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Terminologie, échelles, usages du cartulaire. L’exemple du manuscrit AA 84 des archives municipales de Douai

Marion Bestel

 


Résumé : À partir du XIIe siècle, Douai figure parmi les villes médiévales les plus dynamiques. La production écrite communale reflète particulièrement cette vitalité, aussi bien par son volume, son contenu, que par sa diversité formelle. Le manuscrit AA 84, qui en est issu, sert ici de support pour interroger la typologie documentaire forgée a posteriori, et en particulier les catégories de « registre » et de « cartulaire ». Leur porosité ainsi que l’aspect hétéroclite du manuscrit dans son ensemble permettent en outre d’éclairer la vitalité à l’œuvre dans chaque temporalité de réalisation du manuscrit, rédigé du XIVe au XVIIe siècle, et l’intérêt d’aborder un tel document en suivant une approche multiscalaire. Justifiées par des différentes logiques pratiques, les différentes strates de composition sont rendues visibles par la mise en œuvre d’une diversité de modèles scripturaires dont l’efficacité pratique est mise au service du gouvernement urbain et de ses besoins.

Mot-clés : pratiques de l’écrit, cartulaire, histoire urbaine, Douai, Moyen âge.


Marion Bestel, née le 3 mars 1997, est étudiante en Master 2 Gestion des Archives et de l’Archivage à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Elle y a réalisé un mémoire de recherche en histoire culturelle et sociale. Son travail porte sur l’histoire des pratiques de l’écrit urbain dans le Nord de la France à la fin du Moyen Âge.

marion.bestel@ens.uvsq.fr


Introduction

Depuis le dernier tiers du siècle dernier, le courant de l’étude des pratiques de l’écrit n’a cessé se développer au point de constituer l’une des branches les plus dynamiques de l’histoire culturelle et sociale, en particulier médiévale. Convoquant sciences auxiliaires et approche transdisciplinaire, les chercheurs et chercheuses, de Michael Clanchy[1] à Pierre Chastang[2] en passant par Anna Adamska[3] et Paul Bertrand[4], ont renouvelé le regard porté sur les documents écrits en mettant en lumière l’intérêt qu’ils représentent bien au-delà de leur contenu textuel. Matérialité, mise en page, organisation interne, sont autant d’aspects qui ont été et sont encore étudiés avec succès.

L’histoire – et celle des pratiques de l’écrit n’échappe pas à la règle – s’appuie sur des concepts et notions nécessaires aussi bien à la description de phénomènes ou d’objets qu’à leur communication et à l’établissement d’un langage commun[5] entre chercheurs d’un même champ. Ainsi, l’étude des pratiques de l’écrit repose sur l’usage d’une terminologie parfois ancienne, reprise par les archivistes dans le cadre de la redéfinition de leur mission au XIXe siècle, revue et corrigée enfin par les historiens actuels. Ces derniers, toutefois, ont franchi un cap supplémentaire en réinterrogeant la pertinence des typologies documentaires apparemment induites par l’usage de ces appellations, et en mettant en lumière non seulement une grande diversité, mais aussi une grande porosité documentaire dont les cadres usuels peinent à rendre compte fidèlement.

Nous avons fait ce constat au cours de notre propre recherche monographique sur le manuscrit coté AA 84 des archives municipales douaisiennes[6]. Présenté comme le « cartulaire AA 84 », mentionné par le seul instrument de recherche[7] portant sur cette série[8] dans la catégorie des « Cartulaires et registres aux privilèges ; registres aux bans ; registres aux ordonnances des échevins et des souverains, modifiant la coutume »[9], brouillant la frontière entre cartulaires et registres – typologies distinctes et bien définies par ailleurs –, il nous a d’autant plus conduite à réfléchir sur sa nature documentaire que son organisation a d’abord semblé chaotique et dépourvue de toute logique apparente. Le présent article a pour dessein de rendre compte de cette interrogation globale pour, dans un deuxième temps, mettre en évidence l’apport d’une approche multiscalaire de l’écrit urbain médiéval, surtout lorsque, réalisé sur un temps long, du XIVe au XVIIe siècle, il présente une très grande hétérogénéité formelle. Enfin, il s’agira de démontrer comment cette pluralité de strates de composition formelle constituent autant de réponses à une recherche d’efficacité pratique dans le cadre d’un véritable gouvernement urbain par l’écrit.

Cartulaire et registre : deux typologies documentaires en question

Éléments de définition

L’ambiguïté du cartulaire en tant que typologie documentaire tient à un certain nombre de ses caractéristiques, et en premier lieu au flou qui entoure le mot lui-même. Son utilisation a, qui plus est, évolué au fil du temps : plus souple et poreuse au XIXe siècle, le terme étant alors presque interchangeable avec ceux de « registre » ou de « volume »[10], elle se précise grâce à un dynamisme toujours à l’œuvre depuis une cinquantaine d’années autour des études des pratiques de l’écrit.

Étymologiquement, il vient du mot latin cartularium ou chartularium « de chartula, papier, diminutif de carta »[11]. Ces deux derniers termes, fort génériques, se faisant synonymes de « papier »[12], le « cartulaire » renvoie sommairement à un recueil contenant des copies d’actes. Ajoutons à cette base le fait qu’il résulte d’une démarche de compilation, en tant que « volonté de rassemblement consciente et structurante des textes » d’acteurs « chargés de rassembler, coordonner […] des textes ou des fragments de textes autour d’une thématique, afin d’en former un recueil relativement structuré »[13], qui se rapproche donc d’un principe de collection. Le Vocabulaire international de la diplomatique, quant à lui, ajoute plus récemment une nuance supplémentaire en ceci que le cartulaire se distingue du recueil de chartes par son producteur : alors que le premier est établi « par l’intéressé lui-même à l’aide de ses propres documents », le second est forgé « par des érudits, anciens ou modernes »[14].

Par élimination, le cartulaire ne relève donc pas d’une réalisation au fil de l’eau, ni d’un souci d’exhaustivité, mais d’un projet cohérent et anticipé mis en place dans un but prédéfini. C’est là que le bât blesse : au contraire de certains exemplaires d’écrits d’ordre littéraire, il n’existe pas, dans la plupart des cas, de correspondance entre un commanditaire et un réalisateur, ni de préambule dédicatoire ou non qui servirait de contextualisation pour le cartulaire. La thématique, qui structure le manuscrit, est donc rarement évidente, en l’absence d’une formulation explicite. C’est donc à l’historien qu’il incombe de la faire émerger, parfois avec peine, afin de saisir la logique qui sous-tend l’ensemble, tout en prenant garde à ne pas plaquer ses propres schémas de pensée, bien souvent aussi anachroniques que préconçus, en tous cas inadaptés à son objet.

Le registre répond à des impératifs différents, et constitue un objet tout aussi complexe. En effet, il correspond davantage à une démarche d’enregistrement des actes reçus (ou émis) par son producteur ou commanditaire, et se doit donc, par conséquent, d’être alimenté régulièrement, sans procéder à un ordonnancement particulier : les actes sont censés être copiés les uns après les autres, dans l’ordre chronologique d’émission ou de réception, bien que dans la pratique les copies puissent se faire par blocs. Les registres médiévaux du Parlement de Paris[15] en constituent un exemple représentatif : chaque audience y est résumée dans l’ordre chronologique, quitte à ce que la même affaire soit évoquée à plusieurs pages d’intervalle, l’avancée dans le codex illustrant le laps de temps qui en sépare deux épisodes. De plus, le registre comporte une fonction de validation : l’enregistrement, c’est-à-dire la mise en registre, correspond à une reconnaissance, par son récepteur en particulier, et donc, pour les actes, à une entrée en action. Toutefois, des zones d’ombre subsistent. En effet, si le caractère illusoire de sa « qualité de source exhaustive et transparente »[16] n’est plus sujet à débat, ses modalités de complétion sont, elles aussi, moins claires et harmonisées qu’on ne pourrait l’imaginer : textes tantôt transcrits, tantôt résumés, parfois même traduits ; tantôt d’après une minute, tantôt d’après l’original[17] ; etc.

Cartulaires et registres apparaissent donc comme deux typologies distinctes, qui sont parfois associées et confondues quand elles désignent l’objet plutôt que son contenu. La catégorisation archivistique de l’Inventaire analytique que nous mentionnons plus haut en constitue une illustration : mis sur un pied d’égalité, cartulaire et registre s’opposent aux chartes et renvoient à la forme matérielle du livre. Toutefois, cette assimilation des deux genres excède leur aspect. En effet, leur proximité a même pu ponctuellement conduire à une forme de fusion, comme c’est le cas des cartulaires-registres de Philippe Auguste, ou du cartulaire des Trencavel de Béziers, et, plus au nord, de Picquigny et de Pamele[18], plus proches de l’aire géographique de notre étude. Y ont été observées des pratiques qualifiées de « cartulaire à rebours » et de « rétro-enregistrement, groupé dans le temps »[19], qui semblent converger l’une vers l’autre et permettent de saisir la porosité de la limite qui les sépare, et du même coup la nécessité de s’affranchir d’une vision trop figée et cloisonnée du paysage documentaire médiéval.

Le manuscrit AA 84 : hybride ou hapax ?

Une fois ce décor planté, quid du manuscrit AA 84 ? La compréhension de ce dernier relève, à première vue, du défi. Il se caractérise, en effet, par une grande hétérogénéité formelle, avec pas moins de treize ensembles différents, plus ou moins soignés et ornés, mais aussi par une absence de classement uniforme, qu’il soit chronologique, topographique, ou personnel – nous y reviendrons. Ces treize ensembles ont été circonscrits en fonction de leurs caractéristiques en termes de graphie, de mise en page, et de présence ou non de décoration. Nous nous attarderons simplement ici sur le décalage entre les folios 1 à 32 et 33 à 35. Dans le premier cas, les copies ont fait l’objet d’un soin tout particulier : tracées en textura régulière, elles prennent place dans un cadre préparé en amont encore perceptible grâce aux traces de réglure marginale et interlinéaire, et bénéficient chacune d’une superbe initiale filigranée bichrome rouge et bleu. Dans le second, et de façon plus frappante encore à partir du verso du folio 33, la textura fait place à une minuscule diplomatique puis à une cursive, toutes deux gothiques, plus resserrées, avec des marges rétrécies, peu d’espace entre les lignes et même les copies, et sans initiale ornée. L’effet contrasté qui s’en dégage est celui, d’une part, d’un projet construit, anticipé, peut-être de longue date, voire commandé ; d’autre part, d’une forme de précipitation, pour ne pas dire d’urgence – l’écriture des folios 34 et 35 est si difficilement lisible que les actes concernés n’ont pu donner lieu à une notice dans l’Inventaire analytique –, d’instantanéité, en tous cas, qui se rapprocherait donc de la démarche présidant à la tenue d’un registre.

Pour autant, est-ce à dire que le manuscrit AA 84 serait désigné sous le terme de cartulaire de façon abusive ? Rien n’est moins sûr. En effet, à bien y regarder, les actes copiés sur les folios 32 v° à 35 constituent un ensemble faisant sens, du moins pour les folios 32 v° et 33 : à une exception près, ils émanent tous d’institutions religieuses, et même de papes, pour les trois premiers. Ils forment donc un petit dossier défini par la nature de l’émetteur des chartes, sans autre critère, pas même chronologique. D’autre part, bien qu’elles tranchent avec celles des folios précédents et suivants, les copies qui y figurent forment un ensemble relativement harmonieux, exception faite de la scission au verso du folio 33, notamment en termes de graphie et d’encre. Il semblerait donc plutôt qu’il s’agisse d’une phase de copie à part entière, et non d’une succession de copies ponctuelles pièce à pièce, qui se rapproche d’un moment de complétion d’un cartulaire plus que du mode d’enrichissement d’un registre. Par ailleurs, contrairement à certains registres, ce manuscrit n’est apparemment doté d’aucune valeur juridique ou probatoire en soi : seules quelques copies ont été collationnées, c’est-à-dire vérifiées conformes à l’original et donc authentifiées. D’autres parades ont été mises en œuvre pour compenser ce manque de portée légale, comme la reprise d’éléments extratextuels des actes originaux, des mentions portées sur le repli de l’acte à la reproduction de la présentation visuelle de l’eschatocole, destinés à souligner le souci de fidélité qui unit la copie à son original.

Le manuscrit AA 84 n’est donc pas un objet hybride, à la fois cartulaire et registre. Il est au contraire bien identifié – comme un cartulaire, donc – et aurait changé non pas de statut, mais de logique et donc de critères d’organisation : un projet redéfini et adapté aux différents moments d’une réalisation échelonnée dans le temps. Ainsi, à une prime accordée à la « volonté de prestige »[20] succède ce que l’on peut supposer être un besoin de pérennisation des actes reçus – a fortiori compte tenu du fait qu’aucun autre exemplaire des trois bulles papales concernées ne semble avoir subsisté dans les fonds des archives municipales douaisiennes, si l’on se réfère au travail de Chrétien Dehaisnes et de Jules Lepreux[21]. Il s’agit bien, toutefois, d’une pérennisation raisonnée, certains actes originaux conservés par la ville n’ayant pas fait l’objet d’une copie, que ce soit en raison de leur caducité, souvent liée à leur ancienneté[22], ou de leur non-conformité à l’image que la ville semblait vouloir forger d’elle-même et de ses relations avec le pouvoir royal ou comtal[23].

La diversité de ces volontés et besoins, nous venons de le voir, est notamment rendue palpable grâce aux différents modèles scripturaires déployés au fil du cartulaire. Cette pluralité apparaît, pour l’historien, comme une invitation à revoir son approche du codex, et à abandonner une vision à la fois trop monumentale et trop monolithique souvent liée à l’objet-livre

Hétérogénéité et réalisation de longue haleine. Pour une approche multiscalaire de l’écrit pratique médiéval

Afin non seulement de rendre compte de la diversité formelle et temporelle du cartulaire, mais aussi de lui donner un sens, il convient de renoncer à une approche exclusivement globale du manuscrit, et de la concilier avec des changements d’échelle, ces derniers permettant de considérer chaque ensemble identifié comme un objet à part entière, qui pourra ensuite être rapproché et comparé aux autres. Toutefois, il n’existe pas une manière unique de circonscrire les ensembles en question : plusieurs critères peuvent être choisis, qui se recoupent parfois, mais pas toujours[24].

Prenons l’exemple du collationnement, qui vise à repérer le nombre de cahiers qui composent un manuscrit et le nombre de feuillets qui les composent[25]. L’ensemble de référence est alors le cahier dont les caractéristiques, comme le nombre de feuillets ou la qualité de parchemin, peuvent éclairer la finalité, voire la datation. Il s’agit ici d’unités matérielles, tangibles et distinguables visuellement. Ainsi, si les folios portant les numéros 1 à 32 ont été taillés dans des peaux remarquables par leur blancheur et leur finesse – au point d’avoir été qualifiées de « vélin », d’après une annotation portée sur le tout premier folio –, les suivants offrent à voir un contraste parfois saisissant, certains feuillets présentant des taches, une inégalité dans leur couleur, et une épaisseur qui, aujourd’hui du moins, confine à la rigidité. Ces changements parfois subtils confirment, sans même analyser les modèles de graphie et de mise en page, la réalisation sur le temps long et probablement discontinue du manuscrit, par ajouts successifs. À l’aune de ces observations, le cartulaire regagne son caractère vivant d’écrit de la pratique, produit en fonction de besoins donnés à un moment donné et accompagnant les aléas rencontrés par la communauté.

Le collationnement ne constitue toutefois qu’une première étape, une porte d’entrée concrète dans le manuscrit. Si vingt-deux cahiers ont été dénombrés, avec de grandes variations dans leurs composition (de deux à dix feuillets), seulement treize ensembles ont été comptabilisés d’après des critères formels et scripturaux. En déplaçant le curseur vers cet autre type de critère, d’ordre plus formel, ce sont d’autres informations qui émergent. Alternent en effet au sein du cartulaire des ensembles particulièrement élaborés, décorés avec soin, dont on ne peut que supputer le coût et la lenteur d’exécution, et d’autres moins raffinés, qui semblent avant tout focalisés vers une copie rapide et immédiatement disponible et maniable des textes. Les premiers, au nombre de trois (folios 1 à 32, 36 à 42, 66 à 92), sont caractérisés par la présence d’initiales ornées, filigranées puis cadelées, et par le recours à une graphie globalement plus lisible du fait de sa taille, de la couleur de l’encre employée, et de la technique utilisée : une textura puis une bâtarde, dont le tracé lettre à lettre exige une patience et une minutie accrue par rapport à un ductus continu typique du bref retour à la cursive dans les deux derniers folios. C’est donc une alternance entre apparat et sobriété, entre priorité faite au prestige et besoin d’efficacité : entre objet de luxe et objet de la pratique, en somme.

Ces différentes phases sont à mettre en regard avec les événements qui leur sont contemporains : le début du cartulaire, dont la datation est estimée vers 1318 par Thomas Brunner[26], prend place dans une période mouvementée de l’histoire des relations entre le comté de Flandre et son royal suzerain. Initié sous le règne de Philippe V, le projet originel du cartulaire, qui fait la part belle aux copies d’actes royaux occupant les huit premiers folios, peut être interprété comme un gage du lien indéfectible et de la bonne entente qui unissent la ville et le roi de France. De la même manière, l’ensemble des folios 36 à 42 constitue essentiellement un dossier autour du mariage de Marguerite de Male et de Philippe II de Bourgogne, qui prépare le basculement du comté de Flandre et donc de Douai dans l’escarcelle bourguignonne. Or, dans cet ensemble, s’observe un retour au modèle formel déployé dans les premiers folios, c’est-à-dire à un modèle caractéristique d’une relation présentée comme forte vis-à-vis d’un dirigeant légitime par une ville désireuse d’apparaître sous son meilleur jour : fidèle et prospère. Enfin, le troisième ensemble remarquable que nous avons mentionné, échelonné sur les folios 66 à 92, marque une rupture avec ses deux prédécesseurs, bien qu’il traduise une entreprise ostentatoire similaire. En effet, l’usage des initiales cadelées, dont la cour de Bourgogne s’est faite centre de diffusion, au point de leur faire atteindre des « sommets de raffinement » au XVe siècle[27], associé à la prégnance des actes bourguignons et de leurs confirmations, dont les copies semblent dater, pour les premières (jusqu’au folio 85) de 1517, ne sauraient être une coïncidence. Ils interviennent en effet entre l’accession de Charles de Gand, duc de Bourgogne et de facto comte de Flandre, aux titres de roi de Naples, de Sicile et de Jérusalem et de roi des Espagnes en 1516 et sa nomination comme roi des Romains puis son couronnement comme empereur en 1519. Au cours de cette période de transition, il est crucial pour le futur Charles Quint de réaffirmer sa légitimité et de consolider l’ensemble de ses possessions, appelées à former un empire. Le choix, pour ces copies, d’un modèle formel passé de mode mais fortement rattaché au duché de Bourgogne, qui symbolise tout à la fois ses origines, le jeu des transmissions territoriales afférentes et consolide l’emprise aussi bien territoriale que personnelle du candidat au titre impérial apparaît comme un moyen pour la ville de Douai de renouveler l’expression de son soutien et de son allégeance. Il est également possible que les copies des actes n’aient fait que reproduire la forme des originaux : la ville, dès lors, se ferait le relais d’une politique de légitimation de grande ampleur – nous n’avons pas encore pu le vérifier, mais une étude des modalités de copie des actes originaux encore conservés dans les archives de Douai dans les cartulaires municipaux, n’est pas à exclure.

Une telle amplitude, aussi bien sur le plan formel que temporel, ne manque pas d’interroger l’autonomie ou, au contraire, la continuité des parties internes les unes par rapport aux autres. Le document, tel qu’il nous est parvenu, forme bel et bien un tout, mais un tout non uniforme, les disparités dans la qualité du parchemin comme dans celle de la réalisation mettant à mal l’idée d’un projet d’écrit continué. Il apparaît effectivement évident que ce manuscrit a été composé par à-coups, par différentes mains et en différents moments. Pour autant, il ne semble pas constituer, à l’instar du registre FF385, un « recueil factice de cahiers différents »[28], puisque l’écriture d’une strate débute fréquemment en bas du folio ou au sein du même cahier que celle qui la précède. Sans vouloir nous reporter sur une explication de facilité, nous opterions pour une interprétation pragmatique de la chose : dans un souci d’optimiser l’utilisation du parchemin, chaque moment de composition nous semble s’être fait à la suite du précédent, les cahiers étant ajoutés au fur et à mesure des besoins de continuation. Ce manuscrit, dès lors, aurait non pas été pensé comme un écrit continué et structuré par un plan prédéfini, mais comme un écrit continuable.

Aborder un manuscrit tel que le cartulaire AA 84 par le biais d’unités formelles, thématiques ou matérielles, qui parfois se complètent et s’éclairent les unes les autres – la présence des réclames au sein des ensembles formels permettant, par exemple, de repérer le passage d’un cahier à un autre et d’affiner la connaissance codicologique, donc matérielle, du document –, conduit non seulement à en percevoir la richesse de nuances, mais aussi de rétablir les connexions qui relient certaines parties entre elles. Cette approche multiscalaire et multicritère peut même, dans l’absolu, se décliner à l’infini, y compris en descendant à l’échelle de la copie au sein d’un ensemble ou dossier thématique. Dans le cas du cartulaire AA 84, elle s’impose comme essentielle dans la mise en lumière de la grande cohérence qui sous-tend l’ensemble en dépit de son apparence désordonnée.

Le cartulaire AA 84, manifeste du gouvernement urbain par l’écrit

Abordons enfin la manière dont le cartulaire traduit une pratique de gouvernement urbain par l’écrit caractérisée par la mise en place d’une véritable rationalité dans cet écrit pratique. Nous nous référerons ici en partie à la définition wébérienne de la rationalité, comprise comme le fait de « trouver un moyen systématique et efficace [de] parvenir […] à ses fins, quelles qu’elles soient »[29], en l’occurrence, le gouvernement de la ville de Douai. Ce dernier peut s’analyser à plusieurs échelles, une fois encore, et selon des modalités différentes quoiqu’étroitement liées dans un jeu de contrepoids.

Le gouvernement de la ville par le roi de France ou le comte de Flandre

Le comte de Flandre et, a fortiori, le roi de France, principaux émetteurs des actes copiés dans le cartulaire, sont respectivement un grand seigneur et un suzerain à la tête de territoires étendus, sur lesquels il s’agit de faire respecter leur autorité et leurs décisions : de gouverner, en un mot. Ils disposent de plusieurs parades au problème de la distance et d’une impossible ubiquité, parmi lesquels l’écrit, dont la place est loin d’être moindre.

D’une part, il leur est possible de déléguer une partie de leur pouvoir à un homme chargé de parler et d’exercer leur autorité en leur nom : c’est le principe même de la féodalité, qui peut être complété par l’envoi d’agents sur place. Les folios 3 recto et verso du cartulaire donnent d’ailleurs un témoignage de cette pratique en donnant à voir la copie d’un acte de 1296 par lequel Philippe IV le Bel « establi Jehan Tasse de Mondidier gardien de Douay », c’est-à-dire protecteur de la ville au nom de son suzerain en réponse à la « députation […] demandant sa protection » au roi de France envoyée pour lui demander d’intervenir contre le comte Guy de Dampierre et ses violences contre les villes et leurs élites dans le cadre de la levée du cinquantième[30]. Cette députation, qui intervient dans un conflit préexistant entre la ville et le comte et pour lequel le roi avait déjà envoyé « deux délégués destinés à faire une enquête »[31] nécessite d’autant plus d’être officialisée, actée, en bref d’être fixée sur un support, que le « gardien de Douai », nommé dans un contexte de confiscation de la commune, remplace alors l’échevinage, notamment dans la tâche de garantir, au nom du roi, aux habitants « eux et leurs biens de toute tentative mauvaise quelconque de Gui »[32]. L’écriture intervient donc déjà dans cette démarche, en tant que « moyen permettant la délégation »[33], voire l’outrepassement d’une coutume pourtant déjà mise par écrit.

D’autre part, c’est dans l’usage de l’écrit que seigneurs et suzerains trouvent de plus en plus systématiquement une solution à l’éloignement entre eux et leurs territoires et sujets. Comme Laurence Buchholzer l’a rappelé lors de son intervention du 13 janvier 2020, dans le cadre du séminaire « Administrer par l’écrit »[34], chartes et lettres municipales sont très proches jusqu’au XIIIe siècle – comme en témoigne l’usage d’un unique terme latin, literae, pour désigner les unes et des autres –, les secondes n’en étant alors qu’à leurs balbutiements. Bien que le cartulaire AA 84 concerne à la fois une période, une aire géographique et des objets différents, un rapprochement nous a semblé pertinent. En effet, le folio 1 annonce bien que « che sont les chartres et li previlege de le vile de Douay » qu’il donne à voir, et les actes en question sont présentés, dès ce même folio, comme des « litteras » ou « lettres ». Il n’est évidemment pas question ici de lettres qui s’inscriraient dans correspondance sur le mode d’un échange épistolaire régulier, ne nous y trompons pas. La charte, que l’on peut assimiler à une lettre ouverte, permet non seulement de remédier au problème de la distance, aussi bien spatiale que temporelle, mais aussi de recréer un lien entre l’émetteur et son destinataire, ici la communauté douaisienne, et de l’affirmer aux yeux de tous, « universis tam presentibus quam futuris ».

Toutefois, cette proximité est relativisée par le déplacement symbolique de la distance entre émetteur et bénéficiaires des actes. Cette distance verticale, hiérarchique, est essentiellement rappelée par l’usage du latin. Ce dernier est la langue des clercs, mais aussi encore la langue royale, bien qu’au cours de la période concernée de nombreuses hésitations se fassent jour dans la « politique linguistique du roi […] faite de mouvements contradictoires entre le latin et le français »[35] après une longue fidélité, jusqu’au règne de Philippe V. Le latin se fait le symbole de la domination exercée sur une communauté de toutes façons dépendante de ses seigneur et suzerain pour la pérennisation de ses privilèges, dont elle demande la confirmation a minima à chaque nouvel avènement. En effet, la maîtrise avancée du latin reste caractéristique d’un petit nombre de lettrés et de certains professionnels de l’écrit, tandis qu’elle échappe au moins partiellement à l’immense majorité de la communauté, qui présente un large panel de degrés de literacy. Cependant, la reconnaissance visuelle de certains mots et de la disposition formelle du texte permet d’assurer une liaison minimale avec l’ensemble d’une population dont l’illettrisme total relève avant tout du mythe d’un Moyen Âge obscur forgé dès le XVIe siècle.

Le gouvernement de la ville par elle-même

D’un point de vue pratique et matériel, l’existence même d’un cartulaire, d’une collection de copies d’actes divers et malgré tout triés sur le volet, comme nous l’avons évoqué plus haut, traduit une volonté de gouvernement et de gestion matérielle rationalisés de la ville et par la ville – en l’occurrence, par son échevinage[36]. Au-delà des actes dont il contient la copie, le cartulaire AA 84 matérialise une réelle pratique de ce gouvernement urbain, qui s’appuie en grande partie sur un écrit rationalisé.

Toutefois, l’existence et la force de cette pratique ne sont perceptibles qu’en prenant en compte le paysage documentaire produit par l’échevinage. Afin de resituer le cartulaire AA 84 dans ce cadre élargi, nous prendrons appui sur le corpus des registres judiciaires et des cartulaires aux privilèges et aux bans, sur lequel un certain nombre d’observations a déjà pu être formulées. Ainsi, si les registres de la pratique judiciaire « ont tous été commencés entre 1387 et 1450[37] », les cartulaires leur sont donc antérieurs, puisque le premier, coté AA 84, a bien été commencé dès le premier quart du XIVe siècle. Ces derniers ont toutefois été précédés par les registres aux bans « commencés au XIIIe siècle : ils portent les cotes AA 88 à 94 »[38].

De plus, les registres de la pratique « sont tous composés de cahiers en papier cousus ensemble[39] », quand les premiers cartulaires et registres aux bans comme aux privilèges (AA 84 à AA 96, les cotes s’échelonnant jusqu’au AA 110) sont constitués de cahiers de parchemin. Enfin, s’il est précisé que les « registres [de la pratique] sont faits pour être lus et relus[40] » et que « les nombreux points qui peuvent y être soulignés ont souvent trait à la procédure[41] », il est possible de déduire, en négatif, que les cartulaires n’ont pas vocation à être autant manipulés. Ce faisceau de considérations permet d’outrepasser la simple comparaison et de rétablir l’articulation entre registres de la pratique et cartulaires. Alors que les seconds ont été confectionnés dans le but de « définir le cadre d’exercice des prérogatives échevinales[42] », les premiers répondent bien davantage à une volonté de « regrouper les aspects les plus intéressants des affaires » et de « donner un compte-rendu le plus complet possible de tout ce qui s’est passé »[43]. Nous ne reviendrons pas sur la nature paradoxale de la coexistence de ces deux dernières démarches. Ce qui nous intéresse, c’est de constater que les cartulaires semblent constituer le socle théorique, juridique, qui préexiste à la pratique et a fortiori aux registres de la pratique, au contenu tout concret – pour ne pas dire jurisprudentiel.

Cela explique, dans le cas du manuscrit AA 84, le fait que l’écrit, en dépit de son aspect composite, obéisse à une succession de règles formelles et de critères structurants qui, s’ils évoluent, tendent vers un objectif de cartographie précise des droits de la ville, aussi bien immobiliers, parfois à la rue près, que fiscaux, pour aboutir à une vision à long terme des recettes mais aussi, voire surtout, prévenir tout litige, en termes d’exercice d’un droit, celui de justice au premier chef, comme de perception de revenus.

Le nombre conséquent des actes ayant trait à la fiscalité en constitue un bon exemple[44]. Non seulement les actes portant sur les exemptions d’impôts, mais aussi sur les droits de perception de redevances liées à la possession de terres, qu’elles aient été vendues ou données, sont nombreux dans le cartulaire, mais ils sont de surcroît remarquablement détaillés. Celui dont la copie s’étend du folio 16 au folio 22 en apporte une illustration convaincante puisqu’elle établit la liste des

« denrées et marchandises qui doivent un vinage, et les sommes ou les taxes en nature qui seront payées sur la Scarpe et l’Escaut depuis Douai jusqu’à Rupelmonde et depuis Rupelmonde jusqu’à Valenciennes, au châtelain de Douai, aux échevins de Douai, au pont de Raches, au seigneur de Lallaing, au sire de Warlaing, à l’abbé d’Hasnon, à l’abbé de Saint-Amand, seigneur de Saint-Amand, au seigneur de Mortagne, au sire d’Antoing, aux chanoines de Tournai, à 1’écluse d’Audenarde, à l’abbé d’Eenham, au sire de Rodes, à l’abbé de Saint-Pierre de Gand, au châtelain de Gand, au vinage de Tenremonde, à la comtesse de Flandre, à Rupelmonde et à Valenciennes. »[45]

D’autres actes (folios 22 v°, 29 v°, 53 v°) précisent cette question des vinages, portant attention à la fois aux sommes dues et perçues, ainsi qu’aux compensations qu’une exemption ou qu’un droit de prélèvement peut occasionner. Chaque bien – somme, lieu et destinataire – est donc minutieusement précisé afin que chacun soit au clair sur ses droits, voire puisse établir des décomptes prévisionnels. Ce souci du détail sur le sujet concorde avec la chronologie exposée par Georges Espinas et le basculement, à la fin du XIIIe siècle, vers une prédominance des actes d’ordre fiscal, d’un contenu essentiellement relatif à l’organisation judiciaire et administrative[46]. Ce dernier se voit malgré tout réserver une place importante, qui témoigne d’une volonté administratrice rigoureuse de la part de la commune. En effet, pas moins de neuf actes sont consacrés à l’organisation de la justice[47] et surtout de l’échevinage[48], des modalités d’élection aux règles d’éligibilité, tout en rendant visibles les différentes réformes qui se sont succédé dans le temps, une constitution remplaçant la précédente quitte, parfois, à opérer une révolution. Ces mises à jour régulières et claires peuvent être interprétées dans le sens d’une préoccupation d’éviter tout doute quant à la marche à suivre tout en justifiant des décisions antérieures, afin que le gouvernement de la ville, en tant qu’assemblée, soit formé dans les règles en vigueur, et qu’il soit assuré en toute légalité en tant qu’action et processus.

D’autre part, et sur un plan plus symbolique, bien que l’écrit expédié par les rois et comtes constitue, dans un premier temps, un outil de domination sur la ville, cette dernière recourt à des stratégies qui lui permettent, partiellement du moins, une forme de reprise de contrôle. Cela passe notamment par le phénomène de traduction des actes à l’œuvre au sein du cartulaire. Il est visible au sein des 32 premiers folios, qui présentent en effet d’abord les actes en latin en possession de la ville au moment de la réalisation du cartulaire, puis leur traduction en « romans », c’est-à-dire en français. Il convient ici de rappeler la place de Douai dans le mouvement de vernacularisation des documents pratiques en Occident, puisque la ville s’est faite le cadre de production du premier document connu en langue d’oïl – document de nature au demeurant privée, et non urbaine[49]. Dans les faits, bien qu’il s’agisse plus exactement d’une reconnaissance de dette entre deux particuliers[50] ne portant aucun signe de validation[51], il semble avoir pour partie « inaugur[é] une nouvelle tradition discursive vernaculaire[52]. Partageant l’idée de Florian Mazel selon laquelle, en histoire, les seuils sont davantage signifiants, du fait de leur caractère irréversible[53], qu’un événement considéré comme fondateur mais qui, dans les faits, ne constitue pas un basculement, nous nous garderons, bien sûr, d’accorder une importance excessive à un document isolé. Toutefois, comme le rappelle Thomas Brunner, « le rôle des communes […] a […] déjà été souligné par S. Lusignan pour ce qui est de la vernacularisation en français »[54], particulièrement celles du Nord[55] de la France. Ce passage du latin au français n’a rien d’anodin, et encore moins lorsqu’il se manifeste dans le premier cartulaire urbain de la ville, qui renferme les documents jugés alors comme les plus importants et représentatifs de son identité. Il relève, en effet, d’une « certaine prise de distance face au latin des clercs »[56], mais aussi du roi, et revêt dès lors une valeur d’affirmation identitaire[57]. Cette dernière est encore renforcée vis-à-vis des clercs par le très petit nombre d’actes provenant d’institutions ecclésiastiques (une dizaine sur l’ensemble du cartulaire, bulles papales comprises), surtout compte tenu de l’intensité de la vie religieuse douaisienne au Moyen Âge[58].

La traduction en français picard des actes initialement en latin, ainsi que le choix de cette langue pour la table liminaire ou les rubrications des 33 premiers folios replacent, par ailleurs, le cartulaire AA 84 en fin d’un processus de longue durée. Daté du début du XIVe siècle, il s’inscrit dans une démarche de « radicalité de l’adoption du français décidée vers 1224[59] » et qui, après une période d’inversion de la tendance en faveur du latin puis de point d’équilibre, bascule définitivement après 1270, de façon si soudaine qu’elle ne peut « que résulter d’un choix délibéré [60]». Ainsi, au début du XIVe siècle, le français picard constitue bien la langue communale ou, du moins, échevinale.

Cet aspect identitaire, important s’il en est dans la consolidation de la communauté, voire dans la construction du sentiment communautaire, est complété par ce que nous avons interprété comme une réappropriation des textes qui permet à la fois leur connaissance et leur application. Cette réappropriation connaît deux étapes. La première est celle de la copie : en dupliquant l’acte sur un support choisi, propre à la communauté, en choisissant sa mise en forme et en page, survient un premier détachement vis-à-vis de l’émetteur de la charte, une dépersonnalisation du texte au profit d’une focalisation sur son contenu.

La seconde, qui est celle de la traduction du latin au vernaculaire, comporte quant à elle une forte dimension rituelle, symbolique. En effet, le symbole est « l’équivalent universel porteur de [l’]efficacité rituelle »[61] du gage. Or, la langue peut être assimilée à un symbole en ce sens qu’elle « circule universellement – ou du moins dans la communauté qui le partage et en comprend le sens, communauté linguistique, politique, culturelle »[62].

Cette relation, induite par la traduction, « entre latin et vulgaire, en complémentarité puis en concurrence »[63], semble témoigner d’une situation de « diglossie avancée »[64] telle que décrite par Benoît Grévin à partir des réflexions de Charles Albert Ferguson. Si nous avons surtout insisté sur la concurrence que traduit la vernacularisation dans le cartulaire AA 84, la dimension complémentaire est, elle aussi, bien présente. En effet, le choix de présenter à la fois le texte en latin et sa copie en vernaculaire, au lieu de cette dernière seule, permet de confronter les textes et de se rapporter à l’original, dont la copie a surtout pour but d’éclairer la substance. L’ambivalence du rapport de force entre les deux langues s’observe également quelques feuillets plus loin, comme au folio 59 recto. L’acte qui y est copié est une confirmation par Jean II le Bon d’une charte de son père Philippe VI. Or, si la partie confirmée est bien en français, le texte de confirmation dû au roi Jean est en latin. Cet exemple corrobore le constat de Serge Lusignan d’un retour au latin sous le règne du deuxième Valois[65], mais confirme le fait qu’ « il s’agit […] de substituer dans notre esprit, au confort d’une évolution toute tracée, les incertitudes d’une communication complexe pleine d’ambiguïté »[66].

Par ailleurs, la notion de diglossie avancée « présuppose une relation génétique forte entre deux langues »[67] – qui, entre le latin et le « romans » du cartulaire AA 84, ne fait aucun doute – et un recours différencié aux deux langues en présence. En l’occurrence, cette distinction porte sur les utilisateurs de l’écrit – d’un côté, les utilisateurs les plus « nobles », de l’autre une communauté qui, à défaut de leur être soumise, en est dépendante – plus que sur l’usage qui en est fait, ou sur une dichotomie entre écrit et oral. Cette communauté, dans le cas présent, existe, bien que souvent idéalisée dans des archives désireuses d’en occulter les dissensions : c’est la municipalité de Douai, soudée dans son usage du « romans » et autour de sa charte communale quasi mythique, octroyée par Philippe d’Alsace[68]. La vernacularisation est donc l’opération nécessaire à cette efficacité rituelle du texte, puisqu’elle est la condition de son entière et libre circulation au sein de la communauté. À ce symbole s’ajoute un gage, matérialisé par l’objet-cartulaire lui-même, et peut-être plus encore ses prestigieuses décorations, mais aussi une ritualité fondée sur le geste. Le choix de graphies soignées implique une minutie, et donc une lenteur, qui accroissent la valeur symbolique des textes. Le ductus posé, lettre à lettre, est le geste par lequel la communauté voit le support de ses droits pérennisés, puis transposé pour être mis à portée de tous. Il y va de même avec les collations[69] effectuées et signées pour certaines copies[70], puisque « l’efficacité de la signature est plus rituelle que symbolique : c’est une « technique sociale » qui agit plus qu’elle ne signifie »[71], c’est-à-dire que, si la mention « collation faite aux originaux » signifie qu’une vérification de conformité a bien été menée, c’est la signature en tant qu’action, que geste, et non en tant que résultat qui lui donne son efficience, sa puissance, aux yeux de la société.

Conclusion

Le cartulaire AA 84, malgré l’effet de profonde désorientation qu’il produit au premier contact avec le lecteur, s’impose donc, au-delà de son caractère prestigieux, comme une source précieuse sur le plan des pratiques de l’écrit, malgré le fait qu’il s’agisse d’un seul document. Constitué sur un temps long, le manuscrit AA 84 peut être abordé comme un objet en tant que tel, l’objet-livre, aussi bien qu’en tant qu’une agglomération de plus petits objets, qu’il s’agisse de cahiers ou d’ensembles constitués selon des critères autres que codicologiques, régis par des logiques propres et focalisés sur une pluralité de sujets. Ils permettent d’appréhender les formes successivement mises au service d’un gouvernement urbain par l’écrit indissociable d’un souci de rationalité pratique en constante évolution, ce qui explique la diversité des moyens convoqués. Produit de son contexte régional à la fois politique et culturel, le cartulaire AA 84 se fait aussi porteur de l’histoire communale douaisienne dont il éclaire des aspects aussi bien culturels et sociaux qu’économiques et institutionnels. Bien que ces deux derniers points n’aient pas fait l’objet d’une étude approfondie de notre part, ils sont l’occasion de rappeler que, malgré l’existence d’un travail monographique, tout document comporte des dimensions diverses et potentiel que seules des approches diverses peuvent peu à peu révéler pleinement.

 

Annexe : ensembles constitutifs et strates de composition du cartulaire AA 84

Ensemble Cahiers Folios Corresp. cahiers / ensemble Caractéristiques Contenu spécifique
1 1 (n°0) 00c – 00h Oui  Cursive gothique française sauf pour le dernier folio (cursive plus moderne). Encre brune et rouge (remplissages). Table liminaire rajoutée après les premiers feuillets et complétée au fur et à mesure.
2 7 (n°1 à 6, + recto du premier folio du cahier 7) 1 à 32 Oui Textura. Encre noire. Initiales filigranées bleu et rouge. Rubrications et remplissages en rouge. Traces de réglure. Confirmations et octrois de privilèges divers  à la ville, essentiellement par les rois de France, le roi d’Angleterre, les comtes et comtesses de Flandre, les institutions ecclésiastiques et enfin les seigneurs locaux
3 1 (n°7) 32 verso -33 recto Non Minuscule diplomatique gothique. Encre brune.  Initiales plus sobres. Pas de trace de réglure visible. Bulles papales
4 1 (n°7) 33 verso – 35 Non Gothique cursive française. Encre brune.  Pas d’initiale. Pas de trace de réglure visible.
5 2 (n°8-9) 36 à 42 Non Textura.Encre noire à brune. Initiales filigranées bleu (tirant sur le violet) et rouge. Rubrications et remplissages en rouge. Traces de réglure. « Dossier » sur le passage de Douai sous domination bourguignonne préparé par le mariage de Marguerite de Flandre et de Philippe de Bourgogne
6 3 (n°9 à 11) 42 verso (bas) – 49 Non Gothique cursive française. Encre brune. Initiales sobres. Traces de réglure.
7 1 (n°11) 49 verso (bas) – 54 Non Identiques à l’ensemble 6, avec mise en exergue de mots-charnières dans le texte
8 2 (n°11-12) 55-56 recto Non Idem que précédemment. Remplissages rouges.
9 1 (n°12) 56 verso – 62 Non Idem que précédemment. Abandon des remplissages colorés.
10 2 (n°12-13) 63 – 65 Non Idem que précédemment. Cursive gothique française plus fine.
11 7 (n°13 à 19) 66 – 90 Non Bâtarde. Réglure marginale en rouge, traces de réglure interlinéaire visibles. Initiales cadelées. « Dossier » autour de la charte de Marie de Bourgogne de 1477 (copie de l’originale et de ses confirmations successives par Charles VIII, Louis XII, Charles Quint), entre autres
12 1 (n°19) 91 – 92 recto Non Cursive gothique française. Réglure marginale en rouge, traces de réglure interlinéaire visibles. Initiales ornées.
13 3 (n°19 à 21)  92 verso – 101 Non Cursive postérieure (toute fin XVIe ou début XVIIe siècle). Réglure marginale en rouge, traces de réglure interlinéaire visibles. 0

 

Bibliographie

Paul BERTRAND, Les écritures ordinaires. Sociologie d’un temps de révolution documentaire (entre royaume de France et empire, 1250-1350), Paris, Publications de la Sorbonne, 2015.

Marion BESTEL, « Sources et mécanismes de la construction d’une mémoire communale : le cartulaire AA 84 », sous la direction de Pierre Chastang, Catherine Kikuchi et Maaike van der Lugt, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 2020 (https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-03117707).

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Michel ROUCHE (dir.), Histoire de Douai, Dunkerque : Westhoek Edition-Editions des Beffrois, 1985. Collection Histoire des villes du Nord – Pas-de-Calais.


Tous mes remerciements pour l’aide reçue à l’élaboration du présent article vont à Pierre Chastang, Catherine Rideau-Kikuchi, Quentin Vrignaud, Clémence Moreau et Anne-Cécile Desbordes pour leur relecture patiente, attentive, toujours pertinente. Tous mes remerciements également aux éditeurs de la revue Circé pour leur réactivité, leur bienveillance et leur adaptabilité.

[1] Michael CLANCHY, From Memory to Written Records: England 1066-1307, Oxford, 1979 ; 2e éd. 1993 ; 3e éd. 2013.

[2] Pierre CHASTANG, Lire, écrire, transcrire. Le travail des rédacteurs de cartulaires en Bas-Languedoc (XIe – XIIIe siècle), Paris, CTHS (CTHS Histoire, 2), 2001.

La Ville, le gouvernement et l’écrit à Montpellier (XIIe-XIVe siècle). Essai d’histoire sociale, Paris, Publications de la Sorbonne, 2013.

[3] Anna ADAMSKA et Marco MOSTERT (éd.), Writing and the Administration of Medieval Towns. Medieval Urban Literacy I et Uses of the Written Words in Medieval Towns. Medieval Urban Literacy II, Utrecht Studies in Medieval Literacy, vol. 27 et 28, 2014.

Anna ADAMSKA et Marco MOSTERT (éd.), Oral and written communication in the Medieval Countryside. Peasants-Clergy-Noblemen, Utrecht Studies in Medieval Literacy, vol. 45, 2020.

[4] Paul BERTRAND, Les écritures ordinaires. Sociologie d’un temps de révolution documentaire (entre royaume de France et empire, 1250-1350), Paris, Publications de la Sorbonne, 2015.

[5] Voir le projet Vocabulaire pour l’Étude des Scripturalités (VOCES), https://num-arche.unistra.fr/voces/accueil [consulté le 26/02/2021].

[6] Marion BESTEL, « Sources et mécanismes de la construction d’une mémoire communale : le cartulaire AA 84 », sous la direction de Pierre Chastang, Catherine Kikuchi et Maaike van der Lugt, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 2020 (https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-03117707).

[7] Le manuscrit, référencé n°1222 dans le répertoire de Stein, est également répertorié dans la base CartulR sur Thelma, http://www.cn-telma.fr/cartulR/codico7272/?para=4399t19 [consulté le 26/02/2021]

[8] Chrétien DEHAISNES et Jules LEPREUX, Inventaire analytique des archives communales antérieures à 1790 de la ville de Douai, série AA, 1876.

[9] Ibid., p. 10.

[10] Marie NIKICHINE, La justice échevinale, la violence et la paix à Douai (fin XIIe-fin XVe siècle), thèse de doctorat, Universités de Paris I / Louvain-la-Neuve, 2011, p. 158.

[11] Émile LITTRÉ, « Cartulaire », Dictionnaire de la langue française, Paris, Hachette, 1872. [https://www.littre.org/definition/cartulaire], consulté le 01/11/2020

[12] Claude GAUVARD, Alain DE LIBERA, Michel ZINK (dir.), « Charte », Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, PUF, 2002, p. 267.

[13] Paul BERTRAND, Les écritures ordinaires. Sociologie d’un temps de révolution documentaire (entre royaume de France et empire, 1250-1350), Paris, Publications de la Sorbonne, 2015, p. 104.

[14] Commission internationale de diplomatique-comité international des sciences historiques, Vocabulaire international de diplomatique, 2e éd., Universita de Valencia, 1997, p. 35-36.

[15] Archives nationales, série X/1a.

[16] Olivier GUYOTJEANNIN (dir), L’art médiéval du registre. Chancelleries royales et princières, Paris, BEC, Etudes et rencontres de l’Ecole des chartes, 2018, p. 8.

[17] Ibidem, p. 6.

[18] Jean-François NIEUS, « Les quatre travaux de maître Quentin (…1250-1276…) : cartulaires de Picquigny et d’Audenarde, Veil Rentier d’Audenarde et Terrier l’Évêque de Cambrai. Des écrits d’exception pour un clerc seigneurial hors normes ? », Journal des savants, 2012, p. 69-119.

[19] Olivier GUYOTJEANNIN (dir), L’art médiéval du registre. Chancelleries royales et princières, Paris, BEC, Etudes et rencontres de l’Ecole des chartes, 2018, p.12.

[20] Hélène DEBAX, « Le cartulaire des Trencavel (Liber instrumentorum vicecomitalium). », Les cartulaires : Actes de la table ronde organisée par l’École nationale des chartes et le GDR 121 du CNRS (Paris, 5-7 décembre 1991), Olivier GUYOTJEANNIN, Laurent MORELLE, Michel PARISSE, Mémoires et documents de l’École des chartes, Paris, BEC, n°39, p. 298.

[21] Chrétien DEHAISNES et Jules LEPREUX, Inventaire analytique des archives communales antérieures à 1790 de la ville de Douai, série AA, 1876.

[22] Thomas BRUNNER, Douai, une ville dans la révolution de l’écrit du XIIIe siècle, thèse : histoire, sous la direction de Benoît-Michel Tock, université de Strasbourg, école doctorale de Sciences Humaines et sociales. 2014, p. 218-19.

[23] Marion BESTEL, « Sources et mécanismes de la construction d’une mémoire communale : le cartulaire AA 84 », sous la direction de Pierre Chastang, Catherine Kikuchi et Maaike van der Lugt, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 2020 (https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-03117707), p. 32 à 38.

[24] Voir annexe n°1

[25] Dans le cas du cartulaire AA 84 : 03 ; 18 ; 27 ; 36 ; 42 ; 53 ; 65 ; 74 ; 82 ; 95 ; 103 ; 1110 ; 1210 ; 136 ; 144 ; 153 ; 161 ; 171 ; 184 ; 1911 ; 204 ; 212. Voir Marion BESTEL, « Sources et mécanismes de la construction d’une mémoire communale : le cartulaire AA 84 », sous la direction de Pierre Chastang, Catherine Kikuchi et Maaike van der Lugt, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 2020 (https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-03117707), p. 12.

[26] Thomas BRUNNER, Douai, une ville dans la révolution de l’écrit du XIIIe siècle, thèse : histoire, sous la direction de Benoît-Michel Tock, université de Strasbourg, école doctorale de Sciences Humaines et sociales. 2014, p. 178.

[27] Elizabeth DANBURY, « Décoration et enluminure des chartes royales anglaises au Moyen Âge », Les chartes ornées dans l’Europe romane et gothique, Bibliothèque de l’école des chartes, 2011 tome 169, p. 102.

[28] Marie NIKICHINE, La justice échevinale, la violence et la paix à Douai (fin XIIe-fin XVe siècle), Thèse de doctorat inédite, Universités de Paris I / Louvain-la-Neuve, 2011, p. 150.

[29] Natacha COQUERY, François MENANT et Florence WEBER (dir.), Écrire, compter, mesurer : vers une histoire des rationalités pratiques, Paris, éditions rue d’Ulm, 2006, p. 18.

[30] Georges ESPINAS, La vie urbaine de Douai au Moyen Âge, Paris, Auguste Picard, 1913, tome premier, p. 69.

[31] Ibidem, p.68.

[32] Ibidem, p. 71.

[33] Natacha COQUERY, François MENANT et Florence WEBER (dir.), Écrire, compter, mesurer : vers une histoire des rationalités pratiques, Paris, éditions rue d’Ulm, 2006, p. 26.

[34] https://www.irht.cnrs.fr/?q=fr/agenda/administrer-par-l-ecrit-au-moyen-age-et-l-epoque-moderne [consulté le 10/12/2020 à 16h27]

[35] Bernard RIBEMONT, « Serge Lusignan, La Langue des rois au Moyen Âge. Le français en France et en Angleterre », Cahiers de recherches médiévales et humanistes. 2004, mis en ligne le 26 juin 2008, p. 3 [consulté le 06 juin 2020]. URL : http://journals.openedition.org/crm/2799.

[36] Corps municipal élu selon des modalités qui ont varié au cours de la période en termes de nombre d’élus, de durée de mandat et de critères d’éligibilité, disposant notamment du droit d’exercice de la haute, moyenne et basse justice. Voir Georges ESPINAS, La vie urbaine de Douai au Moyen Âge, Paris, Auguste Picard, 1913, tome premier, p. 104 : « le « gouvernement » de la ville, l’organe directeur, l’échevinage, doit à priori venir du prince, être « donné » ou « octroie » ou du moins ratifié par lui, mais c’est son pouvoir et son devoir de faire veiller d’une façon quelconque à la stricte application des règlements existant ».

[37] Marie NIKICHINE, La justice échevinale, la violence et la paix à Douai (fin XIIe-fin XVe siècle), Thèse de doctorat inédite, Universités de Paris I / Louvain-la-Neuve, 2011, p. 137.

[38] Thomas BRUNNER, « Le passage au vernaculaire dans les actes de la pratique en Occident », Le Moyen Âge, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, 2009, tome CXV, p. 845-850.

[39] Ibidem.

[40] Ibidem, p. 195.

[41] Ibidem.

[42] Ibidem, p. 157.

[43] Ibidem, p. 148.

[44] Pour un total d’une centaine d’actes, plus d’un dixième traite des impôts et taxes.

[45] Chrétien DEHAISNES et Jules LEPREUX, Inventaire analytique des archives communales antérieures à 1790 de la ville de Douai, série AA, 1876, p. 11-12.

[46] Georges ESPINAS, La vie urbaine de Douai au Moyen Âge, Paris, Auguste Picard, 1913, tome premier, p. 1.

[47] Folios 16r-16v.

[48] Folios 6v-7r, 12r-13r, 39r-40v, 47r-48v, 62v-64r, 64r-65r, 86r-87v.

[49] Thomas BRUNNER, « Zwischen pikardischem Französisch und Latein : zum Sprachgebrauch in der diplomatischen Schriftlichkeit der Stadt Douai im 13. Jahrhundert », dans Mittelalterliche Stadtsprachen, Maria SELIG et Susanne EHRICH, éd., Ratisbonne (Forum Mittelalter – Studien, 11), 2016, version française, p. 7-8.

[50] Thomas BRUNNER, « Le passage au vernaculaire dans les actes de la pratique en Occident », Le Moyen Âge, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, 2009, tome CXV, p. 529 à 534.

[51] Thomas BRUNNER, « Zwischen pikardischem Französisch und Latein : zum Sprachgebrauch in der diplomatischen Schriftlichkeit der Stadt Douai im 13. Jahrhundert », dans Mittelalterliche Stadtsprachen, Maria SELIG et Susanne EHRICH, éd., Ratisbonne (Forum Mittelalter – Studien, 11), 2016, version française, p. 7-8.

[52] Ibidem, p. 441.

[53] Florian MAZEL, « Un, deux, trois Moyen Âge… Enjeux et critères des périodisations internes de l’époque médiévale », Revue Atala, Lycée Chateaubriand.

[54] Thomas BRUNNER, « Le passage au vernaculaire dans les actes de la pratique en Occident », Le Moyen Âge, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, 2009, tome CXV, p. 70.

[55] Ibidem, p. 53.

[56] Thomas BRUNNER, « Le passage au vernaculaire dans les actes de la pratique en Occident », Le Moyen Âge, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, 2009, tome CXV, p. 70.

[57] Ibidem, p. 53.

[58] Michel ROUCHE (dir.), Histoire de Douai, Dunkerque : Westhoek Edition-Editions des Beffrois, 1985. Collection Histoire des villes du Nord – Pas-de-Calais, p.70.

[59] Thomas BRUNNER, « Zwischen pikardischem Französisch und Latein : zum Sprachgebrauch in der diplomatischen Schriftlichkeit der Stadt Douai im 13. Jahrhundert », dans Mittelalterliche Stadtsprachen, Maria SELIG et Susanne EHRICH, éd., Ratisbonne (Forum Mittelalter – Studien, 11), 2016, version française, p. 9.

[60] Ibidem, p. 10.

[61] Natacha COQUERY, François MENANT et Florence WEBER (dir.), Écrire, compter, mesurer : vers une histoire des rationalités pratiques, Paris, éditions rue d’Ulm, 2006, p. 28.

[62] Ibidem.

[63] Benoît GRÉVIN, « L’historien face au problème des contacts entre latin et langues vulgaires au bas Moyen Âge (XIIe-XVe siècle) : espace ouvert à la recherche. L’exemple de l’application de la notion de diglossie », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, tome 117, n°2, 2005, p. 458.

[64] Ibidem.

[65] Serge LUSIGNAN, La langue des rois au Moyen Âge. Le français en France et en Angleterre, Paris, 2004 (Le nœud gordien).

[66] Benoît GRÉVIN, « L’historien face au problème des contacts entre latin et langues vulgaires au bas Moyen Âge (XIIe-XVe siècle) : espace ouvert à la recherche. L’exemple de l’application de la notion de diglossie », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, tome 117, n°2, 2005, p. 468.

[67] Ibidem, p. 453.

[68] Thomas BRUNNER, Douai, une ville dans la révolution de l’écrit du XIIIe siècle, thèse : histoire, sous la direction de Benoît-Michel Tock, université de Strasbourg, école doctorale de Sciences Humaines et sociales. 2014, p. 839-40.

[69] Maria MILAGROS CARCEL ORTI, « Copie collationnée », Vocabulaire international de la diplomatique, 1997 (2e édition), URL: Charters Encoding Initiative – Ludwig-Maximilians-Universität München (lmu.de) [consulté le 12/12/2020]

[70] F°40v ; f°41v ; f°54r ; f°60r ; f°64r ; f°65r.

[71] Natacha COQUERY, François MENANT et Florence WEBER (dir.), Écrire, compter, mesurer : vers une histoire des rationalités pratiques, Paris, éditions rue d’Ulm, 2006, p. 28.

 

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Collecter des plantes par dizaines. La réalisation des exsiccatas dans l’Ouest de la France dans la deuxième moitié du XIXe siècle

Louise Couëffé

 


Résumé : La botanique est un loisir scientifique largement pratiqué au XIXe siècle par des collectionneurs, amateurs ou professionnels, qui partagent des méthodes, des savoirs et des plantes préparées en parts d’herbiers échangées ou vendues, parfois sous la forme d’exsiccatas. Préparées par des botanistes réputés, ces collections ont des qualités scientifiques autant qu’esthétiques et sont utilisées par les acquéreurs comme référence pour déterminer les espèces ou compléter leurs herbiers (BANGE, 2012). Le processus de constitution des exsiccatas reflète un fonctionnement hiérarchisé des réseaux botaniques et impose une réflexion en amont sur le choix des espèces et des localités. La prise de conscience des conséquences destructrices des collectes massives entraîne une certaine régulation des comportements de collecte. La correspondance de botanistes, quelques herbiers et publications scientifiques de l’époque permettent d’analyser les tensions entre les aspects commerciaux, scientifiques et environnementaux liés à la constitution des exsiccatas. En mêlant l’histoire de la culture matérielle, des savoirs et de l’environnement, cet article souhaite montrer la complexité du rapport au végétal et à la nature par l’analyse de ce type d’herbier particulier.

Mot-clés : botanique, collecte, herbier, réseaux, environnement.


Doctorante en histoire au laboratoire TEMOS (Temps, Mondes, Sociétés) à l’Université d’Angers sous la direction d’Yves Denéchère et Cristiana Oghinӑ-Pavie, Louise Couëffé étudie l’herborisation au XIXe siècle dans l’Ouest de la France, notamment la circulation de savoirs et de pratiques sur le végétal dans les réseaux naturalistes locaux et le rapport à l’environnement.


Introduction

Les pratiques de collecte et de mise en collection du végétal, caractéristiques de la botanique depuis la Renaissance, s’inscrivent dans des cultures savante et amateur dont l’extension sociale amorcée au XVIIIe siècle s’affirme au XIXe siècle[1]. L’intérêt pour les espèces indigènes et allogènes, collectées lors d’herborisations ou obtenues par voie d’échange ou d’achat, s’observe dans la multiplication des herbiers et la circulation de parts d’herbiers au sein de réseaux marchands, de dons et de contre-dons. Elle facilite l’accès aux spécimens, supplée le déplacement des botanistes et permet un enrichissement matériel, économique et symbolique des collections[2]. L’accumulation de spécimens et leur comparaison favorise une étude plus précise des espèces végétales[3].

Pour pallier les limites des descriptions écrites et des illustrations botaniques « d’après-nature » publiées dans les ouvrages scientifiques (flores, monographies), qui n’offrent qu’une représentation idéale et lacunaire des espèces, apparaissent les exsiccatas dès la fin du XVIIIe siècle. Ce sont des herbiers répliqués en séries d’une à plusieurs dizaines d’exemplaires identiques[4], destinés à être vendus et diffusés largement dans la communauté botanique. Contrairement à la circulation isolée des spécimens d’herbiers, ils permettent la diffusion d’un nombre important de parts dont la composition est standardisée. Leur production s’apparente à de véritables entreprises de publication car ils ont un auteur identifié et sont utilisés pour faciliter l’étude de la flore[5].  Ils ont sur les ouvrages de botanique l’avantage de présenter d’authentiques spécimens de plantes séchées et permettent de faire circuler les échantillons types[6] des espèces afin d’observer finement tous les caractères des plantes, avec des variations individuelles. L’observation de spécimens réels permet ainsi des comparaisons précises[7], à condition qu’ils soient de bonne qualité scientifique. Ils doivent pour cela être complets et présenter les organes nécessaires à la détermination de l’espèce stabilisés à certains stades végétatifs (par exemple la floraison ou la fructification), non altérés par leur conditionnement (excepté la décoloration due à la dessiccation). Outre leurs qualités individuelles, les échantillons doivent être relativement homogènes à l’échelle des fascicules publiés afin que chaque acquéreur possède le même matériel biologique de référence. L’utilisation de spécimens d’exsiccata comme publication de référence révèle en creux les tensions liées à l’illustration « d’après-nature[8] », alors même que la recherche d’homogénéité des spécimens souligne l’importance de disposer d’échantillons-types représentatifs d’un référentiel commun.

Un exsiccata se compose généralement de fascicules, reproduits en plusieurs exemplaires identiques, qui contiennent des parts d’herbiers en nombre variable. Certains sont reliés ou comportent des sachets conservés dans des boîtes[9]. Chaque part d’herbier comprend une ou plusieurs plantes desséchées et une étiquette, imprimée et numérotée, qui permet de situer l’exemplaire dans la publication, d’identifier le spécimen et l’auteur de l’exsiccata, et parfois le nom du botaniste qui a collecté la plante, les lieux et la date de récolte. Il s’agit de mettre à disposition un véritable outil scientifique : la détermination de chaque spécimen est validée par des botanistes disposant d’un crédit et d’une autorité scientifiques reconnus[10], et garantie par l’auteur qui définit, organise et contrôle la réalisation de l’ensemble. Ces projets répondent à des attentes différentes de la part des acquéreurs, allant de l’enrichissement de leurs collections avec des plantes rares ou inaccessibles (car réparties sur des espaces éloignés de leurs lieux d’herborisation ordinaires) à la recherche de spécimens appartenant à un groupe ou un genre botanique qui suscite des difficultés d’identification et de classification. La réunion d’un grand nombre de spécimens récoltés dans différentes localités est un moyen de comparer les morphologies et de participer aux débats sur la notion d’espèce, l’influence du milieu et la distribution des plantes.

Principalement destinés à la commercialisation, soit par souscription avant la réalisation des fascicules, soit par la publication d’annonces dans les bulletins de sociétés savantes une fois que la collection est publiée, les exsiccatas s’inscrivent dans une monétarisation et une marchandisation accrues des circuits d’échanges de spécimens en sciences naturelles[11]. Leur production augmente fortement dans les années 1830, en écho aux évolutions de la botanique au cours du siècle. Le public amateur s’élargit progressivement, jusqu’à une véritable « démocratisation[12] » dans la deuxième moitié du XIXe siècle. La participation de la petite et moyenne bourgeoisie, des femmes voire de certaines franges des classes populaires est favorisée par un désir de partager la rationalisation de la connaissance du monde et par le développement de la littérature de vulgarisation et d’institutions facilitant l’accès et la participation au savoir scientifique[13] ; ce qui se traduit par une augmentation des collections botaniques. Outre l’enrichissement des collections, les exsiccatas sont des supports d’apprentissage privilégiés pour l’étude des cryptogames[14] (algues, mousses, lichens, fougères[15]) et des collections essentielles dans l’analyse de problématiques nouvelles, comme la géographie botanique[16], en fournissant des spécimens nombreux provenant de différentes régions et de divers milieux. Ils sont concurrencés dans les années 1860 par les sociétés d’échanges, qui ont pour but d’étudier la flore grâce à des exsiccatas non commercialisés, composés au nom de la société grâce à la participation des collecteurs, qui obtiennent la collection en échange. Le modèle des exsiccatas publiés et commercialisés se maintient cependant jusqu’au début du XXe siècle[17], en adoptant parfois des fonctionnements hybrides : des exsiccatas publiés sous le nom d’un ou deux auteurs responsables de la publication (et non d’une société d’échanges ayant la paternité collective[18]) peuvent être proposés à la vente, mais aussi distribués à un prix réduit aux botanistes qui participent à la réalisation d’un fascicule par la collecte[19]. Cela souligne la porosité entre l’échange marchand et les autres formes de sociabilité, de participation et de collaboration dans les milieux de botanistes.

Dès le début du XIXe siècle, la constitution des exsiccatas requiert la mobilisation de réseaux de collecteurs afin de rassembler de nombreux échantillons correspondant aux exigences du projet de publication et provenant de lieux différents. Les exsiccatas étudiés dans cet article mobilisent des botanistes amateurs de l’Ouest de la France ayant une bonne connaissance de la flore de leur territoire. Ces vingt-trois auteurs et contributeurs d’exsiccatas sont professeurs d’histoire naturelle, de sciences physiques, médecins, vétérinaires ou rentiers. Ils herborisent régulièrement lors de leurs loisirs et participent à la publication de flores ou à des sociétés naturalistes locales. Ils joignent à leur maîtrise du savoir botanique théorique, nécessaire à la détermination des plantes, une connaissance empirique fine des espèces locales, de leur population, de leur distribution et de leur phénologie. Le corpus constitué de leurs archives (correspondance, carnets d’herborisation) est hétérogène, suivant les acteurs, et suppose une approche principalement qualitative s’inspirant de la micro-histoire, utilisant la correspondance et les carnets d’herborisation. L’étude des exsiccatas, en revanche, permet quelques analyses quantitatives. Ces sources permettent une « histoire par en bas » des exsiccatas qui s’inscrit dans l’histoire des pratiques naturalistes (à l’échelle locale), l’histoire visuelle des sciences et fait appel aux apports de l’histoire environnementale. La diversité floristique de l’Ouest de la France, ici restreint à quelques départements[20], en fait un espace de collecte particulièrement riche dont les limites sont fréquemment redéfinies par les apports de la géographie botanique et les horizons d’herborisation des acteurs. La multiplication de flores locales à partir des années 1830 et le développement de sociétés naturalistes au milieu du XIXe siècle soulignent le dynamisme de la pratique de la botanique et contribuent à en faire connaître la flore.

La collecte de dizaines de plantes de chaque espèce implique un changement d’échelle dans les pratiques de collecte et de mise en circulation des spécimens dont les objectifs, les modalités et les conséquences posent problèmes. La réalisation d’exsiccata questionne l’articulation entre la quantité d’échantillons et leur qualité scientifique, qui doivent être égales pour les fascicules d’une même collection. La nécessité de disposer de spécimens similaires en grande quantité et le recours à de nombreux collecteurs interrogent les modalités de construction des réseaux et de disciplinarisation des pratiques de collecte, bien avant l’apparition des sociétés d’échanges[21]. L’exsiccata repose sur l’articulation entre des espaces matériels de collecte (où la population végétale est limitée et variable) et des espaces abstraits (unités géobotaniques ou administratives) dont les échantillons doivent être représentatifs. L’arbitrage sur le choix du lieu de collecte et son adéquation avec un savoir géobotanique abstrait est central et détermine la validité des collections[22]. Comment négocier et organiser la collecte en fonction des populations de chaque espèce tout en garantissant la valeur intrinsèque du spécimen reposant sur le lien entre l’échantillon matériel, l’information associée et la présence de la plante sur le terrain ? Comment concilier cette démarche avec la disponibilité d’un matériau biologique, dans un contexte où apparaît une préoccupation croissante pour la diminution voire la disparition d’espèces rares dans les localités de collecte ? Il s’agit de saisir l’articulation entre des pratiques et savoirs botaniques locaux, dépendant des évolutions des milieux de collecte et de la flore, et la constitution de collections vouées à construire et diffuser un savoir botanique de portée globale. Cette étude propose de saisir la tension entre les objectifs commerciaux et scientifiques des exsiccatas en fonction des contraintes posées par le caractère vivant du végétal. Cela implique l’analyse des exsiccatas en tant que projets collectifs, autour desquels se constituent et s’articulent des réseaux de collecteurs, ainsi que l’identification de signaux révélateurs d’une prise de conscience par rapport aux conséquences de cette pression de collecte sur l’existence même des espèces rares.

La production d’exsiccatas, les exigences d’un travail collectif

La réalisation d’un exsiccata est une entreprise collective, menée par un personnage central, l’auteur, qui définit un projet et réunit un réseau de collecteurs en adéquation avec celui-ci. La constitution et le fonctionnement de ce réseau de collecteurs met en évidence un partage hiérarchisé des tâches.

L’auteur et le projet d’exsiccata

En amont de la production de l’exsiccata, l’auteur définit un projet qui fixe les objectifs de la publication ainsi que les modalités pratiques de constitution des fascicules. Il le fait connaître par la correspondance ou, plus largement, en l’exposant de manière formelle dans des annonces publiées dans les bulletins des sociétés de botanique. De plus, des circulaires sont distribuées aux botanistes susceptibles d’être intéressés par l’exsiccata au titre de souscripteur ou de collaborateur. Ce projet guide le choix des espèces qui seront collectées puis publiées et permet d’assurer la cohérence géographique ou botanique de la collection.

L’exsiccata peut être dédié à l’exposition de la flore de divers territoires, permettant d’étudier la géographie botanique, de comparer les spécimens d’une même espèce et d’enrichir les collections en facilitant l’accès à des plantes rares, très localisées ou litigieuses. Ils augmentent ainsi la valeur économique et scientifique d’une collection[23]. D’autres publications sont dédiées à l’étude de groupes ou de genres botaniques difficiles, tels que les mousses, les hépatiques ou les ronces, comme le montre le tableau ci-dessous. Ces exsiccatas s’adressent davantage à un public de botanistes spécialisés dans l’étude de ces plantes, pour lesquels ils constituent des supports d’apprentissage privilégiés et des publications de référence. Leur objectif est de faire circuler les types des espèces et d’en faciliter l’étude par la mise à disposition de spécimens d’herbiers.

Auteur, titre de l’exsiccata, dates Type d’exsiccata
Généraliste Flore régionale Groupe ou genre botanique Plantes rares ou formes particulières
Billot et Schultz, Flora Galliae et Germaniae exsiccata (1836-1878) X
Lloyd, Algues de l’Ouest de la France (1847-1892) X X
Puel et Maille, Herbier des Flores locales de France (1848-1858) X
Magnier, Flora selecta exsiccata (1882-1895) X
Husnot, Musci galliae (1875-1907) (mousses françaises) X
Husnot, Hepaticae Galliae (1875-1901) (hépatiques françaises) X
Sudre, Batotheca Europaea (1903-1917) (ronces d’Europe) X

Tableau 1 : Projets d’exsiccatas et flore étudiée

Ces projets déterminent le nombre d’exemplaires prévus suivant le public ciblé et permettent d’évaluer la quantité d’échantillons nécessaires à la publication. La plupart des exsiccatas étudiés sont diffusés à grande échelle. Charles Magnier a par exemple publié 80 exemplaires du Flora selecta exsiccata, qu’il a offert à ses collaborateurs en échange de cinq plantes. Les exemplaires restants ont été mis en vente. Le prix varie généralement d’une dizaine de francs par centurie (paquet de cent plantes) à plus de 40 francs, en fonction de la rareté des espèces proposées, du nombre d’espèces contenues dans le fascicule, de la qualité scientifique et esthétique de la collection[24]. Les fascicules publiés par Charles Magnier pour le Flora selecta exsiccata varient entre 27 et 62 francs le fascicule, suivant le nombre de plantes vendues[25]. Il s’adresse ainsi à un public de botanistes averti et disposant de moyens financiers conséquents.

Suivant le projet d’exsiccata et la répartition des espèces sur le territoire, la production en série des fascicules nécessite des collectes réalisées à la fois par l’auteur de l’exsiccata[26] et par des réseaux de collecteurs plus ou moins étendus qui permettent d’élargir le périmètre de collecte et d’augmenter le nombre de produits distribués[27]. L’exsiccata Flora Galliae et Germaniae exsiccata de Constant Billot[28] et Wilhelm Schultz[29], publié de 1836 à 1878, est un des premiers en France à mobiliser un ample réseau de collaborateurs (au nombre de cent-quinze[30]), l’objectif étant de publier une collection de toutes les plantes de France et d’Allemagne en une quarantaine d’exemplaires[31].

Ce mode de fonctionnement est utilisé par d’autres auteurs d’exsiccatas, à différentes échelles. Pour certains, l’apport des collaborateurs n’est que ponctuel et la majorité des récoltes sont réalisées par l’auteur[32]. C’est le cas des Algues de l’Ouest de la France publiées par James Lloyd de 1847 à 1892, qui rassemble 14 collaborateurs autour de 24 fascicules publiés, mais dont 83 % des récoltes sont réalisées par l’auteur. Rentier et auteur de flores locales, James Lloyd effectue de nombreuses herborisations sur les côtes atlantiques dont certaines sont dédiées aux collectes d’algues pour l’exsiccata. D’autres exsiccatas mobilisent largement les collecteurs, comme l’Herbier des flores locales, publié par Timothée Puel et Benjamin Maille, qui compte 52 collaborateurs pour les premiers fascicules[33]. Le projet de ces botanistes parisiens est de rendre accessibles les espèces propres à chaque région afin de faciliter les comparaisons ainsi que les types des espèces nouvelles ou litigieuses. Il dépend de ce fait essentiellement des apports de botanistes locaux[34]. Les auteurs souhaitent obtenir la collaboration d’auteurs de flores et de catalogues pour l’Herbier des Flores locales[35], spécialistes de la flore de leur région, qui disposent par leurs herborisations d’une connaissance fine des espèces endémiques ou litigieuses, de leur phénologie et des localités de collecte. Leur familiarité avec ces espaces fonde leur compétence et leur légitimité en tant que collaborateur[36]. Le réseau de collecteurs permet ainsi d’élargir l’échelle géographique de la collecte et de prendre en compte les particularités des flores locales grâce aux connaissances des collaborateurs. Ces réseaux plus ou moins étendus sont constitués de manière à correspondre au projet de publication formulé par les auteurs : ils permettent d’articuler ensemble différents espaces de pratique et de collecte au sein de l’espace abstrait dans lequel s’inscrit le projet d’exsiccata qui a vocation à diffuser un savoir universel intégrant les flores locales.

La constitution des réseaux de collecteurs

Seules de rares annonces publiées dans les pages des bulletins des sociétés savantes font appel à des collaborateurs volontaires[37]. La plupart des réseaux de collecteurs sont constitués à partir de réseaux déjà existants, basés sur des relations épistolaires ou d’interconnaissance, sur demande de collaboration par l’auteur ou candidature du collecteur. Ils sont composés de manière à s’assurer de la compétence de tous les contributeurs et à combler l’ « écart cognitif » existant entre l’auteur et le terrain[38]. Ils rassemblent des profils hétéroclites et comprennent autant de spécialistes que d’amateurs passionnés, insérés dans les milieux botaniques locaux et dont certains collaborent à plusieurs exsiccatas[39]. L’apport de botanistes renommés pour leurs travaux, considérés comme spécialistes de certains groupes[40] ou auteurs d’espèces[41], est particulièrement apprécié par les auteurs d’exsiccatas qui cherchent à les inclure dans leurs réseaux selon les besoins de leurs projets. Présents dans tous les exsiccatas collectifs, ils participent autant à la collecte qu’à la vérification des spécimens. Cela leur donne l’occasion de publier le nom d’une nouvelle espèce avec sa description. L’exsiccata équivaut ainsi à une publication de référence (ouvrage ou article), à laquelle la communauté botanique se rapportera par la suite pour reconnaître la nouvelle espèce. Il s’agit là d’un enjeu majeur de prestige pour les botanistes car le nom de l’auteur d’une espèce passe à la postérité[42]. Parmi les collecteurs mobilisés par James Lloyd pour les Algues de l’Ouest de la France se trouve Gustave Thuret[43], spécialiste des algues. Il est l’auteur de certaines de ces espèces, telle que le Chantransia corymbifera Thuret, publiée en 1863. Il collecte en outre au Croisic, en 1891, le Blastophysa rhizopus Reinke, découvert en 1889, et participe à la vérification des espèces envoyées par d’autres collecteurs[44].

La correspondance scientifique concernant les espèces problématiques est mise à profit par les auteurs d’exsiccatas pour recruter des collecteurs dont ils connaissent le niveau d’instruction botanique, les compétences et les lieux d’herborisations. Cela fonctionne particulièrement pour les études de groupes ou de genres qualifiés de « litigieux », pour lesquels la correspondance entre botanistes tisse des réseaux denses permettant de discuter et d’approfondir l’étude et la détermination de ces plantes[45]. Les auteurs des exsiccatas, spécialistes des groupes étudiés, mobilisent ainsi ponctuellement leurs correspondants pour réaliser quelques collectes. Pierre-Tranquille Husnot[46], auteur de l’exsiccata Musci Galliae (mousses de France) publié de 1875 à 1907, correspond avec Ernest Préaubert[47] et détermine les mousses qu’il lui envoie. Il lui demande de récolter deux espèces à l’étang Saint-Nicolas (Angers, Maine-et-Loire) si celles-ci sont suffisamment abondantes et à l’état de capsules (avant libération des spores)[48]. La connaissance de ces localités par Pierre-Tranquille Husnot lui permet de projeter et de déléguer une collecte à distance à un botaniste dont il connaît les compétences et la maîtrise du terrain.

La présence d’intermédiaires est essentielle dans la constitution des réseaux de collecteurs. Timothée Puel envoie une circulaire présentant le projet de l’Herbier des Flores locales à l’abbé Delalande, auteur de quelques espèces et proche de James Lloyd, et mentionne dans ses lettres plusieurs botanistes connus de Delalande sur lesquels il compte pour le convaincre de participer au projet. En effet, l’abbé Delalande craint que les botanistes de province ne soient « floués » par les collectionneurs parisiens, en étant de simples fournisseurs d’échantillons qui augmenteraient les collections des « botanistes de cabinet[49] ». Cela révèle la tension sous-jacente entre les botanistes parisiens, bénéficiant des apports de nombreux collecteurs par les réseaux auxquels ils ont accès[50], et les botanistes de province, qui revendiquent au nom de leurs pratiques de terrain leur légitimité en tant que botanistes, craignant d’être assimilés à de simples collecteurs. Il ne donne finalement son accord qu’après discussion avec d’autres botanistes connaissant le projet[51]. Enfin, Timothée Puel lui demande de lui adresser d’autres botanistes qui pourraient participer à ce projet[52]. Leur correspondance témoigne du recours systématique aux intermédiaires pour recruter de nouveaux collecteurs dans l’Ouest[53]. Les intermédiaires, connaissant les deux parties, permettent de confirmer la fiabilité du projet et des auteurs ainsi que les compétences des collecteurs. Ils sont des nœuds indispensables dans l’extension du réseau et l’intégration de nouveaux collaborateurs, permettant à l’auteur d’accéder indirectement à de nouveaux espaces de collecte et à de nouvelles espèces.

Enfin, les réseaux d’herborisation des collecteurs sont parfois utilisés pour demander à des amateurs peu insérés dans les réseaux savants de compléter la collecte de certaines espèces, notamment si le lieu de collecte est éloigné des terrains d’herborisation habituels du collaborateur. Ces réseaux sont secondaires, car ils sont mobilisés par l’intermédiaire d’un collaborateur, très ponctuellement, pour une collecte précise, et non pour une collaboration directe à l’exsiccata. Par exemple, en 1851, l’abbé Delalande participe à l’exsiccata Herbier des flores locales de Timothée Puel et Benjamin Maille et envoie des échantillons d’Asterolinum linum-stellatum, en fruits, collectés à l’île d’Houat. Suivant le projet de l’exsiccata, l’utilisation de ces spécimens nécessite une seconde collecte de cette plante en fleurs, que l’abbé Delalande ne peut réaliser. Timothée Puel propose de compléter ces échantillons en demandant au curé d’Houat de récolter ces spécimens.  L’espèce concernée n’étant pas trop litigieuse[54], le risque de confusion et d’erreur est limité, ce qui justifie le recours à un collecteur qui se trouve opportunément sur le lieu de collecte et qui connait les gestes de récolte car il a herborisé plusieurs fois avec l’abbé Delalande[55]. Les herborisations collectives sont de ce fait un argument clé car elles garantissent la connaissance des caractères distinctifs de l’espèce et de ses localités de collecte, permettant de faire confiance à des collecteurs dont les compétences botaniques ne sont pas attestées par des publications, des échanges épistolaires ou leur insertion dans les réseaux savants[56].

L’organisation du travail : des réseaux hiérarchisés

Le réseau de collecteurs est coordonné par l’auteur de manière à rassembler les spécimens nécessaires pour constituer les exsiccatas et à livrer les fascicules en temps voulu, lorsqu’une livraison régulière est prévue dans le projet de publication. Des circulaires sont envoyées pour quelques exsiccatas mobilisant de grands réseaux, tels que l’Herbier des Flores locales de Puel et Maille ou le Flora selecta exsiccata de Charles Magnier. Elles rappellent le projet de l’exsiccata et précisent les espèces attendues, le nombre d’espèces demandé à chaque collecteur, la quantité d’échantillons à recueillir et à dessécher ainsi que la date limite d’envoi des spécimens. Elles sont mises à jour en fonction de l’évolution du projet et des rappels nécessaires en cas de dysfonctionnement du réseau de collecteurs concernant la collecte ou la préparation des spécimens.

Régulièrement, lors de l’intégration d’un nouveau collecteur ou de la collecte d’espèces particulières, ces instructions sont rappelées dans la correspondance. Elles sont ponctuellement assouplies sur décision de l’auteur, au cas par cas, suivant les espèces collectées et les éventuelles difficultés rencontrées par le collecteur[57]. La préparation de fascicules standardisés, produits en série, repose ainsi sur un fonctionnement hiérarchisé qui nécessite discipline et rigueur de la part des collaborateurs. Les plantes récoltées en plusieurs dizaines d’exemplaires sont envoyées par le collecteur à l’auteur de l’exsiccata, qui centralise les spécimens et les informations.  Celles-ci sont exposées sur une étiquette manuscrite indiquant le nom de l’espèce, le lieu et la date de collecte, parfois le milieu et le nom du collecteur[58]. L’auteur vérifie ensuite les déterminations[59] et la qualité de préparation des échantillons. Il recourt pour cela à l’expertise de botanistes spécialistes de certains groupes ou aux « découvreurs[60] » d’espèces dans de nouvelles localités, qui authentifient les spécimens en y apposant leur visa[61]. Ces spécimens authentifiés servent de références dans la détermination des espèces et sont rendus plus largement accessibles par la diffusion des exsiccatas. L’auteur fait ensuite imprimer l’étiquette finale portant le titre de l’exsiccata, le numéro de série et les informations transmises par le collecteur.

Figure 1 : Étiquette des Algues de l’Ouest de la France de James Lloyd. Muséum de sciences naturelles d’Angers – Fonds Lloyd. CC L. Couëffé

L’auteur se charge ensuite de réaliser les parts d’herbiers constituant les fascicules[62], sauf cas exceptionnel. Les échantillons séchés sont envoyés par paquets par le collecteur et l’auteur se charge de les répartir et de les fixer sur les différentes parts. S’il peut réaliser une répartition esthétique des échantillons sur la part, il ne peut que difficilement modifier la disposition de l’échantillon, fixée lors du processus de dessiccation. La publication des fascicules d’exsiccata est parfois associée à un catalogue qui propose un inventaire des espèces collectées, accompagnées d’observations et de descriptions[63], technologie de papier qui facilite autant la recherche d’une espèce qu’un aperçu général de la collection. L’exsiccata est enfin distribué aux acheteurs ou souscripteurs par voie postale ou par des intermédiaires. Malgré le travail réalisé par l’auteur, la qualité des spécimens présentés dépend en grande partie du travail des collecteurs.

Le choix et la collecte des spécimens, entre collaboration et discipline

Le recours à de nombreux collecteurs permet de bénéficier de leurs connaissances du terrain et des flores locales mais nécessite d’élaborer des normes de collecte et de préparation des échantillons, de manière à standardiser les spécimens et obtenir des fascicules similaires. Cela est d’autant plus important que la collecte, la préparation et l’information des échantillons sont des éléments déterminant la qualité scientifique et esthétique des exsiccatas dont l’auteur est garant.

Collecter en masse : exigences techniques, scientifiques et esthétiques

Si certains exsiccatas sont publiés en un nombre restreint d’exemplaires, la plupart paraissent en plusieurs dizaines d’exemplaires. L’exsiccata Herbier des Flores locales de Puel et Maille, destiné à une large diffusion, est constitué en 230 exemplaires[64]. Le nombre d’échantillons collectés est souvent supérieur au nombre d’exemplaires d’exsiccatas prévus, pour permettre de sélectionner les échantillons, de compléter les planches des fascicules ou de constituer quelques volumes supplémentaires.  Les auteurs conservent des boîtes de doubles afin de répondre aux demandes des nouveaux acquéreurs[65]. Chaque espèce doit être collectée en quantité car chaque part de l’exsiccata doit présenter, dans l’idéal, de « nombreux échantillons[66] ». Cette exigence de multiplication des spécimens, commune aux exsiccatas, s’applique principalement aux espèces de petite taille[67]. Elle vise des objectifs à la fois esthétiques et scientifiques.

Figure 2 : Lloyd, Algues de l’Ouest de la France. n° 376 Laurencia obtusa, Golfe du Morbihan, s.d. Musée de sciences naturelles d’Angers – Fonds Lloyd. CC L. Couëffé

 

Figure 3 : Puel et Maille, Herbier des flores locales, n°195 Erica ciliaris L., landes de Malaguet, H de la Perraudière. Muséum d’histoire naturelle de Nantes – Fonds Dufour. CC L. Couëffé

L’accumulation d’échantillons sur une même part d’herbier, caractéristique des herbiers du XIXe siècle[68], fait partie d’une exigence esthétique de la collection. Elle permet une disposition harmonieuse des échantillons sur la part d’exsiccata. Leur multiplication sur une même part a également une justification scientifique. En mettant à disposition plusieurs spécimens de différentes tailles ou en divers états, qui peuvent présenter des variations, les exsiccatas permettent aux botanistes de faire des comparaisons fines et précises des caractères morphologiques des spécimens avec d’autres récoltes, à des fins d’étude[69]. Cette précision d’analyse constitue une différence notable avec la représentation idéale qu’est le dessin d’une espèce dans un ouvrage, qui présente une « image raisonnée[70] ». Le glissement épistémique vers une forme d’objectivité indépendante de l’intervention humaine au milieu du XIXe siècle octroie une valeur supérieure au « naturalisme » des spécimens et à leurs particularismes, reposant sur la multiplication des observations[71]. Cela suppose la collecte d’une grande quantité d’échantillons, la répétition de la sélection des échantillons adéquats et des gestes de collecte homogènes ; ce qui requiert rigueur et discipline de la part de chaque collecteur.

Discipliner les collecteurs : orthopraxie des gestes de collecte et préparation des échantillons

Les instructions détaillées données dans les circulaires diffusées par les auteurs d’exsiccatas tentent de limiter la double difficulté d’une collecte d’échantillons en grand nombre et par différents collecteurs par des consignes de collecte dont l’objectif est d’harmoniser leurs pratiques. L’établissement de ces normes suppose, de la part de chaque collecteur, l’intériorisation d’une orthopraxie de la collecte, au sens d’une discipline des gestes de collecte[72] : rigueur dans la sélection des échantillons prélevés et le relevé des informations associées à l’échantillon. Elles tendent à façonner le « bricolage matériel, social et cognitif » dont relève la collecte [73]. La particularité de cette discipline dans le cadre des exsiccatas est son extension à l’ensemble des membres du réseau de collecteurs et la répétition en série des mêmes gestes pour les échantillons de chaque espèce collectée. L’objectif est de garantir l’homogénéité des spécimens d’une même espèce et la reconnaissance d’une valeur équivalente de chaque exemplaire de la collection. Le contrôle final est réalisé par les auteurs des exsiccatas qui se réservent le droit de refuser les échantillons non conformes et de faire vérifier les déterminations auprès de spécialistes. Puel et Maille précisent ainsi : « Nous ne pourrons agréer pour les fascicules que les plantes qui réunissent les conditions préalablement exposées, et qui en outre sont en bon état de préparation[74]. » Le rappel régulier des consignes dans la correspondance ou dans des circulaires ultérieures[75] souligne la difficulté à établir une discipline collective des pratiques de collecte[76].

La standardisation des spécimens garantit la présence des caractères essentiels à la comparaison[77] et fonde leur qualité scientifique. Les spécimens d’exsiccatas complètent ou remplacent les spécimens d’herbiers des collectionneurs : ils suivent de ce fait les normes de constitution des herbiers et de prélèvement des spécimens au XIXe siècle. Cela permet de construire des systèmes matériels d’observation et de comparaison homogènes, qui fondent leur valeur épistémique. Les plantes doivent être prélevées entièrement, avec les racines, le bulbe ou les rhizomes dans la mesure du possible, de préférence en fleurs et en fruits, afin de permettre l’observation des caractères spécifiques[78]. Elles doivent ainsi être collectées au moment opportun pour présenter clairement les caractères distinctifs permettant d’étudier l’espèce, notamment les fleurs et les fruits[79]. Les échantillons en « état intermédiaire » ne permettant pas l’exposition claire de tous les caractères sont refusés par les auteurs[80]. Cela nécessite une double récolte qui doit avoir lieu dans la même localité, autant que faire se peut, pour mettre à disposition des spécimens relevant d’une unité géobotanique cohérente et éviter les écueils de la variabilité des espèces[81]. Des normes de collecte particulières sont établies pour les espèces litigieuses (comme les ronces) et les groupes botaniques difficiles (les algues et les mousses notamment). La collecte d’échantillons doit être associée au relevé d’informations sur le terrain concernant le nom de l’espèce, le milieu dans lequel elle est prélevée, le lieu et la date de collecte[82], qui deviennent essentielles avec le développement des études de géographie botanique[83].

La qualité de la préparation des spécimens et la validité de leur détermination sont des critères fondamentaux dans l’évaluation des exsiccatas ainsi que des arguments commerciaux utilisés dans les annonces de mise en vente des fascicules[84]. L’étape de la dessiccation est de fait aussi fondamentale que délicate car les spécimens doivent conserver les organes nécessaires à l’étude de l’espèce (étamines, pistil). L’agencement harmonieux de l’échantillon sur la feuille de papier ne peut être modifié après dessiccation. Il faut donc veiller à une disposition à la fois informative et décorative de tous les organes de la plante. Cela nécessite un savoir-faire du collecteur issu de l’expérience et l’observation répétée des réactions des tissus végétaux à la dessiccation. L’aspect esthétique, héritage de la culture de la curiosité mêlant le plaisir sensible et intellectuel, perdure jusqu’au milieu du XIXe siècle[85]. Bien qu’il soit moins évoqué dans les sources[86], il demeure important pour les exsiccatas, notamment ceux adressés aux collectionneurs recherchant des plantes rares ou représentatives de la flore française, que cela soit dans la préparation des échantillons ou leur disposition sur la part d’herbier.

Concilier projet d’exsiccata et réalités du terrain. Les aléas de la collecte

Les échanges de plantes reposent depuis l’époque moderne sur l’envoi de desiderata (plantes souhaitées) ou d’oblata (plantes offertes) entre botanistes[87].  Pour les exsiccatas, le choix des espèces collectées en plusieurs dizaines voire centaines d’exemplaires est également conditionné par les populations de plantes sur le terrain. Les listes de desiderata envoyées par les auteurs assurent la cohérence du projet de publication de l’exsiccata, notamment lorsqu’ils sont spécialisés dans l’étude de groupes litigieux, tels que les ronces ou les menthes, pour lesquels la discrimination des espèces repose sur des caractères subtiles, nécessitant l’observation de spécimens types[88]. La diffusion des types ayant servi à décrire les espèces locales étant fondamentale, ils sont particulièrement demandés par les auteurs d’exsiccata[89]. Le procédé de choix parmi les oblata du collecteur semble cependant être le plus courant, notamment pour les exsiccatas généralistes ou s’intéressant aux flores locales, non spécialisés dans l’étude d’un groupe ou d’un genre. Ce procédé permet de concilier à la fois les exigences propres au projet d’exsiccata, les compétences des collecteurs et les contraintes liées aux populations locales des différentes espèces, car les espèces proposées doivent correspondre à l’aire d’herborisation habituelle des collecteurs[90]. L’auteur de l’exsiccata conserve néanmoins un rôle central en choisissant in fine les plantes à collecter, comme le fait Charles Magnier dans la liste d’oblata envoyée par Ernest Préaubert pour l’exsiccata Flora selecta[91]. Le procédé de choix des plantes met à profit les connaissances acquises lors d’herborisations antérieures sur la flore locale concernant les localités, les saisons de collecte, les populations disponibles de chaque espèce. Les plantes proposées par Ernest Préaubert à Charles Magnier ont toutes fait l’objet de collectes précédentes car elles sont présentées dans son herbier[92]. Cela ne garantit pas pour autant la collecte de l’espèce, qui dépend de la disponibilité des ressources sur le terrain.

Il arrive que le développement et l’épanouissement des organes des plantes ne soient pas satisfaisants pour réaliser la collecte prévue ou que le nombre de spécimens trouvés sur le terrain ne soit pas suffisant. Cela se produit en 1851 lorsque l’abbé Delalande envisage de collecter le Myosotis sicula qui « n’a pas été abondant cette année, ni beau, sur deux cent échantillons il n’y en a pas cinquante de présentables », tandis que les fruits du Lepidium Smithii sont tombés à cause de la sécheresse[93]. La double récolte nécessaire à l’obtention des plantes en fleurs et en fruits peut être empêchée lorsque les lieux de collecte de certaines espèces sont soumis à d’autres usages, notamment pour les plantes des prairies. L’abbé Delalande écrit à Timothée Puel qu’il ne peut collecter le Trifolium michelanium en fruits, « la faulx [sic] ayant tout détruit[94] ». Pour le Flora selecta de Charles Magnier, cette espèce n’est récoltée qu’en fleurs[95]. La plupart des espèces prélevées dans l’Ouest sont choisies parmi celles qui vivent dans des espaces non agricoles, ce qui donne une garantie supplémentaire de pouvoir rassembler un nombre de spécimens suffisants, de bonne qualité, et d’effectuer plusieurs récoltes[96]. Ces limites posées à la collecte par l’usage des milieux et l’état des plantes sont cependant très peu évoquées dans les écrits et la correspondance.

La collecte de nombreux échantillons suppose de prendre en compte l’accessibilité et la disponibilité des ressources. Ces facteurs déterminants dans la réalisation des exsiccatas sont d’autant plus problématiques lorsque le projet de publication comporte des espèces rares.

Le cas des plantes rares : une prise de conscience des conséquences de la collecte ?

À partir du milieu du XIXe siècle, alors que se développe une approche patrimoniale et esthétique de la nature et des paysages[97], émerge une forme de « nostalgie environnementale[98] » relative à la modification des milieux par l’agriculture et l’industrie. Elle s’accompagne chez les botanistes d’une prise de conscience sur la disparition des plantes rares, recherchées pour les collections privées et les exsiccatas[99]. Le prélèvement de ces espèces pose ainsi de nombreuses questions et mène à des stratégies de collecte spécifiques[100].

Disparition des plantes rares : responsabilités et dilemmes des auteurs d’exsiccatas

Dans le dernier tiers du siècle, la dénonciation des pratiques de collecte excessives, qualifiées de déviantes car participant à la destruction et à la disparition de certaines espèces, s’inscrit dans un contexte de démocratisation de la botanique. La multiplication des collections et des collecteurs[101] engagés dans des sociétés d’échanges ou la production d’exsiccatas commercialisés[102] favorise l’accroissement de la demande et de la mise en circulation de spécimens de plantes rares, particulièrement recherchées, qui augmentent la valeur scientifique et marchande des exsiccatas[103]. Cependant, les collectes massives peuvent fragiliser les populations et les collecteurs d’exsiccatas sont considérés comme les principaux responsables de la diminution voire de la disparition de ces espèces[104]. Le bulletin de la Société botanique de France souligne en 1890 que « les botanistes [sont accusés] de détruire les localités d’espèces rares en les récoltant sans mesure pour les exsiccatas », tout en rappelant la responsabilité d’autres types de collecte (vente de plantes coupées, prélèvements horticoles[105]).

Certains exsiccatas, tel que le Flora selecta publié par Charles Magnier, ont justement pour objectif de publier « les plantes rares ou intéressantes ». L’auteur précise que les plantes rares « très localisées » peuvent être récoltées en un plus petit nombre de spécimens[106]. L’exsiccata est cependant publié à hauteur de 80 exemplaires en 1882, puis 85 exemplaires en 1895[107]. De fait, parmi les collectes réalisées pour cet exsiccata[108] se trouvent en majorité des espèces considérées peu communes (PC), assez rares (AR), rares (R) voire très rares (RR) dans l’Ouest, bien que des espèces communes (C) et assez communes (AC) soient aussi collectées[109], comme le montre le graphique ci-dessous.

Figure 4 : Proportion de plantes peu communes, assez rares ou rares collectées pour l’exsiccata Flora selecta dans l’Ouest (1884-1895)

Ce type de collection conforte ainsi l’idée selon laquelle les pratiques de collecte pour les exsiccatas constituent une menace pour les populations d’espèces rares. Certains auteurs en sont conscients, à l’instar de Timothée Puel qui « redoute avant tout […] la destruction des localités[110] », d’autant plus qu’ils demandent des collectes permettant la préparation de 230 parts d’exsiccata[111]. Si le projet d’étude naturaliste des espèces végétales, par accumulation et comparaison d’échantillons, est par essence incompatible avec leur protection[112], les discours de ces botanistes insistent sur la nécessité de préserver quelques échantillons vivants sur le terrain. Ils sont soucieux de conserver leur crédit et leur légitimité dans les réseaux botaniques, qui fondent la valeur des exsiccatas et la validité des collections qu’ils vendent en tant que références, vectrices de savoir. En outre, cette validité repose sur le lien établi entre les échantillons, les informations données sur l’étiquette et la présence des plantes sur le terrain. La destruction de localités de plantes rares remet ainsi en cause le terme de la comparaison avec des plantes vivantes, dont la présence localisée est matérialisée et prouvée par l’échantillon d’exsiccata. Elle remet en question, in fine, la validité des collections. Les auteurs doivent de ce fait s’assurer de la pérennité de ces espèces dans les lieux de collecte et dépendent pour cela des pratiques des collecteurs. Pour résoudre cette contradiction entre la valeur scientifique et marchande des plantes rares et la valeur représentative d’une réalité, preuve de leur présence sur le terrain, des stratégies de collecte particulières sont adoptées au cas par cas par les auteurs et les collecteurs.

Les stratégies de collecte des plantes rares : pratiques, questionnements théoriques et validité scientifique

Les auteurs d’exsiccata préconisent des adaptations des pratiques de collecte selon l’évaluation quantitative des populations sur le terrain. Timothée Puel écrit qu’il faut « choisir […] les localités où la plante qu’on a en vue est en grande abondance[113] », ce que les botanistes prennent soin de souligner lors de collectes massives[114]. Ernest Préaubert ne récolte le Tulipa celsiana qu’à Beaulieu, seule localité connue en Maine-et-Loire pour cette espèce très rare dans la flore de l’Ouest[115], que parce qu’elle y est « en assez grande abondance de fleurs, en bon état[116] ». Cela lui permet de la récolter avec les bulbes, afin de préparer des spécimens complets sans que la présence de cette tulipe ne soit menacée[117]. D’autres stratégies portant sur les techniques de collecte recommandent de ne prélever que la partie aérienne de la plante. Par exemple, Timothée Puel et Benjamin Maille proposent pour les plantes à bulbes « rarement abondantes » de ne recueillir que « les échantillons en fruit sans arracher les bulbes », afin de « ne pas s’exposer à détruire une localité intéressante et peut être unique », ce qui peut être étendu à « quelques cas exceptionnels » de plantes à fleurs[118]. Ces recommandations sont cependant marginales parmi les auteurs d’exsiccata car un échantillon d’herbier correspondant aux normes botaniques doit présenter la plante entière pour être valide[119].

La multiplication des lieux de collecte est une autre stratégie envisagée afin de répartir la pression de la collecte sur plusieurs sites et d’avoir un nombre suffisant de spécimens pour préparer les fascicules. James Lloyd mentionne par exemple dans ses notes qu’une algue rare (Nytophyllim punctatum var. ocellatum) a été collectée pour l’exsiccata au Croisic et à Belle-Île. Après préparation des échantillons, il juge le nombre de ceux collectés au Croisic « suffisant sans ceux de Belle-Île[120] ». Cette stratégie est cependant envisagée avec précaution, voire quelques réticences, car il est préférable pour la valeur de l’exsiccata de présenter une espèce avec des échantillons provenant d’une même localité. Cela permet de répondre à des préoccupations scientifiques sur la répartition géographique et sur la variabilité des espèces selon les conditions de milieu, questions particulièrement étudiées dans les herbiers au XIXe siècle[121]. Puel et Maille tentent ainsi de limiter ces inconvénients : « Pour ne pas nuire à la propagation naturelle de certaines espèces rares et en même temps peu abondantes, on pourra récolter la plante en fleur dans une localité, et la plante en fruit dans une autre localité, pourvu que celle-ci soit contiguë à la première et soumise aux mêmes influences[122]. » L’objectif est d’assurer la cohérence de l’unité géobotanique dans laquelle est collectée chaque forme de l’espèce. La solution parallèle à la multiplication des lieux de collecte est la répartition des récoltes sur plusieurs années, c’est-à-dire « récolter les fleurs une année et les fruits l’année suivante[123] », ce qui suppose que la publication de ces espèces ne puisse pas s’inscrire dans un rythme régulier.

Dans d’autres cas, si l’espèce n’est pas assez abondante, les auteurs d’exsiccatas prônent une relative modération de la collecte de ces plantes en diminuant le nombre d’échantillons demandés[124], comme le fait Henri de la Perraudière pour l’orpin d’Angers (Sedum andegavense (DC) Desv) pour l’exsiccata Puel et Maille[125].

Figure 5 : Herbier des Flores locales de France. Sedum andegavense Desv. collecté par H. de la Perraudière, Sainte-Gemmes, 1851. Muséum d’histoire naturelle de Nantes – Fonds Dufour. CC L. Couëffé

La volonté de modération de la collecte qui apparaît ponctuellement dans les discours de la communauté botanique et les solutions envisagées pour collecter les plantes rares tout en atténuant l’impact des récoltes sur les populations s’expriment davantage dans des pratiques individuelles que collectives.

Modération individuelle et régulation collective

Les pratiques individuelles de collecte font autant l’objet de recommandations des auteurs d’exsiccatas que d’une surveillance de la part de la communauté botanique quant au risque de destruction des localités. Dénoncées dans des articles ou dans la correspondance sous le terme de « vandalisme », évoquant la valeur patrimoniale du végétal et de la nature[126], ces destructions peuvent être préjudiciables à l’activité du botaniste au sein de la communauté botanique par sa mise à l’écart des réseaux d’échanges[127]. Les collecteurs des exsiccatas se montrent ainsi relativement vigilants, d’autant plus que la publication de l’exsiccata rend publiques leurs pratiques de collecte dans des localités connues par la communauté botanique.

Cependant, l’attraction pour les espèces rares crée une multiplication des collectes dans certaines localités. Par exemple, le coléanthe délicat (Coleanthus subtilis Seid.), graminée nordique, est découverte en France par Georges de Lisle en Loire-Inférieure en 1863 puis en Maine-et-Loire en 1865 à l’étang de la Corbinière (Noyant-la-Gravoyère) par l’abbé Ravain[128]. Ce dernier le distribue dès sa découverte dans l’exsiccata Herbarium normale publié par Schultz[129]. Il est de nouveau collecté en 1881 à Noyant-la-Gravoyère pour la Société Rochelaise, puis en de nombreux échantillons par Ernest Préaubert en 1884 et de nouveau en 1913 pour la Société cénomane d’exsiccata par A. Henry[130]. Il n’est plus observé après 1913 malgré des recherches réitérées dans les années 1950. Sa disparition semble imputable aux changements du milieu dans lequel il se trouve[131] mais on ne peut pas exclure l’effet des collectes répétées dans cette localité. De même, le Scirpus pungens Vahl, collecté par Louis Chevallier dans la Sarthe en 1891 pour le Flora selecta[132] n’est plus observé dans ce département après 1892[133]. Sans aller systématiquement jusqu’à la disparition, les collectes massives répétées dans une station par divers collecteurs[134] créent une pression de collecte importante et fragilisent les populations végétales. Bien que chaque collecteur soit invité à se montrer vigilant, ces recommandations portent sur les pratiques individuelles de collecte et non sur une espèce ou un espace particulier à protéger[135]. De plus, l’adoption du projet d’étude naturaliste à grande échelle, reposant sur l’accumulation et la comparaison de spécimens ainsi que l’extension de la pratique de la botanique (tant par des collecteurs occasionnels que réguliers) limitent les possibilités de coordination et de régulation collective de la collecte[136].

Conclusion

La production d’exsiccatas est un travail collaboratif particulier en botanique. Au-delà du partage d’informations botaniques, comme les flores ou les catalogues, ils exigent le rassemblement d’un matériel biologique standardisé, collecté et préparé de manière à constituer des fascicules identiques. La composition des réseaux de collecteurs et le déroulement des collectes massives sont donc des points cruciaux. En effet, les exsiccatas doivent présenter une certaine homogénéité : chaque fascicule constitue en soi une collection de référence, répliquée en de multiples exemplaires et accessible dans différents lieux de conservation. La standardisation des spécimens est une des raisons d’être de ces exsiccatas car elle fonde leur valeur scientifique et constitue un prérequis indispensable à la circulation de spécimens de référence. Leur fonction épistémologique est de ce fait étroitement liée aux spécimens collectés et à l’instauration de normes définissant une orthopraxie de la collecte reposant sur la répétition d’opérations intellectuelles et manuelles dans la sélection des échantillons à prélever. Cela suppose aussi que la collecte se déroule au sein d’unités géobotaniques afin de garantir l’homogénéité des conditions écologiques et des plantes collectées. Cette homogénéité constitue un prérequis permettant l’intégration d’espaces locaux de collecte, définis par les savoirs et les pratiques des collecteurs, à l’espace abstrait couvert par l’exsiccata.

Or, la disponibilité variable des ressources entraîne des distorsions de ces normes de collecte pour faciliter la circulation de plantes rares. Ces écarts aux normes permettent cependant de préserver une autre fonction épistémologique fondamentale de ces collections de référence : la représentation de la flore réelle. En effet, les catalogues et flores n’offrent que des descriptions lacunaires, ainsi que peu d’illustrations. Cependant, la validité de cette fonction repose sur le lien établi entre le spécimen d’herbier, l’information géographique associée et la présence de la plante sur le terrain, ce qui suppose la conservation des espèces dans les localités connues. Si cette préoccupation est intégrée dans les discours de la communauté botanique et, la plupart du temps, dans les pratiques de collecte individuelles des botanistes, la multiplication des collectes pour les exsiccatas ou les sociétés d’échanges fragilise les populations et mène au début du XXe siècle aux premières tentatives de protection des espèces végétales.

Le développement des exsiccatas commercialisés et des sociétés d’échanges, à mi-chemin entre l’herbier et le livre, témoigne de la volonté de faire circuler un savoir botanique relatif à la taxinomie ou à la géographie botanique étroitement lié à la valeur épistémologique des spécimens d’herbiers, à la matérialité des collections et à leur présence réelle sur le terrain.

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[2] Dorothée Rusque, Le dialogue des objets. Fabrique et circulation des savoirs naturalistes : le cas des collections Jean Hermann (1738-1800), thèse de doctorat d’histoire sous la direction d’Isabelle Laboulais, Université de Strasbourg, 29 juin 2018, p. 131-158 ; Sarah Easterby-Smith, Cultivating commerce : cultures of Botany in Britain and France, 1760-1815, Cambridge, Cambridge University Press, 2018, p. 6.

[3] Christian Bange, « Les collections botaniques privées en France au XIXe siècle » dans Jean-Yves Ribault (dir.), Mécènes et collectionneurs : les variantes d’une passion, Paris, CTHS, 1999, p. 184.

[4] Denis Lamy, « Les herbiers de plantes cryptogames : méthodes, emplois, perspectives » in Pierrel et Reduron, (éd.), Les herbiers : un outil d’avenir. Tradition et modernité, actes du colloque de Lyon (20-22 novembre 2002), Villers-lès-Nancy, Association Française pour la Conservation des Espèces Végétales, 2004, p. 32.

[5] Denis Lamy, « Le savoir botanique par les herbiers » in Actes du colloque « Voyages en botanique », 16 et 17 juin 2005 à Besançon, Besançon, ACCOLAD, p. 4 [URL : http://www.livre-franchecomte.com], consulté le 27 novembre 2018.

[6] Le type d’une espèce est le spécimen ayant servi à décrire une nouvelle espèce.

[7] Lorraine Daston, Elizabeth Lunbeck, Histories on Scientific Observation, Chicago, The Chicago University Press, 2011, p. 104-106 ; Lorraine Daston, Peter Galison, Objectivité, Paris, Les Presses du réel, 2012 (2007), p. 55.

[8] Idem.

[9] Denis Lamy « Le savoir botanique… », art. cit., p. 1-13.

[10] Christian Bange, « Travail collectif en botanique et validation scientifique : les sociétés d’échange de plantes » in Bulletin d’histoire et d’épistémologie des sciences de la Vie, tome 19, n° 2, 2012, p. 176.

[11] Dorothée Rusque, Le dialogue des objets…, op. cit., p. 131-153.

[12] Benoît Dayrat, Les botanistes et la Flore de France : trois siècles de découvertes, Paris, Publications scientifiques du Muséum national d’Histoire naturelle, 2003, p. 132.

[13] Volny Fages, Laurence Guignard, « Introduction. Libido sciendi », Revue d’histoire du XIXe siècle, n° 57, 2018, p. 11-16. Pour le contexte anglo-saxon voir Anne Secord, « Science in the pub : artisan botanists in early nineteenth century Lancashire, History of Science », vol. 32 (3), 1994, pp. 269-315 [URL : https://doi.org/10.1177/007327539403200302].

[14] Les cryptogames sont des plantes sans fleurs dont l’étude est réputée difficile aux XVIIIe et XIXe s.

[15] Denis Lamy, « Le rôle des amateurs dans l’étude des bryophytes en France au XIXe siècle » in Cahiers d’histoire et de philosophie des sciences, n° 27, 1989, p. 167.

[16] Carine Drechsler, Jean-Paul Klein, Guy Seznec, « Les centuries : des collections de plantes séchées » in Pierrel et Reduron, (éd.), Les herbiers : un outil d’avenir…, op. cit., p. 301.

[17] Christian Bange, « Travail collectif… », op. cit., p. 176.

[18] Ibidem, p. 177 et p. 187.

[19] Voir les exsiccatas publiés par Charles Magnier (Flora gallica exsiccata, par exemple), Timothée Puel et Benjamin Maille (Herbier des flores locales).

[20] Les départements de Maine-et-Loire, Loire-Inférieure, Sarthe, Vendée et, ponctuellement, Morbihan et Charente-Inférieure.

[21] Par exemple : Michel Hoff, Françoise Dreger et Roger Miesch, « L’Herbier ‘‘Stirpes Cryptogamae Vogeso-Rhenanae’’ de J. B. Mougeot, C. G. Nestler et W. P. Schimper », Bulletin de l’Association Philomathique d’Alsace et de Lorraine, vol. 31, 1995, pp. 77-91

[22] David N. Livingstone, Putting Science in its Place. Geographies of Scientific Knowledge, Chicago, The University of Chicago Press, 2003, p. 6

[23] Dorothée Rusque, Le dialogue des objets…, op.cit., p. 154-158.

[24] Bulletins de la Société botanique de France, rubrique « Plantes à vendre », Paris, Bureau de la Société, années 1860 à 1880.

[25] Bornet (éd.), « Plantes à vendre », Bulletin de la Société botanique de France, tome 32, Paris, Bureau de la Société, 1885, p. 48. Les fascicules 2 et 3 comprennent respectivement 298 plantes (45 francs), 327 planches (52 francs).

[26] Denis Lamy, « Le savoir botanique… », op. cit., p. 5 ; Michel Hoff, Françoise Dreger et Roger Miesch, « L’Herbier… », op. cit., pp. 77-91.

[27] Christian Bange, « Travail collectif… », op. cit., p. 176.

[28] Constant Billot (1796-1863), botaniste français, professeur de sciences physiques et d’histoire naturelle, publie avec Wilhelm Schultz l’exsiccata Flora Galliae et Germaniae.

[29] Wilhelm Schultz (1804-1876) est un botaniste allemand, docteur en philosophie.

[30] Christian Bange « Travail collectif… », op. cit., p. 176. ; Françoise Deluzarche, « Collecteurs des Centuries de ‘‘Florae Galliae et Germaniae Exsiccata’’ de C. Billot. », p. 1. Site de l’Herbier de l’Université de Strasbourg [URL : www.unistra.fr], consulté le 9 juillet 2020.

[31] Gilles André, Max André, « Flora Galliae et Germaniae Exsiccata de P.-C. Billot », Les Nouvelles archives de la Flore jurassienne, Société botanique de Franche-Comté, n° 4, 2006, p. 41.

[32] Le Stirpes vogeso-rhenanae publié par Mougeot, Schimper et Nestler n’inclut les récoltes de quelques collecteurs qu’à partir du neuvième fascicule en 1826. Seul le quinzième fascicule publié en 1860 recourt à un nombre significatif de collecteurs (16). Voir Michel Hoff, Françoise Dreger, Robert Miesch, « L’herbier… », op. cit., p. 78.

[33] Muséum d’histoire naturelle de Nantes (MHNN). Fonds Dufour – Puel et Maille, Herbier des flores locales, liste des collaborateurs pour les fascicules 1 à 4, sd.

[34] MHNN. Fonds Delalande – correspondance. Circulaire de Puel à l’abbé Delalande, 15 février 1848.

[35] Ils contactent James Lloyd, auteur de la Flore de la Loire-Inférieure en 1844.

[36] David N. Livingstone, Putting Science in its Place…op.cit., p. 48.

[37] Par exemple, Charles Magnier pour le Plantae Galliae septentrionalis et Belgii, pour lequel il a besoin de collaborateurs étrangers. Eugène Fournier, « Nouvelles », Bulletin de la Société botanique de France, tome 27, 1880, p. 236.

[38] David N. Livingstone, Putting Science in its Place…op.cit., p. 147.

[39] Parmi les botanistes de l’Ouest qui collectent pour le Flora Galliae et Germaniae se trouvent Pierre-Nicolas Ayraud (?- 1890), médecin vétérinaire à Fontenay-le-Comte ; Henri Auvynet (1822-1868), abbé à la Pierre-Levée, Tacite Letourneux (1804-1880), juge au Tribunal civil de Fontenay-le-Comte. Tacite Letourneux et Henri de la Perraudière, propriétaire et rentier, participent à l’exsiccata Flora Galliae et Germaniae et à l’Herbier des Flores locales. Voir MHNN. Fonds Dufour – Herbier des Flores locales, Puel et Maille. Liste des collecteurs des fascicules 1 à 4, v. 1852 ; Françoise Deluzarche, « Collecteurs des Centuries … », op. cit., p. 1.

[40] Patrick Matagne « Les naturalistes amateurs et leurs réseaux (1880-1914), ou comment occuper le ‘‘terrain’’, construire une identité collective et produire un savoir universel », Des sciences citoyennes ? La question de l’amateur dans les sciences naturalistes, La Tour d’Aigues, éditions de l’Aube, 2007, p. 113.

[41] L’auteur d’une espèce est le botaniste qui décrit une espèce nouvelle. Son nom est ensuite associé au nom de l’espèce. Par exemple, James Lloyd est l’auteur d’Angelica heterocarpa Lloyd.

[42] Benoît Dayrat, Les botanistes…, op. cit., p. 15.

[43] Gustave Thuret (1817-1875), diplomate et botaniste français spécialiste des algues. Il observe la fécondation des Fucus.

[44] MSNA. Herbier Algues de l’Ouest de la France – boîte. Doubles, numéros 441 à 450, n° 445 Aphanizomenon Flos aquae. Notes manuscrites de Lloyd : cite plusieurs lettres de M. Bornet du 31 octobre 1893 et du 1er janvier 1894 sur la détermination de cette espèce, de même que des échantillons portant la mention « returned by M. Bornet ». Ce type de notes se retrouve à plusieurs reprises dans les doubles des fascicules conservés par Lloyd.

[45] Denis Lamy, « Le rôle des amateurs… », op. cit., p. 167.

[46] Pierre-Tranquille Husnot (1840-1929), ingénieur agronome et agriculteur, est spécialiste des mousses.

[47] Ernest Préaubert (1852-1933) est un botaniste angevin, professeur de sciences, de sciences physiques en lycée puis à l’École normale supérieure des Sciences et des Lettres, puis conservateur de l’Herbier Lloyd en 1929.

[48] MSNA. Fonds Préaubert – Correspondance. Lettre de Husnot à Préaubert, 18 octobre 1882.

[49] MHNN. Fonds Delalande – Correspondance Lettre de Delalande à Puel, 28 septembre 1849 ; Lettre de Puel à Delalande, 29 septembre 1849.

[50] Dorothée Rusque, Le dialogue des objetsop.cit., p. 131-139.

[51] MHNN. Fonds Delalande – Correspondance Lettre de Delalande à Puel, 28 septembre 1849.

[52] MHNN. Fonds Delalande – Correspondance Lettre de Timothée Puel à Delalande, 9 juin 1848.

[53] MHNN. Fonds Delalande – Correspondance Lettre de Puel à Delalande, 29 septembre 1849.

[54] MHNN. Fonds Delalande – Correspondance. Lettre de Puel à Delalande, 15 mai 1851.

[55] MHNN. Fonds Delalande – Timothée Puel connaît ces herborisations communes par le récit publié en 1850 par l’abbé Delalande (Delalande, Hoedic et Houat, histoire, mœurs, productions naturelles, Nantes, Guéraud, 1850, p. 5).

[56] MHNN. Fonds Delalande – Correspondance. Lettre de Delalande à Puel, 28 décembre 1850.

[57] MHNN Fonds Delalande – Correspondance entre Timothée Puel et l’abbé Delalande (1848-1851).

[58] Patrick Matagne, « Les collections botaniques… », op. cit., p. 182. Les mêmes informations sont conseillées pour les herbiers des particuliers.

[59] Muséum de sciences naturelles d’Angers (MSNA) – Département botanique. Herbier Algues de l’Ouest de la France de James Lloyd. La vérification se fait par comparaison avec d’autres échantillons et en utilisant les descriptions publiées par les auteurs des espèces.

[60] Patrick Matagne, « Les naturalistes amateurs… », op. cit., p. 117.

[61] Le visa, sous la forme d’un point d’exclamation (!), signale la découverte d’une plante par un botaniste dans une région où elle n’avait pas été observée.

[62] La préparation des parts d’herbiers est parfois demandée aux collecteurs, ce qui est le cas pour le Flora selecta de Charles Magnier.

[63] Henri Sudre, Batotheca Europaea, Albi, imprimerie Nouguiès, 1903, 16 p. [URL : www.archives.org]. Cela reprend le principe du bulletin publié par les sociétés d’échanges (voir Christian Bange, « Travail collectif… », op. cit.,  p. 185).

[64] MHNN Fonds Delalande. Circulaire de l’exsiccata Puel et Maille, 15 août 1850.

[65] MSNA, Fonds Lloyd. Exsiccata Algues de l’Ouest de la France – doubles du fascicule 21.

[66] MSNA, 4 ARCH 13. Correspondance de Préaubert avec Magnier. Circulaire concernant Flora gallica exsiccata, sd. La même exigence est mentionnée dans les instructions aux collecteurs : MHNN Fonds Delalande. Circulaire de l’exsiccata Puel et Maille, 15 août 1850.

[67] MHNN. Fonds Delalande – Correspondance. Circulaire de Puel à l’abbé Delalande, 15 août 1850.

[68] Christian Bange, « Les collections botaniques… », art. cit., p. 184.

[69] Bruno J. Strasser, « Collecting Nature : Practices, Styles, and Narratives », Osiris, vol. 27, n° 1, 2012, p. 310.

[70] Lorraine Daston, Peter Galison, Objectivité…op. cit., p. 55.

[71] Id.

[72] Anne Larsen, « Equipment for the field », Cultures of Natural History, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, p. 361.

[73] Dominique Juhé-Beaulaton, Vincent Leblan (coord.), Le spécimen et le collecteur : savoirs naturalistes, pouvoirs et altérités (XVIIIeXXe siècles), Paris, Publications scientifiques du Muséum national d’histoire naturelle, 2018, p. 10-12.

[74] MHNN. Fonds Delalande – Correspondance. Circulaire de Puel à l’abbé Delalande, 15 août 1850.

[75] MHNN. Fonds Delalande – Correspondance entre Puel et l’abbé Delalande, 1848-1851.

[76] Jean-Marc Drouin, Bernadette Bensaude-Vincent, « Nature for people », Cultures of Natural History, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, p. 419.

[77] Bruno J. Strasser « Collecting Nature… », art. cit., p. 321.

[78] Id.

[79] MSNA, 4 ARCH 13. Correspondance de Préaubert avec Magnier. Circulaire du Flora gallica exsiccata, sd. MHNN. Fonds Delalande – Correspondance. Circulaire de Puel à l’abbé Delalande, 15 février 1848.

[80] MHNN Fonds Delalande – Correspondance. Lettre de Puel à l’abbé Delalande, 29 septembre 1849.

[81] La variabilité des espèces désigne les variations qui peuvent affecter les caractères des espèces, suivant le milieu.

[82] Christian Bange, « Les collections botaniques… », op. cit., p. 181.

[83] Ibidem, p. 184.

[84] Par exemple : exsiccata Menthae exsiccatae praesertim gallicae publié par Ernest Malinvaud. Eugène Fournier, « Nouvelles », Bulletin de la Société botanique de France, tome 25, Paris, Bureau de la Société, 1878, p. 48.

[85] Marie Lemonnier, « Sensibilité et esthétisme dans la pratique de l’histoire naturelle en France (XVIIIe-XIXe siècle) : un héritage de la culture de la curiosité » in Amnis, 13/2014, p. 6 [URL : www.openedition].

[86] Germain de Saint-Pierre, Guide du botaniste, ou conseils pratiques sur l’étude de la botanique, Paris, Victor Masson, 1852, p. 84. L’auteur souligne la beauté des échantillons contenus dans l’exsiccata des Algues de l’Ouest de la France de James Lloyd.

[87] Patrick Matagne, « Les naturalistes amateurs… », op. cit., p. 115-116.

[88] MSNA. Fonds Bouvet – Correspondance. Lettre d’E. Malinvaud à G. Bouvet, 1880-1910 ; MSNA. Fonds Préaubert – correspondance. Lettre de H. Sudre à E. Préaubert, 29 mai 1907.

[89] MNSA Fonds Bouvet. Correspondance – lettre d’H. Sudre à G. Bouvet, 10 mars 1903 et 9 juillet 1907.

[90] MHNN. Fonds Delalande – Correspondance. Lettres de Puel à Delalande, 9 juin 1848 et 14 janvier 1851. Ernest Malinvaud et Henri Sudre évoquent de même principalement les environs d’Angers dans leur correspondance avec Ernest Préaubert et Georges Bouvet.

[91] MSNA. Fonds Préaubert – Correspondance, lettre de Magnier à Préaubert, 28 mai [v. 1881].

[92] MSNA. Fonds Préaubert – Correspondance, lettre de Magnier à Préaubert, 28 mai [v. 1881]. E ReColNat – Herbier Préaubert. Dentaria bulbifera, collecté en 1874 à Beauvais, proposé à Charles Magnier puis collecté en 1882 pour le Flora selecta exsiccata (n° 469), même lieu. Le Senecio paludosus, le Gentiana germanica Wild (n° 347 de l’exsiccata), l’Atropa belladonna Lin., Carex strigosa Good ont de même déjà été collectés.

[93] MHNN. Fonds Delalande – correspondance. Lettre de Delalande à Puel, 4 août 1851.

[94] MHNN. Fonds Delalande – correspondance. Lettre de Delalande à Puel, 7 mai 1851. Il s’agit des Trifolium molinieri, michelanium, maritimum, Serapias cordigera.

[95] E ReColNat, Flora selecta exsiccata. n° 1132, Trifolium Michelanium Savi, La Possonnière. E. Préaubert.

[96] Sur 63 espèces collectées dans l’Ouest, une dizaine se trouve habituellement dans les prés, pâtures ou champs cultivés.

[97] Charles-François Mathis, Jean-François Mouhot, Une protection de l’environnement à la française ? (XIXeXXe siècles), Seyssel, Champs Vallon, 2013, p. 98.

[98] Caroline Ford, Naissance de l’écologie. Polémiques françaises sur l’environnement 1800-1930, Paris, Alma éditeur, 2018, p. 18.

[99] Luc Garraud, « L’herbier outil de la connaissance ou de la destruction des espèces ? », Les herbiers : un outil d’avenir., op. cit., p. 284.

[100] Ibid., p. 286-288.

[101] Benoît Dayrat, Les botanistes et la Flore de France…, op. cit., p. 421.

[102] Christian Bange « Travail collectif… », op. cit., p. 184.

[103] Christian Bange, « Les collections botaniques… », op. cit., p. 192.

[104] Patrick Matagne, Aux origines de l’écologie : les naturalistes en France de 1800 à 1914, Paris, éditions du CTHS, 1999 p. 162.

[105] E. Fournier, « Nouvelles », Bulletin de la Société Botanique de France, Paris, Bureau de la Société, 1890, deuxième série, tome 12, p. 47.

[106] MSNA. Fonds Préaubert – correspondance. Circulaire de Charles Magnier, sd.

[107] Charles Magnier, « Règlement » in Scrinia Florae Selectae, Saint-Quentin, n° XIV, 1895, p. 1.

[108] Les collecteurs sont Ernest Préaubert, l’abbé Hy, Louis Chevallier, Irénée Thériot et Emile Gadeceau.

[109] Ces typologies sont utilisées par les botanistes dans les flores pour donner une indication de la présence des espèces et de leur fréquence sur le terrain à diverses échelles. Au XIXe siècle, elles reposent essentiellement sur une appréciation visuelle, et non sur des méthodes de comptage.

[110] MHNN. Fonds Delalande – correspondance. Lettre de Puel à Delalande, 29 septembre 1849.

[111] MHNN. Fonds Delalande – correspondance. Circulaire de Puel à l’abbé Delalande, 15 août 1850.

[112] Julien Delord, L’extinction d’espèces. Histoire d’un concept & enjeux éthiques, Paris, Publications scientifiques du Muséum, 2010, p. 222.

[113] MHNN. Fonds Delalande – correspondance. Lettre de Puel à Delalande, 29 septembre 1849.

[114] Christian Bange, « Travail collectif en botanique … », op. cit., p. 184.

[115] Félix Hy, Flore d’Angers, Angers, imprimerie Lachèse et Dolbeau, 1884, p. 149 ; Alexandre Boreau, Catalogue des plantes phanérogames du département de Maine-et-Loire, Angers, Cosnier et Lachèse, 1859, p. 157.

[116] MSNA. Fonds Préaubert – Journal de botanique 1882-1886. Excursion du 10 avril 1884 aux Forges, Behuard, Rochefort, Beaulieu.

[117] Julien Geslin, Pascal Lacroix, Jean Le Bail, Dominique Guyader, Atlas de la flore de Maine-et-Loire, Turriers, Naturalia publications, 2015, p. 411.

[118] MHNN Fonds Delalande. Circulaire de l’exsiccata Puel et Maille, 15 août 1850.

[119] Christian Bange, « Les collections botaniques… », op. cit., p. 181.

[120] MSNA. Collection Lloyd – Algues de l’Ouest de la France, n° 444 Nytophyllum punctatum var. ocellatum, boîte des fascicules 23-24.

[121] Christian Bange, « Les collections botaniques… », op. cit., p. 184.

[122] MHNN. Fonds Delalande – correspondance. Circulaire de Puel à Delalande, 15 février 1848.

[123] MHNN. Fonds Delalande – correspondance. Circulaire Puel à Delalande, 15 août 1850.

[124] Id. ; MSNA, Fonds Préaubert. Correspondance – circulaire de Charles Magnier, [v. 1881-1882].

[125] MHNN. Exsiccata Puel et Maille, Sedum andegavense (DC) Desv., collecté par H. de la Perraudière.

[126] Charles-François Mathis, Jean-François Mouhot, Une protection de l’environnement…, op. cit., p. 101-102.

[127] Christian Bange « Travail collectif en botanique … », op. cit., p. 184.

[128] A. de Soland « Compte-rendu des herborisations de la Société linnéenne de Maine-et-Loire » in Annales de la Société linnéenne du département de Maine-et-Loire, Angers, Cosnier et Lachèse, 1866, p. 187-188.

[129] E reColNat. Schultz, Herbarium normale, cent. 10, n° 968 bis, Schmidtia utriculata Presl. (syn. Coleanthus subtilis), Noyant-la-Gravoyère, abbé Ravain, 15 novembre 1865.

[130] E reColNat, Société cénomane d’exsiccata, 1913-1914, n° 1060, Coleanthus subtilis Seid., Maine-et-Loire, Noyant-la-Gravoyère, 5 septembre 1913, A ; Henry ; Société rochelaise n° 82, Coleanthus subtilis Seid., étang de la Gravoyère, leg. Hy, comm. J. Réchin, octobre 1881.

[131] Julien Geslin, Pascal Lacroix et alii, Atlas de la flore…, op. cit., p. 177.

[132] E ReColNat, Flora selecta exsiccata, n° 2860. Scirpus pungens Vahl, Sarthe, Parigne l’Evêque, L. Chevallier, juillet 1891.

[133] Site du conservatoire botanique national de Brest – base de données Calluna [URL : http://www.cbnbrest.fr/ecalluna/], consulté le 14 août 2020.

[134] E reColNat, Société dauphinoise, n° 1640 bis, Eryngium viviparum J Gay, Coët-à-Touse, près de Carnac (Morbihan), 12 octobre 1885, collecté par E. Gadeceau et Frère Elphège. ; Société dauphinoise, n° 1640, Eryngium viviparum J. Gay, 27 août 1875, Carnac, E. Gaudefroy. ; Société française pour l’échange des plantes vasculaires, n° 2538, Eryngium viviparum Gay, 27 juin 1953, Saint-Laurent-en-Ploemel Louis-Arsène.

[135] Charles-François Mathis, Jean-François Mouhot, Une protection de l’environnement…, op. cit.,  p. 102. Ce système de protection centré sur des objets naturels des sites au début du XXe siècle se base sur une patrimonialisation de la nature plus que sur une approche scientifique.

[136] Julien Delord, L’extinction d’espèces…op. cit., p. 217-222.

 

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