L’équipe de Circé est très fière d’inaugurer sa nouvelle série Suppléments avec un premier numéro sur les conflits familiaux entre Antiquité et Moyen Âge. Les Suppléments viendront désormais compléter ponctuellement les livraisons annuelles de Varia.
Au cours des dix dernières années, les journées d’études, colloques, séminaires et congrès se sont multipliés. Ces événements offrent en effet diverses opportunités que les doctorant·e·s ne manquent pas de saisir et de créer : présenter les premiers résultats d’une recherche ; s’entraîner à l’exercice de la communication scientifique ; s’informer sur les débats propres à un champ de recherche ; étendre son réseau national et international ; découvrir les enjeux de l’organisation de rencontres scientifiques… Autant d’activités qui ont pris une part croissante dans la vie des doctorant·e·s et qui rythment désormais leur formation – à côté de la rédaction de premiers articles qui reste un prérequis pour intégrer le monde de la recherche.
Dans l’objectif de continuer à valoriser au mieux les travaux des chercheur·euses en formation et en début de carrière, il nous semble important de ne pas négliger cette nouvelle donne de la recherche française et internationale. Pour les plus expérimenté·e·s comme pour leurs cadet·tes, les échanges directs entre pairs représentent des moments essentiels de la vie scientifique. Circé entend donc prendre part à ce tournant en publiant dorénavant des travaux issus de journées d’études ou de colloques organisés par des doctorant·e·s dans le cadre de leur cursus.
Cette nouvelle livraison, Circé. Histoire, savoirs, sociétés. Supplément 1, présente ainsi des articles issus de communications proposées par leurs auteur·ices lors d’une rencontre centrée sur la question suivante : « Family Conflicts or Social Crisis? The Transformation of the Roman World through the Lens of Family Conflicts (4th-10th centuries) ». Ce colloque international et interdisciplinaire a rassemblé des doctorants français, italiens et espagnols, spécialistes de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge. Il a eu lieu à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) les 19 et 20 octobre 2023 et a bénéficié des financements du laboratoire DYPAC (UVSQ/Univ. Paris-Saclay), de la Graduate School Humanités-Sciences du Patrimoine (Univ. Paris Saclay), du Dipartimento di Scienze Storiche, Geografiche e dell’Antichità (Univ. dei studi di Padova) et du laboratoire Hiscant-Ma (Univ. de Lorraine).
S’inscrivant dans la continuité des travaux du groupe de recherche « Transformation of the Roman World » emmené par Walter Pohl dans les années 1990 et des études familiales dont Régine le Jan est l’une des principales représentantes dans la recherche sur le haut Moyen Âge, ces deux journées d’échanges avaient pour but d’examiner les changements qui affectèrent les sociétés de l’Europe post-romaine (300-1000) au prisme de la famille et de ses tensions internes. Les papiers réunis dans ce Supplément 1 montrent que cette problématique méritait d’être approchée à partir d’outils variés et à travers toute la diversité des documents disponibles.
Les conflits familiaux sont révélateurs de la progression du christianisme dans l’Occident latin. Florence Bret en fait la démonstration en étudiant ceux rapportés dans les Vies de saints rédigées entre le IVe et le VIe siècle. Le choix de la vie religieuse est en effet décrit dans onze vies comme un facteur de tension entre l’enfant et ses parents. Ces épisodes de conflits générationnels contribuent à ériger le saint en modèle pour les lecteurs et à promouvoir les vertus chrétiennes.
Le prisme de la famille est susceptible de nous aider à comprendre les mutations politiques de l’Empire romain et les rivalités au sommet de l’État. Gaëlle Herbeth revient sur l’exécution du général romain Stilichon (m. 408) par l’empereur Honorius. Mobilisant une documentation à la fois historiographique, littéraire et épigraphique, elle évalue les rapports entre Stilichon et la famille impériale – Stilichon fut le gendre de Théodose Ier et le tuteur des deux fils de celui-ci, Honorius et Arcadius – et met en lumière la dimension politico-symbolique des liens de parenté à la fin de l’Antiquité.
Adrien Bresson poursuit cette discussion sur les premiers Théodosiens en se penchant sur le traitement réservé par le poète Claudien à la partition de l’Empire entre Honorius et Arcadius à la mort de Théodose en 395. Claudien envisage cette crise est comme une rupture des liens familiaux censés unir les deux frères. La métaphore de l’entente et de la division fraternelles, motif récurrent de la littérature gréco-latine, est à nouveau exploitée par le poète qui plaide pour l’unité politique du monde romain.
Les lettres sont encore un autre type de sources particulièrement instructives pour analyser les transformations à l’œuvre entre Antiquité et Moyen Âge. En témoigne l’article de Nicolò Anegg qui analyse une affaire opposant Hostilius, un comte du roi ostrogoth Théodoric, au pape Gélase (492-496) à partir de la correspondance du pontife. Gélase prit la plume pour contester une accusation d’enlèvement (raptio) portée par Hostilius et soutenir la validité du mariage. Cette affaire nous éclaire ainsi sur les efforts de l’Église de Rome pour promouvoir de nouvelles normes matrimoniales. Mais elle nous laisse aussi entrevoir les stratégies familiales de ces officiers de l’administration gothique contraints à une forte mobilité.
Après l’Italie ostrogothique, le papier d’Andrés Mánguez Tomás nous conduit dans l’Espagne wisigothique ou plutôt sur les terres septentrionales de la péninsule ibérique où la domination des Wisigoths rencontra des oppositions de la part des habitants et où la christianisation fut un processus long, complexe et parfois conflictuel entre le Ve et le VIIe siècle. S’appuyant sur une documentation textuelle mais aussi sur les données archéologiques du site de San Martín de Dulantzi situé dans le pays basque espagnol, l’auteur montre que les familles les plus puissantes de ce territoire cherchèrent à tirer profit des transformations culturelles à l’œuvre pour maintenir leur pouvoir à l’échelle locale.
Ce circuit à travers l’Europe post-romaine trouve son aboutissement dans la Gaule franque où les querelles successorales agitèrent régulièrement la famille royale. Lorsqu’à la suite de la mort de Clovis (m. 511) la reine Clothilde décida de prendre en charge ses petits-fils orphelins de leur père Clodomir, elle suscita l’inquiétude de Childebert et Clotaire, deux autres fils qu’elle avait eus avec le fondateur de la dynastie mérovingienne. Examinant cette affaire à partir des chroniques qui en ont conservé le récit, Manon Raynal rend compte de l’un des aspects de la participation des femmes à la compétition pour le pouvoir : assumer la tutelle sur ses enfants ou sur ses petits-enfants pendant leur minorité était une manière pour les Mérovingiennes d’exercer leur autorité.
Si la publication de ce numéro fait suite à un colloque tenu à l’UVSQ, l’indépendance de Circé demeure un critère essentiel et structurant de la vie éditoriale de la revue. L’ensemble des articles qui sont publiés dans ses colonnes, qu’il s’agisse des Varia ou des Suppléments, suit le même processus éditorial avec une validation du comité de rédaction à chaque étape ainsi qu’une double relecture anonymisées par des pairs, français et étrangers, pour tous les articles. Nous nous réjouissons d’accueillir prochainement dans nos colonnes d’autres actes de journées doctorales organisées par nos collègues français.
Le comité éditorial de Circé. Histoire, Savoirs, Sociétés