Michelle Perrot, historienne, professeure émérite à l’université Paris VII Denis Diderot
Histoire des femmes, histoire du genre
Parmi les réflexions suscitées par la parution de l’Histoire des femmes en Occident (1991-1992), il y a eu celle sur la distinction entre histoire des femmes et histoire du genre. Aujourd’hui on a l’impression que l’histoire des femmes est fondue dans l’histoire du genre. Est-ce que ce champ englobe ce qu’on a appelé dans un premier temps « histoire des femmes » ou bien existe-t-il des recherches historiques faites sur les femmes qui n’entrent pas dans l’histoire du genre ? Quels sont les enjeux d’une telle distinction ?
Les sources
Vous décrivez souvent la pénurie des sources, sous ses différentes modalités, qui frappe l’histoire des femmes et les a longtemps maintenues dans le silence. Même lorsque vous travailliez sur l’histoire des grèves, pour votre thèse, quand il fallait reconstituer les mentalités ou la vie quotidienne des ouvriers au XIXe siècle, vous deviez travailler avec des sources lacunaires. Comment l’historien surmonte ce type de difficulté qui touche pourtant la base de son entreprise ?
La place de l’étude des représentations
On a beaucoup parlé aussi de la place à donner à l’étude des représentations, de l’analyse des discours sur les femmes. Ces débats soulevaient des problématiques assez typiques du linguistic turn. Peut-on dire que vos collègues et vous avez été des pionniers de l’appropriation en France de ce courant ? Qu’est-ce qui expliquerait que vous y étiez plus sensible que d’autres ?
Le lien entre micro et macro histoire
Les situations que vous décrivez dans vos ouvrages donnent l’impression que vous êtes une historienne très attachée à l’individu, à l’échelle humaine (que vos sujets d’étude soient les ouvriers, les femmes, les personnes incarcérées). Vous approchez la vie des individus, mais sans pour autant chercher à donner de la couleur par l’anecdote, sans sombrer dans l’émotion. Vous décririez-vous comme une historienne de l’individu et de son horizon quotidien ?
Les héroïnes… et leurs adversaires
Lorsqu’on veut s’intéresser aux figures qui ont marqué l’histoire des femmes, on trouve beaucoup de travaux sur celles qui se sont rebellé ou ont adopté un point de vue critique sur la condition féminine. Ne serait-il pas aussi pertinent d’étudier les figures conservatrices ou réactionnaires, des femmes qui se sont prononcé contre les revendications féministes, ou les ont critiquées ?
Ici vous opposez des icônes du féminisme à une masse plus indistincte de femmes qui auraient «consenti». Or ce qui est assez frappant en ce moment, c’est qu’on voit apparaître des icônes d’une résistance au féminisme. Pensez-vous que cela mérite aussi de faire l’objet de l’histoire des femmes ?
Histoire du temps présent, engagement médiation
Vous écrivez que l’historien écrit pour son temps. Or, on constate un décalage certain entre les avancées de la recherche universitaire depuis une vingtaine d’années sur les questions de genre et sa réception par le grand public (les femmes qui revendiquent ne pas avoir besoin du féminisme en ce moment, le fait qu’il soit question de « théorie du genre »…). La place que vous occupez dans le milieu de la recherche et dans l’espace médiatique vous désigne comme une interlocutrice privilégiée pour traiter de l’histoire des genres. Vous percevez-vous comme une médiatrice de l’histoire des femmes ? Ou bien vous qualifieriez- vous plutôt d’ « historienne dans la cité » (cf. Vidal-Naquet) ?
La difficile question du progrès
En 1992, durant le colloque qui a suivit la publication d’Histoire des femmes en Occident, Roger Chartier soulignait la complexité de la notion de progrès lorsqu’on veut l’appliquer à l’évolution de l’histoire des femmes. Les femmes ont plus de visibilité dans l’espace médiatique et dans l’histoire grand public, mais s’agit-il d’un réel progrès quand on constate le traitement qui leur est réservé ?
Mais, par exemple, on pense aussi à une histoire grand public qui accorde de la place à des femmes dans l’histoire mais qui pour autant continue d’être attachée à des clichés sur les femmes, le rôle des femmes, etc. Donc on a une histoire grand public qui ne s’est pas nourri de l’histoire universitaire sur les femmes.
L’histoire des « sans-parole »
Vous avez œuvré en quelque sorte à donner la parole aux « sans-parole » : les ouvriers, les femmes, les personnes incarcérées, à les faire sortir du silence de l’histoire. Considérez-vous que ce but est désormais atteint ? À l’heure actuelle, les recherches en histoire et en sociologie prennent plus volontiers en compte la question du genre et s’intéressent à toutes sortes de marginaux. Demeure-t-il selon vous d’autres « sans parole » à faire émerger des « silences de l’histoire » ?
Portrait réalisé sous la direction de Pierre Chaigneau.
Préparation : Inès Bahans, Justine Delassus, Nicolas Lahaye, Thibault Le Hégarat, Juliette Misset, Nicolas Stromboni.
Réalisation : Léa Petelle.
Montage : Lucie Guyennot.
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