Les éditions critiques dans l’historiographie des sciences anciennes : le cas de l’histoire des mathématiques en Mésopotamie

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Pierre Chaigneau

Résumé
Cet article vise à dégager quelques problématiques de la pratique des éditions de textes dans l’histoire des sciences anciennes tout en introduisant le lecteur au champ des mathématiques cunéiformes. À cette fin sont d’abord donnés quelques éléments d’histoire des mathématiques en Mésopotamie. La suite revient alors sur l’historiographie de ce domaine de 1930 à 1980, évoque les dangers de l’image que celle-ci véhiculait, typiques de l’histoire des sciences, et comment  elle est liée aux premières éditions de textes mathématiques cunéiformes par O. Neugebauer et F. Thureau-Dangin.

Pierre Chaigneau est actuellement en deuxième année de doctorat au laboratoire SPHERE de l’université Paris-Diderot. Sous la direction de Christine Proust, sa thèse s’intitule Quand la philologie rencontre l’histoire des mathématiques : le cas des éditions critiques de mathématiques cunéiformes dans les années 1930-1940.


Introduction

L’élaboration d’une édition critique est un travail long et fastidieux, qui consiste à produire un texte d’origine ancienne en tenant compte de tous les exemplaires que nous en a livré  l’histoire. Ces exemplaires, souvent manuscrits, plus ou moins lisibles, rédigés en des langues archaïques, abondamment commentés par ceux qui les ont eus en leur possession et parfois sans qu’il soit possible de distinguer le commentaire du texte principal, livrent des versions divergentes du texte dont ils sont témoins. Pourquoi éditer une version plutôt qu’une autre ? Comment éditer un passage sur lequel les sources divergent ? Tels sont des exemples de questions classiques auxquels doit répondre de façon rigoureuse celui qui propose une édition critique. Les choix de l’éditeur sont naturellement susceptibles d’orienter, d’une façon qui n’a rien d’anecdotique, toutes les interprétations ultérieures du texte édité. Pour limiter ce danger, les éditions critiques sont dotées d’un apparat critique : l’ensemble des commentaires, des notes, ou de toute rubrique qui rend explicite ces choix.

Pourtant il reste toujours des choix implicites. Des pratiques qui semblent aller de soi à l’époque où est menée l’édition, ou à propos desquelles on ne juge pas bon d’ennuyer le lecteur. En histoire des mathématiques, ce constat a une résonnance particulière qui va bien au delà d’une banale mise en garde sur la distance critique à conserver vis-à-vis des sources secondaires. En effet l’histoire des mathématiques, qui prend pour objet d’étude une forme de connaissance laissant surtout des traces textuelles, est particulièrement dépendante des éditions critiques d’ouvrages savants. Puisque le contenu des savoirs mathématiques a longtemps été perçu comme universel et immuable une fois établi, il n’a pas toujours paru susceptible de faire l’objet d’une autre histoire que celle de sa découverte et de sa transmission d’une culture à une autre. Cela a pu conduire les éditeurs de textes scientifiques anciens à singulariser dans leurs sources ce qu’ils considéraient comme du contenu mathématique et à lui appliquer des méthodes de traitement particulières, bien moins scrupuleuses à l’égard des anachronismes.

Ainsi, on se rend compte depuis les années 1990[1] à quel point nos représentations de la géométrie grecque dans l’antiquité classique sont en partie formatées par les choix éditoriaux implicites ou inconscients de J. L. Heiberg, le savant qui, par son édition critique de la fin des années 1880, est à l’origine du texte qui constitue encore à ce jour la dernière édition complète du plus fameux ouvrage sur la question : les Éléments d’Euclide. À présent que l’histoire des mathématiques, et celle des sciences en général, vise à se renseigner sur la nature des raisonnements plutôt que sur le contenu des savoirs, il est de plus en plus flagrant que certaines pratiques éditoriales, par exemple à l’égard des nombres, de la mise en forme des raisonnements, et des schémas, sont basées sur des conceptions a priori des mathématiques et masquent des indices précieux pour la recherche, alors même que ces-derniers sont bien visibles dans les sources.

Mal connu du grand public, avec sa littérature secondaire encore trop souvent basée sur des ouvrages obsolètes, le champ des mathématiques de la Mésopotamie antique illustre à merveille ce qui est en jeu dans ces questions historiographiques. On s’intéressera aux courants qui l’ont traversée  durant le XXe siècle, en se focalisant sur le lien entre les premières grandes éditions de textes mathématiques trouvés en Irak et leur influence sur les thèses qui ont circulé ensuite en histoire des mathématiques. Commençons toutefois par nous attarder sur le contexte et présenter quelques questions typiques du domaine.

 

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 Carte 1 : Les sites archéologiques de la Mésopotamie
d’après une carte de l’Institut Oriental de Chicago. (http://oi.uchicago.edu/research/lab/map/maps/iraq.html)

 I. L’Antiquité en Mésopotamie et les mathématiques cunéiformes

L’expression « Antiquité mésopotamienne » cache une période démesurée. Elle couvre près de 3000 ans d’histoire, des plus vieilles sources écrites, découvertes dans les ruines d’Uruk (voir la carte) et datant de la seconde moitié du IVe millénaire, à l’abandon définitif de l’écriture cunéiforme, qui s’est produite au début de notre ère. Si certaines époques sont particulièrement bien documentées, d’autres souffrent d’une absence totale de témoignages écrits, voire même de documentation archéologique. Même lorsque les sources abondent, les interpréter demande d’avoir bien en tête les conditions dans lesquelles se sont effectuées les fouilles.

D’abord parce que les développements de la politique moderne influent sur les aires géographiques prises en compte dans les recherches (course aux plus grands sites dans la compétition entre les empires coloniaux au XIXe siècle, instabilité politique de la région depuis la fin du XXe repoussant les archéologues en périphérie de la Mésopotamie). Ensuite, parce que ces terrains sont ceux parmi lesquels s’est construite l’archéologie en tant que science[2]. Dans la frénésie des premières expéditions, la provenance et le contexte archéologique des objets ont parfois été considérés comme secondaires. En outre, il ne faut pas sous-estimer l’impact des fouilles clandestines dans la constitution des collections des musées. À ce sujet, Christine Proust, spécialiste des mathématiques mésopotamiennes au CNRS, rappelle que : « la provenance des tablettes mathématiques publiés avant 1945 est le plus souvent inconnue. La plupart d’entre elles ont été exhumées lors de fouilles sauvages et achetées à des marchands d’antiquités par des collectionneurs privés et des musées européens et américains, essentiellement par le British Museum, le Louvre, le Vorderasiatisches Museum de Berlin et Yale University. »[3]

La documentation à notre disposition n’en reste pas moins unique. Puisque le support traditionnel de l’écriture était donc la tablette d’argile, ou la pierre dans le cas d’inscriptions monumentales, des centaines de milliers de textes en signes cunéiformes nous sont parvenus[4]. Toutes ces traces écrites ont si bien supporté le temps que certaines périodes sont mieux pourvues en sources textuelles que ne le sont des moments de l’histoire dotés d’une culture de l’écrit postérieure de plusieurs millénaires[5].

Ce système d’écriture aurait été développé par les sumériens, peuple[6] dont la culture a eu une influence considérable sur l’ensemble de la Mésopotamie à partir du IVe millénaire. Quelques siècles d’évolution après son apparition sous une forme rudimentaire, il mélange l’emploi de caractères à valeur syllabique (un signe dénote une syllabe) et logographique (un signe dénote un mot), voire encore à valeur idéographique (un signe pour un concept). Trois signes de base, le « clou horizontal », « le chevron » et le « clou vertical » (cf. Figure 1.a), imprimés sur l’argile à l’aide d’une baguette de roseau, servent à composer tous les signes, parfois assez complexes (cf. Figure 1.b). Les akkadiens utilisent les mêmes signes dès le milieu du troisième millénaire pour noter leur propre langue, mais ils en font un usage résolument syllabique. Ils rejettent le sens initial de chaque signe au profit de la façon dont il était prononcé, écrivant les mots de leur langue à l’aide du groupe de signe qui, prononcés les uns à la suite des autres, lui correspond[7].

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Figure 1.a : Les trois signes de base qui composent les caractères de l’écriture cunéiforme. De gauche à droite : le clou vertical, le chevron et le clou horizontal

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Figure 1.b : Une tablette inscrite en cunéiforme (MS 5112, recto).
Il s’agit d’une tablette mathématique de la période paléo-babylonienne contenant une liste de problèmes résolus.Sa provenance est incertaine. Publiée par J. Friberg dans : A Remarkable Collection of Babylonian Mathematical Texts, New York: Springer (2007). Image : CDLI.

La date de la disparition du sumérien en tant que langue maternelle demeure incertaine, quelque part entre la fin du troisième millénaire et la première moitié du second, mais il est encore utilisé après comme langue liturgique et juridique, et jusqu’à l’abandon du cunéiforme, les tablettes mathématiques comportent de nombreux logogrammes ou idéogrammes sumériens[8]. De nombreux indices dont des listes de mots bilingues suméro-akkadiennes témoignent du fait que le sumérien était appris par les scribes akkadiens longtemps après qu’il ait disparu de l’usage oral quotidien, un peu comme le latin au moyen âge. L’akkadien va donc quant-à lui être appelé à devenir la langue principale de la Mésopotamie. Il se scinde en deux dialectes : l’assyrien au Nord et le babylonien au Sud. Dans la dernière moitié du second millénaire, l’influence de la civilisation akkadienne était telle que le babylonien était la langue diplomatique attestée sur des tablettes d’argile de l’Anatolie à l’Egypte et du Levant au Zagros.[9]

L’écrasante majorité du corpus de texte qui nous est parvenu se compose de comptes administratifs et autres enregistrements de transactions[10]. Pour comprendre cela, il faut dire un mot de la société Mésopotamienne. À l’époque dite des « dynasties archaïques » (2800-2350)[11], dans le Sud de la Mésopotamie, les structures économiques et sociales typiques sont déjà en place, au sein de cités-états[12]. La brique élémentaire est  « la maison » (la maison du temple, la maison royale, etc.), une unité de production et de consommation quasi autonome dépassant le cadre du simple noyau familial. Le personnel est payé en rations standards (mensuellement en orge, ou annuellement en huile et laine)[13]. Les grandes structures étatiques qui apparaissent dans les périodes suivantes (dynastie d’Akkad, de 2350 à 2150, suivie de la dynastie d’Ur III, de 2100 à 2000) ajoutent à cela leur bureaucratie centralisée et le système de taxes, exigées de chaque province. Celles-ci passent par des points de collecte avant une redistribution selon les besoins de l’État (payer la main d’œuvre des colossaux chantiers attestés à cette époque par exemple). Le scribe, au service de l’administration, doit donc aussi bien savoir écrire que compter.

Tous ces échanges requièrent des pratiques efficaces de comptabilité, de dénombrement et d’expression des mesures. Sans monnaie, la valeur d’une denrée est souvent calculée via des taux fixés au préalable en termes d’une quantité de denrée de référence (on va calculer la valeur équivalente d’un panier d’orge en minerai d’argent par exemple), et inversement. Dans ce cadre où les conversions sont des opérations clés, l’établissement de systèmes métrologiques (pour mesurer les capacités, poids, surfaces, longueurs) aussi normalisés que possible est un effort constant.

À l’époque paléo-babylonienne (1900-1600), ou « période PB », marquée par la domination pour un temps des rois de Babylone sur le reste de la Mésopotamie, de tels systèmes sont bien en place, et remarquablement standardisés. C’est majoritairement de cette période que proviennent les sources mathématiques, bien qu’on dispose, dans une bien moindre mesure, de tablettes qui permettent aussi d’éclairer des pratiques antérieures et postérieures.[14]

La difficulté de la métrologie mésopotamienne à nos yeux est que les unités de mesures ne progressent pas toujours de façon régulière. Par exemple, une unité classique pour la longueur était le ninda (prononcer toutes les lettres) qui faisait environ six mètres. Il fallait 12 kuš, l’unité de longueur inférieure (prononcer « koush »), pour obtenir 1 ninda, mais 60 ninda pour obtenir l’unité supérieure. En ce qui nous concerne, on passe des mètres aux unités supérieures (décamètres, hectomètres, etc.) et inférieures (décimètres, centimètres, etc.) en multipliant ou divisant à chaque fois par 10. De plus, la progression dans les unités de surface était elle aussi irrégulière, mais avec des facteurs multiplicatifs différents. Par exemple, ce qu’on pourrait appeler le ninda« carré », un carré de côté 1 ninda, était le sar. Or, alors qu’il y avait 12 kuš dans 1 ninda, il y avait 60 gin (« guine ») dans 1 sar, si bien qu’un carré de côté 1 kuš , l’unité de longueur inférieure, n’était pas équivalent à 1 gin, l’unité de surface inférieure. Aujourd’hui non seulement un carré de 1 m de côté mesure 1 m2, mais la correspondance entre les unités est telle que 1 dm au carré mesure 1 dm2, 1 cm au carré mesure 1 cm2, etc. Il n’y avait pas de « ponts » aussi évidents entre les différents systèmes de mesures paléo-babyloniens.

Une question que peut se poser alors l’historien des mathématiques est : comment étaient réalisées les conversions ? Plus généralement, comment calculait-on ? Le problème, c’est que les tablettes qui pourraient nous renseigner n’affichent jamais de calculs intermédiaires, seulement les données et les résultats. Réalisait-on d’abord toutes les conversions nécessaires avant d’opérer sur les nombres ainsi obtenus, à la manière dont on procède de nos jours pour additionner 10 m2 et 1 cm2 ?

De tels calculs impliquent une notion du nombre qui soit indépendante de celle de la quantité  représentée. Si de nos jours on peut mettre n’importe quel nombre devant une unité de mesure, nos sources paléo-babyloniennes font état de pratiques différentes : le résultat d’une opération comparable à 10 m2 + 1 cm2 ne serait en aucun cas écrit sur une tablette sous une forme correspondant au cunéiforme pour 100001 cm2 ou 10,0001 m2. En réalité l’opération serait dénuée de sens, puisque la réponse est quasi tautologique : on l’écrirait sous la forme « 10 m2 1 cm2 », un peu comme quand on dit : « une heure plus une minute font 1 h 01 m ». Ainsi, dans nos sources, les valeurs numériques qui précèdent le caractère désignant l’unité de mesure appartiennent à des systèmes numériques particuliers qui dépendent de l’unité concernée : au-delà d’une certaine valeur, l’unité supérieure prend le relais (ex : 12 kuš = 1 ninda, on verra donc toujours écrit 1 ninda 4 kuš plutôt que 16 kuš). Pour la plupart des unités, les valeurs numériques n’ont pas à dépasser 59[15]. Elles sont écrites à l’aide d’un principe additif qui utilise seulement deux « clous » : le vertical, qui vaut 1, et le chevron, qui vaut 10. On parle de « système additif », parce que la valeur numérique du caractère s’obtient en additionnant la valeur des signes qui composent le nombre, répétés autant de fois que nécessaire. La figure 2 montre à titre d’exemple le caractère cunéiforme qui correspond au nombre 47.

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Figure 2 : le nombre 47 en écriture cunéiforme

Quelques caractères supplémentaires permettent chacun de noter une des fractions usuelles : 1/3, 1/2, 2/3 et 5/6. Ces fractions ne servent pas seulement à partager des nombres entiers. Par exemple dans les tablettes de Nippur (d’où provient la majorité du corpus mathématique PB), on verra « 1 ninda 1/2 » plutôt que « 1 ninda 6 kuš », et « 1 ninda 1/2 (et) 1 kuš » au lieu de « 1 ninda 7 kuš »[16].

Bien sûr, il peut arriver qu’une mesure nécessite, pour être exprimée, plus que 59 unités, même en prenant la plus grande unité disponible. Deux systèmes numériques sont attestés qui permettent de pallier à ce problème, chacun employés pour des systèmes de mesures spécifiques[17]. Tous deux sont additifs, nécessitant donc un nouveau caractère chaque fois qu’on dépasse une certaine valeur numérique (de même que les chiffres romains fonctionnent avec les caractères V, X, L, C, etc. pour noter les nombres approchant respectivement 5, 10, 50, 100, etc.). Enfin, le dénombrement d’objets, d’animaux ou d’individus ― toutes choses qui n’entrent pas dans les systèmes métrologiques conventionnels ― peut être fixé par écrit à l’aide du caractère šu-ši , qu’on peut traduire par « soixantaine », lorsqu’il dépasse celle-ci (ex : 9 šu-ši   de briques font donc 540 briques)[18].

Tous ces systèmes de numérations sont le fruit d’une longue maturation amorcée avec les premiers comptes sumériens enregistrés sur tablettes (environ 3400 avant notre ère). Celle-ci ne les a pas tous vus apparaître, se distinguer d’anciens systèmes, évoluer, ou être diffusés de façon comparable. Par ailleurs, d’autres usages, sont attestés dans des contextes sociaux et/ou géographiques différents de ceux des milieux savants paléo-babyloniens représentés par les sources de Nippur[19]. Pourtant dans tous les cas, les numérations évoquées jusqu’à présent sont liées à ce qu’elles quantifient et reposent sur un principe additif.

Ces deux caractéristiques rendent malaisé les multiplications et les divisions. Le moindre calcul demande de nombreuses conversions d’une unité à l’autre et par conséquent, de savoir parfaitement jongler avec les ponts entre les différents systèmes de mesure. Durant la période dite de la « dynastie d’Ur III » à la bureaucratie si exigeante en calculs, une nouvelle technique est développée, qui témoigne d’un tournant conceptuel déterminant : la numération sexagésimale de position (NSP).

Dans ce système, passé 59, l’écriture n’est plus additive mais positionnelle. Les mêmes caractères (de 1 à 59) sont réutilisés et placés à gauche des premiers, ce qui signifie qu’ils sont soixante fois plus grands qu’eux (voir les exemples Figure 3). Ainsi, de même que 12 n’est pas égal à 1+2, additionner directement la valeur des signes qui composent le nombre ne donne plus la valeur de ce-dernier. Pour la première fois dans l’histoire des mathématiques, on peut écrire un nombre aussi grand qu’on veut au moyen d’un nombre fini et réduit de signes différents.

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Figure 3 : Deux nombres écrits en système NSP

On dit que le système est flottant parce qu’il ne précise pas,  par un équivalent du zéro ou de la virgule, les ordres de grandeur des nombres. Un clou vertical peut donc signifier n’importe quel puissance de soixante et correspond toujours à six chevrons (de même dans le système décimal actuel, si on n’utilisait ni zéro ni virgule, un 1 pourrait signifier 1 ou 10 ou encore 0,1 c’est-à-dire 10-1, et additionner dix signes 1 donnerait indifféremment l’un ou l’autre de ces nombres), Dans les transcriptions modernes, on utilise le point pour distinguer les « chiffres » qui composent le nombre.

L’un des pionniers de l’histoire des mathématiques cunéiformes, François Thureau-Dangin, qui avait déjà tant fait pour la compréhension de la langue sumérienne, avait compris l’intérêt de ce type de numération pour ses utilisateurs :

« Ce système très abstrait, qui ne distinguait pas entre les entiers et les fractions, qui ignorait l’ordre de grandeur des nombres, servait aux opérations arithmétiques, notamment aux “igi-arê” , c’est-à-dire aux “divisions et multiplications” qu’il facilitait grandement. La tablette dite de l’Esagil [Ziggourat de Babylone ou « Tour de Babel », texte de l’époque neo-assyrienne] illustre parfaitement la méthode employée par les Babyloniens et montre comment, dans leurs calculs, ils passaient du concret à l’abstrait, puis revenaient de l’abstrait au concret. »[20]

Pour la période PB, cette observation du savant français est corroborée par les tables métrologiques. À cette époque où le système NSP est enseigné dans les écoles de scribes[21], ce nouveau type de texte est particulièrement répandu et standardisé. Ces tablettes mettent en correspondance sur deux colonnes des quantités (avec leur unité de capacité/poids/surface/longueur) et un nombre écrit en système NSP. À l’aide de ces tables, les opérations sur les quantités exprimées dans un système additif spécifique à une mesure peuvent être ramenées à des opérations sur des nombres « abstraits », indépendants de la métrologie. Cela fait, il ne reste plus qu’à chercher dans la table la quantité qui correspond au résultat du calcul abstrait. Pour faciliter les calculs, les scribes ont à apprendre les quelques 38 tables de multiplication utiles dans le système NSP[22], tables que l’on retrouve aussi dans nos sources.

Le système NSP est donc abstrait au sens où il n’est jamais employé devant une unité de mesure pour incarner une quantité. Il constitue uniquement un outil de calcul, mais très puissant. À côté des tables de multiplication apparaissent des tables d’inverses : des listes de pairs de nombres dont le produit vaut une puissance de soixante, soit écrit en NSP, un clou vertical. Dans ce système, de telles pairs sont nombreuses, d’une part parce que 60 a de nombreux diviseurs (par exemple : 30 × 2 = 12 × 5 = 15 × 4 = 3 × 20 = 6 × 10 = 60), d’autre part parce que sans virgule, tous les nombres en NSP sont « entiers » (par exemple 1/3 s’écrit avec deux chevrons, comme le nombre 20, puisque trois fois « deux chevrons » font toujours « un clou vertical »).  Le nombre 3.20 (qu’on peut dire égal à 3,3333… en restaurant un ordre de grandeur) figure ainsi dans ces tables parce qu’il est aisé de voir que multiplié par 18, il donne un clou vertical[23]. Ceci permet la décomposition de 60, ou plutôt du clou vertical, en quelques 30 facteurs usuels, des « inverses » qui vont être utilisés pour pratiquer les divisions selon la formule : « diviser un nombre c’est le multiplier par son inverse »[24].

Pour toutes ces raisons (nombres « purs », puissance de calcul), le système NSP a particulièrement fasciné les historiens des mathématiques.

II. L’émergence d’une histoire de « La Mathématique babylonienne »

     C’est en 1938 que paraît l’ouvrage majeur de François Thureau-Dangin sur les mathématiques cunéiformes, Textes mathématiques babyloniens[25](TMB). Mais le chercheur français est devancé par un scientifique issu de la prestigieuse université allemande de Göttingen : le jeune Otto Neugebauer. De 1935 à 1937, alors qu’il a quitté l’Allemagne pour fuir le régime Nazi, ce dernier fait paraître trois volumes rassemblés sous le nom de Mathematische Keilschrifttexte[26](« Textes mathématiques cunéiformes », MKT).

Ces deux travaux magistraux se ressemblent beaucoup. Dans leurs langues respectives, les auteurs y présentent une sélection impressionnante de tablettes cunéiformes au contenu mathématique, la transcription en sumérien/akkadien de celles-ci, suivie d’une traduction. Neugebauer commente systématiquement le contenu mathématique des tablettes et en dessine une copie, tandis que l’assyriologue français préfère exposer son point de vue sur la science mésopotamienne dans sa longue introduction exclusivement. Une bonne partie des sources traitées par l’un le sont aussi par l’autre.

En 1945, émigré aux Etats-Unis, Neugebauer édite en collaboration avec A. Sachs un autre recueil de textes mathématiques cunéiformes : Mathematical Cuneiforms Texts[27](MCT), qui achève de l’asseoir, s’il en était besoin, dans la position de l’un des pères fondateurs de l’histoire des mathématiques mésopotamiennes en tant que champ d’étude spécifique. Thureau-Dangin, disparu l’année précédente, n’est désormais plus là pour débattre.

Ces ouvrages révélèrent au monde la richesse des mathématiques de la Mésopotamie paléo-babylonienne, de plus de mille ans antérieure aux mathématiques grecques. Les textes édités comprennent, en plus des tables de multiplication et d’inverses déjà évoquées, des suites de problèmes résolus incluant notamment des problèmes complexes du second degré, ou encore des algorithmes de calcul numérique (calcul d’une valeur approchée de , calculs de l’inverse de nombre qui ne figurent pas sur les tables d’inverses, valeur approchée de nombres irréguliers[28], etc.).On y voit que la composition typique d’un problème résolu comprend dans cet ordre : des données chiffrées (des quantités mesurées, ou des nombres écrits en système NSP), une question, et une procédure qui répond pas à pas à la question en opérant sur les données. Le grand nombre de problèmes répondant à la même question par la même démarche, mais en faisant varier les données de toutes les façons possibles et imaginables, suggère que ce genre de texte a pour but d’exposer (ou de s’entraîner à) une procédure, et non pas de parvenir à un résultat numérique particulier (sinon pour s’assurer que la procédure est correcte).

Le caractère général et systématique du contenu mathématique de leurs sources fut  parfaitement mis en évidence par Neugebauer et Thureau-Dangin. Des mathématiques de la Mésopotamie, ils livrèrent une image qui marqua durablement l’histoire des sciences du XXe siècle.[29] Cependant, leurs ouvrages contribuèrent à forger une historiographie particulière qui fut largement partagée et solidifiée par les autres chercheurs du domaine… et guère remise en question avant les années 1980[30]. Cette vision de l’histoire se caractérise par des références à « l’algèbre babylonienne », si « semblable à la nôtre » et ses « résolutions algébriques d’équations », ou à « la numération babylonienne en base soixante », ses « entiers », ses « fractions », etc.

Jens Høyrup, l’un des premiers spécialistes à avoir pointé du doigt les défauts de cette historiographie, exprime en ces mots le danger des représentations qu’elle véhicule : « La première interprétation de l’algèbre babylonienne portait le message implicite que “eux”, ils avaient les mêmes mathématiques que “nous”. Il leur manquait seulement ce symbolisme algébrique qui nous a permis les progrès ultérieurs […]. “Eux” n’avaient pas fait autant de progrès que “nous”, mais ils étaient sur la même voie : la seule voie, la voie vers nous. »[31]. Le type de raisonnement que condamne ici le chercheur danois illustre parfaitement comment l’histoire des mathématiques, mais c’est valable pour l’histoire de sciences en général, est sous l’emprise d’enjeux philosophiques et sociopolitiques.

Enjeux « philosophiques », parce que ce raisonnement découle d’une définition particulière du progrès scientifique, une notion qui évolue sans cesse avec la philosophie des sciences.[32] Concernant plus spécifiquement la philosophie des mathématiques, ce raisonnement n’est de plus pas ontologiquement neutre : il sous-entend une identité dans la nature des objets mathématiques qui permettrait la comparaison entre leur traitement ancien et contemporain. D’ordinaire, on parlerait d’anachronisme, mais comme évoqué dans l’introduction, pour des raisons liés à la conception communément admise de ce que sont les mathématiques, de ce que sont les nombres, les fractions, les équations, ou même les démonstrations ― à savoir des entités sur lesquelles ni le temps, ni la société n’ont d’emprise ― on a longtemps continué de faire ce type de comparaison sans réelle remise en question.

Enjeux « sociopolitiques », parce que ce type de raisonnement peut rapidement servir de critère dans une discussion qui viserait à hiérarchiser des « civilisations ». En réalité, comme on peut le lire dans la présentation du projet européen SAW[33] (mathematical Sciences in the Ancient World) : « Au XIXe siècle, la constitution des Etats-nations a joué un rôle clé dans la formation de l’histoire des sciences en tant que discipline. » En retour, « en raison du prestige attaché à la science », cette discipline  a fourni certains des critères pour distinguer des « communautés » ou encore des « civilisations ». Il en résulte (« pour partie ») l’eurocentrisme qui sévit encore en histoire des mathématiques aujourd’hui : l’idéologie qui voudrait par exemple qu’il n’existe pas de raisonnement logique digne de ce nom avant les Grecs, ou que les mathématiques dites « arabes » ne soient qu’une simple appropriation de la science grecque, qu’un simple point de transit entre « eux » et « nous », comme dirait Høyrup. S’extirper de cette idéologie demande une analyse fine des méthodologies de l’histoire des mathématiques afin d’en reconnaître les biais, pour mieux renouveler les approches théoriques.

Des deux courants historiographiques dénoncés dans la présentation du projet SAW comme véhiculant une « image immuable des mathématiques », l’historiographie orientée par les travaux de Neugebauer et Thureau-Dangin sur les mathématiques cunéiformes appartient à celui qui : « s’intéresse […] aux concepts et résultats mathématiques ou astronomiques sans véritablement prêter attention à leurs dimensions sociales et culturelles ». Il faut préciser pourtant que les travaux de Thureau-Dangin, et au départ ceux de Neugebauer, n’allaient pas clairement dans ce sens. De façon générale, leurs travaux sont encore aujourd’hui reconnus pour leur exceptionnelle qualité. Les biais discutés ci-après ne peuvent donc pas être réduits à des erreurs de chercheurs qui manquaient de rigueur. Il faut plutôt les voir comme le résultat de pratiques largement admises qui sont le reflet d’un contexte historiographique et philosophique différent de celui de la recherche actuelle.

Une caractéristique frappante de ces éditions est l’usage que font les deux pionniers des notations mathématiques modernes. Dans leur souci de clarté, et avec les connaissances à leur disposition concernant les langues sumériennes et akkadiennes, ils ont traduits les termes qu’ils pouvaient interpréter comme désignant des opérations arithmétiques par « addition », « multiplication », etc. Dans leurs commentaires, ils en arrivèrent naturellement à rendre compte des procédures cunéiformes par des suites d’égalités utilisant le symbolisme algébrique habituel. On lit par exemple dans l’introduction de  TMB : « Le problème 1 est énoncé comme il suit : ″ J’ai additionné la surface et le côté de mon carré : 45’ ″. Dans notre algèbre symbolique nous écririons :

x2 + x = 45’ »[34]

On voit qu’ils avaient bien conscience de « moderniser » les mathématiques cunéiformes. Le problème est que ce qu’ils commentaient ne correspondait dès lors que de très loin à la transcription qu’ils donnaient eux-mêmes du texte.  Høyrup a montré comment cette pratique, qui semble bien inoffensive et naturelle tant qu’elle reste cantonnée aux commentaires, gommait en réalité des clés pour comprendre la façon de penser des savants akkadiens.[35]

Il a révélé notamment que différents termes servaient à désigner ce que les pionniers traduisaient par une même opération. Par exemple, kamārum et waābum sont deux verbes akkadiens employés, souvent dans les mêmes problèmes, apparemment pour prescrire l’addition. En réalité, ces termes n’étaient pas synonymes, mais renvoyaient à des opérations distinctes de « découpages », de « déplacements », qui trouvent un sens dans une représentation géométrique des problèmes. Pas à pas, le lecteur d’une procédure est ainsi invité à opérer des transformations sur des figures, elles-mêmes n’étant pas directement mentionnées dans le texte. Il apparaît donc que  les algorithmes qu’on pensait lire dans les tablettes mathématiques ne sont pas clairement des procédures algébriques, ni au bout du compte, de vrais algorithmes. Ils ne se réduisent pas à une suite de prescriptions aveugles, mais contiennent en substance leur propre justification, au moyen du choix des termes opératoires qui rend transparent la structure  de la construction qu’ils effectuent.[36]

En outre, cette utilisation d’un formalisme moderne au dépend d’une interprétation plus littérale du texte a amorcé une diminution de l’intérêt pour l’analyse philologique du contenu des sources. Ce phénomène se révèle durant l’édition des MCT au début des années 1940, lorsque Albrecht Goetze, professeur d’assyriologie à Yale University et proche collaborateur de Neugebauer, propose de différencier, parmi l’ensemble des tablettes mathématiques paléo-babyloniennes à paraître, des groupes de commune provenance au moyen d’une analyse de leurs propriétés linguistiques et orthographiques. En examinant la correspondance entre Goetze et les éditeurs des MCT, Christine Proust peut souligner l’attitude ambigüe de Neugebauer et Sachs à l’égard de ce travail[37]. Pour elle, si ces derniers semblent enthousiastes, ils ne se montreraient pas très concernés par les résultats potentiels. En cause : leur conviction de l’homogénéité des mathématiques paléo-babyloniennes. Et en effet, si le travail  de Goetze paraît bien dans les MCT, sa demande d’un chapitre de la main des éditeurs en vu d’articuler le sien avec le reste des MCT reste sans réponse, ni dans la correspondance, ni dans les faits. Le chapitre est cantonné à la fin de l’ouvrage, sans plus d’impact sur la structure résolument thématique de celui-ci, sans même une note des éditeurs à son propos. Si des contraintes propres à l’agenda éditorial avaient été seules en cause, Neugebauer et Sachs auraient pu tout de même spécifier qu’ils n’avaient pas eu le temps d’intégrer plus amplement les résultats de Goetze à leurs propres travaux.  De plus le titre qui a été donné à ce chapitre  par les éditeurs,  « The Akkadian Dialects of the Old-Babylonian Mathematical Texts. By A. Goetze »[38], va à l’appui de cette thèse. Le choix de cette formule est assez étonnant au regard du contenu du chapitre, qui s’intéresse certes aux dialectes, mais en tant que critère de classification des textes mathématiques. Cela laisse à penser qu’il s’agit seulement d’une étude de linguistique pour les linguistes, ou à la rigueur pour aider les historiens des mathématiques de la Mésopotamie dans le déchiffrement de leurs textes à l’avenir.  Or ce n’est pas ainsi que Goetze voyait son travail. Pour lui, il s’agissait d’une contribution directe à l’étude du corpus mathématique, au point de lui faire craindre d’empiéter sur le travail de Neugebauer[39].

Il y a donc à cette époque, pour Neugebauer et Sachs, une distinction claire entre le contenu mathématiques des sources et leur contenu linguistique, l’hypothèse tacite que les mathématiques peuvent être saisies indépendamment du texte. Même si Neugebauer ne publie plus à propos des mathématiques de la Mésopotamie après les MCT (il se tourne vers l’histoire de l’astronomie), il faut attendre les années 1980 pour que d’autres chercheurs, Høyrup mais aussi Jöran Friberg, proposent une autre façon de traduire les textes, procédant à ce qu’ils appellent des traductions conformes : des traductions qui perdent de l’élégance dans la langue de destination au profit d’un plus grand respect du sens littéral[40], et de l’ordre des mots dans la source. Dès lors les résultats de Goetze sont confirmés et approfondis,  et les particularités dialectales rencontrées dans les textes sont systématiquement mises en corrélation avec des caractérisations de cultures mathématiques distinctes.

De Neugebauer et Thureau-Dangin à Høyrup et Friberg, c’est bien un point de vue sur l’historiographie qui a changé. Les traductions conformes sont difficiles à suivre sans commentaires, mais elles permettent de saisir le raisonnement des savants mésopotamiens et leur façon de concevoir les mathématiques, en évitant les interprétations basées sur une conceptualisation moderne. L’accent n’est pas tant mis sur ce que savaient des mathématiques les acteurs du passé à leur époque, que sur comment ils pratiquaient cette science.

Pourtant, les pratiques de transcription et traduction des pionniers ont encore une influence directe sur les pratiques actuelles. Il a été noté plus haut que lorsque Thureau-Dangin présente « l’équation du second degré » citée plus haut, il traduit un nombre par « 45’ ». Le savant français avait recourt ainsi aux symboles qu’on utilise pour les degrés (°), minutes d’arc (’) et seconde d’arc (’’) dans le but de spécifier l’ordre de grandeur du nombre. Pour ce faire, il partait du principe qu’il y avait une unité de référence dans les nombres d’un texte donné, et la signalait le cas échéant par le symbole des degrés « ° ». Donc ici, « 45’ » signifie que l’unité est le « soixantième » de l’unité de référence, c’est-à-dire l’unité immédiatement inférieure au « degré ». Comme 45, c’est trois quarts de soixante, le nombre 45’ est à comprendre comme étant trois quarts de l’unité. Ainsi, en base 10, il s’agit de 0,75. On voit que cette notation introduit une correspondance univoque des nombres ainsi écrits avec ceux de la base 10, ce qui est l’objectif cherché. Pourtant le système NSP est relatif, comme expliqué dans la première partie : il ne permet pas une telle correspondance, bien qu’au cas par cas le contexte permette éventuellement d’en restaurer une. L’habitude d’introduire une notation pour spécifier l’ordre de grandeur des nombres écrits en NSP est donc en soi une interprétation du texte. Au  début des années 1930, Neugebauer se posait déjà la question de la meilleure notation à utiliser pour transcrire les nombres écrits en NSP[41]. Il préconisait d’éviter de spécifier l’ordre de grandeur des nombres dans la transcription, afin de rester fidèle à l’ambigüité du texte cunéiforme, mais ne voyait pas d’inconvénient à lever cette ambigüité dans la traduction. Pour lui, il s’agissait d’une « pure affaire de convention »[42]. Les choses n’ont guère évolué depuis, et dans la plupart des publications actuelles, l’ordre de grandeur des nombres est reconstitué dans les traductions et les commentaires. En bref, si un effort considérable a été fait concernant la transcription et la traduction des mots dans les problèmes mathématiques cunéiformes, les pratiques de transcription et traduction des nombres n’ont pas fait l’objet du même regard critique[43]. Or si le système NSP est bien un outil de calcul comme s’accordent à le penser tous les historiens contemporains, pourquoi le rendre semblable à un quelconque système numérique ? Il y a fort à parier que si l’on se sent encore obligé de spécifier l’ordre de grandeur des nombres dans les traductions de procédures ne faisant aucune référence à des quantités concrètes (donc, sans signes métrologiques) afin que le lecteur puisse suivre les calculs, c’est qu’il nous reste quelque chose de fondamental à comprendre par rapport aux pratiques mathématiques des scribes de la Mésopotamie antique.

Enfin, dans le choix même de leurs sources, les éditeurs ont eu à se demander ce qu’était, au fond, un texte mathématique. Pour Neugebauer, l’étude des listes métrologiques « n’apporte aucune connaissance à l’histoire des mathématiques au sens propre. »[44] Parle-t-il de « mathématiques au sens propre» ou bien de l’« l’histoire des mathématiques au sens propre» (même l’allemand ne permet pas de lever l’ambigüité) ? La première hypothèse semble plus vraisemblable. En effet, quelques années plus tôt, Neugebauer expliquait lui-même que l’article intitulé Numération et métrologie sumériennes de Thureau-Dangin en personne lui avait fait comprendre « l’énorme signification de la métrologie pour les débuts des mathématiques ».[45]

S’agissant donc de montrer des mathématiques « au sens propre », les éditions de Neugebauer comme Thureau-Dangin privilégient les grands textes qui témoignent de l’érudition de leurs auteurs. La disparition du savant français en 1944 participe sans doute, en l’absence de sa voix, à la définition restrictive de ce qu’est une « tablette mathématique » et au désintérêt pour les tablettes métrologiques qui s’ensuit. Il en résulte que, pour reprendre encore les mots de Christine Proust : « dans la période 1930-1975, c’est-à-dire celle où l’essentiel du corpus des mathématiques cunéiformes aujourd’hui connu a été exhumé, déchiffré, traduit et interprété, les listes et tables métrologiques occupent une place marginale dans le travail d’édition des textes. »[46]

Les textes dont le contenu mathématique est perçu comme trop simple connaissent le même destin. On sait pourtant désormais que les textes métrologiques sont  indispensables à la reconstitution du curriculum de formation des scribes à l’époque PB, puisqu’ils en sont un élément central[47]. Ce type de reconstitution ― emblématique du renouveau des études dans le domaine ― a d’abord été rendu possible non seulement grâce à la découverte de nouvelles sources (tablettes d’Ešnunna, tablettes de Suse) mais aussi par la prise en compte des tablettes contenant des exercices mathématiques de niveau élémentaire, celles dont le contenu n’a rien de sensationnel du point de vue mathématique « au sens propre »[48].

De façon générale, une classification des types de textes distinguant scrupuleusement le type « mathématique » empêche de se renseigner sur les pratiques dans leur contexte, que celui-ci soit scolaire, administratif ou autre. On l’a vu, le terme « mathématique » pris comme critère de classement risque en effet d’introduire des anachronismes dans les réflexions, tant il  a toutes les chances d’être inconsciemment lié, dans l’esprit du chercheur, à des représentations modernes de ce qu’il désigne. Il y a par ailleurs deux autres avantages évidents à relier les mathématiques à leur contexte social : expliquer certaines pratiques de calculs, tel l’usage de coefficients standards dont la signification n’est pas explicite dans les textes mathématiques au sens de Neugebauer[49], et approfondir les résultats des recherches qui s’effectuent au-delà des limites de la période PB.

Conclusion

La discussion précédente rend donc manifeste comment ces caractéristiques de l’historiographie issue des premiers travaux sur les mathématiques cunéiformes ont pu contribuer à l’uniformisation de ce que Thureau-Dangin allait jusqu’à appeler « la mathématique babylonienne »[50]. Cette uniformisation s’est faite d’une part sur le plan temporel, en privant les pratiques anciennes de leur contexte et en en donnant une image modernisée, d’autre part sur le plan spatial, en gommant les disparités régionales. Immuabilité des mathématiques, une seule voie possible dans leur évolution : on comprendra que la citation d’Høyrup à propos du danger de « la première interprétation de l’algèbre babylonienne »  n’avait rien d’une caricature.

Cependant, à proprement parler, les éditions de Neugebauer et Thureau-Dangin (comme celles des textes mathématiques mésopotamiens en général), ne sont pas des éditions critiques. Si elles impliquent bien des opérations d’analyse, de copie, translittération, transcription, et traduction de source anciennes, si elles prétendent à une rigueur scientifique et sont effectivement remarquables à cet égard, elles visent la plupart du temps un texte attesté par une source unique : la[51] tablette d’argile qui en est le support. D’un autre côté, à plus d’un titre, leurs travaux vont bien au-delà de la « simple » édition d’un texte, et posent autant de problèmes à l’historiographie de l’histoire des sciences que ne le font les éditions critiques.

D’abord, il s’agissait d’éditer un recueil de textes. Cette nature de « recueil » a sans doute amplifié l’effet, sur la génération suivante de chercheurs, du biais dans la sélection des sources, en contribuant à canoniser au regard de l’historiographie d’une part la sélection des textes retenus, et d’autre part le type de textes qui la composent. Ainsi, ce n’est pas seulement la sélection du corpus qui pose problème, mais l’agencement, la structuration de celui-ci, qui juxtapose dans un même ouvrage des textes dont la provenance, la date et/ou le contenu peuvent varier considérablement de l’un à l’autre.

Ensuite, les textes en question sont de sources anciennes, rédigés dans des langues que plus personne ne pratiquait depuis près de 2000 ans (à la différence du latin ou du sanskrit), au moyen d’un système scriptural dont l’usage avait lui aussi été oublié et qu’il a donc fallu déchiffrer en se basant uniquement sur les sources archéologiques, sans même disposer de l’équivalent d’une pierre de Rosette[52]. Au risque habituel de succomber à des anachronismes en interprétant le sens de ces textes ― un risque qui, on l’a vu ici avec les mathématiques, peut être plus subtil qu’il n’y paraît ― s’ajoute donc le fait d’avoir à choisir entre les différentes lectures possibles des signes cunéiformes d’après des reconstructions nécessairement modernes des langues en jeu. Ce choix fait appel à quelque chose de plus que l’expertise linguistique. En témoigne le fait que la question de la langue dans laquelle transcrire les textes mathématiques paléo-babyloniens, quand ceux-ci font massivement usage d’idéogrammes sumériens, était déjà un point de désaccord entre Thureau-Dangin et Neugebauer, les deux experts[53].

Mais encore plus que la translittération ou la transcription, la traduction est le mot clé. Selon le principe du cercle herméneutique, c’est une idée de la traduction (même vague) qui guide d’abord le choix de la lecture d’un signe, avant même de fixer la transcription par écrit et de procéder ensuite à une traduction rigoureuse. L’intrication entre la philologie et l’histoire des mathématiques apparaît donc, via les éditions de textes anciens, éminemment complexe. Elle soulève des enjeux historiographiques forts même dans le cas d’éditions n’entrant pas dans la catégorie des « éditions critiques », c’est-à-dire celle de l’édition de textes qui nous sont parvenus via une longue tradition. Finalement, la traduction des savoirs anciens à destination d’un public contemporain est un processus aussi risqué, au regard des écarts d’interprétations possibles, que la traduction des phrases d’une langue à une autre, même lorsqu’il s’agit de savoirs mathématiques.

Notes

[1] Voir le premier article sur la question : Wilburg Knorr, « The Wrong Text of Euclid: On Heiberg’s Text and its Alternatives » , Centaurus, 38, p. 208-276, 1996. Plus récent : Bernard Vitrac, « The Euclidean ideal of proof in The Elements and philological uncertainties of Heiberg’s edition of the text », dans Karine Chemla (éd.), The History of Mathematical Proof in Ancient Traditions. Cambridge, Cambridge University Press, 2012.

[2] Sur ces deux points, voir : Brigitte Lion et Cécile Michel (dir.), Histoires de déchiffrements : Les écritures du Proche-Orient à l’Egée, Paris, Editions Errance, 2009 (Les Héspérides, Partie I)

[3]Christine Proust, « Mathematics », dans Gonzalo Rubio (dir.), A Handbook of Ancient Mesopotamia, De Gruyter, à paraître.

[4] Plus de 250 000 inscriptions déjà répertoriées par le CDLI (Cuneiform Digital Library Initiative) [soit environ la moitié de ce qui est connu, selon Christine Proust.]

[5] À titre de comparaison, sur la période couvrant la Babylonie au XXIe siècle avant notre ère, Mieroop écrit : « even in all of the ancient histories of Greece and Rome, there are few periods where a similar profusion of textual material is found. » (Même dans les histoires anciennes de la Grèce et de Rome réunies, il y a peu de périodes où on trouve une profusion similaire de matériel textuel). Marc Van De Mieroop, A History of the Ancient near East Ca. 3000-323 Bc., 2nd éd., Blackwell Publishing, 2007 (Blackwell History of the Ancient World, p.75).

[6] L’ethnicité du « peuple » qui inventa l’écriture est une question controversée. Voir par exemple Michalowski, Piotr. « The Lives of the Sumerian Languages. » In Margins of Writing, Origins of Cultures, edited by Seth L. Sanders, 159-84. Chicago: The Oriental Institute of the University of Chicago, 2006.

[7] Le sumérien et l’akkadien sont des langues très différentes. Alors que le sumérien est le seul représentant connu de sa famille linguistique, l’akkadien appartient à la famille des langues sémitiques (arabe, hébreu, etc.).

[8] Eleanor Robson, Mathematics in Ancient Iraq: a social history, Princeton University Press, 2008 (p. 14)

[9]Marc Van De Mieroop, A History of the Ancient near East, p. 34

[10] Ce n’est hélas pas ici le lieu de parler des autres types de sources écrites qui font la richesse de l’histoire de la Mésopotamie : inscriptions royales, lettres officielles, œuvres littéraires (la fameuse épopée de Gilgamesh), listes lexicales destinées à l’enseignement de l’écriture et parmi elles, la liste des professions standards ou la liste royale sumérienne. On a même retrouvé des recettes de cuisine !

[11] La chronologie demeure incertaine. Il existe plusieurs modèles. Les dates sont données ici à titre indicatif selon la chronologie dite « moyenne ».

[12] Voir Jean-Claude Margueron dans Les Mésopotamiens,  2nd ed, Paris, A. et J. Picard, 2003, section  I.3 : périodisation.

[13]Marc Van De Mieroop, A History of the Ancient near East, p. 55-56

[14] Robson répertorie 957 tablettes mathématiques publiées à ce jour, et parmi elles 712 datées de la période PB (Eleanor Robson, Mathematics in Ancient Iraq, table B.22). Il s’agit seulement des tablettes qui traitent directement de mathématiques. Toutefois ce type de classement ne va pas sans poser problème, j’y reviendrai dans la suite.

[15] Voir Christine Proust, Tablettes mathématiques de Nippur, IFEA – De Boccard (Varia Anatolica 18), Istanbul, 2007, section I/3.1.2.

[16] Ibidem, section I/3.2.1 et p. 314.

[17] Ce sont les systèmes S et G. Pour plus de détails sur ces numérations, voir par exemple ibidem, p. 70.

[18] Ibidem, section I/3.2.2.

[19] Voir par exemple les pratiques en usages chez les marchands assyriens, décrites par Cécile Michel dans « Calculer chez les marchands Assyriens au début du IIe millénaire av. J.-C. ». Article en ligne sur CultureMaths à l’adresse : http://culturemath.ens.fr/histoire des maths/htm/Michel06/Michel_marchands.htm#système

[20] Thureau-Dangin, F.: 1932, « Nombres concrets et nombres abstraits dans la numération babylonienne. » RA 29, p. 116-119, p. 117, cité par Christine Proust dans « Le calcul sexagésimal en Mésopotamie », article en ligne sur CultureMaths à l’adresse : http://www.math.ens.fr/culturemath/histoire des maths/htm/calcul sexagesimal/calcul sexagesimal.htm

[21]Eleanor Robson, Mathematics in Ancient Iraq,

[22] À ce sujet, cf. la rubrique « tables numériques » de l’article cité à la note 19.

[23] En effet, 18 × 3 = 54, il manque donc six unités (clou vertical) pour arriver à 60 et tout grouper en un unique clou vertical. Or 18 × 20 = 3 × 20 × 6 = 60 × 6 ce qui donne les six clous manquants. À noter que 18 × 3 et 18  ×  20 figurent dans la table de dix-huit en NSP. Tous les scribes aguerris savent donc par cœur que, en NSP, 18 × 3 = 54, et 18 × 20 =…. 6 ! Il est donc très simple de voir que 3.20 × 18 donne un clou vertical !

[24]Eleanor Robson, Mathematics in Ancient Iraq, p. 82.

[25] François Thureau-Dangin (éd.), Textes Mathématiques Babyloniens, Leiden, Ex Oriente Lux., 1938.

[26] Otto Neugebauer (éd.), Mathematische Keilschrift-Texte I-III, Berlin, Springer, 1935-7.

[27] Otto Neugebauer et Abraham Sachs (éds.), Mathematical Cuneiform Texts, New Haven, American Oriental Society & American School of Oriental Research, 1945 (American Oriental Series).

[28] i.e. dont l’inverse ne peut pas s’écrire en NSP avec un nombre fini de « chiffres ».

[29]Christine Proust, « Mathematics », dans Gonzalo Rubio (dir.), A Handbook of Ancient Mesopotamia (à paraître).

[30]Eleanor Robson, Mathematics in Ancient Iraq, p7.

[31] Jens Høyrup, L’algèbre au temps de Babylone, Paris, Vuibert, 2010 (Inflexions), p.121.

[32] Pour un aperçu et une bibliographie, voir l’entrée « progrès scientifique » de l’encyclopédie de philosophie de Stanford : Niiniluoto, Ilkka, « Scientific Progress », The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Summer 2011 Edition), Edward N. Zalta (ed.), URL = http://plato.stanford.edu/archives/sum2011/entries/scientific-progress/

[33]http://www.sphere.univ-paris-diderot.fr/spip.php?article354&lang=fr. L’auteur de cette présentation est la directrice du projet SAW, Karine Chemla ainsi que les co-directrices Agathe Keller et Christine Proust.

[34] TMB, p.xxi. Le symbole « ’ » accolé au nombre 45 est expliqué plus loin.

[35] L’exposé complet des arguments de Høyrup apparaît dans Jens Høyrup, Lengths, Widths, Surfaces: A Portrait of old Babylonian Algebra and Its Kin, New York, Springer, 2002. Pour le lecteur français curieux, L’algèbre au temps de Babylone, déjà cité en note 18, est nettement plus abordable.

[36] Cette façon de rédiger les procédures en faisant ressortir par la transparence de la séquence des termes opératoires les raisons pour lesquelles elles sont correctes n’est pas propre à la culture savante paléo-babylonienne. Karine Chemla, spécialiste des mathématiques de la Chine ancienne, la retrouve dans des textes mathématiques chinois datant de l’Antiquité. Elle fait le lien avec le raisonnement d’Høyrup dans : “Proof in the Wording: Two modalities from Ancient Chinese Algorithms”, in G. Hanna, H. N. Jahnke, H. Pulte, Explanation and Proof in Mathematics: Philosophical and Educational Perspectives, Springer, 2010, pp. 253—285 (p. 273). L’article est en ligne sur HAL à l’adresse : http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/84/15/87/PDF/2010_Proof_in_the_wording.pdf

[37]Christine Proust, « Mathematical and Philological Insights on Cuneiform Texts. Neugebauer’s Correspondence with Fellow Assyriologists », dans Christine Proust, Alexander Jones, John Britton et John Steele (éds.), A mathematician’s journeys: Otto Neugebauer between history and practice of the exact Sciences (à paraître).

[38] « Les dialectes akkadien dans les textes paléo-babyloniens. Par A. Goetze. »

[39] Comme en témoigne ce passage de la lettre datée du  25/01/1943 adressée à Neugebauer et Sachs (archives de la bibliothèque de Yale,d’après laretranscriptiondonnée dans l’article de Proust à paraître) : « You will see that I felt compelled to attempt some grouping of the texts. On this point I expect your criticisms. It is my feeling that I rather encroached on your domain. »(Vous verrez que je me suis senti obligé de tenter quelques regroupements des textes. Sur ce point j’attends vos critiques. J’ai l’impression d’avoir plutôt empiété sur votre domaine.)

[40] Friberg écrit lui-même sur le principe de traduction conforme et de ses enjeux dans son chapitre 0 de A Remarkable Collection of Babylonian Mathematical Texts, New York, Springer (2007).

[41]Neugebauer, « Zur transcription mathematischer und astronomischer Keilschrifttexte », Archiv für Orientforschung, n° 8, p. 221-223. 1932-33.

[42]« Während die Transkriptionweise der Zahlen eine reine Angelegenheit der Konvention ist, … »  (Id.)

[43] Christine Proust et Cécile Michel se sont penchées sur cette question lors de leur contribution à la conférence organisée par le projet SAW : « Shaping the sciences of the ancient world », Université Paris Diderot, 17—21 juin 2013. Lire aussi : Christine Proust,  « Du calcul flottant en Mésopotamie », gazette des Mathématiciens (SMF), 2013, article en ligne à l’adresse  http://smf4.emath.fr/Publications/Gazette/Nouveautes/smf_gazette_138_23-48.pdf

[44] MKT-I p.4-5 : « für die Geschichte der Mathematik im engeren Sinne Keinerlei Ergebnis abwirft », à propos de ce qu’il nomme juste avant « die rein Metrologischen Texte »

[45] Otto Neugebauer, « Zur Entstehung Des Sexagesimalsystems », Abhandlungen der Gesellschaft der Wissenschaften zu Göttingen.Mathematisch-physikalische Klasse. Neue Folge 13, no. 1, 1927, p.5.

[46] Christine Proust, « Mesopotamian metrological lists and tables : Forgotten sources », dans F. Bretelle-Establet (ed.), K. Chemla, C. Jami, A. Keller & C. Proust (ed. board), Looking at it from Asia : the processes that shaped the sources of history of science, Boston Studies in the Philosophy of Science, 2010, p.7, cité ici dans sa version française.

[47] C’est par exemple à une telle reconstitution, concernant les sources de Nippur, que s’attèle la première partie du livre de Christine Proust cité en note 14.

[48] Høyrup retrace l’histoire de ce renouvellement des études sur les mathématiques cunéiformes dans son article très influent, “Changing trends in the historiography of Mesopotamian mathematics: an insider’s view”, History of Science 34, 1996, p. 1-32.

[49] À ce sujet, voir Robson, « Mesopotamian Mathematics, 2100-1600 BC », Technical Constants in Bureaucracy and Education, vol. XIV. Oxford, Clarendon Press, 1999 et Karen Rhea Nemet-Nejat, Cuneiform Mathematical Texts as a Reflection of Every Day Life in Mesopotamia, vol. 75. New Haven: American Oriental Society, 1993.

[50] TMB, p. ix.

[51] Pour être précis, il faut ajouter qu’il n’est pas rare non plus qu’un texte se prolonge sur plusieurs tablettes.

[52] i.e. une source mettant en regard un texte rédigé dans un script oublié avec le même texte rédigé en un script dont l’usage est connu. Les inscriptions bilingues, voire trilingues, quoique entièrement rédigées en cunéiforme, ont en revanche joué un rôle essentiel dans le déchiffrement et la reconstitution des langues parlées dans la Mésopotamie antique. Pour une histoire du déchiffrement de ces langues, je renvoie le lecteur à l’ouvrage collectif édité par Brigitte Lion et Cécile Michel cité en note 2.

[53] Voir « Zur transcription mathematischer und astronomischer Keilschrifttexte » (déjà cité en note 41). Neugebauer y reproche à Thureau-Dangin son « akkadéisation » des transcriptions, en ce que cette pratique introduit de l’arbitraire, masque la traçabilité des choix de transcriptions, mais surtout masquerait la valeur supposée de symboles mathématiques qu’auraient les caractères sumériens pour les savants akkadiens. Christine Proust analyse les enjeux de ce débat par éditions interposées dans  sa contribution à l’ouvrage édité par Gonzalo Rubio, A Handbook of Ancient Mesopotamia, cité en note 3.