt, car cette communication entrainant la faculté de faire des extraits, il est probable qu’elle donnera lieu, soit immédiatement, soit par la suite, à publication de faits ou de maximes qu’il peut être dans l’intention du gouvernement de laisser ignorer[60].

D’Hauterive produit du flou en étant imprécis (« qui que soit », « indéterminé », « les espèces de collections »), ce qui lui permet, au nom du « danger », d’ériger le refus de communiquer en principe général et d’appliquer des ajustements selon les cas. Le danger est le suivant : dès lors qu’ils sont sortis du dépôt, les écrits circulent et leur destin échappe au garde. D’Hauterive témoigne d’un savoir de la circulation, alors qu’il doit précisément argumenter face à Lemontey, censeur impérial, expert en circulation de l’écrit, du moins officiellement habilité à dire ce qui peut circuler. Le secret diplomatique n’est pas seul en jeu ; à bien le lire, la construction de l’identité des grands commis d’État mis en concurrence est au cœur de ce rapport. Reste qu’en dépit des propos de d’Hauterive, les archives sortent du ministère.

L’efficacité de son argument est donc à chercher ailleurs : écrire sur la protection du secret diplomatique, c’est pour le moins publier le secret comme principe de gouvernement[61]. Pour d’Hauterive, la crédibilité du ministère vis-à-vis des puissances étrangères passe par sa représentation, dans l’écriture, comme un lieu qui tient secrètes les traces des négociations entre les États. Publier la défense du secret diplomatique ne permet pas tant de défendre effectivement ce secret, que de publier que les archives sont un lieu sûr. D’Hauterive dédouane le ministère d’une faute politique, pour ses contemporains et la postérité. On a vu l’efficacité historiographique de l’argument du secret, à partir duquel les historiens ont fait de d’Hauterive le bâtisseur d’une forteresse. En cela, les rapports du garde se contredisent eux-mêmes : ils publient que rien ne sort du dépôt, or pour être valables comme publication il faut qu’eux-mêmes, archivés, sortent du dépôt ; il faut accéder à ces archives qui prétendent qu’on ne doit pas accéder aux archives. L’important est donc autant de garder le secret que de dire qu’on le fait, ce qui fait apparaître l’archivage non comme une pratique de mise hors circulation mais comme une publication.

Défendre le secret, défendre son travail

La communication des archives est un terrain qui nous permet, à la suite des travaux de F. de Vivo notamment, d’envisager les archives non comme un lieu clos sur lui-même mais dont le fonctionnement est le fruit d’un « compromis » avec le monde extérieur[62]. Pour bien comprendre ce qui se joue dans la publication du secret, il faut pourtant envisager que la communication des archives est aussi aux prises avec des rapports de pouvoir internes au ministère. En l’occurrence, les écritures du refus sont pour d’Hauterive une occasion de défendre auprès du ministre le travail des commis et le sien en particulier. Cela implique tout d’abord de faire entrer son action de défense du secret dans le domaine de la fidélité en en offrant un témoignage au ministre et à l’Empereur. Toujours dans le même rapport de décembre 1808, d’Hauterive écrit :

D’après ce qui m’a été dit, il parait que ces ordres émanent de Sa Majesté même. Il est vrai que rien n’indique que l’intention de Sa Majesté soit que M. Lemontey puisse recueillir les renseignements nécessaires à son travail partout où ces renseignements existeront : mais il suffit que les volontés d’un souverain tel que le Notre soient connües pour que toutes les personnes qui mettent tout leur bonheur et leur gloire à lui obéir, quelle que soit l’administration qu’ils ayent à diriger ou à servir, se montrent empressées de seconder de tous leurs moyens les efforts de quiconque […]. Je suis assuré, Monseigneur, qu’en ce point ce n’est pas une simple opinion que j’exprime et que je ne fais que professer les sentiments personnels de Votre Excellence[63].

Le garde des archives met en valeur sa proximité avec Napoléon en affirmant qu’il le connaît assez bien pour connaître ses intentions. Il est vrai que d’Hauterive le côtoie au Conseil d’État et a eu l’occasion de travailler directement avec lui à l’hiver 1801-1802, lorsqu’il assurait l’intérim du ministère en l’absence de Talleyrand[64]. D’Hauterive prend la posture de celui qui connaît les intentions de l’Empereur et du ministre mieux que les deux hommes eux-mêmes, ce qui situe sa décision à suivre dans une fidélité parfaite aux vues de ses patrons. Or se conformer à leur désir est essentiel pour celui qui se trouve avec Lemontey concurrencé sur son propre terrain, l’écriture de l’histoire.

Les commis du dépôt produisent en effet des histoires variées appuyées sur leurs archives : histoire des négociations diplomatiques, des puissances étrangères et leurs rapports avec la France, du ministère et du dépôt qu’il abrite. Ces histoires restées manuscrites étaient destinées à un usage interne, aux ambassadeurs qui venaient les consulter aux archives avant de partir en mission, ou au ministre pour préparer la signature d’un traité[65]. L’exemple le plus spectaculaire est sans doute celui de Le Dran, particulièrement prolifique en la matière puisque Christian Fournier lui attribue 519 histoires, toutes manuscrites, principalement des histoires des négociations[66]. Leur nombre suggère que cela relevait de l’occupation principale, du moins habituelle du garde des archives. Ses successeurs, en écrivant eux aussi de l’histoire et notamment des histoires du dépôt qu’ils offraient à leur ministre, ont construit et revendiqué une profession d’historien. Cela permettait aux commis des archives d’obtenir une forme de reconnaissance de la part du ministre, alors qu’ils étaient souvent dévalorisés par rapport à ceux des autres bureaux[67].

Voilà qui fait apparaître autrement la défense de l’accès aux archives par d’Hauterive. Mettre en valeur la protection du secret, c’est énoncer un argument audible pour le ministre. Mais lorsqu’il affirme que les archives ne sont pas un dépôt pour « les hommes qui s’imposent volontairement la tâche de consigner les évènements de leur temps ou ceux des temps passés », d’Hauterive défend les commis du dépôt pour qui écrire de l’histoire à partir des archives diplomatiques est un travail, qui requiert une expérience et des compétences : « L’usage qui doit être fait de ces documents demande un discernement exercé, une certaine expérience des affaires et à quelques égards une connaissance des rapports secrets de la France avec les cabinets étrangers »[68].  C’est là la définition d’un commis des archives. D’Hauterive l’écrit franchement à Champagny : « Il est donc à désirer que ces matériaux serviront uniquement aux personnes qui appartiennent au ministère […] » ; et lui met sous les yeux les travaux réalisés aux archives, avant de présenter les siens propres : « J’ai eu l’honneur d’entretenir Votre Excellence dans une autre occasion du travail que j’ai fait moi-même sur la dernière correspondance de Turin »[69]. La défense de l’accès aux archives est ainsi l’occasion pour d’Hauterive de présenter au ministre le travail de son dépôt. Face à Lemontey, historiographe nommé par Napoléon, d’Hauterive revendique le monopole de l’accès aux archives du ministère, c’est-à-dire la fonction d’historiographe des Affaires étrangères.

Conclusion

Les mémoires de d’Hauterive donnent à lire deux usages opposés des archives, que l’on distingue nous-mêmes souvent comme historiens, entre les archives comme sources pour l’histoire et les archives comme ressources de l’action politique. Toutefois la vraie tension se situe entre un usage externe au dépôt et un usage interne. En effet, les actions menées par d’Hauterive attestent d’une pratique politique et administrative de l’écriture de l’histoire, qui déplace l’opposition traditionnelle entre histoire et action : ici, la source de l’histoire est la ressource pour l’action ; protéger le secret, c’est contrôler l’écriture de l’histoire, protéger le ministère des représailles diplomatiques, et pour le garde, protéger sa fonction. En laissant l’histoire être prise en charge par d’autres, les commis perdent cet instrument – l’écriture de l’histoire – qui avec le temps, est devenu constitutif de leur métier. En effet, face aux changements de lieux consécutifs du dépôt, le recours à l’écriture a permis à ces derniers d’affermir leur dépôt comme institution bureaucratique et sûre. Situer l’écriture du lieu dans son lieu d’écriture fait apparaître ce que l’on considère d’habitude comme la préhistoire de l’État moderne – l’écriture de la bureaucratisation ou du secret d’État – comme une ressource pour les acteurs du temps dans des rapports sociaux internes – entre un commis et un ministre – et externes au ministère – entre un commis des archives et un visiteur, censeur et historiographe au service de Napoléon par exemple. C’est en ce sens que l’histoire des pratiques archivistiques peut devenir une histoire sociale de l’État.


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[1] C’est ainsi qu’A. Baschet a écrit à la fin du xixe s. une histoire très complète du dépôt des Affaires étrangères. Armand Baschet, Histoire du dépôt des archives des affaires étrangères: à Paris au Louvre en 1710, à Versailles en 1763 et de nouveau à Paris en divers endroits depuis 1796, Paris, Plon, 1875.

[2] Jean-Pierre Samoyault, Les Bureaux du Secrétariat d’État des affaires étrangères sous Louis XV: administration, personnel, A. Pedone., Paris, 1971.

[3] Jean Baillou, Les Affaires étrangères et le corps diplomatique français, Paris, Éditions du CNRS, coll.« Histoire de l’administration française », 1984 ; Isabelle Nathan, « Les Archives anciennes du ministère des Affaires étrangères », in Lucien Bély et Isabelle Richefort (éd.), L’Invention de la diplomatie. Moyen-Âge-Temps modernes., PUF, 1998, p. 193‑204.

[4] Donato Maria Pia et Saada Anne, Pratiques d’archives à l’époque moderne. Europe, mondes coloniaux., Classiques Garnier, Paris, 2019, p. 9, Introduction.

[5] Anheim Étienne et Poncet Olivier, « Fabrique des archives, fabrique de l’histoire », Revue de Synthèse, 2004, no 125, pp. 13.

[6] Pour des exemples récents en dehors du seul cas français : Filippo de Vivo, Information and Communication in Venice: Rethinking Early Modern Politics, Oxford, Oxford university press, 2007 ; Markus Friedrich, Die Geburt des Archivs: Eine Wissensgeschichte, München, De Gruyter Oldenbourg, 2013.

[7] Isabelle Grangaud, « Le passé mis en pièce(s) », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 72e année-4, 2017, p. 1023‑1053 ; Christian Jouhaud et Dinah Ribard, « Événement, événementialité, traces », Recherches de Science Religieuse, 2014 ; Pauline Lemaigre-Gaffier et Nicolas Schapira, « Introduction », Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles. Sociétés de cour en Europe, XVIe-XIXe siècle – European Court Societies, 16th to 19th Centuries, 2019.

[8] Sur l’institution comme enjeu de lutte, voir Bourdieu Pierre, Sur l’État: cours au Collège de France, 1989-1992, Paris, Seuil, 2012, p. 508.

[9] Michel de Certeau, L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2002, p. 95.

[10] Mathilde Bombart et Alain Cantillon, « Localités : localisation des écrits et production locale d’actions – Introduction. Actes de la journée d’étude du 7 octobre 2005 (Paris, Maison des Sciences de l’Homme) », Les Dossiers du Grihl, 1, 2008.

[11] La Courneuve, Archives des Affaires Étrangères [désormais AAE], 404/INVA/1, fol. 230.

[12] Basile Baudez, Élisabeth Maisonnier et Emmanuel Pénicaut (éd.), Les Hôtels de la Guerre et des Affaires étrangères à Versailles: deux ministères et une bibliothèque municipale du XVIIIe au XXIe siècle, Paris, N. Chaudun, 2010 ; Les archives de la guerre et de la marine s’y installent également à ce moment-là. Basile Baudez, « Des bureaux pour la Marine: l’hôtel des Affaires étrangères et la Marine à Versailles (1760-1761) », in La liasse et la plume: les bureaux du Secrétariat d’État de la marine, 1669-1792, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, p. 47‑60 ; Thierry Sarmant (éd.), Les ministres de la guerre, 1570-1792: histoire et dictionnaire biographique, Paris, Belin, 2007, p. 119.

[13] La Courneuve, AAE, 404/INVA/12, non folioté, Lettre de Duruey, novembre 1789. Frédéric Masson, Le département des affaires étrangères pendant la révolution: 1787-1804, E. Plon et Cie., Paris, 1877, p. 68 ; J. Baillou, Les Affaires étrangères et le corps diplomatique français…, op. cit., p. 287.

[14] Emmanuel Pénicault, « Les lieux de la négociation : l’hôtel Gallifet », in Yves Bruley et Thierry Lentz (éd.), Diplomaties au temps de Napoléon, CNRS Éditions., Paris, 2014, p. 300.

[15] Ibid. ; Ministère des Affaires étrangères, Les archives du ministère des relations extérieures depuis les origines: histoire et guide; suivis d’une Étude des sources de l’histoire des affaires étrangères dans les dépôts parisiens et départementaux, 1984, p. 180.

[16] AAE, 404/INVA/12, non folioté, « Développement des principales collections pour servir à la distribution du nouvel hotel des archives rue des capucines ». C’est au milieu des années 1850 que le ministère des Affaires étrangères se fixe dans l’hôtel du Quai d’Orsay avec les archives. Ces dernières y sont restées jusqu’en 2009. Depuis cette date, le ministère est à nouveau dissocié du lieu de conservation de ses archives, qui sont à La Courneuve (Seine-Saint-Denis).

[17] Le Dran fut commis au ministère pendant plus de cinquante ans, alternativement aux archives et dans les bureaux politiques.

[18] La Courneuve, AAE, 404/INVA/1, fol. 86.

[19] Jean-Marie Barbiche, Les Augustins déchaussés de Notre-Dame-des-Victoires (1629-1790), École des Chartes, 2007.

[20] La Courneuve, AAE, 404/INVA/1, fol. 155.

[21] Louis de Rouvroy Saint-Simon, Mémoires. Additions de Saint-Simon au Journal de Dangeau, Paris, Gallimard, coll.« Bibliothèque de la Pléiade », 1987, p. 930‑932.

[22] La Courneuve, AAE, 404/INVA/1, fol. 157.

[23] Je remercie M. Martignon de me l’avoir indiqué. Voir Martignon Maxime, Publier le lointain le lointain à l’époque de Louis xiv, thèse en cours.

[24] A. Baschet imputait déjà cette erreur à Saint-Simon. A. Baschet, Histoire du dépôt des archives des affaires étrangères…, op. cit., p. 117.

[25] Angelo Torre, « « Faire communauté » », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 62e année, 2007, p. 101‑135.

[26] Cette réflexion est empruntée à Judith Lyon-Caen qui l’a développée lors d’un séminaire du Grihl le 28 février 2017, à propos d’un autre lieu, le Palais Royal au xixe s.

[27] Arnaud Fossier et Éric Monnet, « Les institutions, mode d’emploi », Tracés. Revue de Sciences humaines, 17, 2009, p. 7‑28.

[28] Thierry Sarmant, « Mars archiviste : département de la guerre, dépôt de la guerre, archives de la guerre (1630-1791) », Revue historique des armées, 1, 2001, p. 113‑122 ; Étienne Taillemite, « Les archives et les archivistes de la Marine des origines à 1870. », Bibliothèque de l’École des chartes, 127-1, 1969, p. 27‑86 ; J.-P. Samoyault, Les Bureaux du Secrétariat d’État des affaires étrangères sous Louis XV…, op. cit.

[29] Étienne Anheim et Olivier Poncet, « Fabrique des archives, fabrique de l’histoire », Revue de Synthèse, 125, 2004, p. 1‑14.

[30] La Courneuve, AAE, 404/INVA/1, fol.150-151.

[31] La Courneuve, AAE, 404/INVA/1, fol. 315-316.

[32] Que la Révolution ait été « grande brûleuse d’actes et de pièces » est un lieu commun aujourd’hui largement nuancé. Blandine Kriegel, La République incertaine, Paris, Presses universitaires de France, coll.« Les Historiens et la monarchie, 4 ; Les Chemins de l’histoire », 1988, p. 80 ; cité et critiqué par Dominique Poulot, Surveiller et s’instruire: la Révolution française et l’intelligence de l’héritage historique, Oxford, Voltaire foundation, coll.« Studies on Voltaire and the eighteenth century », n˚ 344, 1996, p. 112. « À l’encontre de certains historiens de la fin du XIXe siècle selon lesquels le ministère des Affaires étrangères sous la Révolution aurait laissé dépérir son fonds d’archives », écrit V. Martin, les travaux d’A. Baschet, plus récemment ceux d’I. Nathan soulignent au contraire que le dépôt a vu ses fonds s’enrichir pendant cette période. Virginie Martin, La diplomatie en Révolution : structures, agents, pratiques et renseignements diplomatiques: l’exemple des agents français en Italie (1789-1796), Paris 1, 2011, p. 51.

[33] F. Masson, Le département des affaires étrangères pendant la révolution…, op. cit., p. 375. La Courneuve, AAE, 404/INVA/1, doc. 46.

[34] A. Baschet, Histoire du dépôt des archives des affaires étrangères…, op. cit. ; I. Nathan, « Les Archives anciennes du ministère des Affaires étrangères »…, op. cit.

[35] Emmanuel Pénicault, « L’hôtel de la Guerre de la Révolution à nos jours », in Les Hôtels de la Guerre et des Affaires étrangères à Versailles: deux ministères et une bibliothèque municipale du XVIIIe au XXIe siècle, Paris, N. Chaudun, 2010, p. 103 ; É. Taillemite, « Les archives et les archivistes de la Marine des origines à 1870. », op. cit.

[36] D. Poulot, Surveiller et s’instruire…, op. cit., p. 262.

[37] En 1793, les ministères sont supprimés et remplacés par des commissions. Le département des Affaires étrangères devient la Commission des Relations extérieures. En 1795, le Directoire rétablit les ministères mais le nom de Relations extérieures est conservé jusqu’en 1814. Virginie Martin, La diplomatie en Révolution: structures, agents, pratiques et renseignements diplomatiques: l’exemple des agents français en Italie (1789-1796), Paris 1, 2011.

[38] La Courneuve, AAE, 262QO/1, doc. 45.

[39] Ibid., doc 55.

[40] La Courneuve, AAE, 404/INVA/1, doc 46.

[41] Ibid., doc. 55.

[42] F. Masson, Le département des affaires étrangères pendant la révolution…, op. cit., p. 376.

[43] La Courneuve AAE, 266QO/63.

[44] Virginie Martin, « La Révolution française ou “l’ère du soupçon” », Hypothèses, 12-1, 2008, p. 131‑140.

[45] Lynn Hunt, « Révolution française et vie privée », in Philippe Ariès et Georges Duby (éd.), Histoire de la vie privée, tome IV: De la Révolution à la Grande Guerre, Paris, Seuil, coll. « Points », 1987, p. 19‑46.

[46] Sémonin retourne l’argument auprès de la municipalité de Versailles lorsqu’après le 10 août, elle a apposé des scellés au dépôt. Il écrit craindre qu’on le voie ainsi que ses collègues « errant dans la ville, privés de nos fonctions », et qu’on les soupçonne d’incivisme. Il est limogé quelques jours plus tard. La Courneuve, AAE, 404/INVA/1, doc. 34.

[47] La Courneuve, AAE, 404/INVA/6.

[48] A. Baschet, Histoire du dépôt des archives des affaires étrangères…, op. cit. ; I. Nathan, « Les Archives anciennes du ministère des Affaires étrangères »…, op. cit.

[49] M. de Certeau, L’écriture de l’histoire…, op. cit.

[50] J. Baillou, Les Affaires étrangères et le corps diplomatique français…, op. cit. ; I. Nathan, « Les Archives anciennes du ministère des Affaires étrangères »…, op. cit.

[51] D’Hauterive fut employé dans la carrière diplomatique de 1785 jusqu’à sa mort en 1830. Il mena d’abord une brève carrière « à l’extérieur » notamment comme consul à New York avant d’occuper une place de chef de bureau politique entre 1799 et 1807, puis de garde des archives.

[52] Ma thèse en cours est en partie consacrée à ce personnage qui a eu un rôle essentiel dans l’institution du ministère au début du xixe s.

[53] La Courneuve, AAE, 404/INVA/2, fol. 16-21.

[54] Voir en dernier lieu Sylvain André, Philippe Castejon et Sébastien Malaprade, Arcana imperii: Gouverner par le secret à l’époque moderne, Paris, Indes savantes, 2019.

[55] La Courneuve, AAE, 404/INVA/6, fol. 77.

[56] La Courneuve, AAE, 404/INVA/2, fol. 16-21.

[57] Charles Perrault, Mémoires de ma vie, Paris, Macula, 1993 ; Christian Jouhaud, Les pouvoirs de la littérature: histoire d’un paradoxe, Gallimard, 2000, p. 151‑250.

[58] F. de Vivo, Information and Communication in Venice…, op. cit.

[59] La Courneuve, AAE, 404/INVA/2, fol. 16-21.

[60] La Courneuve, AAE, 404/INVA/2, fol. 16-21.

[61] C. Jouhaud, Les pouvoirs de la littérature…, op. cit., p. 211.

[62] Filippo De Vivo et Aurore Clavier, « Cœur de l’État, lieu de tension », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 68e année-3, 2013, p. 699‑728.

[63] La Courneuve, AAE, 404/INVA/2, fol. 16-21.

[64] La Courneuve, AAE, 53MD/660, Correspondance de Mr le Comte d’Hauterive avec les ministres des Relations extérieures pendant leur absence de Paris.

[65] A. Baschet, Histoire du dépôt des archives des affaires étrangères…, op. cit. ; Ministère des Affaires étrangères, Les archives du ministère des relations extérieures depuis les origines…, op. cit. ; I. Nathan, « Les Archives anciennes du ministère des Affaires étrangères »…, op. cit. ; J. Deloye et N. Schapira, « L’histoire au dépôt. Archivage et histoire au sein du ministère des Affaires étrangères (1720-1804) », op. cit.

[66] Christian Fournier, Étude sur Nicolas-Louis Le Dran, 1687-1774, un témoin et historien des affaires étrangères aux temps de la Régence et du règne de Louis XV, 1715-1762, La-Celle-Saint-Cloud, Éditions Douin, 2015.

[67] J. Deloye et N. Schapira, « L’histoire au dépôt. Archivage et histoire au sein du ministère des Affaires étrangères (1720-1804). ».., op. cit.

[68] La Courneuve, AAE, 404/INVA/2, fol. 16-21.

[69] Ibid.

 

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