Lauric HENNETON
Résumé
Cet article analyse l’usage politique de la peur dans le contexte particulier de la campagne présidentielle américaine de 2008, notamment par le biais des spots de campagne. Après une présentation des ressorts psychologiques de la peur, l’article montre que le recours à la peur comme arme discursive n’est pas uniquement l’apanage des républicains puisqu’il fut également largement pratiqué par les démocrates, notamment au cours de la longue séquence des primaires du printemps 2008. Enfin, l’élargissement de la focale sur quelques cas britanniques et français montre que la stratégie phobique n’est pas une spécificité américaine, malgré l’impression conférée par les spots de campagne, pourtant typiquement américains.
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Lauric Henneton est maître de conférences à l’UVSQ depuis 2007. Il y enseigne la civilisation britannique et américaine au sein de l’Institut des Etudes Culturelles et Internationales et est membre du laboratoire ESR/DYPAC. Initialement spécialiste de l’Amérique coloniale en général et de la Nouvelle-Angleterre du XVIIe siècle en particulier, il a étendu son champs d’expertise à l’espace atlantique et aux relations entre politique et religion, jusqu’à la période contemporaine. Il a publié une Histoire religieuse des Etats-Unis (Flammarion, 2012) et codirigé notamment Du bon usage des commémorations (Presses universitaires de Rennes, 2010). Il codirige actuellement un ouvrage collectif intitulé Fear and the Creation of Early American Societies dont la sortie est prévue en 2015.
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Depuis la sortie du film Bowling for Columbine de Michael Moore (2002), l’évocation de la peur comme moteur de l’histoire américaine ne manque pas d’évoquer une séquence animée désormais fameuse, évidemment caricaturale, et qui a pour objet d’expliquer le besoin irrépressible d’armes à feu chez des Américains paradoxalement de plus en plus sujets à la peur[1]. Or, il serait fallacieux d’envisager la peur comme une exclusivité américaine, puisque, comme l’ont montré les études remarquables de Jean Delumeau, la peur est omniprésente dans l’Europe médiévale et moderne[2]. De plus, comme nous y invite Jean Delumeau, il convient de distinguer la peur, ponctuelle et aiguë, de l’angoisse, plus sourde, plus latente, qui correspond à un climat et est alimentée par des peurs liées à des crises et des menaces, elles mêmes réelles ou imaginées[3].
La présence du facteur phobique dans le champ politique américain contemporain n’est en aucun cas une nouveauté, encore moins une spécificité américaine. Dans cette étude, nous aborderons le sujet de l’usage politique de la peur à travers l’angle particulier de la campagne présidentielle de 2008, où la peur fut mobilisée comme arme électorale, notamment dans les spots de campagne télévisés, qui constituent un corpus original et cohérent. L’intérêt de la campagne de 2008 réside dans son caractère inédit, puisqu’elle est la seule depuis 1968 à ne pas voir se présenter de candidat sortant (soit président briguant sa réélection, soit vice-président visant la présidence). Nous montrerons que le recours à une rhétorique phobique n’est pas l’apanage des seuls Républicains, en dépit des dénonciations des Démocrates qui, à tort ou à raison, considèrent le stratège Karl Rove comme le grand ordonnateur du recours à la peur à l’encontre de leurs candidats, et d’études neuroscientifiques qui tendraient à associer peur et conservatisme sur des bases physiologiques. Nous démontrerons donc que les Démocrates eurent recours à des stratégies phobiques, essentiellement entre eux, au risque de faire les frais de ce que nous appelons l’effet boomerang de cette stratégie au profit des Républicains. Nous élargirons ensuite la focale pour montrer que, si la peur n’est pas l’apanage de la politique américaine, les stratégies phobiques ne sont pas étrangères au paysage politique français et britannique et que, comme aux Etats-Unis, elles ne sont pas la prérogative des seuls partis conservateurs, mais qu’elles sont également utilisées par les partis de (centre-)gauche. Cette constatation, ainsi que les modalités et les effets du recours à la peur, permettent d’élargir la réflexion sur les stratégies de conquête politique et d’établir un certain nombre de règles quant à l’(in)opportunité de la peur comme arme électorale.
La relation entre la peur (ou l’angoisse) – et plus généralement les affects – et la politique est un champ dynamique de la psychologie politique actuelle outre-Atlantique, comme en témoignent les études parues dans la revue Political Psychology, ainsi qu’un certain nombre d’ouvrages récents[4]. Certaines de ces études montrent que la peur peut avoir des effets positifs sur les électeurs, en suscitant leur curiosité et en les poussant à s’informer plus et mieux, ainsi que sur les militants et les donateurs[5]. Les stratégies fondées sur les affects, et parmi elles les stratégies phobiques, ne doivent donc pas être perçues comme systématiquement illégitimes dans la mesure où elles peuvent servir de catalyseur à la vie démocratique. Par ailleurs, ces stratégies phobiques ont pour vecteur privilégié les campagnes de dénigrement (negative campaigning), a priori considérées comme condamnables (et dénoncées comme telles dans la presse). Elles ont fait l’objet d’un certain nombre d’études universitaires qui tendaient d’abord à montrer qu’elles avaient pour effet (pervers) de démobiliser l’électorat et de faire chuter le taux de participation. Or, une enquête récente montre qu’elles ont, au contraire, un effet mobilisateur, en mettant en avant des menaces qui catalysent à leur tour un besoin d’information chez les électeurs potentiels[6].
Amygdale républicaine contre cortex démocrate ?
Les démocrates ont tendance à dénoncer le recours à une stratégie de la peur par leurs adversaires républicains, accusés d’en appeler –injustement – aux plus bas instincts (en réalité aux émotions) des électeurs, plutôt qu’à leur raison. Nous entendons montrer que cet argument est infondé, malgré la cohérence que semblent donner les résultats de deux enquêtes neuropsychologiques : nos comportements électoraux seraient-ils déterminés par notre perception ? Dans une étude publiée dans la revue Science en septembre 2008, une équipe de l’Université du Nebraska a mesuré la perception de la peur à travers les manifestations somatiques de la réceptivité à des stimuli anxiogènes pour corréler ensuite cette sensibilité à des positions politiques préalablement renseignées par les sujets[7]. Les résultats semblent suggérer que la réceptivité à des stimuli anxiogènes est directement proportionnelle à des réflexes de protection de la sphère sociale à laquelle appartient le sujet (social unit). Les sujets les plus sensibles aux stimuli anxiogènes sont largement favorables à :
- une politique migratoire restrictive (intrusion d’outsiders qui remettent en cause l’intégrité du groupe / de la communauté),
- une augmentation des dépenses militaires, perçues comme renforçant le sentiment de sécurité,
- un leader fort et décidé, par opposition à un leader avec des positions conciliantes et sujet au flip-flopping – tergiversations ou revirements,
- un maintien ou un renforcement de critères de moralité (opposition à la pornographie, au mariage homosexuel, perçus comme compromettant l’intégrité des piliers moraux qui soutiennent le groupe). Ce critère, sans être aussi déterminant qu’on a pu le prétendre, eut plus de poids en 2004 que dans les années 1990 car le contexte de terrorisme latent faisait apparaître la communauté comme plus fragile et donc plus sensible aux formes de « corruption » morale.
- une politique de fermeté en matière de criminalité (favorables à la peine de mort),
Ces résultats, s’ils peuvent être contestés par la faiblesse du nombre de sujets cliniques, semblent avoir été au moins en partie confirmés par une étude plus récente, à nouveau sur une cohorte limitée, mais avec des taux de prédictivité quasi-parfaits[8].
Cette hypersensibilité à différents types de menace traduit un pessimisme que l’on peut opposer à un caractère plus optimiste. L’opposition entre pessimisme et optimisme recoupe l’opposition entre conservatisme et progressisme, voire entre droite et gauche avec les déclinaisons nationales appropriées. Il s’agit de deux façons de percevoir le monde, que l’on ne choisit pas. D’un point de vue physiologique il faut opposer l’amygdale (siège de la peur et plus largement des affects, des émotions) et le cortex (siège de la raison, de l’intellect).
Ces résultats semblent suggérer, par conséquent, que les candidats conservateurs aient plus naturellement recours à des stratégies de communication mettant en œuvre des stimuli phobiques, ou anxiogènes, afin soit de conforter les électeurs dans leurs positions conservatrices (protectrices) comme cela peut être le cas pour les militants ou les sympathisants, soit de faire ressentir aux indécis le besoin, pour eux-mêmes, de soutenir des positions de type protectrices, défendues par un candidat donné, pourvu que le candidat en question, en plus de ses positions, incarne la protection, une figure rassurante.
Une dimension connexe de cette stratégie de communication est le recours, via les campagnes de dénigrement (negative campaigning) à la déstabilisation de l’adversaire et plus précisément à sa disqualification : dans un jeu politique où le crédit (la réputation) est une composante essentielle du capital politique et dans un contexte anxiogène (terrorisme, guerre, catastrophes naturelles, récession) où la confiance devient une condition sine qua non pour être élu, toute tentative de décrédibilisation peut avoir un effet dévastateur sur la campagne d’un candidat donné.
C’est ce qui explique l’importance des accusations de tergiversation, d’hésitation, d’indécision (flip-flopping) associées à John Kerry et qui ont contribué à lui coûter la présidence en 2004. D’où également la chute de popularité spectaculaire de Gordon Brown après la « non élection » d’octobre 2007[9]. Au pouvoir, ce type d’accusation peut vite se transformer en réputation d’incompétence.
Les stratégies « amygdaliennes », faisant appel aux affects et principalement à la peur[10] (par opposition aux stratégies corticales, faisant appel à la raison) ont donc deux niveaux :
- dans un contexte de menaces multiples, je suis le candidat qui incarne le mieux la protection dont vous avez besoin et qui défend des positions visant, dans votre perception d’électeurs, à renforcer votre sécurité et la sécurité de votre sphère sociale ;
- mon adversaire, au contraire, n’est pas assez ferme, pas assez résolu, il hésitera au moment de prendre des décisions capitales, et les positions qu’il défend sont de nature à affaiblir la cohésion du groupe (la Nation), à mettre en danger l’équilibre précaire sur lequel elle repose.
George W. Bush incarne le leader du premier cas et les gens qui votèrent pour lui n’étaient pas dupes[11]. Il incarnait, en tout cas en 2004, avant Katrina et l’enlisement en Irak, la détermination à mettre en œuvre des moyens militaires onéreux (donc sophistiqués ?), drapé dans une rhétorique patriotique mettant en avant la grandeur de la Nation, la communauté la plus large dans laquelle les Américains s’identifient, une rhétorique religieuse, donc une certaine transcendance rassurante – après les catastrophes naturelles et les attentats, les églises se remplissent, depuis des siècles[12]– le tout dans une perspective manichéenne d’opposition du bien et du mal : ce qui semble simpliste pour certains paraîtra clair donc rassurant pour d’autres. Le bien et le mal sont des repères familiers[13].
D’autres études[14] ont montré que ce n’est pas tant la peur en soi qui génère des positions conservatrices ou défensives, mais la conscience (et la peur) de sa propre mortalité, notamment au travers de « death reminders », que nous choisissons de rendre ici par memento mori. Aux États-Unis, l’évocation du 11 septembre, d’une façon implicite ou explicite, verbale ou picturale, semble être le memento mori par excellence. Un film sur le 11 septembre fut d’ailleurs diffusé lors de la Convention républicaine de 2008 alors que le sujet n’avait pas été évoqué lors de la Convention démocrate. Les images de Ben Laden succédèrent à celles des attentats perpétrés contre les ambassades américaines d’Afrique de l’Est, mais la suite (chrono)logique était les images de New York accompagnées par les mots « this time on American soil ». A une menace extérieure et relativement désincarnée, qui touche des intérêts américains, et des ressortissants américains, certes, mais de l’autre côté du globe, succède une menace plus domestique, plus proche de soi et qui fait donc vibrer la corde du memento mori. Ici, il s’agit de mobiliser des délégués autour de valeurs et de thématiques définitoires du parti et aucunement de convaincre des indécis que le Parti républicain est le parti qu’il faut élire pour protéger les Américains.
Les paragraphes qui suivent montrent comment les Républicains ont eu recours à ce genre de stratégie de communication que l’on peut qualifier de rovienne, du nom du stratège Karl Rove, que ce soit sous Bush ou, plus près de nous, par la campagne de John McCain. Pourtant, il serait faux de considérer que les Républicains sont les uniques dépositaires de la stratégie rovienne (amygdalienne) alors que les Démocrates n’auraient recours qu’à des campagnes purement « corticales », ne mobilisant que la raison de leurs électeurs et non leurs bas instincts : tant Kerry que Clinton, et même, dans une proportion certes moindre, Obama y eurent recours. Cependant, il s’agit d’abord de contextualiser les spots de la campagne 2008 dans une histoire plus large de la mobilisation des émotions dans les spots de campagne depuis les années 1960, même à grands traits.
La mobilisation des émotions dans les spots de campagne
Les spots de campagne constituent un corpus intéressant dans la mesure où ils présentent sous une forme très ramassée (généralement 30 secondes, parfois plus) un message simple sur une thématique unique (économie, criminalité, politique étrangère…) destiné à influencer le vote du téléspectateur. En tant que tels, ils témoignent de la place centrale de la télévision dans la culture américaine, depuis les années 1960, et les équipes de campagne y consacrent des millions de dollars à chaque échéance électorale, tant au niveau national qu’au niveau local. Leur format même (court et télévisé), impose un recours aux émotions afin de produire un effet plus percutant (donc plus rentable), que ce soit la peur, mais également, comme nous allons le voir, l’espoir, la colère ou l’indignation.
Parmi les spots de campagne les plus mémorables, le plus ancien est « Daisy », dans le cadre de la campagne du démocrate Lyndon Johnson en 1964. Le contraste entre l’innocence d’une petite fille effeuillant une marguerite et le compte à rebours suivi d’une explosion nucléaire est clairement anxiogène. Le message, en pleine Guerre froide, est simple : le danger serait de mettre l’arme atomique, partagée par les deux superpuissances antagonistes, entre des mains irresponsables, ici celles du candidat républicain va-t-en-guerre Barry Goldwater. Vingt ans plus tard, le démocrate Walter Mondale, confronté à un président sortant populaire (Ronald Reagan), tenta d’effrayer les électeurs afin de les rallier à sa cause. Dans le spot « Rollercoaster », il comparait les résultats économiques du premier mandat de Reagan à des montagnes russes : certes, l’économie avait fini par se redresser (on « monte ») mais il fallait s’attendre, comme dans des montagnes russes, à ce que l’ascension, la croissance, soit suivie d’une descente vertigineuse. Le problème fondamental du spot (pas du message) est qu’une montagne russe est un manège, une forme de loisir que l’on choisit non pas parce qu’il est dangereux mais pour se procurer des sensations fortes : la descente vertigineuse est une source de plaisir. En 1988, le vice-président sortant, George H.W. Bush eut recours à un modèle du genre en matière de politique de la peur avec le spot intitulé « Willie Horton », du nom d’un meurtrier récidiviste noir, auquel l’adversaire démocrate de Bush, Michael Dukakis, avait accordé des permissions de sortie au cours desquelles il avait commis des meurtres effroyables. La mise en image, la « voix off », les quelques mots accentués par écrit et le caractère implacable de la démonstration (à un rythme soutenu) ne laissent aucune place au doute : Michael Dukakis, par son angélisme, est dangereux. Par conséquent, il faut voter Bush. Le ressort de ces trois spots est la dénonciation de l’adversaire. On voit au passage que c’est un ressort partagé par les deux grands partis – ce n’est donc aucunement l’apanage des seuls républicains. Aucun de ces spots n’incite les électeurs/téléspectateurs à voter pour le candidat à l’origine du spot mais contre son adversaire, au nom de la menace qu’il incarne.
D’autres spots célèbres jouent sur un registre radicalement différent. Côté républicain, « Morning in America » de Ronald Reagan (1984) joue sur le thème du patriotisme, de la fierté, de l’espoir. La musique est douce, les personnages souriants, les statistiques encourageantes. En creux le message est clair : la situation est tellement meilleure que quatre ans plus tôt, sous les démocrates (Carter et son vice-président, Walter Mondale, par ailleurs adversaire de Reagan). A la « nuit » démocrate de la fin des années 1970 (deuxième choc pétrolier, humiliation de la crise des otages à Téhéran) succède le « matin » reaganien. Côté démocrate, en 1992, le premier spot de Bill Clinton est clairement biographique et repose également sur l’espoir. C’est son titre, « Hope ». De façon presque providentielle, c’est aussi le nom de la petite ville de l’Arkansas où est né le candidat Clinton, qui se présente comme l’incarnation du rêve américain : un Américain très modeste qui a gravi tous les échelons de la politique à force de travail au service des autres. Ici encore, démocrates et républicains peuvent avoir recours à des spots plus positifs bâtis sur l’espoir plus que sur la peur, même si la peur n’est pas totalement absente du spot « Morning in America ». Les spots de campagne participent du discours politique plus général, mais leur format (court) et leur medium (télévisé) leur confèrent une charge émotionnelle qui se trouve diluée dans un discours prononcé par le candidat lors d’un meeting de campagne. Ce recours aux émotions, qu’il soit positif ou négatif, n’est l’apanage d’aucun des deux grands camps : les démocrates ne sont pas le camp de l’espoir et de la raison, les républicains n’ont pas le monopole des bas instincts en général et de la peur en particulier. Il n’est donc pas surprenant que, contrairement aux allégations démocrates, la situation se répète pendant la campagne 2008.
La peur comme arme républicaine de Bush à McCain
La peur peut constituer un instrument de gouvernement : le 24 septembre 2007, dans l’émission Countdown sur MSNBC, Jane Harman, représentante démocrate de Californie, dénonçait la politisation de la terreur par Bush, une « stratégie rovienne », destinée à mettre sous pression le législateur pour faire voter sans difficulté le programme néoconservateur[15]. Mais on se souvient également que la peur a joué un rôle important lors de la réélection de George W. Bush en 2004, que ce soit la communication du président en exercice sur la menace terroriste, comme Dick Cheney qui déclarait la veille du scrutin « Si nous faisons le mauvais choix, le danger est que nous soyons frappés à nouveau », ou l’intervention (providentielle ?) de Ben Laden le 29 octobre via Al-Jazeera. Bush et Cheney réussirent à renverser une situation qui leur était alors défavorable, si l’on se fie à des sondages qui plaçaient Kerry en tête tant dans l’Ohio (50-46) qu’en Floride (49-45)[16]. La peur n’explique pas tout, certes. Il a été établi que les Républicains réussirent à mobiliser efficacement les électeurs des exurbs, les banlieues les plus éloignées, négligées par les Démocrates, et c’est ce qui semble avoir fait la différence dans l’Ohio, l’État qui fit basculer l’élection. Ces deux explications (la peur et la mobilisation des exurbs) ne sont évidemment pas mutuellement exclusives[17].
L’effet des arguments anxiogènes, dans le cadre américain, est sans doute aggravé par l’hypermédiatisation de l’information et l’hypercouverture, permanente et obsessionnelle, des élections par les médias américains longtemps en amont. Pour autant, les médias ne font pas l’information, ils donnent au public ce qu’il attend, ce qui l’attirera, ce qui fera augmenter la part de marché. L’offre médiatique et la demande du public sont donc indissociables dans une économie de l’information[18].
L’impact des médias les plus conservateurs (Fox News, Rush Limbaugh…) est quant à lui limité dans la mesure où ils s’adressent à des sympathisants et non à un large public représentatif de la diversité des opinions politiques. Les accusations de « socialisme » rampant (comprendre communisme) foisonnèrent surtout (sauf erreur) après la victoire d’Obama et n’ont dû avoir pour effet que de conforter les électeurs républicains dans leur opinion.
L’influence médiatique est en revanche maximale dans le cadre des spots de campagne, largement diffusés sur les réseaux télévisuels, notamment dans le cas de John McCain, mais aussi, comme nous le verrons dans un deuxième temps, pour Hillary Clinton. Le spot de campagne, dans un format réduit de 30 secondes (sauf exception) où le texte est limité à quelques phrases simples, joue à plein sur les émotions, et notamment par le biais de la perception visuelle au moins autant que par les mots (les images furtives sont souvent plus éloquentes que les quelques mots, mais les deux se renforcent mutuellement). Ces spots systématisent, ils essentialisent un message simple : notre candidat est le plus apte à gouverner l’Amérique, notre adversaire est faible, dangereux, hésitant, globalement inapte à une fonction présidentielle conçue comme une fonction largement défensive et protectrice.
Ce n’est pas Hillary Clinton qui est la principale cible des spots de la campagne de McCain, essentiellement parce qu’elle n’a jamais été une adversaire directe[19]. Les spots commencent vraiment à viser Obama au mois de mai, donc un peu avant l’officialisation de l’abandon d’Hillary Clinton. Le spot « Can we ask » (réponse : yes we can) n’était pas payé par McCain mais par le Republican National Committee (la mention apparaît en petits caractères à la fin du spot). C’est le plus complet : il attaque le bilan législatif d’Obama (remarquer qu’il n’a pas pris position sur nombre de questions importantes mais a voté « présent » est l’équivalent d’une accusation de flip-flopping), ses valeurs et son inexpérience. Les spots directement financés par la campagne de McCain attaquant Obama apparaissent une fois celui-ci seul candidat démocrate en course (début juin). Ils mettent en avant l’inexpérience, la naïveté et l’idéalisme, voire l’irresponsabilité d’Obama, quand ce n’est pas son image médiatique « d’élu » (« The One ») et par là une certaine mégalomanie, sa rhétorique (évidemment décrite comme creuse, donc implicitement démagogique : « Don’t hope for a better life, vote for one ») et son côté people (le spot « Celeb » l’associe visuellement à Paris Hilton et Britney Spears, donc à une frivolité creuse et superficielle). « He may be the One, but is he ready to lead ? », Il est peut-être l’Élu, mais est-il prêt à commander ? On en revient toujours à la question prosaïque qui combine expérience et leadership, les marques de fabrique de John McCain.
Certains spots mettent en avant ses revirements (flip-flopping), notamment un sur la fiscalité où les seuils pour les baisses d’impôt changent à chaque déclaration, et un autre (« Words ») qui révèle un revirement d’Obama avec des extraits qui le prouvent et le jugement évidemment très négatif de la presse, comme pour abonder dans le sens de McCain. Quelques jours plus tard, McCain expliquait à des donateurs du Kentucky que l’élection reposait sur la notion de confiance, et que « malheureusement, comme il est apparu à plusieurs reprises, on ne peut pas se fier à la parole du Sénateur Obama[20]. »
L’inexpérience de son premier mandat de sénateur se mue parfois en irresponsabilité qui mettrait en danger l’Amérique s’il devenait président. Deux exemples : ses relations avec l’ancien terroriste William Ayers, du Weather Underground, et le fait qu’en mai 2008 il ait qualifié l’Iran de pays minuscule (« Tiny », titre du spot) et inoffensif (« not a serious threat ») – il est dûment cité, mais il faudrait vérifier si ses propos ne sont pas tronqués ou détournés. Ce qui fait conclure à la voix off qu’en ne voulant pas admettre les liens (potentiels) entre l’Iran, le terrorisme, Israël (donc l’antisémitisme) et la menace nucléaire, Obama était « dangerously unprepared ». Non seulement il n’est pas prêt, comme l’avait prétendu pendant les primaires un certain Joe Biden, lui aussi utilisé à ses dépens par les Républicains, mais son impréparation est « dangereuse ».
Autre source de danger pour l’Amérique, sa relation avec William Ayers, décortiquée dans un spot inhabituellement long (1’40) diffusé pour la première fois le 8 octobre 2008. La voix off explique que non seulement ils sont « amis », mais que la carrière politique d’Obama a débuté dans le salon d’Ayers (« launched his political career in Ayers’ living room »), ce qui confère une dimension intime à leur relation. Ce n’est donc pas qu’une vague connaissance croisée à des réunions dans des lieux neutres. Interrogé à ce sujet, Obama aurait décrit Ayers comme « un type de mon quartier » (« a guy from my neighbourhood »). Entre candeur et malhonnêteté, la voix off choisit la candeur, et met en doute le discernement d’Obama, concluant qu’il est « trop risqué pour l’Amérique », slogan qui avait déjà été employé dans un spot justement intitulé « Dangerous » quelques jours avant (5 oct.). L’argumentaire anxiogène se fait d’autant plus insistant que le jour du scrutin approche.
L’image qui vient à l’esprit dans ce contexte est la couverture controversée du New Yorker, qui voulait synthétiser toutes les attaques à l’encontre d’Obama, et non le stigmatiser, en le représentant en taliban enturbané aux côtés d’une Michelle Obama déguisée en Black Panther, elle qui avait avoué n’être fière d’être américaine que depuis peu. [IMAGE 1] Mais ce point, tout comme le fait qu’Obama ne porte pas le drapeau à sa boutonnière, ne relevaient pas d’une stratégie de McCain, ni même des Républicains (l’épisode du flagpin date d’octobre 2007).
La question raciale n’est évidemment pas le sujet dans ces spots, de même qu’Hillary Clinton n’est jamais attaquée en tant que femme[21]. Les attaques contre Obama se résument à son impréparation et les conséquences néfastes pour l’Amérique (notamment dans le domaine international), son idéalisme ou sa naïveté, également dangereuses, son côté démagogique, voire anti-américain. McCain avait explicitement demandé qu’on n’exploite pas le middle name d’Obama (Hussein) à des fins politiciennes, et un de ses conseillers a été limogé pour cela. En revanche, la mention systématique de ce deuxième prénom a fait surface juste avant le caucus du Nevada, dans des appels automatiques (robocalls) anonymes mais très probablement orchestrés par la campagne d’Hillary Clinton, alors son adversaire directe. Appeler Obama « Hussein » était mettre en avant non seulement son altérité, mais aussi son association (pourtant lointaine) avec l’Islam, et donc par un rapprochement un peu rapide avec la menace terroriste. Sans oublier d’évidents échos irakiens.
Avant de nous pencher sur l’utilisation de stratégies phobiques (roviennes ?) par les Démocrates, nous conclurons cette partie par l’utilisation par l’équipe McCain des propres mots des Démocrates entre eux, ce que l’on peut qualifier d’effet boomerang de la campagne négative.
Le long spot « Remote control » (1’35), diffusé fin août 2008, utilisait les déclarations des Démocrates et notamment de la campagne Clinton à l’encontre d’Obama, fustigeant notamment son inexpérience, sur fond d’images de guerre, d’islamistes, de scènes de chaos suivant l’assassinat de Benazir Bhutto et d’autres attentats, avec des civils couverts de sang (identification, memento mori), de Vladimir Poutine, le tout appuyé en médaillon par des citations telles que le « no time for on-the-job training » (pas le temps de se former sur le tas) avec une allusion au coup de téléphone à 3 heures du matin (voir plus loin). La même citation est assumée publiquement par Joe Biden pendant les débats démocrates, et la déclaration suivante d’Hillary Clinton a le mérite, pour le camp républicain, de dénigrer Obama tout en donnant du crédit à McCain : « Le sénateur McCain va apporter à la campagne l’expérience de toute une vie, je vais apporter l’expérience de toute une vie, le sénateur Obama va apporter un discours qu’il a prononcé en 2002 ». L’idée ici est de se dédouaner de toute accusation de mauvaise foi : ce n’est pas un nouveau coup tordu de notre parti, le coup vient de leur propre camp, c’est donc d’autant plus crédible et légitime[22].
Plus tard dans la campagne (le 23 octobre) le spot « Ladies and gentlemen » s’appuyait sur une citation de Joe Biden du 19 octobre, soit seulement 4 jours plus tôt, le tout, comme il se doit, sur fond d’images anxiogènes : des vaisseaux de guerre, Hugo Chavez, des chars, une fillette en larmes, Mahmoud Ahmadinejad. Biden annonçait une crise internationale inévitable dans les six mois qui suivraient l’élection d’Obama, parce que « le monde » voudrait le mettre à l’épreuve. Évidemment la citation n’est pas en contexte. Aux mots de Biden « Ça va arriver » (It’s gonna happen), la voix off répond « Pas forcément » (It doesn’t have to happen), si vous votez pour McCain et Palin. Le choix, fin août, de Sarah Palin comme colistière, par ailleurs, a été difficilement compris dans la mesure où il neutralisait toute la stratégie de McCain dénonçant l’inquiétante inexpérience de son adversaire.
La « rovianisation » de la communication démocrate et les dangers de l’effet boomerang
Timothy Garton Ash, observateur britannique donc extérieur, expliquait en septembre 2008 dans les colonnes du Guardian que les Démocrates n’étaient pas exempts de la politique de la peur. Il craignait que dans un contexte phobique aigu de terrorisme, de crise économique et de catastrophes naturelles, les électeurs privilégient la dimension rassurante du ticket républicain à l’inconnue du changement et « l’audace d’espérer » (« the temerity of fear may yet defeat the audacity of hope »)[23].
A. John Kerry (2004)
Déjà en 2004, des journalistes du Washington Post avaient rejeté dos à dos les deux campagnes, ce qui bat en brèche l’idée reçue d’un monopole républicain sur les campagnes anxiogènes/amygdaliennes. Dans la mesure où l’article déclarait que Kerry adoptait la stratégie républicaine, il semble légitime de parler de rovianisation en tant que processus. En effet, la campagne de Bush prédisait que, dans la mesure où Kerry était décrit (et perçu) comme « faible en matière de terrorisme » (écho du « soft on communism » de la Guerre froide) l’élire augmenterait le risque « d’un nouveau 11 septembre » (memento mori par excellence), « voire pire » [24].
Mais le cas de John Kerry est particulier puisque les accusations formulées à l’encontre du président sortant étaient sans fondement et s’apparentaient plus à des rumeurs. Le fait que l’on voyait clairement les ficelles rendait cette stratégie contre-productive. Parmi les accusations de la campagne démocrate, la menace de la conscription, propre à réveiller les fantômes du Vietnam, le risque accru d’une attaque nucléaire sur le sol américain (memento mori d’autant plus efficace, théoriquement, que la menace est proche de l’électeur). La menace d’une attaque nucléaire ravivait une peur historique du temps de la Guerre froide. Ted Kennedy évoquait non seulement le risque d’une attaque nucléaire avec l’image du « mushroom cloud » (l’image, même verbale, étant encore plus évocatrice que le terme, plus abstrait, d’attaque nucléaire), mais précisait également qu’une telle attaque concernait « n’importe quelle ville » américaine, ce qui rendait la menace encore plus aiguë que le 11 septembre, qui avait surtout concerné New York et Washington. Cette image évoquait immanquablement le spot de campagne « Daisy » de Lyndon Johnson qui visait Barry Goldwater en 1964[25]. Le ressort est le même : voter pour notre adversaire (Bush comme Goldwater) c’est augmenter la menace d’une apocalypse atomique sur notre sol. Dans une moindre mesure, Jimmy Carter avait accusé Reagan d’être un « Va-t-en guerre » (warmonger), ce qui relève d’une stratégie phobique, mais bien moins efficace car moins directement évocatrice.
B. Les Clinton (2007-2008)
Voilà qui tranche en tout cas avec une déclaration de Bill Clinton en 2004, lors d’un meeting de soutien à John Kerry : « Si un candidat en appelle à vos peurs [Bush] et l’autre à vos espoirs [Kerry], vous feriez mieux de voter pour celui qui vous donne à réfléchir et à espérer », ce que l’on peut qualifier d’archétype de la stratégie corticale démocrate, noble, par opposition à la stratégie rovienne faisant appel à l’amygdale des électeurs[26]. Pourtant, dès décembre 2007, à quelques semaines du premier caucus, Bill Clinton avait déclaré que choisir Obama, le candidat le moins éprouvé, revenait à « a roll of the dice », un coup de dés[27]. Et d’ajouter : « A quand remonte la dernière fois que nous avons élu un président qui n’avait été en poste qu’une année avant de se porter candidat? » Dix jours plus tard, à la suite de la mort de Benazir Bhutto dans un attentat, Hillary Clinton, tout en appelant à ne pas politiser la situation, n’a pas pu s’empêcher de rappeler que le monde était « dangereux et imprévisible » et que les États-Unis avaient besoin d’un président (ou d’une présidente) expérimenté(e)[28].
Le mois suivant, juste avant le caucus du Nevada, des appels automatiques (robocalls) mettaient en avant le middle name d’Obama, Hussein, comme nous l’avons vu plus haut. Même si l’on ne sait pas précisément qui est à l’origine de ces appels, il est fort probable que ce soit l’équipe d’Hillary Clinton. L’association entre Obama, l’Islam et le terrorisme a ensuite fait florès, notamment sur Internet, dans les blogs et sur YouTube : la campagne de calomnie, une fois lancée dans un espace public ultra-démocratisé, échappait immanquablement à tout contrôle.
Les spots de campagne d’Hillary Clinton sont de plus en plus difficiles à trouver sur YouTube, il semble qu’ils aient été supprimés après le retrait de la candidate pour limiter leur effet boomerang sur Obama. Certains restent consultables sur le compte d’autres utilisateurs. C’est le cas de « Kitchen » (référence à une citation de Truman, « If you can’t stand the heat, stay out of the kitchen ») diffusé à la veille de la primaire de Pennsylvanie (22 avril 2008). Sur fond de musique martiale, la fonction de président des États-Unis est décrite comme « le boulot le plus difficile au monde ». Les images, non commentées, sont celles de Roosevelt, de la crise de 1929 et de Pearl Harbor, mais aussi de Kennedy et de Castro et Khrouchtchev ensemble, allusion à la crise des missiles de Cuba en 1962, donc à la Guerre froide et à la menace nucléaire sur le sol américain, toujours le memento mori le plus puissant, mais peut-être plus subtil que le 11 septembre puisqu’il nécessite quelques connaissances historiques, contrairement à « 9/11 », qui n’est pas oublié puisqu’à des images de la chute du Mur de Berlin (fin de la Guerre froide) succède une image furtive de Ben Laden. Suivent des images de pénurie d’essence et de victimes de Katrina réfugiées sur un toit (référence à l’incompétence de l’administration Bush dans la gestion de cette crise). La voix off déclare « You need to be ready for anything », « Il faut être prêt à toute éventualité », allusion à la thématique de l’expérience. La dernière image est celle d’Hillary Clinton, rayonnante pendant un meeting. Derrière elle, une pancarte sur laquelle on voit le mot « ready », écho au slogan « ready to lead » de McCain (même si celui-ci sera surtout utilisé après le retrait de Clinton). Cette stratégie de communication ne repose sur rien de précis, rien d’autre que la profession d’expérience de la candidate Clinton. A ce titre, elle est purement incantatoire, performative : l’expérience de Clinton n’a pas besoin d’être démontrée, il suffit de l’affirmer et de la répéter pour lui donner corps. Dans un entretien avec Wolf Blitzer (CNN), le même jour, la représentante pro-Obama Jan Schakowsky accusait Clinton d’avoir recours à une stratégie rovienne (« using the Karl Rove playbook »)[29].
Un des spots les plus connus d’Hillary Clinton, car amplement discuté (et parodié) reste celui du coup de téléphone à 3 heures du matin (« 3 a.m. ») du 29 février, faisant une nouvelle fois appel à l’expérience autoproclamée d’Hillary Clinton, sur fond de memento mori (« It’s 3 a.m. and your children are safe and asleep »). L’irruption des enfants est tout sauf innocente : elle mobilise ce que l’électeur a de plus cher. Clinton y est présentée comme « someone ready to lead in a dangerous world » qui connaîtrait les chefs d’état et l’armée. La réponse de l’équipe d’Obama apparaît sous la forme d’une sorte d’anti-spot le 2 mars (donc deux jours avant les primaires du 4 mars, dans l’Ohio et au Texas). L’équipe d’Obama a retenu la leçon de 2004 : il est impératif de répondre pour neutraliser l’attaque avant qu’elle ne marque les esprits[30]. Mieux, l’argumentaire du spot de Clinton fut rapidement déconstruit dans des émissions consacrées aux élections.
C. Barack Obama
Obama, comme Kerry, fut pris malgré lui dans la tourmente de la « stratégie de la peur », qu’il ne suffit pas de dénoncer, comme il l’a pourtant fait à plusieurs reprises, renvoyant dans les cordes Hillary Clinton et George W. Bush (en janvier 2008) en opposant de façon somme toute classique « hope » et « fear ». Dénoncer et déconstruire, c’est s’adresser au cortex. C’est plus noble mais moins efficace que de s’adresser à l’amygdale.
Pourtant, en décembre 2007, dans l’Iowa, il avait lui-même brièvement participé au discours de la peur, paradoxalement en le dénonçant. Il avait notamment rappelé les dangers auxquels l’Amérique était confrontée, poussant le réalisme jusqu’à préciser que des dizaines de milliers de jihadistes aimeraient sûrement faire sauter le bâtiment où ils se trouvaient à ce moment là – memento mori par excellence. Et réalisme irréaliste – Al Qaeda n’ayant probablement pas pour priorité absolue de faire sauter l’obscur Wartburg College à Waverly, Iowa. Pourtant Obama met ses auditeurs en situation pour mieux rappeler ensuite que la fonction présidentielle qu’il convoite est une fonction protectrice[31].
D. Les dangers de l’effet boomerang
Il semble donc légitime de parler de rovianisation de la communication politique au-delà des Républicains, une rovianisation plus marquée chez Hillary Clinton que chez Barack Obama. Le plus problématique est peut-être l’utilisation d’une rhétorique de la peur entre candidats démocrates à cause de l’effet boomerang de celle-ci quand elle est utilisée après coup par l’adversaire républicain. La campagne démocrate a certes fait disparaître de YouTube les spots de campagne d’Hillary Clinton qui pouvaient nuire à l’image d’Obama, mais il en subsiste toujours et les Républicains ont réussi à se procurer les images en question sans difficulté dès l’instant où elles font leur entrée dans l’espace public et dans ce qui apparaît comme un théâtre politique.
Une autre dimension préoccupante de cette stratégie est la facilité avec laquelle les adversaires de la veille peuvent passer l’éponge sur des semaines d’attaques ad hominem visant à détruire la crédibilité, en l’occurrence, de Barack Obama. On peut donc s’étonner de voir un Joe Biden devenir son colistier et Obama pardonner promptement à Hillary Clinton en la nommant au poste de Secrétaire d’État – un poste à responsabilités où, ironie de l’histoire, elle peut faire valoir son expérience tant vantée pendant les primaires. Le «pardon » d’Obama évoqué à l’instant tend à montrer non pas tant les immenses qualités humaines du nouveau président que son acceptation, le temps de la campagne – et sûrement un peu malgré lui – de méthodes d’habitude considérées comme indignes par les Démocrates. Faut-il donc voir dans cette stratégie une forme de jeu politique dont les joueurs savent qu’il n’y a aucune sincérité derrière les arguments ? N’est-ce pas alors potentiellement un jeu de massacre politique ?
Autre exemple : quelques semaines avant les élections, la représentante Michele Bachmann du Minnesota, avait confié à Chris Matthews (MSNBC) son inquiétude quant aux « opinions antiaméricaines » que pourrait avoir Obama. Quelques jours après l’élection (et sa propre réélection), elle se réjouissait de la victoire d’Obama pour les États-Unis, non pas en tant que candidat démocrate, mais comme candidat noir[32]. Il semble qu’une règle implicite de ce jeu soit une certaine forme de traçabilité qui permet de faire la part de l’attaque légitime et documentée (mettre en avant un revirement, par exemple) et de la calomnie (attaque sans preuve). Entre les deux se trouvent la manipulation des citations, l’extraction de leur contexte, qui peuvent induire les électeurs à avoir peur de contre-vérités. La tâche du candidat victime est de répondre aussi vite que possible pour rétablir la vérité, et de préserver ainsi son indispensable capital de crédibilité.
Perspectives : au-delà des États-Unis
La « politique de la peur » est un phénomène qui dépasse les frontières américaines, ne serait-ce que parce que le Royaume-Uni de Tony Blair a été activement impliqué dans la « guerre contre le terrorisme »[33]. Bien avant cela, avant même de devenir premier ministre, Margaret Thatcher agitait régulièrement le chiffon rouge du spectre communiste pour protester contre l’étatisme rampant des gouvernements travaillistes d’Harold Wilson et James Callaghan qui transformait, à ses yeux, le Royaume-Uni en satellite de l’URSS. La virulence de son anticommunisme lui a d’ailleurs valu son surnom de « Dame de fer » dès 1976. Dans l’extrait de discours qui suit, il apparaît que l’entrisme des éléments d’extrême gauche faisait peur jusque dans les rangs travaillistes puisque Mme Thatcher utilise les propos de son adversaire de l’époque, le Premier ministre Wilson :
Les problèmes économiques ne trouvent pas leur origine dans l’économie. Ils ont des racines plus profondes, dans la nature humaine et dans la politique. Ils ne se bornent pas non plus à l’économie. L’incapacité des travaillistes à aborder, à regarder les problèmes du pays du point de vue du pays dans son ensemble, pas de celui d’une fraction de celui-ci, a entraîné une perte de confiance et un sentiment de désarroi. A cela s’ajoute l’impression que le Parlement, qui est censé être aux commandes, ne l’est pas, que les décisions sont prises ailleurs. Et cela va plus loin. Certaines voix semblent très réticentes à vouloir venir à bout de nos problèmes économiques, et souhaiteraient plutôt les exploiter afin de détruire notre société de libre entreprise et de lui substituer un système marxiste.
Ces voix forment aujourd’hui un chœur non négligeable dans le groupe travailliste au Parlement. Un chœur qui semble s’étoffer avec le concours des antennes locales du parti travailliste dans les circonscriptions. Quiconque fait cette observation à haute voix est accusé de voir des « communistes jusque sous le lit » [« Reds under the Bed »]. Mais regardez donc qui en voit à présent ! De son propre aveu, M. Wilson a enfin découvert que son propre parti a été infiltré par des extrémistes de gauche – ou plutôt « infesté » pour reprendre son propre terme. Quand M. Wilson lui-même prend peur de leur capacité à s’octroyer des postes clés au sein du parti travailliste, ne sommes-nous pas en droit, nous autres, de prendre peur également ? Et ne devrions-nous pas lui demander « Où étiez-vous pendant que cela se produisait, et qu’allez-vous y faire ? » (Applaudissements) La réponse est rien. Je me dis parfois que le parti travailliste est un peu comme un pub où la bière douce [mild] vient à manquer. Si personne ne fait rien, tout ce qui restera c’est de la bière amère [« All that’s left will be bitter »]. (Rires) Et il ne restera plus que de l’amertume. [« And all that’s bitter will be Left. »] (Rires)[34].
Thatcher, dont Reagan disait qu’elle était « the best man in England », n’était donc pas exempte, en tant que femme, de l’utilisation de la peur à des fins politiques, tout comme Hillary Clinton, nouvelle preuve que le « genre » n’est pas ici un point de fracture[35].
Plus près de nous, dans le contexte de crise économique auquel le Royaume-Uni est aussi confronté, Gordon Brown a défendu son autorité lors de la conférence du Parti travailliste en attaquant l’inexpérience du leader conservateur David Cameron en annonçant que ce n’était pas le moment pour qu’un « novice » soit aux commandes du pays (« No time for a novice »)[36].
Son autorité et sa crédibilité ont pourtant été largement mises à mal, au printemps 2009, dans ce qu’on a appelé outre-Manche le « smeargate », une campagne de calomnies sans fondement visant les principaux dirigeants du Parti conservateur, et orchestrée par des collaborateurs très proches de Brown. Dans cette position de faiblesse, au plus bas dans les sondages, et à quelques semaines d’élections locales et européennes qui s’annonçaient alors catastrophiques, les travaillistes décidèrent de contre-attaquer avec un spot de campagne de 2’40 dont la particularité était de ne pas mentionner une seule fois Brown ou même (un comble) l’Europe. Le spot fut immédiatement reçu par les Conservateurs avec une incrédulité amusée : non seulement cette litanie visait uniquement David Cameron (et son parti), mais elle présentait également une bien piètre image de la vie sous un gouvernement travailliste (et tout ce que les Britanniques les plus fragiles auraient à subir sous un gouvernement conservateur, ce qui n’était pas le sujet de l’élection en question). La position très inconfortable des travaillistes dans l’opinion, surtout quelques semaines seulement après le smeargate, donnait à cette stratégie de diabolisation une dimension factice, forcée et manquant complètement de sincérité. A défaut d’un leader convaincant et d’une politique efficace, la seule arme qui reste est le dénigrement de l’adversaire, en faisant vibrer la corde phobique[37]. L’efficacité des campagnes négatives, dont le ressort favori est la peur, dépend intimement du contexte : elles ne fonctionneront que dans le cadre d’une campagne serrée et indécise et seront totalement inefficaces dans deux cas : 1) quand elles proviennent d’un gouvernement aux abois ; 2) quand elles sont le fait d’une opposition en butte à un gouvernement (très) populaire dans l’opinion.
Enfin, une étude complémentaire pourrait être menée sur les affiches de campagne au Royaume-Uni, avec leur dimension visuelle évocatrice, souvent destinées à présenter l’adversaire comme une menace ou comme des incompétents[38]. Ainsi, en 1992, la campagne conservatrice dénonçait la « bombe fiscale travailliste » (et les Conservateurs l’emportèrent à la surprise générale) et en 1996, une affiche de campagne restée célèbre sous le nom de « Devil’s eyes » (les yeux du démon) représentant Tony Blair avec des yeux démoniaques dénonçait les dangers d’un parti travailliste rénové (« New Labour, New Danger »). [IMAGE 3 et IMAGE 4] Les Conservateurs subirent une déroute historique (annoncée de longue date). Le gouvernement Major, acculé par des affaires de corruption et en très net déficit de crédibilité et d’autorité ne faisait que trahir le désespoir d’une défaite inévitable – les néotravaillistes, revigorés par un Tony Blair encore porteur d’espoir, n’était alors un danger que pour les Conservateurs : la situation de Brown en 2009 était donc un miroir assez troublant de celle de Major en 1996-1997. En 2001, les Travaillistes, alors au pouvoir avaient représenté le leader conservateur de l’époque, William Hague, avec une perruque évoquant immédiatement le spectre de Margaret Thatcher, avec pour slogan « Be very afraid ». [IMAGE 5] Les Conservateurs étaient toujours tellement impopulaires, du fait de leur dérive droitière de l’époque, que les Travaillistes ne les craignaient pas réellement. Ici, le message de l’affiche témoigne plus de la formule, du rituel de campagne, que de l’expression d’un réel enjeu pour les citoyens.
En France, les stratégies phobiques se manifestent autrement, dans la mesure où la « publicité comparative » est interdite dans le domaine politique. Elles apparaissent donc dans d’autres compartiments de l’espace public, mais elles n’en sont pas moins présentes. Et elles sont utilisées au moins autant par la gauche que par la droite. A droite, l’année 2002 semble à première vue constituer un point de référence en matière sécuritaire, et on a vite fait d’accuser les chaînes de télévision de surjouer la thématique sécuritaire au profit des candidats de droite (Jacques Chirac) et d’extrême droite (Jean-Marie Le Pen). Or, il a été établi depuis que la forte abstention combinée à l’éparpillement des voix de gauche vers de trop nombreux candidats ont contribué à priver le candidat socialiste (pourtant sortant) de second tour.
A gauche, et de façon plus prononcée à la gauche de la gauche, on a tendance à agiter le spectre d’une droite liberticide, ultra-libérale (l’épouvantail américain issu d’une longue tradition antiaméricaine[39]), xénophobe, intolérante – la droite de l’état-policier, voire de Vichy, des listes et des « heures les plus sombres ». De telles dénonciations atteignirent leur paroxysme à la fin de la campagne des présidentielles de 2007, quand Ségolène Royal s’employait à peindre Nicolas Sarkozy comme un tyran en puissance. Le candidat UMP était explicitement comparé à Silvio Berlusconi et George W. Bush, deux figures abhorrées des progressistes (mais plébiscitées par leur électorat, au moins un temps). Un des paradoxes à l’œuvre ici est celui d’une gauche qui veut faire peur aux indécis pour les attirer à elle en stigmatisant une « droite de la peur » donc de l’intolérance et de la haine[40].
La dénonciation désormais classique de la « casse sociale », voire du « chaos social », ou encore du « K.O. social », évoquent paradoxalement le discours de la droite de la loi et de l’ordre, dans un retournement habile[41]. Or, l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007 et la large confirmation de sa majorité aux législatives de juin ont montré les limites de la communication anxiogène, même largement relayée dans les médias avec force intellectuels et artistes (comme aux États-Unis, du reste, où le tout-Hollywood est à quelques exceptions près acquis au parti démocrate) professant leur peur. Cette communication, dans le cas de Ségolène Royal en 2007 comme de John Kerry en 2004, Hillary Clinton et John McCain en 2008, John Major en 1996-1997 ou Gordon Brown en 2009, ne suffit pas pour déstabiliser le candidat visé quand on n’est pas soi-même regroupé dans son propre camp avec un projet convaincant[42]. Si elle peut avoir un effet mobilisateur auprès de l’électorat en catalysant la recherche d’information, son efficacité dans les urnes est loin d’être à la hauteur de son emploi et, dans le cas des Etats-Unis, des sommes astronomiques qui lui sont consacrées.
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[1] « A Brief History of the United States », URL: http://www.youtube.com/watch?v=zEVPSfJIQ84 (consulté le 10/03/2015). Voir également Barry Glassner, The Culture of Fear: Why Americans are Afraid of the Wrong Things, New York, Basic Books, 2004. L’auteur tient à remercier chaleureusement ses collègues Thierry Leterre, Denis Lacorne, Julien Fragnon, François Vergniolle de Chantal et François-Xavier Ajavon d’avoir relu cet article à différents niveaux d’avancement et de m’avoir adressé leurs suggestions et leurs conseils, ainsi que les participants à l’atelier du congrès de l’Association Française d’Etudes Américaines de mai 2009 où une version abrégée de cet article a été présentée.
[2] Jean Delumeau, La peur en Occident (XIVe-XVIIIe siècles), Paris, Fayard, 1978 (rééd., Hachette Pluriel, 2003) ; Le Péché et la Peur : La culpabilisation en Occident (XIIIe-XVIIIe siècles), Paris, Fayard, 1983 ; Rassurer et protéger : le sentiment de sécurité dans l’Occident d’autrefois, Paris, Fayard, 1989 ; Lauric Henneton, Liberté, inégalité, autorité: Politique, société et construction identitaire du Massachusetts au XVIIe siècle, 2 volumes, Paris, Honoré Champion, 2009, p. 102-123 ; William G. Naphy et Penny Roberts (dir.), Fear in Early Modern Society, Manchester, Manchester University Press, 1997. Voir également Anne-Marie Dillens (dir.), La peur : émotion, passion, raison, Bruxelles, Facultés universitaires de Saint-Louis, 2006, et Lauric Henneton et L.H. Roper (dir.), Fear and the Shaping of Early American Societies, Boston et Leyde, Brill, 2015 (à paraître).
[3] J. Delumeau, La peur en Occident, introduction. En matière de terminologie, une certaine tolérance est de mise : nombre de politologues, sociologues et psychologues (notamment américains) utilisent consciemment « fear » et « anxiety » ou encore « emotion » et « affect » de manière interchangeable.
[4] En plus de l’ouvrage majeur de Corey Robin, Fear : the history of a political idea, Oxford et New York, Oxford University Press, 2004, rapidement traduit en français (La peur, histoire d’une idée politique, Armand Colin, 2006 puis Hachette Littérature, 2008), voir W. Russell Neuman, George E. Marcus, Ann N. Crigler et Michael MacKuen (dir.), The Affect Effect: Dynamics of Emotion in Political Thinking and Behavior, Chicago, The University of Chicago Press, 2007 et Drew Westen, The Political Brain: The Role of Emotion in Deciding the Fate of the Nation, New York, Public Affairs, 2007. Voir également, Donald Granberg et Thad A. Brown, « On Affect and Cognition in Politics », Social Psychology Quarterly, vol. 52, n°3 (1989), p. 171-182. Plus généralement, voir Philippe Braud, L’émotion en politique: Problèmes d’analyse, Paris, Presses de Science Po, 1996 et George E. Marcus, Le citoyen sentimental : émotion et politique en démocratie, Paris, Presses de Science Po, 2008, chap. 5.
[5] George E. Marcus et Michael B. MacKuen, « Anxiety, Enthusiasm, and the Vote : The Emotional Underpinnings of Learning and Involvement During Presidential Campaigns », The American Political Science Review, vol. 87, n°3 (1993), p. 672-685 : « L’enthousiasme (généré par un candidat) stimule l’activisme (involvement) et l’angoisse (anxiety) stimule la curiosité (learning) » (p. 680). Les conclusions de Marcus et MacKuen ont récemment été confirmées par Nicholas A. Valentino, Vincent L. Hutchings, Antoine J. Banks and Anne K. Davis, « Is a Worried Citizen a Good Citizen? Emotions, Political Information Seeking, and Learning via the Internet », Political Psychology, Vol. 29, n°2 (2008), p. 247-273 et Joanne M. Miller et Jon A. Krosnick, « Threat as a Motivator of Political Activism : A Field Experiment », Political Psychology, vol. 25, n°4 (2004), p. 507-523.
[6] Paul S. Martin, « Inside the Black Box of Negative Campaign Effects : Three Reasons why Negative Campaigns Mobilize », Political Psychology, vol. 25, n°4 (2004), p. 545-562. Voir également, plus réservés, Lee Sigelman et Mark Kugler, « Why is Research on the Effects of Negative Campaigning so Inconclusive ? Understanding Citizens’ Perceptions of Negativity », The Journal of Politics, vol. 65, n°1 (2003), p. 142-160. La plupart des études sur le sujet portent non pas sur les élections présidentielles mais sur les élections au Sénat. Voir enfin l’article provocateur (au bon sens du terme) de William G. Mayer, « In Defense of Negative Campaigning », Political Science Quarterly, vol. 111, n°3 (1996), p. 437-455.
[7] Douglas R. Oxley, Kevin B. Smith, John R. Alford, Matthew V. Hibbing, Jennifer L. Miller, Mario Scalora, Peter K. Hatemi, et John R. Hibbing, « Political Attitudes Vary with Physiological Traits », Science, n° 321, 19 septembre 2008, p. 1667. Constance Holden, « The politics of fear », Science Now Daily News, 18 septembre 2008, URL: http://news.sciencemag.org/plants-animals/2008/09/politics-fear (Consulté le 10/03/2015); Matt McGrath, « Political Views ‘all in the mind’ », BBC World Service, 18 septembre 2008, URL : http://news.bbc.co.uk/2/hi/science/nature/7623256.stm (Consulté le 10/03/2015).
[8] Woo-Young Ahn, Kenneth T. Kishida, Xiaosi Gu, Terry Lohrenz, Ann Harvey, John R. Alford, Kevin B. Smith, Gideon Yaffe, John R. Hibbing, Peter Dayan, P. Read Montague, « Nonpolitical Images Evoke Neural Predictors of Political Ideology », Current Biology, Volume 24, No. 22, p. 2693–2699, 17 Nov. 2014
[9] Devenu premier ministre à la suite de la démission de Tony Blair en juin 2007, Gordon Brown avait laissé entendre qu’il pourrait provoquer une élection législative anticipée dès octobre. Alors que l’ensemble des observateurs politiques s’attendait à une déclaration dans ce sens, le premier weekend d’octobre, Brown décida finalement de ne rien faire.
[10] « In politics, the emotions that really sway voters are hate, hope and fear or anxiety », Drew Westen, cité dans Sharon Begley, « The roots of fear », Newsweek, 24 décembre 2007. Pour George Marcus, il s’agit plutôt de l’enthousiasme (qui inclut la colère), l’anxiété et l’aversion. Le citoyen sentimental, passim. Plus largement, voir l’essai stimulant de Dominique Moïsi, La géopolitique de l’émotion, Paris, Flammarion, 2008, qui lit le monde actuel à travers un triple prisme émotionnel (peur en Occident, humiliation dans le monde arabe, culture de l’espoir en Asie).
[11] Douglas Sosnik, Matthew Dowd et Ron Fournier, Applebee’s America : How Successful Political Business and Religious Leaders Connect with the New American Community, New York, Simon & Schuster, 2006, ch. 1 notamment p. 33-34 et 57 pour des témoignages d’électrices sur leur décision de voter pour Bush en 2004.
[12] Ce n’est pas vrai avec la crise économique parce que c’est une crise d’une nature différente : « Losing wealth, finding God ? », Pew Forum on Religion and Public Life, 13 mars 2009, URL : http://pewresearch.org/pubs/1150/economy-church-attendance (Consulté le 10/03/2015).
[13] Cf. Sharon Begley, « The roots of fear », Newsweek, 24 décembre 2007. « ‘When we’re insecure, we want our leaders to have what’s called an ‘unconflicted personality’,’ says political psychologist Jeff Greenberg of the University of Arizona. « Bush was very clear in his beliefs and had no doubts, but Kerry was painted as a flip-flopper. Bush had another key advantage: he emphasized the greatness of the nation. » Voters whose fears of terrorism were reignited by the bin Laden tape, and who reacted by seeking solace in an entity that would survive their own inevitable demise, found it in the idea of a strong, enduring America as promised by Bush. »
[14] John Judis, « Death Grip », The New Republic, 27 août 2007.
[15] Voir l’éditorial du New York Times, 18 juillet 2007.
[16] John Judis, « Death Grip », The New Republic, 27 août 2007; Sharon Bigley, « The Roots of Fear », Newsweek, 24 décembre 2007.
[17] Sosnik, Dowd et Fournier, op. cit., passim ; David Brooks, « Take a ride to Exurbia », The New York Times, 9 novembre 2004; Haya el Nasser, « For Political Trends, think Micropolitan », USA Today, 23 novembre 2004 qui s’appuie sur R. E. Lang et al., « Micro Politics : The 2004 Presidential Vote in Small-Town America », Metropolitan Institute at Virginia Tech Census Note 04:03, novembre 2004.
[18] Arnaud Mercier (coord.), La communication politique, Paris, Les essentiels d’Hermès, CNRS Éditions, 2008, p. 23-24.
[19] Les spots de campagne de John McCain peuvent être visionnés sur sa chaîne YouTube (URL : http://www.youtube.com/user/JohnMcCaindotcom). Consulté le 15/03/2015.
[20] Michael Falcone, « New McCain Ad : ‘Summer of Love’ », The Caucus, blog du New York Times, 8 juillet 2008.
[21] Contrairement à Ségolène Royal puisque Laurent Fabius et Jean-Luc Mélenchon s’étaient illustrés en expliquant qu’une élection n’était pas « un concours de beauté » et en demandant « qui allait garder les enfants », renvoyant la candidate, en tant que femme, à un rôle de potiche enfermée dans sa condition de mère au foyer – ce dont les Chiennes de garde se sont dûment émues. « Royal dénonce le sexisme au sein du PS », Le Nouvel Observateur, 27 septembre 2005 (URL : http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20050926.OBS0197/royal-denonce-le-sexisme-au-sein-du-ps.html Consulté le 10/03/2015).
[22] URL: https://www.youtube.com/watch?v=1XBbLX3TSpo (Consulté le 10/03/2015)
[23] Timothy Garton Ash, « America is Gripped by the Politics of Fear: bad news for the prophet of hope », The Gardian, 18 septembre 2008, URL: http://www.theguardian.com/commentisfree/2008/sep/18/wallstreet.barackobama (Consulté le 10/03/2015)
[24] Jim VandeHei et Howard Kurtz, « Kerry adopts Bush Strategy of Stressing Dangers », Washington Post, 29 septembre 2004, page A1. La parution de cet article à la Une en augmente largement la visibilité.
[25] Cf. http://www.livingroomcandidate.org/commercials/1964/peace-little-girl-daisy (Consulté le 10/03/2015)
[26] Diffusé dans l’émission Countdown (MSNBC) le 3 mars 2008 (vidéo supprimée depuis le dernier visionnage de l’auteur).
[27] http://www.youtube.com/watch?v=Tgm8BrmzgLM (consulté le 10/03/2015)
[28] Alexander Belenky, « Iowa minus seven », Deadline USA (blog du Guardian), 27 décembre 2007, URL: http://www.guardian.co.uk/world/deadlineusa/2007/dec/27/iowaminus7 (consulté le 10/03/2015)
[29] https://www.youtube.com/watch?v=Mt6W3rVTLhw pour le spot « Kitchen » et http://transcripts.cnn.com/TRANSCRIPTS/0804/21/sitroom.02.html pour l’entretien de Jan Schakowsky sur CNN. Consultés le 10/03/2015.
[30] Le spot de Clinton et la réponse d’Obama furent diffusés et discutés dans l’émission Countdown de MSNBC le 3 mars.
[31] Cité par Sharon Bigley, « The Roots of Fear », Newsweek (24 déc. 2007): « We have been operating under a politics of fear: fear of terrorists, fear of immigrants, fear of people of different religious beliefs, fears of gays that they might get married and that somehow that would affect us, » he declared. « We have to break that fever of fear … Unfortunately what I’ve been seeing from the Republican debates is that they are going to perpetuate this fearmongering … Rudy gets up and says, ‘They are trying to kill you’ … It’s absolutely true there are 30,000, 40,000 hard-core jihadists who would be happy to strap on a bomb right now, walk in here and blow us all up. You can’t negotiate with those folks. All we can do is capture them, kill them, imprison them. And that is one of my pre-eminent jobs as president of the United States. Keep nuclear weapons out of their hands. »
[32] Jim Rutenberg, « Harsh words about Obama ? Never mind now », Washington Memo (blog du New York Times), 8 novembre 2008.
[33] Voir notamment Peter Oborne, « The Politics of Fear (or how Tony Blair misled us over the war on terror) », The Independent, 15 février 2006.
[34] Jeu de mot difficilement traduisible entre l’amertume de la bière (notamment brune) et la polysémie de « left » (la gauche et ce qui reste). Margaret Thatcher, discours au Congrès du Parti conservateur, 10 octobre 1975. http://www.margaretthatcher.org/speeches/displaydocument.asp?docid=102777 (Consulté le 10/03/2015)
[35] Sarah Palin, arrivée plus tard sur dans le théâtre de la campagne, fut finalement plus un objet de dérision qu’un objet de peur. C’est son inexpérience qui alimenta le plus l’argumentaire à son encontre, suivie par ses positions très conservatrices dans le domaine moral – ce qui ne dut faire peur qu’aux sympathisants démocrates par ailleurs déjà acquis à la cause d’Obama, et certaines de ses décisions controversées en tant que gouverneur d’Alaska. Son identité de femme fut utilisée comme un atout identificatoire par les Républicains (l’image de la « Hockey mom » et l’ancienne reine de beauté devenue gouverneur) qu’une cible délicate en raison des accusations évidentes de sexisme si c’était le cas.
[36] Philip Webster, « Gordon Brown hits back: this is no time for a novice », The Times, 24 septembre 2008; Andrew Grice, « Brown : ‘This is no time for a novice’ », The Independent, 24 septembre 2008. Le jour de l’élection américaine, Rachel Sylvester avait répondu que si les Américains élisaient Obama, ils anéantiraient l’argumentaire de Gordon Brown : « This is no time for a novice : Oh yes it is », The Times, 4 novembre 2008.
[37] Le spot « Cameron’s Conservatives » est consultable sur YouTube : http://www.youtube.com/watch?v=6b3MvXFpgwE (Consulté le 10/03/2015). Voir les réactions des chroniqueurs Fraser Nelson, « Brown resorts to Bully Tactics », The Coffee House (blog du Spectator), 14 mai 2009 (URL : http://blogs.spectator.co.uk/coffeehouse/2009/05/brown-resorts-to-bully-tactics/) et Iain Martin, « MP’s Expenses : Gordon Brown’s politics of fear looks silly, not scary », ThreeLineWhip (blog du Daily Telegraph), 14 mai 2009 (URL : http://blogs.telegraph.co.uk/iain_martin/blog/2009/05/14/mps_expenses_gordon_browns_politics_of_fear_film_looks_silly_not_scary – le lien ne semble plus fonctionner). Martin tourne l’argumentaire du spot à la dérision tant il le trouve exagéré. Il explique que l’on aurait même pu y voir un enfant sangloter à côté de la cage de son lapin, prétendant que David Cameron ferait augmenter le prix des carottes et que son lapin mourrait de faim… La dérision est le signe de l’inefficacité du spot.
[38] On pense notamment à l’affiche de 1979 clamant que « Labour isn’t working » (avec un jeu de mots en prime) et repris récemment par les Conservateurs avec l’adjonction de « still ». [IMAGE2]
[39] Jean-François Revel, L’Obsession anti-américaine : son fonctionnement, ses causes, ses inconséquences, Paris, Plon, 2002 ; Philippe Roger, L’ennemi américain : généalogie de l’antiaméricanisme français, Paris, Seuil, 2002 ; André Kaspi, Les États-Unis d’aujourd’hui : mal connus, mal aimés, mal compris, Paris, Perrin, collection « Tempus », 2004.
[40] Voir notamment Charles Bremner, « The Demonisation of Sarkozy », The Times, 1er mai 2007. Bremner est le correspondant permanent du Times à Paris depuis 1999.
[41] Je remercie mon collègue Thierry Leterre de m’avoir rappelé ces usages, ainsi que pour ses conseils et remarques à différents stades de la rédaction de cet article.
[42] Serge Berstein et Michel Winock, La République recommencée, de 1914 à nos jours, Histoire de la France politique, tome 4, Paris, Seuil, 2008, p. 572-576.